POURQUOI le texte libre ?
SOMMAIRE
Pourquoi le texte libre ?
·
C'est un choix éthique
- Écrit et société
- Les orientations fondamentales de notre pratique éducative
·
C'est un choix humain
- Ne pas couper l'école de la vie
- Le plaisir de communiquer
- Outil
·
C'est un choix pédagogique
- Une pratique motivante de l'écriture
- Une pratique de la langue en situation réelle de communication
- La langue, système qui se construit par tâtonnement
- Lier l'apprentissage de l'écrire-lire-penser
·
Conclusion : Vers une pédagogie populaire
C'est un choix éthique
Tout projet
éducatif suppose des choix, des options découlant d'une certaine conception du monde et
des rapports sociaux et, par conséquent, d'un projet de société.
Aider à la
naissance d'hommes cultivés et lucides qui oeuvreront pour une société dont la
liberté, la justice, la fraternité et le travail « non-aliéné » seront les
fondements : tel est le but que Freinet, dès l'origine de son action, offre aux
éducateurs populaires s'engageant à ses côtés.
Pour cela,
Freinet, opposé à tout endoctrinement, veillera à ce que l'accession aux savoirs et à
la culture ne se réduise pas, pour le plus grand nombre d'enfants, aux « miettes de
Lazare », aux banquets des riches.
Nous
voulons que ces enfants soient très instruits, non seulement de tous les événements de
la vie contemporaine, mais aussi de toutes les matières que l'école traditionnelle peine
tant à inculquer...
Nous
avons trop conscience de la nécessité, pour les générations à venir, de beaucoup
connaître pour réaliser le monde nouveau qui s'offre à elles. Mais nous insistons sur
l'imbrication nécessaire de l'esprit, du sens de la conquête synthétique d'une part, et
des éléments techniques qui marquent les étapes de cette conquête. C'est d'ailleurs,
tout le problème de la connaissance dans le complexe éducatif: nous ne saurions nier la
nécessité de cette connaissance, mais dans le cadre d'une création et d'une culture
personnelle... (1)
Ecrit et société
HORS DE L'ÉCOLE
Avant de
développer nos options, il n'est pas inutile d'envisager, préalablement, le rôle et le
statut de l'écrit dans la société contemporaine. Le constat est sévère :
a) Après
des décennies de scolarité obligatoire, l'analphabétisme n'a pas disparu.
Même si
les statistiques fournies par différents organismes doivent être accueillies avec
prudence (2), toutes signalent ce phénomène :
A peu près
1 % de la population française ne saurait ni lire, ni écrire, et 15 % seraient victimes
d'illettrisme, soit 7 à 8 millions de personnes qui ne posséderaient qu'une capacité de
syllabisation rudimentaire, un « déchiffrement de survie » par lequel
l'accès au sens est parfois si laborieux que la signification globale de la phrase se
dérobe constamment (3).
Des
milliers de personnes ne maîtrisent donc pas, aujourd'hui, la lecture et l'écriture, et
sont handicapées dans leur vie quotidienne, réduites à une participation minimale à la
vie sociale (4).
Ce qui
devrait impérativement faire réfléchir sur la politique éducationnelle suivie et
pousser les enseignants et les décideurs politiques à tout mettre en oeuvre à tous les
échelons, du ministère à la salle de classe, pour qu'il en soit autrement.
b)
Pour le reste de la population, différentes enquêtes (5) soulignent avec insistance que l'écriture
est considérée comme relativement rare et frustrante. La quasi totalité des
interviewés estiment rencontrer des difficultés dans l'écriture qu'ils soient cadres,
employés ou ouvriers. Dans une majorité de classes sociales, un style peu marqué, voire
des formules toutes faites, sont préférés presque toujours à la recherche esthétique
et à l'originalité. L'ambition d'un style personnel ne se rencontre guère que dans les
classes favorisées.
Quant aux
occasions d'écrire, ce sont les moments qui marquent une rupture avec la vie quotidienne
qui les privilégient : les événements exceptionnels (mariage, décès, les fêtes
laïques ou religieuses, les vacances).
Dans tous
les cas, la crainte de la « faute » quelle qu'elle soit, par laquelle on se
dénoncerait comme incapable de maîtriser une compétence qui aurait dû être acquise à
l'école, fait qu'on redoute l'écriture, même quand on s'adresse à des proches.
Les
interviewés appartenant aux classes défavorisées se sentent « inférieurs »
à tous les autres, éloignés du pouvoir et écartés d'une partie des savoirs, ils ont
le sentiment d'être privés d'un outil linguistique important.
Un partage se fait, aujourd'hui comme hier, entre les individus qui maîtrisent l'écrit comme mode d'accès aux concepts et à la culture et ceux pour qui l'écrit ne demeure qu'un système de codifications fonctionnelles. Seuls les premiers disposent d'une plus grande liberté, d'un plus grand pouvoir social, par la pratique diversifiée de l'écrit, sous toutes ses formes.
LA REALITE SCOLAIRE COURANTE
Le nombre
important des retards scolaires (6) que dévoilent de nombreuses études docimologiques,
prouve que les programmes actuels sont loin d'être assimilés comme ils le devraient.
De
nombreuses recherches (Girard 1965, Gilly 1967, Bourdieu et Passeron 1964 et 1970, Boudon
1973, Schiff 1982) attestent d'une liaison entre l'origine sociale et la réussite ou
l'échec scolaire.
Or, la
réussite scolaire est largement conditionnée par la maîtrise de la langue écrite dont
l'usage est très inégalement réparti selon les classes sociales.
Les
résultats de quelques enquêtes, hélas parcellaires, menées par quelques inspecteurs en
1984, apportent un éclairage pertinent sur la réalité de l'enseignement du français à
l'école élémentaire :
- sur dix
classes de cours moyen 1re année, 19 % des activités de français ont ont
été consacrées à la lecture, 47 % à la grammaire, la conjugaison, l'orthographe, 7,5
% à l'expression orale et 1,8 % à l'expression écrite.
- Sur dix
classes de cours moyen 1re année, 19 % des activités de français ont été
consacrées à la lecture, 69 % à la grammaire, la conjugaison, l'orthographe, 5,2 %
à l'expression orale et 5,4 % à l'expression écrite.
