Correspondre… mais à quoi
donc ?
Groupe
départemental 85
Réflexions à partir des pratiques
de correspondance scolaire du Groupe départemental.
Envisager une
correspondance de classe est une belle envie, mais dans
quel but ? Selon quelles modalités ? Avec quel
investissement ? Et surtout avec quelle représentation de
l’autre ? Bref, quels en-Je ?
Si je m’intéresse à
toi, tu t’intéresseras à moi ?
Correspondre, cela crée
forcément des attentes : « Je t’adresse un message… Tu me
répondras ? » Si je m’adresse à une personne alors que je
n’y suis pas obligé·e, c’est que je m’intéresse à cette
personne. Cela construit des représentations de
cet·te autre.
Quelles questions
sont suscitées ? Quelles craintes ? Quels espoirs ? Dans la
classe de l’une d’entre nous, un élève a dit :
« Maitresse, eux aussi, ils font des conseils et des
marchés de connaissances ! » Finalement, on n’est pas
si différents, différentes !
Mais quelle correspondance
a sa place à l’école ? Question importante à l’heure
actuelle où les jeunes ont beaucoup de mal à différencier
vie privée et vie publique dans leur investissement des
réseaux sociaux. L’une d’entre nous, dont les élèves
avaient adressé des cartes de vœux à des inconnus et des
inconnues (accompagnées d’un mot de sa part présentant
l’exercice), a choisi de ne pas donner suite lorsque
les personnes renvoyaient un mot
proposant un échange plus suivi. Cela permet aussi aux
élèves de comprendre que l’on peut poser un cadre à un
échange.
« Je suis
obligé·e ? »
Il s’agirait donc de
susciter le désir d’une correspondance « vraie » – tout en
étant artificielle puisqu’elle est initiée par la
pédagogue. Toujours avancer sur le fil d’équilibriste entre
« imposer un exercice » et susciter le désir chez l’élève
de s’approprier cette activité pour qu’elle devienne source
de connaissance, d’envies, d’apprentissage vivant, peu à
peu remodelée par l’élève lui-même, force de proposition.
Et parfois, la correspondance de classe développe une
ramification privée (grâce aux réseaux sociaux par
exemple), en particulier dans les classes du Secondaire ou
du Supérieur.
À l’élève qui dira : « Je
n’ai pas envie ! », que proposer ? Cela dépendra du cadre
que les enseignantes des deux groupes ont posé et de
l’évolution de ce cadre mis en place avec les élèves,
évidemment.
La (belle) part de
l’adulte
En effet, l’élève est
libre de ne pas écrire. Néanmoins, écrire est aussi une
exploration de sa liberté. Liberté d’expression… Libération
de pensées intérieures… On peut dire : « D’accord, tu es
libre de ne pas écrire. Mais aussi : Tu es libre d’écrire,
de n’écrire… qu’un seul mot, mais en très grand, en
couleur, sur une page d’une autre couleur, découpée à la
main et parfumée en y collant une fleur séchée. Qu’est-ce
que la liberté quand on n’en a pas fait l’expérience ? Tu
es libre de transgresser les règles ! »
Si l’élève ou la classe
reçoit un texte qui à priori ne l’attire pas – très long,
par exemple –, il peut ne pas avoir envie de le lire. Comment
l’amener à le découvrir ? À « faire un retour » à son
auteur ou son autrice, qui s’est beaucoup
investi·e ? Parfois aussi, c’est le jugement
dépréciatif que l’élève peut porter sur son propre texte
qui l’empêche de répondre : « il écrit trop bien, il va se
moquer de moi ! »
L’implication de l’adulte
est très importante afin que les envies, les déceptions
soient prises en compte. Il s’agit d’une véritable
expérience des relations humaines, un laboratoire des
émotions. Apprendre à les considérer, les repérer, les
analyser si possible sera une expérience
enrichissante.
Il nous a semblé
primordial que les adultes responsables des groupes
d’élèves qui vont vivre cette correspondance échangent en
amont leurs idées, posent un cadre, qui évoluera
évidemment. Mais un échange régulier est indispensable pour
le bon déroulement de la correspondance.
