Bibliothèque de travail et de recherches

N°37 – février 1980

 

 

L’ENTRETIEN DU MATIN

 

 

Jacqueline et Jacques CAUX   

Témoin : Jean Le Gal


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SOMMAIRE

Introduction

Chapitre I : Historique de l'entretien

1. Aménagement d'un passage entre deux réalités : la vie sociale et la vie scolaire
2. L'entretien moral et son évolution

Chapitre II : L'entretien du matin en classe Freinet

A. CLASSE DE M.
1. La classe
2. La pédagogie Freinet
3. L'entretien
4. Matériel d'étude
5. Méthode de travail
a) Classification des prises de parole
b) Dénombrement
c) Etude par thèmes
d) Conclusion

B. CLASSE DE D
a) Observations générale
b) Les prises de parole
c) Dénombrement
d) Etude particulière des “incitateurs” de parole
e) Etude des thèmes et de leurs prolongements

C. ETUDE COMPARATIVE DES DEUX DOCUMENTS
a) Situation des deux classes
b) Prises de parole par mois
c) Les catégories
d) Les prolongements
e) Conclusion

Chapitre III : L'entretien en pédagogie “traditionnelle”

A. CONSIDERATIONS GENERALES
B. UN ENTRETIEN “BANAL”
a) Cadre d'étude
b) Position de la maîtresse
c) Quelques généralités
d) Céline
e) Andrée
f) Naïma
g) Zoulika
h) Noël
i) Ce qui s'est passé
j) Les bilans
k) Conclusion

C. INFLUENCE DE LA PERSONNALITE DE LA MAITRESSE

1. Définition du travail
2. La classe
3. La maîtresse
4. Les prises de parole
a) Les thèmes
b) La dynamique
5. Les interventions de la maîtresse
6. La démarche pédagogique
a) Le vécu de la maîtresse
b) Dynamique générale
c) L'action de la maîtresse
7. Conclusion
a) Ce que pense la maîtresse
b) Ce que je pense

Chapitre IV : Eléments pour la mise en place d'une pédagogie de l'entretien

1. Place de l'entretien
2. Un moment ouvert sur des possibles
3. Un début, un contenu, une fin
4. Autres lieux de parole
5. Définition
6. Fonction instituante
7. Lieu d'où surgit la motivation pour le travail
8. Qualités sensibles
9. On ne progresse pas seul
10. L'authenticité et le don

Bibliographie

Photographies                                                                      
Roger UEBERSCHLAG : couverture, p. 1 et 21
Jacques CAUX : p. 10                   

                                       


Ecritures

Tu as pris des mots

Dans mes paroles

Pour en faire des oiseaux

Qui s’envolent

Et moi je t’écris au féminin.

                                  X…

in Poèmes d'adolescents ‑ Casterman éditeur


Introduction

Débutons par un lieu commun : toute relation péda­gogique se fonde sur une certaine forme de commu­nication.

Simplement pour situer ce présent travail sur l'entre­tien du matin. A travers toutes les techniques péda­gogiques, celle qui nous semble être d'abord volonté de communication, apprentissage de la communication et peut‑être seulement cela, c'est bien l'entretien du matin.

Quoi de plus simple, en apparence, qu'un maître et des enfants parlant, essayant de parler ‑ de se parler ?

Ce qui serait intéressant de connaître, c'est ce que cache le mot communication, ce que peut être la forme ou les formes de communication optimum pour une pédagogie donnée, pour un groupe‑classe donné.

Tant il est certain que la communication établie entre les Pères Jésuites et leurs élèves est différente de celle établie dans une classe Freinet à structure coopérative.

Tant il est certain que la communication qui peut s'établir dans telle classe maternelle est différente de celle établie en faculté, même si les enseignants se réfèrent à la même théorie pédagogique.

Enfin, la communication varie dans sa qualité, sa densité, son contenu selon les heures d'une même journée, selon les lieux des différents ateliers.

On voit donc tout de suite la complexité du problème, tout ce que peut comporter d'insaisissable cette notion de communication.

Il s'agit de ne pas être trop ambitieux.

Nous avons choisi d'étudier une technique ouver­tement reconnue de communication : l'entretien du matin.

Cette étude se fera selon différents axes :

‑ Historique de l'entretien.

‑ Analyse approfondie de l'entretien en pédagogie Freinet.

- Analyse de l'entretien selon diverses pédagogies.

- Tentatives d'approche pour une pédagogie de l'entretien.

Pour ne pas alourdir ce travail nous avons tenté de réduire au maximum la partie codage/décodage, mais nous nous tenons à la disposition de ceux qui désireraient de plus amples renseignements.

Enfin, ce travail ne pouvait être le fruit que d'obser­vations prolongées en classe et de nombreuses conversations avec les enseignants concernés. C'est dire qu'il s'étale sur huit années de contacts à même les enfants.

Que ceux‑ci, leurs maîtresses et leurs maîtres soient ici chaleureusement remerciés pour leur gentillesse et leur participation.


L'ouvreur de vannes

Je suis l'ouvreur de vannes
des écluses de la vie.
Je libère les eaux fécondes
qui apportent la vie.
Celles que l'oiseau chante,
que le ruisseau murmure,
que la fleur exhale.

Michel 11 ans
in La porte de la clé perdue
Casterman éditeur


Chapitre I : Historique de l'entretien

1. Aménagement d'un passage entre deux réalités : la vie sociale et la vie scolaire

1. L'enfant passe chaque matin d'un monde à un autre. Il passe du milieu familial et social au milieu scolaire. On ne peut nier que ce soient ‑ dans notre société ‑ deux mondes différents, le second étant vécu comme clos, lieu d'une certaine forme d'initiation.

Depuis quelques dizaines d'années bien des pédagogues se sont penchés sur ce moment d'arrivée des enfants, moment d'accueil, de réception des enfants. C'est le moment où les parents laissent leur enfant, où l'enseignant prend en charge l'enfant.

Cette prise en charge est, bien entendu, très différente, non seulement selon les pédagogies employées, mais surtout selon la personne de l'enseignant. Plus ou moins brutale, plus ou moins douce, elle est toujours vécue comme un sas.

Longtemps ce moment a été utilisé pour dresser un écran encore plus opaque entre la réalité familiale et la réalité scolaire. Seule cette solution de continuité permettait l'apprentissage, croyait‑on.

Puis il a été utilisé comme moment privilégié pour inculquer valeurs morales et patriotiques.

Enfin, cette grille de séparation devint moins opaque et permit à la réalité extérieure d'entrer dans la classe avec toutefois un filtrage plus ou moins sévère ‑ plus ou moins avoué.

2. L'entretien moral et son évolution

2. Ce moment se retrouve nettement institutionnalisé dans les Instructions Officielles successives de 1887 - 1923 ‑ 1938 ‑ 1947...

Son objet, sa définition, sa destination sont à la fois clairement exprimés et remarquablement stables historiquement.

Si, sur le plan général, les I.0. de 1887 (citation reprise en 1923) disent que “ La seule méthode est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui, un continuel échange d'idées”, le seul moment de la journée où l'on n'y parle pas de leçons ou d'exercices est celui de l'enseignement de la morale. Jusqu'aux dernières Instructions pour l'enseignement du français de décembre 1972, l'entretien n'y est conçu que comme entretien moral. L'entretien n'est jamais dissocié de l'éducation morale. C'est un moment réservé à l'éducation du “faire‑vouloir”, basé sur l'affectivité, le modèle. Le maître n'est ni le père, ni le prêtre. En fait, il doit être l'un et l'autre et même quelque chose en plus.

Les entretiens seront centrés autour d'exemples édifiants choisis par le maître. C'est, comme disent les I.0. de 1923, un “art d'incliner la volonté libre vers le bien ”.

A partir de 1938, le seul changement à noter est la diminution de moitié du temps réservé à cet entretien : une heure par semaine au lieu de deux heures.

Il n'est donc pas question d'entretiens conçus comme des dialogues ou des échanges, mais bien de l'acquisition de principes moraux.

L'enseignant y agit à plein comme l'instituteur au sens étymologique. Que cela soit fait d'une manière douce ou brutale, insidieuse ou claire, l'enseignant doit faire entrer dans la tête des enfants (qui n'y seraient pas naturellement enclins) les principes généraux de la morale en place.

En général, ce moment se déroulait ainsi : lecture d'exemples édifiants, parfois discussion pour “incliner la volonté libre des enfants” (sic), copie d'une maxime, suivie de son apprentissage.

On trouve encore ça et là quelques manifestations de cette méthode. J'ai trouvé dans des cahiers d'enfants :

“Je dénoncerai mon camarade qui a volé”.

“Je me mouche toujours dans mon mouchoir”.

“Je laisse le passage aux grandes personnes”.

Ce sont les “pédagogies nouvelles” qui, peu à peu, feront intervenir de plus en plus activement et de plus en plus continûment la parole propre de l'enfant.

Le changement est en soi une révolution en ce sens qu'il reconnaît une parole propre à l'enfant, que les principes moraux doivent être appropriés plutôt que subis, que l'on peut coexister en ayant des morales différentes, que la notion de pouvoir se relativise.

Mais si l'enseignement de Rousseau est un entretien constant avec l'enfant, c'est aussi un entretien factice. Emile n'y est pas sujet, mais objet et même le jouet du précepteur qui sait tout et prévoit tout.

M. Montessori introduira la réelle valeur de l'expression spontanée enfantine.

Les recherches et enquêtes dont les conclusions forment le “plan Rouchette” de 1970 ne font pas expressément mention de cette technique ; pourtant, la priorité qu'elles donnent à l'oral, au besoin de s'exprimer, de s'affirmer, de communiquer, qu'il s'agit de maintenir dans toute sa vérité en admettant différents niveaux de langage, supposent une grande écoute et une grande disponibilité du maître à ce que dit l'enfant.

Les dernières Instructions pour le français parues le 4 décembre 1972, disent qu'“il faut aider l'enfant à communiquer et à penser”, lui “apprendre à parler, à écouter”. “La forme la plus simple” pour y parvenir est “ l'entretien régulier, non systématique” dans “un climat de confiance et d'amitié”.

Mais cet entretien n'est pas une institution née du groupe ; elle vient du maître.

L'entretien est le premier maillon d'une chaîne qui, partant de lui, arrive aux exposés d'enfants en passant par la voie de la vie coopérative.

Louis Legrand, dans son livre “L'enseignement du français à l'école élémentaire”, rappelle que “ la motivation, l'expression spontanée libre sont indispensables dans la mesure où elles sont susceptibles de créer un champ, au sens de la Gesttalthéorie, capable de vivifier l'apport de l'imitation et de la mémoire”. “Nous cherchons à communiquer pour appeler à l'aide : c'est probablement la première motivation du langage”.

Quant à la pédagogie Freinet, qui nous intéresse directement pour replacer cette étude dans le champ des classes choisies, elle ne fait pas non plus directement mention de l'entretien comme technique bien délimitée et cloisonnée ; mais elle insiste sur le climat général d'échanges constants entre le maître et les élèves, entre les élèves entre eux :

L'entrée en classe un lundi matin

“Nous voulons que notre école soit la maison familiale où s'épanouit le cœur et s'extériorisent les pensées... Il nous suffit de sentir cet élan, de le capter, de l'utiliser, de l'exploiter pédagogiquement...

L'entrée elle‑même est plus ou moins animée et bruyante...

Nous ne sommes pas rigoureux sur la forme de la politesse. Cet enfant vient vers nous, pressé de nous faire part d'une découverte faite en route ou d'une nouvelle à nous annoncer. Dans sa hâte, il oublie de dire bonjour : mais sa confiance affectueuse n'est‑elle pas le plus délicat des bonjours ! Un autre apporte un objet pour notre musée ‑ pierre, plante ou pièce d'antiquité ‑ ou une revue illustrée dont nous tirerons de suggestifs documents pour notre fichier. Une fillette nous offre un superbe bouquet de fleurs, ou le premier ‑ le second, car le premier, on ne peut résister au plaisir de le savourer ‑ pendant de cerises.

Cette vie si confiante, impatiente de s'extérioriser, nous n'avons garde de la rabattre doctoralement ou avec un dédain plus ou moins vexant...

Et s'il en est, parmi ces arrivants, qui restent muets, sérieux et tristes, loin de nous en réjouir, nous saurons nous en émouvoir pour tâcher de connaître les raisons profondes de cette anomalie...

Si nous atteignons à cette camaraderie qui peut s'élever à la dignité de communion... notre programme pédagogique est ainsi tout tracé”.

(C. Freinet ‑ L'Ecole Moderne Française)

Ce texte de Freinet a longtemps servi de modèle pour les enseignants pratiquant cette pédagogie.

Mais son fondateur est mort depuis douze ans. Bien des choses ont évolué dans le mouvement qu'il a créé et qui, lui, est bien vivant. Néanmoins, on peut encore s'y référer tout à fait valablement. Le seul mot qui serait peut‑être à remettre en question, c'est celui de “communion”.

De même, les praticiens de la pédagogie institutionnelle peuvent se référer au texte de Freinet pour une définition de l'entretien. Leur écoute est peut‑être plus “psychanalytique”.

Mais les praticiens du Mouvement de l'Ecole Moderne Française (C. Freinet) comme ceux de la pédagogie institutionnelle (F. Oury) se reconnaîtront dans ce texte de Monique Salaün (projet d'une définition de l'entretien, in Vocabulaire de l'Education de J. Vial ‑ P.U.F. 1979) :

“ L'enfant arrive à l'école riche d'expériences, de projets, de rêves, d'émotions.

L'entretien va être pour lui un des moyens d'expression qui va lui permettre de “dire”, de “se dire”. Et ce monologue va, peu à peu, devenir dialogue dans lequel l'enfant va donner, échanger, dire “à quelqu'un”. L'entretien est aussi pour l'enfant le moyen de découvrir les autres car la découverte de leur expression va passer par le relais de ses propres expériences, de ses propres préoccupations, de ses propres émotions.

L'entretien est une conversation qui, par son authenticité, établit ‑ aide à établir ‑ la relation et la communication entre l'enfant et le maître. Les enfants entre eux.

Ceci suppose que dans la classe se soit instauré un climat d'écoute, de respect de l'autre, de confiance entre l'adulte et les enfants, les enfants entre eux”.

Enfin, pour différencier ce moment d'avec d'autres, il faut dire encore que l'entretien n'est pas la réunion de coopérative, le conseil de coopérative (que l'on retrouve dans les deux courants pédagogiques précédents).

Durant l'entretien, on ne règle pas les problèmes de gestion, d'organisation du travail, de la vie en groupe. L'entretien ne sert pas à la transmission des connaissances, comme durant les conférences d'enfants.

Ce n'est pas une discussion autour d'un sujet décidé à l'avance comme durant les débats.

C'est un moment privilégié où le groupe se met à l'écoute ‑ et parfois à parler. Un moment où va se renforcer la connaissance mutuelle des personnes là présentes, pourtant orientées vers un but commun : le grandissement et l'épanouissement de chacun.

C'est dire enfin qu'ainsi se fonde un moment institutionnel et vite reconnu comme tel.

Peu importe qu'il ait lieu le matin ou à un autre moment, avec tout le monde ou seulement avec ceux qui se sentent concernés.

Chapitre II : L’entretien du matin en classe Freinet

A. ‑ Classe de M.

1. La classe

1. M. est un petit village de campagne de trois cents habitants environ. Le couple d'instituteurs y enseigne depuis neuf ans. La même pédagogie, la pédagogie Freinet, y est appliquée depuis leur arrivée. La maîtresse a (des petits”, c'est‑à‑dire une section enfantine, un C.P., un C.E.1 et un C.E.2 représentant un éventail d'âges allant de quatre à huit ans. C'est de l'année scolaire 1970‑71 dont nous parlerons et c'est sur cette classe que portera l'étude.

Voici la structure de la classe :

Jacky, Bernard, Pascal, Lydie, Brigitte, Isabelle sont cousins et vivent dans un hameau du village assez isolé. Ils forment un groupe, vont à l'école et la quittent ensemble.

Pierre‑Louis et Jean‑Michel vivent au bourg.

 

Garçons

Filles

S.E

Michel

Jean

Bruno

Véronique

Muriel

Florence

C.P

Thierry

Claude

Denis

 

CE1

Jacky

Bernard

Pascal

Muriel

CE2

Pierre-Louis

Jean-Michel

Lydie

Brigitte

Isabelle

2. La pédagogie Freinet

C'est la pédagogie ici appliquée.

Cela veut dire qu'elle correspond aux normes mises en place dans le Mouvement de l'Ecole Moderne Française.

Les enseignants en sont d'ailleurs des militants actifs. On y pratique au moins les techniques indispensables dans un souci constant de recherche et de meilleure efficacité :

‑ Le texte libre, la correspondance scolaire, le journal scolaire, l'imprimerie, structure coopérative de la classe.

‑ Les conférences d'enfants, les ateliers de libre recherche, les plans de travail, les ateliers d'expression libre artistique, l'apprentissage de la lecture par la méthode naturelle.

Enfin, l'Inspection Académique et l'Ecole Normale y envoyaient leurs stagiaires.

Certaines productions de cette classe ont paru dans les diverses publications de l'Ecole Moderne : B.T., Bibliothèque enfantine, Art enfantin, etc.

3. L'entretien

Il a lieu chaque matin dès l'arrivée. Il dure environ une demi‑heure.

Les enfants se placent selon leur désir autour de la maîtresse qui est parmi eux à leur hauteur.

C'est un moment habituel, attendu, nécessaire.

4. Matériel d'étude

Le cahier‑journal de la maîtresse, tenu à chaque moment de la classe comme aide‑mémoire et témoin de ce qui se dit et fait.

Bien entendu, ce matériel n'est pas objectif. L'enregistrement sur bandes magnétiques eût été supérieur.

La variable qui sera la plus touchée sera le rôle propre de la maîtresse. Nous en tiendrons compte. Néanmoins, la maîtresse a noté très scrupuleusement les échanges et nous verrons que ceux‑ci sont suffisamment riches pour mener une étude assez profonde.

5. Méthode de travail

a)      Classification des prises de parole.

b)      Dénombrement.

c)      Etude qualitative.

d)      Conclusions.

a) Classification des prises de parole

J'ai composé un tableau classique à double entrée. En ordonnée, les jours de l'année ; en abscisse, les catégories des prises de parole. Aux intersections, les enfants sont inscrits avec leur initiale. Pour la maîtresse, le signe : 0. Pour les adultes, le signe : A. Pour les prises de parole anonymes ou, le plus souvent, collectives, le signe A. Ce signe marque surtout les moments où l'échange devenait intense : il n'était plus possible alors à la maîtresse de suivre chaque parole (ce tableau n'est pas reproduit).

A partir d'un échantillon de quelques semaines, j'ai pu dégager cinq grandes catégories : Informations. Evénements. Observations. Propositions. Affectivité.

Chaque catégorie était subdivisée en sous‑catégories. Les voici ci‑dessous avec un exemple pour chacune :

Informations était subdivisée ainsi :

sur soi                                       ex. J'ai passé mes vacances chez Mémère
sur famille                                 ex. Maman va travailler
sur camarades                           ex. Les grands ont installé des pneus dans la cour
sur maîtresse                             catégorie non représentée
sur village                                  ex. Les ouvriers creusent le trou du transformateur
sur le monde                              ex. Voici comment on utilise le marc
raconter un jeu                          catégorie non représentée
raconter une activité                  ex. Voici comment j'ai fabriqué un piège à guêpes
sur nature                                  ex. Sur les arbres on met du poison pour les oiseaux
sur animaux                               ex. Il y a un élevage de chinchillas à T.

Evénements était subdivisée ainsi :

sur soi                                       ex. Mon ongle va tomber, je l'ai pincé
sur famille                                 ex. Ma mère a eu un anneau dans le ventre
sur camarades                           ex. Le chat de Marguerite s'est fait écraser
sur maîtresse                             catégorie non représentée
sur village                                  ex. Près de chez nous, il y a un nid de guêpes
sur le monde                              ex. Le général de Gaulle est mort
sur animaux                               ex. Notre chatte a encore pris un oiseau

Observations était subdivisée ainsi :

de soi                                        ex. On a une mémoire qui réfléchit la nuit
de la famille                              non représentée
des camarades                          non représentée
de la nature                               ex. Je sais planter des haricots (avec explications)
du milieu social                          ex. Echanges autour de l'usine P
des animaux                              ex. Echanges sur les chinchillas

Propositions était subdivisée ainsi :

de travail                                   ex. Je peux faire de la compote de pommes
d'organisation                            ex. Je voudrais préparer l'atelier d'argile
de jeu                                       non représentée
critiques                                    non représentée
félicitations                                non représentée
présentations de travaux            seulement chiffrée

Affectivité était subdivisée en deux catégories antagonistes : Plaisir et peine, chacune subdivisée ainsi

vers soi                                     ex. T. raconte sa fugue de la maison
vers maîtresse                           ex. Regarde maîtresse, mes bijoux
vers famille                               non représentée
vers camarades                         ex. Je vous ai apporté du placage
chants                                       simple notation des enfants qui chantent le matin

·         Tout de suite, nous pouvons faire quelques observations générales sur les catégories non représentées : ‑ on ne raconte guère un jeu autre part que dans la cour. D'autant plus que dans un tel cadre pédagogique, la frontière entre le jeu et le travail est très floue. Ainsi, si un enfant dit : “j'ai inventé tel parcours dans la cour” et que cette parole est reprise par le groupe pour être utilisée en “gymnastique”, cette parole devient un travail.

-Les observations de la famille restent en famille ou dans l'intimité de chacun. C'est normal, mais ceci marque la frontière entre l'école et la famille.

‑ Les propositions de jeu ne se font que dans la cour ou dans la rue. Ceci marque encore une des limites de l'entretien : on peut y dire beaucoup, mais pas tout ou n'importe quoi.

‑ Critiques et félicitations se disent dans un autre moment institutionnel : la réunion de coopérative.

‑ Lorsqu'on a à dire son plaisir de la famille, on le dit en famille.

Je peux noter une bonne dispersion générale dans les différentes catégories. Ce qui peut montrer à la fois un bon choix de celles‑ci et la constance de la largeur d'utilisation du cadre institutionnel de l'entretien.

L'absence de la catégorie : peine à cause de la maîtresse est significative. La maîtresse est constamment aidante.

