Les activités personnelles

dans la classe coopérative

Documents de l’éducateur n°189

Supplément au n°9 de mai 86

Recherches – Expression

des praticiens de l’école moderne pédagogie Freinet


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La pratique de la pédagogie Freinet, si elle s’appuie sur des principes de base, ceux que Freinet appelait les invariants, n’est pas régie par un dogme. De même, si elle se veut résolument matérialiste, elle ne saurait être réduite à un recueil de recettes.

Elle est en permanence, et de façon dialectique, action et recherche, recherche et action, somme de recherches et d’actions individuelles (de personnes ou de petits groupes) versées dans ce creuset de recherche-action collective qu’est le Mouvement de l’école moderne.

La pratique de la pédagogie Freinet conduit des milliers d’éducateurs à explorer des domaines très divers, tant pour ouvrir de nouvelles pistes que pour mener plus loin des pistes déjà bien pratiquées. Aussi arrive-t-il que les voies des uns ou des autres divergent en apparence ou aboutissent provisoirement à des pratiques très différentes. C’est alors que la confrontation est nécessaire, dans un esprit coopératif et le plus objectivement possible.

Les Documents de l’Educateur ont pour but de permettre cette confrontation, en permettant la communication des travaux d’une personne ou d’un groupe de personnes à tous ceux qui vivent de près ou de loin la vie du Mouvement qu’à poursuivre sa recherche, ce qui est déjà beaucoup. 

Lorsqu’on nous demande : « Quelle est la ligne de votre Mouvement ? », nous devrions répondre : « Nous sommes le mouvement qui déplace les lignes ».



SOMMAIRE

Avant‑propos

Introduction

I.                    Organisation coopérative du travail et classe coopérative en pédagogie Freinet
II.                 Qu'est-ce que les activités personnelles ?
III.               De quoi l'enfant a-t-il besoin pour organiser son travail ?
IV.              Le cadre de mon expérience
a) Qu'est-ce qu'une classe de perfectionnement ?
b) Ma classe

Chapitre I : Le plan de travail

Introduction
I.                    Origines, histoire du plan de travail, références
II.                Histoire de notre plan de travail depuis 1977
A. 1977-1978
a) Comment s'élabore notre plan de travail ?
b) Le choix des activités
c)L'évolution du plan
B. Années scolaires 1978-1979 et 1979-1980
C. Année scolaire 1980‑1981
Conclusion partielle :
Bilan des quatre années d'expérience

Chapitre II : L'entraide ou l'aide mutuelle
Introduction
   I. Comment fonctionne l'entraide dans la classe ?
A.     L'aide de l'animateur de jour
B.     L'aide des responsables d'ateliers
C.     L'entraide entre les membres du groupe

Chapitre III : L'animateur de jour
Introduction
I.                    Histoire de l'animateur de jour
II.                 Histoire dans notre classe
III.               Le rôle de l'animateur de jour
IV.              Le conseil-bilan du soir
Conclusion partielle

Chapitre IV : L'évaluation
A.     L'évaluation est nécessaire
B.     Quel type d'évaluation, alors ?
C.     Les outils d'évaluation : brevets ou échelles de niveaux
Conclusion partielle

Chapitre V : La place du maître dans les activités personnelles
Introduction
I.                    Droit du maître aux activités personnelles
II.                 Le rôle du maître pendant les activités personnelles

Conclusion partielle

Conclusion générale

Bibliographie



Les activités personnelles dans la classe coopérative

par Jean-Paul Boyer

Outils, techniques et institutions

pour aider l'enfant à prendre en charge et à auto-organiser ses activités.

AVANT-PROPOS

Instituteur, pratiquant la pédagogie Freinet dans une classe de perfectionnement (1), l'un de mes objectifs majeurs, dans ma classe, est d'amener chaque enfant à la capacité de prendre en charge ses activités personnelles en se passant progressivement de mon aide.

Différents facteurs influent positivement ou négativement sur l'évolution de cette prise en charge individuelle des activités personnelles, mais je centrerai mon étude sur les différents outils, techniques et institutions que nous mettons en place dans la classe pour aider a cette prise en charge.

Dans un premier temps, je tenterai de cerner l'histoire et l’évolution de ces outils, techniques et institutions. Ensuite, je les reprendrai un par un, pour vérifier leur influence sur les différents facteurs qui interviennent dans la prise en charge.

J’étudierai plus particulièrement :

• le plan de travail,

• l'entraide,

• l'animateur de jour,

• l'évaluation, les échelles de niveaux.

Cette recherche se situe dans le cadre général d'une classe coopérative (2), dont les activités sont décidées et organisées par le conseil, institution fondamentale de maîtrise par le groupe de sa vie à l'école C'est un lieu de parole, d'échange, de décisions, c'est l'élément moteur qui permet à la coopérative de fonctionner, c'est par lui que s'exerce le pouvoir.

Le conseil a :

- une valeur organisatrice, c'est le lieu essentiel des prises de décisions concernant l'organisation du travail, la programmation des diverses activités ;

- une valeur thérapeutique, c'est le lieu d'expression des conflits, ou l'on discute des relations, de la place de chacun, ce qui a pour effet de réguler les comportements et de libérer les inhibitions ;

- une valeur instituante, c'est un lieu ou sont discutées et établies les diverses lois de fonctionnement.

Le conseil peut également avoir une valeur d'analyse institutionnelle, dans la mesure où il permet au groupe de prendre conscience de la place qu'il occupe dans l'Institution et des effets que cela implique sur son propre fonctionnement.

Il peut exister plusieurs types de conseils : conseil-bilan, conseil d'organisation, conseil de conflits, conseils occasionnels... Dans notre classe, un conseil-bilan a lieu tous les soirs durant une demi-heure ; le samedi, nous organisons le conseil-bilan de semaine, dans lequel nous faisons le point des diverses activités, nous établissons des projets. Le lundi matin, c'est le conseil d'organisation, ou nous établissons la grille collective pour la semaine.

Ce conseil, que j'anime moi-même en début d'année, est ensuite anime par les enfants, chacun à son tour.

(1) Voir page 4.

(2) Voir page 2.


INTRODUCTION

Ce document a été réalisé dans le cadre du G.A.F.R.A. (Groupe Autogéré de formation à la recherche action) de Nantes en liaison avec un travail à l'Université du Mans et je remercie ici Jean Le Gal et les camarades du GAFRA pour les encouragements et l'aide apportés pour faire aboutir ce travail.

Ce dossier ne prétend pas faire le tour de tous les problèmes concernant l'individualisation du travail et la prise en charge par l'enfant de ses activités personnelles dans la classe coopérative.

C'est un sujet trop complexe et qu'il convient d'approfondir. Il s'agit ici de parler d'une pratique (la mienne), tenter d’analyser cette pratique pour mieux comprendre et mieux agir.

Je souhaite que ce travail soit une porte qui s'ouvre, qui ouvre la voie à d'autres travaux de recherches et de réflexions, qu'il permette des échanges, des confrontations sur la pratique que l'on met en place pour aider l'enfant à construire, à organiser et prendre en charge ses apprentissages.

Alors ? la parole aux lecteurs ?

Le 19 mars 1986

Jean-Paul Boyer

 

 

L'organisation des activités personnelles, comme l'organisation générale dans la classe coopérative, est un système très complexe sur lequel nous avons constamment à réfléchir afin qu'il serve au mieux les objectifs que nous définissons.

Une organisation du travail est nécessaire pour garantir la libre activité de chacun, pour permettre à chacun d'accéder progressivement à une plus grande autonomie par une prise en charge de sa vie et de son travail. C'est là, l'un de mes objectifs majeurs.

La réflexion est nécessaire aussi car nous savons que tout système très organisé peut produire des effets contraires aux objectifs que nous poursuivons ; ceci doit attirer notre vigilance afin qu'une organisation trop poussée ne devienne pas un outil d'aliénation. A l'inverse, les mêmes effets peuvent se produire dans un système inorganisé dans lequel on laisserait les enfants se débrouiller.

L'enfant ne peut seul, sans aucun outil ou aide, du jour au lendemain « prendre en charge ses activités ». Ce n'est qu'à travers un long tâtonnement et de nombreux apprentissages qu'il pourra y accéder, par la création d'outils, de techniques, d'institutions qui aideront l'enfant, par une organisation coopérative du travail.

I. Qu'entendons-nous par « organisation coopérative du travail » ? Qu'est-ce que la classe coopérative en pédagogie Freinet ?

Nous parlons aussi d'autogestion pédagogique, il s'agit d'un système éducatif dans lequel les enseignés prennent en charge leur propre formation et la vie du groupe auquel ils participent. Ce n'est plus le maître seul qui décide, son rôle est d'amener chacun vers une plus grande autonomie, par l'apprentissage du sens des responsabilités et 'de la coopération avec les autres.

L'autonomie est un objectif essentiel dans la classe coopérative, il s'agit de permettre à l'enfant d'apprendre à gérer ses propres activités sans être sous la dépendance constante des autres, à établir des projets personnels et les mener à terme, mais également de lui permettre d'être capable de participer à notre vie collective, de participer aux prises de décisions, à l'organisation des activités,, etc. Être autonome, c'est être capable de réagir contre la soumission, cela exige une attitude active, et non une attitude passive... Ceci, très brièvement défini, s'inscrit dans un projet de société dont seront exclus tous les rapports de hiérarchie et de domination et où l'on pourra enfin permettre à chacun de prendre en charge ses propres affaires, par la coopération. Il s'agit d'aider à naître un homme nouveau que l'on pourrait appeler « homme coopératif ».... c'est une notion bien vague et bien floue encore, qui repose essentiellement sur des hypothèses. Nous savons que l'école ne changera pas seule les choses, mais qu'elle y contribuera en mettant aujourd'hui en pratique les bases d'une autre éducation.

Développer l'autonomie de l'individu, ne signifie pas l'enfermer dans une attitude individualiste pour la seule gestion de ses activités, cela doit au contraire permettre à chacun d'avancer vers une coopération plus grande, la coopération étant elle-même un outil pour accéder à plus d'autonomie.

La classe coopérative se caractérise par un ensemble d'activités diversifiées qui fonctionnent grâce à une organisation minutieuse et des institutions multiples. Certains ont pu la comparer à une ruche ou une fourmilière. Jean Le Gal la définit comme « un système complexe cohérent en création permanente » (1).

Il s'agit de créer un milieu de vie, un milieu vivant, où chacun pourra faire les expériences nécessaires au développement de sa personnalité, pour un épanouissement réel de chaque individu par des savoir faire et des savoir être.

Créer ce milieu, c'est d'abord permettre que des activités existent et se développent :

-          activités d'apprentissages (manuelles, intellectuelles, physiques, esthétiques ... ) ;
-          information, documentation, recherche ;
-          expression (peinture, texte, théâtre, musique ... ) ;
-          communication (entretiens, correspondance, etc.).

C'est, en même temps, permettre que ces activités soient gérées par l'ensemble du groupe maître-élèves, et c'est peut-être là un point essentiel qui caractérise la classe coopérative. Gérer les activités, mais aussi les relations, nécessite une organisation minutieuse du temps, de l'espace, des responsabilités, par des institutions comme les conseils (2), les responsables (animateur de jour, animateurs d'ateliers), par la création d'outils, de techniques qui permettront à chacun de se repérer parmi toutes ces activités, d'évaluer son travail, de savoir où il en est.

L'entraide, ou l'aide mutuelle, est un élément fondamental en même temps qu'une valeur essentielle qui caractérise la classe coopérative en pédagogie Freinet, elle va à l'encontre de la compétition et de la réussite individuelle qui caractérisent le système scolaire classique basé sur l'élitisme.

Dans la classe coopérative, il y a, en général, trois formes d'activités :

- activités collectives ;
- activités par équipes, par groupes de travail ;
- activités personnelles.

C'est autour de cette dernière forme d'activités, plus précisément la gestion des activités personnelles, que sera centré mon thème de travail.

Gérer ses activités nécessite l'utilisation d'outils, de techniques et d'institutions. Il me faudra donc montrer comment ils influent favorablement sur les différents facteurs qui interviennent dans ce que j'appelle « prise en charge » (temps, espace..., etc.) et en quoi ils font évoluer le degré d'autonomie.

(1) Jean Le Gal, La classe coopérative en pédagogie Freinet, Actes de la semaine, U.C.I.

(2) Conseils, cf. page 1.

 

II Qu'est-ce que les activités personnelles ?

 

Les activités personnelles sont les activités propres à chacun, elles sont organisées par l'enfant lui-même au moment de la prévision de son travail sur son plan, alors que les activités collectives sont décidées et organisées par le conseil.

C'est un moment important de la vie de la classe (deux à trois heures par jour), il recouvre :

- des activités d'apprentissages (autour du lire, écrire, compter) ;
- des activités graphiques, picturales (texte libre, journal... ) ;
- des activités de recherche (documentation, expérimentations...)
- de la correspondance ;
- un temps d'ateliers (menuiserie, bricolages...) fixé à part à cause du bruit ;

C'est un moment vital, car un groupe qui ne fonctionnerait que sur des projets collectifs sans permettre à ses membres de satisfaire à des activités personnelles, me semblerait étouffant, contraignant. C'est à une harmonisation entre activités personnelles et activités collectives que nous devons tendre, pour garantir une libre évolution des individus.

Ces activités personnelles interfèrent d'ailleurs naturellement avec les activités collectives : le projet d'un enfant peut entraîner un travail au niveau du groupe (présentation d'un exposé, d'une recherche, d'un texte... un travail à décision collective (lettre, fresque, enquête...) nécessite souvent que chacun y apporte sa part personnelle - une répartition du travail se fait alors entre tous pour faire avancer le projet commun.

L'organisation des activités personnelles revient à l'enfant lui-même, chacun prévoit sur son plan de travail (1), ce qu'il a à faire ; la décision de l'activité dépend :

- de l'enfant lui-même ;
- du conseil qui peut décider des activités obligatoires, dans le cas d'un projet commun à faire avancer : chacun assume sa part ;
- du maître : si je décide rarement (2) je suis un stimulateur au moins pour les activités d'apprentissages de certains enfants. J'exerce donc des contraintes pour que chacun accède au lire, écrire, compter, qui sont parmi mes objectifs majeurs.

A travers cette présentation de ce que j'entends par classe coopérative et activités personnelles, je voudrais aussi montrer la relation qui existe entre deux aspects importants : la socialisation et la personnalisation.

L'individualisation de l'enseignement, la personnalisation des apprentissages, ont toujours été les principes premiers de la pédagogie Freinet. Tout enfant est unique, chacun a un rythme de travail propre, un bagage linguistique et culturel différent. Notre souci essentiel a toujours été de revendiquer le droit à la différence, le respect des identités culturelles personnelles :

« ... Nous voulons organiser l'éducation dans le respect de la diversité, non en soumettant les enfants à des modèles préétablis, mais en les acceptant tels qu ils sont et en les aidant à l'approfondissement de leur personnalité. » (3).

Les manuels scolaires vont à l'encontre d'une telle conception de l'éducation, c'est pourquoi, au sein du mouvement Freinet, nous avons cherché à créer des outils adaptés, utilisables par tous les enfants et capables de respecter les rythmes de chacun, de favoriser les tâtonnements, en individualisant les apprentissages. Ces outils (fichiers autocorrectifs, livrets programmés, etc.) sont édités et diffusés par notre coopérative : la Coopérative de l'enseignement laïc.

