Dossier pédagogique de l’Ecole Moderne n°7

Supplément au numéro 6 du 15 novembre 1964

 

 

Plus de manuels scolaires ! Plus de leçons !

 

C.FREINET

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SOMMAIRE

Le travail scolaire nouveauPlus de manuels scolaires 

Plus de leçons !

Méthode de culture et non méthode de connaissance

  • L’Enseignement de la langue

  • L’histoire

  • La géographie

  • Le calcul

  • Les sciences

Fiches-guides, bandes enseignantes et plans de travail

 

Le travail scolaire nouveau

C. FREINET

C'est sous ce titre de chapitre que nous écrivions, en 1937, dans une brochure BENP (Brochure d'Éducation Nouvelle Populaire) et sous le titre : Plus de leçons, les lignes qui suivent, et que nous donnerons en préface à notre DOSSIER.

Plus de manuels scolaires ! Plus de leçons !

La grande erreur scolastique est, à mon avis, la leçon - et les devoirs qui en découlent. C'est toute la technique de l'école traditionnelle que nous essayons de jeter bas, nous le savons ; c'est tout un passé d'illusions parfois généreuses que nous ne craignons pas de dénoncer. Nous ne ferons pas ici la critique théorique de cette technique. Cela ne manquerait pas d'intérêt mais nous devons, dans ces brochures, parer au plus pressé et envisager sans cesse le côté éminemment pratique de nos considérations.

Nous vous disons alors simplement :

examinez attentivement la technique sans leçons et sans devoirs que nous préconisons pour l'avoir longuement expérimentée déjà. Et puis, prudemment, par paliers, supprimez leçons et devoirs pour une matière, puis pour deux. Vous verrez quel immédiat changement dans votre classe !

Plus de leçons ! Vous n'userez plus votre voix et vos nerfs pour expliquer à des enfants qui n'ont aucune envie de vous écouter, les matières portées au programme et à l'emploi du temps. Vous ne vous énerverez plus à rappeler à l'ordre l'écolier qui parle avec son voisin, fait claquer son plumier ou ne sait rien répondre à votre question brusque et inattendue.

Vous ne ferez plus réciter de résumé par cœur ; vous n'aurez donc plus à punir pour une phrase mal sue. Plus de ces fastidieux devoirs ; donc plus de sanction non plus.

Résultat : repos pour tous et surtout possibilité de créer entre enfants et éducateurs cette intimité, cette fraternité sans lesquelles il ne saurait y avoir de véritable éducation ; cessation automatique de cette hostilité centenaire qui dresse les élèves contre l'instituteur comme l'oppression soulève en permanence les esclaves contre leurs maîtres. La suppression des leçons et des devoirs est une des conditions essentielles à la création dans nos classes de l'atmosphère éducation nouvelle que nous jugeons indispensable.

Et au bout de quelques temps, vous comparerez les résultats pratiques au point de vue acquisition, puisque ce n'est guère que dans ce domaine que la mesure est actuellement possible. Nous vous garantissons un succès au moins équivalent, surtout si l'on tient compte qu'il est possible de faire comprendre aux enfants la nécessité de certaines conquêtes et de les pousser à parvenir d'eux-mêmes à des acquisitions scolaires qui ne s'obtenaient jamais autrefois sans sanctions.

Nous n'avons qu'à nous souvenir combien peu nous avons profité des leçons que nous avons subies et des devoirs sur lesquels nous avons pâli pendant toute notre jeunesse. Nous pensons qu'il n'est pas difficile de faire aussi bien.

Mais nous voulons faire mieux. Pour cela il ne suffit pas de supprimer une technique ; il faut la remplacer par une autre technique qui lui soit supérieure.

Nous croyons y être parvenus.

Comme nous l'avons expliqué dans notre brochure n° 1 (La Technique Freinet l'Imprimerie à l'École est naturellement au centre de notre activité ; c'est sur elle que nous comptons pour animer notre petit monde, pour l'amener à prendre conscience de ses possibilités et à s'extérioriser.

Nous n'insisterons pas ici sur la valeur exceptionnelle, d'ailleurs aujourd'hui indiscutable et indiscutée, de cette technique. Avec les échanges interscolaires qui en sont la conséquence, nous arrivons à motiver souverainement l'écriture, la lecture, la grammaire.

Je m'attacherai plus spécialement à jeter les bases ici d'une technique de travail sans leçon pour ce qui concerne les autres disciplines: l'histoire, la géographie, les sciences, le calcul rapide.

Nous pourrions, certes, comme dans tant d'autres écoles nouvelles, exhiber des travaux montrant comment l'intérêt au travail peut susciter des acquisitions inébranlables dans les diverses disciplines. Mais ce raisonnement ne vaut que pour des écoles peu peuplées, avec, par contre, des éducateurs nombreux, et pour certains enfants. Dans la pratique de nos classes populaires, la technique du seul intérêt s'avère insuffisante. Il y faut d'autres règles.

Ces règles ne seront pas forcément autoritaires. Il y a une disposition de l'esprit de l'enfant qu'on a trop négligée parce que l'école avec ses pratiques l'avait tuée et qu'il nous est parfois difficile de la faire réapparaître.

L'enfant non déformé par l'école, ou à qui nous avons redonné un peu de son bon sens, est foncièrement curieux: curieux en histoire, curieux en géographie, curieux, prodigieusement curieux dans toutes les branches de la science. Le jour où nous aurons trouvé des pratiques de travail qui, au lieu d'émousser cette curiosité, tendent à la satisfaire, le problème sera définitivement résolu : nous n'aurons jamais à forcer l'enfant pour ces acquisitions.

Ce sont ces pratiques donc qu'il nous faut chercher.

Une autre considération d'importance: l'enfant, comme l'adulte, n'a aucun intérêt à un travail dont il ne voit pas le but, parce qu'il n'y en a pour ainsi dire jamais. Pourquoi l'écolier mettrait-il quelque âme à un devoir qui n'est destiné qu'à être sali par l'encre rouge du maître et annoté par lui ?