·         Les prises de parole

Au premier trimestre, on peut noter la quasi totalité des prises de parole individuelles.

Prises de parole individuelles

 

Prises de paroles

Δ

1er T.

251

39

2ème T.

184

78

3ème T.

62

37

A partir de ce tableau, on voit que la maîtresse note de moins en moins au fil de l'année. A ceci, une double explication : au début, la maîtresse accorde une grande place à l'entretien, car elle veille à sa mise en place institutionnelle. Puis, peu à peu, la machine est rôdée et tourne presque d'elle‑même. De plus, en avançant dans le temps, l'institution s'assouplit et beaucoup de choses se disent dans le cours même de la journée. Elles ne sont plus alors notées.

Il nous sera donc possible de mener notre étude sur deux fronts :

-          Faire une étude détaillée du premier trimestre.

-          Faire une étude par thèmes pour toute l'année.

b) Dénombrement

Les prises de parole ont été regroupées par enfant et par jour.

La moyenne pour septembre est 8, 9 prises de parole par jour avec un seul Δ. Le premier jour est privilégié, ce qui est évident. Il est de plus très probable que l'entretien a duré plus longtemps ce jour‑là.

Il y a une remontée le 28 septembre. En effet, JMi a apporté un nid de frelons détruit la veille par ses oncles. Le thème a beaucoup intéressé et on décide de faire une sortie l'après-­midi pour aller voir d'autres nids.

Pour octobre, la moyenne tombe à 6,2 avec 16 Δ. De nombreux événements intéressent en effet toute la classe. Le groupe s'organise, tout le monde parle ; des propositions d'organisation d'ateliers et de travaux sont faites. Parmi les principaux thèmes, il faut noter : les vendanges, les betteraves, et surtout les correspondants qui ont une grande importance tant sur le plan affectif que sur celui du travail. De plus, ils viennent passer la journée du 27 octobre, ce qui justifie les nombreuses prises de parole du 28 octobre. Ce jour‑là, on parle beaucoup des corres et les colonnes les plus utilisées dans le tableau de base sont : plaisir vers soi et vers les camarades, propositions de travaux et recherches.

La moyenne pour novembre est 5,5 avec 11 Δ Le 4, c'est la rentrée des vacances de Toussaint, le thème important de ce jour est : le rêve, à partir d'une parole d'Isabelle. Le 9, on raconte de nombreux petits événements personnels. De même pour le 17.

La moyenne pour décembre tombe à 2,4 et 11 Δ. On peut penser que la classe tourne collectivement ; mais c'est aussi le moment de la fête de Noël qui se prépare (à partir d'une histoire racontée le 4 par un petit : Bo), ce qui est justifié par les paroles collectives des trois derniers jours.

·         Un autre mode de classement m'a permis de ranger chaque enfant selon son nombre de prises de parole.

On remarque immédiatement :

‑ l'absence de Jean, un petit très retardé qui sait à peine parler,

‑ l'absence de Catherine, la petite “vaniette” qui n'arrivera qu'en janvier et quittera l'école un mois plus tard,

‑ ce sont les plus grands qui parlent le plus. Pourquoi ?

Les grands ont l'habitude de la classe. Ils retrouvent une ancienne structure qu'ils ont pu apprécier les années précédentes.

Ils savent mieux parler. Ils ont plus d'assurance, ont le souci d'organiser, de communiquer par l'intermédiaire d'un groupe et non plus seulement de la maîtresse. Ils ont aussi le souci de s'affirmer. La classe est déjà leur classe. Ils donnent le “ton” et la maîtresse s'appuie probablement beaucoup sur eux pour le démarrage.

Est‑ce à dire que les petits soient lésés ? Sûrement pas ; car, dans la structure de travail de la classe, les petits (S.E., C.P.) travaillent avec la maîtresse aussitôt après l'entretien, pendant que les grands font leur travail personnel. Ils sont donc moins concernés par l'entretien, sachant qu'ils auront. leur “moment” ensuite.

Ce travail consistant essentiellement en : raconter des histoires, en parler, en choisir une pour une séquence de lecture (approche globale et systématisation).

Enfin, ce sera à partir de la parole d'un petit (Bo), reprise par le groupe et valorisée par la maîtresse, que l'on élaborera le thème de la fête de Noël.

·         Quelques données individuelles.

Jacky, qui parle le plus en C.E.1., est un garçon d'un an plus âgé que son groupe ; il a redoublé.

Pascal est très attiré par le travail scolaire ; il “colle” à toutes les activités de la classe et donne toujours le maximum.

Michel et Muriel, qui parlent le plus en S.E. sont aussi un cas particulier, du même hameau que la plupart des grands, ils venaient déjà à l'école l'année dernière “pour les accompagner”. De plus, Michel est d'un an plus âgé (cinq ans au lieu de quatre).

On peut donc noter une relation étroite entre l'âge des enfants et le nombre de leurs prises de parole. Mais cette notion d'âge n'est pas à prendre au pied de la lettre car elle en cache plusieurs autres, comme nous venons de le voir.

 

A partir de ce graphique, nous voyons encore se détacher nettement trois “étoiles” : B, P, I.

Brigitte, se détache nettement, d'autant plus qu'elle a encore à son actif quatre chants du matin. Brigitte apporte beaucoup d'informations et d'événements (19), apporte beaucoup aussi dans le domaine affectif positif (16), un peu en négatif (4) pour lequel il semble que ce soit l'influence d'isabelle. A noter qu'elle sera la seule où, au cours d'un entretien, elle “dénoncera” ses camarades et provoquera ainsi une discussion très animée.

Brigitte semble très fixée sur la maîtresse qui est pour elle le modèle de femme idéale qui lui permet de quitter un milieu familial très bas. Brigitte épouse donc de très près le modèle pédagogique magistral qu'elle sent, devine et prévient.

A noter encore que Brigitte et Pierre‑Louis sont nettement opposés et rivaux . ils ne peuvent se supporter, mais travaillent toujours ensemble. Le conseil de coopérative, voire l'entretien, sont le théâtre de leurs oppositions.

Pierre‑Louis est le fils de la maîtresse. Il a une vie riche et variée. Il apporte beaucoup en classe, surtout dans les domaines des informations et des événements. Il sait beaucoup de choses et veut le montrer. C'est un peu le “journaliste” de la classe, mais il apporte aussi' énormément dans le domaine de la nature.

Il sait aussi organiser.

A noter que l'affectivité n'est représentée qu'en positif et dans les catégories du soi et des copains (surtout). C'est donc un garçon bien socialisé ou qui cherche à l'être.

Isabelle apporte également en tous domaines, observe profondément (surtout elle‑même), chante beaucoup. Mais il est manifeste qu'elle veut être la première, la meilleure. C'est une personnalité obsessionnelle, très riche et complexe, mais souvent pathologique. Elle vit dans son monde qui peut aller de tentatives de suicide complaisamment racontées devant toute la classe à l'observation rigoureuse et fine de soi (pourquoi rêve‑t‑on ?). Son ambivalence vient probablement du fait qu'elle n'assume pas aussi bien que Brigitte sa projection sur la maîtresse, car elle vient, elle aussi, d'un milieu familial très perturbé, dans lequel se fait sentir en plus l'influence d'une religion mal comprise.

Jacky débutera l'année par un chant, ce qui montre sa parfaite adaptation au milieu scolaire. C'est un garçon pratique qui bricole, informe, et organise.

Pascal semble, lui aussi, bien intégré. Il s'exprime beaucoup tant sur le plan informatif que sur le plan affectif. C'est le frère de Lydie. La maîtresse le dit très attaché à elle, voulant toujours bien faire.

Lydie est égale en tout. Elle ne parle pas pour ne rien dire ; mais ses paroles pèsent. Sa sensibilité s'exprime seulement dans le registre positif, on peut penser que c'est une fillette équilibrée.

Jean‑Michel informe et organise. Il n'exprime pas son affectivité. Le modèle magistral passe probablement par le relais de Pierre‑Louis. Ce que souhaite Jean-Michel, c'est être le fils de la maîtresse.

On peut bien entendu croire que je m'avance beaucoup en donnant de telles conclusions à partir de quelques tableaux. En fait, je n'ai pu le faire que par un constant va‑et‑vient entre ces tableaux et les paroles vraies des enfants rapportées dans le cahier‑journal de la maîtresse, paroles que je ne peux bien entendu transcrire ici, faute de place. De plus, j'ai demandé à la maîtresse si ce que je pensais des enfants correspondait à la réalité, ce qui était pratiquement le cas partout.

Enfin, je ne me suis avancé que pour les enfants pour lesquels je possédais suffisamment de renseignements.

c) Etude par thèmes

Cette étude est la suite logique de la précédente. En effet, il était indispensable de savoir ce que devenaient les paroles des enfants.

Ce fut une recherche très difficile, car l'“ utilisation” des paroles peut être très diverse et surtout ne pas laisser de trace tangible.

Quand Brigitte dit : “Mon grand‑père est mort”. On échange quelques mots et c'est clos.

Quand Isabelle dit : “Hier, j'ai voulu me suicider”. La maîtresse répond, et c'est tout. Et c'est le mieux.

De même pour des paroles du genre : “Ma corres est jolie”. “De Gaulle est mort”, etc.

Néanmoins, une classe est un endroit où l'on travaille. Une classe Freinet est un endroit où se forme et s'affine l'“Education du Travail”. Il est donc intéressant de voir si la parole des enfants est transformée en travail et dans quelle proportion. Il est intéressant de savoir si l'information pittoresque, la note sensible, l'événement important, l'animal ou la plante apportée, l'observation exacte n'ont pas seulement été qu'un moment agréable de conversation, mais ont été appropriées par le groupe pour être creusées, affinées, utilisées, transformées en matériaux tangibles.

Pour cette transformation, l'influence de la maîtresse et, conjointement, celle du groupe, sera bien entendu prépondérante. En fait, ce sera toujours celle du groupe qui sera déterminante, celle de la maîtresse n'étant, en général, qu'une invitation plus ou moins pressante.

D'où le tableau suivant qui regroupe tous les thèmes des entretiens journaliers. La colonne 2 met, en face, les albums réalisés durant la même période ; donc réalisés, soit à partir de thèmes d'entretiens, soit à partir d'autres thèmes.


Thèmes                                                                                                                                Albums

                                                                   Septembre

Guêpes (P.)                                                                                                                           Guêpes
Petits travaux de J.
Suicide (Isa)
Tournesols (P.)                                                                                                                      Tournesols
Gourmands (Corres)
Cabanes (I.)                                                                                                                           Cabanes
                                                                                                                                             La mer (P.)
Suicide‑Danse                                                                                                                        Avec des pneus
Frelons (JMi)                                                                                                                                     Frelons

                                                                       Octobre

                                                                                                                                              Gelée de mûres (Corres)
Animaux                                                                                                        on n’a pas eu d ‘école, alors…
Animaux                                                                                                                                            Les chiens
Vendange                                                                                                                               Textes anormaux (I.)
Lecture de poèmes
Vendange
Fugue Automne                                                                                                                       “ Voici l’automne… ”
Textes lus                                                                                                                                          Plaintes
Brigitte et sa sœur                                                                                                                  La musaraigne
Boîte à questions                                                                                 La petite mer, le bateau et la tortue (Pa)
(Corres.)
Vin doux                                                                                                        Les loups qui chantaient (Bo)    
Sorgho
Mort grand‑père (B.) (Corres.)                                                                        Voilà comment nous sommes à M.
Corres.
Corres.
Corres.
Corres.
Corres.
Corres.                                                                                               La bonne journée de mardi (corres.)

                                                                     Novembre

Rêve                                                                                                                          Visite du cidrier            
Divers travaux grand‑mère (M.)                 
Habits plastiques + textes                                                                                                        Larmes
Circuit dessins                                                                                                                        Le phoque (P.)
Mort De Gaulle                                                                                                                      Poupées géantes
Circuit dessins                                                                                                                        Grande tapisserie
Raz‑de‑marée + grenade                                                                                                        Habits en sac (I.)
Divers                                                                                                                                   Le crabe (Be)  
Usine placage
Petit‑bateau
Avion de Bruno                                                                                                                      L’avion de Bruno
Chinchillas + le froid                                                                                                               Chinchillas
Sanglier                                                                                                                                 Sanglier

                                                                    Décembre

Hiver                                                                                                 
Camargue                                                                                           A propose de votre album sur les étoiles
Les loups                                                                                                                               Le busard (T.)
Claude (papa)                                                                                                                        Les loups (Bo)
Vieilles photos                                                                                                            Histoire pour une bande
Travaux                                                                                                                     Des costumes + 5 poupées
Corres.                                                                                                                      Tout sert dans la vie
Travaux présentés                                                                                          Qu'avons‑nous dans notre corps ?
Travaux
Travaux

                                                                       Janvier

Travaux + Evénements
Le froid (1.)
Le froid
Les sources                                                                                                                Hier, aujourd’hui, demain
La caravane de Cathy                                                                                                            Nos papas (CP)
Lettre aux corres.
Caravane + corres. +                                                                                                              Expériences et
Pa et ses frères                                                                                                                      fours solaires (P.)
Isa. et ses malheurs + carnav. + corres                                                                                               24 diapos
Dessins de petits                                                                                                                    Le vent (L.)
Isabelle
Marionnettes
Corres.
Corres.
La nuit dans mon lit                                                                                                     La nuit dans mon lit
Colis des corres.                                                                                                         Tapisserie crayolor
Mort de Alavoine                                                                                                        La mode de Lydie
Aux corres.                                                                                                                L’arbre de vie
Brancusi                                                                                                         Histoire voyageuse (corres.)

Février

Aux corres.
Concorde + Apollo
Vieux livres
Apollo 14
Brancusi
Rêves
Canada                                                                                                          Canada (Canadiennes en classe)
Voyage à la neige                                                                                                                   Brancusi (I.)
idem + Apollo                                                                                                             La grosse araignée (CP)
aux corres. + le verre                                                                                                                         Apollo 14
Retour de la neige                                                                                           4 tapisseries Lydie, cartons collés,
                                                                                                                                                         Matiss
Eclairage + Neige retour                                                                                                         Les bateaux
Aux corres                                                                                                                                        Masques
Présentation collages                                                                                       Vous rappelez‑vous au ski ?
                                                                                                                                                         (corres.)
Mort grand-père Ja + nature                                                                                        La panne de lumière
Premiers chatons de noisetier
Chatte

                                                                             Mars

Opération mère Lydie
Aux corres.                                                                                                                Quand nous serons grands
Lecture textes des corres.                                                                                                       Grattages
Accident de voiture                                                                                                     Le cheval de Christophe
La lune (exposé de Patrick)                                                                                                    La buse (Jmi)
Lune                                                                                                                                      Graphiques
Grand‑mère de Brigitte
Brouillard
Chouette‑effraie                                                                                                         Chouette-effraie (Mu)
Animaux                                                                                                                    Zootrope (Jmi et P.)
Animaux                                                                                             Grattages. Quand nous serons grands
Poèmes                                                                                                                                 Baisers (L.)
Poèmes                                                                                                                      Mouvements (L.)
Poèmes
Poèmes
Poèmes
Bagarre
Lettre des corres                                                                                 En ce moment les oiseaux reviennent
Ver solitaire + printemps                                                                                 Le cheval de Christophe

                                                                             Avril

Chez les corres.
Divers nature + monde
Tableau moral (L)
Nid de pie
Environnement                                                                                                                       Environnement
Corres.                                                                                                                                  Suma (petits)
Corres.                                                                                                                                  Coin des petits
Les chatons et la mère
Les pies + corres                                                                                                        La promenade

Mai

La fête au village
Tortue + poussins                                                                                                                               Tortue (J.)
Animaux
Travaux divers
Calcul
Corres.
Pêche à la mare
idem
Printemps
Poisson + papillon
Orvet + chenille                                                                                                                                 Orvet
Corres. Les machines
Machine à enterrer les poteaux et poser les fils

                                                                              Juin

Le monde                                                                                                                              Oiseaux plumeux
Fête des Mères                                                                                               Machine transporteuse d’enfants
                                                                                                                      Machine arracheuse d’arbres
                                                                                                                                             Les avions
                                                                                                                                 Si l’homme venait…
                                                                                                                                 Nuage, étoile…
                                                                                                                      Les jours de la semaine… (I.)

                                                                                                                                 Machines-caméras.

                                                                                    .

 

J'ai alors regroupé les mêmes données selon les six catégories suivantes : Art, Animaux, Plantes, Travaux, Evénements, Vie du village, Correspondants.

·         Septembre : Thèmes de saison + le gros moment affectif créé par la parole d'Isabelle.

Octobre : Thèmes de saison + les correspondants (polarisation affective et de travail).

Décembre : on termine les travaux du trimestre, on les présente et on prépare la fête de Noël.

En affinant encore, on voit apparaître les “incitateurs”.

D'abord les albums réalisés à partir d'une parole d'enfant dont j'ai pu retrouver la trace exacte. P = 2, 1 = 2, JMi ‑ 1, Bo = 1. On retrouve là deux étoiles.

Ensuite les albums réalisés en général dans l'année et dont on connaît l'incitateur (parole venant de l'entretien ou non). P ‑7, 1 ‑ 7, L ‑ 7, JMi = 5, Bo = 4, J = 5, B e = 2, T ‑ 3.

On retrouve là trois étoiles. On remarque l'absence totale de Brigitte. A quoi cela peut‑il être dû ?

- Manque de vigilance de la maîtresse ?

- Enfant mal acceptée par le groupe ?

‑ Enfant ne se mettant pas facilement en vedette malgré sa parole facile ?

Je ne peux donner d'explication définitive, bien sûr. Ce qui est encore plus remarquable, c'est qu'on retrouve trace du travail de Brigitte dans tous les albums réalisés.

Si l'on étudie de plus près ce résumé général, on s'aperçoit que les albums de Pierre‑Louis se situent dans les mêmes catégories que ses prises de parole à l'entretien, ce qui nous renforce dans l'analyse de sa personnalité. Il est bien celui qui organise et qui apporte à la classe des thèmes d'information qu'elle ne connaît pas et dont elle s'empare.

Les sept albums d'Isabelle, quoique classés différemment expriment tous sa grande affectivité. Celui sur les Cabanes était au départ très affectif (pas cabanes pour exploration ou aventure, mais pour recréer une maison, une famille, un repli). Le thème repris par la classe est beaucoup plus narratif. De même pour l'album sur le Rêve, et celui sur les textes anormaux.

Lydie, l'artiste de la classe, se retrouve dans ses albums.

Les albums de Jean‑Michel reflètent sa personnalité, On peut noter l'apparition de Bernard, très poussé et valorisé par ses parents, qui, ayant compris l'esprit de travail de la classe, s'en saisissaient pour apporter eux‑mêmes à l'école leurs trouvailles. Bernard est le neveu d'Isabelle.

RAPPORT THEMES/ALBUMS

Ce rapport est important.

Les thèmes abordés sont tributaires de beaucoup de facteurs qui agissent en interaction

- affectivité des enfants,

- possibilité de parole,

- affectivité du groupe (thème reçu, accepté, refusé, admis, valorisé, etc.),

‑ influence parentale,

‑ influence magistrale, etc.

Il n'est guère possible de démêler tout cela. Néanmoins, on peut penser en gros que les influences les plus déterminantes (vu la permissivité générale de la classe) sont :

‑ la spontanéité des enfants,

‑ le champ très large de ce qui est admis.

Les albums représentent la trace matérielle du travail (bien qu'il n'y ait pas que cette forme de trace, bien sûr).

Ils sont la valorisation de tous et de chacun : de chaque enfant par ce qu'il y a mis, du groupe puisque les albums sont œuvres collectives (mais le groupe n'est pas déterminé, il varie avec chaque album), de la maîtresse enfin.

Comme je l'ai déjà dit plus haut, l'album est donc la marque tangible de cette éducation du travail tant prônée par Freinet.

Aussi s'établit‑il à leur encontre tout un jeu dialectique d'acceptation et de refus.

L'album est le point de convergence d'un grand nombre de forces :

‑ valorisation du groupe pour un enfant,

‑ valorisation de la maîtresse pour un enfant,

‑ volonté d'un enfant pour réaliser ce à quoi il tient, ‑ thème qui trouve de grandes résonances dans un enfant, dans le groupe, chez la maîtresse,

‑ souci militant de la maîtresse,

‑ etc.

A cela viennent s'ajouter le ou les “modèles” d'albums que peut posséder la maîtresse, les albums que reçoit la classe et provenant d'autres classes.

Tout ceci vient interférer et il est bien certain que le graphique ci‑dessous ne cherche pas à prétendre les dominer. Néanmoins, on peut, à partir de sa lecture, se hasarder à quelques réflexions.

La courbe des thèmes abordés durant le premier trimestre est régulière, à part l'importance plus grande accordée au thème : Travaux.

Mais la courbe des albums réalisés durant la même période accuse des irrégularités caractéristiques : la grande importance des albums Art vient‑elle d'une influence de la maîtresse, qui, sans le savoir, valorise cette forme d'expression ? La maîtresse possède‑t‑elle un modèle préétabli de ce qu'est un album ? La maîtresse a‑t‑elle une culture artistique ? Une “personnalité” artiste ?

La courbe des thèmes abordés durant toute l'année est plus irrégulière. Les thèmes les plus souvent abordés sont : les correspondants, les travaux, les événements, les animaux.

La courbe des albums réalisés pendant l'année accuse très fort les irrégularités du premier trimestre : il y a une surestimation énorme de la catégorie Art. La catégorie Animaux est, elle, mésestimée, malgré les nombreux apports des enfants. La catégorie Plantes est totalement délaissée. De même pour tous les autres thèmes.

Néanmoins, on ne peut tirer aucune conclusion au niveau de la catégorie des correspondants. En effet, la quasi totalité des albums leur est envoyée et il y a disparité complète entre ce qu'on en dit et ce qu'on leur envoie.

Ces remarques autour de ce graphique font donc apparaître l'influence de la maîtresse ; influence qui était jusqu'à maintenant laissée dans l'ombre. Ceci était normal. Si la maîtresse, en effet, note scrupuleusement les paroles de ses élèves, elle est beaucoup moins attentive à se noter. Elle l'a fait néanmoins et, si nous reprenons, d'après les premiers tableaux, ses paroles ; nous voyons qu'elle apporte

-une information sur le monde

‑ six propositions de travail (ce qui la classe parmi les plus fortes participations en ce domaine)

‑ deux affectivités, plaisir aux autres (en fait, aide aux autres).

