Apprendre à questionner le monde
Véronique Decker
Un moment d’expression qui impulse des apprentissages.
Le Quoi de neuf, c’est d’abord un espace de transition entre la famille et l’école. C’est pour cela que le lundi matin et le jeudi matin sont les moments les plus favorables. Il faut se réunir, et si on est en maternelle, c’est facile avec les bancs de l’espace regroupement. En élémentaire, cela suppose parfois de déplacer les chaises pour les mettre en cercle. Selon la taille de la classe, il faut s’inscrire à l’avance, pour se préparer à intervenir, sur un panneau. Un élève gère les inscriptions en veillant à ce que chacun puisse trouver sa place. Pour les enfants, c’est l’occasion de raconter un peu de leur vie personnelle, de ce qu’ils ont fait, de ce qu’ils ont appris avec leurs parents. Pour l’enseignant·e, c’est la possibilité de faire le lien entre le programme scolaire et la vie réelle des enfants.
Pour aller plus loin
Au début, cela fait
un peu peur, et moi, je notais dans un carnet qui avait parlé
et de quel sujet, pour pouvoir l’aborder à un autre moment et
chercher des contenus à apporter aux enfants. Puis, petit à
petit – car la vie des enfants est souvent la même,
famille, sport, sorties – j’ai pris de l’audace,
interrogeant les enfants pour les emmener plus loin. Sur les
murs de la classe, la carte nous permettait de trouver où
habite la mamie de Léa qui est à Cherbourg, le planisphère
pour trouver le pays des parents de Fatoumata et d’Idriss, la
liste des clubs de foot pour comprendre le sens des initiales
PSG, le tableau de classification animale pour
savoir où
ranger la salamandre qu’a vue Léonard en forêt
– « Non, Ursul, la salamandre ce n’est
pas un dinosaure, les dinosaures ne sont pas sur le tableau
de classification, car ce sont des races
disparues ».
L’étape suivante, pour les enfants plus grands, c’est de faire de ce Quoi de neuf un temps d’apprentissage des démarches scientifiques de questionnement, d’approfondissement, de recherche. On part d’un « évènement » raconté par un élève, et on va tisser du savoir autour de l’évènement. Un temps de questionnement qui pourrait aboutir à un exposé préparé par un ou deux enfants de la classe ? Un temps de lien avec la famille qui permettrait à l’oncle Malik de venir jouer de l’oud dans la classe ? Petit à petit, les enfants se prennent au jeu, et cherchent des choses originales à raconter, avec des objets qu’ils apportent pour être le support des explications.
Dynamiser le Quoi de neuf
Parfois, la classe
s’éteint. Le Quoi de neuf s’enlise. Il faut
redonner vie, et l’idéal, c’est
de faire une sortie scolaire coopérative avec les
parents un
samedi, sur les 108 heures d’obligations de service des professeurs des
écoles. Partons à la ferme pédagogique : cette fois, on a
plein de choses à partager, à se raconter. Le papa de Gaston
raconte que son grand-père avait des vaches. Gaston nous
apportera des photos. La maman de Fatima sait faire du
fromage de chèvre, elle a pris du lait de chèvre à la visite
de la ferme pour nous montrer en classe. La tata de Vanessa a
un vieux moulin à café, mais on pourra s’en
servir pour moudre des grains de blé, faire de la farine et
préparer une galette.
Le Quoi de neuf alimente l’imaginaire et aide à l’écriture de textes libres, car chaque évènement permet d’évoquer des souvenirs, une histoire, des hypothèses, des aventures. Il motive les élèves pour des exposés simples, à réaliser d’abord avec une « fiche guide » créée par le questionnement des autres élèves. Mais il doit aussi être nourri un peu par l’enseignant·e, sans quoi il s’appauvrit, tourne en rond et finit par lasser tout le monde. Certains élèves pourraient parler chaque matin des dessins animés ou de leurs cartes jeux. Il faut ouvrir d’autres horizons, et inciter parfois à parler d’autre chose. Demander qui a un animal chez lui, qui est déjà parti en vacances dans un autre pays, qui est déjà allé au zoo ou au musée. Ou qui a des grands-parents, et sait quel métier ils faisaient ; accepteraient-ils de venir en classe en parler ? C’est comme cela qu’un de mes élèves de Grande Section, qui ne parlait pas, a pris la parole pour dire que son papa, lui aussi, conduisait un camion, comme le grand-père de Vanessa. Le papa est venu dans la cour de l’école avec son camion. Tous les enfants l’ont inspecté, ont pu apprendre « parechoc, essuie-glace, pneu et roue, rétroviseur », et surtout « avertisseur » : chacun est monté dans la cabine très haute, et a pu appuyer une fois… J’ai pris des photos. Le Quoi de neuf a suscité le projet de faire venir le camion, et le projet a amené la classe à légender les photos qui ont été exposées et les parents sont venus les voir.
