Dossier pédagogique de l’Ecole Moderne n°4

Supplément au numéro 10 du 1er février 1964

L’écriture

Jean Le Gal

Jeannette Martinoli-Debiève

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L’écriture

par Jean Le Gal

Communiquer avec les autres hommes, n’est-ce pas depuis toujours une des préoccupations de l’être humain ?

Dans notre monde moderne, malgré télévision, radio, magnétophone, l’écriture demeure le moyen de communication le plus usité.

Comme en 1923, les Instructions Officielles, nous pouvons encore dire, aujourd’hui, « L’écriture est un outil dont l’enfant ne saurait se passer ».

Pourquoi n’est-elle pas alors l’objet des préoccupations constantes des éducateurs ? Peut-être est-ce la faute des Instructions Officielles qui, en ne voyant dans l’écriture qu’un outil, ont réduit les recherches au domaine technique. La plupart des enseignants considèrent ce problème comme résolu.

Et pourtant...

« L’écriture est un moyen d’expression ; comme le langage, le geste, la démarche, elle caractérise un individu et est sous la dépendance de facteurs qui lui sont personnels : croissance physique et mentale ; morphologie ; intelligence ; affectivité ; tendances, etc... »

(DOTTRENS)

« Dans l’écriture, tout comme dans le dessin libre, se libèrent les tendances profondes de la personnalité de sorte qu’il faut la considérer avec beaucoup d’égard et de vigilance ».

(ALBERT DU JALOU)

Des problèmes nouveaux se posent :
- L’écriture étant le miroir du caractère, faut-il laisser l’enfant écrire comme il veut ?
- Sinon, quels buts devons-nous nous fixer ? Comment devons-nous intervenir ?

FAUT-IL LAISSER L’ENFANT ÉCRIRE COMME IL VEUT ?

« A propos d’écriture, au début, j’étais extrémiste : je croyais qu’on ne devait pas y toucher parce que c’était dangereux pour l’enfant. Mais enfin quand je voyais des mots comme ceci :

il m’a bien fallu réagir et leur donner au moins la calligraphie pour les cahiers de classe et pour eux-mêmes quand ils désirent s’appliquer... »

(LE BOHEC)

Une écriture lisible est nécessaire à l’enfant, en particulier dans nos classes où la correspondance tient une si grande place. Pour que lettres et albums soient présentables, il faut que l’enfant arrive à maîtriser son outil.

QUELS BUTS DEVONS-NOUS ALORS NOUS FIXER ?

« L’école doit apprendre à écrire bien et non pas à écrire vite ».

(DOTTRENS)

« On s’attachera à obtenir dans tous les exercices écrits une écriture correcte, lisible, propre... On essaiera d’obtenir, s’il se peut, une présentation élégante et agréable… »

(Instructions Officielles de 1938 pour CFE)

QU’ENTEND-ON PAR ÉCRITURE CORRECTE ?

- est-ce une écriture conforme aux normes ?

- une écriture avec pleins et déliés ?

- une écriture script ou cursive ?

- une écriture penchée ou droite ?

Mais... quelles normes faudrait-il respecter ? Voici, à titre indicatif, quelques normes d’écriture cursive :

MÉTHODES

HACHETTE

ISTRA

MAGNARD

Majuscules

2 corps au-dessus

2 corps au-dessous du corps d’écriture

1c.1/2 au-dessus

du corps d’écriture

3 corps au-dessus

3 corps au-dessous du corps d’écriture

Lettres à boucles

2 corps au-dessus

2 corps au-dessous du corps d’écriture

1c.1/2 au-dessus

1c.1/2 au dessous

3 corps au-dessus

3 corps au-dessous

t

½ corps au-dessus

1 corps au-dessus

1 corps au-dessus

d

1 corps au-dessus

1c.1/2 au-dessus

2 corps au-dessus

q p

1c.1/2 au dessous

1c.1/2 au dessous

2c.1/2 au-dessous

Que va faire l’éducateur devant cette diversité ?

Il sera obligé de choisir ses normes, ses majuscules, la forme de son écriture (cursive ou script, penchée ou droite).

Encore heureux, si dans la même école, chaque maître ne choisit pas, indépendamment des autres. L’anarchie ici, ne risquerait pas d’être éducative. Aussi, maîtres traditionnels ou non, une entente préalable est indispensable entre tous les enseignants de l’école. Les enfants et les maîtres en seront les bénéficiaires, les uns parce qu’ils n’auront pas besoin de réadaptation, et les autres parce qu’ils n’auront pas à assumer un travail pénible, pour faire changer des habitudes acquises.

FAUT-IL IMPOSER LA MÊME ÉCRITURE A TOUS LES ENFANTS ?

« Vouloir imposer la même écriture à tous les élèves est un non-sens et une impossibilité »

(DOTTRENS)

« Une écriture calligraphique qui reproduit exactement un modèle donné serait un signe inquiétant au-delà de l’âge de 9 à 10 ans. Elle indiquerait que la personnalité de l’enfant ne parvient pas à s’exprimer ».

 (ALBERT DU JALOU)

« Au CP et au CE, l’écolier subit une écriture, celle du maître, c’est bien naturel puisqu’il l’ignore et l’apprend. Mais est-ce que la sienne correspond vraiment aux courbes et assemblages de lignes les mieux adaptés pour être retenus par la main ? On a déploré la disparition de la leçon traditionnelle dans laquelle excellaient nos vieux maîtres...

