conférences pédagogiques

Dossier pédagogique de l'Ecole Moderne n°20

L'éducateur
Supplément au numéro 19 du 1er Juillet 1966

 

 

Pour les conférences pédagogiques

L'apprentissage de l'expression écrite et orale
de 6 à 15 ans

 

C.FREINET

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conférences pédagogiques

1. L'apprentissage de l'expression écrite et orale de la langue
de six à quinze ans

par C. FREINET

Un tournant pédagogique

Ce n'est certes pas la première fois que des instructions ministérielles nous incitent à réfléchir au problème de l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et de la rédaction. Il se peut même que, à l'occasion des prochaines conférences, on ressasse les directives et conseils dont regorgent depuis tant d'années les manuels scolaires et les revues pédagogiques. Tout n'a-t-il pas été dit dans ce domaine et les éducateurs ne disposent-ils pas aujourd'hui de méthodes et de techniques qui permettent aux enfants d'apprendre à lire et à écrire en un temps record ? On dit même que, par les machines électroniques, cet enseignement serait possible dès le berceau !

Nous n'en disconvenons pas si, comme on l'a fait jusqu'à ce jour, on considère que suffit cet enseignement mécanique de la langue qui a toujours fait illusion et que sanctionnent encore les examens actuels.

Ce n'était d'ailleurs pas une simple croyance. Pendant une longue période au début du siècle, on a pensé qu'instruire le peuple, lui donner les connaissances et les techniques, c'était le préparer à la démocratie et à la culture. Et Victor Hugo pouvait dire avec emphase : « Tout enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne ».

L'expérience tragique des deux dernières guerres nous a fait toucher du doigt, hélas ! la triste réalité : qu'on peut être instruit, et même savant, muni des plus hauts parchemins et se livrer pourtant à des actes qui sont la négation même de la culture et de l'humanité. Toute l'aventure hitlérienne en porte témoignage.

La preuve est faite, l'instruction ne suffit pas pour former un homme. Les dirigeants africains des pays en voie de développement en ont fait récemment la constatation et ont vigoureusement protesté contre une alphabétisation américanisée qui, à grand renfort de moyens audiovisuels, enseignait des mots et des formules au nom d'une science qui n'était bien souvent qu'un aspect de la nouvelle barbarie mécanicienne au service du seul profit.

Quiconque considère aujourd'hui avec logique et bon sens l'évolution des processus éducatifs est obligé de se rendre compte que l'instruction technique, la connaissance, l'alphabétisation, sans être négligeables, ne sont pourtant qu'un apport illusoire à la civilisation si elles ne sont pas intégrées à la vie des individus et au milieu, pour la formation des personnalités à élever et à enrichir.

C'est cette double échelle des valeurs éducatives qu'ont sans doute voulu marquer les Instructions dans l'énoncé du thème des Conférences pédagogiques 1966, qui, dépassant l'aspect technique de l'enseignement, abordent maintenant les données culturelles qui en sont, ou doivent être l'aboutissement.

Nous savons bien que les tenants des vieilles méthodes vont protester qu'ils n'ont jamais sous-estimé ces buts et que les manuels eux-mêmes les aident à faire des leçons intéressantes qui visent à la formation des individus, mais il faut bien, disent-ils, qu'on apprenne d'abord aux enfants à s'exprimer pour qu'ils puissent ensuite le faire librement.

C'est exactement comme si la maman disait : je ne peux pas laisser mon enfant s'exprimer tant qu'il ne saura pas parler. Or, la maman apprend à son enfant à parler en le laissant s'exprimer dès son premier gazouillis ; elle lui apprend à parler en parlant, et elle y réussit depuis toujours, à 100%.

Le libellé même du thème des conférences pédagogiques sous-entend implicitement que les éducateurs devront, dès à présent, s'orienter vers un changement de méthode, basé sur l'expression naturelle des enfants par la parole, et l'écriture. Il s'agit en l'occurrence d'un véritable tournant pédagogique dont nous ne pouvons que nous féliciter.

