Apprendre ses
gammes ?
Hervé
Allesant
Trouver sa voie, rechercher
l’authentique.
« Monsieur, vous comprenez
bien qu’avant de faire un concert, il faut apprendre ses
gammes. C’est pareil avec la classe : avant de faire “du
Freinet”, il faut maitriser les techniques traditionnelles
d’enseignement ». L’inspecteur tente de
prendre une image qui me parlera. La guitare accrochée au
mur lui inspire une métaphore musicale qu’il imagine
pouvoir faire mouche. Ce jour-là, jour de validation de mon
année de Professeur des Écoles stagiaire, je préfère me
mordre la langue plutôt que lui répondre. Quelle aurait été
ma réponse ? Je vous la livre
aujourd’hui.
Dans l’immense majorité
des cultures dans le monde, la musique ne s’écrit pas. Tout
se transmet de façon orale : l’enfant joue parmi des
musiciens sur un instrument qui n’est pas forcément à sa
taille, et où aucun cours formel ne lui est imposé.
Parfois, un enfant qui semble plus rapide que les autres
est pris sous l’aile d’un musicien confirmé, pour accélérer
ses progrès. Mais l’immense majorité de la pratique est
celle d’un amateur et surtout elle n’est pas hiérarchisée,
dans le temps ou selon une valeur. J’aurais pu lui donner
les dizaines d’exemples qui me viennent de musiciens qui
n’ont pas « fait de gammes », mais qui ont trouvé leur voie
sur leur instrument. Des musiciens
virtuoses, mais
aussi ces hommes et ces femmes qui font de la musique au
coin des rues, dont les notes ne seront jamais fixées sur
un disque.

Et c’est la même
chose dans nos salles de classe. Je n’ai pas attendu de
maitriser quoi que ce soit pour entrer en pédagogie
Freinet. Je constatais que ce qu’on attendait de moi ne
marchait pas. Une partie des élèves avaient fini leur
travail avant que d’autres aient trouvé leur crayon à
papier… Et les premiers s’ennuyaient, ou allaient sur des
activités de « délestage » en attendant que les autres
finissent. Et parfois, les derniers ne finissaient jamais.
J’ai donc proposé à ceux qui terminaient en premier
d’écrire un article pour un journal de classe que nous
avions décidé de mettre en place. Et les élèves se sont
pris au jeu. Malheureusement, ceux qui avaient le plus de
mal n’avaient jamais de temps pour écrire
dans le journal. Nous avons donc
rapidement mis en place un atelier de journalistes. Tous
les élèves pouvaient, s’ils le voulaient, produire un
article : quand on inverse le rapport au savoir,
c’est-à-dire quand on met les élèves en situation de
création, ils ajustent le niveau de leur production à leur
niveau réel. Comme en musique, on peut se retrouver en
échec face à une partition trop difficile à jouer.
Cependant, tout le monde peut commencer à improviser un
rythme ou une mélodie sur un instrument avec un petit
moment de tâtonnement.
Dans ce premier journal,
un article sur le judo, sur la
visite d’une exposition de César le sculpteur, un
compte rendu de notre activité piscine. Les voix
authentiques des enfants, de leurs centres
d’intérêt.
Tant que nous verrons
l’enseignement comme nous voyons la musique, c’est-à-dire
en mesurant la valeur d’un musicien à l’aune de sa capacité
à jouer les Caprices de Paganini, du Chopin, ou du
Hendrix, nous passerons à côté de ce que nous devrions
faire en tant qu’enseignant : que chacun trouve sa voie, en
ce qu’elle a d’authentique à apporter au
Monde. Ça ne sera
pas parfait, ça ne sera pas forcément ce qui sera attendu
par l’institution, mais ça sera authentique.