Bibliothèque de Travail et de Recherches n°33-34
Mars 1979 Aspects de la
vie affective et du dessin de lenfant
Essai de psychopédagogie à lEcole Moderne (techniques
Freinet) Maurice Pigeon |
|
télécharger le texte (RTF compressé) |
SOMMAIRE
Laffectivité à
lEcole Moderne
Le dessin et la sensibilité
Bibliographie
Lenfant, ses problèmes et leur représentation graphique :
Témoignage
dépanouissement physiologique et affectif
Le dessin, traduction dun
sentiment dinsécurité agressive, de culpabilité ou reflet dun style
déducation
Evolution dun sentiment de
jalousie chez un jeune enfant
Expression transitoire dun
vif sentiment de frustration affective
Traumatisme sexuel incestueux
chez deux surs
Liquidation partielle dune
série de situations anxiogènes chez un jeune garçon
Instabilité et fugues chez un
jeune anxieux
Suite dobservation sur
Pierre T.
Une expérience vécue
ailleurs
Pour terminer
Complément bibliographique
chronologique
Encore tout jeune instituteur chargé dune école à classe unique en Pays de Retz (Loire Atlantique actuellement), avec une petite vingtaine de garçons de quatre à douze-treize ans, je me suis tourné à partir de lannée scolaire 1933-34 vers lexpérience de lEcole Moderne menée par C. Freinet et Elise. Pour travailler dans des conditions favorables, javais appelé les parents de mes élèves à des réunions régulières. Ainsi étaient-ils informés de notre orientation éducative et associés à un effort de rénovation pédagogique, pour eux insolite au départ. Il nétait, dès lors, guère de joies, dévénements heureux ou pénibles dont on me faisait part, guère de difficultés scolaires et autres que nous ne tentions de résoudre en commun. Aussi je me suis senti, le plus souvent de plain-pied avec lintimité de la vie affective de mes élèves.
Et je nai pas manqué dêtre frappé avant
même de les analyser, puis de les interpréter par leffet produit sur le
comportement global des enfants, sur le retentissement scolaire, voire sur létat de
leur santé par les troubles affectifs, les échecs, certains événements familiaux puis,
plus tard par les désarrois de la guerre 1939-1945.
Les techniques dexpression libre, plus singulièrement
le dessin se sont vite imposées à nous comme des moyens de choix permettant de
passer de la compréhension intuitive et empirique des enfants, à une connaissance plus
précise, plus affinée, plus efficace quant au projet éducatif. En se renouvelant, en
séclairant de cette manière, la psychologie de lenfant, théorique et terne
du programme des Ecoles Normales des années 1920, simposait à nous comme un outil
magistral et indispensable désormais.
Après treize années de pédagogie Freinet dans une petite
école rurale, treize années de réflexion souvent enthousiaste, mon expérience
sest mieux assise, approfondie, élargie dans ses perspectives à la faveur de
situations offertes. Dabord au Centre
Sanitaire Scolaire de la Turmelière en Liré (Maine-et-Loire) (Il s'agit du
"Petit lycée" de Joachim du Bellay; Le domaine de la Turmelière; acaheté par
la Fédération des Amicales Laïques de Loire-Inférieure comprend les écuries du
château de du Bellay)) dont on mavait confié la mise en route et la Direction
Générale au lendemain de la Libération. Là, de rudes contacts avec démouvantes
ou sordides réalités, mont amené à découvrir des vérités parfois
inquiétantes au cours de quatre années, sur le malmenage de lâme enfantine.
Léquipe des enseignants tout entière, avec laccord de ladministration
académique et sur ma demande, appartenait au groupe Freinet (1946-1950).
Ensuite, à Nantes, la Direction dune Ecole à treize
classes, école excentrique à la fois par sa position suburbaine et par le caractère
particulier dune solide minorité de sa clientèle (forains, nomades, gitans,
enfants dune zone « bidonville ») ma proposé de fréquents et
parfois pénibles problèmes.
Cependant quen 1951, ma nomination comme Juge-assesseur
titulaire auprès du Tribunal départemental pour enfants et adolescents
moffrait un champ extraordinaire dinvestigations, grâce à quoi jai pu
entrer en relation directe avec de jeunes délinquants dans des Centres daccueil et
dobservation, parfois même à la Maison darrêt. Il ma été loisible
détudier de très nombreux dossiers, dy relever les éléments
denquête sociale, dexpertise psychologique et de noter comme un leitmotiv la quasi
permanence du facteur affectif perturbé dans la genèse de lacte délictuel.