En individualisant l'enseignement, notre objectif est aussi de rendre l'enfant responsable de son travail, afin qu'il devienne l'agent principal de sa propre formation. Personnaliser les apprentissages est un terme peut-être plus précis encore, il s'agit d'apprentissages propres à chacun, adaptés aux besoins et aux capacités.

(1) Cf. chapitre consacré au plan de travail, p. 5 à 10.
(2) Cf. chapitre consacré à la part du maître, p. 20 à 22.
(3) Collectif I.C.E.M. pédagogie Freinet : Perspectives de l'éducation populaire ‑ Petite collection Maspéro, p. 88.

Rendre l'enfant responsable de son travail, c'est lui permettre de programmer, d'organiser ses activités personnelles. C'est pourquoi le temps que nous y consacrons chaque jour est important, c'est un champ d'expérimentation qui favorise les divers apprentissages et tâtonnements.

III. Mais de quoi l'enfant a-t-il besoin pour organiser son travail ?

Un certain nombre de points que j'ai relevés, sont à observer :

·         Être capable d'utiliser un plan de travail :

- Prévoir ses activités.

- Réaliser les activités prévues.

- Se souvenir de ses activités.

MAIS AVANT TOUT :

- Connaître les activités possibles et savoir les lire.

- Prévoir, réaliser, se souvenir, c'est le rôle du plan de travail. Mais avant cela, il faut déjà connaître les activités possibles et savoir lire son plan. Certains enfants en sont à ce stade, ils ne peuvent remplir seuls leur plan.

·         Être capable de travailler dans la classe dans un minimum de calme, sans se déplacer sans arrêt. Maintenir une certaine attention dans ses activités.

·         Savoir concilier entraide et réalisation de son travail.

·         Parvenir à une certaine stabilité dans son travail. Certains commencent une activité, puis arrêtent, reprennent autre chose...

·         Savoir où l'on en est dans ses apprentissages, savoir utiliser les différents plannings, brevets ou échelles de niveaux. Être capable d'utiliser l'autocorrection dans les fichiers et cahiers autocorrectifs.

·         Être capable de réguler son comportement, d'admettre l'animateur de jour. C'est là d'ailleurs un point pas du tout évident, d'admettre quelqu'un investi d'un pouvoir d'animation, d'application des lois. C'est source parfois de conflits ou de règlements de comptes.

·         Être capable d'animer les activités, d'accepter les lois communes.

·         Être capable de travailler seul durant un certain temps, accepter l'isolement.

·         Être capable de travailler au sein d'un groupe ou d'une équipe.

·         Accepter que le maître ne soit pas toujours disponible parce qu'il doit aider chacun ou parce qu'il peut avoir aussi droit à des activités personnelles.

En personnalisant les activités, il ne s'agit pas d'isoler l'enfant, ce serait l'enfermer dans une attitude individualiste. Je l'ai dit précédemment, les activités personnelles ne sont pas coupées des autres activités de la classe, il y a un va et vient, une interaction constante entre le collectif et l'individuel. L'autre aspect majeur de la classe coopérative est la socialisation : en donnant le droit à chacun de prévoir, d'organiser ses activités, nous lui permettons d'exister en tant que personne capable d'assumer ses responsabilités ; la vie coopérative, par le climat d'échanges et d'écoute qu'elle doit permettre, favorise pour chacun la prise de conscience qu'il appartient à un groupe social et aide, en cela, à une meilleure socialisation.

IV. Le cadre de mon expérience

a) Qu'est-ce qu'une classe de perfectionnement ?

La classe de perfectionnement est une classe spécialisée, annexée à un groupe scolaire. Elle se définit par la catégorie d'élèves qu'elle reçoit, par son effectif limité et par son personnel enseignant. C'est la loi du 15 avril 1909 qui institue pour la première fois les classes de perfectionnement, afin de trouver une solution pour les enfants en échecs scolaires, (les « retardataires », les « arriérés »...). « Sur la demande des communes et des départements, peuvent être créées, pour les enfants arriérés des deux sexes, des classes de perfectionnement annexées aux écoles élémentaires publiques. »

Il faudra attendre les circulaires du 15 juin et 21 septembre 1965, pour rendre obligatoire la création de classes spéciales en les imposant dans des groupes scolaires neufs.

L'organisation pédagogique des classes de perfectionnement, fixée par les arrêtés et Instructions ministérielles des 18 et 25 août 1909, n'a été modifiée véritablement que par l'arrêté du 12 août 1964.

Ces classes deviennent alors des classes pour « enfants débiles », la débilité se définissant par « un retard intellectuel », une « attention qui s'éveille avec lenteur », une « personnalité fragile », « un sentiment d'insécurité ».

L'effectif est limité à quinze élèves, recrutés sur la base d'un test psychologique, type Binet Simon, qui évalue le quotient intellectuel : « Les enfants débiles, relevant des classes de perfectionnement, doivent avoir un quotient intellectuel situé entre 50 et 75, aux tests verbaux type Binet Simon. »

Les maîtres qui enseignent dans les classes de perfectionnement doivent, en principe, être titulaires du C.A.E.I. (Certificat d'aptitude à l'éducation des enfants inadaptés).

Les programmes et méthodes d'enseignements redéfinis par la circulaire du 12 août 1964, préconisent deux périodes :

- la période des initiations,

- la période des acquisitions scolaires.

La période des pré-apprentissages professionnels (S.E.S.) sera créée par les circulaires ministérielles des 21 septembre 1965 et 2 mars 1966. La circulaire du 12 août 1964 préconise aussi un enseignement individualisé : « ... on laissera toujours les élèves progresser selon un rythme correspondant à leurs possibilités. » Elle recommande également des techniques comme le « texte libre », « l'imprimerie », « le journal scolaire », « la correspondance »... On retrouve là les techniques de la pédagogie Freinet que j'ai toujours utilisées dans ma classe.

Il faut dire enfin que ces classes de perfectionnement sont vivement contestées depuis une dizaine d'années. En effet, elles conduisent le plus souvent à la mise en place de véritables ghettos dans lesquels on a placé tous les enfants « difficiles », « gêneurs », « retardés »... Ainsi, on ne prend plus en compte l'échec scolaire, mais on s'en débarrasse, on assiste à une véritable marginalisation d'une population d'enfants ; c'est d'ailleurs la même population qui se trouve marginalisée dans la vie sociale : les enfants des classes de perfectionnement sont issus des familles les plus défavorisées socialement et économiquement. Mais supprimer les classes de perfectionnement dans le contexte actuel, c'est déplacer le problème, il faudrait revoir l'ensemble du système éducatif. La classe de perfectionnement constitue un pis aller, alors nous essayons plutôt d'utiliser sa structure pour essayer d'offrir le maximum de chances aux enfants des travailleurs.

Enfin, l'orientation en classe de perfectionnement sur la base d'un quotient intellectuel a été vivement contestée. On sait maintenant que ce Q.I. a une valeur très relative et qu'il n'est pas constant :

- « Le Q.I. est fonction de l'origine de classe. Le Q.I. n'est pas constant. Il varie pour un même individu d'année en année, selon les conditions sociales d'existence. Il varie même sans que les conditions sociales d'existence ne changent. » (1) C'est en Loire-Atlantique, en 1974, sur une initiative de Jean Le Gal, qu'a démarre ce mouvement de contestation. Il a ensuite été repris par la Commission nationale de l'Éducation spécialisée du mouvement Freinet. Depuis, certaines commissions d'orientation ne se basent plus uniquement sur le Q.I., mais en fonction du niveau scolaire réel.

b) Ma classe

Une classe de perfectionnement donc, située dans la banlieue de Nantes, dans un quartier de H.L.M. : le château de Rezé. Elle recrute des enfants de ce quartier mais aussi de communes rurales voisines. C'est une classe de grand niveau, les enfants ont de dix à douze ans, voire treize ans pour certains. Je les garde un an ou deux, parfois trois ans. Ils viennent soit de la classe de perfectionnement petit niveau, située à l'école voisine, soit des classes primaires. Le groupe scolaire est divisé en deux écoles de chacune sept classes plus quatre classes spécialisées (deux classes d'adaptation et deux de perfectionnement). Le quartier du château de Rezé est constitué d'une population assez mouvante, à majorité ouvrière, les déménagements y sont nombreux, c'est surtout une « zone de passage ». Ma classe comprend une forte population d'enfants de travailleurs en chômage et dont les conditions socioéconomiques sont très dures, certains enfants se trouvent ainsi très perturbés par un milieu familial souvent très défaillant par suite de la situation sociale.

J'enseigne dans cette classe depuis septembre 1977.

(1) Le quotient intellectuel, Michel Tort, p. 21 Cahiers libres 266-267 (Maspéro).


CHAPITRE I

LE PLAN DE TRAVAIL

INTRODUCTION

L'organisation du travail, l'organisation des activités, tant au niveau collectif qu'au niveau individuel, est nécessaire, c'est la condition pour que les projets de chacun puissent se réaliser, c'est une garantie du travail dans la liberté; bien

sûr, il faut rester vigilant : toute organisation peut devenir aliénante, tout système peut devenir bureaucratique, il faut que cette organisation soit au service du travail, au service des projets, qu'elle garantisse la liberté des individus, qu'elle soit au service de l'accès pour chacun à une plus grande autonomie pour une meilleure prise en charge de ses projets.

C'est là tout le sens qu'il nous faut donner au plan de travail, ce qui implique qu'il ne soit pas immuable, qu'on puisse le remettre en cause et le faire évoluer afin qu'il serve toujours mieux les objectifs définis.

I. Origines, histoire du plan de travail, références

L'idée de plan est apparue au début du XXe siècle, en même temps que l'individualisation de l'enseignement. Le plan Dalton remet en cause les notions de programme et d'emploi du temps :

« La méthode Dalton détruit sans pitié l'emploi du temps qui est une véritable malédiction pour l'enfant. L’abolition de l'emploi du temps est, en réalité, le premier pas vers la libération de l'élève. » (Cité par Pistrak dans « Problèmes fondamentaux de l'école du travail », p.121.) Pistrak lui-même reprendra cette idée de plan pour condamner les programmes officiels des années 1920, dans l'école soviétique au début de la révolution. « ... Nos écoles ne peuvent pas vivre et travailler d'après une formule uniforme et étroite, elles ne doivent pas être coulées dans le même moule, chacune doit tenir compte des conditions spéciales dans lesquelles elle est obligée de travailler.. » (1) Ainsi, si l'institution centrale détermine la « ligne générale », les buts principaux de l'éducation, il faudra. laisser le soin à chaque école d'organiser ses programmes, son travail, en fonction des activités et conditions de vie locale. Chaque école devra organiser et prévoir ses « plans de vie » ou « plans de travail pour toute l'année scolaire ». L'autonomie de chacune devra être préservée par les programmes. « ... Pour le moins, il leur faudra tenir compte de l'auto- organisation des élèves. » (1)

Freinet introduira lui aussi le plan de travail dans sa classe et en fera véritablement un outil au service de l'auto-organisation du travail par les élèves, un travail motivé par la vie. Il ne conçoit pas de plan de travail sans participation réelle des enfants. On distingue plusieurs sortes de plans :

-plan annuel
-plan général,
-plan hebdomadaire,
-plan quotidien.

Ils peuvent être collectifs ou individuels. Le plan collectif est mis en place par le conseil de coopérative. Il détermine la place et la durée des activités collectives et individuelles, programme les divers projets. Le plan de travail individuel concerne l'activité personnelle de l'enfant, l'activité inscrite pouvant être proposée par l'enfant, par le groupe-classe au conseil, par le maître.

Ce plan est un outil de prévision et de mémoire des activités. Dans cette étude, nous parlerons uniquement de ce plan. Cet outil peut être proposé par le maître ou élaboré par les enfants à partir de tâtonnements divers dans l'organisation de leurs activités. Ce n'est pas un outil figé, il est évolutif, il s'affine pour devenir fonctionnel et pour permettre à chacun de faire le bilan de ses travaux : savoir ce qu'il a fait et ce qu'il lui reste à faire.

Le plan fait intervenir la notion de projet et la notion de contrat. Élaborer son travail, c'est faire des projets qu'il faudra réaliser, le plan aide donc l'enfant à se repérer et apparaît comme un contrat qu'il se passe à lui-même ou qu'il passe au groupe.

« Plus la classe va tendre vers une forme autogérée, plus le plan de travail sera perçu par l'enfant comme un outil, c'est-à-dire une aide pour la mise en place de son projet, pour se situer lui-même en permanence et se référer, si besoin est, à la planification générale de la classe. Il apparaît donc comme une technique indispensable à la mise en place d'une pédagogie basée sur l'auto-organisation du travail, et cela dès l'école élémentaire. » (2)

Voyons donc maintenant comment le plan de travail personnel est apparu dans notre classe, et comment il a évolué tout au long de ces quatre années.

(1) Pistrak : Les problèmes fondamentaux de l'école du travail, p. 95 et 96.
(2) J. Baud : Dossier collectif sur l'autogestion à l'école (document diffusé par souscription), réalisé par le G.F.R. de Caen (Groupe de formation à la recherche).

II. Histoire de notre plan de travail depuis 1977

A – 1977-1978

a) Comment s'élabore notre plan de travail ?

Les activités personnelles sont apparues dans la classe dès le premier jour de la rentrée. Je laisse les enfants se débrouiller au niveau du choix pendant quelques jours, ainsi qu'au niveau de l'organisation. Le 20 septembre, je distribue à chacun une feuille blanche sur laquelle je demande qu'il inscrive les activités qu'il prévoit de faire pour la journée. Chacun organise sa feuille comme il veut. Cette feuille, nous l'appellerons « plan de travail personnel ». Je laisse les enfants tâtonner.

Certains remplissent leur feuille horizontalement, jour après jour ; d'autres commencent par tracer des colonnes, verticalement, pour deux ou trois jours, puis pour la semaine.

Mais le choix se fait toujours pour la journée. Au bout d'un mois, presque tous sont parvenus à concevoir la grille de la semaine soit horizontalement, soit verticalement. Aucun n'a prévu de découpage par demi-journée.

Les activités sont notées dans les colonnes. Le 17 octobre, je demande : « Que pensez-vous de notre plan personnel ? »

Dominique :C'est bien, ça ressemble à notre feuille d'idées !
Patrick : C'est pas pratique car on perd la feuille, on devrait avoir un cahier ou une feuille de classeur !
Sandra : Moi je trouve qu'un cahier, ce serait bien !
Moi : On pourrait utiliser la feuille de classeur sur laquelle j'aurais polycopié la grille de la semaine !

Les enfants ne sont pas d'accord avec cette dernière proposition ; c'est le cahier qui est retenu et chacun continuera à organiser sa grille comme il veut.