Comment la
maîtrise de l'expression, la capacité de conduire à son terme un raisonnement rigoureux
ou la compétence narrative qui supposent pour s'exercer que soient instaurés les
pratiques et les dispositifs accordés à ces fins, pourraient-elles s'acquérir dans de
telles conditions de rationnement ? (7).
De plus, si
l'on en croit René Balibar (8), « l'incapacité de raconter, qui est constatée
historiquement par tous les rapports d'instruction publique, et qui est le lot de la masse
des Français depuis 1880 jusqu'à nos jours, l'échec à 80 % de tous les Français à
effectuer une narration-description doit venir des formes institutionnelles de la
rédaction à l'école primaire en France ».
Il ne
s'agit nullement, avec cette observation lucide des réalités, de culpabiliser les
enseignants, mais de les convaincre de la nécessité d'élaborer une nouvelle stratégie
d'enseignement de la langue écrite qui tienne compte des caractéristiques
(« habitus culturels », « styles cognitifs »...) des élèves
habituellement en échec, pour leur ménager un accès à la culture
« savante » qui ne soit pas la négation de leur propre culture.
Les thèses
sociologiques de Bourdieu éclairant les intuitions de Freinet (9) nous ont appris que
dans une formation sociale où l'école est un moment obligé de socialisation, c'est
surtout sur la continuité ou, à l'inverse, sur les ruptures entre la culture valorisée
par l'école et celle que connaissent les enfants dans leur famille qu'il faut
s'interroger.
L'entrée
à l'école n'entraînerait aucune rupture pour les enfants des classes favorisées dont
la culture est généralement proche de celle diffusée et valorisée par l'école. Ces
« héritiers » poursuivent simplement un processus d'enculturation déjà
engagé dans leur milieu familial, alors que, pour d'autres enfants, l'intériorisation de
la culture scolaire s'accompagne d'une véritable « violence symbolique »,
caractérisée par la négation des pratiques culturelles spécifiques de l'univers dont
ils participent.
L'inadaptation
de ces élèves ne résulte-t-elle pas pour une bonne part de ce qu'ils sont tenus,
arbitrairement, d'abandonner aux portes de l'école leur « sous Culture », au
sens de Labov (10) jugée, à travers les catégories du discours pédagogique
traditionnel, uniquement dans le registre du « mauvais » (mauvais langage,
mauvaise grammaire, vocabulaire grossier, mauvais comportement...)
Nous
estimons que la façon d'apprendre à lire, à écrire, à compter ainsi que l'ensemble
des relations et échanges affectifs vécus à l'école, vont constituer à longue
échéance soit des facteurs de développement, soit des facteurs d'aliénations
supplémentaires.
Toute
transmission de savoirs qui ne consiste qu'à faire reproduire des modèles, présentés
comme des « invariants culturels » de l'humanité, coupés de toute pratique
sociale, provoque statistiquement l'échec des enfants des milieux populaires, en
intériorisant, chez eux, la conscience d'un manque, d'une incompétence personnelle (11).
L'intériorisation
répétée de cet échec peut alors entraîner des traces négatives qui ne sont pas
seulement affectives et psychologiques : cf. les travaux de Colette Chilland (12).
Elle finit par ancrer une identité sociale négative où se mêlent sentiments de
culpabilité, processus d'autodévalorisation (13) et d'infériorisation de la culture
d'origine.
En choisissant, trop précocement, un matériau langagier qui n'est pas celui du milieu de vie des enfants, l'école fait de l'apprentissage de la langue écrite un outil de sélection redoutable : elle contribue alors, à provoquer chez ces enfants, le sentiment de leur incapacité à s'exprimer de manière satisfaisante, pouvant aller jusqu'à une inhibition globale de l'expression.
Les
orientations fondamentales de notre pratique éducative
Nous
n'avons pas la naïveté de croire que la pédagogie Freinet puisse résoudre tous les
problèmes : une stratégie réaliste de réduction des inégalités scolaires passe,
en effet, par une stratégie de réduction des inégalités sociales.
Mais, si
l'école ne peut pas tout, en particulier si elle ne peut modifier radicalement les
clivages sociaux et la diversité des conditions de vie des enfants, face aux discours
politico-idéologiques qui exaltent les pratiques pédagogiques du passé (14) nous
voulons nous situer résolument dans une perspective d'éducation populaire et de
démocratisation de l'enseignement.
En face
des problèmes suscités par la démocratisation de l'enseignement et les nécessités de
rendement, les solutions théoriques de naguère sont aujourd'hui dépassées.
C. FREINET
Aussi,
réaff irmons-nous, qu'une nouvelle organisation du travail scolaire ne peut
attendre : les enfants d'aujourd'hui ont besoin d'échapper aux démarches
culturelles stérilisantes, et les élèves des milieux populaires le droit à une
pédagogie de la réussite.
POUR UNE
DÉMOCRATISATION DES SAVOIRS : UNE STRATÉGIE POUR UN ENSEIGNEMENT ANTISÉGRÉGATIF
DE LA LANGUE ÉCRITE.
Par
opposition à la réalité décrite précédemment, en utilisant des techniques (journal
scolaire, correspondance, échanges télématiques...) qui mettent les enfants en
situation de production, nous créons un espace d'expression où un enfant peut transcrire
ses pensées, ses sentiments, et jouer avec son imagination, sans devoir renier son
environnement culturel.
C'est, en
effet, beaucoup plus profondément qu'on ne croit, au niveau de la langue, qu'un enfant
ressent son appartenance à son milieu familial et social ; si l'apprentissage est
cause de blessures ou de culpabilité, l'enfant le refuse et se réfugie dans un
comportement d'opposition plus ou moins apparente (inhibition, agressivité...).
L'effet
libérateur du texte libre provient simultanément de la spontanéité qu'il autorise mais
aussi du dynamisme constructif, de l'appétit culturel dont il est l'occasion.
Faisant
appel à des aptitudes virtuellement existantes chez tous, il permet un apprentissage de
la langue, qui, s'appuyant sur les expériences, les attitudes, les valeurs dont est
porteur chaque enfant, les valorise.
L'idée
de liberté contenue dans l'expression « texte libre » ne s'applique pas au
produit texte mais aux conditions matérielles et psycho-affectives proposées aux enfants
pour qu'ils écrivent.