On pourrait cependant ergoter que les méthodes traditionnelles, par les rédactions méthodiques, par la lecture expliquée, par les leçons de grammaire, de vocabulaire et de syntaxe préparent cependant cette expression. Ce qui peut se produire quelquefois. Mais nous faisons chaque jour la preuve par nos méthodes que l'expression libre orale est intimement liée à l'expression écrite. Or, dans le domaine de l'expression orale qui devient au­jourd'hui obligatoire, il n'y a pas de tradition puisque l'école ne voulait pas la connaître.

L'école traditionnelle est l'école du silence, des leçons, des devoirs, des livres et des cahiers. A aucun moment n'y est pris en considération le besoin naturel des enfants et des jeunes d'extérioriser leurs réactions, leurs sen­timents et leurs rêves, de communiquer avec leurs semblables et avec la nature qui les entoure, et cela par le moyen le plus simple, le plus naturel

Et le plus efficient : la parole. La discipline scolaire et la conception du travail veulent que l'enfant se taise et ne parle que lorsqu'il est interrogé, non pas d'ailleurs pour s'exprimer le moins du monde, ce qui paraît inutile, mais pour répéter ce qu'il a appris.

Les observations elles-mêmes, qualifiées de personnelles sont, dans la pratique, tellement dirigées que le langage spontané et vrai n'y a aucune place. Les rédactions sont soigneusement préparées, paragraphe par paragraphe, car « les enfants n'ont pas d'idées », pensaient les vieux maîtres... il faut les leur apporter ou du moins les susciter par un plan ou un canevas. Quant aux adolescents, ils ne s'expriment qu'en marge de l'école, au cours des récréations, par les billets clandestins ou les cahiers intimes que le maître pourchasse comme un danger ou une perversion.

L'École, par principe, laissait au milieu familial et social le soin de développer une expression parlée qui n'était pas dûment inscrite au programme.

Mais les temps ont évolué. L'écriture et l'imprimé perdent peu à peu le monopole de l'intercommunication. La radio, le téléphone, le disque, le magnétophone, la télévision ont déjà pris la relève. Bien parler, s'exprimer avec aisance et subtilité, être à l'aise devant un micro ou une caméra sont des privilèges qui sacrent les vedettes et donnent du prestige aux champions aimés des foules. L'ouvrier et l'employé auront demain, nécessairement, une fonction sociale, syndicale ou politique à remplir. L'École doit les y préparer. Pour cet aspect nouveau de la vie, l'apprentissage de l'expression orale devient une nécessité.

Il n'y a pas encore de didactique de l'expression parlée. Il y aurait danger à voir les traditionnels s'en saisir pour la domestiquer et la scolastiser comme ils l'ont fait pour l'expression écrite. Or, il y a une méthode qui s'impose : c'est la méthode naturelle qui est assurée d'un succès total.

Et ainsi, par une porte détournée, mais qui ne manque pas de majesté ni d'efficience, l'expression libre pénétrera dans les classes primaires, d'où, nous l'espérons, elle pourra un jour prochain s'étendre à tous les enseignements.

COMMENT RÉALISER
PRATIQUEMENT DANS NOS CLASSES
CET APPRENTISSAGE SIMULTANÉ

1. De l'entretien du matin au texte libre

De récentes Instructions ont recommandé aux éducateurs du 1er degré la pratique de l'entretien du matin, au cours duquel les enfants sont entraînés à parler librement de ce qui les intéresse, et de ce qui intéresse le milieu. Les avantages de cette pratique sont incontestables: les en­fants sont heureux de voir que l'École se raccorde peu à peu à la vie, qu'ils peuvent y parler et y parler de l'essentiel de leurs préoccupations. Ce faisant s'abaisse et s'abaissera peu à peu la barrière que la scolastique avait dressée entre les maîtres et les élèves. Mais cette innovation pourrait valoir aux maîtres certaines désillusions décourageantes si elle devait n'être qu'un reflet de lumière dans des processus de classe inchangés.

