Les dossiers pédagogiques de l’Ecole Moderne n°10

Supplément au numéro 20 du 15 septembre 1965

 

L’éducation musicale

C.FREINET

P.DELBASTY

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SOMMAIRE

1          Les conférences pédagogiques : l’éducation musicale par C. FREINET

12.               L’Ariel par P.DELBASTY

15.       Un exemple : création d’un chant collectif sur un texte libre par P.DELBASTY

16.               La genèse du sens musical Traduit par EHRET

 

Les conférences pédagogiques 1965

par C. FREINET

L’éducation musicale, sa nécessité, les buts qu’elle se propose, les moyens à utiliser à l’école primaire et au CEG.

Le thème des Conférences Pédagogiques de cette année soumet à l’attention du public enseignant un des problèmes pédagogiques les plus complexes, un de ceux du moins pour lesquels il est difficile de trouver une ligne directrice - ce qui ne peut d’ailleurs qu’ajouter à la diversité et à l’intérêt de la discussion.

En effet :

- L’enseignement traditionnel de la musique a fait faillite, et les professeurs eux-mêmes n’osent plus la préconiser dans sa pureté, alors qu’on enseigne encore couramment avec une méthode traditionnelle intégrale en français, en histoire, en géographie ou en sciences. Il y a actuellement, en fait de musique, et de chant surtout, trop de spectaculaires réussites qui ne doivent rien à l’enseignement scolaire pour que les professionnels ne soient pas enclins à une certaine humilité.

- I1 existe une forte proportion d’éducateurs aimant et appréciant la musique et susceptibles donc d’apporter des points de vue, fruits de leur expérience, ce qui n’est jamais négligeable.

- Et surtout les techniques modernes: disques, magnétophone, radio et télévision généralisés changent inévitablement le climat en influençant profondément, en bien ou en mal, la masse des enfants et en suscitant ainsi des problèmes nouveaux auxquels l’école n’a pas été préparée à répondre.

La musique s’enseigne-t-elle ? Comment ? Les méthodes naturelles sont-elles valables et efficientes ? Comment contrebattre l’influence des disques et de la radio, et faut-il vraiment la contrebattre ? Y a-t-il un rapport entre l’expression libre que nous préconisons et les chansons yéyé des disques et de la radio ? Quels rapports devons-nous établir entre la musique et le chant ? Et le problème des instruments ? etc... Nous voudrions, parmi ce dédale de pistes possibles plus ou moins chevauchantes, chercher et trouver une ligne directrice, un fil d’Ariane qui nous permette d’établir avec sûreté une méthode d’éducation musicale susceptible de répondre aux soucis de la grande masse des enseignants très souvent sensibles à ce problème.

Partir de l’expérience et de la vie

En aucun cas nous ne partirons de la règle et de la théorie qui sont foncièrement inhibitrices. « Il faut, écrit Élise Freinet dans l’Art Enfantin de février 1963, aller chercher la fraîcheur originelle chez les jeunes enfants non encore déformés et pervertis par 1a répétition de la musique et des chants adultes; et aussi désintoxiquer les élèves plus âgés, les aider à retrouver leur source, les intéresser à une production et à une oeuvre dont ils seront les auteurs. C’est là toute l’histoire du bouquet de fleurs et de la boîte d’allumettes que dessine l’écolier perverti par les vieilles méthodes et qui doit retrouver la vie, première étape indispensable de l’art. Retrouver, expérimenter, dans le cadre de notre école laïque, une méthode qui, partant de l’expression libre musicale, nous haussera, sans dangereux hiatus, jusqu’à la culture ».

Nous partirons donc exclusivement de l’expérience et de la vie et nous procèderons selon notre méthode nouvelle d’apprentissage, par Tâtonnement expérimental (1).

(1)               Voir livre de Freinet à paraître prochainement : Le Tâtonnement Expérimental.

Le chant et la musique sont naturels à l’enfant

Notre méthode naturelle de lecture est fondée sur le fait que l’enfant placé dans un milieu naturel, donc non scolarisé, parle naturellement par besoin et que nous n’avons qu’à servir l’expression de ce besoin.

