Choisir la pédagogie
Freinet
Daniel
Gostain
Des motivations multiples, un
engagement qui évolue.
Il arrive souvent qu’on
nous pose cette question : « Qu’est-ce qui t’a fait choisir
la pédagogie Freinet ? » et qu’on attende alors pour
réponse un point de déclic identifiable, une rencontre
révélatrice, une décision claire, une porte qui s’ouvre à
un temps T. Comme s’il y avait un « avant » et
un « après ».
Il en est de
même lorsqu’on nous demande d’expliquer ce qu’est
la pédagogie Freinet. Nous
listons alors souvent le triptyque
expression/tâtonnement expérimental/coopération ou nous
parlons de la Méthode naturelle, mais réussit-on à définir
ainsi l’esprit de cette pédagogie-là ?
Si ce numéro1 du
Nouvel
éducateur s’attache à cette question du
choix et de l’engagement, c’est bien sûr parce qu’ils ne
vont pas de soi. [Ces choix] naissent-ils d’une
résonance issue
de notre enfance et notre éducation personnelle ?
Sont-ils une
réaction à ce qu’éveille en nous la société actuelle dans
son fonctionnement et surtout ses dysfonctionnements ?
Viennent-ils d’un choix philosophique,
politique, intime
qui fait qu’on ne pourrait choisir une autre
pédagogie ?
En ce qui me concerne, il
y a eu tout à la fois : un stage Freinet dans le Sud-Ouest
qui m’a ouvert des portes, des fenêtres, plein de désirs ;
l’envie, forcément très inconsciente, de ne pas faire de
mes futurs élèves de bons sujets sages, obéissants, comme
je l’ai été ; la découverte des mille possibilités en germe
dans cette pédagogie, sans risque de lassitude, de
dogmatisme, de solution. Et bien sûr, ce qui m’est cher :
la légèreté, la fantaisie, l’humain.
Il y a dans cet
engagement-là un « tout » qui ne ressemble à « rien », un
« tout » fait de tangible et d’indicible, de venu de
l’enfance et de venu du monde, de politique et de
pédagogique, et ce tout complexe qui s’éveille en nous, on
va essayer de le développer, de l’affiner, de le polir pour
le rendre au centuple dans nos classes.
Alors, ce qui se déroulera
en classe, ce sera quelque chose qui ne se mesurera pas,
qui ne se déclarera pas, qui ne se verra pas totalement, ce
sera une atmosphère qui permet, une ambiance faite de voies
d’accès à la création, à l’expression, à de vrais projets
et à la coopération. Et comme il n’y aura pas de recettes,
d’idées simples, de modes d’emploi, on fera vivre la
pédagogie Freinet en groupes d’adultes.
Notre engagement, nourri
par ce qui nait dans la classe et par les échanges entre
nous qui essayons, ne cessera d’évoluer, d’être questionné,
de s’enrichir, et même si on trouvera chez chacun des
praticiens Freinet autant de raisons différentes d’avoir
choisi cette pédagogie, une communauté de pensée
existera.
Je conclurai avec Jacques
Lévine, dont l’engagement au service des enfants et d’un
apprendre autrement ne s’est jamais démenti jusqu’à sa
mort, dans ces mots qui résonnent profondément en moi :
« Apprendre, c’est
partir à la conquête des secrets de la vie »
Notre engagement, ne
serait-il pas en effet d’aider l’autre à conquérir sa
vie ?
Ce texte
est paru dans Le Nouvel
Éducateur 206
de février 2012.