Son rôle, bien qu'inexactement rapporté, est en fait non négligeable et se situe probablement surtout dans les deux importantes catégories que sont : l'organisation du travail et l'exemple affectif.

d) Conclusion

Nous avons pu dégager, après confrontation avec la maîtresse, une certaine physionomie de la classe.

Cette physionomie correspondait assez à la physionomie générale de la classe. C'est dire que l'entretien n'était pas un moment à part dans la vie de la classe, mais y était bien intégré.

La maîtresse et les enfants accordent une grande place à l'entretien du matin. Tout le monde parle plus ou moins : la moyenne de 8 prises de parole par jour est une forte moyenne pour un temps en général court (une demi‑heure). L'éventail des catégories représentées est large et constant. C'est un double témoin de permissivité et d'écoute de forte tolérance.

C'est le moment où tout le monde se retrouve bien ensemble pour parler de tout : on raconte petits et grands événements, on apporte trouvailles et découvertes, on dit son plaisir et son déplaisir, on chante, on lit des poèmes, on présente ce qu'on a réalisé, on organise le travail...

En voici quelques exemples :

‑ Pascal : pendant les vacances, j'ai fait de la compote avec des poires et des pommes. Maintenant, je sais bien la faire. Je peux aller ramasser des pommes et j'en ferai pour les petits.

‑ Bernard : mon ongle va tomber : je l'ai pincé dans la porte.

‑ Jacky : j'ai fait une chanson en regardant mon oiseau : “Il pleurait : je n'ai plus mon ciel... ”.

‑ Brigitte : j'ai choisi une récitation. Je vous la lis “Joie noire” de Jean Arp.

‑ Jacky : papa viendra samedi matin à l'école pour nous montrer à faire des cartouches.

‑ Pierre‑Louis : j'ai une nouvelle idée de gymnastique : avec mes mains, je peux me porter.

‑ Claude : je suis allé au foin. Je conduisais le tracteur.

‑ Pascal : chez Ch... ils font le sorgho. Ils l'ensilent derrière chez eux pour que les vaches aient à manger cet hiver.

‑ Isabelle : Babette a eu des vaisseaux claqués dans l'œil.

‑ Brigitte : Hier, les grandes sont restées tard pour tirer un lino et moi j'ai appris mes leçons.

etc.

Les éléments les plus marquants, les plus structurés, les plus dynamiques sont, bien entendu, les grands qui agissent pourtant chacun en conservant leur personnalité propre.

Lorsque le démarrage des premiers mois est assuré, le groupe prend en charge et assume les paroles individuelles ce qui est un signe certain de maturité.

La classe est une classe de campagne et ceci se voit à chaque instant. C'est la vie campagnarde qui entre à flots par les paroles des entretiens. Ce cercle d'échanges de base s'élargit grâce encore aux apports des enfants qui parleront des usines des alentours où vont travailler les parents. Des parents viendront en classe pour parler de leur métier, des enfants apporteront des matériaux. Et même, la petite Catherine, qui ne sera là qu'un mois, sera tout de suite intégrée, et c'est avec une curiosité toute naturelle qu'on l'interrogera sur sa vie nomade, qu'on ira visiter sa caravane, qu'on se renseignera sur la vie et le métier de vannier ambulant. Enfin, le cercle d'échanges s'élargit au monde avec la télévision.

Tout ceci est admis et accepté par le groupe et la maîtresse. Tout ceci ne restera pas brut et inutile, mais sera presque intégralement transformé en travail.

On peut dire qu'il s'agit d'une classe équilibrée où l'Education du Travail est la donnée primordiale. Où le travail n'est pas une besogne impersonnelle apportée par une maîtresse lointaine, voire inaccessible. Le travail est ce qui naît tout naturellement de la vie. Il est la mise en forme nécessaire et enthousiasmante de la vie profuse. Il permet la structuration, le progrès par la compréhension de plus en plus fine du monde.

Enfin, la maîtresse apporte, en appuyant de tout son poids, une ouverture inconnue dans le village : celle de l'Art en valorisant au mieux les productions enfantines.

On peut dire que, dans cette classe, l'entretien est doublement instituant :

‑ selon l'axe de l'affectivité d'abord : écoute, don de soi, se dire, se reconnaître,

‑ selon l'axe de l'apprentissage ensuite : un très grand nombre de paroles étant reprises, discutées, transformées en travail, ce qui suppose volonté constante de recherche et de dépassement de soi.

B. ‑ Classe de D.

Cette seconde étude de l'entretien dans une classe Freinet a été menée de la manière la plus exactement parallèle à la précédente pour pouvoir avancer des comparaisons valables.

Petite classe d'une école rurale à deux classes.

Couple d'instituteurs en place depuis onze ans et appliquant la pédagogie Freinet ; militants du Mouve­ment de l'I.C.E.M.

Structure de la classe étudiée tout à fait semblable : S.E., C.P., C.E.1, C.E.2.

Année 1973‑74

 

 

               G

                  F

S.E

Jean-Luc B.

Valérie

Catherine

C.P

Hervé*

Jean-Luc O.

Thierry

Nadine

Véronique

C.E.1

Alain

Emmanuelle*

Yannick

C.E.2

Jean-Claude

Bernadette

soient treize enfants dont deux * qui ont déménagé en novembre 1973.

Document de base utilisé : le cahier‑journal de la maîtresse.

Même méthode de travail pour le décodage et le classement des prises de parole.

Néanmoins, le contenu des entretiens s'avérant parfois sensiblement différent, j'ai été amenée à quelques remaniements.

Exemple. Catégorie : observations, Ajout d'une sous catégorie : observation sur un travail en cours.

“Je vais vous présenter mes expériences de filtrage ce matin. Nous verrons les progrès depuis hier”.

Catégorie : Propositions, nuancées à “critique”, transformées en “débat‑critique”. “A propos de l'émission de F. Delagrange d'hier... ”

Catégorie : Affectivité, ajout de plaisir et peine avec animaux “Ma renarde est revenue... ”.

a) Observations générales

¨       Catégories non représentées

Information : sur la maîtresse : même s'il y en a eu, la maîtresse ne les a pas notées (les jugeant sans doute sans importance ou induites ou... ).

Evénement : sur la maîtresse : idem (elle sait aussi, même si elle s'implique, tenir son rôle d'éducatrice et peut‑être là, éviter de s'avancer).

Observation : de soi :

·         c'est peut‑être un stade de maturité que ces enfants n'ont pas encore atteint (on peut se souvenir du contenu que supposait cette catégorie dans la première étude exemple : “on a une mémoire qui réfléchit la nuit... W.

·         ce peut être aussi le fait que la dynamique de entretien (dont on ne peut mesurer le développement ici par manque de vécu et de références) laisse de côté ce genre de réflexion et de recherche. On doit se souvenir que, dans la classe de M. il avait surtout pris racine à partir d'une ou deux fortes personnalités, aimant l'introspection, mais aussi personnalités marginales.

Proposition : de jeu : ces propositions se font dans la cour, dans la rue, etc., mais pas à ce moment de l'entretien.

Félicitations et critiques : se font à un autre moment institutionnalisé : “La réunion coopérative”.

Affectivité : plaisir et peine “à la maîtresse” : non noté par la maîtresse, trop impliquée à ces moments ou sachant se situer par rapport à ce qu'elle a à transmettre, aux enfants, de son affectivité propre.

¨       Nous pouvons noter une bonne dispersion générale dans les différentes catégories avec toutefois : ‑ une importance très grande donnée aux animaux et à la nature, dans toutes les catégories,

‑ une importance très grande donnée aux “activités racontées ou proposées”,

- le grand nombre de prises de parole notées A (collectives) dans toutes les catégories : ce sont des moments ou les échanges sont intenses et où il n'était plus possible à la maîtresse de suivre chaque parole. Ce sont des moments ou l'intérêt est général : chacun se sent concerné (qu'il parle ou, à la limite, qu'il ne parle pas ‑ mais la maîtresse sait, par le regard ou un signe que les enfants sont présents “ici et maintenant”.

b)      Les prises de parole

 

Prise de parole individuelle

Δ

Σ

Septembre 73

                  44

           25

         69

Octobre 73

                  96 

         34

         130

Novembre 73

                  38

          21

          59

Décembre 73

                  65

          17

           82

Il faut préciser qu'un changement est intervenu dans la classe au cours du trimestre : la maîtresse a été malade, en novembre. La classe a été fermée pendant dix jours (du 20 au 30 novembre). Puis elle a été remplacée par une jeune institutrice qui a tenté de poursuivre ce qu'avait commencé la maîtresse sinon dans l'esprit, du moins dans la forme, du 3 décembre au 11 décembre. Ceci explique :

‑ le moins grand nombre de prises de parole en novembre,

‑ la différence entre le nombre de prises de parole individuelles et le nombre de A en décembre : la nouvelle maîtresse s'efforçant de “faire parler tous les enfants, tour à tour, le matin, scrupuleusement”. Nous aurons à reparler de cette période quand nous analyserons le contenu des prises de parole, qui subira, lui aussi, un changement.

c) DénombrementEn fonction des mois.

Pour septembre : la moyenne des prises de parole est de 5,75 par jour. Le premier jour est privilégié. Les enfants se retrouvent et ont beaucoup à dire.

17 et 18 septembre : les enfants sont réadaptés et ils se mettent au travail : leurs prises de parole sont de tous ordres : 

pour ce qui est de rapporter l'événement que suscite l'ouverture de la chasse.

individuelles : des apports d'animaux, de plantes, d'objets à observer...

personnelles : Emmanuelle, par exemple a fêté ses 7 ans.

Et elles se distribuent dans toutes les catégories, (seuls deux petits nouveaux Jean‑Luc B et Valérie qui ont 3 ans 9 mois n'ont pas parlé, ce qui s'explique facilement : ils écoutent, ils regardent... Valérie peu à peu osera prendre la parole, mais Jean‑Luc, jusqu'à Noël, ne dira rien à l'entretien ‑ ce qui ne signifie pas qu'il ne prendra pas la parole dans la journée, au contraire).

On trouve en septembre 25 A, ce qui semble beaucoup et fait penser à un solide esprit de groupe, dans cette classe.

Pour octobre : la moyenne monte à 6,84 prises de parole par jour, avec 34 A. Le groupe est organisé. Tous les enfants parlent, des propositions d'organisation, de travail, sont faites quotidiennement.

Du 18 au 22 : l'activité semble particulièrement importante. Il s'agit de nombreuses informations et apports sur des animaux, des plantes (champignons, betteraves... ‑ de nombreux travaux amorcés à partir de l'eau, la glace... des observations météorologiques d'intérêts collectifs (la fête du village) ‑ et d'événements personnels (le baptême ... ). Comme pour le mois de septembre, nous constatons la quantité, la richesse et la diversité des prises de parole (A, individuelles et personnelles), et les remous que provoque un événement au village, tel que la fête et comment il “entre dans la classe” (comme la chasse en septembre).

Au niveau du A : le 6 octobre est un jour “marquant” : il correspond à la réception d'un album sur “la chasse aux hérissons” émanant des correspondants et donnant lieu : à un débat collectif, à une recherche d'informations, à l'expression d'une décharge affective collective (condamnation de cette chasse, donnant lieu à un repas ! ... ), bref, ce fut un événement collectif de tous ordres, mobilisateur.

Pour novembre : la moyenne est de 6,55 avec 21 A, ce qui est un peu inférieur au mois précédent.

Cela peut s'expliquer par le fait que les enfants continuent à s'exprimer dans le même sens que le mois précédent, et peut‑être des mêmes choses dans la mesure ou les intérêts se sont poursuivis dans des directions amorcées en octobre et non achevées ‑ que peu d'événements importants soient advenus dans ce milieu rural et que ce mois se soit arrêté au 20 novembre, à cause du congé‑maladie de la maîtresse. D'autres intérêts n'ont pu surgir.

On note pourtant dix prises de parole le 5 novembre c'est la rentrée des vacances de Toussaint. Chaque enfant a beaucoup à communiquer, à proposer et des expériences, effectivement s'organisent : filtrages ‑ eau et glace ‑mathématiques...

Il n'apparaît que peu d'affectivité.

Pour décembre : la moyenne est de 6,83 avec 17 A. La moyenne se rapproche donc de celle observée en octobre, mais les A diffèrent.

Nous avons déjà à annoncé qu'à cette période (du 3 au 11) une remplaçante avait alors pris la classe en main, et si elle avait gardé (à la demande de la maîtresse) ce moment d'entretien, le matin, le contenu en avait été modifié. Elle s'était attachée, par exemple, pleine de bonne volonté, “à faire parler tous les enfants”, mais avait peu senti l'intérêt du groupe‑classe, avait peu entendu la parole du groupe‑classe, J'avait peut‑être peu permise, par peur de bruit ou de manque de contrôle de sa part ‑ et en tous cas n'avait jamais donné suite, au cours de la journée à un intérêt découvert à ce moment de l'entretien. L'esprit de ce moment en avait été différent et les enfants peu à peu devenaient aussi différents. Nous en reparlerons.

Nous ne trouvons aucune A pendant les sept jours notés, par la remplaçante. Par contre le 3 décembre, premier jour de son travail dans cette classe, les prises de parole avaient été nombreuses : des informations, des observations, des notes d'affectivité un peu puériles (C. a eu peur d'une souris. J.L. a une nouvelle voiture ‑ J. a les cheveux coupés...). On a un peu l'impression que les enfants cherchaient à faire plaisir à cette maîtresse de bonne volonté et s'ingéniaient à lui trouver des sujets.

Puis, la maîtresse revient le 13 décembre : nous observons à nouveau, une remontée ‑ en particulier 7 A. Toutes les catégories sont représentées : c'est un événement. La maîtresse revient, chacun veut lui raconter, chacun veut la retrouver, “faire le point” et les propositions de travail, abandonnées, fusent à nouveau.

En résumé, nous observons :

·         De très légères variations autour de la moyenne de p.p.* par jour, dans cette classe, durant ces quatre mois ‑ nous pouvons parler d'une certaine régularité. e L'importance des A qui caractérise un groupe classe ayant en commun des intérêts, des échanges, une communication réelle.

·         La diversité des p.p. tant au niveau des catégories, que du contenu (A, individuel, personnel ... ).

·         Le retentissement de la vie extérieure à l'école, au niveau de cette classe, c'est‑à‑dire son “ouverture sur le monde environnant”.

Nous pouvons aborder l'étude des catégories représentées par les p.p.

·         En fonction des catégories

Regroupement des p.p. par catégorie, par enfant et par jour. Ce qui nous permet : de classer les catégories par ordre d'importance décroissant, soit : Informations Propositions Evénements ‑ Affectivité – Plaisir – Observation - Peine.

INFORMATIONS

Tous les jours ou presque, les enfants apportent des informations (sur 53 jours notés, 43 jours sont notés en Information).

Au total, nous comptons 144 informations pour 43 jours, soit 3,3 par jour.

Elles sont des informations

sur (dans l'ordre) : activité et animaux

                             nature

                             soi et jeu

                             famille

                             village

                             monde et camarades

Quel est leur contenu ?

*p.p. = prises de parole.

Informations sur activité :

                                                           1) des travaux des champs (aller aux pommes ‑ faire du cidre ‑arracher les betteraves ... )

à égalité, soit 2/3 des informations

2) des activités propres à l'enfance : (faire des cabanes en paille glisser sur la mare gelée ... ).

                                                           3) aller quelque part (à la chasse ‑ au grenier chez le coiffeur ... )

à égalité, soit 1/3 des informations­        

4) faire quelque chose avec quelqu'un, (la vaisselle, le canevas ... )

Nous notons l'importance de cette vie rurale dans leurs p.p., et celle d'activités propres à J'enfance, mais qui fait penser qu'on a su leur privilégier ce “temps de l'enfance”.

Informations sur animaux : on dénombre, comme pour la précédente, 34 p.p. d'ordre différent. Elles se répartissent en :

2/3 ‑ récits sur animaux, 1/3 = apports d'animaux.

Nous notons que le tiers des enfants possède un animal en propre (poney, chien, renarde, oiseau... ). Qu'il s'agit parfois d'actions collectives (4) menées vis‑à‑vis des animaux (chasse aux dindes ‑ ponte des pintades ‑ élevage de moutons ... ), ce qui s'explique encore par cette vie villageoise où les enfants, quotidiennement, côtoient des animaux (on en parle 33 jours sur 53 et on remarque 23 animaux différents).

Il est peut‑être intéressant de souligner que ce village, bien que près d'une grande ville et finalement à 100 kilomètres seulement de Paris, n'a subi presque aucune transformation notable depuis 30 ans (seule la mare a été un peu rétrécie P. Nous avons affaire à de vrais petits ruraux.

Informations sur nature

Elles sont nombreuses : 23 d'ordres différents.

Elles sont surtout A : tout le monde est concerné et en parle (les champignons ‑ l'orage ‑ le brouillard ... ). C'est une façon d'entrer en communication le matin, courante, bien sûr, mais pas forcément banale, surtout à cet âge. On pourrait peut‑être la qualifier de “socialisée” sinon de “socialisante” ?

On note beaucoup d'informations météorologiques les enfants y sont sensibles, dans ce milieu, où (de temps qu'il fait” influe sur le travail à entreprendre, sur le déroulement de la journée.

Nous retrouvons nos enfants ruraux, décidément bien adaptés.

Informations sur soi

Elles sont nettement moins représentées (12 d'ordres différents).

Elles sont de nature assez “simple” (le pantalon neuf, les habits neufs ... ).

Elles sont plus nombreuses au moment où la remplaçante est en classe (la moitié du total !) et sont de même nature, voire même plus puériles (exemple : Véronique tombe et glisse ... ). En outre, leur caractère est ambigu, et signifie des performances non réelles (exemple : Va s'est habillée seule”. Or, au dire de la maîtresse, très étonnée devant ces mots, Va s'habille depuis longtemps seule ! L'enfant aurait donc donné une information d'ordre affectif et non une véritable information sur soi – peut-­être ayant valeur de “Occupe‑toi de moi, s'il te plaît” ou “Je veux te faire plaisir, alors je dis des mots” ou ... ).

Elles sont néanmoins intéressantes et seront reprises dans l'étude comparative.

EVENEMENTS

Nous observons, par ordre d'importance

‑ Evénements sur soi.

‑ Evénements sur village et animaux.

- Evénements sur famille et camarades.

-          Evénements sur monde.

‑ Événements sur soi. 1/4 du total.

Ils sont surtout donnés par les enfants plus âgés, c'est‑à‑dire non seulement ceux qui osent plus parler, mais aussi ceux qui s'ouvrent plus au monde extérieur, ceux enfin qui ont intégré, se sont appropriés peu à peu un “modèle” de l'entretien.

Le contenu en est : des performances (première chasse ‑rester seul chez soi... ), des accidents (brûlure... chute ... ), des faits ayant une résonance personnelle et affective tels que (anniversaire ‑ dent qui tombe ... ), c'est‑à‑dire qui ne sont des événements que pour l'enfant qui en parle, à ce moment. Un choix s'est opéré aussi par elle : “des habits neufs pour H.” est noté Événement (H. est un enfant de la DDASS), mais “des habits neufs pour E.” est noté Information (car E. est gâtée et elle ne le dit que comme une information, effectivement).

On voit ici combien joue subtilement “la part du maître”.

‑ Evénements sur le village :

Ils peuvent être de trois ordres

• un travail collectif au village (cidrier, coupe du mais),

• quelque chose d'imprévu (la panne d'électricité).

• une fête collective à laquelle tout le monde participe (11 novembre ‑ Fête du village ... ).

Ils sont toujours l'occasion de débats collectifs.

Encore une fois, la vie du village pénètre dans la classe. Les enfants évoluent aisément dans ces deux milieux, sans coupure, sans heurts.

‑ Evénements sur les animaux :

Comme pour les Informations, les animaux, ont ici une place prédominante, témoignant de l'intérêt que les enfants de cette classe portent au monde animal qui les entoure.

Ils sont de quatre ordres :

Les naissances d'animaux (veau, mouton... Le travail fait avec ou pour eux.

Les chasses.

Les événements affectifs (le poney, la fuite de la renarde... ).

Là, encore la maîtresse s'est expliquée : “si la naissance d'un veau, chez Ve est notée Evénement, ce n'est pas le fait, en lui, qui est un événement, mais c'est ce que signifie la parole de Véronique à ce moment précis. En effet, Ve sait qu'un veau est né chez elle (or il y a un troupeau de vaches, et cela arrive souvent), mais pour elle, cela veut dire “on m'a encore empêchée de voir un petit veau naître. Je me pose cette question de naissance et on ne veut pas y répondre. Je suis encore à demander”.

Cet exemple illustre assez bien la première mise en garde de la maîtresse “Voilà ce que j'ai noté au cours des entretiens du matin, le mieux possible, mais c'est surtout sur le plan affectif. L'entretien est un moment affectif important”. Nous en reparlerons plus loin.

‑ Evénements sur la famille :

A part la résonance qu'ont pu avoir les vacances et le cidrier, dans les familles, ils se résument à deux sujets :

le baptême chez T.

le déménagement chez Y.

Ces deux enfants en ont parlé de nombreuses fois “on va bientôt déménager ‑ on va déménager mes jouets on déménage ‑ on a déménagé... ”) assorties chaque fois de détails matériels et affectifs : c'était une grande affaire pour eux, et la maîtresse l'a noté chaque fois, même si le sujet semblait s'éterniser (voir la note : “Y “ a enfin déménagé !”). L'enfant savait bien, chaque fois, qu'il était entendu, avec ce que cela supposait d'affect pour lui. Nous notons encore là, la qualité de l'écoute de la maîtresse.

‑ Evénements sur les camarades :

Ils n'ont pas de structure commune particulière, mais sont plutôt “éparpillés” : depuis des nouvelles des correspondants jusqu'à l'organisation d'un travail, jusqu'à l'annonce d'un déménagement. C'est assez flou.

‑ Evénements sur le monde :

Ils sont peu nombreux (deux seulement) :

visite des silos de la coopérative

le cirque de Jean Richard.

Les enfants semblent peu préoccupés par le monde extérieur, plus lointain. C'est assez propre, à cet âge, à l'enfance. Ils ont à découvrir leur milieu de vie. Néanmoins, nous avons été un peu étonnés de ne pas trouver trace de cet Evénement qui a eu des répercussions à tous les niveaux : “La crise du pétrole”. Peut‑être ces enfants sont‑ils trop jeunes ? Peut‑être le monde rural a‑t‑il été peu touché par ce problème ?