De près ou de loin, jai suivi lévolution de certains de ces adolescents,
entretenant parfois des relations amicales durables.
*
Depuis 1961, mes rapports avec la pédagogie praticienne se sont
radicalement modifiés du fait de nouvelles situations : direction pédagogique du
Centre médico-pédagogique Henri Wallon, direction des études C.A.E.I. au Centre
Régional de pédagogie spéciale à lEcole Normale de Nantes, chargé de cours en
section de psychologie à la Faculté de lettres, enfin chargé de cours en section
dorthophonie à lU.E.R. de Médecine et techniques médicales. Désormais les
observations se faisaient rarement « en direct ». Elles prenaient fond sur les
recherches détudiants dont beaucoup ont tracé des pistes intéressantes pour se
concrétiser en un certain nombre de Mémoires de fin détudes universitaires. Presque
toujours et presque partout laffectivité dominait les tableaux tant dans
le domaine de linvestigation que dans celui de la thérapie éventuelle.
Pour terminer, je naurai garde domettre mon rôle de
père de famille, puis de grand-père. Je me suis constitué une collection de dessins de
mes enfants et nenrichis celle de mes petits-enfants qui ne me privent guère de
leurs productions.
*
Puisse cette B.T.R. susciter des observations nombreuses de
recherches originales et plus approfondies à partir de matériels graphiques récents
obtenus suivant des perspectives différentes et plus originales. A la suite, par exemple,
des travaux de Roland Barthes sur la sémiologie ou de Panofsky dans ses essais
diconologie.
Décembre 1977
Avant
de les comprendre, il ma fallu réunir et étudier de nombreux dessins de mes
élèves. Cest ainsi que,
spontanément, jai employé une technique sapparentant à la méthode
biographique.
Tous
les jours, pendant des années parfois (lorsque jenseignais dans mon école à
classe unique de campagne), jai recueilli les dessins fournis par chaque enfant.
Puis je les classais dans le dossier réservé à chacun, au fur et à mesure de
lexécution, ayant noté la date, les circonstances, et surtout le commentaire
verbal. Le dossier portait mention de la date de la naissance, la situation des parents,
lexistence de frères et de surs, la place de lenfant dans
léventuelle fratrie et quand javais pu les connaître, les phases de
lévolution du développement psycho-moteur avec ses particularités.
Le soir, dans le calme, jai rarement manqué de revoir les
dessins de la journée, de les comparer à ceux déjà réalisés, de noter les rapports
que javais pu remarquer entre la vie psychique dans son déroulement et le tracé
graphique. Jen ai tiré des conclusions souvent utiles sous langle éducatif
personnalisé.
Comme il sest toujours agi denfants de ma propre
classe ou denfants avec qui je me trouvais en contact familier et confiant, que je
les avais vus dessiner, cette technique na pas connu lerreur quon lui
a reproché à juste titre lorsque lexpérimentateur doit réagir sur des
résultats acquis hors de sa présence, sans quil ait pu avoir connaissance des
circonstances extérieures déterminantes ni de la verbalisation des dessins.
De plus, mes élèves, mes jeunes amis, mes propres enfants, ont
dessiné pour leur plaisir. Ils ont ainsi
ignoré la situation « face à face » dun examen psychologique avec ce
quelle comporte dangoissant. Le cadre et le climat affectif dune classe
Freinet constituée en un collectif établi sur des pratiques de liberté,
dexpression médiate et de coopération vécue, permettent déviter un
achoppement majeur en matière de psychologie de lenfant : la situation
artificielle.
Linterprétation des tracés et des contenus manifestes de nos jours on parlerait en termes de traitement de linformation se réalisait en fonction dune série de dessins du même enfant. Il sagissait de saisir les modifications de structure, de forme, de contenu témoignant de la modification de la situation vécue par lenfant, même fantasmée inconsciemment en sintériorisant.
Lanalyse systématisée dun dessin unique peut
présenter un extrême intérêt pour le psychologue spécialisé. Elle net pas à
la portée de lenseignant sil na pas été formé à cet effet.
Dans une classe Freinet, il ne saurait dailleurs être question dappréhender les production grapho-plastiques des enfants à la manière de tests, même expressifs. Cest pourquoi cette B.T.R. ne comportera aucune indication méthodologique comme on en trouve en particulier dans le C.A.T. ou le T.A.T. ou le 3Patte noire » du docteur Louis Corman.
Le classement biographique paraît suffisant. Il permet à
lil affectueux et vigilant dacquérir et daffiner, suivant son
propre processus tâtonné, une riche expérience sans risquer des interprétations
sauvages fâcheuses qui pourraient, par maladresse, provoquer de véritables désastres.