Nous sommes parvenus à ce que l'enfant qui travaille sente toujours qu'il sert la communauté : lorsqu'il rédige, lorsqu'il compose, lorsqu'il imprime, ce n'est point pour le maître, mais pour ses camarades et ses correspondants. Lorsqu'il étudie une question d'histoire, de sciences ou de géographie, il faut qu'il ait la sensation aussi que son effort va servir ses camarades.

Nous y sommes parvenus par deux moyens: les plans de travail et les conférences.

L'École traditionnelle impose à tous les enfants d'une classe le même travail. Il faut donc que chaque enfant étudie pour lui-même tous les points du programme. Si nous comptions alors ces points du programme et que nous divisions par ce nombre les heures de travail d'un enfant au cours de l'année, nous verrions qu'il ne reste, pour l'étude de chacun d'eux, qu'un nombre infime de minutes - juste de quoi tout parcourir superficiellement, verbalement, sans rien approfondir. Et là est la grande tare de l'École. Et si on veut approfondir, alors on néglige des parties importantes de l'acquisition.

Quel remède trouver à cette situation insoluble ? les Plans de Travail.

L'École habituelle amendée par les enseignements de l'éducation nouvelle, c'est l'anarchie capitaliste où chacun va où le poussent son intérêt individuel et sa fantaisie sans aucune considération d'intérêt général. Parce qu'un groupe financier croit avoir intérêt à construire des automobiles, il se met à construire des automobiles sans considérer s'il ne serait pas plus urgent de construire d'abord des tracteurs.

Pour asservir ces techniques aux nécessités de l'intérêt général, l'URSS a dû établir des Plans de travail soigneusement étudiés qui ont mesuré et délimité l'effort à accomplir et qui ont, du même coup, galvanisé les volontés pour cet accomplissement.

Le même avantage résulte de l'établissement de nos plans scolaires.

Pour chacune des matières habituelles du programme, j'ai établi des plans de travail pour l'année qui comportent pour ainsi dire la liste des sujets susceptibles de valoir une étude approfondie. Cette liste est tout simplement celle des matières du programme. Et ce n'est pas par servilité que nous avons reproduit presque textuellement la liste des matières du programme: elle est, sauf sur certains points, la mise en valeur des connaissances diverses que doivent raisonnablement acquérir les enfants de nos écoles. Et ils parviendront à les acquérir, ils iront même plus loin parfois si, au lieu de les dégoûter de la recherche et de l'effort, nous savons maintenir intacts leur curiosité naturelle et leur besoin tout aussi normal d'acquisition. Car c'est là la pierre de touche de l'école. Nous nous plaignons que les enfants ne veulent rien étudier en histoire, et nous-mêmes avons été souverainement, et parfois pour toujours, hélas ! dégoûtés de l'étude de l'histoire à cause justement de cette méthode scolastique des devoirs et des leçons. Et pourtant le désir de connaître ce qui a été avant nous, ce besoin de savoir comment ont lutté les hommes qui nous ont précédés, n'est-il pas un des plus puissants chez l'enfant ? Et n'est-il pas vrai que si la technique et les matériaux étaient adaptés à cette étude, il n'y a rien qu'on ne pourrait attendre de nos élèves ?

Géographie ! Cette étude, qui se sépare à peine de l'histoire, n'a-t-elle pas pour tous le même attrait, et un bon documentaire cinématographique ne vaut-il pas, même pour les enfants, le meilleur des films d'aventure ?

Sciences, chimie, physique, histoire naturelle ! Là, c'est le drame véritable. A l'école, rien ou presque rien à tirer de cet enseignement et pourtant regardez des enfants en liberté, et non encore totalement déformés par l'école, s'ébattre dans les champs, s'arrêter passionnément devant une jolie pierre, devant un brin d'herbe, devant un animal, devant un insecte! Et les oiseaux, quelle merveille !

L'École n'obtient rien en physique et pourtant tous nos enfants sont aujourd'hui passionnés de mécanique et la plupart d'entre eux y réussissent prématurément mieux que les adultes, malgré l'École. L'électricité ! Discipline aride et rebutante quand l'école l'enseigne. Mais s'il s'agit d'installer l'éclairage du vélo, alors on sait acquérir les notions indispensables et réaliser. Jamais la nature n'avait été si près de livrer ses secrets ; jamais enfants n'avaient eu à leur portée pareille possibilité de pénétrer ces secrets.

Et le jour où l'école aura découvert les techniques qui, au lieu de rebuter l'enfant, lui permettront de partir hardiment à la conquête des connaissances désirées, ce jour-là, nos programmes ne seront jamais trop ambitieux.

Et nous ne disons pas :

- Le programme d'histoire est trop ambitieux. Nous disons : il est mal conçu. On veut donner le premier plan à l'accessoire et on oublie totalement l'essentiel, mais l'enfant n'est pas satisfait de cette étonnante réduction. Il veut connaître la véritable histoire, celle de la vie des hommes, de leur travail, de leurs conquêtes pacifiques. Il en viendra ensuite aussi aux conquêtes guerrières et à cette histoire fascinante des rois, des reines et des ministres, mais il se rendra compte alors du caractère secondaire de cette étude. Mais même dans cet état d'esprit, il sera à même alors d'acquérir intelligemment ce qui ne savait être à ce jour que des mots.

En géographie, nous irons bien plus loin que le contenu réduit de nos manuels. En sciences aussi le programme est un ensemble minimum que nous dépasserons en bien des cas.

Le jour où nos techniques auront été vraiment adaptées aux possibilités enfantines, l'acquisition elle-même se fera à un rythme autrement efficient et nous ferons se rejoindre ainsi les préoccupations majeures des uns et des autres. L'efficience pratique de l'école fera tomber les barrières devant nos techniques nouvelles.