Voici ce que sont les Evénements pour cette classe de D. L'éventail en est large, la dispersion également. Il suscite des réflexions que nous approfondirons grâce à l'étude comparative.

OBSERVATIONS

Elles sont peu nombreuses ici. Mais ce n'est peut‑être ni le lieu, ni le moment de la journée où elles peuvent être faites. La classe a ses habitudes, ses structures et il est à prévoir que le temps des ateliers est institutionnalisé (comme celui de la gymnastique) : des dérogations ont lieu, certes. Mais les enfants savent à quel moment ils peuvent, de préférence, mieux observer ce qui les intéresse, et le prévoient.

Ce sont, ici :

·         des observations de la nature elles sont Δ (galets, brouillard... ),

·         des observations d'animaux mais succinctes et reportées ultérieurement (ce sont plutôt des propositions d'observation)

·         des observations du milieu social : elles ont aussi leur prolongement plus tard (exemple : la gauche et la droite         gymnastique, les lieux‑dits        étude géographique et du milieu),

‑ ou bien elles se font au moment de la réunion de coopérative si elles ont un caractère de critique ou de félicitation (Nous ne notons ni observation de soi ‑ ni des camarades, pour les mêmes raisons, sans doute).

PROPOSITIONS DE TRAVAIL

Dans l'ordre d'importance, elles viennent au second rang des p.p., après les Informations. On peut se rappeler à cette occasion, la part que donne Freinet à l'éducation du travail. Nous retrouvons ici cet esprit. Nous pouvons dire, pour cette classe :

‑ Que ces propositions de travail émanent souvent du Δ (pour la moitié du total) = ce qui corrèle avec l'impression de vie de groupe intense que nous avons déjà constatée. Elles sont néanmoins diverses

·         expériences à prévoir et observations,

·         visites et lettres de demandes de renseignements (à Cousteau... ),

·         des recherches de documents (hibernation) et des mathématiques,

‑ des travaux pour l'édition (contrôle de B.T.J.),

‑ des décisions à prendre (apporter des betteraves... ‑ des choix à faire (chants, poèmes... )...

‑ Bref, tout le travail, dans les différentes disciplines est représenté (sauf toutefois ce qui est “artistique”). Il apparaît, et nous l'avons vérifié avec la maîtresse, que peu de sujets abordés pendant cette période scolaire (premier trimestre 73­74) n'aient eu de trace au moment de l'entretien : qu'il s'agisse de travail à commencer, ou à continuer, ou de thème abordé là, tout simplement.

-          De même, la sous‑catégorie “Présentation de travail en cours” est fortement représentée ici, pour les raisons énoncées plus haut.

·         Notons enfin un caractère original de l'entretien de cette classe. Originalité qui m'a amenée à mettre en évidence cette catégorie : le débat‑critique, à la fois proposition et acte.

Souvent, le matin (13 fois), s'est établi un débat, essentiellement à propos d'animaux.

La tonalité de ces débats a varié :

‑ tonalité “affective” (animaux blessés à la chasse... )

‑tonalité de “connaissance” (façons qu'ont les animaux de se nourrir... ).

Ces débats sont nés de faits de vie quotidienne dans le milieu, mais aussi à propos d'émissions de T.V. (Zuber, Delagrange) dont les enfants de D. sont friands.

‑ Tonalité “morale” : (les tricheurs, les gagnants, les perdants... les jeux d'argent... ).

‑ débats ‑ brain‑trusts : (recherche de solutions pour que la pâte à papier “colle”, car l'expérience semblait avoir échoué).

De là, découle souvent, en plus un autre travail de recherche, d'approfondissement de la question soulevée.

Nous avons à observer si cette sous‑catégorie va durer tout au long de l'année. Elle est significative de la disponibilité, de l'intérêt du groupe‑classe, et du caractère “éducatif” que peut revêtir l'entretien, traitant “à chaud” (c'est souvent d'un événement de la veille au soir dont il s'agit), un sujet et organisant un débat, dont nous n'avons que des traces écrites, mais dont l'enregistrement serait riche d'enseignements.

DEBAT (exemple)

Hier matin, la rivière “fumait”. C'est à cause du froid ! L'autre jour, on a vu le tas de paille “fumer”. ‑ Chez nous, le fumier “fume”. ‑Nous aussi, nous fumons quand il fait froid.

Recherche organisée du “Pourquoi” de cette "fumée" :

‑ Le soleil avait chauffé l'eau dans la journée.

- La paille c'est chaud aussi.

- Dans notre bouche, il fait chaud, et c'est l'air qu'on souffle qui est chaud.

‑ De la fumée, il y en a aussi au‑dessus de la casserole quand l'eau bout.

‑ Et quand on met sa main, ça mouille. ‑ C'est pas comme la fumée du feu !

‑ C'est de la vapeur d'eau, de la buée.

‑ On la voit quand on souffle sur une glace.

‑ On la voit sur les carreaux quand l'eau bout.

Ce qu'on va faire :

‑ L'expérience sur la glace (souffler...

‑ Faire bouillir de l'eau (buée sur glace, sur...

AFFECTIVITE

·         Plaisir : le nombre des p.p. relatives à cette sous‑catégorie est de 41 contre 16 à “peine”, ce qui donne l'aspect tonique de cette classe.

C'est la maîtresse qui prend le plus la parole : c'est son apport, le matin, pour faire plaisir (essentiellement sous forme de poèmes, de chants), c'est la part affective qu'elle se permet ‑ et il est intéressant de remarquer que lors de son absence c'est J., V. et N. qui rempliront ce rôle (ils apporteront, le matin, un texte ou un poème à lire aux camarades. La maîtresse a semblé étonnée de ce relais).

Puis vient le plaisir “de soi”, l'“expression de son propre plaisir” :

‑ ce sont des prouesses dont l'enfant est fier (joie de la première chasse ‑ courage chez le dentiste ‑ fierté de conduire le tracteur... )

‑ ce sont des joies “narcissiques” (ses cadeaux ‑ sa fête ‑ses habits neufs)

‑ ça peut être un vrai bonheur (A. a sa propre chienne (en remplacement des pigeons morts, comme les parents l'avaient promis).

Tout ceci semble l'expression authentique des enfants, depuis les joies simples jusqu'au dépassement de soi. Tout est reçu, entendu ; chacun peut dire et apprend ainsi à communiquer ses émotions, à partager celle des autres, à être à l'écoute de soi et des autres, à prendre conscience de son existence.

·         Peine : si les p.p. à ce sujet sont peu nombreuses, elles sont, en revanche réparties plus diversement : ‑ “ses peines” à soi des peurs (souris ‑ vent), ‑ des peines en famille disputes, querelles,

‑ des peines dues aux camarades : les corres, à cause du jeu,

‑ des peines au sujet d'animaux : cette sous‑catégorie a été ajoutée à la première étude. C'est :

• la mort des pigeons‑paons,

• la fuite de la renarde,

• le conflit à propos des trophées de chasse,

• le canard mort, gelé sur la mare,

Ces animaux familiers font partie de l'univers des enfants, sensibles de ce fait à ce qui leur advient, comme ils le seraient pour ce qui est d'un parent proche.

De cette approche du contenu des catégories où s'inscrivent les p.p., des enfants de D., nous pouvons garder l'essentiel :

-     Importance de la vie rurale et intégration au milieu.

-          Importance de leurs activités d'enfant.

-          Importance de l'esprit collectif.

-          Sensibilité particulière aux animaux et à la nature.

-          Instauration d'un mode de communication particulier : le “débat‑critique”.

-          Importance de l'esprit de travail (individuel et collectif).

-          Ecoute de la maîtresse au niveau de l’affectivité des enfants.

Nous pouvons nous demander si ces caractères sont propres à tous les enfants, ou à certains, ou induits par la maîtresse. Pour cela, nous nous proposons d'étudier plus particulièrement les p.p. des cinq enfants qui semblent les leaders.

d) Etude particulière des “incitateurs” de parole

Les cinq noms qui apparaissent les premiers dans les différentes catégories, sont :

Ve = 35 p.p.

J = 29 p. p.

J. L. = 27 p. p.

Y = 27 p.p.

B = 26 p. p.

Ont‑ils chacun un rôle particulier ?

‑ Que contiennent leurs p.p. ?

Véronique :

Informe surtout sur ses animaux.

Donne des événements sur ses animaux et sur elle. Observe des animaux.

Propose et présente des travaux.

Parle de plaisir et de peine pour animaux. Et de ses plaisirs.

Elle semble fortement préoccupée par les animaux et par elle.

Elle s'implique beaucoup dans ses p.p. Elle est active. Elle semble avoir un caractère de meneur assez autoritaire.

Jean‑Claude :

Informe surtout sur activités/animaux/nature.

Ne donne pas d'événements.

Propose et présente des travaux.

Parle de plaisir de soi / animaux / camarades et de peine des animaux.

Il semble être l'enfant attaché à la nature et aux animaux, l'enfant d'un milieu “dur au travail”, dynamique du groupe-­classe et parlant peu de lui. Ce serait le “bon paysan travailleur”.

Jean‑Luc :

Informe dans presque tous les domaines.

Relate des événements du village et du monde. Observe le milieu social et les animaux.

Propose et présente des travaux.

Parle de ses plaisirs et peines avec les animaux. Il serait plutôt le “Journaliste de la classe”, apportant la vie de l'extérieur, fabriquant, actif, exprimant sa relation à l'autre. Il serait un peu le “public‑relation” de la classe.

Yannick :

Informe beaucoup.

Relate des événements de famille.

Propose et présente des travaux.

Parle de ses plaisirs et de ses peines en famille.

Elle est un peu papillonnante, dépendant beaucoup du milieu familial un peu perturbé ‑ mais ouverte et intéressée par beaucoup de domaines, se cherchant un peu immature peut-­être.

Bernadette :

Informe surtout sur animaux et nature.

Donne des événements sur les camarades, le village, les animaux.

Propose et présente des travaux.

Parle de plaisirs et de peine des animaux.

Elle est celle qui relate le plus les événements (mais pas sur soi). Elle est peut‑être plus mûre, et saisit mieux que les autres les choses importantes dignes d'être reçues par le plus grand nombre.

Ces cinq enfants sont ceux qui prennent le plus la parole. Ils ont des caractères communs : tous donnent des informations, tous proposent et présentent des travaux, mais ils possèdent tous un caractère dominant particulier : le “meneur autoritaire” ‑ “le bon paysan” - “ le journaliste” ‑ “celle qui se cherche” et “celle qui se distancie le plus”. Nous nous sommes un peu amusées de ces qualificatifs rapides, mais notre confrontation avec la maîtresse en a été la justification. Nous pouvons donc penser que le      , bien qu'étant l'élément important des p.p. (96 fois sur 334), ne brime en rien l'individualité de chacun. Ils semblent avoir des bases communes, solides, qui leur permet de se diversifier et de prendre chacun une place dans la communauté. Ce serait le signe de la réussite d'une pédagogie œuvrant dialectiquement du collectif à l'individuel, et sachant situer chacun par rapport à l'autre.

c) Etude des thèmes et de leurs prolongements

Ceci déborde quelque peu le temps de l’entretien, mais c'est aussi approfondir le “Pourquoi de l'entretien”.

Voici donc ce qui s'est passé au fil des mois.

Septembre :  10 prises de parole ont eu un ou des prolongements :

                                    4 sur animaux.

                                    3 sur plantes.

                                    2 sur événements.

                                    1 sur vie du village.

Nous notons leurs traces dans 20 réalisations : 7 observations. 5 travaux mathématiques. 3 albums. 3 observations individuelles, plus 1 visite et 1 exposition.

Octobre : 16 prises de parole ont eu un prolongement

5 sur travaux.

4 sur événements.

3 sur animaux.

2 sur plantes.

1 sur vie du village.

                         1 sur correspondants.

Nous notons 27 travaux entrepris à partir de ces prises de parole : 10 observations. 4 travaux mathématiques. 3 fabrications. 3 observations individuelles. 3 visites. 1 exposition.

Novembre‑Décembre : les deux mois sont joints à cause de la perturbation déjà citée.

11 prises de parole ont eu un prolongement :      5 sur animaux.

2 sur travaux.

2 sur événements.

1 sur plantes.

1 survie du village.

Nous  notons 15 travaux entrepris : 7 travaux mathématiques. 5 observations. 2 fabrications. 1 gymnastique.

Observations et mathématiques viennent toujours en premier lieu des réalisations, et révéleraient donc le caractère propre de cette classe, puis ce serait, album ou fabrication et observation individuelle, et visite-exposition.

Au total, sur les 34 prises de parole notées pendant le premier trimestre 73‑74,36 ont eu un prolongement à d'autres moments, ce qui a donné lieu à (9 exploitations diverses. Le caractère dominant de ces “prolongements” étant l'observation et les mathématiques (44 fois sur 59).

On peut penser qu'il y a “perte” au niveau des prises de parole, mais il y a valorisation au niveau de la qualité et de la quantité de leur exploitation.

Que deviennent les p.p non “ utilisées ” :

·         Elles ont été formulées, écoutées, et cela peut s’arrêter là si elles sont d’ordre affectif et inexploitable dans le concret. Elles sont un lien non palpable entre les enfants (exemple : la fuite de la renarde – la dent…)

·         Elles ont pu n’être pas reçues : le groupe ou la maîtresse n’était pas disponible (intéressé par autre chose).

Ce peut être parfois “ éducatif ” pour l’enfant, apprenant peu à peu à  se situer face aux autres et à sentir quand une parole peut être ou non reçue – et aussi à éliminer ce qui n’est pas important peut-être…

·         334 p.p est un nombre important : seules les plus importantes aux yeux de A peuvent être reprises. On se rappelle que nous notons 53 jours de classe et 59 “prolongements”, ce qui fait plus d'un intérêt différent par jour ayant eu une continuation !

·         Certaines p.p. sont d'une nature, a priori, intéressantes : le maïs, la visite des silos ‑ le cirque ‑ la télévision ‑ et elles n'ont pas laissé de traces pourtant. La maîtresse a souligné, à cet endroit, la part importante qu'avaient eue dans la “trace”, les lettres collectives et individuelles envoyées aux correspondants. Pour ces thèmes cités, justement, ils ont été l'objet de développements dans les lettres, dans les textes... c'est‑à‑dire, si l'on veut en “expression écrite”, de français. Il y aurait eu ainsi place pour toutes les p.p., la nécessitant. e Il nous faut aussi nous souvenir du petit nombre d'enfants de cette classe (10 enfants sur 13 ont entre 6 et 8 ans). Ils ne peuvent tout exploiter, c'est sûr !

Quelques remarques supplémentaires :

§         Nous nous sommes demandés si certains enfants étaient plus favorisés que d'autres au niveau de ces “prolongements” de p.p.

Dans l'ordre nous notons :   = 19

et nos leaders :

Ve = 3

J = 6

J. L. = 3

Y = 1

B 4

puis T = 2

0, H, E, Va = 1

soit 42 p.p. “prolongées” (pour 36 dénombrées ; car certaines ont été données par deux enfants à la fois concernés).

C'est J “le bon paysan” qui a le plus, au niveau des individus, permis des prolongements, grâce à ses apports d'animaux et de plantes, et aux travaux qu'il a suscités.

J est, il est vrai, avec B et A, l'un des trois enfants plus âgés de la classe.

§         On note l'absence de travail artistique, dans ces prolongements :

‑ pourtant, deux albums ont été faits pendant ce trimestre, deux contes collectifs inventés par les enfants. Nous n'en avons pas de trace à l'entretien. ‑ l'activité artistique se passe peut‑être d'une façon particulière, à des moments particuliers, plus individuelle que collective, plus en relation directe avec la maîtresse qu'avec le groupe ?

§         Peu de thèmes abordés n'ont eu de “traces” à l'entretien. Et pourtant, il en est un, que nous avons relevé, dans le cahier de la maîtresse, qui a même donné lieu à un album, qui était de plus un événement : c'est “le tournesol” : une graine avait été plantée en mai, par Bernadette, dans les plates bandes, sous les fenêtres de la classe. A la rentrée, un superbe tournesol avait poussé, haut, orgueil de Bernadette ! Sujet d'étonnement et d'observation pour les autres enfants ! Or, c'est dans la cour que se passaient les propos, les mesures, les remarques à ce sujet, devant le tournesol. Rentrés, en classe, les enfants n'en reparlaient pas : c'était fait. C'est le seul exemple, dans ce domaine, mais il est intéressant.

§         Le temps d'intérêt d'un thème et à remarquer, également.

l'intérêt pour les champignons : les recherches, les déterminations, les expériences, les observations... ont duré d'octobre à novembre.

‑ idem pour les papillons, les insectes...

les expériences sur les filtrages, sur la pâte à papier, ont duré plusieurs semaines aussi, se sont enrichies, ont mobilisé le A ou quelques enfants en particulier qui ont témoigné de leur intérêt.

la tortue, a vécu en classe plusieurs jours...

Plusieurs travaux de ce genre, ont été menés à bien, loin, avec un intérêt soutenu de la part des enfants. Nous pouvons parler ici :

‑ d'une “éducation structurante du travail”, ‑ de motivations vraies et durables,

‑ d'approfondissement des sujets, au rythme des enfants,

‑ d'un “tâtonnement expérimental”, si cher à Freinet, ‑ d'un choix des activités et réalisations se faisant manifestement à partir de la volonté du groupe, et non de décisions à caractère didactique ou scolastique de la maîtresse.

C. Étude comparative des deux documents

Nous ne reproduirons pas tous les tableaux que nous avons confectionnés pour cette étude menée pour le premier trimestre.

a) Situation des deux classes

M                                                                                                               D

1er trimestre 70-71                                                              1er trimestre 73-74

village 300h.                         même département                        village 280h.

S.E             C.E 2                                                                     S.E          C.E 2

11G + 7F = 18                                                                            6G + 7F = 13

dont 6 S.E parlant peu                                                  dont 3 S.E parlant peu

reste 12                                                                                           reste 10

maîtresse environ 30 ans                                          maîtresse environ 30 ans

                                               pédagogie Freinet

42 jours notés                                                                           53 jours notés

b) Prises de parole par mois

 

septembre

octobre

novembre

décembre

 

p.p indiv.

Δ

p.p indiv

Δ

p.p indiv.

Δ

p.p indiv.

Δ

Totaux indiv.

Totaux

Δ

Moy.

M

94

1

99

16

76

11

30

10

299

38

7

D

69

25

130

34

59

20

82

17

334

96

6.3

Première constatation : malgré des fluctuations journalières, la moyenne de prises de parole est la même à M qu'à D. Dans les deux cas, on parle beaucoup à l'entretien du matin de ces deux classes.

Deuxième constatation : les Ñ sont deux fois plus nombreuses à D qu'à M.

La structure des deux entretiens est là, différente.

·         A D le groupe et/ou la maîtresse laissent plus se développer la parole collective autour d'un sujet donnant à l'entretien l'allure d'un mini‑débat.

·         A M l'accent est plutôt donné à l'expression individuelle profonde.

·         Il est certain que cela n'est pas venu tout seul et qu'à partir des mêmes prémisses pédagogiques ‑ assez générales ‑ un “jeu” existe provoquant ainsi des figures différentes.

·         Il est certain aussi que la personnalité propre des maîtresses a joué (au début) un rôle prépondérant, mais notre matériel d'étude ne nous permettait pas de le cerner.

·         Enfin, l'influence des leaders de chaque classe, celle du groupe en son entier, ne sont pas à négliger.

c) Les catégories

Continuons à chercher en quoi elles sont différentes.

Evénements. Catégorie représentée sensiblement de la même façon à M et à D tant au niveau de la quantité (43 contre 46), de la divergence et du contenu.

Pourtant, à D, on semble plus intéressé par : animaux et monde.

Observations. Même remarque que précédemment. Une différence importante pourtant : à M 11 p.p. dans la catégorie observations de soi ; catégorie non représentée à D. Comment expliquer ?

A M quelques leaders savent qu'à l'entretien ils peuvent exprimer une partie de leurs fortes angoisses. Ils savent aussi, car le groupe, comme la maîtresse sont aidants, qu'ils seront ainsi peu à peu rassurés et que leur expression (souvent très riche) pourra être transformée, sinon en “oeuvres d'art” au moins selon l'axe positif de la sublimation.

On peut dire aussi que ces angoisses trouvaient un écho dans celle de la maîtresse.

Propositions. Scores équivalents (70).

La différence se situe :

Pour D : dans ce que nous avons appelé “débat critique” et qui n'existe pas à M. Nous en avons vu le contenu et avons conclu à une intense vie collective, dynamique, riche d'échanges, entraînée à la communication en groupe.

Pour M : on note plus de présentations de travaux au moment de l'entretien. Ce sont en général des albums individuels ou A, faits par les enfants, à partir de textes, de dessins, de poèmes. Ces moments sont essentiellement des “communications” dans le domaine littéraire ou artistique, c'est‑à‑dire au niveau “du sensible, de l'intérieur”. Ces deux caractéristiques semblent être les composantes essentielles de chacune de ces classes.

Informations et affectivité. C'est là où les différences apparaissent nettement. Elles viennent corroborer ce que nous avions pressenti :

‑ dans le domaine informatif on peut dire que D est plus ouverte sur l'extérieur, le monde animal, la nature, les activités. De plus, l'expression groupale y a une plus grande vitalité.

‑ dans le domaine affectif, M domine nettement. L'affectif y circule d'une manière beaucoup plus dense. ‑ on ne peut guère que constater cet état de fait. En chercher des causes serait conjecturer.

·         Est‑ce l'influence à M cette année‑là d'enfants provenant de milieux perturbés ?

·         Est‑ce le fait qu'à D c'était plutôt à d'autres moments que l'expression affective trouvait sa voie ?

·         Est‑ce le fait d'orientations inconscientes des maîtresses ?

d) Les prolongements

·         Des caractères communs : pour D et M : la même tonicité de travail. Des sensibilités équivalentes à l'événement et à la relation de celui‑ci dans la classe. Un goût semblable de l'observation. Une même volonté d'apprentissage à partir du vécu même du groupe et non à partir d'éléments apportés par les maîtresses.