Contrairement aux allégations caricaturales de certains
chercheurs, cette liberté n'est pas synonyme de spontanéisme et de croyance à
d'hypothétiques « vertus immanentes du beau langage » (15). Elle est dans la
possibilité offerte à tous les enfants d'exercer leur parole avec leurs moyens du
moment. Ils doivent pouvoir essayer, oser, sans risque et trouver des aides adaptées.
L'expérience montre que, si on évite de porter des jugements hâtifs sur leurs
productions, si on adapte les exigences linguistiques à leurs possibilités réelles, les
enfants se montrent vite capables d'exprimer et de communiquer leurs idées essentielles
et profondes.
Instituer
un milieu et une organisation de travail qui donnent aux enfants les moyens et le plaisir
de modeler les traces de leur pensée et de leur affectivité sur du papier, c'est :
- mettre en route le processus d'acquisition de la langue
écrite ;
- leur ouvrir les voies d'une véritable réflexion et création intérieure, en les
encourageant à percevoir par eux-mêmes.
Au cours de
ces productions, les interventions adaptées d'adultes compétents favoriseront, sans
ruptures ségrégatives, l'installation progressive d'un usage d'abord intuitif des normes
spécifiques de la langue écrite.
Petit à
petit, au fur et à mesure des besoins, les
explications de cet usage contribueront à une meilleure connaissance de la langue
écrite. Enfin, la formulation éventuelle de règles provisoires de fonctionnement de la
langue écrite, considérée comme matériau d'expérimentation, pourra permettre une
réflexion et une distanciation, amorces d'une réelle liberté par rapport aux écrits.
Les
textes libres doivent être pris pour ce qu'ils sont : une étape dans la
conquête de la langue écrite. Une étape décisive qui ne doit être interprétée
que dans la perspective d'un apprentissage long, sans doute jamais tout à fait achevé.
On
comprendra donc qu'isoler un texte, pour juger de nos pratiques ou pour juger d'un enfant
est une entreprise qui n'a aucun sens dans une démarche intellectuelle honnête. C'est,
en effet, l'extraire d'une genèse individuelle : les textes d'un élève
s'éclairant les uns par rapport aux autres. Et c'est l'extraire d'une genèse collective
puisqu'il a été élaboré dans le champ d'influence de tous les textes socialisés dans
le groupe-classe (16).
UN AUTRE
RAPPORT AU SAVOIR : POUR UNE CULTURE EFFERVESCENTE.
Une révolution dans l'enseignement de la langue écrite
Il y a une
soixantaine d'années, échappant aux rabâchages des phrases stupides des méthodes de
lecture, C. Freinet a créé la technique du texte libre pour permettre à tous les
enfants de se construire une culture dynamique et vivante.
En liant
l'écriture et la lecture, en confiant aux enfants un matériel d'imprimerie adapté qui
va leur permettre d'exprimer leur vie, leurs rêves, leurs pensées, il n'a pas seulement
redonné sens et finalité aux activités scolaires. En rétablissant un circuit
fonctionnel, obstrué par la scolastique, il a modifié le processus de production du
travail scolaire et transformé radicalement le processus d'apprentissage de la langue
écrite.
Le savoir écrire, le savoir lire ne sont plus considérés
comme absorption passive d'un patrimoine culturel universel mais comme une pratique qui se
construit dans un milieu socialisant.
Une pratique qui privilégie la formation de la pensée
Le grand
problème, on pourrait dire le seul véritable, c'est la culture de la langue maternelle
comme moyen d'expression de la pensée. Le premier souci de l'école doit être de
concentrer tout l'effort sur la formation de la pensée et son expression par la langue.
Apprendre
à l'enfant à exprimer librement et correctement des idées justes et personnelles, tel
est le but Le langage est éminemment social. C'est un vrai besoin social qui pousse
l'enfant à parler et à accroître son vocabulaire. Il faut donc que l'école, non
seulement permette les rapports de sociabilité des élèves entre eux, mais favorise les
échanges des idées. LES ENFANTS DOIVENT APPRENDRE A SOCIALISER LEUR PENSÉE.
Ce texte de
Freinet, écrit en 1936, dans son plan d'étude du français demeure pertinent un
demi-siècle plus tard (17).
Le texte
libre qui permet à l'enfant de matérialiser sa pensée dans une production écrite qu'il
peut communiquer, développe et diversifie les possibilités de penser, de s'exprimer et
de s'ouvrir à la pensée des autres.
L'originalité de Freinet est d'avoir lié le développement de
la pensée des enfants au travail d'expression qui la produit.
Une autre conception de la culture
Traditionnellement,
l'enseignement s'appuie sur une conception nominaliste et accumulative des savoirs,
assimilable à la possession d'un capital transmis par héritage.
La culture
est alors le plus souvent considérée comme l'évocation de savoirs figés fonctionnant
comme indicateurs de réussite scolaire ou comme signes de reconnaissance d'une
« élite culturelle ». Par opposition, nous ne considérons pas les savoirs
comme des colis à réceptionner, mais comme des éléments d'une culture à s'approprier,
c'est-à-dire à saisir rationnellement dans leur processus même de production.
La culture
que nous visons est dynamique et virtualité d'actions. Trace d'un travail personnel
d'expérimentations et d'assimilations, c'est une permanente restructuration et
compréhension de nos expériences et de nos émotions affectives et esthétiques, guidant
et donnant sens à nos prochaines productions mais aussi à nos prochaines consommations
culturelles. La culture n'est plus envisagée seulement comme un contenu mais comme un
processus de développement et d'adaptation constante.
Une autre
illusion qui se rencontre souvent est celle selon laquelle la confrontations avec une
« uvre » suffit pour dévoiler les mystères de la création et
déterminer une disposition à la pratique culturelle.
Pourtant,
malgré l'appareil culturel mis en place depuis un quart de siècle pour faciliter
l'accès aux ceuvres (maisons de la culture, théâtres populaires, bibliothèques), le
pourcentage d'individus s'intéressant à l'art, à la littérature est toujours
extrêmement bas.
