Documents du Nouvel Educateur n°232

Supplément au Nouvel Educateur n°35 de janvier 1992

Travail individualisé

au cours moyen

Par Jacques Terraza


Sommaire

·        L’apprentissage et l’individualisation

·        Une séquence de travail individuel

·        Le temps de travail individuel

·        L’espace de travail individuel

·        Les outils de l’individualisation du travail

·        Techniques de gestion du travail individuel

·        Articulation du travail collectif et du travail individuel

·        Annexes


L'apprentissage et l'individualisation

Désormais l'école doit s'intéresser autant à la manière dont l'enfant apprend qu'à ce qu'il doit apprendre. C'est ce que la vie enseigne.

Il faut noter cependant que même dans la vie l'apprentissage ne se passe pas toujours bien. C'est là souvent que l'échec scolaire prend ses racines, quand le milieu des enfants ne se prête pas au développement de leurs potentialités. C'est là aussi qu'elle cultive l'échec quand elle fait comme si l'enfant n'avait pas d'histoire, quand elle le suppose naturellement disposé à entrer de plain pied dans l'univers qu'elle lui propose.

Depuis des décennies, nous savons, parce que la pratique nous l'a enseigné, que l'école doit, pour réussir sa mission, embrayer sur la dynamique propre de chaque enfant quel que soit le degré de son avancée. Les savoirs récents le confirment.

La dynamique de chaque enfant se construit et se développe à partir de la relation qu'il entretient avec son environnement naturel et des actions qu'il imagine pour adapter à lui cet environnement ou s'y adapter.

L'apprentissage résulte de la réussite de l'action mais n'en constitue pas la finalité. Centrer l'apprentissage scolaire sur l'enfant, c'est d'abord faire de l'école le lieu d'accueil de comportements naturels ou acquis, d'actes réussis, spontanés ou prémédités, générateurs d'apprentissages et non un lieu d'apprentissages générateurs de comportements prédéterminés par l'école et réussis par l'enfant. C'est dans un second temps que l'école pourra anticiper, corriger, infléchir, orienter a priori les comportements naturels pour leur faire produire les apprentissages attendus parce que nécessaires, la lecture par exemple.

Bien souvent d'ailleurs les enfants réalisent eux-mêmes ces anticipations et ces adaptations par un mouvement volontaire dépourvu de conformisme. C'est le signe de l'entrée de l'enfant dans la spécificité de l'apprentissage scolaire et de son acceptation.

C'est dans cette spirale que l'enseignant doit construire son projet, exercer son métier. Réduire l'individualisation des apprentissages à un problème d'outils et de techniques, c'est limiter l'enfant à sa condition d'apprenant, c'est faire abstraction de la globalité de sa personne. C'est entrer dans le problème par la petite porte et se priver des chances réelles d'en sortir convenablement.

Cette profession de foi énoncée, reste pour les praticiens à créer les conditions matérielles, les outils et les techniques de sa réalisation pratique.

Les pages qui suivent décrivent ce que j'ai mis en pratique dans ma classe au fil des années.

Jacques Terraza
Instituteur
École Jean-Moulin
84210 Pernes


Une séquence de travail individuel

Démarrage

Nous sommes lundi 23 octobre 1989, il est 11 h 15, toute la classe est en travail individuel depuis trente minutes. Les enfants ont élaboré leur programme hebdomadaire. Seul ou par groupes de deux ou trois, chacun s'active. Je suis à mon bureau, je vérifie que tous ceux qui présentent une difficulté en lecture ont bien noté leur programme de travail pour la semaine.

Claire quitte sa place, une fiche de math à la main et se dirige vers moi :
Claire : Monsieur, j'ai un problème.
Moi : Lequel ?
Claire : On vend 25 calendriers à 20 F, c'est 20 F le calendrier ou 20 F les 25 ?
Moi : Si tous les calendriers coûtaient 25 F, combien coûterait à peu près un calendrier ?
Claire : Un peu moins de 1 F.
Moi : Penses-tu qu'un calendrier puisse coûter moins d'l F ?
Claire : Non... Alors, c'est 20 F le calendrier.
Moi : Eh oui !
Claire regagne sa place et continue seule son travail interrompu. Notre dialogue n'a duré que quelques instants. Elle se fond dans l'activité de la classe.

La ruche .

Près d'elle, Hugues et Éric rédigent un texte ensemble : un dialogue entre deux personnages qui vivent une histoire rocambolesque. Ils ont programmé ce travail en commun en début de séquence. Luc, Hervé, Lionel et Magali travaillent séparément, chacun sur une fiche autocorrective de français ou de math. Valérie est dans l'atelier. Devant elle, un vivarium sur une table. Dans le vivarium deux crapauds. Valérie et Sylvie les observent. Leurs notes quotidiennes fourniront la matière à un exposé qu'elles présenteront à la classe. William, assis dans un fauteuil, un casque sur les oreilles écoute un livre-cassette. Il ne sait pas lire. Il sait qu'il doit venir dans quelques minutes, me présenter comme chaque jour son bloc avec le dessin et la légende qu'il a péniblement tracée. A partir de là, j'essaie d'engager William sur le chemin de la lecture. Aurélien et Fabrice, non loin de là, réalisent un montage électrique, un programmateur de feu clignotant. Lionel et Esther à l'atelier Lego, travaillent sur les engrenages et les transmissions de mouvements. Au fond de la classe, Sandrine fait la saisie de son texte à l'ordinateur.

Variations

Au fur et à mesure que le temps s'écoule, l'activité évolue. Valérie et Sylvie abandonnent leur recherche sur les crapauds. Valérie retourne à sa place pour une demi-heure de travail autocorrectif, Sylvie commence la rédaction d'un texte libre. Aurélien et Fabrice se séparent. Aurélien passe à l'atelier de peinture pour continuer un tableau qu'il a commencé la semaine précédente, Fabrice revient à son bureau et corrige un texte avant de le recopier au propre. Claire ne fera que des fiches de math car son planning indique un léger retard. William range ses écouteurs. Comme prévu, il vient me montrer le texte qu'il écrit chaque matin et avec lequel je tente de lui apprendre les rudiments de la lecture. Sandrine poursuit la saisie de son texte. Quand elle l'aura imprimé, elle viendra me le montrer pour une dernière toilette orthographique avant la mise en page pour le journal.

Production échange communication

Pendant le travail individuel, la classe est une ruche, selon le cliché cher à Freinet. Mais ici, les fonctions sont interchangeables. La classe est un lieu de productions, d'échanges et de communication. C'est également un lieu d'expériences et de travail. En travail individuel, le groupe-classe éclate. Seuls ou par petits groupes, les enfants produisent une activité autonome et finalisée, selon leur motivation, selon leur temps, selon leur rythme, selon les engagements pris devant les autres. Dans cette ruche il n'y a pas de « reine ». Il y a un adulte, enseignant et éducateur qui organise, incite, propose, stimule, rectifie, temporise, choisit, valorise. Mais l'adulte n'est pas le seul recours. L'activité multiforme qui vient d'être décrite est trop intense pour qu'une personne seule puisse y faire face.

Dans quel temps se situe cette séquence et comment son temps s'articule-t-il avec le temps global consacré au travail individuel ?

Gestion coopérative socialisation apprentissage

Les enfants interviennent dans la gestion et la régulation de l'activité : prises de responsabilité, aides mutuelles, etc. Cette vie foisonnante ne se déroule pas sans heurts, Problèmes d'organisation et de gestion du temps et de l'espace, problèmes de relations interindividuelles, problèmes de capacités, de niveaux de compétences. La mise en ordre de ces dysfonctionnements se fait par la mise en place de règles de comportement et de vie commune. Ces règles sont proposées, débattues, décidées au cours des conseils de coopérative du vendredi. Elles sont ensuite appliquées par les enfants. Leur non respect entraîne des remarques, voire des sanctions. En travail individuel, les enfants exercent en même temps une activité cognitive et une activité sociale.

Le temps en travail individuel

Six heures trente de travail individuel par semaine

Mon emploi du temps prévoit six heures trente de travail individuel au cours desquelles les enfants travaillent seuls ou par petits groupes en fonction d'un programme élaboré le lundi matin et vérifié le vendredi soir. Le samedi matin est un jour de synthèses, de mises au point collectives, d'évaluations et de contrôles.

En dernière heure, le vendredi, nous faisons le bilan de la semaine écoulée et jetons les perspectives pour la semaine à venir : programmation des séances de communication, textes, exposés, travaux terminés. Les échéances des projets collectifs ou par petits groupes sont rappelées à ce moment-là : mises au point de textes, mises en pages de journaux, projets en retard, progression sur les plannings de fichiers autocorrectifs, etc.