·         Mais : la quantité de prolongements à caractère mathématique et scientifique, fait de D une classe rationnelle, intéressée par le concret : on visite, on fabrique, on expérimente, on observe...

La quantité de prolongements à caractère artistique et littéraire fait de M une classe plutôt sensible, intéressée par la réflexion, l'abstrait, l'intérieur.

A D quand on étudie une machine, c'est une machine réelle.

A M quand on étudie une machine, c'est une machine extraordinaire, irréelle, qu'on invente.

A D quand on chante, c'est la nature telle qu'elle est. A M quand on chante, c'est tout de suite un opéra avec tout ce que cela suppose de création et d'irréalité.

Là encore, notre grande inconnue, pour éclairer tout cela, est le rôle exact joué par les maîtresses.

Notre matériel ne nous permet pas d'aller plus loin. Ce rôle magistral est‑il ce qui permet aux enfants d'être différents, ou est‑il ce qui induit ces différences ?

Nous laisserons pour l'instant ces questions en suspens et tenterons de les résoudre à la fin de cette étude.

e) Conclusion

Nous avons surtout le sentiment d'avoir soulevé beaucoup d'interrogations.

Néanmoins, en pédagogie Freinet,

·         L'entretien est un moment important de la journée, permettant de lui donner sa “tonalité”, son “climat”.

·         L'entretien est un moment nécessaire pour que se crée une conscience de groupe : “Nous sommes ensemble parce que nous pouvons (presque) tout nous dire, (presque) tout écouter, parce que nous voulons dépasser nos émotions premières, nous comprendre et comprendre les autres”.

·         L'entretien est le reflet de l'activité tout entière, sinon le moteur.

·         L'entretien a une nature diverse et complexe, parce qu'il n'est pas seulement le résultat de préceptes pédagogiques, mais qu'il est la résultante des individus qui forme ce groupe­ci, en ce lieu‑ci.

·         L'entretien a pouvoir de permettre aux “paroles” d'émerger, donne pouvoir aux paroles de se transformer.

·         L'entretien permet peu à peu d'apprendre à se situer dans et par rapport à un groupe (acquisition des notions de distance, de choix, d'effort sur soi‑même, de don aux autres ... ).

·         L'entretien a des structures, des limites, des lois que le groupe fonde peu à peu, que chacun apprend à reconnaître, à transgresser.

·         L'entretien est aussi pour le maître un apprentissage constant : mieux connaître, aimer et aider les enfants être disponible se décentrer...

·         L'entretien enfin est un témoin ‑ parfois cruel ‑ de la vie et de l'évolution du groupe.

 

Chapitre III : L'entretien en pédagogie “traditionnelle”

A. ‑ Considérations générales

Une difficulté s'impose à nous dès le titre. Ce sont les guillemets de “ traditionnelle ”.

En effet, la pédagogie traditionnellement dispensée dans la majorité des classes est diverse. Elle a beaucoup moins d'unité affirmée que la pédagogie Freinet par exemple.

Les écrits de cette dernière montre une forte cohérence, que ce soit sur le plan philosophique, pratique ou technique.

Les Instructions Officielles sont, en général, fragmentaires, elles évoluent lentement et souvent seulement par discipline. Elles ne sont, la plupart du temps que des conseils, des objurgations un cadre large et souvent laissé volontairement flou. Sur certains plans, une assez grande initiative est laissée aux maîtres : beaucoup plus sur les modalités d'application que sur la définition des programmes.

On y décrit peu par le détail de techniques pédagogiques précises. Pour l'instituteur moyen, les “modèles” pratiques de référence proviennent : de son enfance (ce qu'il a vécu de la classe quand il était élève), des leçons ­modèles des écoles annexes, etc. de son initiative personnelle.

En règle très générale, sur le plan de la pratique pédagogique, l'enseignant est seul.

On connaît les transformations profondes sur les plans philosophique, humain et social qu'a subi le corps enseignant. Ce n'est pas ici notre propos de les analyser. Ce sont pourtant en elles que résident et la grande disparité et la grande unité des enseignants aujourd'hui. On ne peut que constater cette contradiction et noter que beaucoup d'enseignants la vivent mal.

La profonde unité du corps enseignant tient en quelques mots :

‑ perte du sens de la vocation, des finalités de la profession

‑ chute, dans le corps social, du sens de la profession ; évolution de la notion d'éducation et d'instruction.

‑ évolution des structures (école élémentaire jusqu'à 11 ans, les C.E.S., etc.)

‑ l'enseignant n'est plus maître de l'acquisition du savoir.

‑ Il reste seulement celui qui est là pour que les enfants

·         apprennent à bien parler la langue officielle

·         sachent lire, écrire, compter,

·         acquièrent un certain nombre de repères historiques, géographiques, physiques, d'hygiène, etc.

Il ne reste donc le maître que d'un certain nombre de techniques, héritées d'un passé et qui se vident peu à peu de leur sens philosophique profond.

De plus, le schéma général d'apprentissage en reste la leçon magistrale suivie d'exercices et de leçons, avec parfois manipulations et observations simples.

Le maître reste le modèle, mais un modèle de plus en plus contesté et par le corps social et par lui‑même. Et cette perte, au niveau philosophique ‑ voire humaniste ‑ n'a pas été remplacée par la création d'une autre philosophie.

Encore une fois, cette nouvelle philosophie de l'éducation, on ne la trouve clairement exprimée et appliquée que dans des mouvements pédagogiques marginaux.

La tonalité affective de chaque classe dépend donc beaucoup de la personnalité de l'enseignant. Pour un même type d'apprentissage, ceux‑ci peuvent se faire plus ou moins dans la joie, plus ou moins dans la sévérité.

La disposition générale de la classe n'a guère évolué. Si l'estrade a presque totalement disparu, la place du bureau magistral reste clairement exprimée de même pour celle du tableau.

Les enfants sont le plus souvent assis par deux, en rangs et regardant le tableau, support symbolique du savoir.

On trouve assez souvent une disposition en arc de cercle, changement sans réelle valeur, puisque presque tout continue à se passer au tableau et qu'alors il y a des enfants bien mal placés pour pouvoir y suivre confortablement.

L'évolution s'est surtout faite dans le sens d'un plus grand confort : éclairage, mobilier, matériel, etc.

De même pour l'évolution des techniques : C'est une évolution de surface qui ne touche pas aux fondements de la méthode d'enseignement, fondements posés au début de la Ille république.

Un projecteur, un magnétophone ne changent pas, par leur présence même, la manière d'enseigner. C'est leur mode d'utilisation qui pourrait introduire une modification.

Tout ceci pour poser simplement un certain nombre de constatations et pour voir comment a pu s'intégrer, dans ce système, une technique nouvelle : celle de l'entretien du matin.

Car il est un autre fait : la pratique de l'entretien a rapidement (depuis 1972 environ) fait tache d'huile. On peut dire que l'entretien est couramment pratiqué. Mais de quoi s'agit‑il ?

L'entretien moral pratiqué à la fin du XIXe siècle et au début du XXe par des maîtres du haut de leur chaire, conscients de leur devoir formateur, face à des enfants respectueux de ce savoir dont ils entrevoyaient confusément les valeurs de progrès humain, dont ils avaient envie, avait certes un important impact. Il n'est que d'écouter des personnes âgées de tous milieux parler de leur vécu scolaire (on peut aussi rapprocher ceci de l'alphabétisation dans certains pays du Tiers‑Monde et dont les réussites ne tiennent pas à des innovations pédagogiques).

Au XXe siècle, malgré la pression des pédagogies nouvelles, malgré celle de philosophes libéraux ou socialistes, cet entretien moral et civique n'a pas évolué : il a disparu.

Que disent aujourd'hui de l'entretien, ceux qui le pratiquent ?

‑ Parce que l'I.D.E. me l'a dit.

‑ Parce que c'est recommandé.

- Pour que les enfants y apprennent à mieux parler.

- Pour qu'ils puissent s'exprimer en groupe.

‑ Pour qu'ils puissent raconter clairement ce qui se passe autour d'eux.

-          Pour qu'ils soient mieux à même de suivre l'enseignement (parce que débarrassés de tout le fatras d'émotions et d'images qui les assaillent et qui perturberaient la sérénité et la disponibilité nécessaires aux apprentissages).

Il est en général hebdomadaire (le lundi matin) ou bi­hebdomadaire (le jeudi matin). Plus rarement journalier (ou alors il faut aller en maternelle).

En théorie, les enfants peuvent parler de ce qu'ils veulent ; mais,

‑ L'action du maître : “qui peut dire ce qu'il a fait hier ? ... ”, “qui peut raconter ce qui s'est passé d'intéressant... ”.

‑ la position hiérarchique des enfants

• ils ne se voient pas,

• ils lèvent le doigt avant de parler,

• c'est le maître qui donne la parole,

• c'est le maître qui arrête l'enfant

• l'enfant s'adresse au maître, fait que seul, ce qui est senti possible, admis, reconnu par le maître, peut être dit.

C'est le maître qui détermine ainsi, et lui seul, inconsciemment, le champ de l'entretien.

Le champ de l'entretien

Ce qui se passe dans l'entretien est le reflet exact de ce qu'il a déterminé.

Ainsi, très vite, l'entretien tourne‑t‑il dans le cadre informatif, très vite celui‑ci se sclérose‑t‑il. Il tourne à vide, comme une mécanique, comme une horloge remontée et qui n'aurait plus d'aiguilles.

La déception est courante : “les enfants n'ont rien à dire”, “Rien ne les intéresse”, “La télé est envahissante et ils ne savent raconter que cela”.

etc.

On pratique un “entretien” où personne n'entretient personne de quelque chose.

On parle, au mieux, comme dans un salon bourgeois, de tout et de rien, dans l'ennui et l'attente.

L'entretien n'a pas d'autre finalité que celle de parler pour parler. Il cesse quand le maître le décide et l'on passe alors à une leçon traditionnelle de lecture, de grammaire ou de calcul totalement détachée de ce qui vient d'être dit.

Il est très rare que des enseignants essaient de lier un discours d'enfant avec une activité ultérieure.

Cela arrive, mais cela reste bien artificiel. Témoin cette maîtresse de C.P. qui avait pris la relation : “J'ai vu titi à la télé” pour étudier en lecture toute la semaine, le i et le t. Appelant cela une méthode “naturelle” de lecture !

On observe, parfois, dans les plus grandes classes, des maîtres qui laissent parler les enfants entre eux, et l'entretien est alors souvent plus “technique” (comment marche une moto, etc.), ne reprend pas les enfants, laisse se terminer l'entretien en notant ce qui se dit.

Plus tard, il dira : “j'ai entendu ceci ou cela... ”, et fera trouver une meilleure formule, des précisions. Plus rarement, ouvrira sur des observations en éveil, vers des recherches.

Il est vraiment exceptionnel (moins en maternelle) d'assister à des entretiens où les enfants se placent comme pour une conversation, dans un coin aménagé, où ils sont libres de leur place, où ils peuvent participer ou non.

Tout ceci détermine des “géographies” spécifiques de l'entretien, des courants spécifiques de parole.

Cette aire géographique habituelle aboutit vite à une sclérose.

La parole y est un monologue, au mieux un dialogue duel entre le maître et l'enfant désigné.

Quand un autre enfant parle sur le même sujet cela se fait par le relais magistral. “Qui a des questions à poser à Untel ? ”.

Il apparaît rapidement que ce sont les mêmes enfants qui parlent : un certain type de leader, les autres se désintéressant vite de l'échange.

Cette disposition, fréquente en maternelle, aboutit vite au butinage ou à la bêtification. “Moi, ma maman, eh ben elle a fait... ”

Quand on laisse les enfants se placer comme ils veulent, sans leur donner la possibilité d'organiser eux‑mêmes l'entretien, cela donne des géographies dont le maître est inconscient, mais qui traduisent les rapports de forces, les oppositions véhiculées Exemple :

Ici, comme automatiquement, les filles se plaçaient autour de la maîtresse, la soutenant lui faisant plaisir, s'adressant, comme la maîtresse, aux garçons dans un climat souvent aigre‑doux. Et les garçons relatant des faits où la surenchère était souvent présente, provoquant des remarques ironiques de la part de l'élément féminin et parfois des sanctions disciplinaires de la maîtresse.

Avec cette dispersion, l'enfant qui apporte quelque chose, se place plus ou moins au centre, montrant et parlant, elle donne de biens meilleurs résultats : échanges entre enfants, intérêt, bonne ambiance, le maître participant à part à peu près égale.

Le problème fondamental de l'entretien ainsi pratiqué, et dont les enseignants ne sont pas conscients, est bien celui de leur pouvoir.

Ils savent que la société et les parents leur délèguent un pouvoir, pouvoir qu'ils ne sont pas prêts à abandonner parce qu'il les sécurise, parce qu'il fonde leur travail.

L'élément le plus tangible de ce pouvoir est le fait qu'ils détiennent la parole (sinon la vérité).

Laisser les enfants parler entre eux, comme ils veulent, c'est délaisser le pouvoir. C'est aller vers l'inconnu. Situation angoissante et inconfortable.

D'où le refuge dans le domaine informatif, le relais magistral nécessaire (l’enfant ne peut prendre la parole que si le maître l'y autorise), la censure, la non‑écoute de la signification du discours enfantin, le fait que l'enseignant reste maître de la discipline durant ce moment.

Les conséquences en sont : le désintérêt progressif, la formalisation, la banalisation.

Voici quelques exemples :

‑ pourquoi vouloir absolument faire parler le fils du docteur de son séjour à la neige au mois de mars, situation qui n'intéresse personne, et faire taire la fillette, qui seule dans son coin, chantonne en berçant le gros nounours qu'elle a apporté ce matin ?

‑ pourquoi se sentir obligé de parler tout de suite après qu'un enfant ait apporté des pommes de pin en apportant des précisions didactiques et documentaires en faisant fi des regards intéressés et qui peu à peu s'éteignent ?

‑ pourquoi laisser traîner tout un déluge de relations d'émissions de télé et ne pas avoir entendu celui qui a dit : “Moi, j'ai rien fait hier ? ”.

‑ pourquoi ne pas entendre le contenu affectif de la phrase : “Hier, je me suis promenée avec maman. Il y avait du vent. Il faisait nuit”. Contenu affectif exprimant la peur, ce dont ne peut rendre compte la seule écriture de la phrase.

On néglige ainsi toute l'originalité et la supériorité du langage verbal qui n'est pas fait que de mots, mais d'intonations, de mimiques, de gestes qui le situe immédiatement dans un autre registre possible.

On pratique donc en général l'entretien, mais en en méconnaissant, volontairement ou non, toute l'originalité et la puissance. On pratique seulement un ensemble de règles et d'habitudes sans en connaître les finalités ou en les censurant.

Une pratique sérieuse de l'entretien pourrait néanmoins être l'amorce de changements pédagogiques ‑ voire éducatifs ‑aussi profonds que positifs.

Nous allons maintenant étudier en détail deux pratiques différentes en classes “ traditionnelles ”.

La première dont le développement est courant ; la seconde où les tentatives de réflexion et de progrès ont duré toute l'année avec l'aide d'une psychologue.

B. ‑ Entretien “ banal ”

a) Cadre d'étude

‑ une classe de grande section maternelle en école urbaine. ‑l'entretien est le seul moment de (dangage libre” institutionnalisé ‑ il est hebdomadaire et a lieu le lundi matin.

Observer chaque séquence d'entretien, en relevant ce qui se dit, les attitudes, les interventions de la maîtresse et des enfants.

Analyser l'évolution de 5 enfants particuliers choisis dès le début et répondant aux critères suivants :

même sexe (4 filles)

même âge

2 ans au moins de fréquentation scolaire

2 fillettes de nationalité française

2 fillettes de nationalité algérienne

2 fillettes de milieu favorisé

2 fillettes de milieu moins favorisé

1 garçon socialement et psychologiquement perturbé.

Ces 5 enfants étant ainsi situés :

 

n. française

n. algérienne

Milieu + favorisé

 Céline

Naïma

Milieu - favorisé

Andrée

Zoulika

Et : Noël

Après l'entretien, à un moment favorable, conversation entre la maîtresse et moi‑même.

‑ Infirmer ou confirmer l'hypothèse suivante : “un enseignement collectif ne peut profiter de la même façon chez les enfants issus de ces quatre milieux différents”.

b) Position de la maîtresse

vis‑à‑vis de l'entretien.

Ce qui suit est sa position préalable au travail entrepris.

“Il s'agit, à mon avis, d'un moment privilégié à introduire en moyenne une fois par semaine dans l'emploi du temps.

Moment privilégié car il doit, en principe, permettre à chaque enfant de “dire ce qu'il a sur le cœur”. C'est à dire de raconter à tous ses camarades un événement de sa vie, récent ou plus lointain, qui l'a marqué et dont il a envie de parler ; soit parce qu'il veut exprimer sa joie ou son plaisir, soit pour se libérer de quelque chose qui lui pèse, qui l'a bouleversé ou qu'il attend avec appréhension ou impatience selon le cas. Ceci lui permet d'être, par la suite, disponible pour les autres activités, car ce sujet ne le préoccupe plus ou beaucoup moins.

D'autre part, ce moment où il dit ce qu'il veut est important également par le fait qu'il se sent écouté, compris et qu'il perçoit pour une fois l'intérêt que portent les autres à ce qu'il leur raconte. C'est, je crois, pour chaque enfant, une puissante motivation qui peut lui donner l'envie de parler, même si d'ordinaire il est peu loquace et se contente d'être un spectateur passif devant les activités de la classe...

... Je veux que les enfants prennent plaisir à s'exprimer ; mais pour une troisième raison aussi, qui me semble de même importance que les deux autres : il faut que les enfants prennent plaisir également à entendre s'exprimer leurs camarades. Car si certains doivent sortir de leur mutisme, il faut que d'autres apprennent à écouter. Surtout dans notre société où chacun vit de plus en plus pour soi, égoïstement, coupé des autres qui ne prêtent pas attention à ce qu'il a à dire et que lui‑même n'entend pas. Sans doute avez‑vous assisté à ces conversations où chacun parle uniquement pour lui et se gargarise de ses propres paroles sans même écouter ce que ses interlocuteurs ont à dire et où, souvent, plusieurs voix se superposent... C'est désolant car, dans ce cas, comment communiquer ? Ne nous plaignons donc pas de notre isolement, apprenons d'abord à prêter une oreille attentive aux autres, à être pour eux des interlocuteurs valables. Sortons de notre égoïsme et apprenons cette règle d'or de l'écoute aux enfants dont nous avons la charge, afin qu'ils se sentent compris et qu'ils désirent comprendre les autres. De là naîtront la bonne entente et l'entraide.

Je pense sincèrement tout ce que je vous dis‑là, ces réflexions ne m'ont pas été inspirées par ce que j'ai pu lire ou entendre ici ou là, mais par expérience personnelle. Et je me suis aperçue que je pouvais utiliser à cette fin le moment de conversation libre préconisé par les textes et conseillé aux conférences pédagogiques. Donner aux enfants l'envie de s'exprimer et leur apprendre à écouter attentivement ce qu'ont à dire leurs petits amis et à s'y intéresser. Ces deux buts une fois atteints, je pense que nous aurons bien œuvré pour “la qualité de leur vie” actuelle et future.

Voilà ce que devrait être cette demi‑heure à mon avis, ce qu'elle n'est pas toujours hélas ! ... ”.

c) Quelques généralités

Nous avions convenu que j'arriverais le lundi matin à 9 heures et quart. Les enfants s'installaient en cercle et par groupes (quatre groupes dans la classe formés en fonction de leur niveau par la maîtresse).

Les places ont peu varié au cours de l'année, et pas du tout pour les cinq enfants cités.

Je notais tout ce qui se disait et se passait dans l'instant.

Au début, la maîtresse et moi cherchions ensuite rapidement ce qui semblait le plus intéressant à reprendre dans la semaine en fonction du thème, de l'intérêt perçu...

Puis, peu à peu, la maîtresse s'en est tenue à ses choix et nous avons moins échangé.

Au dernier trimestre, devant sa déception croissante, j'ai un peu abordé quelques‑unes de mes constatations quant au manque de valorisation de l'originalité et quant à la formalisation des échanges. Elle a réclamé alors, les deux dernières fois, auprès des enfants : “qu'on ne dise que des choses intéressantes... plus de tata ni de mémé... ”. Il était tard pour que les enfants comprennent et, surtout, le mode d'échange n'a pas varié. Rien ne pouvait plus se jouer de différent.

Au long des “entretiens”, la personnalité des cinq enfants s'est affirmée. On peut en donner une image assez précise à travers leurs prises de parole ou leurs silences, ainsi qu'à travers leur comportement.

d) Céline

Celle qui participe le plus. Vive, intelligente, domine par son comportement, son langage, ses capacités d'écoute.

Premier trimestre : sur les 9 observations notées :

- apporte 11 informations - s'informe 29 fois - commente ou précise 7 fois (n'a assisté qu'a 7 “ entretiens ”),

- enchaîne souvent sur je ... ou son expérience proche : 13 fois ‑ très centrée sur elle‑même,

- les thèmes essentiels seront : opération de ma cousine et de ma sœur les courses avec ma maman

- le pus de mes urines - mon angine ‑ ma maison - mes jouets de noël... et aussi des récits de festivités locales : la fête des retraités ‑ les chasseurs ‑ une projection pour les cheminots,

Très vivante, intéressée, écoute beaucoup, improvise même une question pertinente quand elle lève la main et a oublié ce qu'elle voulait demander.

Deuxième trimestre : sur 9 observations notées :

- apporte 6 informations - s'informe 22 fois - commente ou précise 27 fois (présente seulement à 7 entretiens),

‑ enchaîne sur je... 22 fois,

‑ est capable de faire un récit long, structuré, cohérent, avec rebondissements ‑ manie bien le langage,

‑ prend peu à peu un ton moqueur et dévalorisant à l'encontre des autres enfants (surtout Noël, n' 5 de l'observation dont elle supporte mal les différences) et Jean‑Charles, le leader des garçons ‑ s'énerve ‑ veut faire régner la discipline ‑ fait des remarques désobligeantes (non soulignées par la maîtresse) ‑se fâche devient agressive.

Troisième trimestre : sur 6 observations notées :

- apporte 4 informations - s'informe 14 fois commente ou précise 14 fois (présente à 4 entretiens),

- enchaîne sur je ... 5 fois,

‑ est très agressive avec Noël et Kader ‑ devient leader ‑intervient pour la discipline, mais en général est moins active pour l'entretien lui‑même (enchaîne moins, se sent moins concernée ?).

