Introduction

Freinet a instauré le texte libre comme vecteur essentiel de l'apprentissage de la langue. Il partait du postulat que l'enfant apprendrait plus vite et mieux en ancrant ses premières découvertes dans une expérience intime forte, en étant reconnu dans le groupe classe en tant qu'auteur[1] et en mettant du sens dans ce qu'il écrit et qu’il va lire aux autres.

Dans la classe, la maitrise de la parole à l'oral et à l'écrit participe de la construction d’individus conscients, libres, capables de coopérer et de prendre leur place dans la société. L'acquisition de ce pouvoir sur la langue constitue une transformation fondamentale et durable de la personne.

La Méthode naturelle implique obligatoirement la pratique du texte libre.

Dans la classe coopérative

Le texte libre ne peut vivre que dans la classe coopérative[2]. Par exemple, il n'est possible de lire des ébauches parfois maladroites que devant un groupe réceptif et respectueux. Et bon nombre de thèmes trouvent leur origine dans des moments d'expression collective : Quoi de neuf ?[4], débat, présentation de textes[5]… Chacun peut s'inspirer des autres pour créer son œuvre[3] originale. D'autre part, c'est par le regard, l’apport de l'adulte et du groupe que l'enfant est reconnu dans son être et son devenir – en tant qu'apprenti écrivain, lecteur de plus en plus performant, penseur critique de son monde. Peu à peu, le groupe d'enfants-auteurs se construit une culture de classe. Elle lui permet de créer des liens avec les textes d'auteurs adultes sur lesquels il pourra exercer un regard éclairé.

Par quoi se caractérise un texte libre ?

Nous définissons le texte libre comme une forme d'expression écrite répondant à des conditions précises.

C'est un travail le plus souvent individuel. L'élève a la liberté du thème, du genre, de la forme du texte. Il peut choisir le moment où il veut l'écrire et ses destinataires. En principe, il a aussi la liberté de ne pas l'écrire, parce que le professeur compte sur la classe coopérative – les outils[6], le groupe, les moments d'échange, etc. – pour lui donner le désir[7] et les moyens d'écrire. Mais tous les textes ne sont pas des textes libres. Il faut du temps, de nombreux essais et des expériences réussies pour parvenir à la création[10] du texte authentique[8]. Parfois, le professeur accélère ce temps de maturation par une « contrainte douce »1[9] : persuasion, aide, obligation d'écrire.

Le texte libre répond à une nécessité intérieure. On écrit parce qu'on le veut, au moment où l'on en a besoin. Ce texte, quand il est achevé, apaise et satisfait. Freinet parle de « jubilation[11] ». C'est par la somme de ces moments de jubilation que l'acte d'écrire devient un moyen d'exister.

Quel est le rôle du professeur ?

Son action permet de créer les conditions de l'avènement du texte libre.

Par l'acte fondateur d'imposer la liberté, par la production coopérative de connaissances, il casse le rapport d’aliénation au savoir. Et pour cela, il met en place un dispositif[12] très précis : temps de travail individualisé[13], outils d'autonomie[14], gestes de dévolution[15].

Il veille à la sécurité[16] des individus et du groupe. Il régule les temps collectifs pour que l'écoute et les prises de parole soient respectueuses. Il est attentif au contenu des textes (tout ne peut pas être dit : propos racistes, diffamations, injures, pornographie et tout ce qui peut porter atteinte aux personnes). Il rassure en apportant des outils qui permettent à chacun de s'approprier la langue et ses normes par et pour l'écriture.

Il apporte son regard expert. Il ouvre des possibles en donnant des pistes et en créant un milieu[17] riche (multiples écrits d'enfants et d'auteurs adultes à disposition dans la classe, outils d'aide à l'écriture…).

La pratique du texte libre nécessite une véritable révolution dans la manière de penser et d'agir du professeur. Il décide que l'enfant est auteur de sa tâche, coauteur de la culture de la classe. Nous pensons que cet acte émancipateur[18] contribue à réduire les injustices sociales par un partage du pouvoir sur la langue.