Nous maintenons que l’abandon de la calligraphie d’antan est au bénéfice de l’orthographe d’usage. II faut dès que possible, laisser à l’écriture une certaine liberté ; liberté ne signifiant pas, bien sûr, barbouillis informes et l’orthographe y gagnera ».

 (Rapport de FERNAND VAEQUEZ SUR « L’orthographe à l’école primaire »

École libératrice).

Imposer la même écriture à tous est donc impossible et néfaste.

L’écriture se personnalise très vite dans nos classes, la libre expression, faisant prendre conscience à l’enfant de lui-même, en est certainement la cause principale.

« Les enfants que je reçois du CP ont souvent une écriture semblable. Au bout d’un trimestre leur écriture s’est personnalisée ».

LILIANE BEILLEVAIRE CE1)

« En début d’année j’ai de jolis cahiers appliqués, propres, puis tout doucement ça se relâche. Car on écrit de plus en plus et naturellement de plus en plus vite. Les élèves propres et soignés restent propres et soignés mais leur écriture devient plus fantaisiste, plus personnelle, moins moulée, est-ce un mal »

(DENISE POISSON CE1)

Mais il faut cependant faire un choix et une écriture moderne simplifiée ne nous étant pas encore offerte, qu’allons-nous choisir, l’écriture cursive ou l’écriture script ? Quel outil adopterons-nous ?
- le porte-plume à plume pointue ?
- le porte-plume à plume à bout, rond ?
- le stylo-bille ?

Les Instructions Officielles préconisent, au CP, l’écriture des minuscules cursives que l’on a l’habitude de réaliser, à l’aide d’un porte-plume à plume pointue, avec pleins et déliés.

Beaucoup d’enseignants suivent, hélas, l’ornière, sans se poser de questions. N’ont-ils pas appris avec ces outils ? Mais s’en servent-ils encore ?

Le stylo-bille rouge n’a-t-il pas souvent remplacé l’encre et le porte-plume pour modèles et annotations ?

D’ailleurs en 1938 ne parle-t-on pas dans les Instructions Officielles du stylographe qui écrit « sans pleins, ni déliés »

Quant à nous, cherchons donc les raisons qui motiveront notre choix : Dottrens qui a expérimenté l’écriture script, pense que « l’apprentissage à 5, 6 ou 7 ans des 26 signes de l’écriture cursive, majuscules et minuscules, auxquels il faut ajouter les 52 signes de l’imprimé, est une impossibilité psychologique, la perception des formes à cet âge, ne permettant pas les distinctions nécessaires. Il faut simplifier au départ le tracé des lettres...

Une étude d’écritures d’adultes prouve que :
- nous lions les lettres toutes les fois que le signe de liaison facilite le tracé du mot ;
- dès que la liaison réclame un mouvement compliqué nous levons la plume et nous continuons un peu plus loin...
10 à 15% seulement ont une tendance naturelle à esquisser des liaisons ».

Ginette Basset, dans le dernier numéro de l’Éducateur du Val-de-Loire fait un excellent compte rendu de quinze années d’expérience avec l’écriture script, au CP. Pourquoi a-t-elle choisi cette écriture ?

« J’avais constaté que les petits arrivant en classe sans avoir (ou si peu) griffonné à la maison, n’essayaient même pas d’écrire et me disaient : (« Je ne sais pas faire » quand il s’agissait d’écriture liée. Avec un modèle script, ils essayaient ».

Quels avantages lui voit-elle ?

« Il semble que la script soit préférable au moins au début parce qu’elle
- présente moins de difficultés ;
- facilite la décomposition ;
- est peut-être plus naturelle ;
- ne présente absolument aucun inconvénient ;
- au contraire prépare une belle écriture, sans difficultés ».

Ginette Basset passe progressivement à l’écriture liée. Elle rencontre quelques difficultés :

« J’ai beaucoup de mal à obtenir que la lettre d’abord (en script) puis la lettre, le mot ou morceau de mot (en liée) soient tracés d’un mouvement lié ».

L’étude de Dottrens sur le problème des liaisons (ci-dessus) explique ces difficultés.

Annette Métivier toujours dans L’Educateur du Val-de-Loire est d’un avis différent :

« Je ne parle pas de l’usage du script antinaturel et antiglobal inventé par des gens qui croient simplifier (bien à tort) l’apprentissage lecture-écriture et surtout aller plus vite. L’enfant qui prend un crayon pour écrire ne fait jamais de lui-même des lettres séparées mais des formes liées »,

Qu’en pense Denise Poisson ?

« Quand j’avais un CP (pédagogie Freinet), au début de l’année je faisais écrire en script, car c’est plus facile, puis très rapidement, au fur et à mesure que je les sentais capables, je les faisais essayer la cursive. D’ailleurs au tableau, j’écrivais toujours les textes dans les deux écritures. J’avais constaté que seules les enfants accusant un retard scolaire, se mettaient difficilement à la cursive, mais elles y parvenaient. »

ET LE CHOIX DE L’OUTIL ?

Porte-plume ou crayon à bille ?

Liliane Beillevaire : Je suis pour le porte-plume à plume pointue ou pour le très bon stylo-bille. J’utilise les porte-plume fonctionnels. Les doigts ne sont pas tachés, les cahiers sont propres.