Novembre 1937

Plus de manuels scolaires !

Plus de leçons !

Il y a quarante ans, j’écrivais un livre, qui fut d’ailleurs notre première édition : Plus de manuels scolaires !

C’était alors plus un mot d’ordre qu’une possible réalité immédiate. Les manuels scolaires étaient rois. Ils le sont devenus plus encore, mais notre action nous a valu de réelles conquêtes puisque, pour la première fois dans notre histoire, les Instructions ministérielles reconnaissent, pour certains cours du moins, la nocivité des manuels et la nécessité de les remplacer par une autre technique.

Et les I.M. ont pu émettre aujourd’hui cette opinion parce que la possibilité existe maintenant de remplacer la technique des manuels scolaires et des leçons par une autre technique, celle-là même que nous avons longuement mise au point et rendue possible dans les classes par nos réalisations pédagogiques.

Quand nous avons lancé notre mot d’ordre Plus de manuels scolaires, on a cru que nous partions en guerre contre les livres et que nous préconisions une école où les enfants feraient leurs propres livres, pour lesquels ils se contenteraient de leur propre expérience, manifestée dans leur expression libre. Je sais malheureusement que cette fausse interprétation de nos efforts est loin d’être disparue et que longtemps encore des personnes ignorant totalement notre pédagogie mais intéressées pour diverses raisons, au maintien de l’ordre établi, iront répétant que nous sommes contre l’étude génératrice de connaissances, et contre les livres qui nous apportent l’essentiel de l’expérience humaine passée et présente.

A une technique de travail qui utilise 3, 5, 10 livres-synthèse, trop souvent indigestes, comme toute synthèse, nous substituons une autre technique de travail dans laquelle l’enfant puise son savoir dans des milliers de livres, de fiches, de disques, de bandes magnétiques, sans compter le grand livre de la nature et du milieu social dans lesquels nous puiserons, en définitive nos plus profondes richesses.

C’est cette technique de travail que nous voulons vous exposer pour que vous l’introduisiez le plus tôt possible dans vos classes.

Après avoir fait un rapide procès de la technique des manuels, nous exposerons ce qu’est, ce que peut être dorénavant la technique de remplacement dans laquelle les éducateurs s’engagent et s’engageront immanquablement.

Si nous étions des théoriciens, après avoir opéré ici les démonstrations psychologiques et pédagogiques que nous croyons fécondes, nous vous dirions: Et maintenant, supprimez tous les manuels !

Parce que nous sommes des praticiens, nous vous disons au contraire: Ne supprimez pas  arbitrairement une technique, un outil dont vous vous êtes servis jusqu’à ce jour avec quelque efficience, si vous n’avez pas l’outil et la technique de remplacement. Installez ces outils nouveaux dans votre classe, essayez la technique correspondante. Quand vous en aurez la maîtrise, les manuels deviendront inutiles. Votre révolution sera accomplie.

Plus de leçons !

Manuels scolaires ou Pédagogie moderne ! Ce n’est pas seulement une question de mots ou de mode. C’est tout le comportement pédagogique et psychologique qui est en cause.

- Les Manuels scolaires sont nés - dans leur forme évoluée et presque généralisée actuelle - dans une époque où les enfants avaient en effet tout à apprendre d’un monde qu’ils ignoraient et dont la connaissance était jugée souhaitable.

J’ai vécu, au début du siècle une école sans manuel. Nous avions un livre de lecture, aride et nu, mais aucun manuel ni d’histoire, ni de géographie, ni de sciences ou de leçons de choses. Le maître nous dictait des résumés cueillis dans le journal pédagogique qu’il recevait. Nous copiions ces résumés et nous les récitions. C’était toute notre culture. C’était évidemment maigre et insuffisant.

Si nous en étions encore là, certes, les manuels scolaires actuels seraient pour nous une incomparable richesse. Techniquement, nous n’avions pour nos travaux aux champs et nos déplacements vers les villages voisins que les ânes et les chars à bancs. L’auto du député qui venait au moment des élections, nous apparaissait alors comme un luxe dont nous ne pourrions jamais approcher. Ce n’est donc pas le manuel scolaire en soi que nous critiquons, mais l’usage qu’on en fait. C’est cet usage, bénéfique au début du siècle, qui est aujourd’hui dépassé et qu’il nous faut remplacer.

- Les manuels scolaires étaient donc l’expression d’une forme de classe, d’une forme d’instruction prévue pour des enfants qui n’avaient pas d’autre possibilité de s’instruire, et à qui il fallait tout apporter, bien ou mal, bon gré mal gré.

Le corollaire de cette forme d’instruction, c’est la leçon magistrale : le maître explique, apporte les connaissances qu’il juge utiles et indispensables, il opère les démonstrations nécessaires, puis il dicte ou fait copier des résumés à étudier.

Le manuel scolaire soutient le maître, il permet à l’élève de revoir, d’étudier sa leçon, mais le processus reste le même : on ne fait aucun fond sur l’expérience possible des enfants. C’est l’éducateur seul, aidé par le manuel, qui apporte la connaissance.

La méthode et les buts sont tellement identiques que certains maîtres, surtout au second degré, dictent leurs cours, que les élèves doivent noter au passage pour le reproduire sur leurs cahiers de cours, le manuel faisant alors double emploi et restant parfois même inemployé.

Ou bien le maître se contente de suivre le manuel scolaire, son cours étant celui du manuel. C’est alors le cours qui deviendrait inutile.

Dans certains cas, de plus en plus fréquents, le maître - professeur ou instituteur - prend le manuel pour base, mais essaie d’animer autour, des travaux et des recherches qui sont une amorce vers une pédagogie moderne. D’ailleurs la plupart des manuels scolaires actuels tiennent un large compte de cette tendance progressiste en indiquant, à la suite de leurs leçons des recherches à faire, des enquêtes à exécuter, des expériences à préparer, à tel point que certains manuels peuvent être considérés comme une base valable pour une pédagogie rénovée.