En fait
être « cultivé » c'est s'être élaboré des codes, des clés émotionnelles
qui permettent des accès aux objets esthétiques, engendrent des plaisirs. Sans eux,
l'on ne voit rien. Ou plutôt (...) l'absence de ces codes condamne à une perception de
l'oeuvre d'art qui emprunte ses catégories à la seule expérience quotidienne, et donc
d'abord à la ressemblance. BOURDIEU (18). En donnant aux enfants la possibilité
technique et institutionnelle de s'exprimer et d'échanger leurs productions, C. Freinet a
défriché une ouverture originale vers une sensibilité esthétique et une maîtrise
active de ces codes.
Seul
l'enthousiasme de l'activité, de la recherche, de la création, ferments d'une pensée
créative, capable d'initiative et d'esprit critique, participe à la construction d'une
culture authentique.
Un rapport gratifiant au savoir
La pratique
du « texte libre » (expression libre, discussion, reproduction, échange)
permet d'appréhender le travail comme une activité productrice de valeurs d'usage (qui
répond à des besoins de consommation réelle) et non de valeur d'échange (pour enrichir
un capital...). Les enfants écrivent pour le plaisir de lire leur texte aux autres, pour
être publiés dans le journal, pour leurs correspondants, pour réaliser un album. Ils
lisent et écoutent les textes de leurs camarades, les journaux d'autres classes... Ils se
communiquent leurs trouvailles. Ils contactent et invitent des écrivains... ils n'ont
donc nul besoin de récompenses factices ou d'obligation autoritaire pour se livrer à ces
activités. La compétition entre élèves est remplacée par l'émulation du plaisir.
C'est seulement à partir d'un rapport gratifiant au plan
psychologique qu'on rend possible un investissement profond et non pathologique (19) dans
le savoir.
C'est
un choix humain pour former des êtres harmonieusement développés
La
construction de l'individu n'est réellement positive, que si son développement intègre
harmonieusement les dimensions : affective, sensorielle, cognitive et sociale dont
se constitue tout être humain.
Le texte
libre, contrairement à beaucoup d'activités scolaires ne restreint pas son action à la
seule dimension intellectuelle, mais il prend en compte ces quatre dimensions.
Valoriser la traduction écrite des pensées personnelles
chargées d'affectivité d'un enfant, en la dynamisant dans un circuit d'écoute, de
lecture, d'édition va l'aider à se construire positivement, en exaltant ses
potentialités.
Ne pas couper l'école de la vie
En
arrivant à l'école « il faut éviter à tout prix que les enfants se dédoublent
et se dépersonnalisent en en franchissant le seuil, la pensée et l'affectivité de
l'enfant restant à la porte, l'écolier pénétrant dans la classe qui lui impose ses
normes. »
C. FREINET
Tous les
savoirs et expériences des enfants acquis dans leur milieu seront les bases de notre
enseignement. Voici des textes de premier jet :
Alors,
un soir
je ne voulais pas aller me coucher,
je voulais
regarder la télé
Ma maman, elle m'a dit
d'aller me coucher.
Alors j'ai tout fichu
en l'air dans mon lit
comme un sanglier.
Corinne
Maintenant jhabite au « petit café »
je suis content
parce que je peux faire
ce que je veux
Avant,
dans mon bâtiment
je ne pouvais rien faire
parce qu'il y avait
un gendarme au 5e !
Le texte libre opère la liaison fonctionnelle et affective
entre la vie et l'école en accueillant les paroles des enfants quel que soit leur milieu
socio-culturel.
Le
plaisir de communiquer favorise le développement de la personnalité
La relation
humaine constitue le fondement sur lequel reposent le processus de développement de la
personne, la découverte de soi et des autres. Relations humaines et communications
constituent une seule et même réalité à deux faces.
Avoir vécu
ou imaginé quelque événement, quelque situation, quelque émotion...
Avoir pu transcrire, matérialiser, fixer noir sur blanc ces
pensées...
Avoir pu
les communiquer aux autres, voir leur intérêt, leurs réactions (vies, émotions,
critiques... ), répondre à leurs questions...
Avoir vécu
le plaisir d'être entendu, compris, d'avoir apporté quelque chose de personnel aux
autres. Et parfois avoir aussi ressenti l'amertume de l'insuccès (à l'éducateur de bien
veiller à ne pas laisser dépasser la limite du rejet et d'orienter l'auditoire vers des
critiques constructives)...
Être
auteur donc et pas seulement élève apporte un plaisir qui n'est pas de même nature,
quant à son enracinement, que celui né de la réussite uniquement chiffrée par une
appréciation de l'enseignant, à un exercice ou une consigne donnée par celui-ci.
Celui qui
vit dans un univers où ses paroles lui reviennent entendues arrive à la cohérence la
plus forte.
Le texte libre place l'enfant devant ses camarades qui lui
renvoient l'écho de sa parole.
C'est là qu'elle existe concrètement.
C'est là que l'auteur prend conscience de sa particularité.
Le texte libre est un moyen pour l'enfant de construire et de
prendre conscience de sa personnalité.
Outil
prophylactique (20) : le texte libre aide à équilibrer la personnalité.
Le texte
libre est tout à la fois confession, éclosion, explosion et thérapeutique.
C. FREINET
L'imaginaire
chez l'enfant est un des constituants principaux de la personnalité naissante.
Le texte
libre en aidant l'enfant à inscrire toutes les formes de son imaginaire dans des
activités symboliques, lui permet de vaincre ses peurs, ses angoisses, en les analysant
dans des productions socialisées. Ainsi, l'enfant peut maîtriser une situation
douloureuse en la symbolisant dans des textes, parfois répétitifs. Dans le climat de
communication et d'écoute installé dans la classe, l'enfant va pouvoir prendre du recul
par rapport à son vécu et manipuler son récit à des fins « littéraires ».
Cette distanciation, en retour, peut favoriser la résorption d'une angoisse passagère.
Le texte
suivant de Jean-Luc est significatif de cet humour libérateur, rendu possible par
l'espace de liberté offert à ce dernier par le texte libre.
Oh !
Jean-Luc, tu n'es jamais comme les autres, il suffit de dire ceci pour que tu fasses cela.
Tu es un excentrique ! Excentrique ? Cette semaine j'en ai construit des
excentriques. Est-ce que, par hasard, je n'aurais pas une roue dentée entre mes
épaules ? Deux bielles à la place des bras et les jambes en vilebrequin ? Mon
corps serait-il une série d'engrenages ?