Denise et Paul Poisson : Les enfants utilisent le porte-plume qu’ils utilisaient au CP et qu’ils utiliseront encore au CE2. Nous autorisons le crayon à bille pour le cahier de textes et le cahier de lettres.

Annette Métivier : J’ai conservé le porte-plume, cet outil de travail désuet parce qu’il est moins onéreux... Nous l’utilisons concurremment au stylo-bille que beaucoup de parents achètent, mais je voudrais trouver la possibilité d’utiliser exclusivement ce dernier.

Malou Bonsignore : Pour le stylo-bille pas de problème : on écrit bien mieux, et avec moins de fatigue qu’avec une plume ; pas de tache, pas d’encriers renversés, pas de pleins ni de déliés... D’eux-mêmes les enfants s’appliquent quand le travail les intéresse et qu’ils veulent avoir un beau cahier.

Le Bohec : Je fais écrire au crayon-bille à 20 c. Ça a bien marché l’hiver, mais l’été l’encre coule.

Michèle Le Guillou : Tout le monde emploie le stylo-bille. Alors pourquoi ne pas aller de l’avant comme dans le reste de nos techniques ?

Une enquête que j’ai faite auprès d’une trentaine de personnes de milieux différents m’a montré que 80% utilisaient le stylo-bille.

Pourquoi ne pas l’adopter en classe ? Que lui reproche-t-on ?

Mlle Gérard : Il est trop souvent encore malpropre.

Gaudin : L’écriture se dégrade très vite et l’absence d’effort incite justement à écrire vite mais très mal. Pour certains j’ai dû carrément l’interdire.

Denise Poisson : J’ai constaté qu’il faut réagir vigoureusement contre une tendance au laisser-aller dès qu’on prend le stylo-bille.

Qu’en pense Dottrens qui a réalisé une expérience remarquable à l’École expérimentale du Mail, de 1930 à 1937? (1)

« L’écriture par pleins et déliés, avec plumes pointues, oblige à une tenue de la plume, de la main et du bras, que nombre d’enfants ne peuvent prendre par suite de leur conformation anatomique.

Conclusion : Il convient de chercher les outils permettant une tenue de plume aisée à chacun. Ce fut une de mes premières décisions : suppression de l’emploi des plumes pointues et leur remplacement par des plumes émoussées. Depuis, l’emploi des stylos à bille a généralisé l’écriture de traction remplaçant l’écriture par pression ».

A la suite de l’article de Dottrens, j’ai adopté dans ma classe (CE1) les plumes à bout rond. Les enfants les ont immédiatement préférées aux plumes pointues. Elles sont d’un usage beaucoup plus aisé. Elles glissent sur le papier sans accrocher et permettent aux enfants perturbés d’avoir une écriture lisible. Mais le problème reste entier car, à leur sortie de l’école les enfants écriront avec le stylo à bille : or, c’est en forgeant qu’on devient forgeron.

(1) R. Dottrens, L’enseignement de l’écriture, nouvelles méthodes, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, Paris 1931.

Pour utiliser exclusivement le styla à bille dans ma classe, il faudrait un accord entre tous les enseignants de l’école ; il est peut-être possible ; mais comment en acheter d’excellente qualité ? D’autre part l’écriture se dégrade, car il est si tentant d’écrire vite !

Une solution : écrire peu et lentement ; mais dans nos classes, l’enfant écrit beaucoup...

« Les choses étant ce qu’elles sont », utiliser concurremment porte-plume et stylo-bille me semble une solution raisonnable dans nos écoles.

Choix difficiles donc, tant pour l’écriture que pour l’outil. Passons à l’enseignement.

Dottrens condamne catégoriquement l’enseignement traditionnel:

« C’est l’enseignement traditionnel qui brime, tout au long de la scolarité, les velléités d’individualisation dans les tracés. C’est un tel enseignement qui est immoral et hypocrite au premier chef puisqu’on ne s’est pas encore aperçu qu’il inculque aux écoliers, à longueur d’années, cette maxime d’une moralité plus que douteuse :

« Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! »

Faites ce que je dis : tenez votre porte-plume comme ceci et non comme cela ; écrivez en reproduisant exactement le modèle de votre cahier ; faites les pleins au bon endroit ; liez toutes vos lettres... Mais ne faites pas ce que je fais, car je tiens mon porte-plume comme il me plaît : j’écris à ma convenance ; vous voyez bien que mon écriture n’a rien de commun avec celle que je vous enseigne. Mais cela, mes enfants, ne vous regarde pas... »

QUELLES LIGNES DIRECTRICES ALLONS-NOUS SUIVRE ?

- ne pas imposer à tous les enfants la même écriture ;
- mais cependant ne pas les laisser écrire comme ils veulent ;
- les aider à acquérir une bonne écriture.

QU’EST-CE QU’UNE BONNE ÉCRITURE ?

« Qu’est-ce qu’une bonne écriture ? En réalité il s’agit d’une écriture lisible et de cahiers propres. Cela peut s’obtenir rapidement. Non pas à grands coups de grosses leçons d’une demi-heure mais à l’aide de petites touches légères et répétées. Il faut proposer des victoires successives et très rapprochées et disposées de telle manière qu’il n’y ait à chaque fois qu’un léger pas à franchir. Aucun enfant n’échappe à ce besoin de monter vers les sommets. Mais cela ne se fait pas à coups de règles sur les doigts crochus, mais par l’adhésion de l’enfant...