Observations sur l'évolution du plan :

22 octobre : Pascal a terminé ses activités prévues, il prépare sa grille avec colonnes pour la semaine prochaine.
24 octobre : Patrick prépare sa grille en faisant apparaître les après‑midi.
Lundi 7 novembre : Patrick prépare sa grille en faisant apparaître des cases.
10 novembre : Dominique prévoit sa grille pour la semaine prochaine, en préparant des cases. Franck souligne les activités qu'il a terminées, pour s'en souvenir.
Lundi 14 novembre : Discussion sur le plan de travail.
Nathalie : C'est pratique, il faudrait garder le cahier tout le temps !
Pascal : Il faudrait bien écrire dessus et ne pas faire de taches !
Franck :On pourrait le décorer !
Jacques : Il faudrait préparer la grille chez soi, pour ne pas perdre de temps !
Dominique : On pourrait prévoir son travail pour la journée, chez nous !

Tout le monde n'est pas d'accord ; on décide de continuer, chacun faisant comme il préfère. Le matin, Dominique prévoit son travail pour la semaine entière.

Je note à travers cette petite discussion que certains commencent à prendre conscience du temps que l'on passe à construire notre grille ; en effet, il faut chaque semaine refaire une grille et noter tous les jours les activités prévues. C'est un travail long et fastidieux, surtout pour ceux qui ont des difficultés pour écrire.

Mon objectif est de les amener à découvrir et construire un plan plus efficace, plus rapide à utiliser et utilisable par tout le monde.

LUNDI

MARDI

JEUDI

VENDREDI

SAMEDI

fiche C5

Opérations

Fiche C6

Lettre au

correspondant

Pesée

 

Fiche C5

Monnaie

Fiche C7

Dessin

Exposé

Opérations

Brevet de

l'heure

Pesée

Texte

 

Sur le chat

Lecture

     

Nous avons continué ces plans de travail ainsi, jusqu'au 30 janvier.

Semaine du 17      au 22 octobre                                PLAN DE TRAVAIL

LUNDI

MARDI

JEUDI

VENDREDI

SAMEDI

Lecture

Calcul

Opération

Lecture

Textes libres

Copier la

lettre des

correspondants

Opérations

Calcul

Lecture

Ateliers

Monnaie

Opérations

Calcul

Lecture

Monnaie

Divisions

Concert

Opérations

Texte à recopier

Bande de calcul 5

Calcul :

Opération

Lecture

Recopier

l'exercice

de calcul

   

b) Le choix des activités

Pouvoir choisir le plus librement possible est un objectif à atteindre pour l'enfant, s'il veut parvenir à organiser seul ses activités (nous en reparlerons plus loin). Être capable de choisir, c'est un apprentissage difficile qui fait appel à diverses motivations, conscientes ou inconscientes, et dans lesquelles le désir du maître est présent et interfère sans arrêt. Choisir son activité sur ce temps d'activités personnelles, c'est souvent choisir entre le plaisir et la réalité.

Début février, je propose que nous réfléchissions ensemble à toutes les activités possibles durant le temps de travail personnel, afin d'aider ceux qui ont des difficultés à choisir (ce que je note depuis le début janvier).

J'écris sur une grande feuille tout ce qu’on va trouver, puis on classera, les activités. Voici ci-contre cette liste d'activités possibles que nous avons établie, je l'afficherai dans la classe, ce sera un outil de référence pour établir le plan de travail.

En activités personnelles je peux faire :

Lire :

des fiches         sur place
un livre
un texte
une poésie        à la bibliothèque
un journal

Écrire :

un texte libre,
une lettre
une histoire
une poésie
un conte

Dessiner :
                       encre
projet de dessin                        crayon
                                   feutres
                       pastels, etc

Journal :

Imprimer
polycopier

Français :

Bandes
fiches de grammaire

Calcul :

cahiers d'opérations
fiches de problèmes
apprendre l'heure
peser
mesurer
compter la monnaie

Exposés, albums.

Cette liste nous a également permis de prendre conscience des activités qui n'étaient pas possibles durant ce temps d'activités personnelles. Nous le faisions depuis le début de l'année, mais pas d'une manière explicite, claire, il y avait bien un temps pour les activités personnelles et un temps pour les ateliers, mais ce qu'on y faisait n'avait pas été discuté vraiment. Cette fois, les choses sont dites, les ateliers sont réservés aux activités plus bruyantes, tandis que les activités personnelles le sont pour les activités calmes. Le choix est restreint certes, mais nous sommes obligés de tenir compte de plusieurs facteurs :

- une classe voisine avec qui, d'ailleurs, on a des temps communs d'ateliers ;

- la nécessité d'un certain calme pour travailler et, par exemple, avec l'atelier menuiserie qui fonctionne, c'est pas évident ;

- ma disponibilité : devant un éventail d'activités aussi large, je suis beaucoup moins disponible pour aider : si je suis à l'atelier poterie, les mains dans la terre et que l'on m'appelle à l'imprimerie et si je dois aussi aider à lire, je passerai les trois quarts du temps à me laver les mains !

 

c) L'évolution du plan : des outils individuels à un outil commun

A partir de cette liste d'activités affichée, le plan va évoluer très vite, je n'ai pas retrouvé dans mes notes toute la part du tâtonnement des enfants, ce que je sais, c'est que ma part a été importante pour que les choses évoluent assez vite, pour aboutir à un plan qui soit un outil d'aide, le plus efficace possible, et surtout que ce plan permette de gagner du temps dans l'organisation du travail, tant la prévision des activités jusqu'ici était longue.

Régulièrement, j'insistais pour que le plan soit un outil de prévision de ces activités, mais aussi qu'il serve d'outil-mémoire pour le souvenir des activités commencées, pas commencées.

A chacun de trouver le système le mieux adapté. Certains soulignent, d'autres mettent des croix, etc., puis apparaissent des cases sur le plan de travail, dans lesquelles l'enfant indique ce qui est fait, pas fait...

Vers le mois de février 1978, je demande que l'on essaie, à partir de nos découvertes, de construire une grille commune qui serve chaque semaine, sans que nous ayons à la refaire chaque lundi ; je demande donc qu'elle soit :

- pratique, facile à utiliser
- qu'elle nous fasse gagner du temps
- qu'elle permette de prévoir ses activités, de s'en souvenir, de savoir ce qu'on peut faire.

Nous reprendrons finalement la liste des activités possibles, c'est à partir de là que nous ferons le nouveau plan, nous avons ajouté la partie bilan pour aider au souvenir des activités. Dans la construction de la grille, ma part a été importante (quand je dis nous, ce sont les enfants et moi), j'ai aidé au classement des activités, à la disposition, etc. Ce plan sera polycopié, chaque feuille étant collée sur le cahier de plan au début, puis mise dans un classeur par la suite. Nous l'utiliserons jusqu'en juin (voir page 8).

B - ANNÉE SCOLAIRE 1978-1979 ET ANNÉE SCOLAIRE 1979-1980

En début d'année, nous recherchons ensemble les activités qu'on aimerait faire, les activités possibles. Je n'ai pas enlevé la liste affichée l'année précédente, on s'y réfère et on la transforme plus ou moins. Pour le plan personnel, chacun a une feuille blanche pour noter ses activités, les anciens peuvent reprendre l'ancien plan mais ne le font pas. Ce n'est que progressivement, vers la fin du premier trimestre, que le plan de l'année précédente sera réintroduit par des anciens, en janvier nous l'utiliserons tous, la partie bilan étant supprimée, je ne sais pourquoi. Des systèmes de croix sont trouvés par chaque enfant pour se souvenir. A partir du mois de mars 1978 et jusqu'en juin, nous décidons d'abandonner les activités personnelles et les ateliers, pour transformer ces moments en activités libres ; ce sera en fait un fonctionnement en ateliers permanents pendant lesquels ateliers menuiserie et lecture, poterie, théâtre, etc. fonctionneront simultanément. L'organisation ne sera pas facile vu le nombre d'activités possibles : le plan de travail sera modifié en conséquence (voir ci-contre) pour qu'il fasse apparaître toutes les possibilités.

L'année suivante, nous reviendrons à l'ancienne organisation (bruit, disponibilité pour aider).

En fait, ces deux années, le plan va évoluer de manière identique, réutilisé chaque fois par les anciens ; quelques activités changeront, mais la grille sera la même.

 

Le premier trimestre sera un trimestre de tâtonnement pour chacun, les anciens recommençant à zéro, les nouveaux se débrouillant, essayant de comprendre et de s'initier, le résultat étant pour les anciens un retour en arrière par rapport à leur point d'arrivée en juin précédent. Je les obligeais ainsi à refaire chaque année un tâtonnement déjà effectué.

C'est une question difficile que je me suis posée longtemps, faut-il freiner les anciens et laisser tâtonner les nouveaux comme les anciens l'avaient fait ? Faut-il repartir de l'acquis des anciens en initiant les nouveaux ?

Dans le premier cas, il y a une perte de temps non négligeable pour ceux qui sont anciens, dans le second cas, ce sont les nouveaux qui font moins de tâtonnements. Mais je me suis aperçu que nous pouvions faire des économies de tâtonnements, et, quand on a cherché et découvert des outils qui fonctionnent, qui sont efficaces, obliger à retrouver un outil semblable, c'est perdre du temps. Il serait préférable au contraire de continuer et que l'apport des nouveaux et des anciens fassent avancer l'outil.

Bien sûr, cela change l'optique de la classe, dans le premier cas, la rentrée de septembre, c'est la naissance d'un groupe nouveau. Dans le second cas, c'est un groupe qui continue à vivre, avec des anciens qui initient les nouveaux.

C - ANNÉE SCOLAIRE 1980-1981

A la rentrée de septembre, je propose donc aux anciens de reprendre leur ancien plan du mois de juin et d'initier les nouveaux à son utilisation. Nous reprenons les mêmes activités, quelques-unes sont ajoutées. Tout ce trimestre sera un trimestre d'initiation au plan de travail.

En juin 1980, nous avons un plan fonctionnel utilisé par tous et qui permet bien à chacun de se repérer dans ses activités, la grille faisant apparaître :

- en horizontal, les jours de la semaine

- en vertical, les activités possibles avec en face de chacune, un numéro d'ordre qu'il suffit de reporter dans la case du jour, en face de l'activité choisie. Ce numéro est ensuite reporté en bas de page dans une case « commencé » ou « pas commencé ».

Dans le courant de ce premier trimestre, nous aurons rajouté « mettre une croix dans la case quand l'activité est terminée » et modifié quelques activités.

CONCLUSION : Bilan de ces quatre années d'expérience

Je crois que si nous avons passé beaucoup de temps à la construction de l'outil, il reste à faire maintenant bien des choses pour apprendre à s'en servir tout en continuant à le modifier pour l'adapter au mieux à nos besoins. La période d'initiation de ce début d'année est fondamentale, et si je veux vérifier que notre nouvelle stratégie nous fait « gagner du temps », il va me falloir faire des observations précises pour voir en quoi le plan est efficace et aide rapidement l'enfant à auto‑organiser ses activités, comment l'enfant opère des choix et utilise son plan, ce qu'il fait durant les activités personnelles, comment les anciens aident les nouveaux, etc.

 

NOTRE CLASSE

Nous sommes une classe coopérative. Nous organisons les activités que nous proposons en conseil,le samedi matin; nous décidons aussi des lois, par exemple, ne pas cracher sur les autres, ne pas se bagarrer, avoir le droit de rester seul dans la classe sans le maître, à condition de ne pas déranger les autres.

Nous avons une caisse de coopérative pour acheter ce dont on a besoin. Nous avons chacun des responsabilités. Nous avons plusieurs ateliers :

Menuiserie, Scie électrique, Filicoupeur, Imprimerie,

Pyrograveur, Mécanique, Expériences et Découvertes,

Dans chaque atelier, il y a des responsables.

Quand nous voulons faire une promenade, nous demandons au conseil, nous en discutons et on fait les comptes pour voir si on a assez d'argent.

Nous sommes des grands, nous essayons de nous organiser nous mêmes, et le maître nous aide à faire notre travail.

Celui qui sait quelque chose aide celui qui ne ait pas.


Chapitre II

L'ENTRAIDE OU L'AIDE MUTUELLE

INTRODUCTION

J'ai toujours proposé l'aide mutuelle dans la classe, au nom de deux principes :

- le partage du savoir (chacun fait profiter l'autre de çe qu'il sait, tout en s'enrichissant de ce que l'autre sait) ;

- la reconnaissance du droit à la différence (chacun a des compétences différentes - accepter l'autre, c'est lui reconnaître le droit d'être différent).

Par l'aide mutuelle, j'ai le désir de promouvoir non pas la réussite individuelle, mais la réussite collective. Certes, chacun avance aussi personnellement, à son rythme, mais cela s'inscrit dans la vie du groupe. On félicite celui qui progresse mais on ne se moque pas de celui qui est en panne, on va essayer de l'aider.

En fait, il faut gravir la pente tous ensemble pour en atteindre le sommet. Il faut que chacun aille le plus loin possible, ce n'est pas « être le premier » notre objectif. Donc, il faut s'entraider pour que chacun monte le plus haut possible.

I Comment fonctionne l'entraide dans la classe ?

Le principe d'aide mutuelle est admis, nous en avons parlé au Conseil, il y a trois formes d'entraide :

- l'aide de l'animateur de jour,

- l'aide des responsables d'ateliers,

- l'entraide entre les membres du groupe.

A - L'AIDE DE L'ANIMATEUR DE JOUR (1)

Outre les fonctions d'animation et d'organisation (donner la parole, déroulement des diverses activités, dire l'heure, etc.), il est chargé d'aider les autres durant les moments d'activités personnelles.

Durant ce temps (une heure trente par jour), il circule dans la classe et répond à des demandes d'aide ponctuelle, il note sur le cahier d'animateur qui il a aidé. Quand l'animateur ne sait pas, ne peut pas répondre à une demande d'aide, il m'appelle ou il invite son camarade à venir me voir.

Pour permettre de répondre plus facilement aux demandes, nous avons décidé que chacun s'inscrirait au tableau quand il a besoin d'aide. Quand personne n'a besoin d'aide, l'animateur peut faire une activité personnelle, à condition qu'il pense à circuler pour répondre rapidement à des demandes d'aide et veiller au bon déroulement des activités.

(1) Voir page 14 : l'animateur de jour.

B - L'AIDE DES RESPONSABLES D'ATELIERS

Institutionnellement, les responsables' d'ateliers ne sont pas chargés d'aider, ils veillent au bon déroulement du travail en atelier et au rangement. Mais dans la pratique, je m'aperçois que souvent les responsables d'ateliers (peinture, filicoupeur, menuiserie) sont amenés à aider, donner un conseil à celui qui ne sait pas. L'aide se fait naturellement et celui qui ne sait pas va voir le responsable d'atelier. Au cours de cette année scolaire 1980‑1981, nous avons changé un peu le rôle et la fonction des responsables, du moins, nous les avons précisés.

Jusqu'ici, les responsables d'ateliers étaient changés tous les quinze jours, ils avaient le droit de rester deux fois seulement dans le même atelier. Les changements intervenaient donc très souvent, il y avait la bousculade pour les ateliers plaisants, et peu de monde pour les ateliers « corvées ». Ceci nous a amenés à faire une distinction entre les responsabilités d'ateliers et ces « corvées » qui sont en fait des services : balayage, nettoyage du tableau, etc.