Les problèmes soulevés par la vie collective et coopérative sont abordés également : problèmes relationnels, problèmes matériels, prises de responsabilités, prises de décisions.

Commencée par un temps collectif, (éducation physique ou chant), la semaine alterne temps de travail collectif et temps de travail individuel. Elle se termine par un temps de communication et d'échanges coopératifs, temps de propositions, temps de gestion du travail commun, temps d'information : le conseil de coopérative. Voir annexe p.20.

La semaine, temps social et temps pédagogique

Chaque semaine reproduit le même rythme et, progressivement, l'enfant se l'approprie. La semaine est une unité du temps social à la mesure des enfants du CM. Suffisamment étendue pour qu'ils n'en maîtrisent qu'une partie en début d'année scolaire, suffisamment limitée pour qu'en soixante-dix séquences (deux années scolaires) ils deviennent capables d'en saisir les deux bouts dans le même mouvement. Peu habitués à se projeter au-delà du deuxième jour en début de CM 1, les enfants sont à même de concevoir un projet diversifié et de le réaliser à échéance d'une semaine et parfois plus, au milieu de la deuxième année scolaire.

Soixante-dix semaines, c'est soixante-dix fois prévoir, réaliser, évaluer son travail. C'est manier les instruments de la gestion de son activité et de son temps : plans de travail, plannings, échéanciers, calendriers. C'est une somme d'occasions d'agir sur le temps, d'en recevoir les contraintes, de les apprivoiser. C'est une suite d'expériences par lesquelles s'exercent, s'affinent, se construisent les processus d'appropriation de la maîtrise du temps.

La semaine, temps social. Pour les enfants du CM1-CM2, temps pédagogique. Dimension à leur mesure où ils préparent l'acquisition de conduites autonomes.

Souplesse et flexibilité de l'organisation du temps

Revenons à la grille : son aspect rigide ne représente qu'imparfaitement la répartition des deux composantes du temps de travail : temps de travail individuel, temps de travail commun ou collectif.

Qu'un événement majeur intervienne, prévu ou non, nous abandonnons la grille : sortie en enquête, colis des correspondants, communication d'un projet arrivé à échéance, etc. Le temps est banalisé, asservi à l'événement. Qu'un projet individuel arrive à échéance et que sa communication au groupe demande une mise en forme longue et minutieuse : exposé oral, exposition, l'auteur du projet (un enfant seul ou un petit groupe) peut se détacher du travail collectif, le temps qui lui est nécessaire à la finition de son produit. Que des enfants « décrochent » ou s'ennuient parce que le rythme du moment commun les dépasse ou les ralentit, ils quittent le groupe pour leur plan de travail individuel. « Le temps est sur les choses et tout dépend du contenu de l'action et de la motivation du sujet (1). »

Sur un jour, sur une semaine, la rigidité de la grille ne traduit pas la réalité du temps. Mais sur une longue période, elle rend compte des grandes lignes de sa répartition, des volumes respectifs du temps individuel et du temps collectif. Sur la durée, les variations de rythmes, les interférences entre le temps collectif et le temps individuel restent limitées. Elles interviennent aux marges du dispositif. Elles lui donnent la souplesse et la flexibilité qui en font une machine à intégrer les différences, à prendre en charge l'hétérogénéité du groupe. Il ne s'agit pas de vouloir gommer les écarts de niveaux entre les enfants ou de croire qu'on peut lancer chacun dans « sa voie royale ». Il s'agit d'offrir à tout le monde des situations au cours desquelles ont lieu des prises de décisions, des prises de parole, des prises de responsabilité, des apprentissages différenciés.

Pour un enfant, accepter de se séparer d'un groupe qui travaille à un niveau trop élevé pour lui, ne pas subir une situation qui le dépasse, prendre conscience de ses limites du moment et agir pour tenter de les repousser au lieu de subir, ou bien décider de soi-même de banaliser son temps pour terminer une tâche qui exige la continuité de l'action, c'est faire acte d'humilité, de réalisme, de responsabilité. C'est apprendre comment utiliser son temps, voir comment l'insérer dans le temps collectif, comment en acquérir la maîtrise. C'est apprendre à devenir autonome.

La mise en place du travail individualisé passe par une organisation et une gestion modulée et flexible du temps. Chaque enfant doit pouvoir inscrire la variété de ses rythmes et de ses temps personnels sur le fond du temps social et du temps collectif. Au cours du CM1-CM2 six heures trente y sont consacrées chaque semaine.

L'espace du travail individuel

Fléchir le temps à la mesure de son projet (projet de l'enfant), faire cohabiter plusieurs activités simultanées, faire qu'elles avancent, qu'elles se croisent, se nourrissent mutuellement, là réside la richesse potentielle de l'individualisation du travail née de « la diversité de l'hétérogénéité des moyens et des ressources des enfants (1) ».

La pratique de l'individualisation du travail se fonde sur une organisation réfléchie du terri s et de l'espace logiquement articulés à un équipement matériel adapté et disponible : outils, machines, instruments, mobilier.

(1) H. Montagner, Rythmes des enfants et des adolescents.

L'espace

L'espace est un élément essentiel de l'individualisation du travail. Sans espace organisé, il n'y a pas d'individualisation réelle et efficiente. L'espace se décompose en quatre éléments qui jouent chacun un rôle spécifique : la classe dans sa conception traditionnelle, la classe banalisée, les ateliers et les murs.

La classe traditionnelle

Freinet (avec d'autres) l'appelait l'auditorium scriptorium, lieu au sein duquel chaque enfant a sa place, ses affaires personnelles.

L'emplacement de chacun est déterminé par une négociation, un compromis entre les désirs des enfants et les contraintes matérielles et pédagogiques : les grands au fond, les petits devant, les élèves les plus dynamiques dans les zones de « faible réponse » (premiers bancs, zones latérales), les élèves les plus indolents, les plus passifs dans les régions actives (région centrale) de la classe.

Christophe est petit. Stéphane, son meilleur camarade est grand. Ils sont inséparables. Cette année, en classe, ils seront séparés à cause de leur différence de taille. Alexandre est perturbateur, agité permanent. Malgré ses affinités avec Olivier, ils ne seront pas ensemble. Olivier s'installera dans une zone centrale, Alexandre sur l'aile gauche de la classe.

En cours d'année, la situation peut évoluer. Chacun peut remettre en question sa situation de départ et négocier une situation nouvelle par le canal du conseil de coopérative.

La classe est le lieu de la transmission verticale du savoir. C'est la classe traditionnelle, élément, mais élément seulement, du dispositif d'ensemble de l'organisation de l'espace.

La classe polyvalente

C'est le même espace à un autre temps. Là, face au groupe, les enfants viennent faire leurs exposés, lire leurs textes, leurs comptes rendus de lectures, tiennent leurs conseils de coopérative. Au sein de cet espace-temps, la communication est d'abord univoque puis elle s'étend à l'ensemble du groupe et circule en réseau sous le contrôle d'un donneur de parole désigné chaque jour par le groupe. Dans cet espace, pendant ce temps, la communication est horizontale. L'échange a lieu entre pairs. Toutes les prises de parole, y compris celles de l'enseignant, transitent par le donneur de parole. Chacun ici est à sa place, dans sa sphère mais avec beaucoup plus de souplesse que dans la situation précédente. C'est le lieu de communication et de respiration du groupe-classe.

L'atelier

En réalité, la « classe plus l'atelier ». C'est le lieu du travail individualisé proprement dit. L'espace est banalisé, le temps est éclaté. Chacun conduit son projet personnel et occupe l'espace selon les besoins du travail. La « classe banalisée » est le lieu privilégié des activités papier : écriture des textes, travail autocorrectif, dessins, graphismes, recherches documentaires, maquettage du journal, lectures, etc. Pendant ce temps, dans cet espace les enfants ne sont plus titulaires de leur place. Ils s'associent avec l'un, avec l'autre, au gré des programmes de travail. Travail seul, travail en doublette ou en triplette, très rarement davantage. Le contenu de l'activité détermine le nombre des partenaires associés à un travail commun. Un ou deux, très rarement plus, pour les fiches autocorrectives, les travaux d'enquêtes, de recherches documentaires, de mises en pages, de graphismes d'écriture de textes.

Christophe et Hugues mettent leurs textes en page. Ils sont installés à la table de Valérie et Sandrine. Valérie observe les crapauds, Sandrine saisit son texte à l'ordinateur. Delphine est à sa place. Lionel s'est installé près d'elle. Ensemble, ils recherchent des informations sur la Palais des Papes d'Avignon.