Mon cerveau serait-il bourré de pignons, de bielles et de roues
tournant en tous sens ? Ça je ne l'accepterai jamais.
- Vite ! Au secours ! Un miroir !
Ah ! ça va mieux. Mais... si mes yeux me
trahissaient ?
Ne nous énervons pas, je risquerais de fausser une bielle ou de
voiler une roue.
Réfléchissons posément.
Que les
roues et les engrenages tournent au ralenti et ne s'échauffent pas trop !
Prenons
le dictionnaire... Excentrique.. Hum !
Éloigné
du centre... Je suis donc éloigné du centre. Peu importe du moment que ça tourne rond.
LE TEXTE LIBRE OU UN CERTAIN REFLET DE L'ENFANT ET DE SON
MONDE
L'enfant
qui arrive à l'école est porteur de toute l'expérience relationnelle qu'il a acquise
dans son milieu familial. Il est porteur inconsciemment de toutes les frustrations et
angoisses, de tous les désirs et fantasmes qui ont rythmé son existence. Mais ce serait
une erreur de croire que ce passé a irrémédiablement figé ses attitudes et ses
comportements. Les apports éducatifs, les sentiments à l'égard des adultes, les
relations avec les autres enfants, continuent à évoluer. Le milieu scolaire offre à
l'enfant une possibilité nouvelle d'enrichir sa relation humaine. En même temps,
l'école doit poursuivre et développer l'action amorcée chez le jeune enfant avec les
histoires plus ou moins « dramatiques », les récits fantastiques qui lui
permettent d'exprimer, sur le plan de l'imaginaire, ses pulsions libidinales et
agressives.
L'essentiel
est que toutes les activités soient exercées en toute sécurité dans une ambiance
sereine et avec des relations offrant des possibilités de dialogues authentiques. Un
enfant qui serait privé de modes d'expression pour son agressivité risquerait de n'en
pouvoir maîtriser l'énergie ou de perdre toute combativité. Trop souvent, l'école
brime l'élève dans ses besoins d'autonomie et de créativité.
Vivre
implique, outre l'aptitude à nouer des liens avec le monde et avec autrui, une vie
intérieure riche. La vie au sens plein, inclut la création qui trouve sa forme primaire
dans l'aptitude de l'enfant à créer, à réfléchir, à imaginer, à faire naître, à
produire un objet, et son prolongement dans cette aire de l'expérience culturelle où
l'adulte peut, lui aussi, déployer ses capacités de jouer.
WINNICOTT (21)
Le texte libre, en permettant au sujet de s'exprimer dans ce
qu'il a de plus authentique, lui procure en même temps des satisfactions narcissiques et
de meilleures relations avec le milieu. L'individu y puise à la fois l'énergie de sa
propre créativité et son équilibre.
Voici
les textes d'une adolescente de quatorze ans à qui la pratique du texte libre a permis
d'extérioriser sa souffrance après la séparation de ses parents et son placement chez
ses grandsparents :
L'OURSON
Je suis
un ourson. Je m'appelle Miki depuis quatre ans. Je ne suis plus avec papa et maman. Avant,
nous étions tous les trois dans une ménagerie. Un jour, une dame est venue trouver mon
maître et a demandé :
- Je voudrais un ourson pour qu'il me tienne compagnie car je n'ai plus de mari : il
est mort.
Il alla près de ma cage et demanda :
- Celui-ci vous plaît.?
- Oh ! oui. C'est là qu'il fallut que j'embrasse papa et maman. La dame en
m'emmenant me dit : « Tu t'appelleras Miki. »
PETIT PAPA
Joli papa,
Demain tu reviendras
Et tu me laisseras des fleurs
Pour mon nouveau métier.
Je les arrangerai.
Petit papa,
Demain tu reviendras.
JE ME RAPPELLE QUAND PAPA ET MAMAN S'AIMAIENT
Mais maintenant
Ce joli mot n'existe plus...
Ce serait mieux
Si papa et maman
Ne s'étaient pas fâchés.
L'amour c'est plus joli
Que de se fâcher.
PAPA MAMAN...
Papa,
Je sais que vous vous aimiez
Quand vous étiez ensemble.
Je sais très bien
Que tu ne reviendras pas.
Car je sais
Que vous ne vous aimez plus.
C'est dommage, les enfants
Ne peuvent pas dire leurs mots
Quand des choses comme ça arrivent
Vous voyez,
Si vous ne vous étiez pas fâchés,
Eh ! bien, nous vivrions heureux.
IL PLEUT
Il pleut la nuit
Sur mon toit.
Il pleut tous les soirs.
J'entends : floc ! floc !
Comme il n'y a pas de toiture,
Je sens des larmes couler sur mes joues.
Mais ces larmes ne sont pas
Comme les autres.
Elles sont en fleurs.
Elles semblent vouloir me dire
Quelque chose d'important
Mais je ne comprends pas leur langage.
Avant de le
lire, elle déclare à ses camarades : « Je sais, vous allez dire qu'il
ressemble à Verlaine. Pourtant, je n'y ai pas pensé. C'est maintenant que je le
vois. » Et de re tour à sa place, elle écrira :
LA
MORT
Paul
Verlaine,
J'aurais
bien voulu le connaître
Pour
le voir faire ses poèmes.
Savoir
s'il pensait dans la nature
Ou
chez lui, tranquille.
Mais
il est mort. Je ne le verrai pas.
Je n'ai pas
la prétention dg vouloir jouer au psychiatre explique l'enseignante, Jeannette Metay,
mais les faits sont là ; il faut bien les accueillir. Est-ce que cela a été
bénéfique pour elle ? Je crois pouvoir répondre sans hésiter : oui ! Il
n'y a qu'à voir sa différence de comportement de son arrivée à l'I.M.P. à sa sortie.
Cependant, je ne me leurre pas, je sais que cette victoire est fragile, mais il lui
restera le souvenir d'une année heureuse et n'est-ce pas important ?