C’est une étape, par laquelle passeront nombre de nos camarades. Il n’en reste pas moins que, par le manuel et la leçon, l’élève écoute et obéit au lieu d’agir et de créer ; que tous les enfants doivent aller au même pas - ce qui est la négation de toute éducation, chacun d’eux ayant nécessairement ses possibilités particulières et son rythme; que chaque élève travaille pour lui, avec son livre, avec lequel il fait ses exercices et que donc cette part éminente, de plus en plus recommandée de travail collectif et en équipe d’expérience et de recherche, n’y a point de place.

Et c’est pourquoi nous disons que les manuels scolaires tels qu’ils sont aujourd’hui sont un frein à une bonne éducation, et que c’est vers une autre forme d’école qu’il faut nous orienter, sans manuels et sans leçons.

Ce qui était valable il y a trente ans ne l’est plus aujourd’hui

Les choses ont totalement changé. Les sources de connaissance se sont multipliées à l’extrême, au point d’en devenir envahissantes: journaux illustrés - pour adultes et pour enfants (la presse pour enfants, vendue à des dizaines de millions d’exemplaires ne manque pas d’être déterminante dans certains processus de connaissance) - radio, cinéma, et aujourd’hui télévision; - voyages (jusqu’à 13 ans je n’avais vu que mon village. A cet âge certains enfants de maintenant ont déjà parcouru le monde).

Pratiquement, nous n’avons plus rien à apprendre à nos élèves, ils ont tout vu et tout entendu. Mais cet excès lui-même se fait aux dépens de la profondeur de ces connaissances. L’enfant ne connaît ni les éléments, ni les causes ni les conséquences de ce qu’il voit. Ce sont comme des pièces d’un puzzle qui viennent s’imbriquer plus ou moins bien sur une nature à laquelle ils n’adhèrent pas, ni ne s’incorporent. C’est comme du gros sel que vous aurez jeté sur une pâte mais qui n’en modifiera ni la consistance, ni la saveur, ni les réactions. Mieux : cet excès de connaissance accaparera une partie des fonctions d’intelligence aux dépens de celles qui naguère influaient sur le comportement et la compréhension des individus.

Nous en sommes à l’ère où un excès de connaissance tend à boucher l’entendement et la culture.

Nous disons qu’au début du siècle, nous avions tout à apprendre et que nous n’avions à notre disposition aucune autre source de connaissance que l’expérience verbale ou matérielle des adultes.

Il en résulte que les méthodes d’instruction, parfaitement valables il y a 40 ans, sont aujourd’hui déficientes et qu’il nous faut maintenant trouver une pédagogie d’intégration, de culture en profondeur qui permettra de s’approprier pour la formation humaine l’acquis superficiel de la civilisation.

Méthode de culture et non méthode de connaissance

La connaissance peut se faire par des leçons et des manuels qui présentent ce qu’il y a lieu de savoir. Approfondir ces connaissances est une tout autre affaire et suppose une autre pédagogie. Nous allons en indiquer les techniques.

1°. - Enseignement de la langue

Nous avons connu un temps où nous devions enseigner des mots, et même imposer le français à des populations dont les patois étaient la langue maternelle. Cela nous a valu des méthodes, des techniques et des manuels pour l’apprentissage de ces mots.

Nous n’avons plus maintenant à enseigner ces mots. De très bonne heure le vocabulaire de l’enfant déborde considérablement ce que nous aurions tendance à considérer comme acquis normal et indispensable. Il en est de même pour les verbes. Oralement, les enfants, dès 4 ans les conjuguent à la perfection, jusque dans leurs subtilités exceptionnelles. Ils savent très tôt employer le conditionnel, le futur ou même le subjonctif. Il nous reste seulement à écrire, et à orthographier normalement ce qui est connu et pratiqué dans les circonstances diverses de la vie.

Il s’agit surtout en l’occurrence de l’initiation aux relations intimes et vivantes des données de l’expression.

Pour cette initiation, le vocabulaire ne suffit plus, ni l’étude de définitions ou les exercices formels. Le travail vivant et motivé devient une nécessité. Dans notre BEM n° 18 19 p. 110-111 nous citons des lettres d’élèves africains qui ont appris, par la méthode scolastique, les mots et les règles de la grammaire française, tout comme ils ont appris la technique de l’écriture. Ils emploient des mots justes, mais avec de telles erreurs dans leurs combinaisons que les textes en sont incompréhensibles.

Nous ne ferons donc pas de l’étude du vocabulaire et de la grammaire la base de nos cours de français. Nous partirons dans tous les domaines de l’expression vivante. C’est à même la vie, dans la nécessité qu’elle nous impose de parler, d’écrire, de correspondre, d’imprimer, de polygraphier, que nous apprendrons à écrire comme nous avons appris à parler en parlant. Le manuel scolaire ne nous sera, en l’occurrence, que d’un piètre secours. Tout au plus pourra-t-il nous servir pour des exercices plus ou moins systématiques de lecture, sur le rendement desquels nous faisons les plus expresses réserves.

Et c’est là, à la technique de la lecture ou des exercices par les manuels que nous nous en prendrons.

Selon cette technique - et sans elle le manuel deviendrait sans utilité - tous les élèves suivent en même temps la leçon de lecture. Le maître donne l’exemple. Puis chaque élève à tour de rôle vient lire quelques lignes ou un paragraphe.

Il en résulte d’interminables répétitions contre l’ennui desquelles le maître doit user d’une infinité d’astuces susceptibles de maintenir l’intérêt. Car, dans la réalité, les enfants, tout comme les adultes, ne supportent pas plus de deux ou trois répétitions. Au-delà on s’évade ou on s’endort. Ce qui signifie qu’à partir de ce moment-là la répétition devient inutile.

