Ecole des Roches - P. de D.

Une musique naturelle

A une époque où la chanson est devenue une obsession de la jeunesse, on serait tenté de considérer comme une sorte de calamité cette aptitude naturelle de l'homme à s'exprimer par le chant improvisé. L'improvisation chantée devenue fait courant de tant de jeunes, vite promus au rang de vedette, ne vaut pas en effet le mal qu'on se donne pour la mimer et la proposer à un public qui aura tôt fait de l'oublier pour d'autres plus significatives d'un état de « transports en commun »... (ceci dit sans jeu de mots).

A l'écart d'un snobisme tapageur, c'est chez le tout petit enfant qu'il faut chercher dans toute sa spontanéité cet élan à inventer le chant le plus propice à exprimer ses émotions du moment, Chanter, pour le petit être déjà sûr de ses pouvoirs, c'est une manière d'exalter ce qui ne peut se dire par le simple langage habituel. C'est une manière de proclamer une vérité plus aiguë, plus impérative que les sentiments courants et qui ne peut se dire que par ce moyen-là. C'est de l'opéra qui s'ignore...

L'opéra suppose l'orchestre qui amplifie à l'infini la puissance du chant, lui donne les résonances qui, au-delà des possibilités de l'humain, exaltent la tension émotionnelle d'un auditoire.

Nos tout petits sentent cela d'instinct qui s'accompagnent d'instruments improvisés, tambour, cymbales, trompette occasionnelle, inscrits dans le rythme de la chanson. Il faut vraiment faire peu d'effort, partant de ces initiatives originales, pour composer un petit orchestre dans lequel un harmonica, des pipeaux, un rudimentaire instrument à cordes donnent de la densité à l'improvisation enfantine promue à la hauteur d'expression collective intéressant la majorité des élèves de la classe. S'il y avait auprès de chaque enfant inspiré un témoin aussi attentif et compréhensif que l'était le vieux Melchior auprès de Jean-Christophe, que d'oeuvres amusantes et parfois dignes d'intérêt sortiraient du monde joyeux de l'enfance !

   

Des maîtres soucieux de tirer profit de ce que l'on pourrait appeler l'aisance musicale de leurs élèves ont créé des orchestres simples et vivants mais qui jouent néanmoins leur rôle dans l'éclosion de petites oeuvres personnelles sans prétention et comme accompagnement de chants puisés dans un répertoire intéressant. Evidemment ces initiatives supposent chez le maître un minimum de connaissances musicales et il est regrettable de constater que rares sont les instituteurs qui savent solfier un petit morceau ou mettre en musique un chant improvisé. Qu'à cela ne tienne ! il faut aller de l'avant quand même, faire fond sur ce sens du rythme et des accords que tout enfant possède d'instinct et bientôt, c'est l'enfant qui entraînera le maître.

Mais quels instruments peuvent figurer honorablement dans un petit orchestre scolaire ? Y a-t-il un ou des instruments essentiels ? C'est la question que nous posons à ceux de nos camarades qui ont quelque expérience dans ce domaine. Mais dès à présent, nous misons sur un instrument qui déjà a fait parler de lui : c'est l'Ariel de Delbasty, instrument à cordes à toute épreuve, vibrant sous l'effet de pincements et coups de marteau ... et qui laisse la part belle à l'initiative personnelle. Nous en reparlerons sous peu et en attendant, nous adressons un appel pressant aux camarades qui ont à leur actif des réalisations intéressantes pour qu'ils orientent au départ les recherches de ceux qui désirent se lancer dans la franche expérience d'une musique naturelle à la mesure du chant improvisée, et révélatrice d'une culture de l'enfance.

Elise Freinet

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