Des gosses avaient une écriture épouvantable, elle est belle maintenant. Pourquoi ? Parce qu’ils veulent bien écrire, pour le planning et pour eux-mêmes. Ils sont heureux de trouver le secret : écrire doucement (c’est-à-dire calligraphier)... »

LE BOHEC (CP-CE1)

COMMENT DONNER LE BESOIN DE BIEN ÉCRIRE A L’ENFANT ?

- Par le planning-lancement comme Le Bohec,
- mais aussi par la correspondance et le climat stimulant et aidant de la coopérative.
- Le premier travail du maître est de créer le climat, car de lui dépendra toute l’attitude de l’enfant: un climat de confiance, de joie, d’exigence.

QUE PEUT APPORTER LA CORRESPONDANCE ?

« Les correspondantes sont exigeantes, l’amour-propre très sensible. Peu à peu les liens d’affection avec les lointaines camarades se resserrent. L’application d’abord compétitive devient preuve d’amitié ».

(LILIANE BEILLEVAIRE)

Il faut que l’enfant prenne conscience de ses insuffisances pour pouvoir progresser, les critiques du « petit correspondant » touchent toujours.

Le planning aide alors l’enfant à monter. Voici celui que nous suivons cette année (CE1-CE2).

BREVET D’ÉCRIVAIN:

PRÉSENTER UN CHEF D’ŒUVRE: album, poème ou conférence, bien écrit, bien illustré, présenté avec goût.

10

présenter une copie d’un texte de 10 lignes, sans erreur.

9

Présenter une lettre bien écrite

8

Savoir couper un mot au bout de la ligne

7

Savoir écrire les majuscules

6

Taches et coins de cahier

5

Savoir tirer les traits

4

Savoir écrire les chiffres

3

Lettres de leur grandeur

2

Écrire entre les deux lignes

1

Écrire sur la ligne

Que ne ferait-on pas pour faire honneur à son correspondant ? L’an passé, un enfant hypernerveux, ayant un retard scolaire de deux ans, m’est arrivé au CE2. Cet enfant bégayait et avait une écriture très perturbée. On ne pouvait distinguer les m, n, v, u. Son correspondant lui a demandé d’essayer de mieux écrire. Je lui ai proposé un entraînement. Il a écrit plusieurs pages de lettres, avec courage. Deux mois après, il possédait l’une des plus belles écritures de la classe. Parallèlement, il était devenu plus maître de lui, de sa voix, de son attitude en général. Je pensais que sa victoire acquise en écriture avait été la clé de cette rééquilibration incontestable.

C’est alors que je trouvai confirmation de mon hypothèse dans un article d’Albert du Jalou dont j’ai déjà cité quelques passages :

« La correction de certaines négligences s’impose donc (lettres mal formées, excès en plus ou en moins dans la hauteur des jambages) mais qu’une liberté suffisante reste accordée à l’enfant dans l’allure générale de l’écriture, son rythme, son inclinaison sa pression.

Vous aiderez ainsi l’écriture à s’équilibrer sans se déformer. Et le miracle, c’est qu’en faisant cet effort l’enfant équilibre aussi sa personnalité ; Raymond Trillat, graphothérapeute au centre psycho-pédagogique Claude Bernard l’a démontré.

L’écriture influence finalement le caractère comme le caractère influence l’écriture ».

Confirmation aussi par Charles Baudoin (L’âme enfantine et la psychanalyse, Delachaux-Niestlé, Tome II) qui note à propos de la jeune Klara qui a toujours été première en classe.

Subitement elle se montre apathique et paresseuse, le travail ne rend plus, en même temps l’écriture change, et normalement inclinée à droite jusque-là, elle se raidit et se redresse. Cette métamorphose peut être interprétée comme le résultat d’une curieuse protestation apparentée à la « protestation virile » d’Adler, autrement dit au complexe de Diane...

L’écriture correspondant à une affectivité libre et détendue, est inclinée à droite ; son redressement a toujours semble-t-il, la signification d’un raidissement ou d’un refoulement de la sensibilité. Certes l’interprétation doit être différente si l’enfant a appris, dès le début, l’écriture droite. On sait d’ailleurs que le geste appelle l’attitude intérieure correspondante, et l’on a proposé une graphothérapie, selon laquelle en modifiant volontairement l’écriture, on tend à modifier le caractère. Dans cet esprit on peut songer à refréner une sensibilité désordonnée en redressant une écriture très inclinée ; mais on peut aussi se demander si l’enseignement systématique de l’écriture droite ne comporte pas une répression de la sensibilité, un durcissement artificiel du caractère ».

Il faut donc avancer prudemment dans cet enseignement et motiver au maximum pour obtenir l’adhésion de l’enfant.

« Si nos élèves aiment écrire nous avons déjà fait les trois quarts du chemin...

Il nous faut essayer de nous rapprocher le plus possible de la méthode naturelle, celle de la mère aimante et attentive qui suit pas à pas l’évolution de la vie ».

(JULIETTE MOULINEAU)

Je pense que lorsque la volonté de progrès a pénétré l’enfant, toute aide qui lui est proposée, est accueillie avec plaisir, que ce soit l’éducation du geste de Renée Cherpeau (Tours), ou le mime de mots de Hétier (Bouchemaine).

