Évaluer par
l’accompagnement
Évelyne
Marceau
La transformation progressive
d’une pratique.
J’enseigne depuis
vingt-sept ans à l’école élémentaire et je me suis toujours
posé des questions au sujet de l’évaluation.
Comment évaluer ? Pourquoi ? Pour qui ?
Les élèves participent à
leur évaluation en choisissant les exercices qu’ils veulent
faire car ils ont acquis la compétence travaillée, d’autres
veulent savoir où ils en sont, d’autres acceptent leurs
erreurs, ce qui pour moi est un
excellent moyen de progresser. À la fin des séances en
autocorrection, je leur demande comment cela s’est passé.
Et j’ajuste pour les fiches suivantes.
Mon fonctionnement
initial
Je travaillais en mode
« Freinet » sans le dire ouvertement avec un conseil de
coopérative, de la correspondance, des projets divers et
variés. Les élèves participaient à leurs apprentissages.
Grâce à la pédagogie Freinet, ils faisaient des liens entre
ce qu’ils apprennent et ce qu’ils font en classe ou à
l’extérieur.
Mais j’évaluais comme le
faisaient mes propres enseignants, de manière
traditionnelle, avant chaque vacance pendant une semaine.
Les élèves devaient réviser des notions bien précises que
nous avions travaillées précédemment. Cela leur demandait
beaucoup de travail et développait du stress et des
angoisses. En travaillant de cette manière, je me
rassurais. J’évaluais puis je passais à une nouvelle notion
sans m’attarder. Je ne cherchais pas à faire progresser les
enfants.
Une évolution
perpétuelle
J’ai commencé à faire des
évaluations en contrôle continu, ce qui enlevait du stress
aux enfants. C’était devenu comme un rituel. Je préparais
des fiches en incluant les compétences. Les élèves savaient
exactement sur quels points ils allaient être évalués : sur
la leçon précédente et sur des exercices d’application. Les
parents signaient en retour. Je suis restée longtemps sur
ce type d’évaluation.
Puis j’ai eu une élève
« dys » et j’ai adapté mon travail pour qu’elle puisse
suivre le plus possible et qu’elle ne se sente pas en
décalage avec ses camarades de classe. J’ai commencé à
évaluer son oral, ses dictées à l’adulte. J’adaptais les
évaluations écrites afin qu’elle ait un minimum à
écrire.
Mais ces évaluations
étaient malgré tout encore très traditionnelles. Elles
étaient en lien avec les progressions, je leur proposais
des exercices d’application retravaillés mais identiques
n’ayant aucun lien avec nos projets. Ces évaluations
étaient « décrochées ». Elles ne portaient que sur les
connaissances vues précédemment.
J’ai suivi une formation
sur l’évaluation et son historique. Cela m’a ouvert les
yeux. Il fallait que j’arrête ces évaluations
traditionnelles. Cela ne correspondait pas aux réelles
compétences des élèves. Ils apprenaient leurs leçons,
faisaient des exercices d’application mais étaient
incapables de réinvestir leurs connaissances.
Je fais partie du groupe
départemental 75 depuis le déconfinement. Et ma pratique de
classe a encore évolué.
Ma pratique
actuelle
Maintenant, j’évalue tout
le temps. Ce n’est plus une pratique figée, mais bien
l’observation de la dynamique de chaque enfant.
C’est-à-dire que je suis attentive aux productions des
élèves à l’oral, sur l’ardoise, dans le cahier de
recherches, dans tous les cahiers, les supports possibles.
J’évalue lorsqu’ils travaillent sur les projets de la
classe, sur leurs projets. J’évalue des compétences
transversales.
J’utilise les conseils
pour « évaluer » leur production d’écrits. Les phrases
produites sont courtes, mais je peux observer et noter les
progrès dans la construction de la phrase, dans les accords
grammaticaux. Je vois des élèves qui habituellement
n’écrivent pas ou peu, mais qui font l’effort d’écrire leur
message pour le conseil. J’ai des élèves qui écrivent
lorsqu’ils sont « secrétaires ». Je lis tous leurs mots,
j’observe leurs graphies, leurs orthographes lexicale et
grammaticale. Ils écrivent sans pression, pour participer à
la vie de la classe et non pour être évalués. Les enfants
en difficulté arrivent à écrire d’autres textes dans le
cahier de projet ou d’écrivain lorsqu’ils prennent
confiance en eux. Ils savent aussi que le secrétaire va
lire leurs mots donc qu’il faut que ce soit lisible
graphiquement. Lorsqu’ils sont « secrétaires », ils sont
évalués sur leurs capacités à écrire. Ils écrivent ce qui
est voté pendant les conseils. Les productions d’écrit
progressent au fur et à mesure. Les prises de notes avec
des mots deviennent des phrases construites. Ces textes
sont d’ailleurs relus au début du conseil de la semaine
suivante.
Le seul support
d’évaluation traditionnelle que j’ai gardé, ce sont les
dictées. Mais j’observe les réussites, leurs capacités à se
corriger en suivant un code de relecture, lorsqu’ils
viennent au tableau pour écrire leurs textes, lorsqu’ils
explicitent leurs choix d’écriture.
En histoire, en
géographie, en sciences, je leur demande soit par écrit,
soit oralement ce qu’ils ont appris pendant la séance. Je
remarque qu’ils prennent la parole clairement, qu’ils font
un plan, qu’ils répondent à une question problématique,
qu’ils analysent mieux un schéma ou un document, qu’ils
savent classer des arguments ou des connaissances, etc.
Certains élèves comprennent rapidement le
fonctionnement.
Je pars aussi de leurs
connaissances et j’en mesure l’évolution. Je les évalue
aussi lorsqu’ils préparent un exposé, un « je fais
partager1 » et le
présentent.
Pour moi, la pédagogie
Freinet me permet d’observer les progrès des élèves de
manière souple et sans stress pour personne, de leur faire
prendre conscience de ces progrès et de leur donner envie
de progresser encore. Ils apprennent sans savoir qu’ils
apprennent, comme nous a dit un élève lors d’une discussion
collective.
Cette pédagogie permet aux
élèves de montrer des capacités qui seraient invisibles
autrement. Je dirais même maintenant que je n’évalue pas,
j’accompagne les élèves pendant une année. Mon ancien
fonctionnement ne faisait qu’évaluer les résultats
« scolaires » des enfants, ils ne montraient pas tous les
progrès qu’ils faisaient. Je leur dis dès le début de
l’année que je les évalue tout le temps. Ils ne comprennent
pas tout de suite, mais au fur et à mesure j’explicite le
fait que je les évalue. Pour moi, cet accompagnement
apporte aux enfants une liberté d’être « élève », davantage
de confiance en eux. Ils prennent conscience de toutes
leurs capacités. Ils ne travaillent plus pour une bonne
note. Le plaisir de venir à l’école et d’apprendre est bien
présent.
Un élève m’a dit cette
année : « J’adore cette méthode Freinet, car on apprend
sans s’en rendre compte. On apprend sans savoir qu’on
apprend. Et ça nous fait réfléchir. »
Pour le
« je fais partager », les élèves s’inscrivent sur un
tableau à l’avance, puis ils partagent avec la classe une
lecture, un objet, une passion.