Bilan

Céline a affirmé des qualités personnelles qui étaient présentes en elle : construction d'un récit, parler dans un groupe, soutenir et relancer l'intérêt, goût de l'inhabituel.

Puis son caractère dominateur l'a emporté. Elle considère les autres, quand elle les informe, comme les éléments de son auditoire. Elle se prête alors à des développements longs et cohérents ou bien elle s'identifie à la maîtresse et dirige les débats, commente et fait la discipline.

Très à l'aise dans le groupe, mais s'orientant vers la domination, non contestée d'ailleurs, ni par la maîtresse, ni par la passivité du groupe.

Elle a de plus en plus manifesté son énervement. Peut‑être considérait‑elle cette passivité comme une non-reconnaissance de sa quête du vedettariat. En tout cas, elle a été peu invitée à se maîtriser.

Enfant, néanmoins, très au fait des activités locales, ayant une ouverture sur des groupes sociaux et même ethniques (marraine à la Martinique). Très socialisée de par son milieu. Intéressée par l'événement. On aurait pu relever quantité d'informations originales dans ce qu'elle a dit.

e) Andrée

Enfant timide, assez chétive, mal nourrie.

Carence affective, sensible à la relation mais la subissant, bonne volonté, fait des efforts pour faire bien.

Premier trimestre : toujours présente,

- apporte 8 informations - s'informe 8 fois commente ou répète 3 fois,

‑ enchaîne sur je ... 6 fois ‑ enfant parlant essentiellement de sa tante et de sa grand mère cherche à s'intégrer dans le groupe, puis décroche chaque fois ‑ chantonne dans son coin tente chaque fois de participer puis abandonne,

fatigue ‑ soutient mal l'attention s'ennuie et trouve des dérivatifs (se masturbe - tripote ses cheveux, ou ses chaussures, ou ses joues... ou touche l'oreille du voisin... ou le “pouille”),

langage très rudimentaire (prononciation nécessitant une rééducation orthophonique) : est déjà conduite par sa mère chez un orthopédiste et un oculiste... ‑ milieu très frustre ‑ Ne comprend pas tout ce qui est dit.

Deuxième trimestre :

- apporte 4 informations ‑ s'informe 26 fois commente ou précise 3 fois,

- n'enchaîne pas sur je ... 

- dit “pour dire” = exercice qu'elle s'applique à faire

- répète souvent la question déjà posée par un autre,

- importance prise par Sébastien, le cousin, dans la même classe qu'elle (milieu plus favorisé) et qui semble insensible à son admiration pourtant,

‑ se moule dans la demande qui lui est faite du mieux qu'elle peut : beaucoup d'efforts pour participer mais peu reconnus, peu encouragés,

‑ se confine peu à peu dans un seul type de question : “t'as mangé ? ... t'as des assiettes ? ... t'as une dînette ? (persévération sur ce thème d'oralité),

‑ même comportement de repli que précédemment.

Troisième trimestre :

‑ apporte 3 informations, s'informe 17 fois ‑ commente 2 fois,

‑ se cantonne dans les mêmes informations courtes et banales et les mêmes questions sans contenu réel, stéréotypées et nombreuses, s'enchaînant comme une récitation,

‑ est plus silencieuse ‑ écoute de moins en moins.

Bilan : Andrée semble être la réplique exacte de la demande éducative. Bien que toujours présente et sage, elle apporte de moins en moins d'information (donc parle de moins en moins d'elle) mais est capable de poser des questions apprises, aux autres. Questions qui s'égrènent comme des litanies. Elle a appris le code, vide de son sens. Elle est un miroir fidèle de ce qui s'est passé.

f) Naïma

Très jolie, très souriante, sensible, apprécie la relation duelle : parle alors aisément, est éteinte dans le groupe, dessins très colorés.

Premier trimestre :

‑ apporte 1 information (7e séance : “avec ma mère, j'ai été au jardin... j'ai cueilli des fleurs... ” ‑ ne s'informe pas, ne commente pas. Elle précisera 1 fois (9e séance) “parce que c'était l'hiver” (raison d'avoir du henné sur les mains),

‑ elle joue avec ses voisins, écoute peu, ne participe pas,

‑ même sollicitée, encouragée, elle ne peut parler et répond par signes de tête.

Deuxième trimestre :

‑ apporte 4 informations ‑ s'informe 24 fois commente 2 fois ‑précise 4 fois,

‑ elle informe à propos de sa poupée surtout et attend les questions,

‑ les questions qu'elle pose sont du même type : “quelle couleur ?” (8 fois/24) ‑ les autres sont les stéréotypes de la classe (avec qui ? tu as mangé quoi ? t'as un buffet , ... ).

Naïma s'intègre donc et a compris le code de l'entretien pratiqué ici. Elle parle avec ses voisins – joue moins ‑ elle suit ce qui est dit (elle aide même Zoulika et précise pour elle). Elle est capable d'improviser une question simple, prise au dépourvu,

‑ seule, avec moi (après la 13e séance) elle dira :

“J'ai une poupée qui marche, qui pleure, qui dort... pi elle a des chaussons... énumération ... moi je vais toujours à la piscine, je gagne des bonbons, des images... pi elle (Céline) elle a pas de bonbon, pas d'image ... pi on a attrapé le disque à la piscine ... on a sauté ... regarde ce que j'ai de plombé ... des petites caries ... ” ‑ Contente de cette relation privilégiée, elle tient un discours dynamique introduit toujours par la poupée... pour arriver à la recherche d'affection, et d'attention sur elle‑même (“ses petites caries”) ‑ elle ne sait pas bien structurer un récit, mais est capable d'expression personnelle (ses réussites, ses intérêts ; dévalorise Céline qui tient trop de place à son gré dans le groupe ‑ demande relationnelle ... ) qui n'est jamais apparue dans le groupe !

Troisième trimestre :

‑ apporte 1 information ‑ s'informe 5 fois, commente 1 fois ‑précise 1 fois,

‑ on note la perte de l'intérêt.

Bilan : Après l'accession à un certain niveau de participation au deuxième trimestre, Naïma est redevenue silencieuse ; présente, elle suit ce qui est dit, mais n'intervient pas.

g) Zoulika

Enfant renfermée, peu expressive, visage figé, a peu d'intérêts apparemment, langage incertain.

Premier trimestre :

‑ apporte 2 informations (7e et 9e séance). “Mon père fait une maison, une cabane et j'ai un vélo... ” et “et ben moi, mon frère a une grande voiture, une mobylette et un camion”, (débit rapide et sans respirer ‑ arrêt brutal)

‑ s'informe 1 fois (8e séance) : quelle couleur ? ‑ enchaîne une fois sur je ... : “moi j'ai été nager à la baignade”,

‑ sinon, elle s'ennuie, baille beaucoup ‑ écoute au début puis abandonne ‑ répond par signes de tête lève parfois la main et la baisse, comme les autres, mécaniquement, sans avoir (pouvoir ?) de question à poser ‑ s'absorbe dans la contemplation des dessins de son pantalon ou sa blouse... ne se sent pas concernée.

Deuxième trimestre :

- apporte 4 informations ‑ s'informe 15 fois (en 2 séances, c'est‑à‑dire, ces 2 jours‑là, répète les questions rituelles : couleur ‑ dînette ... ) ‑ précise 2 fois,

- l'information donnée, elle ne répond que par oui ou par non ‑ et elle est contente,

‑ on remarque le discours haché avec les thèmes qui s'enchaînent sans suite, vite verbalisés ‑ et l'effort, l'angoisse de l'enfant pour y arriver,

‑ Zoulika s'éveille donc, participe et a compris, elle aussi, le mécanisme de l'entretien. Seule son expression trop hâtive est à aider (la rassurer ‑ lui donner le temps et la confiance ‑lui permettre de parler plus librement, seule et en groupe).

Troisième trimestre :

‑ s'informe 1 fois (“ en vrai ? ”)

‑ elle est muette, semble écouter un temps, puis s'évade ‑décroche.

Bilan : On remarque la perte de l'intérêt et, après une apogée au deuxième trimestre, on assiste à une retombée dans la passivité et le manque de stimulation.

Zoulika se laisse enfermer dans la mécanique des questions sans intérêt : il faut bien continuer à poser ces questions inutiles puisque la maîtresse le permet et que cela semble lui faire plaisir.

h) Noël

Enfant perturbé, vie familiale compliquée, élevé par sa tante qui le rabroue.

Suivi au C.M.P.P. en psychothérapie, pulsions importantes non maîtrisées, mal accepté en classe, instable, envahissant, grosse perturbation affective. Poussées agressives et parfois tendres, tout aussi soudaines que violentes.

Premier trimestre :

- apporte 7 informations ‑ s'informe 24 fois enchaîne sur je ... 16 fois, commente ou répète 12 fois

- intervient 1 fois hors sujet,

les thèmes qu'il aborde sont : “chez ma tata chez mon papa ‑ chez mémé et popeye”. Il a peu de temps et de moyens pour les développer : ses interventions sont courtes et stéréotypées,

‑ ses questions sont assez pertinentes et témoignent de sa compréhension et de son attention. Mais celle‑ci est fugitive et Noël a des difficultés à se contrôler. Il embête ses voisins ou se roule par terre ‑ ou se déchausse ‑ ou fait tomber quelque chose ‑ il est alors grondé, puni et reçoit des claques. On imagine le climat qui en découle au sein du groupe. Il s'écorche, agresse les autres,

‑ ceux‑ci s'en plaignent, le “dénoncent”, l'invectivent et l'appellent par son nom “Arrête D... ! ”,

‑ il se sait supplanté par son cousin Dany, à la maison et à l'école. Il le prend souvent à témoin pour confirmer ses dires, même avant que les autres mettent en doute ce qu'il avance.

‑ il participe, mais en écho souvent. Il demande à sortir souvent. Très agité. Menacé d'être couché et “scotché” régulièrement.

Deuxième trimestre :

- informe 2 fois ‑ s'informe 54 fois ‑ enchaîne sur je 6 fois ‑commente 11 fois ‑ et intervient 10 fois hors sujet,

‑ il a de moins en moins la parole pour informer, bien qu'il la réclame et le reproche à la maîtresse qui lui répond “Tu parleras, si tu es sage” ‑ il s'intègre pourtant au groupe par ses nombreuses questions bâties sur le même type et qui sont de véritables litanies, vidant de leur sens les apports des enfants,

‑ il est contesté, repoussé - il conteste aussi ‑ son thème est toujours le même “ Mémé ‑ papa... ” (vécu familial prégnant et perturbant),

‑ il est mal supporté par Céline, qui le méprise, le trouve bête et le lui dit ouvertement.

Troisième trimestre :

- n'informe plus ‑ s'informe 26 fois (contre vents et marées) ‑enchaîne sur je ... 9 fois ‑ répète ou commente 7 fois et intervient 6 fois hors sujet,

- on retrouve la perte d'information brutale. Noël reste attentif pourtant à ce qui se dit et questionne les autres enfants de façon irrégulière : tantôt avec pertinence, tantôt sans cohérence.

Bilan : Noël a eu aussi son heure de gloire : droit, pour lui, à poser des questions au deuxième trimestre. Puis le climat général a pesé. Il est resté actif bien que dispersé et rabroué. Différent des autres, la maîtresse n'a rien fait ni pour comprendre, ni pour l'accepter, ni pour le faire accepter au groupe. Au contraire, en tançant Noël, en le punissant, elle érigeait en modèle vivant ce qu'il ne fallait pas être. Grâce à Noël et à l'action de la maîtresse, les enfants comprenaient mieux ce qu'elle voulait, ce qu'elle pensait bien ou mal. Et, chacun avec ses moyens, tentait de s'y conformer.

i) ce qui s'est passé

Malgré leurs différences, les 5 enfants ont évolué de façon similaire au cours des trois trimestres pour ce qui est de leur participation :

‑ mise en route plus ou moins aisée au premier trimestre,

‑ progression très nette au deuxième trimestre avec acquisition d'une conduite,

‑ perte de l'intérêt au troisième trimestre : le jeu est connu, mais il n'a plus d'intérêt car il n'est qu'une mécanique vide de sens.

Chacun a réagi différemment :

Céline en quête de la place de leader, non reconnue, est devenue agressive. On peut dire aussi que c'est ce qui se passait là qui développait son agressivité, plus ou moins latente en elle. Elle “bouillait d'impatience”. Elle a été, au deuxième trimestre, un élément régulateur, enrichissant et dynamique : “Je vais vous expliquer... Faut poser une question à Céline... Mais ce n'est pas une maladie grave... ”.

Mais elle a dit aussi : “Si tu lèves le doigt pour poser une question et que t'as rien ! ... Tu n'as pas entendu parce que tu parlais... Tais‑toi D.... tu n'as rien compris... ce qu'il est bête celui‑là ! ”.

Elle a de plus en plus pris le groupe pour un auditoire, voire une cour, mais a peu reçu de lui. Son agressivité déchaînée et non canalisée ne peut lui avoir été bénéfique. Elle a peu appris. C'est elle qui a le moins employé les questions stéréotypées devenues mode d'échange.

Andrée, Naïma, Zoulika ont évolué de façon semblable, se conformant de plus en plus au modèle, n'exprimant que peu et de toute façon ne recevant rien en retour. Elles ont appris à oser dire quelque chose en groupe, à l'occasion, et à réciter une série de questions banales.

Les deux petites algériennes sont retombées, au troisième trimestre, dans leur mutisme, le vivant sans doute différemment qu'au départ, mais manifestant maintenant leur désintérêt.

On ne faisait pas appel à un contenu : il n'y avait rien d'autre à attendre. On utilisait une forme jusqu'à usure complète.

j) Les bilans

Quatre fois dans l'année, j'ai repris chacun des cinq enfants individuellement pour tenter de faire un bilan de ce qu'ils avaient retenu et appris de l'entretien. Ceci selon trois axes principaux :

en langage : raconter l'histoire d'un livre, raconter une suite logique simple, questions sur le train, les moyens de locomotion... la tempête... Noël... les métiers... la famille... carnaval... etc., tous ces thèmes ayant été abordés durant les entretiens et ayant été exploités ou non.

en dessin : dessine un chat, un vélo, un train, une galette des rois, une crêpe, une poêle, une vache, un masque...

‑en connaissance (vocabulaire) : nommer des vêtements (avec images en support), des bijoux... tous mots abordés en entretien.

Les résultats sont remarquables.

Les quatre enfants (Noël excepté) ont reproduit fidèlement les dessins appris. Exemple la crêpe et la poêle.

Ils ne savent dessiner que cette poêle et que cette crêpe restées au tableau durant toute l'exploitation du thème : durée cinq semaines ; et qui sont la poêle et la crêpe de la maîtresse (ou celles d'une fiche pédagogique). De même pour le vélo, le masque, le chat...

Quatre enfants (Céline excepté qui connaissait les différences et nuances avant) ont répété les confusions de mots, de sens, pointés lors de l'entretien et non corrigés, exemple : coiffeur pour facteur, courses pour commissions, bague pour barrette, cousin pour frère ou voisin...

Les cinq enfants ont peu retenu des thèmes exploités en classe longuement : moyens de locomotion : 4 semaines, nids, œufs et petits : 4 semaines... ont appris très peu de mots précis, n'ont pas affiné leur sens de l'observation.

k) Conclusion

Après un an d'entretiens hebdomadaires, suivis de séquences de travail sur des thèmes choisis par la maîtresse (ce qu'elle croyait nécessaire de leur apprendre, en relation avec un “programme”, à l'aide de fiches pédagogiques), on voit se préciser nettement : une formalisation du code des échanges : mêmes thèmes, mêmes questions répétés par les enfants ; une pédagogie ne se préoccupant pas du contenu de l'expression, ne jouant que sur la périphérie du signifié ; ne se préoccupant pas non plus des besoins réels des enfants et parvenant à un nivellement de la production des enfants tant en graphisme, qu'en langage, qu'en attitudes corporelles. Ils se ressemblent de plus en plus, s'identifiant au modèle imposé.

S'en tirent :

‑ Céline, qui apprend beaucoup plus de par son milieu qu'à l'école.

‑ Noël, qui continue d'établir une relation perturbée avec autrui et qui est même renforcé dans son comportement de marginal.

-Evolution des thèmes

Nombre de prises de parole : premier trimestre : 9,9 ‑deuxième trimestre : 7,6 ‑ troisième trimestre : 7,3

Les thèmes abordés : ils sont divers, mais tout au long de l'année susceptibles de soutenir un intérêt, une exploitation, une exploration, tant culturelle qu'affective, faisant entrer en jeu à la fois les facultés intellectuelles et les capacités relationnelles, ils auraient pu être les supports d'une éducation globale.

Je relève, au hasard, et dans l'année entière : les champignons ‑ Papa construit notre maison ‑ je suis allé dans le métro ‑ chez l'oculiste ‑ la tempête ‑ j'ai deux bébés renards ‑ le déménagement* ‑ les voleurs ‑ la vache ‑ les jonquilles ‑ je suis monté en ascenseur ‑ je sais faire ma toilette ‑ je sais faire un gâteau – en Bretagne j'ai vu la mer ‑ j'ai eu peur dans les grottes d'Arcy ‑dans l'atelier de papa, j'ai un établi ‑ le rallye le code de la route ‑au grand magasin ‑ la fête d'A... ‑ au restaurant ‑ la moto... et d'autres encore, tous thèmes non retenus par la maîtresse.

La maîtresse, en effet, a un rôle précis (voir comment elle définit l'entretien).

Chaque thème lancé se résume à une courte phrase dite par l'enfant. Ensuite, il attend les questions et répond brièvement. Ces questions ne varient pas, tout le monde s'y attend, il n'y a pas d'enthousiasme. La maîtresse ne relance pas non plus, préoccupée seulement par l'approfondissement des thèmes qu'elle a choisi d'exploiter et ne voyant là que prétexte à dispersion.

Au mieux elle diffère dans le temps : “on le verra plus tard”. “Ne l'apporte pas maintenant”. “Je te le dirai, on n'a pas le temps en ce moment”. Mais sans pour autant y revenir. Il arrive même qu'elle demande à l'enfant de ne pas poursuivre son récit et d'attendre les questions : souci de recentrer l'intérêt peut-­être, mais effet fâcheux sur l'élan, la dynamique. Processus fixé d'avance.

Les thèmes réellement abordés ont été les suivants

Premier trimestre :

Jean est malade* (gravures, dessins ...               2 semaines

Le chat* (gravures, dessins, animal ... )              2 semaines

Le vélo* (diapos, livres, conte, photos de course)

    auto (bruitage, images)

    train (dessins, suite logique, gravures ... )4 semaines Noël (1 semaine)

Deuxième trimestre

Les jouets de Noël*                                            1 semaine      

Les rois                                                                           

Confectionner un plat                                             5 semaines            

Crêpes

Les masques                                                      1 semaine                             

Rien                                                                  1 semaine

Les œufs de Pâques                                           1 semaine

Troisième trimestre :

Les œufs et les petits

Coqs et poules                                                  4 semaines

Un nid

Un brin de muguet                                              1 semaine

Rien                                                                  1 semaine

Les marionnettes                                                1 semaine

Les thèmes marqués du signe * proviennent d'une parole d'enfant.

On remarque que ces thèmes sont surtout retenus pendant le premier trimestre. A cette époque, la maîtresse et moi, nous en parlions ensemble à la fin de l'entretien et elle choisissait un thème. Puis elle a préféré les thèmes habituels aux prolongements infinis, pour lesquels elle avait des documents tout prêts, dont elle avait l'habitude. Qui sacrifiaient à un rite. D'où tout l'intérêt s'épuise en même temps que la valeur éducative.

Faute d'être à l'écoute des enfants, la maîtresse s'est privée de leurs apports, de leurs élans ; elle les en a aussi privés. Elle est devenue, elle aussi, de plus en plus déçue, banalisant ce qui est dit, n'entendant plus rien, critiquant même.

‑ Evolution des prises de parole

On remarque que si l'intérêt de la maîtresse tombe au fur et à mesure de l'année, si la formalisation de l'entretien est très nette (enfants dressés à poser les mêmes questions vides), ce qu'ils disent en information dans l'entretien ne change guère tant en quantité qu'en qualité. C'est‑à‑dire qu'on trouve de façon continue, tout au long de l'année à la fois des apports banals et des apports riches en même quantité.

On peut donc penser que cet “exercice” s'est vidé de son sens ici, mais que la vie des enfants ailleurs se poursuit avec son dynamisme propre, que la formalisation pédagogique ne peut atteindre.

‑ Evolution de l'attitude de la maîtresse

La maîtresse donne la parole, rappelle à l'ordre, recentre l'intérêt. Elle est presque toujours l'intermédiaire entre celui qui a parlé et les autres enfants quand un enfant a parlé, elle demande régulièrement “Qui a des questions à lui poser ? ”. Ainsi, les enfants s'adressent à elle et c'est elle qui sollicite l'enfant pour répondre. Ce relais constant est un des éléments de formalisation.

Sa relation avec Noël, qu'elle fait asseoir à côté d'elle, est un des éléments de censure, de pouvoir exercé inconditionnellement (s'ajoutent menaces, claques, rappels sévères, commentaires désobligeants : “il est encore plus infect en ce moment”). Cette relation apporte un climat de tension, de répression, de méfiance, vis‑à‑vis de celui qui va forcément faire des bêtises. Elle précise encore la ségrégation en disant bien souvent : “Ies doués et les moins doués”.

Elle dévalorise les milieux sociaux (ouvriers S.N.C.F., travailleurs immigrés) elle n'en attend pas grand chose. Elle reçoit donc peu.

Elle ne sait pas valoriser l'inhabituel, l'original, le personnel. Elle ne remarque rien d'intéressant ni en dessin, ni en langage, ni en expression quelle qu'elle soit.

Elle ne se soucie pas, même si elle en parle, d'intégrer les enfants en difficulté (sauf une fois où elle les a pris seuls, après une réflexion commune et les a beaucoup sollicités. Elle s'est avouée épuisée d'un tel exercice). Elle se contente de les voir sagement là. Elle se préoccupe de la quantité de questions dites : “Et encore,... qu'est‑ce qu'on peut encore lui demander ? Qui a encore une question à poser ? ” et non de la qualité de relation établie par l'enfant qui s'implique dans le groupe, apportant une parole déguisée ou non.