« Pour les enfants qui ont du mal à monter ou à descendre, à tourner à droite ou à gauche pour faire leurs mots, on pourrait essayer de dessiner avec la main dans l’espace. Puis on essaierait de fixer ce geste en faisant écrire la phrase en grand au tableau noir. Beaucoup d’enfants n’ont-ils pas de peine à écrire parce qu’on leur demande des gestes trop courts, trop petits ? Que penser du papier quadrillé à 6 ans ? Et du crayon sur lequel il faut appuyer ? Les petits Chinois ont un pinceau ».

L’enseignement peut être individuel ou collectif. Le perfectionnement est une affaire individuelle entre l’enfant et l’éducateur. A celui-ci de « donner soif ».

COMMENT CORRIGER DES ÉCRITURES PERTURBÉES ?

« Mais comment faire écrire bien, des instables, des hypernerveux, comme il y en a tant en ville ? »

(DENISE POISSON)

« Les écritures les plus épouvantables sont souvent celles des enfants battus ou traumatisés sur le plan familial. Exemple :

(j’ai été) ».

LE BOHEC

Le problème pour l’éducateur est de trouver la cause qui perturbe le caractère et le comportement de l’enfant. Ce peut être un conflit affectif (voir article de Le Bohec, L’enfant a besoin de réussir. Éducateur n°7 (1963-1964) ou une déficience motrice, car « que se passerait-il si, par la contrainte, maître et parents parvenaient quand même à corriger l’écriture d’un enfant en difficulté ?

La cause des défauts de l’écriture persistant le malaise que traduisaient ces défauts s’exprimerait autrement, l’écriture serait peut-être corrigée, mais l’enfant refuserait de manger ou rongerait ses ongles. Le problème resterait entier ».

(ALBERT DU JALOU)

Pas de contrainte donc mais un climat de confiance, d’entraide, de joie et l’expression libre aidant, nous remettrons peut-être sur leurs pieds nos instables et nos hypernerveux.

Je souhaite que cette synthèse, très insuffisante puisqu’elle n’a pas abordé la graphologie qui nous serait pourtant si utile, soit la preuve que nous devons lutter contre la routine dans tous les domaines, et remettre sans cesse en cause notre enseignement.

Je terminerai par ces quelques lignes de Freinet, écrites à propos de la conférence d’enfant :

« Ce travail, excellemment motivé, suscite un grand intérêt, pour celui qui l’écrit, d’où application dans l’écriture, l’illustration, la présentation et le goût, toutes choses essentielles à la vraie culture que         nous préparons ».

JEAN LE GAL

DOCUMENTS:

- Article de Dottrens (Éducation Nationale du 23-3-1962)
- Article de Albert du Jalou (Femme pratique)
- L’Éducateur du Val-de-Loire
- Bulletin de liaison : classes de perfectionnement
- Instructions Officielles
- Cahier de roulement régional : Paul et Denise Poisson (Tours) ; Le Bohec (Trégastel) ; Émile Thomas (Brest) ; Michèle Le Guillou (Guerlesquin) ; Liliane Beillevaire (Rezé) ; Le Gal (Les Couëts).

MÉTHODE NATURELLE d’ÉCRITURE

à l’école maternelle

par J. Martinoli-Debière

L’écriture est un moyen d’expression, un test, une image de soi-même.

Ouvrir un débat sur l’écriture à une époque où le machinisme est roi, semble une gageure. Alors que téléphone, machine à écrire, sténo, dictaphone, bandes magnétiques paraissent avoir délibérément enterré l’ère des moines copistes, n’est-il pas un peu désuet de se pencher sur l’évolution de l’écriture chez le jeune enfant ?

Par surcroît, les « écrivez mieux ! », « mal écrit », « quelle écriture » qui émaillent de rouge mes devoirs d’écolière, me sont des antécédents bien préjudiciables. Mais nos programmes officiels - avec sagesse peut-être ? - attachent toujours une même importance à la traditionnelle trilogie : « lire, écrire, compter ». Et en fait, il est bien certain que les moyens modernes évoqués plus haut ne sont pas en permanence à notre disposition et le jour où nous devons relever des notes, inscrire un rendez-vous, la date d’une réunion, répondre à un questionnaire et même tout simplement... faire une lettre, ce jour-là nous prenons notre styla à bille et nous écrivons.

L’écriture, malgré les raisons qui motivent sa régression a donc encore sa place dans notre vie moderne.

On sait que l’écriture n’est pas seulement un moyen de communiquer sa pensée : c’est aussi un « test » très révélateur de notre personnalité au même titre que notre démarche, notre voix, notre façon de travailler, nos manies même. Mais cette étude relevant de la compétence du graphologue qui, seul, a qualité pour le faire, je n’ai pas l’intention d’analyser ici ce que l’écriture peut nous découvrir de la personnalité d’autrui. Nous essaierons simplement de voir ce qu’est :

L’ÉCRITURE A L’ÉCOLE MATERNELLE

Il va sans dire que nous considérons le développement de l’écriture sur le même plan que les autres techniques d’expression libre (dessin, langage, peinture, danse...)

A - APPORT DE L’ÉDUCATRICE

1. - Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, je redirai que l’efficience de notre travail étant conditionnée par l’ambiance, le climat de la classe, il est primordial de créer cette atmosphère de confiance sans laquelle aucune réussite n’est pour nous possible.