Le chant et la musique sont de même naturels à l’enfant. Les premières paroles du bébé sont modulation et musique, intégration à l’harmonie du monde ambiant. Nous exploiterons au maximum ce besoin de chanter et de produire de la musique en offrant à l’enfant une large gamme d’expression musicale.

La musique est d’abord active ce n’est que par déformation qu’on l’a rend passive

Contrairement à ce qu’on pourrait croire à notre siècle de radio et de disques, la musique est d’abord active. L’enfant veut s’extérioriser par les gestes, les bruits, les sons. Il veut créer lui-même de l’harmonie à l’unisson de celle qu’il sent autour de lui et il y parvient d’autant mieux que le milieu lui offre des exemples culturels.

C’est exactement le même processus que pour le dessin. L’enfant invente des formes auxquelles il donne vie. Selon le processus de Tâtonnement Expérimental, il améliore sa technique par le spectacle permanent dans lequel il baigne : harmonie de la nature, soleil et lune, arbres et animaux, réalisation des camarades et, exceptionnellement, des adultes.

« Il ne s’agira plus d’imposer à l’enfant, écrit Jacques Bens dans L’Éducateur du 15 janvier 1953, des notions artificielles venues de l’extérieur - adultes que nous sommes. Mais il faudra le gagner par les voies qu’il nous indique lui-même, voies de poésie et d’envol vers un univers où nous aurons peut-être peine à le suivre. En musique plus qu’ailleurs, il faut laisser l’enfant marcher devant nous et ne pas l’enfermer dans un rigorisme qui ne le mènerait à rien. Qu’importe la généralité de ses découvertes ? Qu’importe qu’elles aient ou non une portée universelle? Ce n’est pas pour les autres que l’enfant travaille, c’est d’abord pour lui. Et il a fort à faire, et nous avons fort à faire pour l’aider.

Si un génie nous naissait ce serait la meilleure éducation pour lui que celle qu’il se serait forgée lui-même. Et pour l’ensemble des autres qui ne sont pas des génies, qu’elle importance cela a-t-il qu’ils ignorent Palestrina ? Tâchons de leur faire aimer la musique. Si nous y parvenons, nous aurons atteint notre but ».

Le tâtonnement expérimental musical

Nous avons donc ouvert tout un chapitre primordial à l’enseignement de la musique : le Tâtonnement Expérimental indispensable, que nous pratiquons ainsi :

- Nous incitons nos enfants, même tout jeunes à chanter, en inventant airs et paroles.

Comment les y inciter ?

Nos méthodes d’expression libre nous y préparent. Quand un texte libre est écrit, puis mis au point, nous le faisons siffler et chanter dans la mesure où le thème s’y prête, naturellement.

- Nous enregistrons au magnétophone qui magnifie le chant de l’enfant et lui donne une nouvelle motivation.

Mais l’enfant, nous objectera-t-on, ne sait ni chanter, ni jouer d’un instrument. I1 est techniquement incapable de produire quelque chose de valable et il appartient aux éducateurs de le leur enseigner.

On nous présentait exactement le même argument au début de nos techniques.

Nul ne croyait alors que des petits de la maternelle ou d’un CP puissent exprimer oralement ou par écrit une pensée significative digne d’être notée. Puis l’expérience est venue et l’on admire partout aujourd’hui les textes, les poèmes et les dessins, fruits de cette expression libérée des erreurs scolastiques.

Il en est exactement de même pour les productions musicales. Il suffit aujourd’hui d’entendre une des nombreuses bandes magnétiques produites par les adhérents de notre groupe sonore, ou quelques-uns des disques suivants de réalisation enfantine (1) pour sentir qu’une porte nouvelle a été ouverte vers l’expression des enfants au service de la vraie culture musicale.

Usera-t-on d’instruments de musique ?

Pour éviter à l’enfant de composer et d’imprimer son texte, vous pouvez évidemment lui distribuer une feuille imprimée à la rédaction et au tirage de laquelle il n’aura point participé. Mais ce faisant vous créerez un hiatus qui trouble et déroute. Dans la chaîne de l’expression, un chaînon est escamoté et le mécanisme ne fonctionne plus à notre satisfaction.