Et puis...
et puis... c'est grâce aux textes libres* que sa mère s'est aperçue qu'elle avait une
fille capable de faire quelque chose et des liens ont été renoués. Ayant reçu en
cadeau un cahier à spirales, elle met tout son coeur à recopier les textes qu'elle
préfère. Elle l'emporte un jour de sortie : mais on ne veut pas admettre qu'ils
soient d'elle, ils sont trop bien... Nouveau drame... La déception s'estompe. La fête
des Mères arrive. Entre temps, elle a fait un conte. Un jour, elle me dit :
« J'offrirais bien mon conte à maman, mais elle ne voudra pas encore croire qu'il
est de moi. » Alors, j'authentifie l'album comme pour une pièce très officielle.
Le lundi, j'ai un visage radieux devant moi.
«
Vous savez, maman et grand-mère se sont disputées ! Elles voulaient toutes
les deux le lire la première. Maman a dit : il a été offert à moi, je le lirai
d'abord. Elle était rudement contente. »
Là aussi, le souvenir restera, j'espère...
*
Faut-il, après cet exemple, démontrer que les textes libres n'auront pas pour
sujet : en septembre, la chasse ou les vendanges ; en novembre, le vent, etc.,
mais qu'ils suivront les préoccupations des enfants ?
ATTENTION,
NOUS NE PRÉTENDONS PAS JOUER LES PSYCHOTHÉRAPEUTES
Piocher dans des textes libres dans l'espoir un peu naïf et
simpliste d'y trouver une clé, peut entraîner à s'enfermer dans une compréhension
fausse de ce qui est en jeu.
D'abord, ce
que dit un enfant dans un texte ne peut être déraciné de l'ensemble de ses autres
textes et surtout de toute son histoire que nous connaissons rarement de façon
approfondie.
Ensuite, le
texte, l'écrit n'est pas forcément un cri du coeur. Ce n'est pas forcément le lieu ou
le moyen choisi par l'enfant pour tenter de recoudre une déchirure. Cette tendance à
« l'interprétation sauvage » peut devenir une caricature dangereuse car elle
part d'un postulat erroné selon lequel l'enfant serait incapable de duplicité
littéraire et, qu'écrivant, il se décrirait toujours. Enfin, nous n'avons, le plus
souvent, ni la formation, ni les outils pour le faire (22).
Le texte libre ne révèle pas, à proprement parler, «
l'affectivité » de son auteur (sauf cas exceptionnels et la plupart du temps
pathologiques, compulsionnels) mais permet à l'enfant de penser les affectivités,
c'est-à-dire de construire différents types de rapports entre les personnages de ses
textes.
Nous
souhaitons que tous nos élèves aient acquis à la fin de leur scolarité une stratégie
d'écriture personnalisée, c'est-à-dire soient capables d'exprimer par écrit des
pensées personnelles en autonomie et pas seulement des écrits commandés ou
suggérés ; une maîtrise de la langue écrite courante, c'est-à-dire l'accès au
fonctionnement des différents types de discours (récits, écrits poétiques, dialogues
théâtraux...), à la maîtrise syntaxique, sémantique et orthographique le plaisir
d'écrire pour communiquer, s'exprimer ou créer le plaisir de lire d'autres productions
d'écrits (romans, poésies, lettres...). Pour cela, nous n'avons jamais cru que la
spontanéité pouvait tout et qu'il suffisait de laisser un enfant libre pour qu'il
écrive une oeuvre littéraire. Mais nous pensons que c'est en partant des productions des
enfants que les éducateurs ont accès aux rapports réels d'un enfant avec la langue
écrite, à la connaissance effective des aspirations et des intérêts de l'enfant. C'est
de là que pourront s'établir les meilleures motivations, les meilleurs moyens de
construction d'une culture authentique, que se dessineront les meilleures trajectoires.
C'est
sur ses productions personnelles que l'enfant travaillera, aidé du maître et stimulé
par les interventions du groupe ainsi que par le circuit d'échanges mis en place dans la
classe. Il structurera et développera ses connaissances cognitives et affectives,
construisant sa personnalité au sein d'une collectivité organisée coopérativement.
Une pratique motivante de l'écriture
Lire et
écrire ne sont pas des objectifs innés de l'enfant, c'est la culture dans laquelle il
grandira qui lui apprendra s'il en a « besoin » ou non.
Le sens de
ces activités ne peut donc apparaître que si elles se matérialisent en classe dans des
productions concrètes et socialisées, surtout pour les enfants des familles populaires
où l'usage social de l'écriture est restreint et souvent limité à un emploi
administratif.
L'écriture
n'est recherchée et cultivée que si elle est employée pour une fin propre
évidente ; sinon elle est comme ces bicyclettes d'exercices, montées sur bâtis et
dont les roues tournent à vide...
Si l'outil s'avère superflu, pourquoi s'en servir ?
C.
FREINET
L'enfant va
s'emparer de l'écrit, grâce aux circuits d'échanges et de socialisation institués en
classe et entre écoles, poussé par le désir et le plaisir d'être entendu, compris et
encouragé par le groupe dont il fait partie. Ainsi le désir du sujet, par la médiation
de techniques appropriées (qui introduisent dans la classe un certain type d'organisation
et de règles de vie) va s'investir dans une production.
La pédagogie Freinet est révolutionnaire parce qu'elle ouvre
le champ de l'écriture au désir de chaque enfant au sein d'un collectif
institutionnalisé.
Des
classes où l'on écrit beaucoup.
Le climat
de communication et les structures coopératives de la classe vont entraîner la
production d'une très grande quantité d'écrits divers pour chaque enfant : récits,
courriers, comptes rendus...
Un enfant
qui sent un but à son travail et qui peut se donner tout entier à une activité non plus
seulement scolaire mais sociale et humaine fournit librement un travail bien supérieur,
qualitativement et quantitativement à celui qu'exige une méthode autoritaire.
La
compétence d'écrire va croître et se diversifier avec la quantité de textes produits
et réciproquement. En effet, comme dans tous les domaines d'apprentissage le facteur
quantitatif (toute chose égale par ailleurs, c'est-à-dire ici la qualité du feed-back
du maître (23) est primordial pour permettre le fonctionnement du « tâtonnement
expérimental » et la constitution d'une stratégie d'écriture personnalisée
efficace.
L'apprentissage de la langue ne peut
être qu'une pratique de la langue en situation réelle de communication.
La
compétence pratique est acquise en situation dans la pratique : ce qui est acquis
c'est inséparablement la maîtrise pratique du langage et la maîtrise des situations qui
permettent de produire le discours adéquat dans une situation déterminée.