2 - L’affectivité tient une place très grande dans notre vie : c’est dans la mesure où nous aurons su gagner l’amitié de nos petits, comprendre certains véritables drames de leur existence, et les aider à « en sortir » que nous pourrons travailler en progression constante avec eux.

3 - Notre aide strictement matérielle est importante. Il convient que les crayons soient taillés, les stylos ou les plumes prêts à fonctionner sans accrocs au moment où l’enfant va s’en servir. On l’imagine aisément, lui si malhabile, se rebutant, n’éprouvant aucun plaisir à manœuvrer un outil à moitié détérioré.

a) nous aurons à discuter sur l’efficacité de ces outils.

Beaucoup de nos collègues utilisent le prolétaire crayon gris. Très rares sont celles qui se servent du pinceau. En effet, sans compter la souplesse et la légèreté du poignet qu’il exige, on peut lui reprocher de « n’être pas dans la vie » : personne n’utilise en Europe du XXe siècle le pinceau pour faire sa correspondance.

Autre outil qui a ses chauds partisans, comme ses farouches détracteurs : le stylo-bille. Des progrès techniques ont été réalisés et il est possible de trouver sur le marché actuel, de bons stylo-billes ne se démontant pas, glissant facilement sur le papier (trop au gré de certains) pourvus d’une encre de bonne qualité.

Malgré le drame des encriers renversés, nombreuses sont celles qui s’en tiennent encore au porte-plume. L’écriture étant conditionnée par la forme de la plume, il nous faut donc accorder toute notre attention à cette forme. La plume doit être courte et ne pas accrocher (précisons aussi que la qualité du papier est essentielle).

A nous donc de savoir choisir, dans l’état actuel des choses, l’outil qui nous convient le mieux. Disons cependant que les plumes que l’on trouve dans le commerce ne sont pas pleinement satisfaisantes : ne serait-il pas souhaitable de voir des techniciens s’attacher à leur modernisation ?

b) Les modèles que nous faisons à l’enfant sur sa demande, dans son cahier, seront bien formés, nets, lisibles. Ne craignons pas d’y « passer du temps ». A mon avis, ce n’est pas être ridicule ni rétrograde que de procéder ainsi : l’enfant qui a l’habitude d’être sollicité par une écriture simple et appliquée, n’a pas envie de gribouiller sous le modèle ou du moins, le modèle lui est un appel impérieux pour s’évader bien vite du griffonnage. De plus, c’est lui épargner de la peine : imaginons les efforts de l’enfant à qui nous proposons comme modèle une ou deux lignes de notre écriture courante, de celle que nous réservons à nos amis ou nos parents et qui ressemble avouons-le, à celle de notre médecin. Ces hiéroglyphes sont pour lui autant de signes cabalistiques qu’il risque de déformer plus encore. Nous recueillerons le fruit de la discipline personnelle que nous nous serons imposée (je sais par expérience combien cela me coûte). Avec l’appui d’un modèle d’adulte constamment bien formé, les enfants acquièrent vite et sans efforts une écriture lisible: un handicap de moins pour l’adaptation à l’école primaire.

Le texte que nous portons à la craie au tableau est lui aussi l’objet de nos soins. Cette révélation que l’enfant nous a faite de son aventure ou de son rêve, cette « histoire » qu’il nous a dite comme en confidence et qui tout à l’heure sera magnifiée par l’imprimerie, pourquoi lui accorder moins de soins en la transcrivant au tableau mural ? Les quatre ou cinq lignes du texte ne sont pas malmenées dans un petit coin du tableau, mais couvrent toute sa surface: l’enfant s’y repère facilement (nous mettons trois mots par ligne au maximum et ménageons de larges espaces entre eux).

c )notre aide directe : il arrive qu’au cours de la copie un enfant soit «perdu»: un camarade doué d’un grand sens de l’orientation et qui a déjà terminé son travail, ou bien la maîtresse, l’aideront à retrouver son chemin.

Au début de l’année, c’est très caractéristique : tous les enfants n’ont pas le sens de la copie. La transposition d’un plan vertical (le mur) sur un plan horizontal (la page du cahier) apporte une difficulté supplémentaire et il n’est pas rare de voir des enfants - cependant « Mûrs » pour la copie - copier très anarchiquement un mot de la première ligne (pas nécessairement le premier) puis un ou deux mots de la deuxième ou de la troisième ligne et ainsi de suite, sans aucun ordre ; ou bien encore ils copient une ligne à la fois, mais de droite à gauche et, le fait se vérifie chaque année, ce ne sont pas forcément des gauchers. Il importe de ne pas laisser l’enfant sur cet échec : avec notre aide, un minimum d’expériences lui suffit pour comprendre le mécanisme de la copie.

B - ACQUISITION DU SENS DE L’ÉCRITURE

A deux ans et à trois ans, il n’est certainement pas question d’écriture : les bébés font leurs expériences dans tous les domaines et dans celui-là autant que dans les autres.

Il n’est guère possible de distinguer dans les graphies qu’ils nous apportent triomphalement la part du graphisme dessin de celle du graphisme-écriture.

1. - Le commentaire du dessin libre : de 4 à 6 ans, l’évolution est bien nette. L’enfant nous montre son dessin et nous en donne généreusement le commentaire :
- c’est la maman dans sa maison. Elle fait la vaisselle.
- la dame promène son petit bébé.
- la lune s’en va chercher des fleurs dans le ciel.
- c’est mon papa qui travaille l’usine, y a des camions, des grues et pis aussi le papa de Claudine.
- ça, c’est les petits enfants qui jouent à la ronde.
- le repasseur de ciseaux passe dans la rue avec son cheval qui tire la voiture, etc...