Nous avons donc redéfini le rôle des responsables d'ateliers, en instituant un rôle d'aide (en plus de celui de veiller au bon fonctionnement, au rangement...). J'ai donc posé le problème de la compétence, pour l'imprimerie par exemple, allions-nous choisir quelqu'un qui ne sait pas imprimer ? Pour l'atelier fiches, la question avait déjà été posée lorsqu'on avait choisi Anita qui ne connaissait pas la numération, elle n'était pas capable de vérifier la classification.

Mais tout le monde n'est pas compétent pour tout, ainsi on a eu des ateliers qui avaient des responsables compétents et des ateliers qui avaient des responsables « incompétents » qui voulaient bien apprendre.

Désormais, pour le changement d'ateliers, on ne pose plus la question : « Qui veut être responsable de... ? », mais on demande : « Qui est capable d'être responsable de.... et veut prendre la responsabilité ? » On demande l'avis du conseil sur cette notion de « être capable ». Nous changeons les responsables tous les deux mois environ, pour permettre une meilleure initiation. Notons enfin que chacun peut accéder à une compétence, puisque l'ancien responsable d'un atelier doit montrer au nouveau. Une nuance est apparue qu'il serait intéressant d'approfondir, devenir responsable d'atelier est gratifiant, car c'est se faire reconnaître une compétence.

C - L'ENTRAIDE ENTRE LES MEMBRES DU GROUPE

        Ou CELUI QUI SAIT AIDE CELUI QUI NE SAIT PAS

a) En début d'année, les enfants s'entraidaient de façon très inorganisée ; on demandait une aide au copain qu'on aimait bien, même s'il ne savait pas, l'aide passant d'abord par la relation affective. Puis, le problème de la compétence s'est posé, « il vaut mieux se faire aider par quelqu'un qui sait ». Pour apprendre les tables, ça ne posait pas trop de problèmes (on peut les apprendre à deux, même si on ne sait pas) mais pour apprendre l'heure, il fallait bien trouver qui était capable d'apprendre à l'autre. Alors, on a décidé d'apprendre l'heure ensemble.

J'ai proposé une série d'apprentissages sur trois semaines, pour faire une « mise à niveau ». Au bout de trois semaines, on ferait un test, ainsi on verrait ceux qui savent l'heure. Ce qu'on a fait. On a décidé que ceux qui sauraient l'heure seraient inscrits sur un panneau « ceux qui sont capables d'apprendre aux autres ». Ce panneau sert maintenant de référence : quand quelqu'un prévoit d'« apprendre l'heure », il regarde qui est capable de le lui apprendre. Nous avons fait de même pour l'alphabet, les soustractions simples et à retenues, pour la lecture, les tables.

Le test, qui est en fait un test de contrôle, nous permet donc de déterminer ensemble qui est capable d'aider et en quoi il peut aider.

D'autre part, un système de brevets (1) avec étapes à franchir permet à chacun de savoir où il en est, ce qu'il a fait, ce qu'il lui reste à parcourir. C'est moi, en général, qui là, évalue si l'enfant peut, ou non, franchir une étape. Sauf pour le brevet des tables, il y a un enfant qui sait parfaitement toutes ses tables. On lui a donc reconnu le droit d'attribuer les brevets. Ainsi, l'apprentissage et le contrôle des tables se fait maintenant sous sa responsabilité. C'est un autre objectif à atteindre que l'on vient tout juste d'aborder avec l'apprentissage des tables : « être capable d'évaluer les résultats d'un apprentissage ».

b) Y a-t-il obligation d'aider l'autre ?

Cette question n'a jamais été abordée au conseil ; c'est moi qui encourage à l'aide mutuelle, les enfants s'entraident assez facilement. Pour qu'il y ait loi d'obligation, il aurait fallu que, par exemple, des enfants se plaignent de n'être jamais aidés ; pourtant, c'est arrivé en février, Zohra demandait à Isabelle de l'aider à lire, mais Isabelle a continué son travail et n'a pas aidé Zohra. Personne n'a rien dit.

La seule obligation qui existe est celle concernant l'animateur de jour : aider l'autre fait partie du rôle de l'animateur. Là, il est critiqué quand il refuse d'aider quelqu'un.

(1) Brevet : voir p. 18 et 19 nos différents brevets et le chapitre « Evaluation ». La technique des brevets et chefs d’œuvre a été introduite dans les classes par Freinet, afin d'opposer autre chose aux examens. classiques et à l'évaluation. Cette technique, issue du compagnonnage, avait été introduite dans le mouvement scout par Baden Powel.

« Le Brevet sanctionne une activité effective, une réalisation ou une conquête. » (Freinet, 1949.)

Juin 1980... Ça remue un peu plus ; cette fois, ceux qui ne sont pas aidés et qui ont besoin d'aide commencent à se plaindre. On en parle au conseil, et on s'aperçoit que ce sont les mêmes qui toujours refusent d'aider... mais demandent de l'aide quand ils sont en panne 1 Et on s'aperçoit aussi que l'entraide a beaucoup aidé deux enfants dans l'apprentissage de la lecture, elle leur a surtout donné confiance en eux. Alors, on décide maintenant : Aider, c'est obligatoire, on ne refuse pas ; et on écrit en gros la loi : « Celui qui sait aide celui qui ne sait pas ! »

c) Quels sont les problèmes qui apparaissent dans la mise en place de l'aide mutuelle ?

c1) Au niveau technique : il n'est pas toujours facile, pour un enfant qui vient tout juste d'apprendre quelque chose, de transmettre à l'autre, de montrer ce qu'il sait. Ainsi, pour certaines activités (problèmes, lecture), si l'aide qu'un enfant apporte permet à l'autre de réussir (à résoudre le problème, à lire un texte...), il n'est pas sûr qu'il y ait compréhension. L'enfant n'est pas forcément capable de passer à une attitude d'analyse qui permet à l'autre de comprendre la situation. L'aide mutuelle fonctionne mieux pour des apprentissages mécaniques. Il faudrait aussi trouver des moyens qui permettraient d'évaluer l'aide mutuelle, d'observer ce qui se passe dans une situation d'apprentissage mutuel, ainsi on cernerait mieux les problèmes techniques, les outils qui seraient utiles aux enfants pour s'entraider.

c2) Problèmes de temps : C'est un facteur essentiel. Une heure trente d'activités personnelles par jour, c'est court... compte tenu de toutes les activités de chacun, compte tenu des nécessaires apprentissages de chacun.

Alors, il faut partager le temps entre ses activités et les activités des autres. Là, j'ai remarqué que ça posait problème beaucoup plus pour moi, car certains enfants passeraient volontiers plus de temps à aider les autres qu'à leurs propres apprentissages. Alors, je suis partagé entre le désir que les enfants s'entraident et le désir que chacun avance aussi dans ses apprentissages. Et il faut que j'équilibre la balance, sinon ce serait toujours les mêmes qui aideraient, et toujours les mêmes qui seraient aidés.

Il y a des enfants qui aiment se placer dans une situation d'assisté, et pour eux c'est confortable. Pour d'autres aussi, c'est difficilement supportable, il faut reconnaître à chacun des compétences dans des domaines différents.

c3) Problèmes relationnels et compétence

c3.1) Si l'enfant est occupé à une activité passionnante, il sera difficile pour lui d'abandonner son travail pour aller aider, il ne le fera alors que pour un camarade avec qui il a de bonnes relations ; il n'ira pas aider quelqu'un avec qui il ne s'entend pas (et comme il n'y a pas obligation d'aide, si le camarade en question ne dit rien, la chose passe inaperçue).

c3.2) S'il est occupé à une activité moins intéressante, là, les problèmes relationnels s'atténuent et l'enfant va aider plus facilement n'importe qui.

c3.3) La relation d'aide peut être gratifiante si celui qui est aidé manifeste une « reconnaissance » à l'égard de son camarade ardeur. Dans ce cas, la relation est enrichie.

Je me pose aussi la même question que Jean Le Gal (2) : « Une bonne relation entraîne-t-elle une bonne aide et une bonne aide entraîne-t-elle une bonne relation ? »

(2) Jean Le Gal : instituteur spécialisé, militant de la pédagogie Freinet, auteur d'une thèse sur la Pédagogie de l'orthographe d'usage.

J'ai remarqué deux attitudes différentes, là encore, selon l'intérêt que porte l'enfant à l'activité qu'il est en train de faire :

a) L'enfant est passionné par son travail

Plus que son petit copain, il choisira un camarade compétent capable de l'aider. Et là, le panneau que nous avons fait « ceux qui sont capables d'aider » est utile. L'enfant s'y reporte facilement.

b) L'enfant n'est pas passionné par son travail

Alors, sous prétexte d'une demande d'aide, il appelle un camarade (le petit copain) et cela se transforme en une partie de « bavardage ».

c) Il y a aussi certains enfants qui demandent toujours de l'aide... Ainsi, dans notre classe, Christophe sollicite toujours les autres pour se faire aider (aussi bien d'autres enfants que des adultes) même lorsqu'il n'a pas besoin d'aide. Il est aussi le premier à venir aider les autres. En fait, il a du mal à travailler seul et profite de ces relations pour tenter d'assumer ses difficultés.

Dans les problèmes de temps, j'oubliais aussi un facteur important : les activités urgentes.

Si un enfant est en train d'exécuter une activité (répondre à un courrier...) décidée au conseil, il devient difficile pour lui de pouvoir répondre à une demande d'aide. Il n'a plus le choix, ou est limité par le temps. Alors, doit-il répondre à la demande d'aide et être critiqué au conseil parce que le travail prévu n'a pas été effectué ? Doit-il ne pas répondre à la demande d'aide (celui qui a besoin d'aide peut trouver quelqu'un d'autre) et continuer son travail ? - c'est souvent ce qui se passe puisqu'il n'y a pas obligation d'aide.

Mais... s'il y avait obligation d'aide, je me demande comment le choix pourrait s'effectuer puisque dans les deux cas, il pourrait y avoir critique du conseil.

1980‑1981

C'est la première règle réinstituée, expliquée aux nouveaux dès le premier jour par un ancien.... « dans notre classe, on peut s'aider, ceux qui savent quelque chose aident ceux qui ne savent pas ». L'apprentissage de l'heure étant une activité collective qui s'est mise en place dès les premiers jours à partir d'un travail sur la grille de la semaine, elle a permis de lancer l'entraide.

J'ai proposé de reprendre le brevet de l'heure (ou échelle de niveaux) que nous utilisions l'an passé, en plus j'y ajoute cette année les couleurs de judo (blanc, jaune, orange, vert, bleu, marron, noir). Ainsi, au bout d'une semaine, chacun peut se situer et savoir où il en est dans l'apprentissage de l'heure, ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas. Chacun va connaître ainsi de quelle aide il a besoin, le système des couleurs permettra plus tard, entre autres pour la lecture, un repérage plus facile.

Pour le moment, nous en sommes à l'apprentissage de l'heure, Mohamed propose que l'on écrive sur une feuille ceux qui sont capables d'aider en regardant ceux qui sont plus loin dans le brevet. Nous ferons une liste de ceux qui savent, chacun de ceux-là prendra en charge ceux qui ne savent pas, pour essayer de les amener un peu plus haut dans le brevet qui devient alors un outil de repère important. Chaque équipe, ainsi constituée, fonctionnera une semaine au bout de laquelle nous ferons un contrôle que j'animerai. On décide aussi de demander l'aide au début des activités personnelles.

Nous continuerons ainsi un certain temps tout le mois d'octobre, les équipes étant parfois modifiées, des contrôles étant régulièrement programmés ; chacun monte un peu dans les couleurs et parvient à se situer. Ces équipes vont se trouver remises en question par deux points :

- Tout le monde. n'est pas satisfait de son « aideur », on critique certains qui ne « savent » pas apprendre et on voudrait surtout être avec Mohamed qui sait bien, qui montre bien, car tous ceux qu'il a aidés ont progressé, sa compétence est unanimement reconnue... mais il ne peut aider tout le monde.

- D'autre part, le démarrage du brevet lecture a amené une nouvelle décision concernant l'entraide. Nous avions cherché comment faire pour apprendre à ceux qui sont en apprentissage lecture.

Myriam : Ceux qui savent lire, on les met sur une feuille, ceux qui ont besoin regardent la feuille et demandent de l'aide et on est obligé d'aider.
Sébastien : On fait des groupes comme pour l'atelier heure, chacun aide un autre...
Christophe : Il faudrait faire une liste, les orange et les verts pourraient aider les jaunes et les blancs.
Johan : Et comment on va aider les verts et les orange ? Il est dit alors que c'est moi qui aiderais les verts et les orange. J'interviens alors pour dire que c'est contraire à ce que nous avions déjà décidé ; si j'aide les verts et les orange, je serai moins disponible avec les apprentis lecteurs (blancs, jaunes). En début d'année, nous avions décidé que je travaillerais une demi-heure chaque jour avec ce groupe dans une salle, pendant que les autres travailleraient seuls.
Pas de réactions... la discussion. paraît floue, je laisse donc ma question, en me disant que l'expérience fera réfléchir.
Mohamed : Comment faire pour apprendre à lire à quelqu'un qui ne sait pas ?
Et Mohamed donne une réponse : « Celui qui veut apprendre à l'autre, il regarde sur la feuille de brevet où il en est, et il apprend ce qu'il ne sait pas ».
Moi : On peut aussi lire un livre à deux, se lire une histoire, montrer les mots.
Sébastien : Oui, j'ai appris comme ça à Anita, je lui écrivais des mots au tableau, on cherchait des sons.
Moi : Bon, alors, que décide-t-on ? Qui peut aider ?
On choisit les verts et les orange (soit quatre enfants, plus deux qui pourront demander à changer de couleur).
On opte pour la proposition de Myriam, quand on a besoin d'aide, on demande à quelqu'un qui est sur la liste (vert ou orange).
Myriam : ... Et on est obligé d'aider... si Valérie demande à Johan, Johan l'aide, sinon Valérie en parle au bilan.
Mohamed : Il faut faire comme pour l'heure, il faut que l'autre soit d'accord.
Myriam : ... Oui, mais il n'a pas le droit de refuser.
Christophe : D'accord, mais comme pour l'heure, on demande au début des activités personnelles, quand on fait le plan.

On décide donc qu'il est obligatoire d'aider (c'est en fait un rappel de la loi, puisque l'obligation existe depuis le mois de juin). Mais comme pour l'heure, on demandera l'aide au début des activités personnelles. Cette idée trouvée cette année à propos de l'apprentissage de l'heure permet à chacun de mieux organiser et prévoir son travail. Ceux qui doivent s'entraider le savent, ils peuvent mieux s'organiser, sinon celui qui aide n'est pas forcément disponible à n'importe quel moment.

Anita : Et celui qui refuse ?
Myriam : On en parle au bilan le soir
Anita : Si on ne nous apprend pas à lire, on ne saura pas lire...
Johan Celui qui ne veut pas aider, on le dit à Jean-Paul, Jean-Paul fait copier dix fois « Je dois apprendre à lire aux autres... » et on fait signer aux parents. Je refuse de donner une punition et rappelle que c'est au Conseil de régler le problème. Comme il est l'heure, je propose de rester sur la première idée de Myriam : « On en parle au bilan le soir. »

Le refus a été évoqué ici, mais pour l'instant, il n'a jamais fait obstacle à l'entraide dans la classe, même si des petits refus temporaires ont parfois été exprimés. Aujourd'hui, au mois de février, nous en sommes à cette organisation :

- Peuvent aider, ceux qui sont à partir de la couleur orange.
- On aide ceux qui sont dans la couleur avant, soit : un orange peut aider un jaune ou un blanc, mais pas un vert...
- On demande de l'aide au début des activités personnelles pour que « l'aideur » l'inscrive sur son plan (sauf pour une aide ponctuelle, on peut demander à quelqu'un qui sait à condition qu'il ne soit pas en activités obligatoires ou urgentes).
- On ne refuse pas d'aider.