Si cette causerie du matin ne mène à rien, si les minutes de liberté ne s'ouvrent que sur les leçons et les devoirs habituels, les enfants risquent de parler de tout et de rien sans discernement. La causerie deviendra bien vite inutile bavardage.

Tout comme notre texte libre, cette causerie doit être motivée, et elle ne peut l'être que si tout l'enseignement est axé sur cette expression libre. La causerie du matin débouche nécessairement sur les méthodes naturelles motivées par la vie scolaire, familiale et sociale. Alors le texte libre naîtra de cette causerie, qui préparera d'autre part les enquêtes, les conférences et les éléments de correspondance.

Il s'agit donc d'une véritable mutation dont nous avons jeté les bases et qui doit peu à peu imprégner tout notre enseignement. Nous en avons mis au point la didactique: il suffit que les éducateurs en comprennent la technique et l'esprit avec mise au point du texte libre, grammaire et vocabulaire s'y rapportant, exploitation pédagogique maximum avec:

- lettres, journaux et colis aux correspondants ;
- enregistrement sur bande- magnétique ;
- photos et cinéma,

qui mobilisent tout à la fois l'expression écrite et l'expression orale.

II. Les conférences

Dans les anciennes classes, les conférences ne pouvaient être faites évidemment que par le maître. I1 était impensable que les enfants puissent faire eux aussi leurs conférences.

Nous avons montré que la chose est fort possible, mais à la condition que l'École permette au conférencier de se procurer la documentation écrite et graphique, les photos, les dias ou les films qu'il devra consulter, qu'il puisse solliciter par lettres ou téléphone les éléments d'information dont il a besoin, ou se rendre hors de l'école pour enquêter à même la vie. La conférence elle-même éduque au maximum l'expression motivée, habitue les jeunes conférenciers à faire le tour d'une question pour soutenir ensuite le feu des questions pertinentes qui lui seront posées.

Il n'y a pas de meilleure technique pour la culture de l'expression écrite et orale. Elle est à notre disposition et à tous les degrés, le secondaire compris.

III. La coopération, l'autogestion et l'autocontrôle

Selon l'ancienne pédagogie le maître décidait souverainement de tout, l'organisation sociale étant seulement su­jette à études théoriques et à savantes controverses.

Par l'organisation coopérative qui peu à peu, prend en autogestion la responsabilité de la classe, les enfants sont appelés sans cesse à discuter naturellement de l'administration, des élections, de la préparation du plan de travail, de l'autocontrôle et de toute la discipline en général, prise dans son sens large de règle de vie de la communauté. L'expression écrite ou orale ne s'enseigne pas dogmatiquement. Nous la pratiquons en permanence parce qu'elle est devenue élément de notre technique de travail.

Cette révolution qui suppose le remplacement des textes et leçons d'adultes imposés aux élèves, par la

pensée et la vie des enfants eux-mêmes est désormais possible dans toutes les classes. Elle est particulièrement sensible au CES et au second degré, là où la pédagogie traditionnelle traite comme des écoliers mineurs des adolescents qui, dans un an, dans deux ans, dans trois au maximum se verront officiellement investis des droits de citoyen. Il nous faut les préparer à cette majorité, non pas théoriquement et verbalement mais en leur donnant leur propre vie individuelle et collective à organiser et à administrer.

Il nous faut, de toute urgence, délivrer la population scolaire de la scolastique et la préparer à la vie. Les expériences menées dans des milliers de nos classes sont aujourd'hui concluantes. Elles doi­vent être déterminantes pour les options pédagogiques auxquelles l'administration elle-même vous engage aujourd'hui.