En ce qui me concerne, les conclusions interprétatives sont
toujours demeurées rigoureusement discrètes et à mon seul usage.
Une trentaine dannées dobservations lucidement vécues mont permis, sa,ns intention investigatrice, le plus souvent grâce à des suites de dessins dexpression libre éclairés par leur verbalisation :
1 de mieux situer un enfant dans son milieu familial
(ou le substitut du dit milieu), donc de mieux comprendre le sens de ses réactions et de
certaines de ses conduites,
2 de percevoir lorigine des blocages, des
tensions affectives, des perturbations se développant à bas bruit ou par explosions
brutales.
3 de vérifier la dédramatisation fréquente, la
liquidation plus ou moins complète des tensions et des conflits.
*
Même si la documentation iconographique présentée dans la seconde partie paraît « dater » aux yeux de certains, de nouvelles expériences dans le sens de la recherche devraient permettre, dans la perspective et sous léclairage de la pédagogie Freinet de lEcole Moderne, létude critique des conclusions précédentes abordées cette fois comme des hypothèses de travail.
Pour le lecteur soucieux dune définition de
laffectivité dense et claire à la fois, celle que propose Philippe Malrieu dans
son petit ouvrage « La vie affective de lenfant » édition du Scarabée
1956, devrait simposer. Elle sénonce comme :
« un système complexe de régulations complémentaires où la disposition à souvrir aux influences du milieu et le repliement sur soi, limpulsivité et la passion alternent en fonction des états psychologiques et des stimulations du milieu ».
Disciple dHenri Wallon, Philippe Malrieu accorde une
importance capitale aux émotions dans le processus éducatif. Et, bien que peu
intéressé par les thèmes psychanalytiques, il retrouve un des soucis marquants de Bruno
Bettelheim qui assure que si lécole traditionnelle transmet des connaissances, elle
échoue totalement sur le plan émotionnel. (cf. Le Monde de lEducation n° 22 Nov.
76).
Freinet na pas manqué dintroduire intuitivement,
puis logiquement, la dimension émotive dans la pédagogie de LEcole Moderne.
Charles Baudouin, dans « LAme enfantine et la psychanalyse » Edition
Delachaux-Niestlé (1951) rappelle à ce propose que, vers 1931, il était déjà en
relation avec Freinet qui cherchait quelques applications des connaissances
psychanalytiques à léducation scolaire.
« Lessai de psychologie sensible appliquée à
léducation », édité en 1950, au cours de ses dix-sept chapitres manifeste
le souci constant de Freinet de fonder sa thèse en termes dynamiques. En particulier, il
rejette « le schéma unilatéral, labstraction métaphysique pour faire surgir
de linstant vécu le processus historique dans son double aspect individuel et
social ». Suivant un aspect relationnel et affectif, deux des principes énoncés
dans louvrage attirent lattention.
Celui de lexpérience tâtonnée où la mère, au
contact de son bébé, se place sur un plan privilégié : « Lenfant, mû
par ses besoins, tâtonne pour les satisfaire. Si la mère aide à la satisfaction de ces
besoins, il sera orienté vers une solution réussie qui aura tendance à se répéter, à
infléchir le comportement et à sinstaurer en règle de vie. Si au contraire, la
mère refuse à être loutil docile aux désirs de son enfant, celui-ci devra
tâtonner à nouveau vers dautres recours. »
Second principe retenu ici : celui des « recours-barrières ».
« Tout le secret, tout lart, toute la science de la formation éducative
résideront dans la fonction favorable de ce que nous nommerons les
recours-barrières ».
Par recours, Freinet dit laide volontaire ou
inconsciente quapporte à lêtre jeune le milieu éducatif en vue dune
action entreprise. En revanche, les barrières jalonnent les expériences vécues
et limitent dans une mesure satisfaisante les actions estimées dangereuses ou
prématurées par le milieu éducatif, « accommodantes et familières, elles ne sauraient boucher la vue sur
des horizons apaisants et prometteurs ». Elles autorisent, éventuellement, ces
petits écarts qui ne portent pas à conséquence et qui nen sont pas moins
démouvantes échappées.
Toute luvre pédagogique de Freinet, tout
lapport considérable dElise, celui de ses « compagnons » de
lEcole Moderne attestent que léducation, singulièrement celle dispensée par
lécole, doit établir son accrochage sur un mode affectif. « On ne fait pas
boire un mulet qui na pas soif », assure Aristide, un des personnages du film
« LEcole buissonnière ».