Au lieu de donner à l’enfant des outils tout prêts qu’il suffit d’acquérir : pipeau, harmonica, guitare ou piano, nous l’entraînons à préparer lui-même, avec les moyens du bord, les instruments de musique qui lui permettront de créer et de s’exprimer: bouteilles, verres, mirlitons, casseroles, tambours, mandolines et pipeaux réalisés par les enfants eux-mêmes.

On trouvera toutes indications technologiques et techniques sur la recherche et la construction de ces instruments de musique, base du tâtonnement, dans la brochure BT n° 383: Fabrique des instruments de musique.

L’Ariel

Nous avons même réalisé et construit un appareil qui permet le tâtonnement expérimental évolué: l’Ariel (2).

Sur les cordes que comporte l’appareil, et grâce à tout un jeu de chevalets, l’enfant compose, par tâtonnement, sa propre musique, sans lois ni règles.

Les résultats en sont, de l’avis général, excellents.

(1) liste des disques de méthode naturelle: 45 tours longue durée
Éditions CEL, BP 282, Cannes Le disque.       11 F.
1005 Gerbe de chants libres : Joies (enfants de 4 à 8 ans)
(2) L’Ariel, voir pages 12 à 14 de ce dossier.
Écoutez le disque n° 2005 Ariel 63, édité par la CEL.
2003 Les chansons de Gérard (7 ans) Musiques libres
n° 2004 Coucou, opéra à l’école maternelle
Nos comptines
2005 Ariel 63 Chants et musiques libres.

Ce n’est que si l’on a créé soi-même qu’on est sensible à l’œuvre des autres

Ce n’est que lorsqu’on a produit soi-même qu’on est en mesure de s’enrichir de l’expérience des autres.

Si vous avez écrit des poèmes, vous serez sensibles à ce qu’ont produit, sur des thèmes similaires, les poètes passés ou contemporains.

Si l’enfant a créé de la musique il sera alors profondément réceptif à l’œuvre des maîtres.

Nous synthétisons les processus d’acquisition par tâtonnement expérimental en rappelant ici que nous avions écrit il y a douze ans déjà en présentant notre Méthode Naturelle de musique :

« Il n’y a pas de raison qu’une méthode de travail qui nous a si bien réussi pour le langage ne nous apporte pas les mêmes avantages et les mêmes succès dans le domaine de l’expression musicale. Seule­ment, il nous faut, comme pour le langage :

- Fixer expérimentalement, pour ce qui nous concerne, nous éducateurs, les voies nouvelles de cette pédagogie à base de vie et d’expression libre, et mettre au point coopérativement la technique qui rendra naturelle et permanente l’expression musicale, qui nous vaudra tous les matins une Gerbe émouvante de chants libres, comme notre technique de rédaction nous enrichit tous les jours d’une moisson insoupçonnée de textes libres.

- Ajuster, expérimentalement et coopérativement, sur cette expression enfantine, une part du maître heureusement dosée qui nous permettra la mise au point individuelle, en commun ou en groupes, des motifs retenus, leur utilisation et leur diffusion : par le chant individuel et collectif en classe, hors de 1a classe, au cours des fêtes scolaires, par l’intégration permanente de ces chants aux autres modes d’expression enfantine : pipeaux, rythmique, théâtre, marionnettes ; par la réalisation dans nos classes d’un climat d’expression musicale qui se traduira notamment par l’insertion régulière dans le journal scolaire, au même titre que les textes littéraires et les dessins, de une ou plusieurs pages de chants libres mis au point en classe, pédagogiquement exploités, et que les camarades correspondants pourront reprendre, chanter, jouer, critiquer.

- Prévoir de bonne heure aussi l’exploitation pédagogique du chant libre par l’audition de morceaux adultes qui seront comme la résonance à l’échelle du vaste monde, de l’originelle création enfantine. Nous savons qu’alors nos enfants ne se contenteront plus d’imiter et de répéter passivement. L’œuvre adulte deviendra pour eux le prolongement de leur propre expérience, l’engrais spécifique qui nourrit la jeune plante déjà gonflée de sève qui s’est élancée hardiment vers le ciel.