Les enfants ont accédé ainsi à une “méthode”, une forme de jeu relationnel, vide de sens car seule la forme est en cause ici. La maîtresse n'a pas vu l'écueil, elle ne sait pas transformer, ni prolonger. La tâche pédagogique est terminée alors qu'on ne venait que d'installer les enfants ou bien “le repas est terminé alors qu'on avait tout juste mis la table” !

La pauvreté dont elle parle tant, ne vient pas de thèmes pauvres, mais du détachement culturel introduit par la maîtresse elle‑même. Elle préfère apporter un contenu culturel traditionnel et codifié (les rois les masques ‑ les œufs de Pâques... ), l'exploitation en est prévue par des fiches, des documents tout prêts. Elle préfère cela au vécu de l'enfant (qui aurait pu être aussi le carnaval, les rois ... mais abordés à partir de l'enfant).

Elle évite, ignore, ne reprend pas, ne transmet pas et perd beaucoup d'authenticité et d'originalité. Exemple : le henné, vu sur les mains des petites algériennes, les renardeaux apprivoisés...

Tous les enfants à peu près ont compris le mécanisme à utiliser. La maîtresse est donc arrivée à son but. Pas un n'en tire un plaisir réel, ni un profit : Céline qui bout d'impatience, ralentit dans sa course, se fâche. Zoulika parvient à poser des questions rituelles, puis se tait (ainsi qu'Andrée et Naïma). Noël, pour qui cet intermède n'a rien changé, n'a pas du tout progressé.

La maîtresse est fataliste, désabusée et ses deux dernières tentatives, après mes réflexions, ne changent rien au processus arrivé à son terme. Elle a commencé les deux derniers entretiens en disant : “Je ne veux plus d'histoires de mamans, de mémés, de tatas, mais quelque chose qui change”. Elle repoussera tout au long ce qui est dit sans entendre l'essentiel. Elle dira “il n'y a rien à en tirer, rien à exploiter. C'est pauvre, à l'image de leur vie familiale. Il ne se passe rien dans ces milieux‑là ! Même ce qui est potable ne les intéresse pas. Je ne crois pas à ce genre d'exercice‑là. Partout c'est pareil, dans les dessins, les jeux, pauvreté et compagnie, même après les vacances... !.

Au troisième trimestre, elle ne cherchera même plus à discerner un thème à exploiter ou non. Elle ne leur fait plus confiance du tout.

Pourquoi cette chute ?

L'attitude de la maîtresse est bien entendu en cause. Cette mise en cause n'est pas, pour nous, celle d'une personne en particulier, mais bien celle d'une attitude pédagogique courante. La personne ne peut être en cause : elle subit elle-­même et répète ce qu'on lui a appris. Ce qu'elle ne sait pas discerner, c'est ce qu'elle n'a pas appris à discerner.

Ce que nous mettons en cause est donc une pédagogie et la formation à cette pédagogie. La maîtresse manque de confiance dans les enfants. Elle a peur de se laisser “déborder” par leurs thèmes, préfère se raccrocher à des centres d'intérêt connus, préétablis et dont l'exploitation est rôdée.

Elle manque de curiosité vis‑à‑vis de l'enfant qui parle, qui est là. Elle ne reconnaît pas en lui une personne authentique, globale, faite de chair, de sang et d'émotions.

Il n'y a pas de chaleur, ni d'échanges vrais.

Une grande part est donnée à des réalisations de routine et d'“apparence” imitation de modèles stéréotypés en tous domaines attitudes et comportements ritualisés.

C'est le reflet de tout l'enseignement dispensé ici.

Finalement, l'hypothèse de départ ne se trouve ni infirmée, ni confirmée. Les enfants ont réagi différemment à une même situation et selon leur personnalité propre, mais ils n'y ont, apparemment, rien gagné. Ce n'est pas de cette hypothèse dont il allait être question, mais de la signification d'un acte pédagogique.

On peut terminer en disant qu'il serait nécessaire que la maîtresse vive, par elle‑même, des moments d'entretiens où elle serait amenée à s'impliquer et puisse apprendre, de par son expérience propre, ce qu'est une parole vide et une parole habitée, un silence vide et un silence habité ; qu'elle devienne ainsi plus apte à comprendre les échanges relationnels parce qu'elle les aurait vécus elle‑même ‑ en un mot qu'elle participe à des séances de dynamique de groupe. Ou bien, moins radicalement, mais aussi avec moins de chances de succès, qu'elle observe, in vivo, une classe dans laquelle le maître est à l'écoute de l'enfant et où l'apport de l'enfant est reçu, compris, enrichi, redistribué, où l'enfant est reconnu dans ce qu'il a d'unique.

C. ‑ Influence de la personnalité de la maîtresse

Cette nouvelle et dernière étude tentera d'analyser l'influence des attitudes, du comportement, de la disponibilité et des présupposés de la maîtresse dans le déroulement de l'entretien du matin.

1. Définition du travail

Entrepris par Lise et moi pour une expérience commune à propos de l'entretien du matin.

‑ Continuer cette recherche d'observation et d'analyse de l'entretien.

‑ Trouver une maîtresse différente qui, sans être liée à un mouvement pédagogique, savait être originale et prendre du champ par rapport aux méthodes traditionnelles.

‑ Axer la recherche sur la personnalité de la maîtresse, donc ne pas refuser de lui renvoyer, lors de nos conversations communes, les différentes facettes de son comportement.

L'entretien avait été pratiqué, puis abandonné par Lise. Les choses dites semblaient se répéter, avoir peu d'intérêt. Elle ne savait comment accueillir, susciter, exploiter. L'instant paraissait n'apporter qu'une communication de médiocre qualité, voire vide de sens.

Devant l'intérêt que je porte à cette technique, elle décide de le reprendre.

L'entretien sera hebdomadaire, chaque lundi matin, en arrivant.

Ensemble, nous définissons ainsi l'entretien

‑ parler de soi aux autres,

‑ se connaître mieux,

‑ s'intéresser aux autres,

‑ apprendre à sélectionner, dans son discours, ce qui est intéressant à partager

‑ apprendre à articuler un langage afin qu'il soit cohérent

‑ possibilité d'exploiter plus pédagogiquement des sujets afin que l'enfant s'approprie des connaissances.

C'est‑à‑dire un double but : de communication, d'apprentissage.

Le terme que nous nous fixions étant : la recherche d'une pédagogie de l'entretien.

2. La classe

34 enfants (16 F et 18 G) de grande section de maternelle. Ecole urbaine.

Ils sont de milieux très variés, des très aisés aux plus défavorisés. On note dans les professions des parents : ouvrier, commerçant, juge, instituteur, représentant, maraîcher, infirmier, chômeur, etc.

Comme anecdote, on peut signaler que 10 enfants ont déjà voyagé en avion (Bulgarie, Tunisie, Angleterre, Nice... ) et que pas un n'a pris le train ! De petits citadins de 5 ans, aujourd'hui.

3. La maîtresse

C'est le maître d'œuvre de cette recherche.

Lise est une jeune femme dynamique, méridionale, chaleureuse. Elle s'emporte, elle offre, elle accueille, elle donne l'impression d'être partout à la fois, et disponible, malgré tout. Elle est gaie, sensible, émotive, aime vivre, plaisanter.

Elle sera même adulée, adorée par certains qui tenteront de lui plaire par des gestes, des questions séductrices sur sa personne, ses toilettes, ses repas, son chien, ses faits et gestes, ou qui rechercheront ses caresses, ses baisers, son attention. Elle est le centre de ce qui se joue là.

Elle est active sur cette scène et tient le rôle principal de la pièce, distribuant, complimentant, rouspétant, courant...

Elle aime son travail, les enfants, les gens, avoir du plaisir.

Elle sera souvent l'interlocuteur unique de l'enfant. Elle n'a pas peur de l'inconnu.

On peut qualifier sa pédagogie de libérale, ne négligeant pourtant pas les exercices traditionnels.

Je suis la psychologue de l'école, observatrice neutre de l'entretien. Nous occupâmes la même place toute l'année.

Les enfants se trouvaient assis autour d'un tapis, Lise à une extrémité, et moi à côté, effacée, notant tout ce qui se disait ou se faisait. Etaient souvent présents, Fernande, la femme de service, dont le rôle apparaît à plusieurs reprises et de façon non négligeable, tout en vaquant à ses occupations, et Matho, le chien de Lise, dont la présence est familière aux enfants et perceptible.

Ce que pense Lise avant de commencer ces entretiens.

“Je croyais avoir pratiqué ce genre d'activité, il y a trois ou quatre ans. Les résultats avaient été négatifs :

‑ toujours les mêmes qui parlaient,

‑ toujours les mêmes qui avaient quelque chose d'“intéressant” à dire (milieux favorisés),

‑ parfois discussions oisives, “volant bas”,

‑ il me semblait qu'on perdait un temps précieux.

J'avais donc vite abandonné pour faire des leçons de langage qui me semblaient plus structurées, en proposant aux enfants des contes, des histoires que l'on exploitait diversement (Le roman de renard, Ulysse, histoires sur l'amitié ... ) et qui me permettait d'apporter aux enfants du “culturel” !

J'accepte pourtant la proposition de Jacqueline pour les raisons suivantes :

‑ d'abord, et c'est essentiel je crois, Jacqueline est une personne qui me plaît et que j'ai envie de connaître. Elle me paraît intelligente, fine, nuancée, ouverte, avec qui je pressentais une possibilité de correspondance d'idées,

‑ sa manière directe et abrupte de me confier son point de vue m'incite à réviser ma position. J. doit être une personne qui ne dit rien à la légère, elle est sûrement dans le vrai. Si l'entretien n'a pas marché, j'ai pu me tromper, c'était peut‑être de ma faute. Recommençons donc. Je ne serai pas seule.

C'est dans cet état d'esprit que je me suis jetée à l'eau ! ”.

4. Les prises de parole

24 séances ont été relevées au long de l'année. Il s'agit donc bien d'une relation continue, et non pas ponctuelle. Chaque fois, nous nous sommes retrouvées ‑ au plus tard le lendemain ‑ Lise et moi, pour faire une synthèse et noter nos réflexions, affinant notre recherche, mais aussi échangeant nos sentiments, nos impressions.

Il n'a pas semblé intéressant de répertorier les prises de parole des enfants, comme il avait été fait pour les autres travaux d'observation, ceci pour plusieurs raisons :

a) Les thèmes

Les thèmes ont été nombreux, divers, riches comme il a été démontré précédemment. Cela a été prouvé. L'apport des enfants, de n'importe quel milieu, dans une telle situation, est incontestable. Il suffit d'écouter. Il l'a été aussi ici, et grâce aux quelques enfants des milieux plus aisés, certains sujets abordés ont même dépassé de beaucoup ce qui avait été relaté jusqu'ici. Par exemple :

- le yoga,

- le parachutisme,

- le carnaval de Nice,

- la Bible,

- le salon aéronautique...

Ils n'ont pas été forcément exploités.

L'essentiel des thèmes émane du vécu quotidien des enfants, et en reflète la complexité : scènes conjugales chez Linda, vie des animaux, la naissance, la mort du pape, les métiers, le cidre, la télé, le ski, Noël, la magie, le zoo, chez grand‑mère, la neige, la liberté, le salon nautique, le cinéma, l'exposition de reptiles, la foire, le match de l'A.J.A., les accidents, les grands magasins, le jardinage, la maladie, le printemps, la communion privée, le tremblement de terre, le suicide, les majorettes, la pizza, le moulin, le pique‑nique, le Général de Gaulle, etc.

Un travail d'analyse précis, n'aurait rien fait apparaître que nous ne connaissions déjà, à savoir la richesse de l'expression et de l'intérêt que porte l'enfant sur le monde.

b) La dynamique

Il était plus intéressant, dans cette dernière observation, de cerner la dynamique de chaque épisode, puis de l'ensemble, pour en tirer une véritable trame.

Ni le contenu des interventions, ni la démarche particulière de chaque enfant ne pouvait nous aider dans ce travail. L'évolution au cours de l'année, et le pointage de nos prises de conscience, de ce qui progressait ou régressait, sera l'ossature de notre témoignage.

La parole de l'enfant n'en est pas évincée, évidemment, mais elle n'est pas le sujet principal ici.

5. Les interventions de la maîtresse

Dirigeons donc le travail d'analyse sur Lise (peut‑être prise au piège aussi ?), c'est‑à‑dire sur ce qu'elle a dit et fait, en fonction de notre réflexion commune et de ce qu'elle est. Ses interventions ont été classées en 13 rubriques :

A. Questions à un enfant pour le faire préciser.

B. Prises de positions (avis jugement ‑ défense de quelqu'un ou quelque chose transmission d'un code moral)

C. Explications ‑ approfondissement immédiat

D. Communication affective (paroles ou gestes) E. Discipline

F. Humour ou plaisanterie

G. Apport direct d'informations

H. Paroles qui rassurent

I. Fernande

J. Projet (exploitation différée)

K. Sa joie ou sa peine. Implication

L. Réponses à des questions personnelles (robe, cheveux, week‑end ... )

M. Faire remarquer les présences nouvelles (guéris, nouveaux ... ). Accueil avec souci de les intégrer.

Les rubriques A ‑ C ‑ E ‑ G ‑ J sont classiques quand on pratique l'entretien. Nous n'en parlerons pas.

Les rubriques B ‑ H ‑ K ‑ L ‑ M le sont moins. Pourtant, nous ne nous y arrêterons pas, car il y a plus important.

On peut noter cependant que s'impliquer, comme Lise l'a fait, en annonçant une joie ou une peine personnelle, tout comme elle l'attend de la part des enfants, n'est pas possible par tous. (Il s'agit bien d'émotions, pouvant être entendues par les enfants). Accueillir les nouveaux, ceux qui rentrent de maladie, est également quelque chose qui peut sembler d'évidence, c'est pourtant moins courant qu'on ne le croit. Cette attitude, chez Lise, a été constante.

Le plus important, c'est donc ce qui reste, c'est‑à‑dire l'originalité. Ou bien, si l'on veut, les interventions de cette maîtresse‑là, dans cette communication‑là, avec ces enfants-­là.

Qu'a‑t‑elle dit, ou fait, qui n'a pas été trouvé ailleurs et qui marque une authenticité du vécu ?

Reprenons les rubriques restantes.

D. Communication affective (paroles ou gestes)

A chaque séance, Lise a témoigné de son écoute, de, son affection pour les enfants qui en avaient besoin. J'ai compté 19 enfants différents (et certains de nombreuses fois) qui avaient reçu une marque chaleureuse à ce seul moment d'entretien. Je ne parle pas de sollicitations auprès d'enfants timides, ou d'aide apportée pour formuler ou pour reprendre une parole à peine entendue, mais je parle d'instants vraiment forts, où l'enfant pouvait sentir combien l'adulte partageait un moment heureux ou difficile.

Je vais citer des paroles entendues :

‑ “C'est vrai Fabrice, je t'aime bien, et je te dispute !”.

et ‑ “Il y a deux grands malheurs ce matin : Viens me montrer ton œil, Christophe ! Ça lui fait mal. Vous lui ferez attention. Et Agnès, une toute petite fille, elle est allée à l'hôpital, elle est recousue, à la paupière. Il ne faut pas la bousculer. Il faudra que tout le monde fasse attention à ses petits-fils”.

et ‑ “Vous avez écouté ce qu'a dit Linda ? Vous croyez qu'elle est heureuse, Linda ? Elle est bien à l'école, avec nous. Quand tu es là Linda, nous sommes contents et nous te parlerons de beaucoup de choses pour que tu oublies ce qui se passe à la maison... “ alors, Linda, au bout d'un moment : “Je trouve que ça, ça me revient heureuse maintenant ! ... ”.

et ‑ “Laisse Vincent, il ne fait pas de bruit (au bord de la fenêtre, près des toits ... ), il ne nous gêne pas ! Il a besoin de prendre l'air, de respirer. Il a pas le droit ? et ce n'est pas dangereux, il le sait bien.

et ‑ Toutes ces caresses, données ou reçues, pendant ce moment, l'accueil de certains, dans son giron ‑ les sourires ‑ les échanges non verbaux et ‑ Vincent, qu'il a fallu consoler. Il avait le droit, d'autres aussi, de quitter la salle pour boire ou se dégourdir les jambes, ou être seul. Il a mangé le gâteau d'un enfant dans le panier aux goûters. Découvert par Hamida, Vincent s'est mis à hurler : “ma nourrice va encore m'engueuler... ”, à grimper sur Lise, à s'y agripper violemment. Elle le tenait serré contre elle, pleurant, bavant, pour le calmer. Elle le caressait en disant : “Mais elle n'est pas là, ta nourrice, elle ne le saura pas. Il faut me demander des gâteaux quand tu en veux. J'en ai, tu le sais bien ! Ne prends pas le goûter des autres... etc.”.

et aussi l'expression de la joie

“Pourquoi es‑tu heureuse, aujourd'hui Nathalie ? Viens nous dire la grande nouvelle... ” (Mère partie, puis revenue au foyer).

Et encore, dans la foulée

- remettre une barrette,

- attacher une boucle d'oreilles,

- couper un ongle,

- accepter que Linda mange des bonbons,

- embrasser un doigt meurtri,

-          se laisser tripoter la main, la robe...

mais aussi, ne pas approcher trop près de Jean‑Claude qui est farouche, accepter le mutisme d'Honorine tout en lui souriant, la passivité de Juan Carlos, parler à distance seulement à Maria, dont les yeux seuls vivent...

Avec des visages différents selon les enfants, on peut dire que Lise leur a été présente et attentive affectivement, de façon constante et avec art.

F. Humour ‑ plaisanterie

L'humour ou la plaisanterie sont peu souvent observables dans une relation pédagogique, surtout quand une tierce personne assiste. Là encore, Lise se le permet :

‑ “Et Ali ? Yeux‑bleus‑comme‑ta‑blouse ? ”

‑ Hélène, c'est une croqueuse de bijoux... avec tous ses bidules qui se cassent... la femme aux bijoux”. ‑ Johannes!... Ah Brahms ! Il nous parle de musique !

‑ Linda, “ça” s'appelle un moulin à paroles ! (étude des différents moulins).

‑ C'est la panique ce matin ! Attention je pars vite, je ne suis pas de bon poil... ”

C'est la fantaisie, on est bien ensemble. Lise sait la rayonner.

I. Fernande

La présence de Fernande, tout à fait acceptée par Lise, est aussi remarquable. Elle est un recours pour l'enfant qui a besoin :

‑ Linda, empêtrée dans ses problèmes, va passer l'aspirateur avec Fernande qui l'y invite et la console. ‑ Fernande apporte du cidre, des cerises, sait faire une gelée avec les coings que quelqu'un a apportés. ‑ Elle annonce une nouvelle : “La maman de Nathalie est partie... Les enfants vont aller au foyer” (Nathalie, crispée, ne pouvait le dire seule).

‑ Elle va chercher les lunettes d'Honorine, chez sa mère.

‑ Lise l'appelle même une fois pour faire la discipline à sa place ! (S.O.S. Fernande !).

‑ Quand un événement cité par les enfants lui tient à cœur, elle intervient aussi, donne son avis exceptionnellement (à propos de la défaite de, l'A.J.A. “Non, ils n'ont pas triché, les Nantais !”). Elle est nécessaire, échange aussi (on lui écrira pendant les vacances, à l'hôpital, où elle subit une opération). Elle est active, efficace. Elle a sa place, comme chacun a la sienne. La communication circule, dynamique. Tout le monde est concerné. L'exemple de Fernande, intégrée à ce groupe‑classe, le prouve.

B. Prises de position ‑ avis ‑ jugement

Et pour la fin de ce paragraphe, j'ai gardé, ce qui me semble le plus important. Lise, étant elle‑même à l'aise, souhaitant que les enfants le soient aussi, s'implique comme ou avec eux. Elle prend position sur des sujets cruciaux pour elle et en cela donne sa morale, son éthique. Elle a ce courage et souligne à chaque fois qu'il s'agit de sa façon de penser et qu'elle en a le droit. Ce n'est pas La Morale, c'est simplement la sienne, sa façon de voir les choses. Elle est éducatrice et s'autorise à le dire. Voici quelques exemples :

·         L'araignée... “On ne la tue pas ‑ ce n'est pas une sale bête ‑ pas plus que tu n'es un sale enfant... laisse‑la vivre, elle fait son travail. On verra peut‑être sa toile finie et pourquoi elle la fait. Les animaux ont tous leur place dans la nature, il faut les connaître et on les comprend mieux... Le rat c'est pareil, il se défend... Les serpents, ils sont beaux, je vous apporterai une peau de cobra... ”.

·         L'alcool... “Abîme la santé... on ne sait pas ce qu'on fait... ” (des pères alcooliques terrifient des enfants de la classe).

·         Les majorettes... “J'ai horreur... pantins avec une clé... des robots... un uniforme... un air idiot... des fesses... pas beau pour les enfants”.

·         Les pompiers... “ça porte secours, les gendarmes pas toujours... ”.

·         La liberté... “ne pas mettre les oiseaux en cage... Si on m'enfermait, j'ouvrirais la porte, je forcerais les barreaux, j'appellerais... ” (thème repris plusieurs fois dans l'année, à propos du souhait de Noël, du parachutisme, des voyages, de l'oiseau...).

·         Les Pères Noël... “dans la rue, c'est affreux... du commerce, pas beau... le Père Noël, celui dont on rêve, ça fait du bien, on imagine, on invente... c'est celui‑là qui compte... ”.

·         Je voudrais que vous imaginiez un cadeau plus joli que vos poupées qui marchent et vos play‑big... quelque chose qui rend heureux, qui sera peut‑être tout simple, ou extraordinaire, impossible... je vous dirai ce que j'ai choisi, après”.

·         La violence... “Si tu tues les méchants, tu es méchant, on te tue... ça n'en finit pas ! ”.

·         La pollution... “Ça ne me plaît pas les voitures de course. Je n'aime pas ce qui pollue, ce qui abîme... pas des avions, mais des planeurs,... pas des voitures, mais des vélos, des chevaux ... pas des hors-bord, mais des voiliers, des barques ...

·         Le racisme... “chintock, as‑tu dit ! ... Et franchtock, ça ta plairait ? ... Les Chinois, ils sont beaux, de jolis yeux bridés, de beaux cheveux... ”.