BOURDIEU (24)
Parmi
les multiples situations d'écriture qui naissent du fonctionnement quotidien d'une classe
Freinet, le texte libre trouve sa place parmi d'autres conduites d'écriture où l'écrit
est toujours sollicité pour des activités et des travaux précis et signifiants.
Un enfant
engagé successivement dans la correspondance scolaire, une conférence, un questionnaire
d'enquête, une prise de note (secrétaire de la réunion de coopérative...), un texte
libre (poésie, conte, vie quotidienne...) différenciera progressivement les règles
textuelles propres à chaque situation.
Dans nos
classes, les formes linguistiques sont maîtrisées en fonction de ces situations
d'écriture et non par des exercices de manipulations décontextualisées qui sont souvent
en décalage complet par rapport au vécu des enfants.
Les techniques Freinet engendrent des comportements qui
permettent une appropriation efficace, parce que motivée et en situation authentique, des
savoirs instrumentaux (lire, écrire ...).
La
langue est un système qui se construit par tâtonnement
Le texte
libre permet à l'enfant d'être l'acteur de l'apprentissage de sa langue par
tâtonnements répétés sous un réseau d'influences diverses.
LES ENFANTS SONT CAPABLES D'EXPRESSION
Savoir s'il
faudrait d'abord donner aux enfants la compétence de s'exprimer avant d'accueillir leur
expression, c'est comme se demander s'il ne faudrait pas enseigner le langage aux bébés
avant de les laisser ouvrir la bouche.
L'expression
des enfants n'est pas la création d'une pensée enfantine handicapée ou vide mais la
manifestation d'une pensée autonome en auto-socio-construction. Grâce à l'intervention
d'un adulte médiateur, un même rapport dialectique lie la parole d'un enfant à la
maîtrise de son expression écrite, et l'émission des premiers signifiants sonores
porteurs de sens pour un bébé à la maîtrise de son parler.
LA TRADUCTION ÉCRITE (25) DE LA PAROLE CHEZ UN ENFANT MET EN ROUTE
LE PROCESSUS D'APPROPRIATION DE LA LANGUE ÉCRITE.
Cette
appropriation progressive commence dès qu'un adulte compétent donne à un enfant, qui
n'a pas encore connaissance du matériel graphique, la possibilité de produire des textes
signifiants personnels, en écrivant sous sa dictée.
Dès
l'école maternelle, nous posons l'hypothèse que chaque enfant construit et développe sa
langue écrite :
- en interaction avec les écrits variés qui lui sont lus (intuition de la spécificité
de l'écrit qui naît ainsi ...) ;
- grâce à l'aide interactive qu'un « écrivain compétent » (en principe
l'instituteur) lui propose individuellement sur chacune de ses productions ;
- grâce aux réseaux d'échanges « nutritifs » qui s'installent dans nos
classes et entre nos classes par l'intermédiaire de techniques aussi variées que
possible (de la simple lecture à l'enregistrement sonore, de la lettre manuscrite à la
communication par minitel, de l'imprimerie à l'imprimante d'ordinateur).
C'EST PAR
LE « TÂTONNEMENT EXPÉRIMENTAL » que va s'opérer l'appropriation de cet
énorme patrimoine culturel qu'est la langue écrite.
Il ne
suffit pas qu'un enfant participe activement à l'élaboration de nouvelles connaissances
et même qu'il ait l'occasion de les mettre à l'épreuve.
Encore
faut-il qu'il se heurte lui-même réellement aux obstacles qui vont précisément
permettre des prises de conscience, des perfectionnements. Ainsi, les expériences de
communications défectueuses vont aider à la lente prise de conscience des exigences de
la communication. Une véritable démarche d'appropriation culturelle implique une
démarche de tâtonnements avec des erreurs suivies de rectifications.
Or, pendant
des décennies, la pédagogie officielle du français s'est ingéniée à supprimer les
obstacles en offrant à l'enfant des produits « prédigérés » pour lui faire
franchir des étapes que l'on pensait rationnelles.
Les
concepts seront d'autant plus efficaces qu'ils auront été acquis dans une activité
réelle, c'est-à-dire une activité où l'individu est engagé tout entier parce qu'il
veut résoudre un problème dans lequel il se sent impliqué.
CE TÂTONNEMENT S'ENRICHIT DE LA SOCIALISATION
La mise en
commun, à propos de difficultés rencontrées ou de trouvailles intéressantes, contribue
à une accélération des prises de conscience et aide à faire comprendre aux enfants
qu'ils peuvent organiser leurs tâtonnements.
Freinet a réintroduit l'erreur comme forme vivante,
authentique, nécessaire à l'appropriation dialectique des savoirs.
« Méthode naturelle » :
Lier l'apprentissage de l'écrire-lire-penser
La part des
méthodes naturelles dans la pédagogie Freinet ne procède pas du mythe d'une nature
idéalisée, mais d'une constatation réaliste : pourquoi s'exténuer à conduire
mal, d'une manière artificielle et inadéquate les apprentissages qu'une démarche, qui
place les enfants dans une situation productrice, réalise sans heurts pourvu qu'on la
favorise ? Le terme « méthode naturelle » illustre le respect, par
Freinet, des stades de développement et des rythmes personnels de chaque enfant.
La
« méthode naturelle » de lecture-écriture n'est pas une méthode élaborée
et graduée préalablement de l'extérieur par des adultes. A l'image de l'acquisition du
langage par les bébés c'est un processus par lequel les enfants accèdent
progressivement mais toujours activement à la maîtrise de l'expression écrite. Ils sont
mis en situation de lecture et d'écriture grâce à des techniques fonctionnelles
(correspondance-journal), en s'appuyant sur le sens qu'ils essaient de construire ou de
reconstruire, avec l'aide adaptée d'un adulte.
En méthode naturelle, le processus de réflexion et de
compréhension est sollicité dès le départ. Il ne suffit pas d'être dressé à
reconnaître des signes, il s'agit de mettre en relation des représentations mentales,
déjà structurées par le langage oral, avec un système graphique.
On
apprend mieux à lire sur des textes prédictibles (26).