Notre méthode apportera alors quelque chose de nouveau et de précieux à la pédagogie de la musique. Elle nous permettra de réaliser, à l’échelle de notre École, les réussites populaires dont le folklore nous donne aujourd’hui des chefs-d’œuvre qui furent eux aussi conçus, individuellement ou collectivement, sans connaissance d’aucune théorie ou règle musicale, à même la vie du peuple, à même la nature, le travail et l’action ».

Le magnétophone qui pourrait et devrait devenir un outil courant de l’École, nous permettra la mise en place définitive de notre méthode naturelle.

Le théâtre libre enfantin peut être un des éléments majeurs de l’expression enfantine

I1 ne s’agit certes pas des pièces de théâtre longuement bachotées que pratiquait l’ancienne école, et qui ont si souvent cours encore dans les fêtes scolaires, mais du théâtre libre où les enfants font corps avec l’action.

Ce théâtre libre est souvent accompagné de musique d’enfants ou d’adultes qui anime et soutient le spectacle.

« Par le geste, la mimique, l’enfant s’identifie au personnage invoqué tout en projetant sur l’objet sa propre personnalité.

Ce curieux phénomène de dédoublement, si naturel à l’enfant, est une véritable expérience tâtonnée, tout à la fois physique et mentale, d’autant plus enrichissante qu’elle aide l’enfant à la fois à sortir de lui-même et à se trouver en tant que créateur de situations nouvelles ».

(Mad. Porquet, Inspectrice Maternelle, n° de février 1963 de l’Art Enfantin). Dans le même texte, Mlle Porquet explique comment une grande fête scolaire avait été montée avec la musique des Quatre saisons de Vivaldi (1).

(1) Voir aussi du même auteur la BEM n° 27-28 « Les techniques Freinet à l’École Maternelle ».

Comment enseigner le chant ?

Le tâtonnement expérimental assuré, comment enseigner le chant, et quels chants faire apprendre ?

Nous ne répondrons pas ici à cette question dont s’occupent de nombreuses revues et sur laquelle de nombreux éducateurs pourront apporter leur propre expérience.

I1 y aura sans doute lieu d’examiner l’influence souvent désastreuse de la radio et du disque.

Quelques camarades insistent à ce sujet sur le fait que le chant devrait être le plus possible choral alors que les techniques en vogue poussent presque exclusivement au chant individuel. Et la mode en ce domaine est hélas! prépondérante.

Faut-il écouter des disques ? Quand ? Comment ?

Tout est évidemment ici question de mesure et de préparation.

Si, par une bonne méthode, et avec un maître musicien, les enfants sont parvenus à sentir et à comprendre la musique, on pourra certes, à des moments favorables, leur faire entendre des disques comme on leur lit un beau texte ou un poème. C’est affaire de climat.

Le Bohec est très sceptique sur l’attirance des enfants par la musique des autres (sauf peut-être lorsque la musique est exprimée par des lignes mélodiques très pures). Et Berteloot ajoute :

« Ce qui tue la véritable musique populaire, c’est le disque. On ne goûte plus la musique, on l’écoute passivement ».

Or, le climat en classe n’est qu’exceptionnellement favorable à la belle musique. Et il serait regrettable de l’imposer comme on impose une leçon.

Peut-on faire écouter des disques quand les enfants dessinent ?

En sont-ils influencés ?

Oui, à condition que le choix en soit fait judicieusement et que la musique apparaisse comme un fond transformant l’atmosphère de la classe.

Alors, si, par des disques harmonieusement choisis on peut recréer ou améliorer l’atmosphère sensible d’une classe, le résultat ne saurait qu’être favorable.

I1 ne fait pas de doute que les enfants ne dessineraient pas exactement comme ils le font en classe s’ils se trouvaient en pleine forêt, où la musique des arbres et le chant des oiseaux se mêlent au bruit du vent dans les feuilles et à la douceur de la lumière tamisée par le feuillage. Ils ne dessineraient pas de la même façon au bord calme d’un lac ou devant les vagues fracassantes de la marée.