Dans la réalité, seul peut être profitable le temps que met l’enfant à lire. Et ce temps n’excédera jamais quelques minutes. D’où le faible rendement de cette pratique.

Nous avons supprimé radicalement toute lecture collective que nous remplaçons par :

1°  Le texte libre et la création littéraire qui donnent vie à l’expression écrite, un sang et une âme aux mots, et qui en modèlent ainsi peu à peu la forme.

C’est toute notre théorie pédagogique qui est à la base de notre méthode naturelle de lecture. C’est en écrivant d’abord, en s’exprimant qu’on apprend à écrire et à lire, la lecture n’étant plus dès lors que l’expression naturelle de la vie.

Nos enfants lisent comme ils parlent, intelligemment. Il suffira parfois d’organiser, comme exploitation du texte libre :

- une chasse aux mots-vocabulaire qui n’a pas pour but d’apprendre des mots, mais seulement de préciser leur structure graphique et leur expression organique;

- de préciser certaines règles de grammaire dont le travail vivant nous aura donné l’intuition.

2°. - La correspondance interscolaire qui nous incite à lire les lettres et les textes de nos correspondants, lecture toujours intimement liée à l’expression et à la communication affectives.

3°. - Les conférences d’enfant, exposées par l’enfant qui a, au préalable, lu livres, revues ou BT pour la documentation, qui a copié ensuite ce qu’il désirait utiliser, et qui a illustré le tout avec des documents puisés dans le fichier ou les fardes où s’entassent tous les extraits de revues collectionnées par enfants et maîtres.

4°. - Occasions multiples de lecture intelligente et muette pour documentation en histoire, géographie, sciences, et lecture pour les exposés dont nous allons parler.

5°. - Nous prévoyons cependant des séances de lecture à haute voix: tous les matins, à la rentrée en classe, 2 ou 3 élèves désignés viennent lire à leurs camarades un texte qu’ils ont soigneusement préparé. Ce texte est la plupart du temps choisi dans les divers manuels de grammaire et français que nous avons dans notre Bibliothèque de Travail, ou dans une Gerbe ou un livre pour enfants. Ce n’est plus alors une lecture-exercice, sans but, mais une lecture destinée à ceux qui écoutent. Ceux-ci ne sont pas obligés d’écouter. Ils dessinent, ce qui leur permet d’entendre ce que dit le lecteur, et si le texte lu est intéressant, et si le lecteur sait en mettre en valeur la beauté, ils dressent la tête et comprennent.

Cette lecture, si même elle n’est que relativement utile à ceux qui écoutent (mais n’en est-il pas de même au cours des lectures traditionnelles ?) est au moins utile à 100% au lecteur.

6°. - Nous recommandons aussi fermement la lecture au magnétophone. Là, chaque hésitation est accentuée, chaque faute est mise en valeur. L’enfant alors se corrige de ses faiblesses. L’habitude d’ailleurs de parler à la radio contribue heureusement à l’expression orale et écrite correcte et rapide.

Avec cet ensemble de techniques, on obtient sûrement des résultats supé rieurs à ceux que permettent les manuels scolaires, les leçons et les exercices.

Mais le prix, diront les instituteurs ?

Les manuels scolaires constituent, en toutes occasions un gaspillage d’argent. Le même livre est acheté en même temps par les trente élèves de la classe, mais la classe en définitive, ne lira qu’un seul livre.

Trouvons une autre technique de travail selon laquelle le matériel sera utilisé rationnellement, sans double emploi. Nous pourrons alors reconsidérer notre budget.

Selon la méthode traditionnelle, il faudrait à chaque élève un livre de lecture et un livre de grammaire, soit environ 20 F par élève et 600 F pour l’ensemble de la classe, tous les ans.

Avec cette somme nous pourrons acquérir, dès la première année, limographe, papier, encre, BT, autres livres de la Bibliothèque de Travail, etc... Selon la méthode traditionnelle, les livres ne servent qu’une année. Selon notre méthode le matériel actuel reste à peu près intégralement. Avec une dépense de 600 F par an, nous aurons au bout de trois ans un matériel utilisable de 1 500 F.

Notre solution est incontestablement plus rentable que la méthode traditionnelle des devoirs et leçons.

Et pourtant, dira-t-on encore, il y a bien des choses qu’il faut enseigner aux enfants. Ils ne peuvent tout inventer.

Disons d’abord qu’on s’illusionne sur l’utilité des règles, des explications et des exercices qui ne sont bien souvent d’aucune utilité. L’enfant peut très bien apprendre à lire et à écrire sans connaître les règles de grammaire (1). Ce n’est que lorsqu’il aura dominé cette technique que nous pourrons lui enseigner d’une façon plus formelle tout ce dont nous lui aurons donné l’intuition.

7°. - La leçon a posteriori : Ceci nous amène à présenter ici un élément important de notre nouvelle pédagogie.

Ce serait une erreur de croire que, parce que nous préconisons l’expression libre de l’enfant, nous nous abstenons systématiquement de rien lui apporter de tout ce qui est l’expérience adulte.

C’est la modalité de cette intervention de l’adulte, de cette « part du maître » qu’il nous faut reconsidérer.

Selon la méthode traditionnelle, la connaissance tombe d’en haut puisque l’élève est censé ne pas même en posséder la virtualité. Mais il en résulte que l’élève n’est pas préparé à recevoir cette connaissance, ce qui rend particulièrement difficile la pratique des leçons.

90 fois sur 100, l’enfant n’a aucune appétence, aucun besoin de connaître ou de goûter ce qui lui est proposé. Il n’a pas soif, et l’on veut le faire boire. Les professeurs peuvent avoir quelque illusion sur la portée de leurs cours et leçons car ils ne se préoccupent d’ordinaire que fort peu de savoir s’il a soif. Alain dirait même que s’il n’a pas soif c’est une raison de plus de le faire boire ; il éduquera ainsi sa volonté. Mais faites vous-mêmes un petit retour sur votre scolarité et vous apprécierez alors avec plus de justesse la portée générale de ces leçons.