Par parenthèse, on entrevoit dès lors limportance et la
délicatesse du rôle de léducateur et de sa personnalité dans le schéma
dynamique relationnel « enseignant-enseignés ». Les journées détudes
des 19 au 21 mai 1966, organisées à Paris à loccasion du Xxème anniversaire de
la Création des Centres Médico-psycho-pédagogiques ont projeté un très vif éclairage
sur les relations affectives enfants-éducateurs grâce aux témoignages bien fondés de
plus de cinquante intervenants hautement qualifiés.
*
Ainsi, dun simple point de vue éducatif, la psychologie
moderne considère quà côté des éléments intellectuels, le facteur
« maturation », et des éléments affectifs interviennent en jouant un rôle
considérable dans tout processus dapprentissage. Le succès ou léchec des
efforts dans un domaine ou dans une situation, les réactions du milieu à cette occasion
exercent sur lenfant une influence dordre affectif qui colore non seulement
lexpérience du moment mais qui nuance son attitude ultérieure à lendroit de
nouveaux efforts, pour de nouvelles expériences.
Tout au long de la vie de lenfant, puis de
ladolescent, on retrouve linfluence de laffectivité.
Dès 1909,
linspecteur général Quénioux, rédacteur des programmes et instructions se
rapportant au dessin insistait sur laspect du dessin à lécole primaire comme
facteur de culture et comme stimulant pour le jeu normal de limagination et de la
sensibilité. Tous les moyens doivent être mis en uvre pour favoriser
« linstinct qui pousse les enfants à dessiner ». Et librement.
Cela allait de soi pour Monsieur Quénioux en 1909.
Moyennant
quoi, ajoutait-il, un maître « connaîtra mieux ses élèves après que ceux-ci
auront dessiné en liberté. Le dessin dimagination est une contribution de premier
ordre à ce quon appelle la psychologie de lenfant ». Il nest pas
sûr que ces Instructions officielles aient été suivies avant Freinet et Elise !
Pourtant les textes du 27 juillet 1909 rejetaient « toute pédagogie étrangère au
dessin lui-même qui, sous prétexte daider lil et la main, endort
lun et lautre, engendre la routine et rend mort-né le plus vivant des
enseignements ».
Freinet et
Elise ont affirmé, de leur côté, que le dessin et la peinture sont lexpression
plastique dun langage particulier à lenfant chez qui le besoin relationnel et
expressif est une caractéristique essentielle. Surtout par des images médiatrices de sa
situation vécue. Nous aurons loccasion de revenir là-dessus dans la seconde partie
de cette présentation.
Des auteurs
sérieux, comme Marthe Bernson par exemple,
ont étudié lévolution graphique « du gribouillis au dessin ». Pierre
Naville perçoit la même évolution « de la tache au trait » dans ses notes
sur lorigine de la fonction graphique. Pour lui, cette fonction
senracinerait plus profondément encore que le langage dans les potentialités
de lêtre humain. Hypothèse hardie qui semblerait confirmée dans les conceptions
de la motricité affective présentées par Henri Wallon et par les travaux de jean Piaget
sur la représentation spatiale.
Autrement
dit, il ne serait sans doute guère hasardeux davancer que lévolution du
graphisme enfantin, du geste à la tache, de la tache au trait, témoignerait des lents
avatars de la sensibilité, dabord pensée aveugle et immédiate (A. Burloud) vers
la pensée intellectualisée et son expression.
En tout
cas, si le milieu des adultes ne marque aucune attention au dessin de lenfant, non
perçu comme un langage, comme une information chargée de sens pour la communication, ce
mode expressif est abandonné. Au contraire, un accueil favorable suscite un encouragement
qui se traduit par de nouveaux graphismes souvent offerts en oblation. Dans la pratique,
lenfant, même déformé scolastiquement et dont les dessins ont été rebutés par
les grandes personnes conserve avec ses camarades ce mode irremplaçable dexpression
dans les jeux.
Par
parenthèse, il semble nécessaire de rappeler que si, depuis près dun siècle,
notre monde occidental interroge le dessin enfantin avec une curiosité croissante, cela
tient pour une part à la naissance et au développement de lindustrie du crayon au graphite et du papier à un relatif bon
marché. Auparavant, les graffiti muraux «étaient détruits, effacés par le frottement,
par le vent ou la pluie presque aussitôt réalisés.