La maîtresse va alors saisir la portée affective du dessin et proposer d’écrire un ou deux mots qui campent la scène. Et nous écrirons : « papa » ou bien « mon papa travaille » ou encore « la lune cherche des fleurs »» (au début, il importe de ne pas le décourager par un texte trop long. Plus tard, qui l’empêche d’écrire toute l’histoire ?)

Parfois, l’enfant refuse : laissons-le ; c’est que pour l’instant, ça ne l’intéresse pas d’écrire. Mais dans la majorité des cas, l’enfant acquiesce avec plaisir, surtout dans nos écoles à trois classes où nous avons le privilège d’avoir pu créer deux classes parallèles de 4 à 6 ans. Les aînés ont dominé la technique et pour les plus jeunes, c’est déjà « être un grand » que de vouloir faire comme eux. D’autres fois - et cela est typique dans les classes de bébés - ils vous apportent un dessin, au-dessous duquel ils ont tracé des graphismes dans le genre de ceci :

J’ai vécu le fait suivant : je demandais à l’enfant, en désignant ces ondulations :
- Et cela, qu’est-ce que c’est ?
- J’ai écrit !
- Et... qu’as-tu écrit ?
- T’as qu’à le lire. Moi j’sais écrire, mais j’sais pas lire !

Ce commentaire du dessin libre, nous lui attachons une telle importance que nous le notons immédiatement sous les yeux de l’enfant, et l’on s’entend déclarer, comme cela est arrivé à une collègue chargée de la classe des bébés :

- C’est pas la peine de l’écrire, j’l’ai écrit, l’histoire.

Tant il est vrai que l’écriture, pour être valable, doit être en liaison constante avec la lecture, ces enfants avaient compris qu’écrire, c’était exprimer sa pensée pour la communiquer aux autres.

2. - Les échanges : cette communication de la pensée, l’enfant la sent d’autant mieux à travers la correspondance interscolaire.

Déjà pour les plus jeunes, l’échange du simple dessin est le premier pas vers cette compréhension. Plus tard, l’enfant aura à cœur de faire une « belle » lettre. On remarquera que ce qui est destiné aux « petits amis » est souvent plus soigné que ce qui est fait habituellement en classe. La motivation est ici capitale: nous n’insisterons jamais assez sur la primauté de la correspondance interscolaire et sur l’importance du bénéfice pédagogique qu’elle entraîne.

3. - La copie : enfin, à l’instar des grands de l’école primaire, nous avons notre cahier - livre de vie manuscrit - où nous consignons les textes copiés d’après le tableau. Les enfants écrivant très grand et très large au début, nous avons trouvé à l’expérience que le format du petit cahier ordinaire ne convenait pas. C’est ce qui nous fait employer des cahiers 21 x 27, format à l’italienne : l’enfant se sent beaucoup plus à l’aise dans ce format, qui ne réduit pas l’univers à un ridicule petit carré blanc, qui est, toutes proportions gardées, la réplique du tableau et qui de plus permet de réserver suffisamment de place pour l’illustration du texte.

Le papier est uni : la présence de lignes apporte effectivement une difficulté inutile tant que l’enfant cherche à asseoir sa technique d’écriture. Édith Lallemand nous signale à ce propos que ses enfants, après le passage au CP, copient très bien le tableau sur cahiers lignés qu’ils ignoraient jusque-là.

Par 1e commentaire du dessin libre, la correspondance interscolaire et le livre de vie, l’acquisition de l’écriture est naturelle, parce que profondément motivée.

C - LE DOSSIER DE JEAN BENOÎT

Je choisis à dessein le dossier d’un enfant d’intelligence moyenne, de milieu familial peu soucieux du développement intellectuel de l’enfant, ayant fait ses expériences très lentement et avec une constante application, petit bonhomme bien tranquille, qui nous est arrivé en classe à l’âge de 3 ans 5 mois. Les premières ébauches de ses expériences révèlent des gribouillis divers où domine, semble-t-il, le souci très louable d’un consciencieux remplissage de la feuille (pl. I p. 15)

Puis, l’enfant qui jusque-là avait tout commenté (il parlait d’ailleurs avec difficulté) commence à qualifier ses graphismes (pl. II p. 15)

Brusquement à partir de février, marqué par les premières flèches en dessin, on distingue l’écriture

des graphismes-bonshommes.

Puis, dominant les gribouillis qui illustrent les dessins, on discerne des lettres (pl. III p. 15)

Il semblerait que l’enfant ait eu quelque velléité de reproduire les lettres formant son nom: jean, que la maîtresse ne lui a jamais proposé comme modèle, mais qu’elle inscrivait sur son papier à seule fin de classement. Jusqu’en mai, nous allons retrouver ces figurations de lettres.

Vient la rentrée de septembre. A ce moment, l’enfant change de classe : il est chez les 4 à 6. L’éducatrice n’est plus la même, mais les techniques de travail demeurent puisque nous travaillons absolument dans le même esprit et toujours en collaboration très étroite.