 


CHAPITRE III

L’ANIMATEUR DE JOUR

Introduction

C'est une institution essentielle, fondamentale pour moi dans une classe coopérative, notamment durant les activités personnelles qui sont un moment privilégié pour permettre aux enfants de prendre en charge leur travail, de l'organiser, de satisfaire au plaisir de créer, réaliser des projets personnels, tout en respectant des contraintes liées aux nécessaires apprentissages. Ce temps d'activités est un moment difficile où se mêlent plaisir et déplaisir, car j'ai des exigences par rapport au lire, écrire, compter. Nous reparlerons de cette question, dans le problème du choix des activités.

L'animateur de jour, par sa fonction (voir ci-après), me permet de prendre du recul par rapport au fonctionnement, à l'organisation (en début d'année cependant, je suis partie prenante), je m'efforce d'intervenir de moins en moins à ce niveau pour être de plus en plus disponible pour aider aux activités. Aider et animer sont d'ailleurs deux fonctions que nous arrivons à mieux cerner dans la classe ; on s'est aperçu qu'elles n'étaient pas forcément compatibles. Ainsi, quand l'animateur de jour est défaillant, le fonctionnement des activités est compromis, et si je suis alors amené à remplacer l'animateur, je ne peux plus aider.. et les enfants S'en rendent bien compte.

Prendre du recul par rapport à l'organisation des activités, ça me paraît donc nécessaire pour aider à une prise en charge par les enfants ; une bonne régulation dans le fonctionnement des ateliers est indispensable et pour cela, « l'outil » animateur de jour est essentiel.

Ainsi, quand l'animateur de jour est défaillant, c'est moi qui interviens. Ça fonctionne mieux peut-être, mais alors je ne permets plus au groupe, aux enfants, les tâtonnements nécessaires qui les conduiraient vers une plus grande autonomie. Mon objectif est de parvenir à un bon fonctionnement sans ma tutelle constante. Être animateur est un bon moyen de transfert de pouvoir, ce n'est plus le maître qui détient seul le pouvoir, (mais, malgré cela, je conserve un pouvoir qui m'est attribué par ma fonction d'instituteur et mon statut d'adulte, celui de faire avancer mes objectifs qui découlent de mon choix pédagogique, celui de garantir en dernier recours l'application des lois décidées ensemble et concernant la survie du groupe et l'existence de chacun).

L'animateur a, lui aussi, un pouvoir et une responsabilité face aux décisions du groupe, mais ce n'est pas un flic (même si certains enfants, heureux de satisfaire leur instinct de dominance, auraient tendance à le faire, et là, il faut être vigilant) ce n'est pas non plus un deuxième maître, (je n'ai jamais d'ailleurs remarqué d'enfant qui m'imitait), c'est un moyen pour aider le groupe à prendre conscience de ses choix, de ses responsabilités pour mieux prendre en charge sa vie; dire l'heure des rentrées et sorties, accueillir quelqu'un, annoncer les activités, animer les activités personnelles, etc., sont des fonctions qui incombent à l'animateur et, par là, aident le groupe à prendre conscience et assumer les choix que nous avons faits ensemble au Conseil ; je prends du recul, je n'abandonne pas le pouvoir, je suis recours-barrière.

I. Histoire de l'animateur de jour

Il faut remonter à Makarenko, en 1923 pour retrouver les origines de cette institution. La colonie qu'il dirigeait alors était composée de plusieurs « détachements », chaque détachement avait à sa tête un « commandant », nommé par cooptation par le « conseil des Commandants » ; le système s'est organisé par la suite pour former des « détachements spéciaux » chargés pour un temps déterminé, d'une tâche précise (labourage d'un champ, semailles...). Ces détachements spéciaux se faisaient et se défaisaient continuellement, et avaient à leur tête des commandants nommés par le Conseil pour la durée du détachement. « Le conseil des commandants veillait toujours à ce que, à l'exception des plus incapables, tous les colons assumassent successivement la charge de commandant d'un détachement spécial... Le système des détachements spéciaux avait rendu la vie de la colonie extrêmement intense et pleine d'intérêt, par l'alternance des fonctions de travailleur et d'organisateur, de l'exercice du commandement et de subordination, de l'action collective et individuelle » (1).

(1) Makarenko : Poème pédagogique, première partie, page 381.

Cette technique sera reprise par des camarades du mouvement Freinet. Jean Le Gal, en particulier, l'utilisera dès ses premières expériences d'autogestion dans les années 60, pour « donner à chacun, alternativement, les fonctions d'organisateur et de travailleur, de responsable et d'exécutant ». Un président différent, nommé chaque jour, est chargé de présider les diverses activités.

Selon les classes, l'appellation sera différente : président, responsable de jour, animateur de jour ; de même, le mode de nomination ainsi que la fonction peuvent varier.

II. Histoire dans notre classe

Depuis deux ans d'enseignement spécialisé, j'ai toujours institué cette fonction dans ma classe ; au début, nous l'appelions « président », élu pour la semaine. Par la suite, j'ai préféré le mot animateur, moins évocateur que le premier par rapport à la notion de pouvoir ; de même, j'ai proposé que l'animateur change chaque jour pour éviter l'émergence de « petits chefs » et pour permettre à chacun, par une rotation rapide, d'exercer cette responsabilité importante au service des autres.

Aujourd'hui, nous choisissons l'animateur à tour de rôle selon une liste par ordre alphabétique, système banal qui fonctionne depuis trois ans. Cependant, cette année, ce mode de choix est plus ou moins remis en question périodiquement, à cause des problèmes de compétence, « tout le monde peut-il être animateur ? » Voilà la question posée. Voici la discussion qui a eu lieu dans notre classe le 8 novembre et qui a posé pour la première fois ce problème de compétence.

III. Le rôle de l'animateur de jour

CONSEIL DU SAMEDI 8 NOVEMBRE

Discussion sur le rôle de l'animateur de jour :

Dans notre classe, chacun est animateur de jour à son tour, suivant une liste par ordre alphabétique. L'animation des activités personnelles, de l'entretien, du bilan, n'est pas une tâche facile, et comme il y a neuf nouveaux dans la classe, il faut bien que chacun fasse son tâtonnement et son apprentissage.

En début d'année, les quatre anciens ont proposé d'animer les activités pendant quinze jours pour montrer aux autres. Mais même pour eux, ce n'est pas évident. Jeudi dernier, Anita était animatrice (elle est en apprentissage de lecture, de l'heure, des nombres...).

Sébastien l'a vivement critiquée au bilan car elle répondait toujours « je ne suis pas aidée » et elle restait à sa place sans rien faire, elle n'a pas circulé. Il propose d'en reparler au Conseil samedi, et de demander que l'animateur soit quelqu'un qui sait lire.

Faut-il un animateur compétent ?

Et comment va-t-il acquérir sa compétence ?

Conseil :

Sébastien : Je propose que ceux qui savent pas lire, ils sont pas animateurs, ils peuvent pas aider, ils savent pas l'heure aussi, ils peuvent pas dire l'heure.
Johan : L'autre fois, Anita, elle pouvait pas aider à un problème, alors elle faisait rien, elle restait à sa place.
Sébastien : Je propose que ceux qui savent pas lire ne soient pas animateurs.
Anita : Je suis pas d'accord, ce sera toujours les autres qui sait lire qui seront animateurs, nous on sera jamais.
Sébastien : Alors, c'est facile, pour un problème ou un texte, tu t'en iras en disant : « je sais pas » et tu feras rien. Mohamed (non lecteur) : Il n'y a pas que toi qui seras animateur, les autres aussi ils veulent être animateurs, c'est pas parce que on sait pas lire.
Pierre : Oui, mais pour les cahiers, celui qui est au cahier 3, il peut pas aider au cahier 5, alors il peut pas être animateur.
Sébastien : Je propose qu'on laisse une semaine ou deux, pour voir les progrès, on fera un test de lecture, il faut faire l'expérience Si il fait des progrès, il peut être animateur, faut un animateur qui sait lire pour aider ceux qui savent pas, faut un bon animateur, sinon il dit « J'peux pas t'aider, j'sais pas ». Il faut essayer une fois pour voir. C'est facile, l'animateur y sait pas, alors y fait rien !

La tension commence à monter, les non-lecteurs commencent à réagir ; Anita n'est pas du tout d'accord avec Sébastien.

Mohamed : Toi aussi, avant tu étais animateur, tu savais pas lire et tu étais animateur, alors nous, c'est pareil !
Pierre : Faut des animateurs qui savent lire pour aider les autres ; on saute leur tour une fois, après ils auront peut-être progressé, ils pourront aider.
Sébastien (qui commence à se poser des questions) : On fait deux groupes : un qui sait lire, un qui sait pas. Il y aura deux animateurs : un qui sait lire, un qui sait pas. L'animateur qui sait lire, aide l'animateur qui sait pas.

L'hostilité monte toujours ! et il y a ceux qui se taisent et qui manifestent leur désaccord. J'interviens alors.

Moi : Il n'y a pas que l'animateur qui peut aider ; il y en a qui savent lire et ceux-là, ils peuvent aider ceux qui ne savent pas, on a une loi d'entraide. On peut donc demander de l'aide à quelqu'un d'autre que l'animateur.
Anita : Moi, je ne veux pas faire deux groupes.
Moi : Mais faut-il forcément que l'animateur ait pour rôle d'aider ? Il pourrait regarder qui est en difficulté et l'envoyer trouver quelqu'un qui pourrait l'aider.

Sébastien se fait agresser par ceux qui ne savent pas lire.

Pierre et Sébastien : Mais l'animateur, il fait rien alors ?
Moi : Au contraire, il va circuler pour voir qui est en panne.
Sébastien : Je propose le contraire de Jean-Paul ; on dit que Mohamed fait un problème, il comprend pas, j'ai vu que Mohamed est en panne, alors je vais chercher quelqu'un qui peut l'aider.
Johan : Et si personne ne peut aider Mohamed ?
Sébastien : Il s'inscrit et va voir Jean-Paul.
Pierre : Et si Jean-Paul n'est pas là, et personne veut aider Mohamed, alors il sera tout seul !
Mohamed : C'est obligatoire d'aider, il peut pas refuser.
Sébastien : Oui, mais si on a une activité urgente ou obligatoire, là, on peut pas aider, il faut quelqu'un qui n'a pas d'activités urgentes.

Ouf ! Ça y est, je crois que chacun y trouve son compte, la discussion fut animée, on opte pour la deuxième proposition de Sébastien, les non-lecteurs sont satisfaits.

Décision

L'animateur regarde qui est en difficulté, s'il ne peut pas aider, il circule pour chercher quelqu'un qui peut aider et qui est disponible. Il n'a plus pour rôle essentiel d'aider.

Cette discussion a, pour la première fois, fait ressortir entre nous qu'être animateur de jour n'est pas une fonction assumable par tous, c'est ici le rôle d'aide qu'avait l'animateur qui a été remis en question ; mais il y a bien d'autres rôles dans cette fonction qui ne peuvent être aussi bien assumés par chacun. Nous sommes bien obligés de constater que dans la classe coopérative, « n'importe qui ne peut faire n'importe quoi ».

Alors, que faire ?

- Choisir des animateurs compétents et ça marche ?  Mais être animateur de jour, c'est aussi un droit que l'on a reconnu pour chacun (il y a deux ans, nous avions décidé que ce n'était pas seulement un droit, mais un devoir, il était obligatoire d'être animateur, et le groupe devait aider l'animateur à assumer sa tâche (cf. article « Chantiers Éducation spécialisée »). Si tout le monde a droit, il faut alors permettre à ceux qui sont moins compétents d'acquérir une compétence, c'est une question de formation à l'animation à mettre en place, chacun s'essayant à son tour avec l'aide des autres, par tâtonnement, en diversifiant et complexifiant les tâches. Il y a là une question importante à creuser qui concerne tout à fait la reconnaissance et le respect du droit à la différence. Tous en même temps, ont-ils les mêmes capacités ? Nous constatons bien cela dans nos classes, et on ne peut alors exiger la même chose et autant de chacun, il faut tenir compte des possibilités de l'enfant. Dans le groupe « Genèse de la coopé » de l'I.C.E.M. (1), il semble que la question soit plus clairement résolue, il est bien dit que tout le monde ne peut faire n'importe quoi, que tous ne peuvent avoir le même statut, une différence de droit établie selon les capacités de chacun implique aussi des devoirs différents. Le système des étapes à franchir, avec les couleurs de judo, permet aux enfants de se repérer par rapport à leurs capacités. Un blanc n'aura pas les mêmes droits qu'un orange ou un bleu, mais il n'aura pas les mêmes devoirs non plus. On exigera beaucoup plus d'un bleu que d'un orange et d'un blanc.

Ce système d'étapes qui se complexifient au fur et à mesure, me paraît très intéressant, car il permet à l'enfant de faire des essais un peu au-delà où il est classé. L'enfant demande à faire la preuve qu'il peut, il tente, et là, le groupe a un rôle très important à jouer, positivement pour l'enfant car il l'aide à grandir ; par des droits nouveaux, il acquiert des devoirs nouveaux.

Et n'est-ce pas cela, devenir grand ? Ça me paraît très stimulant pour aider l'enfant à devenir autonome. Si nous considérons que dans la classe tous les enfants ont le même statut, que tout le monde peut faire la même chose, automatiquement, ceux qui ont des capacités moindres se feront sans arrêt sanctionner par le groupe sans être aidés. Le système des couleurs et l'entraide, au contraire, en permettant de reconnaître officiellement le droit pour chacun d'être différent, de n'avoir pas les mêmes capacités, d'acquérir des droits et des devoirs nouveaux, aide l'enfant à grandir et à devenir autonome et lui évite ainsi de s'enfermer dans une attitude de régression ou de non-progression.

(1) Commission de travail de l'I.C.E.M. dont les recherches sur la vie coopérative se font en tenant compte du champ psychanalytique et de l'importance de l'inconscient dans la classe. C'est un courant qui se rapproche de la Pédagogie institutionnelle de Oury.

Mais comment ça fonctionne dans notre classe ?

Pas si idéalement que ça, bien sûr, même si j'ai l'impression que mes idées par rapport à la fonction d'animation ont avancé. Je me demande surtout comment, pratiquement, mettre en place un tel système, car les échelles de niveaux et les couleurs impliquent aussi un temps d'évaluation, et il faut trouver le temps disponible !

Pourtant, depuis le mois de décembre, nous essayons. Des conflits sont apparus à la suite de critiques pour des animateurs « incompétents » ; nous avons donc cherché ensemble comment aider à animer et on a d'abord repris les différents rôles de l'animateur.