Nous avons tenu à préciser les points sur lesquels chacun d’entre vous, selon ses tendances et son expérience, pourra aborder la discussion. N’oubliez pas que notre méthode naturelle à base de tâtonnement expérimental vous sera en tous les cas le guide sûr qui vous permettra d’aborder les problèmes avec logique et bon sens.

C. F.

Pour tous renseignements :

et pour la vente écrire à: CEL BP 282 - Cannes (A-M)

La CEL vous propose un choix de disques adaptés à tous les cours. Ils permettent à tous les maîtres, même à ceux qui ne sont pas musiciens, l’enseignement de chants et de danses.

La collection de disques de danses folkloriques CEL est l’instrument idéal pour la préparation facile de fêtes scolaires originales et colorées.

(Voir catalogue et tarif CEL)

Deux films, coproduction de l’ICEM et des productions de Touraine.

• Au Matin de la Vie

• Genèse

sont consacrés à l’expression libre et illustrés de musiques et chants d’enfants.

Écrire à CEL - Cannes (A-M)

L’ARIEL
par
Paul Delbasty

Il s’agit d’un instrument à cordes tendues que l’on peut gratter, pincer, comme l’actuel Koto des japonais ou la Cithare, ou frapper au marteau comme le Tympanon ancien ou le Czimbalum hongrois moderne. Nous l’appelons l’ARIEL. Nous disons plus loin son originalité.

Pourquoi, nous dira-t-on, avez-vous cherché autre chose que ce qui existe déjà, qui est l’aboutissement de recherches séculaires, millénaires, et ne saurait être dépassé ni dans la perfection de la fabrication, ni dans l’adaptation à nos mains créatrices et ouvre grandes les portes de la civilisation moderne ? Et peut-on faire quelque chose de nouveau qui vaille la peine d’être fait ?

Nous disons qu’il s’agit là d’idées fausses dont nous discuterons volontiers ailleurs.

Il nous suffira ici de rappeler en préambule que les instruments des adultes ne sont pas adaptés aux enfants et que les instruments pour enfants sont pour 1a plupart des jouets sans intérêt, plus aptes à écarter de la musique qu’à y conduire, telles ces cithares qu’on trouve dans le commerce et qui finissent sur les étagères à poussière, car personne ne tente plus l’épreuve périlleuse de les accorder. Ajoutons, ce qui mériterait d’être approfondi longuement, que ces instruments restent figés par des conceptions traditionnelles de notre occident qui ont certes leurs inestimables vertus, mais ne peuvent servir l’originalité de la création enfantine, ni faire écho à la musique actuelle qui vit des souffles de toute la planète que nous respirons sans même nous en apercevoir, au grand scandale inutile des théories scolastiques.

Les instruments primitifs de la BT : Musique naturelle, n° 383, sont venus apporter des ébauches qui plaisent évidemment aux enfants, mais trop rustiques sans doute, aux possibilités trop limitées, au réglage trop délicat pour qu’ils aient donné dans nos écoles ce que nous aurions cru pouvoir en attendre.

Nous ne disons pas qu’avec cet Ariel nous tenons un instrument parfait, ni très bon. C’est l’expérience coopérative qui nous dira si nous ne nous sommes pas trompés. Nous aurons ensemble à l’améliorer et voir comment il pourra travailler dans nos classes où des maîtres souvent découragés par une pédagogie déroutante n’osent plus parfois aborder la musique avec leurs enfants.

L’Ariel n’est pas là pour quelque gloriole ou pour quelque argent; il sera à ceux qui vont s’en servir et qui pourront le modifier à même le travail des enfants pour le hausser jusqu’à sa meilleure forme possible.

Principe :

Sept (ou moins ou bien plus) fils d’acier de la meilleure qualité sont tendus sur un cadre rigide de façon à donner tous le même son, ce qu’un maître même sourd, réalise grossièrement en compagnie de quelques enfants, dans le pire des cas imaginables.

Ensuite, c’est l’enfant qui place, sous ces fils, des chevalets mobiles qui lui permettent d’obtenir une série de sons dont la succession, l’ensemble, lui plaisent et qui constitue une palette sonore qu’il n’a plus qu’à utiliser en pinçant ou en frappant les fils tendus.

