Variation sur un bouquet de fleurs (Ecole Freinet)

Idées et points de vue

Une telle question qui préoccupe beaucoup les adultes, et tout spécialement les psychologues, se vaut d'être posée à des enfants qui « gens du métier » et peu au courant des choses de l'art ont tout au moins une idée de leurs propres mérites.

Nous avons donc - en évitant toutefois de mener une enquête systématique avec questions et réponses - pris des contacts avec les enfants de notre école, dans les moments de pointe, pourrait-on dire, d'une création sur le tas, dans les contingences habituelles des séances d'expression artistique libre.

Il est inutile de poser chez-nous la question préalable : aimez-vous dessiner ? Les enfants qui depuis plusieurs années sont devenus habiles en la matière, tout comme les nouveaux venus qui découvrent la griserie de la création en toute liberté - tous aiment dessiner et peindre. « Quand on fait du dessin on est heureux », et c'est la meilleure raison que l'on puisse se donner.

   

L'art de l'enfant est-il différent de l'art de l'adulte ?

Nanouche (10 ans) fait le premier pas vers l'analyse de cet état d'âme euphorique en précisant:

- Quand on a réussi une belle peinture ou une tenture, on vient souvent la regarder. On la montre aux autres. On est un peu fier, comme si on avait gagné un prix, mais c'est pas le prix qui compte... c'est d'avoir réussi le dessin ou la tenture.

Il y a ici, nette prise de conscience d'une notion de valeur qui sous-entend une hiérarchie. La chose belle, créée en totalité, ne donne pas uniquement du bonheur parce qu'elle est jolie mais parce qu'elle implique un pouvoir de créer, une habileté manuelle, une sûreté de conception et de réalisation, toutes choses incluses dans un sentiment confortable de dépassement. Pour l'éducateur qui sait regarder l'enfant « en pleine action », créer en joie devient un acte visible. plaisir de lancer sur la feuille blanche les maîtres-traits qui décident de l'arabesque ; plaisir de choisir les couleurs, de les associer en harmonie ou en contraste, de parfaire jusqu'à la minutie les détails les plus infimes pour que tout soit sans bavure, à la hauteur d'une conscience.

« Créer a un sens sacré » a dit je ne sais plus quel homme inspiré, donnant ainsi la mesure de sa vocation.

   

Dessin d'Alain Gérard (Ecole Freinet)

L'équilibre des créatures avec leur milieu est une loi de nature. Toute les civilisations sont les témoignages d'une obstination permanente de l'homme à s'adapter aux conditions géographiques, économiques et intellectuelles du milieu dans lequel il évolue.

Déjà, le passé a donné toute sa mesure et voici que le présent situe l'homme au seuil d'un milieu démesuré: au‑delà du monde trépidant du machinisme, se profile l'infini des mondes et les perspectives hallucinantes des communications interplanétaires. Cet état de fait qui donne le vertige à tout esprit conscient du décalage inouï du présent par rapport au passé, est intuitivement senti par l'enfant. Seulement, lui, n'a pas peur car il pressent confusément que la science est à la hauteur de son espérance. Une griserie aiguise son esprit dans une anticipation qui par le génie décuplé de l'homme-robot délivre la splendeur des grandes symphonies des espaces cosmiques, C'est ce qu'a tenté de signifier un adolescent de 15 ans de l'Ecole Freinet dans ce dessin à la fois critique et soucieux de grande synthèse.

   

- On aime mieux faire la peinture que les travaux de l'école, dit Christelle (13 ans) parce que là, on sait quand c'est bien. C'est comme un poème, on sent quand il est beau.

Il faut s'arrêter un peu sur cette notion de transcendance de l'art, abordée, il est vrai, de façon très lointaine, mais qui dénote néanmoins le sentiment d'un au-delà des choses, une tension plus subtile et plus ténue de la sensibilité montant graduellement vers un sommet, une sorte d'explosion qui d'emblée trouve son cri, sa forme, son style.

Lisant le Journal de Michel-Ange ou celui de Delacroix, ou celui de Van Gogh, nous y retrouvons cette confiance absolue en la vie organisatrice montant d'elle-même, par les vertus d'une personnalité bien trempée, vers une sorte de gloire de vivre. Quand on a acquis cette dimension de transcendance qui est la marque du génie, il n'y a plus rien à redouter : on tient en main les clés de son destin.