Autour de cet espace central, le mobilier : étagères, casiers, tables de travail, armoires. Le long des murs, du mobilier de rangement : des bacs à brochures, pour les collections documentaires, des meubles à tiroirs nombreux et bien identifiés pour recevoir le matériel et les travaux en cours : recherches, expériences, observations, pages du journal, feuilles, crayons de couleur, matériel divers. Tout ce dont chacun peut avoir besoin doit être disponible, accessible et se trouver à proximité des activités qu'il sert. Les fichiers autocorrectifs que tout le monde utilise quotidiennement, dans le prolongement des allées, sur un espace large et ouvert. Les axes de circulation doivent être pensés de façon telle que les déplacements soient fonctionnels et réduits au maximum. En travail individuel le bruit peut être un fléau. Il vaut mieux s'en prémunir par l'organisation de l'espace plus que par la sanction.

En complément de cet espace banalisé et polyvalent : l'atelier. Il peut être dans un local attenant ou dans un coin de la classe si elle est spacieuse. L'atelier accueille les travaux qui demandent un outillage spécialisé et permanent :

- plantations, cultures, élevage ;
- expériences de physique, montages électriques, bricolage ;
- écoute, enregistrements, projections audiovisuelles ;
- informatique, coin lecture ;
- peinture, production d'expositions...

En travail individuel, les enfants travaillent dans la classe ou dans l'atelier en fonction de leur activité. La bonne gestion de la diversité des projets permet une utilisation étalée et économique des ressources et des équipements. Ainsi, on évite les embouteillages, les files d'attente, les pertes de temps, facteurs de désordres. Les enfants gèrent l'utilisation du matériel et des lieux : rangements, approvisionnements, maintenance, ordres de passage, etc.

Les murs

Les murs sont partie intégrante de l'espace du travail individuel. L'espace mural reçoit le tableau dont l'usage n'est plus exclusivement réservé à l'enseignant. Les enfants s'en servent comme support de leurs essais, de leurs tâtonnements, comme brouillon, comme lieu d'exposition et de présentation de leurs productions.

Les murs reçoivent également les plannings, les échéanciers, les aide-mémoire, les références communes, les règles de vie. Ils sont le support des outils de gestion du temps, de la matière, des productions des enfants, Ils fixent la mémoire collective de la classe.

Complexité maintenance responsabilisation

L'organisation de l'espace du travail individuel doit répondre à la variété et à la diversité des propositions ou des obligations de travail des enfants. Elle doit en permettre l'intégration. Cette organisation complexe s'étend à toutes les composantes de l'espace physique. En cours d'année, elle doit pouvoir évoluer, suivre le profil de la classe, épouser la spécificité et les dominantes des groupes qui l'occupent successivement. La complexité et la rigueur du fonctionnement imposent une participation des enfants à la maintenance de leur outil de travail. Cette participation contribue à leur formation sociale, culturelle et civique.

Les outils de l'individualisation du travail

Les outils autocorrectifs programmés

Il s'agit d'outils de travail individuel produits par l'édition ou par l'enseignant de façon artisanale.

Programmation

Ces outils sont programmés et autocorrectifs. Ils se présentent sous la forme de fichiers. Ils traitent les notions de français (grammaire, conjugaison, orthographe, lecture) ou de mathématiques.

Leur contenu est programmé en séquences de dix fiches environ. A l'intérieur des séquences, la distribution des notions est aléatoire.

En mathématiques, à l'intérieur d'une séquence, par exemple, une situation d'addition peut être précédée par une situation de soustraction ou de division. Mais toutes les notions sont abordées au même niveau de complexité. Il y a unité de difficulté, variété de situations et de notions. Le principe est le même pour les exercices de conjugaison, de vocabulaire ou de grammaire.

Les contenus se retrouvent de séquence en séquence, de degré en degré. Quel que soit leur niveau, les enfants rencontrent le même type de situation. Quelle que soit la situation, elle est abordée à plusieurs niveaux de complexité.

Chaque séquence est ponctuée d'une fiche de synthèse que les enfants réalisent seuls et doivent faire contrôler par le maître (voir autocorrection : document en annexe p.20).

Régulation différenciation et discontinuité de la progression

Il existe des ruptures de niveaux que les enfants ne peuvent gérer individuellement soit parce qu'ils sont en difficulté, soit parce que la progression d'ensemble du groupe en travail collectif se trouve décalée par rapport à la progression de la classe dans le fichier. Il y a donc une régulation de phase à faire en permanence entre le travail collectif et le travail individualisé, entre les différents niveaux de travail individuel des élèves. Ces régulations permettent la différenciation tout en évitant l'élitisme ou le nivellement par le bas.

L'initiative du choix des enfants ne porte pas sur le contenu (passage obligé correspondant à la demande sociale) mais sur le niveau de l'entrée dans les progressions. Un enfant peut entrer par la série 1, un autre par la série 5. Ce choix est relatif puisqu'il est déterminé par un sondage en début d'année scolaire. La gestion dans la progression est réalisée par les enfants, selon leur rythme, selon leur temps.

La progression des enfants dans les fichiers est linéaire, par paliers ou combine les deux. On constate des phases de maturation qui leur permettent de sauter des séries et de se retrouver de plain-pied avec d'autres enfants momentanément plus avancés. Toutefois, cette gestion différentielle des progressions individuelles ne parvient pas à réduire des écarts dus à des handicaps importants. Mais, quel que soit en définitive le rythme de la progression des enfants dans les fichiers, il accompagne celui de leur progression dans les séquences de travail collectif. Quels que soient les écarts qui peuvent séparer les enfants, toute progression dans les fichiers de travail individuel résulte d'une activité exercée au niveau de l'enfant, conduite en fonction de son rythme et de son temps. C'est une progression perçue et construite par l'individu.

Autocorrection

Ces outils sont autocorrectifs. Les enfants gèrent non seulement leur entrée et leur progression dans le fichier mais également l'évaluation de leur travail fiche après fiche.

Les exercices sont donnés sur une fiche demande à laquelle est associée une fiche réponse que les enfants consultent seuls à la fin de l'exercice. Par comparaison, ils contrôlent et évaluent seuls leur travail. En fin de correction, ils donnent une valeur à leur travail à l'aide d'un code de trois couleurs. Cette valeur est portée sur le planning du fichier, sur le plan de travail et sur le cahier d'exercice.

VERT : exercice juste,

ORANGE : exercice erroné mais compris. Une seconde fiche doit confirmer la réussite.

ROUGE : exercice faux pour cause d'incompréhension. Recours au maître obligé.

Le temps d'utilisation des fichiers autocorrectifs intervient après le temps de la découverte ou de l'acquisition. Leur contenu s'appuie sur ce que Smith appelle « la mémoire non visuelle » (1) ou encore le savoir potentiel des enfants dans le champ disciplinaire concerné.

(I) F. Smith, Devenir lecteur, A. Colin-Bourrelier.

Interaction individuel/collectif

L'exercice individuel agit comme exercice de rappel, d'entraînement, de fixation, d'amplification des savoirs acquis que les enfants investiront dans de futures productions originales : productions écrites, productions mathématiques, lectures, etc.

On réalise ainsi l'interaction entre le temps de travail individuel et le temps de travail collectif. Sans cette interaction, la pratique de ces outils perd son véritable sens et son efficacité.

Apprentissage - autonomie

L'utilisation et la gestion des outils de travail autocorrectifs nécessitent un apprentissage qui s'étend sur le premier trimestre de l'année scolaire. Pendant cette période, l'activité des enfants est guidée et évaluée tous les jours. Le suivi s'espace au fur et à mesure que l'expérience et l'autonomie des enfants s'accroissent. Utilisés en bon équilibre avec les activités collectives de découverte, ces outils consolident les acquis des enfants et les forment à la gestion de leur activité.

Les outils de références

Ce sont les dictionnaires, répertoires, index, fiches mémoires, riches d'incitation, fiches de recherches, documents aux supports multiples : graphiques, sonores, visuels, audiovisuels.

Les enfants les utilisent pour la réalisation de leurs productions : productions manuelles, artistiques, recherches documentaires, productions écrites, sonores ou graphiques.

Ils interviennent à tout moment. lis doivent être en nombre suffisant et toujours disponibles. Leur répartition dans l'espace doit être pensée de façon telle que les enfants puissent en disposer facilement et rapidement.

Tous ces outils se trouvent dans l'édition scolaire. La forme et le contenu de certains d'entre eux (dictionnaires, documents) sont simplifiés. Cette simplification apporte une aide réelle mais momentanée aux enfants. Cependant, il faudra les habituer très tôt à manipuler des documents réels et à travailler avec des outils de références complets.

L'outil doit être adapté aux enfants mais cette adaptation ne doit pas dénaturer la fonction de l'outil.