Rôle de l'animateur

·                     Il circule pendant les ateliers et les activités personnelles :
- il regarde ce que chacun prévoit sur son plan ;
- il organise les tours d'ateliers ‑ il distribue le matériel.
Il ne travaille pas, mais peut faire une activité si on n'a pas besoin de lui.
·                     L'animateur donne la parole, dit l'heure, annonce les activités.
·                     L'animateur reste en classe pour la récréation ou trouve quelqu'un pour le remplacer, sinon la classe est fermée et personne ne reste.
·                     L'animateur peut aider les autres mais s'il ne sait pas aider, il regarde qui est en difficulté, il circule pour chercher quelqu'un qui peut aider.
·                     L'animateur dit d'entrer ou va ouvrir quand quelqu'un frappe, il est responsable de l'accueil.
·                     Le soir, l'animateur regarde si les casiers sont rangés,
- la classe est balayée,
- les ateliers sont rangés.
- le tableau est essuyé.

A partir de là, nous avons essayé de déterminer un certain nombre d'étapes à franchir, en les complexifiant et en les classant avec les couleurs de judo. Nous sommes habitués puisque nous avons déjà un brevet de lecture, brevet de tables, brevet de l'heure, brevet d'opérations. Voici notre brevet d'animateur :

Je sais lire l'heure (même si on est aidé)

BLANC

Croix

Je sais donner du matériel

 

Je sais accueillir quelqu'un

JAUNE

 

Je sais regarder les ateliers et appeler les responsables

 

Je sais m'occuper du service du soir

ORANGE

 

Je sais annoncer les activités et lire le plan

 

Je sais lire et organiser les ateliers

 

Je sais circuler durant les activités, regarder les plans

VERT

 

Je sais aider ou trouver quelqu'un qui peut aider

 

Je sais seul lire l'heure et annoncer les activités

BLEU

 

Je sais poser les questions à l’entretien

 

Je sais donner la parole à chacun

MARRON

 

Je suis capable d'écouter de regarder au bilan et à l’entretien

 

Je connais les règles et je les respecte

NOIR

 

Je peux animer les activités quand J.Paul n'est pas là

 

 

 

IV. Le conseil-bilan du soir

Tous les soirs, durant vingt minutes, nous faisons un bilan de la journée réservé non seulement aux critiques et remarques diverses sur ce que nous avons vécu ensemble, mais aussi aux présentations de textes et travaux divers.

Ce deuxième point est d'ailleurs bien souvent occulté, à cause du temps. Au cours de ce bilan, nous réservons un moment pour l'évaluation du travail de l'animateur. Fin février, tout le monde est passé au moins deux fois animateur (depuis janvier) et on peut s'apercevoir que tous ne sont pas au même niveau, on voit très bien les capacités différentes. Manifestement, tout le monde n'est pas capable d'être animateur. Que faire ?

Voici ce qui se passe le 6 février, à l'entretien (je n'y participe pas, je suis à mon bureau ou dans la salle ateliers, c'est un moment d'échanges libres entre les enfants) :

Stéphane est animateur de jour (il est jaune) et il anime l'entretien. Il n'arrive pas à donner la parole, il n'écoute pas, alors il est exclu comme animateur par ses camarades qui le remplacent par Xavier, le suivant. Stéphane, très fâché, sort dans le couloir. Après l'entretien, j'anime une activité collective sur les tables de multiplication, je fais rentrer Stéphane et demande s'il peut être animateur. Les camarades ne veulent pas. J'explique alors que, s'il n'a pas su animer l'entretien, il pourra peut-être réussir à assumer une partie de la fonction d'animateur pour les autres activités, il est jaune, il peut devenir orange.

Dans notre brevet d'animateur, pour être capable d'animer l'entretien, il faut au moins être bleu, c'est donc plus difficile. Finalement, on accepte que Stéphane soit animateur pour la journée, à condition que nous reparlions de cette question au Conseil. Pierre a d'ailleurs prévu d'en parler.

CONSEIL DU SAMEDI 7 FÉVRIER

Pierre : Il y a des animateurs qui savent pas bien animer, il faudrait faire des trucs pour aider, mettre deux animateurs, ou autre chose, je sais pas...
Myriam : Il faudrait faire comme pour le Conseil, une liste de ceux qui veulent être animateurs...
Moi : Oui, mais est-ce que cela changera quelque chose ? Ceux qui veulent, est-ce que ce sont ceux qui savent ?
Sébastien : Pour faire cette liste, il faudrait demander à chacun s'il est capable, comme on fait pour les responsables ateliers.
Patrick : Pour l'instant, tout le monde est sur la liste et il y en a qui font mal, il faudrait les aider.
Yves : Comme Stéphane ou Anita, ils ne savent pas.
Moi : Comment on peut faire, en ce moment, pour savoir qui est capable d'animer, qui n'est pas capable ?
Myriam : Ben, on regarde le brevet d'animateur.
Pierre : Par exemple, ceux qui sont orange ou verts peuvent être animateurs.
Patrick : Oui, mais moi je suis encore jaune, j'ai été une fois animateur, peut-être je pourrais devenir vert ?
Moi : Quand tu seras passé lundi, on aura fait chacun deux tours d'animateur depuis le brevet.
Patrick ::Je ne suis pas d'accord avec Pierre, ça va priver les autres.
Myriam : ... Et s'il y a des orange qui savent pas animer ?
Pierre : Oui, mais bon, je propose de refaire un tour pour savoir où chacun en est dans les croix et les couleurs. Après, on fait une liste de ceux qui sont capables d'animer et ceux qui sont pas capables. Ceux qui sont pas capables regarderont.

Après discussion, on adopte la proposition de Pierre mais pour faire la liste, on demande l'avis de chacun, en plus de l'utilisation du brevet. Ceux qui savent animer animeront un tour, les autres regardent puis animeront avec quelqu'un qui sait.

Je rappelle aussi ce que j'ai dit la veille, à savoir que si tout le monde n'est pas capable d'assurer entièrement la fonction d'animateur, chacun est plus ou moins capable de réussir sur certaines tâches particulières, et il faudrait quand même permettre à chacun de faire l'essai de monter toujours un peu plus haut, à partir de l'endroit où il se trouve.

Je sens que nous sommes pris dans une organisation très compliquée à mettre en place, mais la réflexion, je crois, avance car c'est maintenant un processus de formation et d'aide à l'animation qui se dessine plus clairement.

Tout ceci se faisant de manière très empirique :

- définition de la fonction d'animateur,
- diversification des tâches,
- hiérarchisation de ces tâches,
- essais-entraînements de chacun pour se situer et mesurer sa capacité réelle,
- entraide, ceux qui savent aideront ceux qui ne savent pas à monter plus haut.

Pour ce dernier point, il faudra voir aussi comment ceux qui savent vont aider les autres.

Une autre question à étudier aussi, c'est une espèce de solidarité qui existe entre un animateur compétent et le groupe, qui fait que ce jour-là, ça fonctionne, et le contraire se produit quand il y a un animateur « incompétent », le groupe est alors agité, c'est donc plus difficile pour l'animateur, il faut que ce groupe soit aidant.

Conclusion partielle

Après les vacances de Pâques, nous appliquerons donc la proposition de Pierre : nous avons fait le point afin que chacun se situe dans le tableau des couleurs, nous avons refait un tour avec ceux qui savent animer afin qu'ils montrent bien aux autres, puis un deuxième tour a été fait: ceux qui ne savent pas animer ont essayé d'animer en étant aidés par quelqu'un d'autre. Enfin, on a repris la liste avec tout le monde.

Ce troisième trimestre n'a pas été facile, j'ai du m'absenter plusieurs fois, des problèmes relationnels se sont installés dans la classe, une fatigue et un manque de disponibilité de ma part m'ont empêché d'être à l'écoute et de bien analyser ce qui se passait, je n'ai pu faire d'observations régulières.

Toujours est-il que la question de Pierre demeure, tout le monde ne peut être animateur, comment aider ceux qui ne savent pas ? Notre brevet aura permis, en définissant une échelle de savoir-faire, de mieux cerner la fonction d'animateur et de prendre conscience qu'il n'est pas aisé pour tous d'animer une activité, et qu'il faut apprendre. Mais comment apprendre, la question demeure.

Un autre problème m'a gêné dans l'évaluation : la compétition qui s'est installée pour monter dans l'échelle de niveaux. J'en reparlerai au chapitre Évaluation.


CHAPITRE IV

L’EVALUATION

« L'enfant, comme l'homme d'ailleurs, recherche la mesure et le contrôle de son effort, la notation la plus précise de ses progrès. ». « Plus la besogne est complète et importante, plus la marche est longue, plus l'enfant éprouve le besoin de se ménager des paliers entre les étapes. Ce sont ces paliers et ces étapes que le contrôle doit définir et mesurer. »

C. Freinet, La méthode naturelle

L'évaluation est donc naturelle ; il suffit d'observer un enfant, un adulte même, lorsqu'il crée quelque chose, il éprouve le besoin de montrer, de savoir ce que l'on pense de sa création.

A. L'évaluation est nécessaire aussi

a) Pour l'enfant :

b) Pour le maître ::

B. Mais quel type d'évaluation alors ?

L'institution scolaire définit son système d'évaluation essentiellement par rapport aux examens, et à une notation, ainsi qu'à un ensemble de tests. Son objet est de vérifier si le savoir et les connaissances acquis par l'élève correspondent aux programmes définis par l'institution. Nous parlerons d'une évaluation « normative » et quantitative. De plus, l'institution scolaire définit des exigences par rapport au système économique dans lequel elle s'insère, et, l'évaluation devient sélective. Il y a donc incompatibilité entre ce type d'évaluation et la pédagogie coopérative. Nous définirons une évaluation en fonction de l'enfant, de ses besoins, de ses capacités, il s'agit là de l'aider à découvrir en lui l'ensemble de ses potentialités et qu'il aille au maximum de lui-même. Cette évaluation devra donc respecter les rythmes de chacun et permettre à l'enfant une autonomie dans l'organisation de son travail.

L'évaluation doit valoriser la réussite de l'enfant, elle est facteur de grandissement.

« Il ne s'agit pas d'une évaluation « contrôle » de l'élève, qui risquerait de mettre l'enfant en situation plus ou moins grande d'échec..., il faut donc lui permettre de se mesurer à l'épreuve quand il se sent prêt, ou quand le groupe ou le maître le sentent prêt. » (1)

Dans la classe coopérative, l’évaluation revêt trois aspects importants :

- l'évaluation de l'enfant par lui-même ou auto-évaluation,
- l'évaluation de l'enfant par le groupe,
- l'évaluation de l'enfant par le maître.

L'interférence de ces trois aspects aboutit à une évaluation beaucoup plus juste et beaucoup plus réelle et significative.

(1) Recherches autour de l'Évaluation en classe coopérative Chantiers Éducation spécialisée n°8-9, avril 81

C. Les outils d'évaluation

Les brevets ou échelles de niveaux

La technique des brevets, introduite dans les classes par Freinet, est issue d'une pratique du scoutisme utilisée par Baden-Powell. Voici ce qu'écrivait Freinet à ce propos en 1949 :

« Les brevets que nous préconisons pour notre premier degré sont imités des brevets scouts qui sanctionnent l'activité des jeunes éclaireurs. Baden-Powell, dont on ne saurait nier le génie pédagogique, avait bien senti ce besoin de l'enfant de se surpasser sans cesse, et il avait marqué, par les brevets, les étapes de cette excellence. Au lieu de mettre l'accent comme le fait le certificat d'études sur les insuffisances et les échecs, il plaçait ses éclaireurs sur la ligne de départ et demandait à chacun d'eux d'exceller à quelque moment au moins, et dans quelque direction. L'éclaireur qui avait acquis la maîtrise dans quelque activité, en donnait la preuve au cours d'une séance solennelle, et sa réussite lui valait un brevet, dont il portait l'insigne sur la manche.

Nous avons donc pris à Baden-Powell son idée de brevets, mais nous l'avons adaptée à notre milieu scolaire, à nos élèves et aux buts que nous poursuivons. Pour l'établissement de nos listes de brevets, nous avons dû tenir compte d'un certain nombre de considérations essentielles :

1. Le brevet sanctionne une activité effective, une réalisation, ou une conquête. Une des premières conditions est donc que cette activité, cette réalisation ou cette conquête, soient dans le cadre des besoins tout à la fois des enfants et du milieu...
2. La deuxième condition est que les enfants soient en mesure techniquement de réaliser les tâches nécessitées par les brevets.
3. Les brevets ne doivent pas orienter l'éducation vers une formation d'étroits spécialistes. »

Depuis 1949, les pratiques ont évolué et nous sommes toujours en recherche afin de parvenir aux évaluations les plus en rapport avec nos principes de vie coopérative.

Dans Techniques de Vie, revue interne de l'I.C.E.M. (n°266 du 15 octobre 1978), un compte rendu de rencontre était publié dans lequel apparaissait la nécessité de distinguer :

- les brevets-clés, contrôlant les maîtrises nécessaires aux apprentissages ;
- les brevets chefs-d’œuvre qui, pour une action annoncée, sous-entendent plusieurs composantes.

D'autre part, sont apparues des grilles d'évaluation des maîtrises atteintes par l'enfant et qui ne correspondent pas à celles des brevets spécifiques. Ces grilles d'évaluation (cf. notre brevet d'animateur p.16) font apparaître une évaluation du comportement. Ainsi, il existe dans des classes le brevet de coopérateur. Ce type de brevet est beaucoup utilisé dans les classes Freinet pédagogie institutionnelle, la technique ayant été introduite par Oury.

Dans notre classe, nous n'utilisons que les brevets-clés, que l'on appelle encore échelles de niveaux, et le brevet d'animateur, qui évalue un certain nombre de maîtrises nécessaires pour être capable d'animer.

Ces brevets, ou échelles, sont constitués par un certain nombre d'étapes définies par moi au départ d'une manière très empirique, puis en fonction de l'utilisation dans la classe, elles sont remaniées ensemble. Le brevet d'animateur a été entièrement discuté et construit par le Conseil. Ces échelles, qui apparaissent comme une progression d'items, constituent une sorte de plan de travail à long terme. Elles vérifient des capacités : « Je suis capable de lire ma lettre ».

L'enfant qui veut réaliser un item, vient faire la preuve de sa capacité, après s'être entraîné seul, ou avec quelqu'un ; il peut présenter au groupe son épreuve ou venir me voir durant les activités personnelles.

Une feuille collective, affichée dans la classe, permet de suivre la progression de chacun : chaque enfant dispose d'une feuille personnelle. Lors du passage d'une épreuve, l'enfant peut mettre une croix s'il sait un peu, deux croix s'il sait bien. De plus, nous avons introduit dans ces échelles, la technique des couleurs de judo (empruntée au groupe « Pédagogie institutionnelle »).

Les couleurs permettent à chacun de se repérer plus facilement dans l'évaluation de ses capacités, on sait ce qu'on connaît et on sait ce qu'il reste à acquérir. Elles sont, surtout au début, un outil précieux pour l'entraide (tout le monde ne peut aider tout le monde), un jaune ne pourra pas aider un vert, mais il pourra se faire aider par le vert et aider un blanc.