Les résultats

Nous ne prétendons pas, par notre pédagogie, avoir toujours fait merveille pour ce qui concerne les acquisitions scolastiques, contrôlées d'ailleurs de façon partiale selon des critères d'examen dépassés ; mais nous avons de notre mieux creusé en profondeur, à la recherche des véritables éléments de culture valables pour l'adolescent et l'homme de cette fin du XXe siècle. Là où les résultats de notre pédagogie sont vraiment spectaculaires, c'est pour ce qui concerne justement cette expression orale et écrite si négligée ailleurs.

En toutes occasions, et à tous les degrés, les enfants et les jeunes formés à notre pédagogie se distinguent de ceux formés par l'école traditionnelle:

- par une lecture naturelle adulte, sans ânonnement ni chantonnement, que l'on sent dépasser le mot pour saisir surtout le sens du texte, en le survolant et l'adaptant même si nécessaire pour en dégager l'expression intelligente et sensible;

- par une façon tout à fait adulte, dépouillée de toute servilité scolaire, de s'intéresser à la vie autour d'eux, d'interroger, de questionner et de répondre à bon escient, de se mêler intelligemment à la vie ambiante;

- par leur aisance à s'exprimer oralement: au téléphone, devant le micro, au cours d'une interview ou d'une conférence, ou en classe en présence d'un étranger ou d'un inspecteur;

- par la hardiesse et le courage qu'ils ont à donner leur point de vue devant tous dans une réunion publique où ils savent exercer leurs droits élémentaires d'hommes et de citoyens;

- par la possibilité qu'ils ont d'exprimer par écrit, dans des textes ou des poèmes, tout ce qui vibre en eux. Avant notre expérience, la production poétique des enfants et des adolescents était impensable. Nous avons aujour­d'hui dans nos classes des poèmes qui, dépouillés de toutes formes paralysantes, sont comme d'étonnants chants de l'âme, auxquels font désormais écho les jeunes vedettes de la radio et de la télévision;

- par le besoin qu'ils éprouvent de se scruter, de s'analyser, à tel point que nombreux sont dans nos classes les documents qui sont expression profonde non seulement du conscient, mais de l'inconscient aussi, ce qui confère à notre pédagogie des vertus de thérapie psychanalytique dont l'avenir dira la valeur.

Nous pouvons dire sans crainte d'être démentis que la pédagogie Freinet de l'École Moderne est actuellement parmi les méthodes existantes, celle qui permet le mieux et avec le plus d'efficience, l'apprentissage de l'expression écrite et orale aujourd'hui à l'ordre du jour.

C. FREINET

 

Pour la CONFÉRENCE PÉDAGOGIQUE

Par J. Cauchois

Apprentissage de l'expression écrite et orale de la langue, de 6 à 15 ans.

« Faire des hommes, épanouir, non former », disait R. Dottrens dans une causerie devant un groupe de travail du mouvement Freinet en définissant les buts de l'éducation:

- pour la plupart des parents, elle vise tout d'abord à faire acquérir aux enfants des connaissances: c'est l'instruction;
- elle a un second objectif plus important que le premier: doter les enfants de moyens qui leur permettront de tirer parti des connaissances qui leur auront été enseignées;
- troisième objectif: apprendre à se perfectionner, à se conduire dans la vie sociale dans un sentiment de dignité et de responsabilité à l'égard de soi-même et des autres.

Il en déduisait, à la lumière des recherches de la psychologie et de la sociologie modernes, qu'«il n'est plus possible de se satisfaire d'un type d'éducation collective qui forme de la même manière tous les enfants d'une classe, tous ceux d'une génération. La nécessité conduit à réaliser une éducation individualisée sur le plan personnel, communautaire sur le plan collectif».

Les Instructions ministérielles de 1964 pour les classes de transition, dans le même esprit, préconisent cette pédagogie que J. Vuillet analyse profondément à partir du «tâtonnement expérimental» dans une étude sur la «notion de milieu» (PUF).