Des contenus, des
modalités
Que peut-on envoyer ? Des
lettres individuelles, des lettres collectives, des
journaux de classe, des textes très divers – des textes
libres ou des lettres plus classiques « Comment vas-tu,
moi, j’aime les poneys… je suis allée voir un film. » –,
des créations artistiques, littéraires ou plastiques, des
questions scientifiques, des comptes-rendus d’expériences
diverses, à une personne engagée dans un échange ou bien à
une personne inconnue. Par exemple, à toutes les personnes
trouvées dans un annuaire, dont les noms évoquent le
cirque, on envoie un texte en lien avec ce thème. Des
poèmes écrits en classe sont distribués dans la
rue…
Doit-on se rencontrer ?
Pour quoi faire ? À quel moment du calendrier de la
correspondance ?
Échanger…
Les élèves n’adressaient
pas leur texte à quelqu’un en particulier, mais leur
attente d’un « retour » a été chaque fois réelle : « Toi
qui as lu mon texte, comment l’as-tu reçu ? » Ne serait-ce
que pour confirmer que le texte a été lu. Les élèves ont
demandé à ce que cette correspondance de textes
libres ne soit pas uniquement un échange de ces textes. « Mais
si je demande que mon lecteur ou ma lectrice m’adresse sa
réaction à la lecture de mon texte, je vais devoir faire
pareil ? » Comment exprimer ses ressentis ? Comment tenter
de les justifier ? L’élève n’est alors plus seulement un
élève, mais un individu qui exprime des besoins. Et
cette
correspondance devient un support pour l’apprentissage de
techniques d’analyse littéraire, du vocabulaire pour
exprimer les émotions… et de la remédiation
orthographique évidemment !
Quelle fréquence
décider pour les envois ?
Pour générer et maintenir
l’attente et l’envie, d’après nos expériences – en Premier
degré en particulier – un échange (envoi-réception)
par période scolaire, voire toutes les trois semaines nous
a semblé une bonne fréquence. Pour ce qui est du Second
degré, c’est plus variable : établir si possible un
calendrier à l’avance, car il faut prendre en compte les
périodes de stage en entreprise au Lycée
professionnel, par exemple.
« Je vais bien, il
fait beau, j’habite en Vendée. »
Les élèves ont déjà des
idées sur les codes de la correspondance et son contenu.
Toutefois, au-delà des entrées en matière qui permettent
d’entrer en communication, de se présenter d’une manière
assez conventionnelle et descriptive, comment amener les
élèves à envoyer un contenu renouvelé, qui suscite le désir
de poursuivre la correspondance ? L’une aura tout de suite
l’idée de raconter une anecdote, un autre pensera à évoquer
les choses qu’il aime, son conte préféré… Passer du général
au détail, changer de type de texte, de support… autant
d’aides précieuses pour enrichir une correspondance.
Le recours au
collectif peut être là un creuset où l’individu vient puiser des idées,
s’enrichir grâce aux autres. Apporter, recevoir, réagir,
réfléchir, partager.
La pratique sur un moment
de l’année un peu long (une période donnée, un trimestre,
un semestre, une année scolaire) peut amener le groupe à se
poser des questions sur le respect des règles, mais aussi
évidemment sur leur transgression pour faire réagir le
récepteur ou la réceptrice ! On relance le désir d’écrire
et de recevoir une réaction.
Quels
supports ?
– L’envoi par la poste : il
interroge le contenant, l’objet « lettre », il interroge aussi
l’incarnation par l’écriture individuelle sur du papier. Le
prix du timbre peut cependant être un frein.
– L’envoi par messagerie
électronique : il amène l’adulte, en fonction des âges des jeunes, à
envisager une réflexion collective sur l’identité
numérique, sur la création d’une messagerie individuelle,
de classe, sur les rituels, par exemple,
d’ouverture et de gestion de la messagerie ; il amène aussi
une réflexion sur l’écriture anonymisée : le récepteur ou la
réceptrice ne lira « que » les mots et « n’interprètera
pas » une écriture qui peut être maladroite,
irrégulière…
– Varier les médiums et y
réfléchir : « Qu’est-ce que cela me fait quand je reçois
une lettre électronique ? Une lettre manuscrite ? Une
enveloppe manuscrite ? »
S’écrire
n Se réfléchir
Un groupe qui
correspond avec un autre groupe ne pourra faire l’économie
d’une réflexion sur ce que cela signifie de parler de soi
et de s’intéresser à l’autre.
Se rendre compte que pour
se découvrir soi-même il faut apprendre à découvrir
l’autre, y a-t-il plus beau programme à
l’école ?
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