La chose est plus délicate au premier degré. L’enfant à qui on impose de boire s’il n’a pas soif, se ferme à toute compréhension. Vous ne parvenez plus à trouver le chemin de son intelligence et c’est l’échec à 80 %.

Nous allons, nous, chercher en l’enfant les éléments de connaissance et de vie qui sont sa permanente richesse ; nous les activons. Et c’est l’enfant alors qui, pour progresser pose des questions que le maître n’a plus qu’à essayer de satisfaire, soit par la documentation offerte, soit par la leçon a posteriori qui, cette fois sera écoutée parce que voulue, et donc intégralement profitable.

Quelle importance pourront prendre ces leçons a posteriori ? Il n’y a pas de limite. Le maître peut offrir tant que les enfants demandent, tant qu’ils ont besoin de s’instruire et de développer leur intelligence et leur jugement.

C’est, comme on le voit un retournement du processus, le retour à cette pratique naturelle que nous plaçons à la base de toute notre pédagogie.

2°. – Histoire

Peut-on facilement supprimer les manuels scolaires d’Histoire ? Par quoi les remplacer ?

S’il y a une discipline pour laquelle les manuels et les leçons sont insuffisants, c’est bien l’Histoire. Un manuel, nous l’avons déjà dit est forcément une synthèse, et l’enfant n’y est pas accessible puisque lui manquent les éléments de cette synthèse. L’enfant n’a pas vécu la période étudiée ; si on ne lui présente pas, d’une façon naturelle ou artificielle ces mêmes éléments, les pages les plus éloquentes des manuels resteront pour lui inutile verbiage.

Il nous serait facile de citer ainsi des pages entières des manuels les plus courants et les mieux faits, auxquels pourtant les enfants ne comprennent à peu près rien, puisque nous-mêmes adultes nous ne les comprenons pas.

- C’est à la base donc, à même la vie qu’il nous faut donner aux enfants le sens historique, le sentiment du recul dans le temps, de la contemporanéité des événements ou de leur distance dans le temps, ce qui permettra d’apprécier et de mieux juger les faits et les événements étudiés.

Si ce travail préalable n’est pas fait avec profit l’enseignement habituel de l’histoire reste sans valeur.

Or, les manuels sont absolument incapables de préparer cette compréhension historique. Ils sont en conséquence d’une inutilité à peu près complète au degré primaire.

Que ferons-nous à la place ?

Il nous faudra justement donner ce sens historique, cette notion de déroulement des événements, montrer comment les hommes vivaient, travaillaient, inventaient et construisaient aux diverses époques. Car rien n’est mieux susceptible que l’évolution des conditions de vie de donner ce sens historique.

Notre méthode naturelle comporte : - l’étude de la vie des hommes aux diverses époques, et ceci non pas en citant des dates mais en montrant des habits, des outils, des ateliers, des écoles, des bijoux, etc...

Cette étude se fera :

- par les enquêtes dans le milieu. Consignées dans des albums qui serviront de base aux conférences d’enfants ;

- par les Histoire de... de la collection BT avec Histoire du pain, Histoire du livre, etc...

- par les maquettes et dioramas, pour lesquels nous avons réalisé des brochures dont les pages sont prêtes à coller sur le contreplaqué à découper dans le fichier documentaire; (Collection Supplément BT).

- par les Bandes de travail sur les divers points à l’étude.

C’est en somme la technique de l’historien qui entre ainsi dans la vie même des personnages, sait les faire vivre, les ressusciter pour une meilleure compréhension du passé, en vue d’un meilleur comportement pour l’avenir.

3°. – Géographie

Nous en dirons tout autant de cette discipline. Le manuel de géographie nous était précieux au début du siècle. Nous ne connaissions alors que fort peu de choses. Certains pays comme l’Afrique et l’Asie restaient mystérieux; les cartes comportaient bien des vides et les photos elles-mêmes étaient rares. Aucune autre publication hors de l’Ecole ne nous apportait les connaissances géographiques élémentaires. Le manuel de géographie était alors une nécessité. Les choses ont totalement changé.

- Les frontières des pays, leur configuration et leurs productions évoluent à un rythme que ne peut pas suivre l’édition. Par contre on trouve une documentation abondante dans toutes les publications: journaux et revues illustrées, statistiques officielles, livres divers, dépliants des syndicats d’initiative. Bien sûr les documents ne sont pas toujours présentés en rapides synthèses. Ces synthèses nous aurons souvent à les faire nous-mêmes, mais il n’est rien de plus éducatif que de telles pratiques.

Nous aurons des graphiques à faire. Parce qu’ils seront notre oeuvre ils seront toujours plus significatifs que ceux qu’on trouve tout prêts dans les manuels et qu’on ne regarde que distraitement.

- Les manuels de géographie ne comportent qu’un nombre très réduit de photos, et souvent d’assez pauvre qualité. Alors que les documents photographiques, de plus ou moins grand format abondent autour de nous.

Nous en avons une grande variété dans notre fichier documentaire d’où nous pouvons les extraire pour les comparer. Si nous étudions les cols, nous n’aurons pas grand recours dans le manuel qui se contentera de nous donner quelques définitions ou résumés. Alors qu’il nous suffit d’aller à notre fichier pour en extraire une trentaine de documents qui constitueront une approche approfondie de cette question.

Au début du siècle nous ne connaissions pas d’autre pays que notre coin de vallée. Nous connaissons maintenant le monde entier par l’image, la radio, la télévision, le cinéma. Nous pouvons donc partir de bases déjà riches pour construire une culture géographique qui ne sera plus verbale mais vivante.

- La correspondance interscolaire et les albums illustrés nous seront un apport précieux pour l’étude en profondeur des divers pays.