Pour
senrichir, le dessin doit avoir dominé les acquisitions précédentes, les avoir
intégrées, automatisées. Pareille maîtrise nest pensable que dans un milieu
affectivement et intellectuellement riche favorisant la traduction des besoins
dexpression de la sphère affectivo-émotive et intellectuelle.
Une
éminente psychanalyste, J. Favez-Boutonnier expose dans son petit ouvrage sur « Les
dessins des enfants » les qualités spécifiques quelle reconnaît au dessin.
Et parmi celles-ci :
-
le dessin est une expression directe qui
touche lenfant ;
-
il peut exprimer symboliquement et de
manière moins évidente les intérêts affectifs de lenfant ;
-
en dessinant, lenfant représente ce
qui fait lobjet de son désir ou de sa peur, il en devient en quelque sorte
lauteur sous une forme dont il et maître
En particulier, le dessin permet
de reproduire, en les maîtrisant des
situations marquantes, de renouveler le triomphe ou de dominer progressivement
langoisse.
Un autre spécialiste, Ernest Boesch, assure que le dessin est un médiateur, il établit une distance propice entre lenfant et ladulte compréhensif. Dans la classe coopérative Freinet, maître et enfant devant la production graphique de celui-ci, ne sont pas « objet » lun pour lautre. Ils ont précisément, un commun intérêt, le dessin, à partir duquel la verbalisation sorganise, généralement utile sinon indispensable pour une bonne compréhension des éléments.
En 1927, Sophie Morgenstern élève du docteur Georges Heuyer,
obtenait la démutisation dun garçon de onze ans Robert. Le dessin constituait
lessentiel de la cure psychanalytique. A lorigine de la thérapie, la
contribution du dessin fut précieuse car il constituait le seul moyen de communication et
de contact entre le médecin et son jeune malade.
Cest que, suivant Madeleine Rambert, « le dessin
nest pas seulement un moyen dexpression ; il facilite la prise de
conscience des conflits ; il permet de plonger plus profondément dans
linconscient de lenfant ; il favorise labréaction de
laffectivité ; il permet une catharsis surprenante
(1) »
En somme, le dessin libre nexprime pas seulement
lintelligence mais une prise de position affective, et à ses vertus sajoute
une fonction capitale : une fonction de libération, une sorte
dextraversion médiatrice communicable à autrui. Les difficultés, les conflits, les blocages, sobjectivent. Très
gonflés en valeur subjective, ils samenuisent en se transposant et finissent par
être acceptés comme banals au contact des autres membres de la classe coopérative,
eux-mêmes confrontés à leurs propres problèmes.
« Cette psychothérapie graphique entraîne des
conséquences importantes en ce qui concerne le travail scolaire et contribue ainsi à
lamélioration de lensemble du comportement et des relations de lélève
avec ses éducateurs » (Georges Mauco)
Dans les classes Freinet, lenfant dessine spontanément. Si
parfois sorganise une psychothérapie elle se produit en dehors dun système
conçu en fonction dun but à atteindre. Elle ne saurait être cherchée et
poursuivie en tant que telle. Pourtant, il arrive quon en observe les heureux
résultats.
*
En bref, cette première a souhaité rappeler très succinctement
limportance déterminante de laffectivité dans le développement de
lenfant. Puis préparer la série de témoignages sur la valeur connotative des
représentations dessinées, significatives de la personnalité dès lors quelles
ont lobjet dune observation continue. Pragmatique, lenseignant peut
fonder sa quête sur ces donnée simples en attendant que la sémiologie mette à sa
disposition des principes constitués scientifiquement.
(1)
Termes de la psychanalyse
classique :
·
Abréaction : Décharge émotionnelle
par laquelle un sujet se délivre dune émotion ancienne, dun choc ancien,
auquel il na pas réagi complètement sur le moment même.
· Catharsis : Etymologiquement, signifie « purification ». Dun point de vue psychothérapique la catharsis désigne leffet salutaire obtenu à partir de certaines techniques.
BIBLIOGRAPHIE DE LA PREMIERE PARTIE
- F. L. MUELLER
La psychologie
contemporaine
Edition
Petite Bibliothèque Payot 1963
- S. FREUD
Psychanalyse. Textes choisis
Edition
P.U.F. Collection S.U.P. 1967
- C.C. JUNG
Lhomme
à la découverte de son âme
Edition
Petit Bibliothèque Payot 1962
- André BERGE
Léducation
sexuelle et affective
Edition
du Scarabée 1954
- Georges MAUCO
Education de
la sensibilité chez lenfant
(Essai sur
lévolution de la vie affective)
Edition Editions Familiales de France
1950
- Georg GRODDECK
Le livre du
Ca
Edition N.R.F. Gallimard 1973
- A. BURLOUD
Psychologie
de la sensibilité
Edition
A. Colin 1954
- R. MUCCHIELLI
Philosophie
de la médecine psychosomatique
Edition Montaigne-Aubier 1961
- Jean PIAGET
La
relation entre laffectivité et lintelligence dans le développement mental de
lenfant.