L’Ariel aborde donc aussi aisément des palettes à tous petits intervalles comme celles à grands écarts. Il peut aussi bien reproduire les gammes classiques et donc les chants traditionnels, il suffit de l’accorder en utilisant les chevalets mobiles, ce qui se fait toujours sans difficulté, avec toute la précision souhaitable.

Pour jouer de L’Ariel

Vous avez préparé votre nappe sonore. Toutes vos cordes donnent à peu près le même son.

Placez maintenant les chevalets mobiles et cherchez une succession de sons qui vous plaît, n’aurait-elle que trois sons pour commencer. Vous aurez auparavant frappé, frotté, pincé les cordes, vous les aurez frappées toutes à la file ou plusieurs à la fois, les écoutant résonner et s’amortir doucement; cela aura duré plusieurs jours pour les enfants et aura donné lieu à de nombreuses expériences toutes nécessaires.

Vous aurez maintenant préparé votre palette. Si vous décidez d’utiliser les divers tronçons de cordes déterminés par les chevalets mobiles que vous avez glissés sous elles, la recommandation qui suit est inutile : si vous n’utilisez que la portion des sections de cordes à votre droite, faites glisser votre mouchoir ou quelque tissu entre les cordes à gauche de façon à supprimer leur vibration. De toute façon, tandis que vous frappez d’une main les cordes, vous pouvez, de l’autre main, en étouffer le son en la posant au bon moment sur la corde que vous voulez faire taire.

Mais posez donc cet instrument dans votre maison ou dans votre classe, sans explication, avec, à côté, le marteau et les chevalets et voyez comme les enfants s’y mettent.

Laissez-les aller, ils vont s’emballer.

P. DELBASTY

Buzet-sur-Baïse (L.-et-G.)

Extrait d’Art Enfantin n°28

VERS
UNE MÉTHODE NATURELLE
D’ÉDUCATION MUSICALE

Récit de la naissance d’un chant collectif sur un texte libre. (en italique, ce que fait le maître)

Un matin, Daniel (7 ans), nous montre un dessin accompagné d’une courte phrase.

« Sur la mer, les grands navires voguent sur l’eau, claire et bleue ».

Tout le monde s’intéresse.

Nous l’arrangeons vite au tableau,
                        sur la mer
                        claire et bleue
            les grands navires voguent.

- Je voudrais le chanter.
- Moi aussi, moi aussi...
Je dessine la portée.
- N’oubliez pas la clé de sol. Je vous la dessine.
Et déjà chacun s’essaye... J’attends, j’écoute tour à tour.
Et déjà chacun s’essaye... J’attends, j’écoute tour à tour.

Jacques :
Daniel :
Francis : Ça se balance comme la mer. Il faut continuer comme cela.
Daniel : Oui, pour trouver, il faut presque s’endormir. Là, on chante.
Bernard :
- Je l’écris au tableau
- Mimi : Ce qu’a chanté Daniel, c’est « le petit escalier », trois notes qui se touchent en descendant.
- Oui, comme dans « le petit arbre ».
Jean-Pierre: Il faut « claire » très haut.
- Choisissons le plus clair, le plus lumineux
- Coco : La fin c’est trop bas.
- Rechantons.
- C’est vrai, c’est trop bas. Il n’y a que Bernard qui peut le chanter et puis ce n’est pas joli.
- Ça se balance pourtant.
- Serge:
- Là, c’est un peu joli.
- France : Il ne faut pas appuyer sur le « guent », mais un peu sur le « vo »
- Mettons l’accent.
- Chantons-la pour l’apprendre.
- Le début est difficile, apprenons-le tout seul.
- Chacun son tour.

- Demain, on le saura tout à fait.
Pourquoi avez-vous mis les petits dessins, à côté de la clef de sol.
- Le premier, c’est un si bémol.
- Et si on ne le mettait pas.
- Voilà ce que ça ferait : je chante.
- Ce n’est pas l’air. I1 faut celle d’en haut plus bas.
- Oui, celle d’en haut, c’est un si, pour le baisser, on met un bémol.
- Et l’autre si ?
- Écoute - sans bémol... avec...
- Il faut le bémol.
- On le met au commencement, et il comptera pour tous les si de la chanson.
L’après-midi, sous le cèdre, nous dansons. Bernard fait le navire qui se balance, les autres la mer et les vagues.