Partant de la production d'un message, d'une histoire dite ou
écrite par les enfants (individuellement ou collectivement) les matériaux linguistiques
sur lesquels les premiers apprentissages vont s'exercer sont très
« prédictibles » : le contenu et la logique des récits, familiers des
enfants, favorisent, en effet, les hypothèses et les prises d'indices.
Dans ce
va-et-vient entre l'écrire et le lire où chaque élève est concerné, reconnu et
interpellé alternativement, par la prise en charge de sa propre parole et la
participation à une oeuvre commune (génératrice de plaisir), la méthode naturelle
réduit les risques d'un enseignement proposé prématurément. Elle évite que les
enfants s'installent dans un régime de désintérêt et d'abandon (27) qui engendre
ennui, fatigue, perturbation, angoisse et marginalisation.
Chaque
enfant est sans cesse sollicité, à son niveau, par des activités signifiantes qui
doivent déclencher son investissement, donc son attention, et mobiliser ses stratégies
d'apprentissage.
Insensiblement, il va se livrer à un travail de recherche dont le
matériau de départ est sa propre parole qu'il veut communiquer, et à une réflexion sur
le fonctionnement de l'écrit à partir de sa propre expérience. Ainsi, s'installe en
chaque enfant un chemin personnel d'apprentissage.
En outre,
la multiplication des occasions de rencontrer les mots les plus fréquents dans des
contextes sûrs, lui permet de se constituer un corpus de référence qu'il reconnaîtra
ensuite dans des contextes plus distants.
On sait, en
effet, que l'échec en lecture n'est pas seulement dû à une lecture trop lente ou à
l'habitude « d'oraliser », mais découle souvent d'un écart trop grand entre
les sujets du texte ou la langue employée et les connaissances et intérêts des lecteurs
(28).
Un enfant ne peut forger ses hypothèses s'il y a un fossé
entre les productions qu'on lui propose et ses capacités langagières, ses références
culturelles.
QUESTIONS DE RYTHMES ET DE TEMPS
Les manuels
d'apprentissage de la langue organisent selon des plans abstraits, minutieusement
découpés en étapes, une progression des apprentissages. Tous les élèves doivent
progresser d'un même pas comme le prévoit le manuel. (29) Comme toutes ces progressions
sont par ailleurs conçues de telle sorte que chaque nouvelle étape suppose solidement
acquis ce qui précède, les enfants qui ne peuvent suivre le rythme prévu d'assimilation
sont condamnés à perdre une année, voués au statut de mauvais élève, avant de
redoubler et de recommencer éventuellement l'année suivante avec le même manuel.
Les
matériaux sur lesquels s'exerce l'apprentissage, ne doivent jamais être en porte à faux
avec le réel de l'enfant et de son fonctionnement langagier. (30)
ENRICHIR ET PROVOQUER L'IMAGINAIRE
Si Freinet
a donné à l'imprimerie à l'école un rôle de premier plan, il n'a jamais été
question pour lui de détruire les livres. Au contraire, il s'est préoccupé très tôt
de l'organisation des bibliothèques scolaires.
Il
nous suffit d'ajouter à notre imprimerie une bibliothèque adaptée où les élèves
butineront.
La lecture
vient provoquer, enrichir, compléter ou relancer, les productions écrites des enfants ou
des adolescents en diversifiant leur potentiel inventif, en leur offrant de nouvelles
trames narratives, riches d'appel à la création, de nouvelles hypothèses imaginatives
qui subvertissent les stéréotypes. La lecture est créative dans la mesure où elle
est provocation à l'écriture. G. JEAN (31)
LIRE POUR MIEUX ÉCRIRE. ÉCRIRE POUR LIRE MIEUX.
La
fréquentation des « auteurs » ne vient pas se plaquer artificiellement ;
elle s'insère en liaison avec l'expression libre dans un dialogue où les enfants
apprennent à investir des textes, à jouer avec eux, à les intégrer à leur propre
recherche.
Le goût et le plaisir de lire des textes littéraires sont renforcés par une pratique réelle de productions de textes. Le fait de s'être trouvé confrontés à des problèmes de fabrication conduit les enfants et les adolescents à une stratégie de lecture plus minutieuse. Ils apprécient alors davantage les trouvailles ou les procédés utilisés par l'auteur.
La pédagogie Freinet associe étroitement lecture et écriture
dans la construction d'une culture vivante :
C'est en lisant qu'on écrit mieux. C'est en écrivant qu'on
lit mieux.
Conclusion :
Vers une pédagogie populaire, une reconversion du rôle et du statut de l'enseignant
C'est
parfois l'un des choix précédemment développés et, souvent, leur simultanéité qui
ont conduit des instituteurs à reconsidérer leur pratique et à rejoindre le Mouvement
créé par C. Freinet. Ce Mouvement, l'Institut coopératif de l'École moderne leur offre
à la fois : les techniques capables de modifier l'organisation et le contenu du travail
scolaire, et un réseau d'aide, de coformation et de recherche au sein de chaque groupe
départemental ou chantier national.
Démocratiser
son enseignement, pour un éducateur, ne consiste pas, comme on l'a cru très longtemps,
à simplifier et à réduire les savoirs qu'il transmet mais à chercher à donner à tous
les moyens de se les approprier.
Cela
nécessite, de la part d'un éducateur, non à reproduire des leçons modèles mais à se
construire une stratégie souple et adaptée aux démarches cognitives, aux comportements
et vécus culturels et sociaux des enfants qui lui sont confiés.
Cette
reconversion mentale de l'éducateur, vis-à-vis de lui-même, de son rapport au savoir et
vis-à-vis des enfants peut être facilitée et approfondie par la pratique du texte libre
et des outils qui l'accompagnent. Cette pratique lui permet, en effet, d'avoir accès à
une connaissance plus profonde de l'enfant, de ses centres d'intérêt et de ses
expériences sociales et affectives. D'autre part, l'écriture « libre » d'un
texte est le seul test valable pour le maître et pour l'élève pour savoir où ce
dernier en est dans la maîtrise de la langue écrite.
Le texte libre est donc un des plus efficaces indicateurs à
l'usage de l'enseignant pour bâtir une stratégie d'intervention adaptée à chaque
enfant et personnalisée. Par cette pratique l'adulte peut se forger un
« regard » positif et évolutif sur ses élèves dans un climat de confiance,
de plaisir et de travail.