Les outils de production

Il s'agit de l'ensemble des équipements que les enfants utilisent pour réaliser leurs productions :

- machines à écrire, traitements de textes, imprimantes, photocopieuses, ordinateurs ;
- atelier de bricolage, atelier d'expérimentations scientifiques et techniques ;
- coin élevage, coin culture ;
- coin écoute, coin enregistrement ;
- instruments de communication comme le téléphone, le minitel ;
- atelier de peinture... (voir outils de production documents).

Ces outils sont utilisés quotidiennement. Leur maintien en bon état, l'ordre de passage, sont réglés par les enfants eux-mêmes qui s'organisent.

Les outils de gestion du travail individuel

La gestion de l'ensemble des activités de la classe est assurée coopérativement par les enfants et par l'enseignant, Les outils de gestion se présentent sous la forme de tableaux, de plannings, de calendriers et d'échéanciers.

Voir annexes p.22, 23, 24,

Les plannings de fichiers individuels

Ils se présentent sous la forme de grilles à double entrée. En ligne, les numéros des fiches, en colonne, les noms des enfants. Les enfants cochent les cases en utilisant un code de couleurs selon que le résultat est juste, moyen ou faux.

Les plans de travail individuels

C'est une grille organisée en rubriques sur laquelle les enfants consignent chaque semaine leur programme d'activités hebdomadaires.

Le plan de travail est utilisé tous les jours.

En début de séance, il pointe le résultat de son travail.

En fin de semaine, un bilan est fait. Les travaux en cours ou non réalisés sont inscrits dans les cases mémoires.

Le planning collectif des activités individuelles

C'est un tableau à double entrée qui regroupe toutes les informations contenues sur les plans de travail individuel.

Le temps

Les outils de gestion recueillent et ordonnent la mémoire des activités de la classe (matière, rythme, temps). Ils la fixent et l'inscrivent dans une perspective de travail qui repose sur le temps commun des enfants. Temps intermédiaire, à la fois instrument de gestion des projets et support expérimental de la structuration du temps par les enfants.

Fonction de l'outil

Sans outil, pas de travail réel possible, mais la présence de l'outil ne suffit pas.

Il existe des établissements très bien équipés dont le matériel dort désespérément au fond des armoires ou dans des locaux spécialisé, clos et déserts.

Un enfant peut pianoter sur un clavier d'ordinateur pendant quelques jours puis se lasser et abandonner l'appareil.

Un minitel dans une classe peut rester aveugle.

Un fichier autocorrectif peut servir quelque temps et être abandonné sur une étagère.

Un outil doit être utilisé dans sa fonction, au service d'un projet.

Prenons l'exemple d'un texte d'enfant. Les contrats hebdomadaires prévoient l'écriture d'un texte. Supposons qu'au moment d'écrire son texte, un enfant ne trouve pas d'idée. Il va utiliser le fichier d'incitation à l'écriture (outil de références). Si, en cours d'écriture il bute sur l'orthographe d'un mot, il s'appuie sur un dictionnaire ou un répertoire (outil de référence). Si ce texte est publié dans le journal de la classe, la mise au point du texte fera de nouveau intervenir le dictionnaire et renverra dans un autre temps sur des fiches autocorrectives.

La matérialisation du texte demande d'abord la saisie au traitement de texte et à l'imprimante (outil de production). Il va falloir s'assurer que l'ordinateur est disponible, donc négocier son passage auprès du responsable, l'inscrire dans le temps et gérer ce temps (outils de gestion). Le maquettage de la page nécessite l'utilisation de ciseaux, règles, guide-ânes, crayons et colle. Sur la même maquette peuvent figurer plusieurs textes d'auteurs différents. Là aussi, il va falloir négocier, trouver un partenaire et faire coïncider les temps de travail commun. La duplication se fait avec la photocopieuse. Il va falloir de nouveau négocier, gérer le temps. Le travail terminé. la classe en sera informée et tous les plannings de gestion devront être remis à jour.

Il y a bien projet et utilisation des outils dans leur fonction : outils d'incitation, ou de conception, de référence, de production, de reproduction et de communication, outils de gestion de l'espace et du temps.

La réalisation d'un produit quel qu'il soit oblige l'enfant à parcourir toutes les étapes du processus de production, à résoudre tous les problèmes liés à l'enchaînement de ces étapes.

Ces fonctions opèrent de la même façon que dans le milieu social. Il y a dans ce cas continuité de sens entre travail à l'école et travail dans la société. L'enfant, engagé dans un processus réel de production dont il réalise les fonctions, la continuité et la cohérence, crée du sens. La réalisation globale et complète de ce processus n'est possible que par l'individualisation du travail. L'utilisation des outils est intégrée à des activités signifiantes et à des productions socialement utiles. Les efforts à faire pour en acquérir la maîtrise sont compris et motivés, et les apprentissages intégrés.

Techniques de gestion du travail individuel

Définition des activités

Les choix

Quand les enfants composent leur programme hebdomadaire, ils déterminent le contenu, le moment, les partenaires et les moyens de la mise en oeuvre de leurs projets individuels.

Pour définir le contenu de son activité, chaque enfant doit opérer trois sortes de choix : choix libre, choix négocié et non-choix correspondant chacun à un champ d'activité.

Le champ du choix libre

C'est le domaine des activités de création et d'expression, celui où les enfants expriment, avec leurs moyens, leur vision brute du monde, leurs modes de relations spontanés et la diversité de leurs ressources.

C'est le champ de l'expression artistique : peinture, dessin, gravure, activités manuelles (bricolage, jardinage, cuisine).

A travers ces activités, les enfants apprennent à utiliser des techniques de travail, à entrer en contact avec les oeuvres. Dans ce champ, l'acquisition et la maîtrise des techniques comptent moins que l'expérience accumulée, que la sensibilité, que la force du désir ou de l'émotion exprimés.

Si la liberté de l'enfant existe dans ce domaine, elle ne peut s'affranchir des contraintes matérielles, de la capacité du groupe à les intégrer, des limites personnelles de l'enseignant qui doit conserver la maîtrise du fonctionnement général de la classe.

Les enfants doivent donc apprendre à mesurer leurs choix à travers une série de critères : réalisme du projet, difficultés techniques, équipement matériel, équilibre général de l'activité. L'entrée dans le libre choix ne peut être que progressive.

Il s'agit donc d'une liberté relative qui se construit, non d'une liberté de principe.

La réussite des projets, aussi modestes soient-ils, valide a posteriori la pertinence du choix, conforte les enfants et oriente les choix à venir. Dans ces conditions, les risques d'inflation de projets, de dérive individuelle, d'atomisation de la classe sont évités. Enfants et enseignant travaillent en sécurité. L'hétérogénéité du groupe devient alors un élément favorisant. Les enfants les plus habiles servent de points de repère aux autres.

Le champ du libre choix est un terrain de compensation pour les enfants en échec scolaire. Ils ont là l'occasion de mobiliser leurs compétences sur les supports les plus divers. Ils se donnent toutes les chances de réussir et, à travers la réussite, d'acquérir dans la classe une reconnaissance sociale. Chaque année des enfants en échec retrouvent, après ce détour qui demande beaucoup de temps, une disponibilité au travail scolaire. A titre d'exemple, un enfant en échec, en situation de repli, a pu, grâce au jardinage où il excellait, être reconnu par la classe, acquérir un statut social, se réinsérer et devenir plus ouvert et plus disponible aux activités scolaires. Il a réussi à apprendre à lire mais il a fallu trois années de travail !

Champ du choix négocié

Nous entrons ici dans le domaine de l'acquisition de savoirs : connaissances, savoir-faire.

Le contenu de l'activité vient de la proposition et de la motivation des enfants. Mais ici, le désir doit être orienté. Entre la proposition d'un enfant qui veut en savoir plus sur le base-ball parce qu'il a reçu une batte pour son anniversaire et celle d'un autre qui veut savoir pourquoi la boulette de papier posée sur un plateau de tourne-disque en rotation est éjectée, il faut établir une hiérarchie. Le savoir contenu derrière chaque proposition ne repose pas sur les mêmes valeurs. Dans le premier cas la question provient d'un phénomène de mode, dans le second cas, il s'agit d'un phénomène physique relié à un savoir fondamental. La manière de traiter la réponse rend compte de cette hiérarchie. Dans le premier cas, il suffira de trouver la documentation, de recueillir les informations et de produire un bref compte rendu de recherche, ce qui engage l'enfant dans une démarche de recherche documentaire. Dans l'autre cas, il faudra mettre en place un plan de recherche et réaliser un dispositif expérimental pour observer et interpréter le phénomène. Il s'agira d'objectiver le savoir, de le fixer. Face à cet enjeu, les enfants ne sont pas libres de leur choix. Face à ce choix, ils ne doivent pas être laissés seuls. Si, comme le dit Rewuz « la différence entre le travail du chercheur et celui de l'écolier tient à la complexité et à l'ampleur des problèmes attaqués, non à leur nature (1) », encore faut-il que la nature du travail que propose l'enfant ait suffisamment d'ampleur pour qu'il développe en profondeur les multiples formes de la recherche et les cheminements qui conduisent au savoir. Entre le choix immédiat des enfants et l'enjeu à long terme qui découle de ce choix, la médiation et la négociation sont nécessaires. L'objet de la négociation se situe à l'interface du désir immédiat des enfants et l'exigence des programmes.