Edition Centre de documentation universitaire Paris 1954
- Ph. MALRIEU
La vie
affective de lenfant
Edition du Scarabée 1956
- Pierre FEDIDA
Dictionnaire
abrégé, comparatif et critique des notions principales de la psychanalyse
Edition Larousse 1974
- Norbert SILLAMY
Dictionnaire
de la psychologie
Edition Larousse 1967
etc.
LENFANT, SES PROBLEMES ET LEUR
REPRESENTATION GRAPHIQUE
Témoignage dépanouissement physiologique et affectif
Annick 10 ans
Milieu familial :
père : paresseux, ivrogne, brutal ;
Mère : médiocre ménagère, souvent battue lorsque le mari est ivre ou
lorsquelle lui refuse de largent pour se rendre au café.
Un petit frère, encore bébé, de 15 mois.
Toute la famille sentasse dans une seule pièce sordide.
Cest la misère.
Jusquà présent, Annick, enfant maigre, sous-alimentée
et mal alimentée na pas souvent mangé à sa faim.
Elle a manqué lécole. Son retard mental de deux ans
environ est dû à la pauvreté dapport du milieu y compris du point de vue
nutritif, et il saggrave dun gros retard scolaire. En éducation physique sa
fiche porte lindication « à ménager ». Arrivée au Centre de la
Turmelière le premier octobre 1947. Elle dessine avec plaisir, au sein dune classe
Freinet.
Examen dun choix de dessins : voir à
partir de la page 36.
10 octobre 1947 :
(fig.1) La maison présente une « transparence » normale chez des sujets
beaucoup plus jeunes.
Cette transparence met en évidence deux tables chargées de
plats. Les chemins montants, coudés à angle droit de part et dautre de la maison,
sont barrés à leur extrémité. Sur la maison trois cheminées qui ne fument pas. Un
soleil incomplet à gauche, et un quartier de lune à droite, quelle dit avoir
dessinés « comme ça, pour samuser ». dans la partie inférieure, un
bateau a été fait parce que, explique-t-elle « il faut pêcher du poisson pour le
mettre à cuire ». Ce bateau est identifié français par un drapeau
bleu-blanc-rouge. Apparemment, il y a simple juxtaposition déléments
hétérogènes. La verbalisation rend son unité à lensemble et marque combien
lenfant est attentive à la faim quelle a connue. Elle assure quelle ne
veut plus retourner dans sa maison parce quici elle mange bien et quelle aime
Madame C. la cuisinière du centre. Les
chemins barrés, notés plus haut, matérialiseraient-ils ce refus de retourner dans ce
foyer quelle vient de quitter ? Pourtant elle écrit gentiment à ses parents
et dit souhaiter les revoir.
22 octobre 1947 : (fig.2)
Encore une maison. Celle de sa tente, beaucoup plus belle et
confortable que la sienne, dit-elle. Il y a, à la fois, « transparence »,
« rabattement » et « mélange des points de vue » (Eléments
de la terminologie de G.H. Luquet dans son ouvrage « Le dessin enfantin »
Edition Felix Alcan 1927). Deux tables avec « des
bonnes choses dessus ». La cheminée fume modestement. Des fleurs égaient la
pièce. A droite et en bas, Annick dit avoir dessiné un lit. Celui de sa sur
Jacqueline « qui est morte ». Le dessin présente une certaine unité. Il est
chargé daffectivité car la maison appartient à cette tante quelle aime
beaucoup et il lui a permis de rappeler le souvenir de cette sur défunte. Sans la
verbalisation, rien naurait laissé soupçonner limportance de la charge
affective. Les fleurs cependant aident à une bonne impression densemble.
12 novembre 1947 :
Le dessin de ce jour met en vedette sur la table une bouteille qui voisine avec les plats.
Annick présente la chose comme une plaisanterie. Ce sera, de tout son séjour, la seule
manifestation précise de son passé.
17 novembre 1947 :
Des personnages commencent à sinscrire dans les dessins libres dAnnick. Elle
dote de ventres énormes « ils ont bien mangé » dit-elle. Le thème se
modifie peu. Lexpérience quelle a souffert la marquée. Elle et encore
très « digestive ».