Conclusion partielle

Avec ces échelles, et l'évaluation, nous sommes encore dans une phase de recherches, de tâtonnements et d'expérimentations. Les progressions sont empiriques et pas forcément bien adaptées. Toujours est-il qu'elles sont stimulantes et encourageantes pour l'enfant par l'aide qu'elles apportent à l'organisation de son travail. Il me faudra revoir le brevet d'animateur qui n'a pas très bien fonctionné à cause de problèmes de compétition. Des phénomènes d'opposition entre leaders sont intervenus et ont empêché de justes évaluations... pour certains, plus on montait dans l'échelle et plus cela voulait dire « je prends du pouvoir ». Une analyse sera nécessaire, là encore, pour tenir compte de ces facteurs.

 

BREVET : Lecture 1

Nom :

   

BLANC

Test 1

Je sais écrire, lire mon identité

   

Je sais lire les prénoms de la classe, des corres

   

Je sais lire les jours de la semaine, les mois

   

Je sais lire des syllabes simples

   

Je peux lire un livre blanc

   

JAUNE

Test 2

Je connais 10 sons clés :

an, in, oi, en, eu, ou, on, un, au, ai

   

Je sais lire les petits mots (dans, avec,…)

   

Je sais retrouver des mots simples dans un texte

   

Je sais relire mon texte corrigé

   

Je peux lire un livre jaune

   

ORANGE

Test 3

Je sais relire mes textes libres

   

Je sais utiliser mon plan de travail

   

Je connais des sons difficiles

   

Je sals lire le plan collectif

   

Je sais lire les règles et consignes de la classe

   

Je sais lire J Magazine

   

Je peux lire un livre orange

   

VERT

Test 4

Je sais lire le texte d'un camarade

   

Je sais lire la lettre de mon correspondant

   

Je connais beaucoup de sons

   

Je peux lire une recette de cuisine

   

Je peux lire mes fiches (lecture, problème, orthographe...)

   

Je peux lire un livre vert

   

 

BREVET : Lecture 2

           Nom :

   

BLEU

Test 5

Je connais tous les sons

   

Je peux présenter un livre (orange) à mes camarades

   

Je peux raconter une histoire que j'ai lue

   

Je peux utiliser une recette de cuisine

   

Souvent, je fais seul mes fiches

   

Je peux lire un livre bleu

   

MARRON

Test 6

Je sais bien lire une BTJ

   

Je sais rechercher, utiliser un document

   

Je sais bien lire un poème et le présenter

   

Je sais présenter une BTJ à mes camarades

   

Je peux lire un livre marron

   

NOIR

Test 7

Je respecte la ponctuation, les liaisons

   

Je sais lire un dialogue

   

Je sais lire un texte en "mettant le ton"

   

Je sais trouver vite une information dans un texte

   

Je sais lire un livre noir et le présenter

   

 

Nom : BREVET ECRIVAIN

   

BLANC

Je peux écrire une phrase, même avec des erreurs

   

Je sais écrire au moins 2 mots sans erreurs

   

Je peux écrire un texte de 4 lignes, même avec erreurs

   

JAUNE

Je sais écrire au moins 3 mots sans erreurs

   

Je sais écrire au moins 4 mots sans erreurs

   

Je peux écrire un texte de 6 lignes, même avec erreurs

   

ORANGE

Je recopie proprement, bien écrit, mon texte, ma lettre

   

Je sais écrire au moins 6 mots sans erreurs

   

Je sais bien relire mon texte corrigé

   

VERT

Je commence à écrire sans aide, à retrouver des erreurs, à me corriger...

   

Je sais copier, recopier un texte, une lettre sans erreurs, bien écrit

   

Je peux écrire un texte de 10 lignes, même avec erreurs

   

Je peux écrire 1 phrase sans erreurs

   

BLEU

Je sais bien relire mes textes et les présenter à mes camarades

   

Je sais écrire au moins 8 mots sans erreurs

   

Je peux écrire 2 phrases sans erreurs

   
 

Je sais écrire plus de 10 mots sans erreurs

   

Je sais écrire plus de 4 phrases sans erreurs

   

J'aide mes camarades à écrire et à corriger

   

NOIR

J'écris sans aide, je sais retrouver les erreurs et corriger

   

Je peux écrire un texte de plus de 10 lignes sans erreurs et le recopier parfaitement

   

 

Nom : BREVET DE L'HEURE

   

BLANC

je connais l'heure juste

   

je sais ce qu'est une heure

   

je connais l'heure et demie

   

je sais ce qu'est une demie heure

   

JAUNE

je connais l'heure et quart

   

je sais ce qu'est un quart d'heure

   

je connais l’heure moins le quart

   

ORANGE

je sais ce qu'est 3/4 d'heure

   

je connais l'heure 5.10.15.20.25.30.

   

: je sais ce que représente 5mm 10mm 20mm...

   

VERT

je connais l'heure moins 5   moins 20

                             moins 10  moins 25

   

je sais ce que représente 35mm 45mm

                                       40mm 50mm

                                                   55mm

   

BLEU

je connais l'heure d'après midi

5.10.15.20.25.30

   

je connais l'heure d'après midi

35.40.45.50.55

   

je sais calculer une durée en heure

   

MARRON

je sais combien il y a de minutes dans une heure

   

je sais calculer une durée en minutes

   

je sais combien il y a de secondes dans une minute

   

NOIR

je sais calculer une durée en heures et minutes

   

je sais calculer une durée en heures, minutes, et secondes

   

 


CHAPITRE V

LA PLACE DU MAITRE

DANS LES ACTIVITES PERSONNELLES

Introduction

Dans la classe coopérative, la part du maître est grande, je dirais même qu'elle est fondamentale car on ne peut imaginer qu'un groupe d'enfants seuls dans notre cadre scolaire puisse s'auto-organiser, autogérer sa vie et ses activités ! C'est le maître qui décide de donner le pouvoir de décision aux enfants, c'est lui qui. au départ, décide des moyens pour qu'ils puissent l'assumer... et c'est une brèche qui s'ouvre car l'opposition des parents, de l'administration parfois, est un obstacle que le maître doit surmonter.

C'est donc le maître qui fait le choix de mettre en place la pédagogie coopérative et détermine les objectifs nécessaires pour aider le groupe à autogérer sa vie et ses activités.

Au début de l'année et durant tout le premier trimestre, je suis très présent tant au niveau de l'organisation des activités par l'aide à l'animateur, qu'au niveau de l'aide à l'activité individuelle de l'enfant. Puis progressivement, ma disponibilité augmente au fur et à mesure que l'organisation se met en place, ainsi au deuxième trimestre, je ne réponds qu'aux demandes d'aides personnelles et renvoie les problèmes de fonctionnement sur le groupe.

Je considère qu'au départ, ma part est et doit être grande, car nous sommes en situation d'apprentissage par rapport à des objectifs généraux que je définis à travers le projet éducatif, mais qu'elle doit diminuer au fur et à mesure que le projet se met en place. Il faut couper le cordon pour devenir autonome.

La part du maître s'exerce-t-elle :

- plus individuellement ?
- plus collectivement ?
- sur les deux points à la fois ?

a) Comment s'exerce « ma part du maître » : individuellement (c’est surtout une aide ponctuelle, sur un point précis.)

Au début de l'année, j'aide systématiquement celui ou celle qui est en panne, qui vient me voir. Puis, progressivement, je souhaite et essaie de faire que cette aide que j'accorde passe d'abord par les enfants, par l'entraide.

Je souhaite seulement être un recours (il y a une salle où les enfants vont travailler dans laquelle je refuse d'aider). Lorsque l'enfant vient me voir, je m'assure qu'il n'a pas pu trouver ailleurs le renseignement.

Par exemple :si un enfant vient me voir pour lire une fiche et qu'il n'a pas essayé d'y travailler seul ou avec d'autres, je le renvoie.

Ma part consiste donc à :

- aider celui qui n'a pas pu trouver d'aide ailleurs ;
- corriger des textes, des lettres (après essai d'autocorrection) ;
- aider en lecture, après entraînement avec son « aideur » ;
- vérifier le travail terminé, la compréhension sur les fiches dont on n'utilise pas l'autocorrection ;
- passage des brevets ;
- programmation d'apprentissages personnalisés (mots, fiches, etc.).

Aide au niveau du plan de travail ; en début d'année, je regarde systématiquement tous les plans de travail pour vérifier que chacun tient compte :

- de ses activités commencées ;
- de ses activités prévues par lui-même, par le Conseil ;
- de ses activités urgentes ;
- d'exigences de ma part dans le domaine des apprentissages (quoiqu'à ce niveau, mon exigence est moins forte en début d'année).

(Ceci est d'ailleurs valable dans l'ensemble des domaines : en début d'année, l'exigence est moins forte, la part du maître étant plus de l'ordre « d'assister », d'accompagner l'enfant. Puis, progressivement, cette part du maître évolue vers l'exigence) ;

Actuellement, pour certains enfants, je n'interviens plus dans leur travail. Il y a un enfant en particulier, qui est capable de se souvenir, de prévoir, de tenir compte des urgences, du temps, de ne pas se laisser distraire par d'autres activités, d'aller jusqu'au bout de ce qu'il a prévu, de faire son bilan, etc.

Par contre, d'autres, c'est tout l'inverse, alors ma part est très grande et je dois accorder une aide importante.

Là aussi, j'apporte une aide très individualisée. Je viens près de l'enfant. J'encourage, j'aide, je valorise son expression. Dans ce domaine de l'expression écrite, picturale, il y a la part du groupe aussi, et ma part qui s'exerce aussi à un niveau collectif, lors de la présentation aux autres (sous forme de discussions, critiques, mises au point... je donne mon avis).

b) Collectivement :

A partir des activités décidées au Conseil (proposées par un enfant, un groupe, moi-même...), j'essaie, au moment de la réalisation de l'activité, de faire prendre conscience des manques qui existent au niveau d'apprentissages, de faire prendre conscience que ces manques sont un frein à l'autonomie, qu'ils obligent à être dépendant de celui qui sait, et si celui qui, sait n'est pas là, on ne peut plus fonctionner (savoir lire l'heure, les comptes...). Ensuite, au niveau du travail sur les manques à combler, ma part est importante au niveau de la mise en place de techniques, d'outils, d'entraînements.

Là aussi, ma part est grande, surtout en début d'année. Comme je le disais plus haut, de toute façon, c'est moi qui définis le projet pédagogique éducatif ; c'est moi aussi qui ai le pouvoir. J'utilise ce pouvoir pour mettre en place le projet éducatif.

Par exemple :

- en instituant le Conseil
- en faisant respecter des lois fondamentales pour l'existence même du groupe (on ne dérange pas les autres, on ne détruit pas le travail des autres...).

Je suis garant d'un fonctionnement qui doit permettre à chacun d'exister.

Je suis recours (par exemple, pour permettre à un enfant exclu, rejeté du groupe d'y entrer à nouveau), et barrière (par exemple face à une agression, quand le groupe est impuissant pour régler un problème et que sa survie même peut être mise en cause par l'agresseur).

Donc, la part du maître se situe là en terme de pouvoir, d'autorité. Mais elle peut toujours être discutée, remise en cause au Conseil.

Ma part du maître se situe aussi au niveau du groupe :

1. Pour lui faire prendre conscience de sa capacité instituante, à savoir par exemple : aider à voir ce qui va ou ce qui ne va pas dans notre fonctionnement, et renvoyer sur le Conseil qui propose, décide et institue.
2. Comme miroir du groupe : je rappelle les décisions prises, au moins au début de l'année, car je ne souhaite pas être la mémoire du groupe.
3. Au niveau de la formulation : permettre à chacun de pouvoir être entendu, écouté, que chacun puisse exprimer son point de vue.

Il y a aussi ma part dans les moments collectifs comme le Conseil.

Je l'anime pendant tout le premier trimestre (l'an passé, je l'ai animé toute l'année) et progressivement, les enfants peuvent animer le Conseil.

Là, mon objectif essentiel au début, c'est que le Conseil fonctionne et soit opérationnel, donc je l'anime (cela ne veut pas dire qu'il fonctionne mieux pour autant ! Il y a d'autres facteurs qui interviennent), et je propose un modèle d'animation... Ensuite, il y a deux objectifs :

- un Conseil qui décide,
- le Conseil comme outil d'entraînement à l'animation (et là, je suis à côté de l'animateur et je l'aide).

Il y a aussi ma part auprès des divers responsables dans la classe, que je dois former pour qu'ils soient compétents :

- en début d'année, il n'y a que les anciens qui peuvent initier, et encore, pas tous. Donc, ma part est grande (par exemple : initier le responsable « imprimerie »). Progressivement, cette part diminue car chacun acquiert de la compétence, les anciens responsables initient les nouveaux, etc.

Quels sont les moyens que je mets en place pour diminuer la part du maître au profit de l'autonomie ?

Brièvement :
- l'apport des anciens,
- l'entraide,
- l'animateur de jour,
- les responsables d'ateliers, de conseil, etc.

Mais en fait, je me demande si cette part du maître diminue vraiment, tout simplement parce que j'existe et j'ai ma place dans la classe. Elle évolue. Ce qui me pose problème, à moi, c'est la cohérence que je recherche entre mon idéal, mes objectifs, ma pratique, mon attitude dans la classe.

J'ai parfois l'impression d'avancer ainsi :

idéal, objectifs éducatifs, etc. ______________________

 

ma part du maître mon attitude

(j'exagère peut-être cette courbe.)

Il y a la part du maître que l'on souhaite idéalement avoir, et celle que l'on a parfois, qui se manifeste par des attitudes incohérentes, par rapport à l'objectif que l'on s'est défini, et qui produit l'effet inverse de ce que l'on souhaite.

Par exemple : ça m'arrive d'intervenir contre le groupe, de telle manière que je crée une situation conflictuelle pour régler un problème.

Il y a beaucoup de points comme celui-ci qu'il conviendrait d'analyser, d'observer, pour voir quels sont ces effets parasites qui se produisent, qu'est-ce qui fait que notre analyse est incohérente, comment rechercher plus de cohérence, etc.

Voici une discussion du conseil de coopérative qui a permis de discuter, d'expliquer et mieux comprendre mon rôle.

I. Le droit du maître aux activités personnelles

Conseil du 17 novembre 1980

A la suite d'incidents au cours d'activités personnelles la semaine passée, n'ayant pu taper des textes prévus, j'ai demandé si je pouvais avoir droit à des activités personnelles. Sébastien a repris ma proposition.