Nos correspondants ne se contenteront pas de nous présenter des images; ce sont les détails de leur propre vie qu’ils nous communiqueront. C’est bien là la vraie géographie vivante que nous souhaitons.

- Les bandes magnétiques et les BT sonores nous seront aussi précieuses.

- Les BT enfin nous familiariseront avec les aspects géographiques de France et de l’étranger.

Certes, cette recherche de documents, cette préparation d’albums et ces conférences ne pourront pas se faire au pied levé. Nous aurons nous-mêmes besoin d’y être initiés et soutenus par les fiches-guides et bientôt les bandes enseignantes.

Les manuels de géographie peuvent aujourd’hui disparaître. Nous les remplaçons avantageusement et à meilleur prix.

4°. - Plus de manuels de calcul

Ces manuels comportent d’ordinaire une leçon théorique qui se termine par un résumé ou une définition à apprendre par cœur.

Mais ici aussi, les définitions ne sont qu’une synthèse, et les explications verbales qui y mènent ne sont que superficiellement comprises par les enfants.

Nous préconisons le calcul vivant qui contribue à faire acquérir aux enfants le sens mathématique sans lequel tout progrès sera impossible.

Ces leçons sont suivies dans les manuels d’exercices plus ou moins nombreux. Mais le manuel suppose que tous les élèves d’une classe en sont rigoureusement au même point, et progressent au même rythme, ce qui n’est qu’une vue de l’esprit. En mathématiques notamment, plus encore que pour les autres disciplines, l’échelonnement des élèves est particulièrement marqué. Si on les oblige à faire tous les mêmes devoirs et à étudier les mêmes leçons, on condamne les uns à piétiner, les autres à ne pouvoir suivre, un nombre infime d’élèves du centre étant susceptible de profiter de l’enseignement.

Avec les fichiers autocorrectifs et les bandes enseignantes qui en sont une grosse amélioration technique, les élèves marcheront à leur pas. L’autocorrection les incitera à faire beaucoup plus vite les travaux prévus. Le manuel scolaire n’est absolument plus d’aucun usage. Avec la dépense qu’il entraîne aux écoles et aux familles, nous pouvons acquérir amplement tout le matériel nécessaire.

5°. - Plus de manuels de sciences

La condamnation est aussi radicale et définitive pour ce qui concerne l’enseignement des sciences.

Nous n’avions, de notre temps aucune possibilité d’observation hors du cadre étroit de notre village et aucun moyen de faire des expériences. Les manuels de sciences nous apportaient alors dans ce domaine le maximum de connaissances théoriques. C’était alors un pis aller appréciable mais insuffisant. Il ne suffisait pas d’expliquer les phénomènes pour en tirer les enseignements de synthèse, il fallait vivre ces phénomènes, ce que le manuel négligeait totalement. Il y a quelques améliorations aujourd’hui mais la démarche reste la même: le manuel n’invite qu’accidentellement les enfants à faire eux-mêmes les expériences et à tâtonner pour en tirer les conclusions.

Nous rétablissons l’ordre éducatif : les enfants font des observations et des expériences. Nous commentons et expliquons les résultats obtenus, ce qui constitue l’élément de notre formation scientifique.

Mais qui dirigera les enfants, dans des observations et des expériences pour lesquelles nous ne sommes pas toujours compétents ? Nous sommes parvenus coopérativement à réaliser des fiches-guides, une série de travaux scientifiques expérimentaux et maintenant des bandes enseignantes.

Avec ce matériel, et les bandes-bis que vous préparerez, vous aurez un matériel de sciences qui laissera loin derrière lui tous les manuels.

Pour toutes ces disciplines nous avons mis au point un matériel de travail qui permet désormais à l’instituteur de mener sans manuel et avec efficience les divers enseignements qu’on attend de lui.

(1) Voir ce que nous en disons dans la BEM n° 17, La Méthode naturelle de grammaire (par C. Freinet).

Fiches - guides
bandes enseignantes
et plans de travail

Puisque en cessant les leçons, on cesse tout travail exécuté sur ordre par toute la classe et qu’on s’oriente vers un travail individuel et d’équipe, il faut changer tout l’ordonnancement de la classe. A l’ordre ancien, autoritaire et mécanique, il faut substituer un autre genre d’activité, de gestion et de travail.

C’est cet ordre que nous nous sommes appliqués à réaliser.

Un avantage incontestable du manuel scolaire, c’est qu’il est un guide total qui donne sécurité et bonne conscience. Vous n’avez qu’à tourner les pages. Elles sont même prévues par trimestre, par mois et par journée. Pour chaque page vous avez la leçon toute faite qu’il vous suffira de répéter, le texte à mémoriser, et surtout les devoirs à faire. Le contrôle est facile, et les parents sont satisfaits puisque leur enfant avance pas à pas, page à page, méthodiquement, scientifiquement, leur dit-on parfois.

Il ne faut pas s’étonner si le manuel scolaire conserve à tous les degrés son prestige et son autorité. J’examinais naguère le cartable trop bourré d’une fillette fréquentant un CEG. Elle avait 14 gros cahiers et un nombre important aussi de manuels. Je tombe sur le cahier de sciences et je suis émerveillé: de belles pages, très bien écrites, avec traits en plusieurs couleurs et des dessins soignés. Je suis habitué au travail personnel et j’admirais une si belle réalisation. Hélas ! Le maître fait la leçon dit-elle, et nous, ensuite, nous copions le manuel.

Donc, le manuel est un guide. Le hic ! c’est seulement que c’est un mauvais guide, qui ne nous mène nulle part ou nous conduit dans des impasses. Nous disons trouver mieux, avec un autre guide.

Fiches – guides

S’il faut faire une enquête, une observation, une expérience, il ne vous suffira pas de dire aux enfants: débrouillez-vous ! Ils ne sauront pas où commencer, seront vite à court d’idées, ne trouveront pas seuls les documents dont ils ont besoin et ne pourront donc faire qu’un travail désordonné et insuffisant.