8 décembre 1947 :
La fillette, triste, ne cherche pas à dessiner. Hier, jour de visite, personne nest
venu la voir. Elle a su par une carte hâtive de sa mère quil ny avait pas
assez dargent à la maison pour entreprendre le voyage. Mais la carte porte la
promesse que le père et la mère participeront à la visite prochaine.
9 décembre 1947 : (fig.3)
toujours fidèle au même thème et aux mêmes symboles,
Annick dessine encore sur la maison trois cheminées (elles fument cette fois), puis un
soleil radieux et un quartier de lune. Les personnages sont le père et la mère. Lui est
curieusement festonné et embelli, malgré lindication agressive des dents. Toute la maison et les fleurs qui la décorent
sont ainsi enjolivées. Cette expansion du tracé, cet enjolivement par le trait et par la
couleur, louverture du chemin qui mène à la maison, tout indique que, malgré la
déception de lavant-veille, Annick a retenu la promesse, quelle transforme
déjà en une joie prochaine. Sur le plan physiologique et affectif, elle sest
elle-même transformée, étoffée, personnalisée.
12 décembre 1947 : (fig.4)
Aujourdhui, la feuille est trop petite pour exprimer
toute la joie de la fillette. Il sagit encore dune maison. Mais les
personnages sy trouvent à labri. Malgré sa misère passée dont le souvenir
à peine amer samenuise à cause du bien-être présent et de lespoir dont
elle se sent assurée, le dessin affirme une nouvelle Annick optimiste. Ses personnages
sont souriants. Lensemble concourt à montrer quelle reste attachée au
plaisir jusque-là inconnu « dêtre à table », quelle sest
adaptée à un climat éducatif esthétique auquel elle est sensible. Il est amusant de
constater quelle a signé son oeuvre en bas et à gauche, en lagrémentant du
feston qui traduit son épanouissement.
*
Pour Annick, le dessin est parfaitement ce « compte-rendu
affectif-actif qui exprime son contact avec le monde et avec les autres »
(Merleau-Ponty). Il traduit ladaptation de lenfant à son milieu
nouveau ; il lui a permis de conférer, de façon en quelque sorte magique, la
possession dune maison agréable, avec une table toujours bien garnie.
Le dessin apporte le témoignage dune vitalité nouvelle
et optimiste.
Le cas dAnnick permet dévoquer succinctement le
problème des enfants qui sétiolent physiquement et mentalement dans certaines
familles. Ils sont si bien conditionnés à leur milieu dorigine quils
souffrent
moins de leur état quon serait tenté de limaginer
de prime abord. Ils sont, malgré tout, attachés à leurs parents qui constituent pour
eux, aussi paradoxal que cela puisse paraître, un élément de sécurité. Jai lu
de nombreuses lettres débordantes daffections de gosses mal nourris, sortis de
taudis infects, adressées à leurs parents. Alors que jen ai parcouru
dautres, égocentriques, revendicantes et sans tendresse, écrites par des enfants
choyés, placés dans les mêmes conditions déloignement des parents que les
précédents.
Donc, Annick n a pas été une
« enfant-problème ». Dans son comportement et dans ses dessins, on retrouve
pendant longtemps le simple souci de se nourrir. Dès que le besoin est assouvi, et que
son état général sest amélioré, déterminant un épanouissement de toute sa
personne, elle est toute prête à retrouver sa famille.
Des mesures de protection de lenfance avec une
intelligente aide éducative auprès des parents permettraient souvent de pallier la
carence familiale. Cest une question de personnel bien formé, donc, pour une large
part, une question dordre économique et politique.
Le dessin, traduction dun sentiment dinsécurité
agressive, de culpabilité ou reflet dun style déducation.
A. Sentiment dinsécurité agressive
Le dessin de la figure 5 représente un monsieur et une dame
réalisés par Bernard, garçon de 10 ans, au cours dune sieste, dans une colonie de
vacances à la Turmelière, au lendemain de la Libération en juillet 1946.
Une remarque simpose : le parti pris de
lenfant, de rendre ridicules ses personnages adultes. La structure du dessin
correspond à peu près à lâge du sujet, mais il subsiste des reliquats dun
stade infantile : vagues contours du ventre en transparence, nombril. La morve
dégouline des nez, et les dents sont fortement marquées. Noter que le personnage
masculin est plus petit que limage féminine. Ce dessin laisse une impression
désagréable. Il sagit dune caricature, dune charge dont les adultes
font les frais, surtout lhomme aux gros souliers lourds de clous.