(1) A. Rewuz, « Est‑il possible d'enseigner les mathématiques ? », PUF.

 

Champ du non choix

Tous les enfants doivent composer un programme de travail individuel comprenant des fiches autocorrectives, une activité de lecture, de productions et de mises au point d'écrits : textes, correspondance scolaire, comptes rendus de lectures, d'expériences, exposés, etc. La quantité de travail varie suivant les possibilités réelles des enfants et suivant le volume de leur activité dans les deux autres domaines de choix.

Les instances

Comment faire face à la prolifération des propositions ? La médiation de l'enseignant doit trouver un relais, une instance de proposition qui permette à la fois de réguler le nombre de ces propositions et de les communiquer à l'ensemble de la classe. Cette instance de propositions se présente sous la forme d'un cahier tenu par un responsable sur lequel les enfants consignent leurs propositions. Comment fonctionne cette instance ?

Pendant la semaine les enfants notent leurs propositions sur le cahier. Le vendredi, pendant le conseil de coopérative, elles sont lues. Les choix résultent d'une décision qui débouche sur trois possibilités.

1. La décision intervient sur le champ

Sylvie : Je propose de faire une recherche sur les bories avec Delphine. J'ai déjà commencé à me poser des questions : de quand datent les bories, A quoi elles servent ? Comment elles sont construites ? Depuis quand ne les utilise-t-on plus ?

La demande de Sylvie est claire. Nous sommes en fin de CM2, Sylvie utilise son expérience. Le sujet intéresse la classe. Il recoupe l'histoire et la géographie locales. Je suggère à Sylvie et à Delphine d'écrire à Gordes au village des Bories pour demander des documents (elles recevront une importante documentation de la mairie de Gordes).

La proposition est retenue et inscrite au planning des recherches (outils de gestion).

2. La décision est différée

Aurélien: J'ai remarqué qu'un bout de papier posé sur le plateau du tourne-disque n'y restait pas quand on faisait tourner le plateau.

Lorsqu'une question de cet ordre se pose, j'interviens pour signaler qu'elle repose sur une notion très importante que tout le monde doit connaître. Dans ce cas, l'examen de la question est différé à l'entretien du matin suivant. Toute la classe participe à la mise en place d'un plan de recherche qu'Aurélien conduira en travail individuel avec Fabrice qui s'est proposé.

3. Le groupe ne se prononce pas

Vincent : Je propose de mettre mon texte sur le journal.

En réponse, la classe invite Vincent à lire son texte pendant une séance de communication, le lundi ou le jeudi. Vincent note sa proposition en mémoire sur son plan de travail.

Le lundi suivant, il lira son texte. La classe ne le choisira pas. Cependant Vincent aura la possibilité de publier son texte dans le journal. La classe en aura été informée.

Il arrive que des propositions ne soient pas retenues ou mises en attente. Lorsqu'un enfant est en retard, lorsqu'il gère mal l'équilibre de son activité, ou lorsque le nombre de projets simultanés devient trop important, on pose une limite jusqu'à ce que l'équilibre soit rétabli.

A travers l'instance de propositions, les choix sont socialisés et modulés.

La mise en oeuvre du travail individuel des enfants

Les contrats de travail

Tous les lundis matin, après une séance commune d'activités sportives et corporelles destinée à réveiller les corps et ressouder le groupe après la coupure du week-end, vingt à trente minutes sont réservées à la composition du plan de travail individuel de la semaine.

Les responsables des tableaux de répartition rappellent à leurs auteurs les projets en cours et leur degré d'avancement sur le calendrier. Les projets arrivant à échéance sont notés sur le planning de la semaine, au jour de leur communication.

Les enfants qui gèrent des projets communs déterminent leurs plages de travail commun dans la semaine.

Les responsables des divers ateliers prévoient les ordres de passage.

Chacun note sur sa grille personnelle le contenu de son activité puis le reporte sur le tableau de regroupement des programmes individuels.

En composant son menu, chaque enfant manipule le temps, l'espace, la matière de son activité. Il apprend à coopérer, à communiquer, à négocier avec d'éventuels partenaires, avec des responsables.

Le regroupement de tous les programmes de travail individuel sur un même support leur confère le statut de contrat. Tous les contrats sont individuels et publics.

Tout le monde ne parvient pas à prévoir et à gérer son activité d'un bout de la semaine à l'autre. Chez les enfants en difficulté scolaire, la prévision se fait au jour le jour, avec l'aide d'un enfant autonome ou celle de l'enseignant. Quelles que soient les capacités des enfants, la situation n'est pas acquise dès le départ. Au début de l'année scolaire, la mise en route se fait progressivement, domaine après domaine, fichier après fichier.

Au début, pour tout le monde, les prévisions sont d'abord quotidiennes puis bi-hebdomadaires puis hebdomadaires. Les enfants entrent progressivement dans l'individualisation du travail. Un trimestre d'apprentissage est nécessaire. Il en reste cinq pour se familiariser et acquérir la maîtrise des outils et des techniques de l'individualisation du travail.

Déroulement d'une séquence

En début de séquence, chaque enfant prend son plan de travail et compose son programme du jour.

Quelques exemples

Valérie : Une fiche de français, une fiche de math, un texte, un passage à l'atelier de peinture.

Lionel : Saisir quatre poèmes au traitement de texte et composer une page du journal.

Vanessa : Continuer sa recherche sur la chauve-souris (avec Sandrine), s'entraîner à la lecture à haute voix, faire contrôler par le maître. Céline : Lire son livre de bibliothèque, continuer son tableau à l'atelier de peinture, écrire un texte libre.

L'aide du maître

Pendant que les enfants travaillent sur leurs projets, je ne reste pas inactif. J'interviens en soutien.

William est un enfant en grande difficulté. Il ne sait pas lire. Je me suis fixé pour cette année l'objectif de lui apprendre à lire. Pour lui, il n'y a pas de choix. La lecture est son programme obligé. Tous les jours, nous travaillons, ensemble sur des textes à sa portée, textes qu'il essaie de produire lui-même avec l'aide de ses camarades, textes puisés dans des livres.

Tous les enfants n'ont pas besoin d'un soutien aussi important. Mais tous, qu'ils réussissent ou non, doivent faire l'objet de l'attention du maître. Cette attention se traduit par :

Aide à la composition du programme et au choix des activités.
Aide à la répartition du travail dans le temps.
Aide au démarrage.
Passage obligé aux activités ou aux notions que certains enfants maîtrisent mal (lecture, techniques opératoires, expression écrite, etc.).
Incitation à la pratique d'activités de formation et d'expression : graphismes, productions écrites, etc.
Mise en place et suivi d'activités de recherche expérimentale ou documentaire.

Les exemples qui suivent donnent un aperçu de la manière dont je procède.

Mise au point d'une lettre individuelle de correspondance scolaire

a) Raphaëlle vient de finir de rédiger le brouillon de la lettre à sa correspondante et me l'apporte pour que je le corrige avec elle.
b) Je lis et pointe sur le texte à l'aide de notre code les passages qui posent problème et que Raphaëlle est capable de corriger seule.
c) Sans commentaire, je rétablis les erreurs telles que :
«  Et que Olivier aussi » = « Ainsi qu'Olivier ».
«  C'était une dame » = « Le docteur était une dame ».
d) J'engage le dialogue au sujet de « Et plein d'autres choses » :
- Il ne faut pas écrire « et plein d'autres choses » mais décrire ce que tu as vu afin que ta correspondante puisse bien se représenter la situation.
Au cours du dialogue, Raphaëlle me dit que la doctoresse faisait lire les enfants.
Je lui demande de m'expliquer quel était le but de cet exercice.
Raphaëlle m'indique que la doctoresse voulait voir si les enfants y voyaient bien.
J'attire son attention sur l'imprécision de ce passage, et lui conseille d'utiliser des mots tels que vérifier, contrôler. Je lui demande ensuite de réécrire le passage en utilisant les mots que je viens de lui donner.
Un quart d'heure plus tard, Raphaëlle m'apporte la forme finale de sa lettre (techniques de gestion document n°3).
En s'appuyant sur les productions brutes des enfants, en les amenant à mobiliser des éléments inactifs de leur, mémoire, on les conduit vers des productions plus abouties. Au cours de ces mises au point individuelles, les enfants s'approprient des outils et des savoirs nouveaux. Dans cette situation s'opère entre l'enfant et l'enseignant ce que Freinet appelait « la conjonction délicate entre la technique adulte et la pensée de l'enfant (1). » Cette conjonction produit tout son effet lorsqu'elle intervient sur le champ, à la demande de l'enfant, c'est-à-dire dans une situation de travail individualisé.