·         L'alimentation... “Marie, tu bouffes encore des cochonneries, du sucre d'orge rose, plein de colorants, en forme de rouge à lèvres, c'est dégoûtant... ton père à tort de t'acheter ça... tu lui diras ! ”.

·         Oui j'ai voté hier ! Pour qui ? Pour Krivine

·         Différence entre les joueurs de foot professionnels et “ceux qui aiment le foot, pour leur plaisir, leur détente... ” et chauvinisme aussi, à cette occasion.

Les enfants entendent tout cela et d'autres choses encore. Elle ne provoque pas. Elle s'exprime. Si un enfant lui oppose des arguments, elle écoute, mais elle a le dernier mot. Tout cela dit de façon passionnée souvent, convaincue toujours. Les enfants enregistrent et disent aux parents “Ils peuvent m'entendre, ils entendent bien la télé ! ”

Lise est donc le chef d'orchestre de ce qui se dit. Tout est accepté et développé, quand on peut, quand on sent, quand elle peut percevoir et apporter.

Au début, je trouvais qu'elle était envahissante, que l'enfant avait peu de place. Mais, jusqu'au bout, les enfants ont apporté beaucoup de matériel, d'informations, de charges émotionnelles et je peux dire que la communication a bien fonctionné entre les enfants et elle, sans cesse (peu entre les enfants eux‑mêmes, malgré des tentatives d'effacement de sa part). La richesse d'échange de ces moments est réelle. Elle tient aux enfants, qui sont les enfants de partout, curieux et désirants ‑ et à la personnalité de Lise qui transparaît à travers ses interventions.

6. La démarche pédagogique

a) Le vécu de la maîtresse

“Dès les premiers entretiens, les élèves manifestaient un enthousiasme certain à deux niveaux : celui d'attendre le lundi, jour où l'on discute, celui d'attendre Jacqueline, c'était très important pour eux qu'elle soit là, comme si, le fait d'écrire ce qui était dit donnait plus de poids à leurs paroles.

Les entretiens se sont déroulés avec plus ou moins de bonheur. Il est vrai que je ne savais pas toujours relever l'intéressant.

Il semble que, petit à petit, les enfants se soient organisés. Certains ont bien compris le rôle de l'entretien. Ils ont découvert les autres enfants, ils ont appris à écouter (auparavant il n'y avait qu'une personne qui écoutait : moi). Ils ont fait un effort certain dans la recherche de ce qu'ils allaient dire pour intéresser toute la classe.

Même les “malheurs” des uns étaient écoutés et pris en charge par d'autres.

Tous les projets, tous les thèmes abordés et relevés ont eu une continuité en classe, d'une manière plus “classique” certes, mais aussi dans le but d'enrichir l'enfant.

Sur le plan affectif, je crois que les enfants se connaissaient mieux, étaient moins agressifs entre eux. Une unité affective s'est faite.

Pratiquement, tous les enfants ont participé”.

b) Dynamique générale

L'ensemble semble donc nettement positif, mais quel en a été le cheminement ?

Après chaque séance, nous nous retrouvions toutes les deux et commentions ce qui s'était passé. Amicalement, mais aussi sévèrement. Lise passait de l'enthousiasme à la critique la plus dure, se contentant mal d'une séance “normale” qui était pourtant la marque d'une étape franchie. Elle aurait préféré la progression constante, c'est‑à‑dire l'impossible.

4 séances en progression constante. On découvre, on fait des hypothèses, on expérimente : démarche dialectique : pratique ‑ théorie ‑ pratique.

1 séance où Lise se pose des questions sur elle-­même, après coup. Lise se décentre et objective mieux ce qui se passe.

7 séances où l'avance est moins aisée. Lise essaie de s'effacer ou affine la conduite pédagogique.

13ème  séance Lise veut s'effacer, donne les rênes à Julia (qui semble la plus mûre). Echec. Elle reprend tout en mains. Pagaïe. Je note : “vide, ennui, fatigue, énervement, peu d'intérêt, pas de projet”. Lise se juge férocement, mais ne se décourage pas.

2 séances avec beaucoup d'échanges, mais superficialité, survol. Fatigue (Lise déménage). Branle‑bas des élections.

16ème  séance Ingrid d'abord, puis Linda, Fabrice et d'autres sont revenus. Ingrid, très présente au groupe, annonce les règles d'entrée et ponctue par : “on va réfléchir”.

(Depuis la 8ème  séance, elle savait dire : “Faut pas dire n'importe quoi”).

4 séances bon climat affectif, mais superficialité. Lise est souvent malade, fatiguée. Des problèmes. “Ça vient de moi”, dit‑elle et, pour illustrer, elle ajoute : “Je ne suis bonne à rien, ça fait 15 jours que je cherche une poésie, je tourne des pages et des pages, je ne trouve rien ! ”. On continue quand même.

2 séances de reprise en mains. Echanges dynamiques, projets. On a bien rôdé les rouages. Des paroles sont dites et entendues. On approfondit.

2 séances, les dernières. Assez excitées. Des événements dans la ville : fête, match, vacances. Lise se laisse aller et reprend le pouvoir ; mais les enfants parlent quand même. Les timides arrivent à s'exprimer dans un climat assez surchauffé.

Il n'y aura donc pas eu d'apogée, mais des fluctuations. Toujours, le climat affectif aura été exemplaire et le mot n'est pas trop fort. Toujours, sauf pour un enfant dont il faut dire deux mots :

Ali, petit turc de 6 ans, maintenu en maternelle à cause de ses problèmes de langage entre autres. Conflit non‑dit entre les parents et la maîtresse. Ceux‑ci voulant apprendre à lire à l'enfant coûte que coûte (achat d'une méthode de lecture pour le travail à la maison). Ali polarisé par cet apprentissage mal fait, pris entre deux feux, veut parler, mais dans un langage peu clair. Ali angoissé. Ali aux fantasmes mal explicités...

Ali au langage fou que Lise ne comprend plus ! Nous en avons parlé toutes les deux. Lise lui a réouvert son oreille et ses bras. “Ali‑yeux‑bleus” a repris sa place parmi les autres, et tout le monde a compris ce qu'il avait à dire.

c) L'action de la maîtresse

En étudiant de près le compte rendu des premières séances (décisives quant à l'orientation générale donnée), on s'aperçoit :

‑ Que ses propositions d'entrée insistent sur l'affectif : on est bien ensemble ‑ dire ses joies et ses malheurs ‑ être heureux ‑ consoler.

‑ Qu'elle attire caresses et cajoleries par ses propres caresses.

‑ Qu'elle écoute profondément chacun, poussant ainsi à écouter.

‑ Qu'elle n'omet pas de faire parler (quand c'est possible) celui ou celle qui n'a pas parlé.

‑ Qu'elle donne plus de valeur à l'émotion racontée, qu'à la relation superficielle d'un événement mineur. ‑ Qu'elle ne sait pas formuler ou faire reformuler ce qui a été dit, mais qu'elle sait le prendre en charge et le dédramatiser.

‑ Qu'elle sait bien faire les différences entre les divers champs émotifs et les faire jouer sur des registres différents : exemple, la famille où les drames se jouent ‑ l'école où l'on peut en parler et tenter de comprendre.

‑ Qu'elle rapporte néanmoins trop à elle‑même les faits et gestes de chacun, se les appropriant ainsi pour parler de ses propres expériences, ce qui est enrichissant certes pour les enfants ; mais aussi captateur et piégeant. Captateur et piégeant dans le double mouvement de la relation ainsi établie.

Il est certain qu'une conscience de groupe s'est établie, mais comme la désirait inconsciemment Lise et non comme aurait pu, peu à peu la construire l'ensemble du groupe.

7. Conclusion

a) Ce que pense la maîtresse

“Les enfants ont appris à dialoguer entre eux. Ces entretiens ont permis d'exploiter des thèmes provenant des enfants eux‑mêmes. Ce qui me paraît essentiel.

Sur le plan affectif, cela m'a permis d'être plus humaine, plus proche des enfants ; de changer mon attitude envers certains.

Je regrette de n'avoir pu, toujours, être disponible, laissant ainsi passer l'important.

J'ai appris :

‑ à mieux connaître l'enfant,

‑ à discerner que quelque chose d'anodin pour moi peut être important pour lui

‑ qu'une maîtresse disponible entraîne forcément un entretien réussi

- qu'un mot “banal”, relevé à bon escient, peut être repris, exploité et donner lieu à des travaux divers.

- qu'on n'a pas besoin d'enfants “doués” ou de milieux dits favorisés pour qu'un entretien réussisse. La richesse affective n'est pas l'apanage d'une certaine classe sociale.

‑ que l'important, c'est écouter et non parler.

‑ que la maîtresse doit avoir, en elle, un capital d'affectivité et de culture.

Je crois avoir appris plus que les enfants eux‑mêmes n'ont appris.

Je pense qu'il vaut mieux s'abstenir plutôt que de rater un entretien.

L'entretien est une activité délicate, mais pleine d'espoir ; difficile, car les personnes sont directement en jeu, sans intermédiaire ; passionnante ; nécessitant “ d'intelligence du cœur”.

b) Ce que je pense

Les lignes précédentes montrent que Lise a progressé, mais qu'elle n'a pas encore mené au bout son autocritique. Elle reste avec son égocentrisme, son désir de plaire. Elle ne pense pas à donner la responsabilité d'entretiens aux enfants, à les laisser s'organiser. Elle garde toujours à l'esprit l'utilisation pédagogique ultérieure du contenu des entretiens.

Mais on peut néanmoins mesurer tout le chemin parcouru.

On voit aussi combien l'entretien est révélateur du pédagogue, de ce qu'il porte : enthousiasme, passion, découragement, culture...de ce qu'il est intelligence, affectivité, socialisation... de ce qu'il vit maladies, problèmes, charges, changements...

Le “travail” se fait avec ce qu'on est, avec ses fibres, ses richesses et ses manques.

Et l'effet de miroir, ce que renvoient les enfants, est sans pitié (cf. le début de ce chapitre).

Lise ne savait pas “terminer” ses entretiens ; c'est‑à-dire faire le point rapidement de ce qui a été dit, voir avec les enfants ce qui fut “intéressant”, “important”.

Lise a transmis ce qu'elle savait : le Petit Prince, Maître Cornille, œuvres d'art, poèmes, contes... Mais les portes s'ouvrent toutes grandes pour puiser aux sources de la culture dont nous sommes trop souvent démunis. On peut différer, bien sûr, c'est‑à‑dire remettre au lendemain, et apporter un savoir, des documents, un disque etc. On le fait couramment.

Mais on peut aussi quotidiennement, entretenir ses connaissances. Pour cela, aller au théâtre, au concert, au cinéma, dans les expositions, lire, écrire, voyager, etc. tout ceci étant aussi important que de “préparer” sa classe.

Je me souviens de cette institutrice qui m'avait choquée, autrefois, en disant : “Je prépare très peu ma classe sur le papier, mais je la prépare beaucoup en sortant de chez moi, en rencontrant des gens, en découvrant des pays et des choses et ça, je me dois de le faire”.

J'ai compris plus tard, qu'elle avait raison.

Lise a pris le risque d'apprendre sur elle‑même, à ses dépens. A la 5e séance elle a dit : “Pourquoi veulent‑ils me plaire les gosses ? ” ‑ Peut‑être Lise veut‑elle plaire ?

Lise s'est vue envahissante. Elle a essayé de changer. Ce n'est pas toujours facile. Ni facile, ni gratifiant. A la 13e séance, elle n'ose plus se raconter, s'exprimer. Elle sollicite ceux qui n'ont rien à dire. Rien ne se passe. Gêne. Des moments de silence alternent avec des moments de désordre.

Il faut donc doser.

De même pour le “pouvoir” qu'elle prend. Quand elle parle, en son nom, de liberté, de violence, de racisme, de qualité de vie, qui peut lui en donner le droit ? Elle se l'octroie, c'est tout.

Mais là aussi, il faut doser. Quel est le pouvoir laissé aux enfants ? Où est le “jeu” permettant aux enfants de s'octroyer quelque chose ?

Se connaître soi‑même apparaît une nécessité. Et cela ne peut se faire seul.

Des questions sont restées sans réponse, des contradictions n'ont pas été résolues. C'est à ce prix que la route du progrès reste largement ouverte.

Chapitre IV : Eléments pour la mise en place d'une pédagogie de l’entretien

1. Place de l'entretien

Une chose est certaine : on ne peut pas parler sérieusement de l'entretien du matin sans faire référence, ni à la pédagogie Freinet, ni à la pédagogie institutionnelle qui avaient, bien avant 1972 (date de l'apparition de cette technique dans les Instructions Officielles), déjà rôdé plusieurs pratiques.

L'entretien y est conçu :

‑ comment moment de transition entre la vie sociale et la vie scolaire,

‑ comme permettant l'entrée de la vie, tant affective qu'informative, dans le cadre scolaire,

‑ comme moment où l'on est bien ensemble, pour dire, se dire et se souder en un groupe homogène, ‑ comme moment fondateur de règles morales et civiques,

‑ comme ouverture vers une réflexion commune, vers un travail commun.

Selon l'importance relative prise par chacun de ces points, l'entretien y est vécu différemment, on n'y dit pas les mêmes choses et on lui donne des dénominations différentes : entretien, causette, “quoi de neuf ?”, actualités, etc.

2. Un moment ouvert sur des possibles

L'entretien ne peut être qu'un moment à l'intérieur d'une pédagogie conçue comme globale. Il ne peut être arbitrairement séparé du reste des activités. Mieux que cela, il est une des activités fondamentales qui' irrigue la vie affective et le travail du groupe.

Dans une telle optique, il n'est jamais clos sur lui‑même. Il ne fonctionne pas à vide. Et il n'y a pas arrêt brutal quand le maître le décide et qu'il veut passer à une autre activité d'un genre totalement différent. L'entretien se termine de lui‑même. Le climat qui s'est dégagé lors de l'entretien reste présent et colore la vie et le travail de la journée.

3. Un début, un contenu, une fin

Un entretien, cela “se termine”.

·         faire le point, avec les enfants, de ce qui a été dit, e où l'on voit que cette sélection est différente pour chacun : diversité des choix, des impacts émotifs,

·         où l'on essaie de se décentrer par rapport au vécu,

·         où l'on apprend à sérier dans son discours en fonction de ce groupe‑là, de ce moment‑là,

·         où l'on fait l'effort d'un choix et d'une cause temporelle,

·         où l'on peut demander à prolonger un thème,

·         où l'on s'organise pour le travail.

Il faut du doigté pour terminer un entretien, principalement quand des choses importantes ont été échangées.

Il peut être nécessaire alors de posséder une panoplie de “recours” pédagogiques :

- un chant, un poème, un disque...

- des “ouvertures” diverses : imagination, rêve, etc

- des paroles “apaisantes”.

4. Autres lieux de parole

Il y a d'autres lieux de parole dans la classe. Les principaux en sont : le conseil de coopérative, la correspondance interscolaire, les débats, etc. Ceci est important pour l'équilibre de la classe. Tout ne se dit pas n'importe où, n'importe quand, n'importe comment. Des règles de groupe, des règles de parole s'élaborent peu à peu. Des lois. Des “techniques de vie”. Ceci relativise aussi les impacts affectifs. Il peut y avoir des entretiens plats, ce n'est pas dramatique. Comme il peut y avoir des conseils de coopé denses.

5. Définition

L'entretien, c'est parler de quelque chose à quelqu'un. C'est écouter quelqu'un et recevoir quelque chose (ce n'est pas ne rien dire à quelqu'un qui n'est pas là). L'entretien a une fonction : parler, se parler. Un but : s'aider, partager. Une ouverture : mieux connaître, se mieux connaître.

Le reste est un ensemble d'appropriations différentes donnant les divers visages des entretiens. Y entrent en interaction, pour peu que le maître le veuille bien, la personne du maître, celle de chaque enfant, celle du groupe quand elle existe,

6. Fonction instituante

L'entretien a aussi une fonction instituante. Ceci est peut‑être le plus important pour qu'il puisse se fonder dans une pédagogie globale, pour que puissent s'élaborer les règles de vie originales de ce groupe‑là.

Pour ceci, il doit être entouré d'un certain rituel : ‑ régularité : hebdomadaire, journalier... avoir lieu au même moment de la journée, de préférence le matin en arrivant,

‑ confort de tout le monde,

‑ liberté d'installation, de dire, de ne pas dire, d'écouter, de ne pas écouter, de faire autre chose (sans déranger), etc.,

‑ lieu approprié si possible.

Au début, la part du maître doit être importante pour créer le climat, mettre en valeur, aider, relancer.

Mais peu à peu, cette influence doit se faire de plus en plus discrète et profiter du jeu ainsi créé pour laisser les enfants prendre des initiatives tant sur le plan organisationnel, que sur celui du contenu, que sur celui du suivi.

Peu à peu les enfants doivent pouvoir prendre et donner la parole, formuler des règles de fonctionnement.

Corrélativement à ceci, une nouvelle donnée se fait jour : celle du temps.

Il faut du temps pour qu'un groupe se constitue. Ce temps ne peut être celui du maître (de ses désirs, de son impatience).

Ce temps est une gestation. Il y aura des marches en avant, il y aura des reculs. Il y aura des prises de conscience, et des moments d'oublis.

Ce temps ne dépend pas seulement de la personne du maître, ni même de celle de chaque enfant ici présent avec ses déterminismes et ses libertés.

C'est le temps de ce groupe‑là qui se construit peu à peu avec les individus qui sont là, avec leurs appétits et leurs refus. Le maître en fait partie et s'il veut que ce groupe‑là acquière une existence singulière et originale, il lui faudra apprendre la patience et résister au découragement.

La qualité d'un groupe ne peut se mesurer à l'aune du maître mais seulement à celle de l'authenticité d'échanges et du bonheur d'être ensemble.

7. Lieu d'où surgit la motivation pour le travail

Il n'est pas question bien sûr d'utiliser l'entretien à des fins sévèrement didactiques.

Ce n'est pas un moment de langage, mais un moment de parole.

Il ne s'agit pas de corriger une phrase incorrecte, mais d'aider à la perception de cette incorrection.

On peut néanmoins reformuler correctement en renvoyant au groupe.

On peut noter les incorrections et en reparler à un autre moment de la journée.

L'entretien sera alors plus riche, plus ouvert, il contiendra nombre de questions qui pourront rester en suspens. Il suffira de s'organiser pour qu'elles ouvrent sur des travaux, des recherches, etc. aboutissant à diverses réalisations : conférences d'enfants, débats, envois aux correspondants, utilisation dans le journal scolaire, albums...

Cette ouverture vers un travail réellement motivé parce qu'issu directement du désir et des interrogations enfantines est une nécessité si l'on ne veut pas voir l'entretien se dessécher et se clore de lui‑même.

Il est tellement navrant de voir ces monologues où de petites mécaniques récitent toujours les mêmes stéréotypes bêtifiants (eh ben moi, ma maman elle a fait ... ) en attendant tristement d'écouter une leçon ou de faire un exercice.

Si les rapports maître‑élèves peuvent et doivent changer, il est de même certain que l'appel au grandissement et à l'effort est général chez tout enfant.

Aussi le travail conçu comme un dépassement de soi, comme une solution aux interrogations vives de chacun est‑il à la fois un moteur puissant et naturel. On ne travaille plus parce qu'on y est forcé, mais parce qu'on en a envie.

C'est le sens que donne Freinet à l'éducation du travail.

8. Qualités sensibles

Les qualités premières de l'enseignant découlent de ce qui vient d'être dit : disponibilité, écoute, sensibilité, amour des enfants. Savoir organiser. Ouverture vers la culture et l'humain.

Le savoir n'est pas une donnée en soi, figée ; il est à remettre en question chaque jour. C'est plutôt d'un appel au savoir dont on a besoin.

Tout ceci n'étant pas conçu comme qualités innées, mais comme qualités s'apprenant, se perfectionnant.

9. On ne progresse pas seul

Se fait jour maintenant une nécessité : l'éducateur, s'il veut progresser, ne peut rester seul.

‑ Appel constant vers un élargissement de sa culture. ‑ Confronter ce qu'il fait avec ce que font d'autres éducateurs.

‑ Militer au sein d'un groupe ou mouvement pédagogique.

‑ Admettre des observateurs dans sa classe.

‑ Rôle que peuvent jouer des psychologues ou des sociologues.

‑ Apprendre ce qu'est la communication par un vécu personnel : participer à des dynamiques de groupe, des séances de psychodrame, etc.

10. L'authenticité et le don

Etre authentique, si l'on veut que les enfants le soient. Donner quelque chose de soi aux enfants si l'on veut qu'ils se donnent les uns aux autres.

Ces deux qualités ne sont certes pas seulement nécessaires au moment de l'entretien ; mais c'est peut‑être là où elles deviennent primordiales, puisque c'est à ce moment que l'on travaille “sans filet” où seulement des personnes sont en jeu, avec cet immatériel et irremplaçable outil humain : le langage.

Cette étude est imparfaite par bien des côtés, et déjà par celui de la rigueur scientifique, mais nous avons seulement voulu analyser quatre “cas”. Chacun se situera par rapport à eux.

Elle est, de plus, incomplète puisqu'elle ne se fonde que sur une tranche d'âges allant de 5 à 8 ans. Mais le débat reste ouvert et nous serions heureux de coopérer à une recherche complétant celle‑ci.

Ce que nous désirons, c'est réhabiliter l'entretien du matin. Galvaudé, utilisé souvent sans discernement et sans envie, dévoyé de sa destination fondamentale, récupéré par la scolastique, il est et doit redevenir : ‑ le pivot d'une relation où échangent des personnes et non des pantins ;

‑ le ferment d'une éducation du travail authentiquement désirée par chacun ;

‑ le lieu où s'élabore un esprit de groupe fait de chaleur humaine et d'échanges vrais.

Bibliographie

Peu de choses ont paru sur l'entretien. A notre connaissance, aucune étude n'en a été faite. On y trouve néanmoins des références précises dans L'Ecole Moderne Française de C. Freinet. L'Education du Travail de C. Freinet. L'Enseignement du Français à l'école élémentaire de L. Legrand.

On trouvera aussi des témoignages, des réflexions dans : Les diverses publications de l'I.C.E.M. L'Educateur, Les documents sonores de la B.T. Le livre de F. Oury : “De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle”.


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