Premiers dessins: aucun commentaire. La maîtresse demande à l’enfant ce qu’il veut écrire: il propose son nom (pl. IV p. 15)

Les dessins libres gardent toujours des témoignages d’écriture que nous qualifions de naturelle.

avec peut-être des commentaires :

et des essais de signatures (?) très fortement soulignées :

Sur son cahier, le modèle écrit par la maîtresse a été choisi par l’enfant quelquefois parmi les histoires portées au tableau et qui vont être imprimées (pl. V p. 16).

Puis, une période de régression qui va durer presque un mois, une chute que nous identifions aux périodes d’enfouissement signalées et vérifiées par Freinet dans l’évolution du dessin libre.

Vers la fin janvier, disparition des graphismes bouclés au bénéfice du nom de l’enfant. Jean possède dans son tiroir une étiquette portant son nom et dont il s’inspire pour signer son travail. Ici, comme à l’accoutumée, l’enfant avait choisi d’écrire un mot du texte qui était le suivant.

aujourd’hui
bernard a 5 ans
c’est presque un homme
maintenant

Il voulait écrire bernard. Docilement, la maîtresse a tracé le modèle et quand elle est revenue voir le travail, jean avait copié le tableau directement. Soulignons une fois de plus le rôle de l’affectivité, les deux enfants étaient très amis, jean appelait Bernard son frère. La petite étincelle de l’amitié avait suffi pour conduire l’enfant sur le chemin du dépassement.

A partir de cette date, la maîtresse a trouvé inutile de faire un modèle et le travail était parfait, toujours (pl. VI p. 16).

Le fait se vérifie assez fréquemment. Cette année, j’avais limité le travail d’une enfant avec un modèle de deux lignes d’un texte : elle a fidèlement copié ce que j’avais écrit, puis tout de suite, a enchaîné avec le reste qu’elle copiait directement d’après le tableau. A ce moment-là, j’ai cessé de lui procurer tout modèle personnel.

On pourrait nous objecter alors qu’il est inutile de faire dès le début un modèle à l’enfant, puisqu’en définitive, il parvient à la copie directe. Mais je pense que cette façon de procéder, outre qu’elle hâte la progression, donne à l’enfant très vite le sentiment de la réussite et nous savons combien cette réussite est nécessaire à son épanouissement.

En conclusion:

QUELLE ECRITURE EMPLOYER ?

C’est un fait bien établi: il faut que notre écriture soit en accord avec notre vie moderne.

Or, l’anglaise, dite cursive, qui nous arrive tout droit... du XVIIIe siècle, avec ses pleins et ses déliés, semble être très en marge de notre époque, où rapidité, et partant économie des efforts, font la loi. Le script, uniquement basé sur des courbes et des droites convient bien à notre temps, épris de sobriété. Mais, bien qu’apparaissent parfois (sous quelles influences d’ailleurs : universalité de l’imprimé ? famille ? affiches ?) dans les essais d’écriture, des ronds et des bâtons non reliés entre eux, il semble à l’examen des documents en notre possession qu’il ne soit pas naturel à l’enfant de hacher ainsi: crayon en main, le jeune enfant trace des lignes ondulées, donc liées.

Freinet nous a mis en garde contre l’écriture script, dont cependant les qualités sont indéniables, mais dont l’emploi systématique aurait des résonances psychologiques sur le caractère de l’enfant. Je cite le témoignage de Mme Miconnet qui, ayant longtemps pratiqué le script intégral, a remarqué une libération dans l’expression écrite (texte libre) de ses enfants, dès l’emploi du script lié.

Nous avons donc admis d’employer un script lié qui, bien que moins facile que le script intégral, permet tout de même à l’enfant de triompher assez rapidement des difficultés.

Sur la base de cette écriture naturelle, il y aurait lieu de :

a) Vérifier sur des centaines de documents ce que quelques maîtresses ont constaté : il existe un parallélisme étonnant entre l’évolution de l’écriture et l’expérience en dessin libre (tâtonnements, flèches, enfouissements, répétition de la graphie réussie).

b) Rechercher comment l’enfant triomphe des difficultés. Nous devrions pouvoir analyser la façon dont il forme les lettres: nous savons déjà qu’il n’a aucune orthodoxie quant à leur déroulement (il dessine en général les a et les o de gauche à droite, les boucles en trois ou quatre temps, quant aux s!...)

c) Enfin, en liaison avec nos camarades primaires, nous pourrions :

1. Voir si les enfants qui n’ont pas une bonne orthographe ne sont pas justement ceux pour qui on a séparé l’écriture de la vie, c’est-à-dire, ceux pour qui s’est établie une liaison défectueuse entre l’écriture et la lecture.

2. Étudier les caractères de l’écriture chez les enfants qui ont beaucoup souffert du point de vue affectif, dans le but d’en tirer des conclusions valables (pour éventuellement une meilleure connaissance d’enfants qui n’exprimeraient pas leurs conflits par le dessin ou le langage).

3. Je ferais volontiers un cas particulier pour l’étude des remèdes à apporter à la mauvaise écriture des gauchers intégraux, contrariés avant leur arrivée chez nous.

4. L’écriture « étant la science des ânes » une question se pose : dans quelle mesure une belle écriture, bien moulée claire et lisible, est-elle une preuve d’intelligence ? (cas d’enfants possédant une très jolie écriture, mais absolument nuls en lecture : on me cite plusieurs cas dans un C.P.)

Le programme est certainement audacieux... sinon téméraire, mais peut-être voudrez-vous nous aider ?

Jeannette Martinoli-Debiève

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