Les préadolescents appelés à vivre dans les classes de transition, tout imprégnés encore par le milieu et le besoin de sécurité de l'enfant, mais déjà marqués par un désir d'autonomie, ont eu plus que d'autres, pour des raisons très diverses qu'il faudra déceler chez chacun, à souffrir d'une école du silence chère à Alain et d'une pédagogie trop intellectualiste. Les moyens d'information et de distraction modernes: cinéma, télé­vision, disques, magazines, «Comics», par les réactions affectives et les impressions de participation qu'ils provoquent se situent sur un plan totalement différent et attirent sans difficulté l'adhésion.

I1 est donc nécessaire qu'une pédagogie de la réussite, fondée sur l'éducation du travail, en liant l'école au milieu, en motivant les activités, conduise naturellement ces jeunes à éprouver le besoin d'améliorer cet outil délicat mais essentiel à la communication: le langage.

Un jeune conteur, doué d'une forte personnalité, attire pendant les récréations un groupe important de camarades; rien de magique dans ses «histoires»: un événement de la rue, une image, une question, et le «mécanisme» se déclenche, des faits se relient, des souvenirs apparaissent; le langage n'est pas châtié, mais par la conviction qu'il y met, la. réalité touche à la poésie; les camarades ne sont pas inactifs, entretiennent la flamme, et il est bien difficile de retourner en classe et de reprendre les exercices traditionnels. Un autre, un jeune Portugais qui, à force de travail, s'est hissé en tête, vient trouver le maître et lui propose d'afficher sur un tableau des textes de la classe qui raconteraient ce qui intéresse les garçons. La spontanéité de l'un, la réflexion de l'autre aident à découvrir et à mettre en pratique l'expression libre.

L'entretien du matin est le lien affectif qui relie la classe au monde réel, à un moment où l'enfant quitte le foyer familial avec le souvenir de la soirée, les rêves de la nuit, le spectacle de la rue, et les conversations des «copains»: l'un va évoquer des souvenirs, des images, l'autre éprouvera le besoin de lire avec soin le texte d'un cor­respondant ou d'une revue, un autre posera une question, certains semblent passifs, rêvent ou dessinent, mais l'esprit s'éveille. Ce moment va être le point de départ de recherches et de travaux chargés d'un intérêt profond qui libère des énergies trop souvent bloquées: le plan de travail journalier s'élabore. À une libération incontestable de personnalités qui se révèlent s'ajoute une recherche constante de l'expression juste et correcte qui convaincra, un enrichissement constant du vocabulaire: on refuse de laisser parler en argot ; pendant une année, un jeune, presque illettré, bombarde ses camarades de questions qui leur font préciser les mots employés dans la discussion.

Le texte libre suit l'entretien; bien souvent, il le complète et il représente aussi, à l'origine, bien qu'il soit écrit, une forme de l'expression orale. Il a été composé très vite, d'un seul jet, sous l'influence d'une impression, parfois pendant l'entretien, et il ne présente alors de valeur que s'il est chargé, par son auteur, d'un contenu affectif qui le fait écouter: jamais l'auteur d'un texte n'accepte qu'un camarade le lise (ou le dise) à sa place, même s'il est affecté d'un défaut de prononciation.

Le choix du meilleur texte est l'occasion de préciser les intentions: les questions fusent, les auteurs répondent, s'expliquent, se défendent, et le vote final permet de désigner celui qui a le mieux affirmé les sentiments du moment. La mise au point du texte élu va être la recherche systématique de l'expression juste: le texte original est évidemment écrit au tableau, mais l'expression écrite définitive n'est que l'aboutissement de multiples essais oraux dans la recherche de la perfection; bien souvent, avant de lire la phrase écrite au tableau, on préfère la réentendre, on hésite entre plusieurs et c'est la tonalité la plus agréable dans le sens le plus valable qui sera acceptée définitivement.

Rien n'empêche même, aussitôt, de rechercher systématiquement des mots contenant des sons qui ont étonné ou sur lesquels on a buté: cela devient même un jeu, une chasse aux mots.