Sébastien : Je propose que Jean-Paul il a droit aux activités personnelles, parce que c'est urgent le journal et taper à la machine, je propose que Jean-Paul ait vingt ou trente minutes d'activités personnelles, faut pas le déranger, ou plus, ch'ais pas, si Jean-Paul veut plus, il a le droit.
Anita : Je suis d'accord avec la proposition de Sébastien que Jean-Paul y fasse son travail de l'autre côté, que y tape à la machine.
Laurence : Moi aussi, je suis d'accord que Jean-Paul y fait des activités personnelles.
Myriam : Moi aussi, je suis d'accord qui se déplace pour faire ses activités personnelles, mais sauf que y demande avant, si y a quelqu'un qui a besoin de lui et ben que y tape à la machine, il le dit.
Mohamed : Je propose aussi que Jean-Paul y fait son travail, que y tape les textes pour le journal.
Christophe : Jean-Paul, il a trente minutes pour taper un texte, pendant les trente minutes, on vient pas le déranger de l'autre côté.
Moi : J'ai déjà le temps d'entretien pour faire mes activités personnelles ; je ne participe pas à l'entretien, en général, pendant ce temps je tape les textes ou je fais autre chose. Mais pendant votre temps d'activités personnelles, je suis là pour vous aider, je suis disponible à mon bureau, et j'attends ceux qui sont inscrits au tableau et qui ont besoin d'aide. Alors si moi, j'ai droit aux activités personnelles, comment cela va se passer pour ceux qui ont besoin de moi ? Comment on va faire ?
Anita : On demande à l'animateur.
Moi : Oui, mais ceux qui sont inscrits au tableau sont ceux qui ne peuvent être aidés par personne d'autre.
Myriam : Si quelqu'un est noté au tableau, et bien Jean-PauI, tu vas pas taper à ta machine ou faire quelque chose d'autre, tu attends à ton bureau et tu appelles ; autrement, si y a personne de noté, tu vas faire ton travail.
Anita : Je suis d'accord avec Myriam, Jean-Paul, y fait son travail, si on a besoin de Jean-Paul, on s'écrit au tableau.
Laurence : Celui qu'a besoin de Jean-Paul, il l'appelle, y dit « j'ai besoin de toi », Jean-Paul aide et après il fait son travail, il retape à sa machine.
Moi : Je ne tape pas toujours à la machine à écrire.
Laurence :: Oui, si t'as d'autres choses à faire, et bien tu peux le faire.
Sébastien : Je suis pas d'accord avec les propositions, en entretien, des fois y finit pas tout, des fois, il a pas le temps, je propose que quand Jean-Paul est occupé, on fait un travail qu'on peut faire seul, et ceux qui peuvent aider, y vient aider.
Mohamed : Des fois quand Jean-Paul il aide, il enlève pas sa carte, il faut que tu l'enlèves, parce que y en a des autres qui veulent venir qui ont besoin de Jean-Paul. Quand il fait son travail, Jean-Paul faut qui met sa carte « ne pas déranger ».
Moi : Si je reprends ce qu'on a dit, j'ai droit à faire des activités personnelles de l'autre côté, si personne n'a besoin de moi. Si quelqu'un a besoin de moi, il vient me chercher en étant inscrit au tableau, et je travaille alors à mon bureau, je ne dois pas oublier la carte.
- Oui.
- Mais quand j'ai une activité urgente à faire, une activité décidée par le Conseil, comme les textes la semaine dernière, et si, comme le dit Sébastien, je n'ai pas eu le temps de le faire pendant l'entretien ? Pour les textes, la semaine dernière, vous aviez décidé que je tape quatre textes, c'était une activité obligatoire pour moi. Qu'est-ce qu'on fait dans le cas où j'ai une activité obligatoire ?
Sébastien : Je propose que t'as trente minutes, la moitié d'une heure, tu seras tranquille pendant que nous, on fait notre travail ; parce que si c'est obligatoire par le Conseil, faut qu'tu l'fasses, hein !
Christophe : Ben oui, j'suis d'accord, faut que tu l'fasses, t'as une demi-heure.
Moi : Bon alors, vous semblez d'accord, si j'ai une activité obligatoire, je peux avoir trente minutes, mais qu'est-ce qui se passe pendant ce temps, si on a besoin de moi ?
Myriam : Ben, y vont te chercher.
Moi : Oui, mais si j'ai une activité obligatoire ?
Laurence : Ben, y demandent à quelqu'un qui sait, y demandent : « est-ce que tu peux m'aider », pis il aidera.
Sébastien : Je propose quand Jean-Paul est occupé, quand il a un travail obligatoire, il doit faire son travail obligatoire, c'est nous, ceux qui savent bien qui vont expliquer, qui aident.
Myriam : Moi aussi, je suis d'accord, mais autrement, si y en a qui savent pas, ni l'animateur, et ben y font un travail qui fait lui-même, seul.
Stéphane : Faut qui demande à l'animateur.

Décision

J'ai droit à des activités personnelles libres, que je peux faire pendant le temps d'entretien ou d'activités personnelles, si quelqu'un a besoin de moi, et est inscrit, il m'appelle ; si je suis en activités personnelles obligatoires décidées par le Conseil, on ne me dérange pas, on demande de l'aide à quelqu'un d'autre, ou on fait une activité que l'on peut faire seul.

II Le rôle du maître pendant les activités personnelles

Quelques faits

Jeudi, durant le temps d'atelier ( une heure) je dois envelopper le colis aux correspondants et tirer un texte aux parents pour l'adhésion à l'O.C.C.E. A 16 h 20, au moment du bilan, j'ai à peine terminé le colis et je n'ai pas tiré la feuille. J'ai été constamment dérangé par :

- Je voudrais une feuille

- Où sont les crayons ?

- Le pyrograveur ne marche pas !

- Le fil du filicoupeur est cassé §

- Des conflits à régler à l'atelier menuiserie. Aussi, au bilan, je proteste : « Vous avez le droit de faire des activités et moi je n'ai pas le droit ». Je demande à quoi sert le responsable d'ateliers et l'animateur.

* En fait, je pose mal le problème car je revendique le droit aux activités personnelles alors que j'étais en activité obligatoire au service du groupe : on avait décidé que je ferais le colis et le texte.

On rappelle alors le rôle de l'animateur et le rôle des responsables d'ateliers « Quand quelque chose ne va pas, dans un atelier, on s'adresse au responsable. »

Ceci pose parfois problème car le rôle des responsables est parfois mal défini, et surtout la question de compétence* n'est pas ou mal posée ; ainsi, en cas d'aide technique, le responsable, s'il n'est pas compétent, ne sert à rien... Mais je laisse tâtonner volontairement à cause des nouveaux (dix). Il faut qu'ils fassent leurs expériences, ce sont elles qui feront émerger les compétences. Déjà, elles commencent à apparaître : Anita s'était mise responsable de l'atelier fiche, alors qu'elle ne connaît pas les nombres ; elle ne pouvait donc pas vérifier le classement. On a proposé quelqu'un qui sache lire les nombres.

* Depuis janvier, nous avons revu tous les responsables. Et désormais, le choix se fait en fonction d'une compétence acquise ou capable de l'être ; ainsi, au moment du choix, on demande : « Qui est capable d'être responsable de tel atelier, et qui veut être responsable ? » Le choix se fait après discussion. Tout le monde, par exemple, ne peut être responsable de l'imprimerie.

Nous changeons toutes les six semaines. Les anciens responsables initient les nouveaux. En fait, c'est souvent moi car chaque responsable est pris par son atelier.

Vendredi matin, durant le temps des activités personnelles, c'est la vraie bousculade. Je n'arrive pas à aider tout le monde. Je n'arrive pas à travailler avec le groupe lecture. A 11 h 20, alors que j'aide en lecture, on vient me voir pour corriger un texte.

Je proteste : « Je ne peux aider à lire et corriger un texte en même temps. Je ne veux pas être dérangé quand j'aide quelqu'un. »

Le comble, à un moment, Mohamed vient me demander l'autorisation d'aller aux toilettes. Aussi, au bilan de l'après-midi, je renouvelle mes critiques et demande d'inscrire à l'ordre du jour du Conseil du samedi : les activités personnelles et le rôle de Jean-Paul.

CONSEIL DU SAMEDI 25 OCTOBRE

Moi : Je demande que l'on parle ce matin de mon rôle pendant les activités personnelles. Hier, je n'ai pas pu aider tout le monde. Je suis toujours dérangé quand je travaille avec quelqu'un (bruits, demandes de matériel, aides diverses...). On connaît le rôle de l'animateur (je le relis), mais mon rôle à moi, on ne le connaît pas exactement.
Myriam : Je propose que Jean-Paul reste à son bureau pour nous aider et que l'animateur, il distribue les crayons, les feuilles...
Johan : Quand Jean-Paul fait lire quelqu'un, on ne le dérange pas, on demande le matériel au responsable.
Anita : Non, on demande à l'animateur. Le responsable, il est occupé à son travail, il peut pas.
Myriam : S'il y en a qui demande à Jean-Paul une feuille, Jean-Paul l'envoie sur le responsable ou l'animateur.
Moi : Je propose qu'on demande à l'animateur car le responsable du petit matériel peut être comme moi, occupé. Sébastien (animateur du conseil) : J'ai une proposition. Je demande à intervenir*.

* On avait décidé que l'animateur n'intervenait plus sur le contenu du conseil durant celui-ci : il n'inscrit pas de propositions, il ne donne pas son avis ou seulement en dernier. Il donne la parole, rappelle les propositions... C'est dur, en général. C'est moi qui ai fait cette proposition car j'ai remarqué que si l'animateur est trop partie prenante sur le contenu, il oublie la forme, c'est-à-dire l'animation du conseil. Entre autres, il parle et ne donne plus la parole.

Trouvant cela un peu dur, les enfants ont proposé que l'animateur intervienne quand il est témoin d'une affaire ou quand il a une proposition. Pour cela, il demande au Conseil : ce que fait Sébastien.

Sébastien :: Je propose de mettre une carte sur le bureau à Jean-Paul « Ne pas déranger ». Quand la carte est mise, on ne dérange pas Jean-Paul. Je critique aussi Jean-Paul. Il prend ceux qui sont pas notés et ceux qui sont notés, ils sont pas pris. Moi, j'étais inscrit et j'ai attendu, alors qu'Anita, elle était pas inscrite.

Et vlan ! pour le maître qui ne respecte pas la loi. Quand quelqu'un a besoin d'aide, il s'inscrit au tableau : « ceux qui ont besoin d'aide ».

L'an dernier, l'animateur, comme moi, y faisait référence. Dès que quelqu'un était en panne, il s'inscrivait. Cette année, ceux qui s'inscrivent sont uniquement ceux qui ont besoin de. moi. En principe, ils ne viennent me voir que s'ils sont réellement en panne, s'ils n'ont trouvé personne pour répondre à leur demande d'aide. Ça permet à l'entraide de mieux fonctionner* et ça m'évite d'avoir à répondre à des demandes du style :

- Je sais pas écrire ce mot...
- Comment ça se lit ici... ?

*Mon objectif est aussi, à travers cette exigence, de ne répondre qu'en dernier recours, que se développe entre eux une solidarité par l'entraide, qu'ils fassent le maximum par eux-mêmes et avec l'aide des autres. Ensuite, je peux aider pour aller plus loin.

Mais tout ça ne marche pas toujours très bien. La preuve, je me fais critiquer pour non-respect de cette règle : « aider ceux qui sont inscrits... ». Mais pris par la vie du moment intense d'activités, j'oublie règles et exigences. Les enfants le sentent bien, en profitent. Et c'est plus facile pour eux de s'adresser au maître !

Christophe : Oui, la carte, tu la mets sur ton bureau et on ne vient pas déranger Jean-Paul. Mais ça va être la bousculade quand Jean-Paul va enlever sa carte pour venir en premier. Celui qui bouscule, il passe en dernier.
Sébastien : Je propose de mettre des numéros quand on s'inscrit au tableau et Jean-Paul il regarde les numéros au tableau, dans l'ordre.
Moi : Oui, mais quand on s'inscrit, c'est parce qu'on a besoin d'aide et que personne d'autre ne peut aider.
Myriam : Le rôle de Jean-Paul est qu'il reste à son bureau et qu'il renvoie à l'animateur.
Johan : Jean-Paul, il aide ceux qui sont inscrits. Quand quelqu'un est aidé, il efface son nom.

DÉCISIONS

Jean-Paul aide ceux qui sont inscrits. En s'inscrivant, on met son numéro d'ordre ; quand Jean-Paul aide, il met la pancarte : NE PAS DÉRANGER. Celui qui est aidé efface son nom.

Quand on s'inscrit, c'est parce qu'on a besoin d'aide et que personne ne peut aider.

Conclusion partielle

Dans la classe coopérative, le maître a donc un rôle nouveau, différent de celui d'une classe traditionnelle... Ce n'est pas lui qui règle tous les problèmes, il y a transfert du pouvoir par l'institution du Conseil.. mais il est présent, et intervient comme membre du groupe, mais comme adulte-enseignant aussi, il est garant des objectifs définis et de la « bonne marche du navire ».

Qu'il soit membre du groupe, que l'on discute de son rôle, cela implique un statut différent.. le maître ne peut plus faire tout à fait ce qu'il veut, il est soumis lui aussi aux règles et lois de la classe, il a des droits et des devoirs comme chacun. Reconnaître au maître le droit à des activités personnelles est un principe nouveau qu'il conviendrait d'analyser si on le généralisait à toutes les classes. Dans notre expérience, ce droit n'a pas été institué n'importe comment, il est issu d'un mode de fonctionnement. Un Conseil qui fonctionne, décide, organise et répartit les tâches, aboutit nécessairement à discuter du rôle du maître.

Ce droit à des activités, libres ou obligatoires, rend le maître moins disponible au groupe et à chacun de ses membres, il me faudra en tenir compte et observer en quoi c'est un facteur qui fait évoluer chacun vers une meilleure organisation de son travail, ou si au contraire, c'est un frein à cette évolution, du fait d'une indisponibilité de ma part.

CONCLUSION GENERALE

En choisissant de travailler sur l'organisation des activités personnelles et leur prise en charge par les enfants, j'ai voulu approfondir un point particulier de l'ensemble complexe qu'est la classe coopérative. Il n'est pas possible de tout prendre et de tout analyser. De plus, notre position de praticien, sur le terrain, ne nous donne pas les moyens matériels et financiers de mener une recherche approfondie et vaste. Cependant, c'est la pierre que chacun apporte en menant une réflexion sur la pratique de son propre terrain, qui fera avancer les choses pour une éducation coopérative au service des enfants et d'une autre école.

L'activité personnelle de l'enfant est un sujet qui me préoccupe fortement car il me semble qu'elle ouvre un champ d'investissement important. Dans une classe coopérative, tous les enfants ne participent pas également de la même façon, notamment dans les activités collectives (conseils, entretiens...) alors que les activités personnelles concernent vraiment chacun, c'est plus facile à maîtriser que l'ensemble classe et la vie collective qu'elle implique. En permettant à chacun d'auto-organiser ses propres activités, c'est peut-être l'aider à s'investir plus largement dans la vie de la classe.

 

BIBLIOGRAPHIE

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                                   Non : outil de rupture !
1980, Éditions Maspéro, Paris.
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                                     1967, Éditions Delachaux et Niestlé, Collection « Actualités pédagogiques ».
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                                     Dossier publié par la revue : Chantiers « Education spécialisée » du mouvement I.C.E.M.
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                                     Dossier publié par la revue : Chantiers « Education spécialisée » du mouvement I.C.E.M.
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                                    1979, François Maspéro, textes à l'appui.
Tort M.                         Le quotient intellectuel
                                    1975, François Maspéro, Cahiers libres 266‑267.
Yvin P. ‑ Le Gal J.        Vers l'autogestion
                                    1971, Éditions de I'Ecole moderne, C.E.L., Cannes.
Revues:                        L’Éducateur, Chantiers « Éducation spécialisée », Techniques de Vie
            Revues de l'Institut coopératif de l'École moderne

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