Pour construire un monde plus juste
Véronique Decker
Des préalables pour démarrer en pédagogie Freinet.
Est-ce qu’on entre « dans la pédagogie Freinet » comme on entrerait dans un château, en passant le pont-levis et en franchissant des douves verdâtres ? Est-ce qu’on démarre comme on ferait démarrer une voiture de course toujours susceptible de nous échapper au premier virage ?
La pédagogie Freinet, avant d’être des techniques pour la réaliser, c’est d’abord un état d’esprit, une vision politique d’un monde plus juste, permettant à chacune et chacun de s’exprimer par une vie active, créative, et coopérative.
Et donc, pour une vie entière d’enseignant, d’enseignante, ce sont des recherches, que nous faisons ensemble, avec nos propres élèves. Car en premier, nous ne sommes plus « face aux élèves », nous sommes à leurs côtés. Nous marchons avec eux sur des sentiers de réflexion, sur des chemins d’apprentissage, et nous allons rechercher ceux qui sont restés emberlificotés dans les ronces.
Parce que j’ai été directrice d’école, déchargée de classe une bonne part de ma carrière, je me régale à la retraite de faire des ateliers avec les élèves. Du bénévolat, dans des écoles volontaires, mais aussi des ateliers hors temps scolaire.
Alors, qu’est-ce que je mets en deuxième dans la pédagogie Freinet ? La possibilité d’observer les élèves et de regarder attentivement leurs procédures. Les voilà lancés dans leurs recherches, et le tâtonnement expérimental fait jaillir quelques trouvailles.
J’observe les procédures de construction et j’interviens pour donner les mots dont ils ont besoin pour parler de leur création, en disposant du vocabulaire pour décrire les actes et les émotions qui les portent, échanger avec leurs camarades, et réfléchir plus collectivement.

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En troisième, je mettrai l’attention aux enfants des milieux populaires : ceux qui expérimentent moins avec leurs parents, qui sont parfois fatigués, parfois mal logés, parfois un peu des deux. Alors, ils ne jardinent pas, ils ne bricolent pas, ils ne cuisinent pas. Ces enfants-là doivent expérimenter le monde pour en comprendre les épures mathématiques, les allégories littéraires. Donc, projets de sorties dans la nature, de construction de cabanes, de classes transplantées, sable, eau, terre, feu, air.
En quatrième, tout ce qui ne « sert à rien », l’art, la musique, la peinture, ce qui est juste là pour que s’expriment nos émotions, nos désirs, et notre joie.
Mais rien de tout cela n’a de sens si nous ne le faisons pas ensemble, tous ensemble, sans abandonner qui que ce soit au détour d’un chemin. Notre vision d’un monde plus juste n’est pas réservée à ceux et celles qui peuvent payer une école alternative. Nous savons que la planète est au bord de l’asphyxie, et qu’aucun enfant ne « s’en sortira » seul. Seules les valeurs de la coopération permettront aux enfants de former une génération d’adultes capables d’agir efficacement.
Alors, ma petite pierre, c’est de faire des ateliers de construction. Pour construire symboliquement le monde de demain. Pour que les filles (auxquelles on n’achète jamais de jeux de construction) construisent aussi. Pour que tous apprennent les maths non pas comme une matière sèche et aride, mais comme un langage dont les segments, les sommets, les axes, les dimensions sur le plan et dans l’espace prennent sens.
Ils sont alors les Égyptiens qui construisent des pyramides, des bâtisseurs de cathédrales, des forains de manèges articulés, des astronomes qui décrivent les systèmes solaires.
Tous ces solides font réfléchir à la solidarité nécessaire pour les bâtir. Même en modèles réduits. Ils jouent ? Non, ils travaillent à représenter le monde avec leurs mains d’enfants.
v.decker@laposte.net

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