Les garçons de notre école semblent faire fond sur des aptitudes plus intellectuelles que sensibles ; ils aiment l'invention sous toutes ses formes.

Freddo (12 ans) dit :

- J'aime les dessins où il faut deviner, chercher ce qu'on a fait. Je pars, je fais mon trait et ça me représente quelque chose, je continue, ça me fait encore penser à quelque chose et ainsi de suite jusqu'à la fin.

« Je n'attends rien de ma réflexion, mais je suis sûr de mes réflexes » a dit Tanguy, légitimant la même tactique instinctive sous le signe de la rêverie donnée comme postulat de recherche.

Freddo cependant ignore l'art abstrait et plus encore le snobisme qu'il a suscité. Sa conviction, le choix de ses démarches sont liés à une expérience personnelle.

- Je n'aime pas dessiner les choses que l'on reconnaît parce que ce n'est pas amusant et ça donne du mal. Inventer ce qu'on veut, ça me plaît mieux, c'est toujours comique, amusant et ça fait réfléchir.

- Mais quand sais-tu que ton dessin est terminé ?

- Si je ne trouve plus rien, alors je m'arrête, c'est fini.

Pour Freddo, ainsi je crois que l'a dit Lurçat (1) « l'Art est une technique intelligente du faire ». Elle laisse à l'artiste la totale initiative de ses moyens dans la recherche d'un but qui n'est jamais préméditation, mais aboutissement imprévisible. Tous nos enfants d'ailleurs sont d'accord pour reconnaître que l'art, le leur du moins, est un art de grande facilité qui ne fatigue pas et n'épuise pas les méninges, même si une oeuvre devenant accaparante, on met quelque vingt heures à la réaliser : ça vient tout seul et c'est en cours de route qu'on fait ce qu'il faut.


Dessin de Freddo - Ecole Freinet
   

Peinture de l'Ecole des Costes-Gozon - Aveyron
   

« Je ne cherche pas je trouve » dit Picasso. Freddo et ses camarades pourraient ajouter : « et je ne laisse jamais tomber » car ce qui est vraiment étonnant dans de telles initiatives vouées aux seules vertus de l'inventeur, c'est une sorte d'engagement moral à mener l'aventure jusqu'à son dénouement. Sous le signe de haute confiance qui le domine, l'enfant découvre des ressources inouïes d'imagination, de patience et d'endurance consentie pour aller jusqu'au bout. Il n'y a pas de dessins gâchés et jetés au panier à l'Ecole Freinet et il en est de même dans toute école qui témoigne d'un profond respect pour la personnalité de l'enfant.

Tout ceci se fait dans la plus authentique simplicité et avec, redisons-le, un sentiment d'aisance instinctive aussi sûre de ses pouvoirs que la flèche du Zen lâchée en douceur par la main sans tension de l'initié.

Montrant quelques dessins de Picasso, j'ai dit, me référant aux critiques qui laissent supposer que le Maître ne trouve pas toujours :

- Picasso cherche ses dessins longtemps, longtemps... Il les recommence, les corrige, les détruit pour recommencer encore, jusqu'à ce qu'il soit très sûr que le dernier dessin est le plus beau.

- Nôôn ?...

Traduisez cette négation interrogative par un grand étonnement de masse mêlé de doute et d'ironie :

- Pas possible ! Comment s'y prend-il ? Pourquoi fait-il difficile ? N'a-t-il pas appris à faire vite ?

   

Car, il faut le relever, ce critère de vitesse qui caractérise les enfants les plus doués, c'est le signe évident du génie. Il s'inscrit dans le rythme accéléré de toutes les activités enfantines, il est l'âme du moteur neuf qui ne redoute pas la panne et porte sa charge à point donné.

C'est dans la rapidité des conceptions et de leur mise en train, dans l'exécution de vive allure que l'enfant est supérieur à l'adulte et c'est pourquoi il considère avec commisération les tourments du chercheur, serait-il le plus illustre.

C'est Franck qui, pour mettre le mot de la fin et sans égard pour les notoriétés, conclut :

- Y'en a qui sont des manches : pour rien faire, il leur faut beaucoup de temps... Moi, mon papa, il fait quatre mètres de ferronnerie de balcon en une journée...

ÉLISE FREINET

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