(1) C. Freinet, Le texte libre, BEM, 1967.

Aide personnelle pour une fiche de math

Vincent est un enfant intelligent en proie à de grosses difficultés familiales qui perturbent sa scolarité semée d'échecs. Vincent s'approche, me présente une fiche de math :

Pour chacun des huit membres de l'équipe de basket, nous avons dû payer :

- 15 F pour l'assurance.
- 60 F pour le maillot.
- 42 F pour le short.

Inscris tout ce que tu peux calculer dans un tableau.
et me demande :
- Le prix, c'est pour tous les joueurs ou pour un seul joueur ?
- Est-ce que la fiche ne le dit-pas ?
- Non.
- Tu ne trouves rien dans l'énoncé qui te permette de répondre à la question ?
- Si, 60 F LE maillot (Vincent insiste sur le).
- Tu penses que LE t’indique qu'il s'agit du prix du maillot d'un joueur ?
- A la fin de maillot, il n'y a pas d's.
- Y a-t-il d'autres informations qui pourraient te renseigner ?
- Je vois pas.
- Le mot important que tu n'as pas remarque est CHACUN. L'avais-tu remarqué, ce mot ?
- Non.
- As-tu compris maintenant ?
- Je crois.
- Peux-tu répondre à la question que tu m'as posée, c'est pour un joueur ou pour tous les joueurs ?
- Non.

Vincent a lu, il a articulé, il a repéré les indices, il a saisi leurs fonctions principales. Cependant il ne parvient pas à résoudre l'antagonisme de surface qui oppose l'emploi simultané du singulier et du pluriel dans une même phrase pour ce qu'il croit être le même objet. La disparition de l'antagonisme passe par la compréhension profonde de la fonction du mot « chacun » que Vincent ne perçoit pas comme un élément actif du texte.

C'est là que se situe son problème de compréhension de l'énoncé. Il faut l'amener là pour qu'il dénoue lui-même la situation bloquée.

En puisant dans son expérience, je poursuis le dialogue. Vincent joue au rugby. Je fais la transposition équipe de rugby, équipe de basket. Le visage de Vincent s'éclaire. Il vient de faire le rapprochement. Maintenant, il se représente bien la situation proposée par la fiche. Il ne reste plus qu'à lui faire formuler son expérience, selon ses propres termes, pour vérifier s'il a bien compris puis à lui faire dire la même chose dans les termes de la fiche. Ceci fait et réussi, Vincent retourne à sa place. Quelques minutes plus tard, il revient vers moi et me présente la solution réussie du problème. Vincent vient de réussir. Il est heureux, il en a besoin.

« Le rapport didactique réussi est toujours éducatif (1). »

L'obstacle qui a stoppé la progression de Vincent n'était pas d'ordre mathématique, Dans une situation de résolution collective de problème, ou bien Vincent entraîné par l'élan du groupe aurait compris le sens de la demande mais son problème de lecture aurait été intact, ou bien il aurait décroché et serait passé à côté de la réussite. Dans le groupe, il serait resté seul. Il serait resté seul face à ses difficultés.

Dans son cas, il s'agissait d'établir dans l'ordre la jonction entre son expérience, le sens commun attribué à cette expérience, et la forme linguistique sous laquelle elle est exprimée.

Ce mode d'intervention ne peut se pratiquer qu'en situation individuelle. Ici encore, l'efficacité de l'intervention tient à ce qu'elle est réalisée sur le champ, à la demande de l'enfant.

« L'enseignant devient un diagnosticien, une personne ressource qui motive et qui, sans renoncer à des apports magistraux, subordonne ceux-ci aux activités qu'ils rendent possibles... en permettant l'ajustement progressif de la démarche à l'objectif (l’action de l'enseignant est au cœur de l'acte d'apprendre (1). »

(1) Ph. Meirieu, L'école mode d'emploi, Éd. ESF.

L'individualisation du travail rend ce mode d'intervention possible. Ces ajustements quotidiens et nombreux, portent sur tous les champs du savoir. Ils peuvent suivre des procédures lourdes et complexes qu'il faut mobiliser sur l'instant, ils peuvent être plus simples. Ils sont sources d'avancées importantes chez tous les enfants car ils s'appuient sur leur dynamique personnelle.

L'aide des enfants

Dans une classe, le besoin d'aide est très grand. Le nombre des activités simultanées, l'hétérogénéité du groupe suscitent une demande inépuisable. L'enseignant n'est pas la seule personne ressource. Chaque enfant peut le devenir à tout moment.

Tous les enfants exercent une responsabilité pour laquelle ils ont été élus. Tous ont un registre de prédilection qui est vite repéré par l'ensemble du groupe. A partir de ces données s'établissent des réseaux d'aides réciproques. Vanessa, responsable du minitel, en explique le fonctionnement à Sandrine. Céline, incollable en orthographe, dépanne souvent.

L'aide mutuelle que s'apportent les enfants se fait en fonction d'une hiérarchie de compétences instituées ou plus diffuses. Venant de pairs, ces échanges installent un climat de confiance entre les enfants. Toutes les aides ne sont pas égales et ne peuvent se substituer à celles de l'enseignant. Mais sans elles, le système ne fonctionnerait pas.

La plupart du temps, les interventions des enfants sont très directes. De plain-pied avec le demandeur, celui qui aide n'a d'autre objectif que de donner le coup de pouce qui relance.

Il faut éviter deux écueils : l'instauration d'une dépendance entre un enfant et son « moniteur » et le travail superficiel. On les évite en multipliant le nombre de personnes ressources opérant dans le même champ et en vérifiant quotidiennement, le soir, toutes les productions individuelles qui n'ont pu être visées dans la journée.

Validation et évaluation du travail individuel

Validation

La validation est la prise en compte par le groupe des productions des enfants. Cette validation confère aux auteurs une reconnaissance sociale gratifiante. La gratification dynamise l'individu et le rend disponible et volontaire pour d'autres projets.

Parmi les productions des enfants, il faut comprendre les contrats hebdomadaires et à l'intérieur de ces contrats, les productions à échéances plus lointaines (recherches, créations artistiques, journal scolaire, expositions, constructions, etc.) activités qui opèrent dans le champ du choix libre ou dans le champ du choix négocié.

Le temps de production, de réalisation, des contrats et des projets se croisent. Les enfants, pour obtenir la validation de leur production doivent apprendre à gérer et à réussir ces croisements.

La validation des projets se fait au sein d'une instance de communication. Généralement, le moment de la communication se situe en fin de journée, Il est inscrit le lundi matin sur le calendrier des activités de la journée ou de la semaine.

Il n'y a guère que dans le champ du non choix que le terme des projets individuels et celui du contrat hebdomadaire se superposent.

L’évaluation

L'évaluation consiste à attribuer une valeur aux productions des enfants.

Dans le champ du choix libre ou négocié, la valeur est attribuée par le groupe.

Dans le champ du non choix, la valeur est attribuée par l'enfant ou par l'enseignant : c'est l'autocorrection.

Evaluation du travail autocorrectif

Lorsqu'un enfant a terminé un exercice, il prend la fiche correction et par comparaison contrôle son travail. Cette opération demande de l'attention, de la concentration, de la rigueur, et de l'humilité. L'autocorrection est une épreuve de vérité que l'enfant doit assumer même dans les situations défavorables. Une période d'apprentissage est nécessaire. Pendant cette période, l'enseignant contrôle le travail a postériori, évalue le contenu de l'activité et la capacité des enfants à s'autocorriger. Cette période probatoire doit durer tant que les enfants ne sont pas autonomes. Les fiches autocorrectives doivent être à la disposition des enfants. La plus grande erreur serait que le maître les garde par devers lui. Dans ce cas, l'enfant travaillant sous surveillance n'a aucune chance de devenir autonome.

L'évaluation du travail individuel s'ordonne autour de trois valeurs dégressives.

VERT : réussi.

ORANGE : réussi partiellement. La correction ou l'aide d'un pair a permis de comprendre. La fiche doit être confirmée par un exercice bis réalisé seul.