LE LENDEMAIN
-                     Elle est jolie cette chanson.
-                     Le bateau se balance.
-                     Je le vois dans ma tête.
-                     Les vagues se balancent.
-                     Le blanc qu’il y a derrière le bateau aussi.
-                     L’écume.
-                     Comme un drap qui traîne.
-                     Comme à la mariée.
-                     La traîne.
-                     Jolie traîne.
-                     Plus que jolie, belle traîne.
-                                             derrière eux
-                                              belle traîne
-                      L’écume se balance.
-                     Chantons-le avec le même air. La mer et le ciel se ressemblent. Le ciel se voit (se reflète) dans la mer.
-                     Blanc et bleu...
-                     Tous les deux.
-                     Mer et ciel (Je chante) se ressemblent.
-                      Bernard :
-                      Les airs se ressemblent. C’est bien comme cela.
-                      Francis. Il faut rester sur deux.
-                      Alors, j’écris le point d’orgue. Chantons.
-                      Alain. I1 faut aller moins vite à la fin.
-                      Ralentir ?

-                      Oui.
-                     Alors, écrivons Ral...
(Je n’ai pas, jusqu’ici posé les barres de mesure et personne ne s’est encore inquiété de la valeur des notes).
- Les accents. Oui, cherchons-les. Chantons en suivant au tableau.
- C’est toujours pareil.
                        sur la mer claire et bleue
- Et comme cela:
                        sur la mer claire et bleue
- Ça se balance mieux.
- Je pose les barres de mesure.
- Pourquoi ces barres et pas les «accents».
- Parce que c’est toujours pareil. La barre indique qu’on appuie sur la note qui la suit.
- Et ce que vous avez écrit au commencement.
- Pour aujourd’hui, c’est assez... Chantons.
- On va l’aimer celle-là.

 

DELBASTY, Buzet-s-Baïse (L.-et-G.)

En Allemagne

La genèse du sens musical chez l’enfant

Pour l’adulte la musique est un art, donc soumise à des principes esthétiques qui, tout en étant capables d’évoluer, exigent qu’elle soit belle et élève l’âme. Pour l’enfant la musique ne constitue pas un aspect de 1a vie, qu’on pourrait à la rigueur négliger, mais elle est partie intégrante de sa vie.

L’enfant et le rythme

L’enfant n’a pas conscience de la musique pure, car chez lui aucun aspect de la vie n’est isolé dans le temps et dans l’espace. Ainsi des enfants qui chantent, éprouvent 1e besoin de se mouvoir, de faire autre chose en même temps. Le mouvement s’associe à la musique, la pénètre et la rend vivante. A l’audition d’une mélodie, l’enfant battra la mesure à sa manière, ou esquissera des pas de danse.

Son impulsion le poussera à juger de la valeur d’une chanson en premier lieu par le rythme: peut-on la danser, la mimer, faire des gestes rythmiques? Le maître l’autorisera-t-il ? De plus en plus on constate qu’une classe «figée» ne se justifie pas toujours du point de vue pédagogique. En musique elle devient même un non-sens, car une telle classe prive la musique de son moteur (1).

La chanson mimée est le domaine propre de l’enfant, car elle groupe deux facteurs originaux: le chant et le mouvement. La danse enfantine est elle aussi une résultante des mêmes facteurs: musique et mouvement. Les essais faits pour doter les enfants d’instruments de rythme, partent également de ce principe. Dans le monde de l’enfant, la musique pure, absolue, libérée du corps, du mouvement n’existe donc pas. Il n’est pas non plus d’activité à mouvements qui ne soit en relation avec la musique sous une forme quelconque. Il y a interpénétration entre les divers mouvements et la musique. La joie du mouvement est provoquée chez l’enfant par un besoin intérieur, le poussant à faire quelque chose, à agir, à se manifester. Cette activité est un phénomène d’une grande portée pédagogique. L’enfant a tendance à créer, à produire plutôt qu’à reproduire. Ce penchant est connu dans le dessin, le travail manuel et dans l’exposé. L’équivalent se retrouve en musique: c’est l’improvisation. Déjà avant l’âge scolaire, l’enfant fredonnera pour lui, inlassablement, une mélodie, sans paroles sensées, jaillie de son intérieur.

