Entrer en pédagogie Freinet
Catherine Chabrun
Un engagement pédagogique et politique1.
Suis-je au service du pro-gramme et de ses évaluations ou suis-je là pour accompagner, aider, accueillir chaque enfant pour qu’il puisse grandir, se construire en vue de devenir un homme ou une femme libre, responsable, et en capacité de comprendre le monde et d’agir sur lui pour le transformer et l’améliorer ?1
L’engagement pédagogique…
Après cette première prise de conscience, l’enseignant peut décider de faire autrement, de choisir une pédagogie prenant en compte chaque enfant, ayant pour chacun et tous la même ambition. Une pédagogie de l’hétérogénéité et de la diversité qui, au lieu de gommer les différences, s’appuie sur elles. Une pédagogie attentive qui met en valeur ce qu’il y a de singulier dans chaque enfant, et qui grâce au jeu des interactions entre eux permet à chacun de révéler ses propres compétences sans les hiérarchiser.
Personnellement, j’ai choisi la pédagogie Freinet, car elle favorise et se nourrit de cette hétérogénéité, de cette diversité en donnant une large place à tout ce qui tourne autour de la coopération, de l’expression libre, du tâtonnement expérimental. Ainsi, la confrontation des points de vue, indispensable pour la construction des savoirs, se fera en favorisant l’expression de toutes les idées, au lieu de les rejeter.
Dès le début du XXe siècle, les pédagogues de l’Éducation nouvelle constataient que le système éducatif ne fonctionnait pas. En ce début de XXIe siècle, il ne fonctionne toujours pas : efficace pour les bons élèves bien adaptés à lui, très moyen pour la grande majorité et complètement inefficace pour 20 % d’entre eux.
Les réformes successives ont intégré quelques-uns des principes portés par les courants pédago-giques de l’Éducation nouvelle dans les programmes, dans les lois d’orientation… Dans telle classe, on voit les enfants travailler sur des projets, on tient compte de leurs intérêts. Il y a des enfants en activité, des enfants en débat, des enfants qui travaillent en groupes, sortent pour réaliser des enquêtes, utilisent des fichiers de travail individuel, sont confrontés à des situations, problèmes, etc. Mais le plus souvent, ces principes seront réduits à des techniques isolées hors d’un système et d’une cohérence pédagogique globale.
Et l’engagement politique
Choisir la pédagogie Freinet, c’est aussi avoir dans son projet d’enseignant, d’éducateur, l’adulte que deviendra l’enfant. C’est pourquoi la pédagogie Freinet représente une alternative d’éducation, car elle propose d’autres finalités :
– une éducation qui conduit l’enfant vers l’homme ou vers la femme, citoyen ou citoyenne capable de prendre sa place dans la société et d’agir à son tour sur elle pour la transformer ;
– une éducation qui établit d’autres modes de relation, et qui se laisse le temps de les construire, entre les personnes, entre les connaissances et les cultures, en offrant des situations de coopération, d’entraide, de partage, d’apprentissage par et avec l’autre ;
– une éducation qui prépare des individus désireux d’appréhender le monde dans sa complexité et conscients d’appartenir à l’humanité en donnant à chacun les capacités de lire, de comprendre, de créer… et d’articuler ses désirs personnels avec les besoins du collectif ;
– une éducation qui vise le développement des capacités à agir sur le monde, avec des individus libres, responsables, dignes, fraternels, solidaires, coopératifs. Ceci dès les premières années d’école, car ce premier monde, pour les enfants, n’est-il pas celui de la classe et de l’école où ils peuvent expérimenter des pratiques différentes ?
Quelle ambition ! Une éducation qui permet à tous les enfants d’être et de devenir des citoyens. Être citoyen à l’école pour devenir citoyen du monde, quel vaste projet ! C’est en pariant sur la liberté, l’autonomie, la responsabilité, la capacité de jugement de l’enfant qu’on va lui permettre de devenir cet individu libre, autonome, responsable et capable de vivre avec les autres dans une société démocratique.
L’enfant est une personne à part entière, c’est ce que pose en principe liminaire la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce qui permet de lui reconnaitre non seulement des droits civils, sociaux ou culturels, mais aussi des libertés publiques, véritables « droits fondamentaux inaliénables ».
Un processus éducatif complexe permet ce passage de la personne au citoyen et c’est ce que les éducateurs et enseignants Freinet appellent l’éducation à la citoyenneté. Les enfants prennent vraiment en main l’organisation de l’activité, du travail et de la vie dans leur école. Ce qui permet à chacun de construire ses apprentissages tout en développant le sens de l’autonomie, de la responsabilité et de la coopération avec les autres.
Une question de temps ?
La personnalisation des apprentissages est au cœur de ce pro-cessus, l’enfant peut déterminer un projet de travail correspondant à la fois à ses besoins et à ses capacités. Et c’est en respectant les temps personnels de l’enfant que c’est possible. Bien sûr, le système éducatif détermine les horaires et les programmes, mais l’enseignant dans sa classe et dans son école peut organiser le temps diffé-remment.
Utiliser les cycles prévus par la loi : l’enfant peut avancer dans ses apprentissages à son rythme et, à la fin du cycle, il peut profiter d’une année supplémentaire si besoin. C’est pourquoi les enseignants Freinet préfèrent les classes de cycle ou au moins à double niveau. Lorsque c’est possible, ces enseignants fondent une véritable équipe et c’est alors toute l’école qui prend en compte le temps de l’enfant et offre un continuum tant pour les apprentissages que pour vivre ensemble.
Et au lieu de découper le temps selon les disciplines scolaires, on peut penser l’apprentissage en différents temps :
– les temps de réception : l’écoute, la lecture, les apprentissages, le cinéma, le théâtre ;
– les temps de tâtonnement où l’on cherche et recherche, où l’on s’efforce de trouver seul ou en coopérant avec les autres ;
– les temps de dialogue, de relation à l’autre : les moments de parole, de débats, d’échanges et de partages, de projets, de communication, le « vivre ensemble » ;
– les temps de décision : conseil, instances représentatives ;
– les temps d’expression : plastique, musicale, poétique, corporelle, théâtrale ;
– les temps de création : plastique, musicale, poétique, littéraire, corporelle.
Ces différents temps peuvent s’étendre, se compléter tant à l’école que hors de l’école. Ils peuvent se tisser et vivre ensemble selon les différentes situations et projets.
L’enfant va ainsi développer sa personnalité et devenir, par des choix successifs, l’acteur principal de son éducation. Dans ce processus, la coopération et l’entraide sont indispensables. Si apprendre est un acte individuel, il se place dans une communauté d’apprenants qui coopèrent. Un savoir, quel qu’il soit, ne vaut que s’il est partagé.
catherine.chabrun@wanadoo.fr

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1Extrait du livre Entrer en pédagogie Freinet de Catherine Chabrun, Éditions Libertalia, 2015.