ROUGE : échec. Le recours au maître est obligatoire.

Lorsque la procédure d'autocorrection est intégrée, les enfants progressent de façon foudroyante dans le fichier. Ils deviennent aptes à analyser leurs erreurs, à les éviter par anticipation et à évaluer leurs besoins d'aide.

Les fiches de synthèse qui ponctuent les séquences permettent de confirmer ou d'infirmer le travail réalisé en amont et la capacité à s'autocorriger. La réussite au test ouvre la voie à la série suivante. L'échec conduit l'enfant à s'interroger sur la pertinence de son autocorrection ou à reprendre les exercices.

Evaluation dans le champ du choix négocie

Pour faire valider leurs productions, les enfants choisissent la communication par l'exposé oral soutenu par des documents. En fin d'exposé, le groupe questionne l'auteur puis vient le temps de l'évaluation.

L'évaluation s'ordonne autour de quatre critères :

- Recherche : La communication doit montrer que les auteurs du projet ont su trouver les informations essentielles sur leur sujet travaillé.

- Observation : Les auteurs ont su observer, utiliser les instruments d'observation et en tirer les éléments intéressants pour la classe.

- Organisation : La recherche a été structurée, le plan a été suivi.

- Communication : Les auteurs ont maîtrisé la communication : lecture, articulation, volume de la voix, rythme, bonne utilisation des documents.

Chaque critère est situé sur l'échelle des trois valeurs dégressives : vert, orange, rouge. La valeur de chaque critère est attribuée par un vote à main levée.

Le résultat de l'évaluation est porté sur le tableau de répartition des activités de la classe.

En fin d'évaluation j'apporte des corrections si c'est nécessaire. Les enfants ne parviennent pas toujours à dissocier la qualité du travail de l'individu qui l'a réalisé. Mes interventions servent à pondérer les excès, à protéger les enfants qui s'exposeraient, à objectiver les choix.

En général, les enfants ne se trompent pas sur les trois derniers critères. Ils ont de la difficulté à objectiver leur point de vue sur les contenus. A la fin de chaque séance de communication, je réalise une fiche de synthèse qui reprend et complète l'essentiel des informations contenues dans l'exposé.

Cette fiche mémoire est rangée dans un classeur. Les enfants devront en mémoriser l'essentiel.

Champ du choix libre

Les productions écrites :

Les productions écrites libres font l'objet d'un traitement spécifique. Elles sont systématiquement validées. Un tableau collectif de pointage des textes regroupe semaine après semaine les productions écrites et leurs mises au point individuelles. Un minimum d'un texte par semaine est exigé. La liberté s'exerce sur les thèmes, les formes d'écrit, pas sur le choix de produire ou de ne pas produire.

Deux fois par semaine, les enfants lisent leurs textes à haute voix. L'évaluation se fait après la lecture. Les enfants commentent, comparent, critiquent, proposent.

Le choix des textes à communiquer aux correspondants, à reproduire, à publier dans la classe ou dans le journal se font en fin de séance de lecture.

Les autres productions :

La validation intervient au cours des entretiens du matin. Les enfants montrent à la classe leurs dessins, leurs bricolages, leurs oeuvres L'évaluation se fait à partir de critères assez larges qui caractérisent le sens esthétique, l'habileté, l'originalité, la nouveauté de la production. L'évaluation est globale. Elle doit conduire à valoriser les enfants tout en maintenant un niveau d'exigence.

Validation et évaluation des contrats hebdomadaires

La validation se fait le vendredi en fin de séquence de travail individuel. Pendant une quinzaine de minutes, les enfants font leur bilan personnel le traduisant par une appréciation d'ensemble qu'ils notent au bas de leur plan de travail. Dans les cases mémoires de la grille, ils reportent les activités non réalisées et celles qui sont apparues en cours de semaine. En fin de semaine, les perspectives du nouveau contrat sont tracées. Ainsi se réalise la continuité de l'activité dans le temps.

Part du maÎtre

Le soir, j'examine tous les plans de travail et je donne mon point de vue.

Je note les noms des élèves à suivre de près la semaine suivante.

Commentaire

L'entrée des enfants dans le dispositif de l'individualisation du travail tend, dans une première étape, à accentuer les excès de la pente naturelle des individus. Le marginal s'installe dans la marge ou profite des failles du système. L'élève frileux s'engouffre sur son terrain, généralement le travail autocorrectif, l'enfant soumis épie les premières demandes du maître pour s'y conformer. Ce temps doit être pris comme temps d'observation des comportements spontanés des enfants pour dresser le paysage contrasté de la classe et commencer à construire l'outil de conduite et de gestion du groupe.

En corrigeant les premiers excès de comportements, notamment au cours des premières séances d'évaluation des contrats, un premier ensemble de repères commence à émerger. Ainsi s'installe graduellement un système de valeurs que les enfants construisent, affinent et dépassent.

La validation et l'évaluation des travaux des enfants agissent comme un instrument de mesure du travail, de valorisation de l'individu et comme un outil d'orientation de diversification et de régulation des activités futures.

L'évaluation et la validation des productions bouclent l'activité des enfants et lui ouvrent des perspectives nouvelles mieux orientées et mieux ciblées.

Ce fonctionnement idéal ne produit tous ses effets qu'à terme et que si tous les paramètres qui le définissent (organisation du temps, de l'espace, outils, techniques, évaluation) forment un ensemble équilibré, cohérent, convenablement articulé au travail collectif.

Articulation du travail collectif et du travail individuel

L'individualisation du travail se fait sur fond de travail collectif. Tout ce qui précède le suggère, le montre. Comment ces deux temps s'enchaînent-ils ? L'exemple qui suit, saisi dans sa chronologie, en décrit la succession.

Genèse d'un projet

Valérie et Sylvie observent deux crapauds que Valérie a apportés en classe il y a quelques jours. Ce jour-là, toute la classe les a observés (entretien du matin)

Temps collectif

Pour certains la répugnance dont ces animaux sont l'objet s'est rapidement manifestée. Nous avons contourné l'obstacle en centrant l'intérêt des enfants sur les comportements des deux animaux. Une foule de remarques, d'observations, de questions - véritable « brainstorming » - surgissent dans le désordre. Je note le tout au tableau, en style télégraphique. Au bout de dix minutes, les mêmes remarques reviennent, signe que le groupe a mobilisé tout son savoir sur le sujet. Que faire avant que l'intérêt ne tombe ? Stopper le « brainstorming ». Oublier les animaux, observer les notes, mettre de l'ordre : ce qu'on sait, sous la forme d'un texte, ce qu'on ne sait pas sous la forme d'un questionnement. Le texte, je l'écris au tableau. Un secrétaire note sur une feuille :

« Valérie a apporté deux crapauds que son père a trouvés en nettoyant son jardin. Ils étaient enfouis sous un tas de feuilles. La maman de Valérie n'a pas voulu qu'on les rentre dans la maison. Son papa les a mis dans un bocal et a percé le couvercle pour qu'ils ne s'asphyxient pas. Valérie les a amenés à l'école. En classe, nous les avons observés. Ils sont gris. Leur peau est assez lisse. Elle porte des boutons qui contiennent un produit irritant. Pour se déplacer, les crapauds sautent ou marchent. Le maître les a placés sur une planche. Lorsque la planche bascule vers l'avant, le crapaud relève la tête. Lorsque la planche bascule vers l'arrière, le crapaud relève l'arrière train. »

Le texte concentre ce que savent les enfants sur le sujet. Il en marque le contenu et les limites. Les questions traduisent un besoin de connaissance et indiquent par quels moyens les acquérir, Un examen de la liste des questions montre que les réponses peuvent s'obtenir de deux façons :

Par l'observation ou l'expérimentation directe

Comment le crapaud s'enfonce-t-il dans la terre ? Combien mesure-t-il ? Combien pèse-t-il ? Est-ce qu'il se bat ? Que mange-t-il ? Comment ses pattes se déplient-elles ? etc.

Par la recherche documentaire

Combien de temps vit-il ? Est-ce que c'est le mâle de la grenouille ? Est-ce qu'il pond ? Comment élève-t-il ses petits ?

D'un amas de questions, d'interjections, d'exclamations, nous avons dressé l'état des lieux, repéré les voies pour en sortir, balisé le chemin pour le faire. La classe qui a littéralement explosé de joie et de travail au moment de l'apport des animaux est disponible pour poursuivre la quête du savoir dès lors qu'elle est clairement orientée et organisée. Après le temps de la découverte vient celui de la recherche, de l'approfondissement, de l'exploration, de la mise en forme et de la communication du savoir. Le premier temps est collectif, le second est individualisé.