Mais l'exploitation la plus profonde, la plus riche, ce sera la conférence d'enfant suscitée par le texte libre. Ici, la démarche est inverse: à partir de documents écrits (BT par exemple), de notes prises pendant une enquête ou une émission de radio ou de télé­vision, illustrées de diapositives, de dessins et que l'on met en ordre, il faut cultiver des talents de présentateur pour mettre en valeur le sujet, intéresser les camarades, répondre à leurs questions sans se laisser entraîner à des digressions. Certains restent longtemps au niveau de la simple copie et de la lecture, mais lorsque le thème est parfaitement assimilé, l'exposé est naturel: un petit, passionné de photographie, après de multiples essais hésitants, a tenu un quart d'heure sans la moindre note devant ses camarades ébahis et heureux d'une telle réussite.

Réussite aussi, lors de la réunion de coopérative, moment le plus solennel de la vie de la classe, si toutes les nuances du langage apparaissent parce qu'il n'est pas possible de tricher ; il faut savoir féliciter à bon escient, critiquer vivement si c'est nécessaire, mettre à jour les imperfections, proposer des améliorations, défendre un camarade, expliquer un comportement, avouer des torts...

Grâce au magnétophone, les montages sonores, bruitages, découpages, à l'intention des correspondants, dans toutes les occasions propices (messages, entretiens, comptes rendus, exposés, commentaires) contribuent à la fois à l'approche de soi-même (on étudie son propre parler) et à la démystification des techniques et des idoles fabriquées grâce à elles.

Rien n'est plus éloigné du bavardage futile que cette mise en valeur de la parole: le langage reprend son rôle de contact, de lien chargé d'affectivité entre des individus qui créent une communauté vivante.

Mais il est nécessaire que cette pensée fluctuante, souvent visualisée à l'origine, qui s'enrichit, se précise au contact des autres, soit fixée pour ne pas être fugitive, qu'elle laisse une trace 'écrite lorsqu'elle paraît avoir atteint la «perfection» à un moment donné.

Le texte libre, lorsqu' ont été épuisées toutes les recherches, est écrit, orthographié, imprimé. Mettre au net, c'est lui donner sa forme définitive, c'est l'aboutissement d'impressions hésitantes, tâtonnantes, devenues une pensée élaborée; il y a eu enrichissement au niveau personnel de l'enfant et au niveau de la collectivité.

L'imprimerie contribue alors à fixer sur le papier, mais aussi dans le cerveau, une idée précise. L'orthographe est alors justifiée et rendue nécessaire à ce moment. Les exercices de grammaire et d'orthographe, sous forme de bandes autocorrectives, à partir des textes d'enfants, sont compris et admis: ils sont motivés ; la tricherie est rare et l'on revoit autant de fois qu'il est nécessaire les notions non assimilées.

L'enrichissement se poursuit par une plus grande socialisation lorsque les textes imprimés, groupés dans un journal scolaire, sont échangés avec d'autres venus de tous les horizons. Des thèmes semblables apparaissent, mais présentés différemment, des modes de vie inconnus suscitent des comparaisons et des questions. Le temps et les intérêts du moment ne permettent pas toujours l'échange des réflexions qui suivent la lecture toujours passionnante des textes, et c'est dommage. Lorsque l'occasion s'en présente, des textes de grands écrivains, extraits des SBT ou des spécimens de livres de lecture, viennent magnifier le thème: la lecture est alors intelligente, sensible, aisée. Un enfant de 13 ans, retardé physiquement, instable, au caractère très difficile, exclu de plusieurs écoles, mais extrêmement sensible et attaché à sa mère hypernerveuse, s'est révélé comme un véritable poète après s'être plongé dans la collection des journaux reçus et au contact de Prévert: il avait découvert son moyen d'expression personnel, un rythme, et il a contribué à créer un climat d'affection, de liberté et de confiance assez rare.