De telles improvisations peuvent se comparer à des dessins libres. Par là l’enfant ne recherche pas un résultat mais i1 exprime son besoin d’activité musicale et créatrice. La musique pour lui n’est pas l’expression d’un art, mais un fluide lui permettant de s’épanouir et d’épancher sa vitalité.

Ce besoin de mouvement persiste encore plus tard à l’école quand on «reproduira» des chansons. L’imitation et l’improvisation s’interpénètrent alors et dans les petites classes, on peut souvent observer comme les enfants modèlent et complètent à leur manière leurs impressions musicales. Tous les enfants savent improviser et le feront aussi longtemps qu’on ne leur enlèvera pas leur insouciance et leur personnalité.

Dans la pratique de l’enseignement, il serait souhaitable de produire, à côté de chansons enfantines et populaires, des improvisations, aux paroles puisées dans le répertoire de l’enfant, qui s’insére­raient dans les leçons de chant, de langue, de géographie, etc. L’enseignement sera rendu plus vivant par des improvisations rythmiques et instrumentales, des essais sur un thème et l’achèvement d’une chanson dont le début est connu.

L’enfant et le texte de la chanson

Dans sa conception de l’esthétique musicale l’enfant classera en second lieu, non la mélodie, mais les paroles. La plus belle chanson ne lui plaira pas s’il n’éprouve pas d’attraits pour les paroles et l’esprit de la chanson. Les exigences de l’enfant, quant au texte, varient avec l’âge. Ainsi l’élève du CP préférera les chansons se rapportant à son monde: les animaux, les jouets, les personnages de contes, son entourage.

N’oublions pas que les enfants aiment rire. Une tournure comique des paroles leur conviendra particulièrement. L’étape suivante du «réalisme enfantin» conditionnera un autre choix de thèmes: chants de métiers, de voyages. Mais le répertoire du C.M. conservera des chansons mimées et dansées.

L’enfant et la mélodie

L’enfant vit sa musique, la possède comme un réflexe. Le motif revient toujours 1e même, uniforme, flottant. Le fait que souvent l’enfant ne remarque pas que le même air est adapté à deux chansons différentes, démontre combien son sens critique de la mélodie est atténué. Pour lui la musique n’est pas un élément extérieur, mais intérieur; il la vit. D’ailleurs son ouïe ne contrôle pas encore absolument la justesse d’une mélodie. En effet, une mélodie juste ou fausse ne se juge que par comparaison avec la gamme. Or, les enfants ne sont pas, a priori, familiarisés avec la gamme dont l’étude s’étend sur toute la durée de la scolarité.

En première et deuxième année, quelques enfants chantent donc encore «faux».

La grosse difficulté est constituée par les demi-tons mi-fa et si-do, alors que les autres intervalles sont chantés d’une manière relativement pure. Leurs premières chansons utiliseront le plus souvent la gamme «pentatonique» do, ré, mi, sol, la, do.

L’apprentissage de la gamme normale est très délicat. Comment le maître pourra-t-il se faire comprendre? Que signifie pour l’enfant chanter «plus haut» ou «plus bas"? Nous lui demandons d’émettre un son comptant plus ou moins de vibrations-seconde que l’autre, et les mots «haut, bas» ne disent rien à l’enfant qui émettra soit le même son, soit un son plus aigu ou plus grave, sans discernement de sa part.

Un échec ne prouve donc pas l’absence du sens de la musique. Vu sous cet angle, l’emploi de signes ou de la musique écrite dans la portée semble d’une efficacité problématique. Le meilleur moyen sera l’exemple de la voix humaine, surtout dans les petites classes.

Traduit et condensé par EHRET,

Tampon, Île de la Réunion

(1) cf l’enquête parue dans L’Éducateur 1964-65 et menée par F. Legrand : « Musique et danse au service du succès scolaire ».

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