Nous leur préparerons des fiches-guides dans lesquelles nous indiquons tout ce qui peut leur être utile. L’idéal c’est que l’élève, muni de cette fiche-guide qui constitue la part du maître, puisse faire seul le travail demandé.

Nous ne pouvons pas exiger du maître qu’il prépare ainsi toutes les fiches-guides dont sa classe a besoin. C’est un travail à faire coopérativement. Nous avons déjà à notre disposition un bon nombre de fiches-guides dont on trouvera la liste sur les tarifs CEL. Le modèle du genre c’est l’ensemble des Manuels Modernes, recueils de fiches-guides pour toute l’histoire de France.

Un tel travail, pas encore terminé, ne peut être fait d’ailleurs que par les instituteurs eux-mêmes : les pédagogues et les éditeurs de livres voient le problème de haut, mais ils laissent aux praticiens que nous sommes le soin de faire le travail le plus délicat: l’adaptation de leurs généralités aux réalités de chaque classe.

Les bandes enseignantes

Nous avons quelque peu interrompu la préparation et l’édition de ces fiches-guides parce que nous avons mieux aujourd’hui avec nos bandes enseignantes.

Les éléments de ces fiches-guides, nous allons les programmer plus sérieusement, de façon que l’enfant puisse pas à pas, poursuivre la réalisation qu’il s’est proposée. Et ces séquences, nous les inscrivons sur nos bandes enseignantes dont le déroulement dans la boîte facilite le travail.

Le jour où nous aurons ainsi sur bandes un véritable cours d’histoire, de géographie ou de sciences, la classe sera ordonnée, facile et productive à souhait. Nous aurons alors tout à la fois : l’individualisation dans le cadre de la vie communautaire et toutes les indications de détail qui permettent aux enfants de réaliser eux-mêmes. La part du maître se faisant non plus par des interventions plus ou moins saugrenues et autoritaires, mais par des guides soigneusement préparés qui apporteront à toutes les classes des possibilités nouvelles presque idéales.

Le plan de travail

Il y a, dans `toutes les classes quelles qu’elles soient, un plan de travail. C’est l’emploi du temps obligatoire affiché. Un Inspecteur arrive à 8 h 30. Il doit savoir à quoi, selon les prévisions vous êtes occupés. Et pour le détail, il n’a qu’à se reporter à la page du manuel. Là encore les maîtres munis de manuels peuvent avoir la conscience tranquille.

Mais cela n’est possible qu’avec une discipline autoritaire. A l’armée aussi tout est réglé d’avance, parfois à la seconde, mais on ne demande évidemment jamais son avis au soldat qui n’est qu’un chaînon passif de la mécanique.

Tout est réglé encore plus mécaniquement à l’usine moderne où les machines règlent le rythme auquel les ouvriers n’ont qu’à se plier, et c’est cette mécanisation excessive de leur travail qui constitue justement la plus dure des sujétions.

L’ordre et la matière des travaux à l’École traditionnelle sont réglés de même sans qu’il soit tenu le moindre compte des intérêts ou des tendances des individus qui n’ont eux aussi qu’à obéir et à se plier.

I1 y a à cela de graves dangers :

a) la pédagogie actuelle reconnaît enfin, après notre longue expérience, que le rendement de tout travail pédagogique dépend de la part active que peut y prendre l’enfant.

b) A une époque où la masse des connaissances humaines dépasse les possibilités des individus les plus doués, il est indispensable de préparer les enfants à réfléchir par eux-mêmes, à chercher, à se documenter, à choisir, à préparer les éléments de réponses aux problèmes non seulement intellectuels mais aussi techniques et sociaux que leur pose et leur posera la vie.

L’École doit susciter et cultiver ces aptitudes constructives. Elles ne se mobilisent que par l’expérience. Il serait ridicule de penser que l’enfant pourrait un jour y être apte si on a éteint en lui le goût inné qu’il avait de réagir avec intelligence et efficience.

c) Et enfin, puisqu’on aspire de plus en plus à la démocratie il faudrait bien que maîtres et parents prennent conscience que ce n’est pas par l’autorité, la passivité et le dogmatisme qu’on prépare les enfants à être les citoyens de cette démocratie.

Un plan de travail est donc indispensable. Puisque vous ne l’aurez plus dans les manuels que vous éliminerez peu à peu, il faut l’établir autrement.

Ne dites pas : je ne suis pas encore assez avancé dans les techniques de l’École Moderne. Vous n’irez pas loin si, dès le début vous ne mettez pas de l’ordre dans l’organisation de votre travail.

Le modèle de plan de travail que nous préconisons est destiné aux maîtres qui ont déjà passablement modernisé leur classe. Mais les autres peuvent établir un autre modèle de Plan de travail qui sacrifiera encore aux techniques traditionnelles.

Nous vous faisons seulement une recommandation : pour qu’il y ait plan de travail, il faut qu’il y ait possibilité technique de travail. Ne vous contentez pas d’inscrire dans les cases réservées à cet effet des thèmes généraux que l’enfant ne pourra pas aborder efficacement. Entrez dans le détail de la tâche prévue. Si vous chargez un enfant ou une équipe de charrier du gravier et que vous ne leur donnez ni brouette ni pelle, le plan ne pourra pas être rempli et l’enfant ne sera pas satisfait. Nous n’entrons pas plus longuement ici dans le détail de cette technique du Plan de travail pour laquelle nous vous invitons à vous reporter à la BEM 15.

Nous avons voulu surtout, démontrer au cours de ce dossier que, par les techniques de l’École Moderne, vous pouvez maintenant, conformément aux I.M. supprimer progressivement les manuels scolaires, outils désuets que vous remplacerez par les outils et les techniques de l’École d’aujourd’hui et de demain.

C. F.

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