La correspondance graphique, sous forme individuelle (chaque élève a un correspondant personnel dans une classe éloignée) et collective (une lettre élaborée par la classe), lorsqu'elle est justifiée par ce climat de confiance, est l'occasion de nombreux travaux écrits profondément motivés. Car la correspondance, ce n'est pas un vague échange de phrases banales et de photos plus ou moins valables. C'est, par l'élargissement du milieu, le développement de la personnalité. A la demande du correspondant qui devient un ami intime dès qu'on le connaît mieux, on présente la maison, la rue, la famille, les camarades, la cité et puis, petit à petit, on se livre soi­même: les goûts, les sentiments, les espoirs... Les recherches d'histoire, de géographie, les expériences sont suggérées par le courrier reçu; les enquêtes locales sont faites à la demande des amis lointains; on prépare à leur intention des comptes rendus que l'on présentera le plus agréablement possible sous forme d'albums, de numéros spéciaux du journal...

Cette recherche constante du «perfectionnement» unit travail individuel et travail collectif, effort personnel et sanction collective : on fait volontiers une recherche d'histoire, surtout si une fiche guide la recherche, on accepte l'aide de camarades pour la présentation, on sollicite les questions, on est disponible pour élaborer avec la classe une synthèse des différents travaux et on exige l'appréciation de la communauté.

Ce besoin de perfectionnement personnel et d'appréciation collective est à l'origine du succès des brevets qui permettent de mettre au point minutieusement le chef-d'oeuvre qui sera jugé en réunion de coopérative. L'emploi pour la désignation des brevets de la terminologie des métiers n'est pas la copie infantile de la vie de l'adulte, mais la concrétisation de l'aspiration de tout enfant: atteindre cette vie d'adulte. Le brevet de reporter permet de juger celui qui tente de voir et d'informer rapidement, d'une façon claire et intéressante sans tromper ses auditeurs. Le brevet d'avocat sera obtenu après une réunion de coopérative particulièrement sérieuse où il aura fallu défendre efficacement un accusé, en employant des arguments valables. Le conférencier devra présenter des informations précises avec des talents d'orateur. L'écrivain aura fait la preuve de sa réflexion en améliorant seul un texte de premier jet. Le lecteur aura exprimé toute la saveur d'une page de bon français. Le copiste avec sa main ou l'imprimeur avec sa machine auront inscrit sur le papier la beauté d'un poème... Tous ces «exercices», si éloignés de tout mécanisme formel, lient les activités de la pensée, du geste, de la parole. En fixant le langage en son expression écrite, ils n'en font pas une chose morte, ils conservent à la pensée toute sa valeur, toute sa chaleur humaine.

J. CAUCHOIS

LES CONFÉRENCES PÉDAGOGIQUES
POUR LES MAÎTRES DES CLASSES
D'APPLICATION

Elles portent cette année sur «l'emploi des moyens audiovisuels et l'apprentissage de leur utilisation par les élèves-maîtres».

Les moyens audiovisuels seront - que nous le voulions ou non - parmi les techniques d'avenir de l'École. La radio et la TV ont désormais conquis tous les publics, y compris les enfants d'âge scolaire. Demain, le magnétophone sera d'un emploi aussi courant que le transistor que les ouvriers emportent aujourd'hui sur le lieu de leur travail pour donner un peu de poésie à leur tâche quotidienne. La photographie et la caméra élargissent chaque jour le rayon de nos intérêts. Cela hors de l'École. Mais celle-ci ne pourra pas ignorer longtemps encore les courants nouveaux ainsi suscités. Elle devra ou se moderniser ou se démettre. À nous de préparer l'introduction rationnelle dans nos classes de ces techniques que nous souhaiterions intégrer à nos processus de formation, d'éducation et de vie.

I1 nous faut y préparer les jeunes instituteurs. Malheureusement, tout reste à faire, car il n'existe encore, à aucun degré, de pédagogie des moyens audiovisuels qui n'ont encore trouvé aucune place normale dans le déroulement des classes, hors la diffusion - heureuse d'ailleurs et appréciée - des chansons scolaires.