C’est une construction qui ne peut pas être imaginée par ceux qui adorent Vigipirate et préfèrent que l’école soit fermée. Elle nécessite un respect et une écoute – qui ne soit pas une pseudo « bienveillance », tellement à la mode – pour les élèves et leurs parents. Les enfants sont incités à apprendre des choses nouvelles, dans le désordre réel de la vie et non dans des « programmations » qui ne font pas sens pour eux.
L’entretien : des
banalités ?
Daniel
Carré
Pratiqué depuis très longtemps dans de nombreuses classes, il repose sur le souci de commencer la journée par un moment convivial, moment où on prend contact avec les autres, où on se reconnait comme membre de la communauté classe. Moment important où la communication passe par le corps, le regard, la parole. Moment de parole et d’écoute.
Le contenu de ce moment peut revêtir diverses formes. Il s’agit souvent du Quoi de neuf où l’on échange les nouvelles. Il peut être le lieu d’expression des petites misères comme des grands bonheurs. Parfois, il prend un tour plus profond à l’occasion d’un évènement particulier et devient alors un véritable moment de débat. Aux détracteurs qui pensent qu’on n’y entend que des banalités, on répondra que ce qui parait banalité peut être d’une grande importance pour l’enfant. « Hier, j’ai vu mon papa » dit Cloé, enfant de CE1. Oui, et alors ? Alors ? Enfant de divorcés, Cloé ne voit son papa que rarement. C’est bien un évènement pour elle, et il est important qu’elle le dise.
D’autre part, comme dans tous les domaines d’expression, il faut savoir être patient. Au début, on entendra beaucoup de : « Hier, j’ai fait… Hier, j’ai vu… » Mais, peu à peu, une expression plus riche viendra alimenter ce moment d’échange. La parole se perfectionne dans la forme et le contenu, au fur et à mesure qu’elle se pratique.
Il faut une bonne organisation matérielle. Un espace spécifique est préférable, notamment chez les petits. Quand c’est possible, on aménage dans un coin de la classe un lieu où on s’assoit sur des coussins, des bancs ou des chaises, coin confortable, agréablement décoré de peintures de la classe ou de reproductions. On s’y installe dès l’entrée en classe, après avoir déposé ses affaires. Au début, on n’échappe pas aux bousculades, mais peu à peu, après avoir pris le temps d’évoquer les dysfonctionnements et trouvé des remèdes, tout rentre dans l’ordre.
Se pose également le problème de la prise de parole. Diverses solutions sont possibles : le maitre donne la parole à celui qui la demande en levant la main ; ce peut être également le rôle d’un enfant, responsable du jour ou de la semaine. Pour les petits, on peut utiliser le bâton de parole. Seul celui qui le tient peut parler. La prise de parole différée oblige à plus d’écoute et laisse à chacun le temps de réfléchir avant de parler. Pour éviter que l’entretien ne dure trop longtemps, on peut se fixer des règles : le limiter à une durée précise, n’accepter qu’une ou deux interventions par enfant. Ces règles, une fois acceptées et rodées, doivent laisser place à une certaine souplesse.
Faut-il que ce moment d’entretien soit également un lieu d’apprentissage du bien-parler ? Est-ce vraiment l’endroit ? À vouloir trop bien faire, on risque de tuer la parole. On peut faire reformuler des propos approximatifs ou incompréhensibles, mais est-il utile à longueur d’année de répéter : « On ne dit pas “j’ai été chez ma mamie”, mais “je suis allé”… » ? Par contre, on peut aider les enfants à préciser leur pensée, à utiliser le mot juste. On ne redira jamais assez le rôle important que joue ici le climat de classe.
odilon@odilon.fr
Extrait de l’Odidoc no 6, Si on parlait vrai ? L'oral en classe :