Temps individualise

Il s'agit d'accomplir le processus de traitement de l'information dans sa globalité et dans la continuité de ses phases pour en réaliser le déroulement et les enchaînements.

Le planning de recherche de Valérie est vierge. Nous sommes en début d'année. Elle note le thème de son travail et cherche un partenaire. Elle choisit Sylvie, sa meilleure camarade. Le responsable du planning inscrit le projet et ses échéances sur le plan des activités de la classe.

Le projet venu de l'individu sort du temps collectif pour entrer dans le temps individuel sous la l'orme d'un plan de recherche qui définit et oriente l'activité des enfants : observation, recherche documentaire, lecture documentaire (graphique, iconographique, photographique) prise de notes, réalisation de croquis, de schémas, de résumés, de synthèses, mise en forme et organisation de la communication au groupe.

Pendant les trois semaines de leur temps de travail, les élèves de la classe pourront apporter leur aide coopérative : apport de documents, d'informations, de produits de l'observation. De mon côté, j'accompagnerai le travail pour évaluer les avancées, corriger les erreurs, relancer, stimuler les pistes de travail qui stagnent.

En fin de période, un temps de communication sera déterminé (instance de propositions). Valérie et Sylvie communiqueront le produit de leur recherche qui sera évalué et validé selon le processus décrit au chapitre précédent. Une fiche mémoire constituera la trace finale du travail qui pourra éventuellement être publié dans notre journal.

L'analyse du processus de travail fait apparaître les enchaînements suivants

1. Introduction d'un objet.

2. Communication immédiate au groupe.

3. Appropriation de l'objet par le groupe, accumulation de savoir spontané.

4. Mise à distance mise en ordre, objectivation du savoir spontané.

5. Expression et mise en ordre d'un besoin de connaissance.

6. Mise en place d'une procédure de recherche d'information et de traitement de l'information.

7. Recherche, synthèse, mise en forme, communication.

8. Évaluation.

9. Validation du travail par l'enseignant, trace et mémorisation.

Les phases 1, 7, 8 : motivation, création, recherche, production sont individuelles (autonomie, rythmes personnels).

Les phases 2, 3, 4, 5, 6 sont collectives (coopération, interaction, imposition).

Le travail individuel et le travail collectif s'articulent ici pour constituer deux temps distincts et complémentaires de l'acquisition du savoir et des savoir-faire.

Sur quels ressorts de l'apprentissage le travail collectif et le travail individuel appuient-ils ?

Articulation travail collectif travail individuel et apprentissage

Ecole connaissance et affectivité

Toute l'activité d'une classe ne se réduit pas à cet exemple. Tous les besoins de connaissance des enfants ne résultent pas d'un apport ou d'un questionnement collectif. Toutefois, le contenu de l'activité d'une classe peut s'inscrire dans un schéma général qui intègre les points essentiels de cette démarche.

Dans notre exemple, la dynamique du projet s'appuie sur l'affectivité : mimer l'autre en apportant un objet, être reconnu, percevoir l'effet que son action produit sur les autres et sur son environnement, être évalué.

Le filtre de l'instance de proposition (entretien du matin), sans réduire l'effet gratifiant et dynamique de la motivation, déplace le problème du champ de l'affectif vers celui de la connaissance. Toutes les activités d'une classe se ramènent à un besoin de connaissance, tout besoin de connaissance transite par ou provoque une réaction affective.

« La spécificité de l'école, ce pour quoi elle est le moins mal équipée, la seule mission qui puisse la justifier est de contribuer à la construction des personnes en s'appuyant sur le cognitif (mais) les phénomènes affectifs font partie des variables décisionnelles que le formateur ne peut évacuer (1). »

Seules changent les formes, les modalités et les contextes au sein desquels se manifeste le couple affectif-cognitif. Ou bien il se constitue suivant une procédure analogue à celle qui vient d'être décrite et sert à la mise en place d'une dynamique d'appropriation du savoir et des moyens de cette appropriation ; ou bien il est latent, diffus à travers les questions, les erreurs, les expériences et les propositions des enfants et débouche sur des projets individuels socialisés ; ou bien il est extérieur à l'enfant, formalisé dans les contenus obligatoires de l'enseignement. Ces trois variantes ne sont pas concurrentes. Elles se complètent, se chevauchent ou s'englobent.

Temps collectif

Tout besoin de connaissance met l'enfant en présence d'une situation nouvelle. « La nouveauté à la plus grande peine à passer, elle fatigue (2). » Elle est insécurisante. « Placé devant une contradiction logique ou des effets paradoxaux, l'enfant peut se retourner, se renfermer, rompre ce désir mimétique qu'il peut avoir dans une situation d'apprentissage avec un adulte ou sa fratrie (3). » Toute connaissance nouvelle doit être abordée dans une situation collective qui accompagne l'apport de la connaissance et l'effet déstabilisant que sa nouveauté produit chez l'enfant.

Le travail collectif ne se fonde pas que sur des arguments psycho-affectifs. « Sur toute question qu'il est censé ignorer, l'élève possède déjà des modèles qui orientent ses comportements et qui lui fournissent des schémas de pensée dans lesquels il va d'abord s'efforcer de faire entrer les nouvelles connaissances qu'on veut lui apporter (4) ». Dans un groupe chacun possède ses représentations, toutes différentes, toutes approximatives, n'opérant que partiellement sur le réel. La mise en commun de ces représentations par les enfants, leur confrontation, les tentatives d'ajustement au modèle créent une situation de recherche active et stimulante.

C'est un temps de critique des savoirs acquis, temps d'élucidation de conflits (de séparation des perturbations affectives) de repérage par l'enseignant d'écarts irréductibles entre les représentations des enfants, temps d'anticipation d'apports de connaissances différenciés (5), temps où s'ébauchent les formes instables des connaissances nouvelles. L'activité est collective, coopérative, interactive. C'est le temps de la découverte, de l'enthousiasme, de la fragilité et de la fatigue. C'est le temps de rupture d'un ordre ancien qui s'ouvre vers la constitution d'un ordre nouveau de la connaissance qui marque le passage du traitement collectif de l'apprentissage à son prolongement individuel.

Temps individuel

« Ce temps de reconversion ne peut provenir que d'une activité intellectuelle autonome et s'exerçant dans la liberté, même si elle gagne à être guidée par le maître (4). »

C'est le second temps de l'apprentissage, temps de l'individualisation, temps de travail sur les savoirs nouveaux, fait au rythme personnel, intime de chaque enfant, temps de la répétition, de la redondance, temps d'essais, d'expérimentations, temps de transfert, de mobilisation, de simplifications, d'expression de ces nouveaux savoirs. C'est le temps d'intégration de la connaissance.

Complexité interaction intégration connaissance

« Travail collectif et travail individuel agissent en alternance et en interaction. Les processus d'apprentissage ne sont pas linéaires (6). » Ils sont discontinus et unitaires. Ils évoluent par paliers. Non linéaires, ils rendent compte d'une réalité complexe, aux variables innombrables, hétérogènes, qui évoluent selon des processus aléatoires, unitaires et discontinus : ces phénomènes progressent par enchaînement de phases qui agissent soit indépendamment les unes des autres, soit en interaction. Leur évolution est facteur de désordre puis générateur d'économie, d'ordre et de complexité. La conjugaison de ces deux composantes fondamentales l'orme un système cohérent, flexible et ouvert : l'intégration du savoir.

Le travail collectif et le travail individuel convenablement articulés et dosés doivent réaliser en même temps le développement complet de chaque phase, leur enchaînement et leur conjugaison. D'où une organisation du temps rigoureuse mais flexible, une organisation précise mais évolutive de l'espace, un équipement matériel efficace organise et déterminé, une approche de la connaissance reposant sur l'activité des enfants associée à une gestion du temps en accord avec leurs besoins et leurs rythmes individuels, des instances d'intégration des propositions, de production, de communication, de validation et d'évaluation et un élément essentiel d'animation et de régulation qui confère à l'ensemble sa cohérence et son unité : l'enseignant.

(1) Ph. Meirieu, ouvrage cité.

(2) M. Montagnier, ouvrage cité.

(3) Batteston, cité par CRESAS dans On n'apprend pas tout seul (ESF)

(4) A. Rewuz, ouvrage cité

(5) Voir dossier Interaction collectif - individuel, document n°1.

(6) P. Changeux, L'homme neuronal, Pluriel - Hachette.

ANNEXES

Bibliographie

La santé mentale de l’enfant, Maspéro, 1982
Essai de psychologie sensible, Delachaux-Niestlé, 1978.
L’apprentissage de la langue, Marabour.
Les plans de travail, BEM, 1968.
Le texte libre, BEM, 1967.
Travail individualisé et programmation, BEM, 1966.

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