Comment pourrons-nous utiliser un jour prochain le magnétophone, le disque, la photo, le cinéma, la télévision? Un certain nombre d'expérimentateurs en sont réduits, dans ce domaine, à un usage clandestin d'appareils acquis souvent à leurs frais ou à ceux de la coopérative scolaire, et dont le fonctionnement dépend de l'aptitude technique particulière de chacun d'eux.

L'École Moderne a, depuis sa fondation il y a 40 ans, fait un certain nombre d'essais et d'expériences qui ont été, depuis, plus ou moins intégrés aux pratiques                 courantes:

- En 1935 déjà nous lancions, les premiers en France, les disques d'enseignement avec lesquels les éducateurs pouvaient enseigner le chant, la diction, puis les représentations folkloriques.

Nos productions ont, depuis, été dépassées par la formidable production industrielle, ce qui ne veut pas dire que les disques qu'on nous offre répondent toujours à nos besoins. Nos disques pour danses folkloriques connaissent toujours d'ailleurs un grand succès parce qu'ils permettent aux éducateurs peu experts en la matière de réussir de belles représentations qui peuvent affronter les plus imposantes fêtes scolaires.

Le disque d'enseignement reste encore à réaliser, mais il ne le sera qu'avec la collaboration des éducateurs eux-mêmes.

- Nous avions fait avant 1939 une expérience que nous pourrions considérer comme décisive avec le film Pathé Baby 8 mm d'un prix très abordable, et si simple qu'il pouvait être manoeuvré par des enfants, avec une caméra simple aussi qui permettait des prises de vue d'un rendement scolaire étonnant.

Il serait souhaitable que l'expérience puisse être reprise d'un vrai cinéma scolaire au service des enfants, intégré à notre matériel scolaire, adapté à une pédagogie vivante.

- Nous avons été les premiers surtout à expérimenter le magnétophone à l'École, avec des appareils rudimentaires d'abord, avec ensuite notre beau magnétophone CEL qui a permis une production et un échange de bandes qui peuvent être des prototypes de l'usage souhaitable des appareils simples et manoeuvrables que la technique mettra prochainement à la portée de toutes les écoles.

- Nous avons enfin entrepris la réalisation d'une collection de BT Sonores qui est le pendant audiovisuel de nos BT. Ces BT Sonores (28 numéros parus à ce jour) comportent douze diapositives un disque d'enseignement et un livret programmant le travail des enfants. Elles sont idéales comme supports des conférences.

Ces diverses techniques sont pleines d'avenir. Les jeunes instituteurs doivent s'appliquer à les expérimenter dans leurs classes.

Quand on parle de techniques audiovisuelles, on pense surtout au cinéma, à la télévision et à la radio qui pourraient être d'une utilisation décisive pour le renouveau de l'École.

La production cinéma, surtout en format réduit, pourrait être menée de façon artisanale, par des éducateurs ou des groupes d'éducateurs. I1 n'en est pas de même pour la radio et la télévision pour lesquelles nous sommes obligés d'avoir recours aux postes existants, officiels ou périphériques. Mais ces postes ont tendance à satisfaire la masse des téléspectateurs, aux dépens de ceux qui, à contre-courant, essaient des initiatives nouvelles. Les expériences tentées à ce jour sont, de ce fait, à peu près exclusivement scolastiques, avec les défauts et les tares scolaires portés sur les ondes.

Il faudra que les jeunes éducateurs prennent conscience du rôle éducatif que pourraient jouer cinéma et radio et qu'ils agissent en conséquence pour qu'un jour prochain les techniques audiovisuelles puissent se substituer dans nos classes aux procédés vieux de cent ans et qui, peut-être bénéfiques autrefois, ne sont aujourd'hui qu'une anachronique entrave au progrès.

C. F.

 

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