Le milieu familial
Bernard est le benjamin dune famille qui a compté huit enfants. Les deux
frères aînés ont disparu. Lun a été fusillé par les Allemands, lautre
sest noyé naguère au cours dune promenade en barque. La mère, grande
nerveuse au bord de la psychopathie, surtout après les malheurs qui ont frappé la
famille, entretient une constante tension avec les siens et avec le voisinage. Le père,
plutôt falot, manque de lénergie nécessaire pour ramener la quiétude au sein de
la famille.
Lauteur Bernard se présente relativement
petit, avec le ventre proéminent dun rachitique ; sa santé est médiocre. Peu
sociable, il narrive pas à trouver une insertion convenable dans un groupe
denfants. Inquiet, instable et opposant, il semble prendre plaisir à attirer sur
lui les sanctions qui constituent comme son climat de choix. Pourtant il aime à être
pris au sérieux. A titre dexpérience, et pour rompre la série des punitions que
ses moniteurs finissent par lui infliger, il est décidé, en accord avec eux et avec lui,
que Bernard sera responsable dun service à la salle à manger et quil
aura lautorisation de « travailler »
une heure ou deux à la cuisine à son gré.
Peu après cette valorisation perçue et vécue comme telle, les
manifestations agressives cessent ; Bernard, que lon pouvait croire de
constitution caractéropathique parce quil créait régulièrement le conflit,
réapprend la relation sécurisante avec les adultes dabord, puis avec les camarades
du groupe.
La valeur symbolique de lenlaidissement par le dessin
pourrait être interprétée ainsi :
1 Le milieu familial et singulièrement les relations
avec les parents nont eu pour Bernard aucune valeur sécurisante, Les querelles avec
le voisinage, les punitions infligées à lécole, ont monté chez lui un mécanisme
dagressivité, dinstabilité, à base dinsécurité, quil a
traduit, à un moment donné, par son dessin, ici très subjectif. Pour lui, le nez a
été le symbole de ce qui est malpropre et dégoûtant. Ainsi, il a exprimé son mépris
de ladulte et, si le personnage masculin est le plus chargé et minimisé par la
taille, cest sans doute parce quil regrette que son père ne fasse pas preuve
dune autorité qui ramènerait le calme dans la famille.
2 Les adultes ne lui ont pas apporté la sécurité, au
contraire ; ils semblent sêtre ligués contre lui pour le rabrouer, le gifler
(la mère a la main très leste), le punir. Leur agressivité trouve son expression par
les dents très nettement indiquées. La valeur symbolique des dents est étudiée par J.
Boutonnier dans son beau livre sur « LAngoisse » (J.
Boutonnier « LAngoisse »
Edition P.U.F. Paris 1945). Elle voit une tendance
agressive dans « le simple fait de se nourrir, à partir du moment où il faut se
servir des dents et mordre, puis mâcher pour manger
tendance agressive, dont
lexistence est évidente puisquelle peut exister seule dans la
morsure ». (p. 255)
Dailleurs le parler populaire « avoir la dent dure,
mordre à belles dents, être armé jusquaux dents, grincer des dents, avoir une
dent contre quelquun, montrer la grosse dent » etc. ne peut prêter à
confusion. Pour Bernard, un milieu plus compréhensif et moins coercitif devrait obtenir
de lui une meilleure adaptation.
B. Sentiment de culpabilité
Les deux dessins suivants (fig. 6 et 7)
sont extraits dune collection obtenue dans divers centres
daccueil ou de rééducation pour jeunes délinquants.
Le premier a été réalisé par un garçon de douze ans, issu
dun milieu familial sous-développé et sans aucune valeur éducative. Pour ce genre
de « parents » ce qui est « bien » coïncide avec ce qui
présente un intérêt direct et immédiat. Ce qui est
« mal », cest ce qui ennuie, ce qui gêne. Dans un milieu
semblable, chaque individu ne possède quun « Sur-Moi »
fort mal structuré, sans rapport avec une conscience morale. Les chapardages dont
lenfant sest rendu coupable nont pas été vus sous langle
dun acte délictuel. Du point de vue du niveau mental, le retard est évident et
affectivement, le garçon est demeuré à un stade infantile.
Que traduit le dessin ?
Il est remarquable quil manque déquilibre, mais
surtout nous y retrouvons laffirmation dun monde agressif, toutes dents
découvertes. Les professions : « concierge » pour la femme, « chef
de gare » pour lhomme signifient suivant un symbolisme populaire que celle-là
est une bavarde dont les paroles sont dangereuses en ce quelles peuvent vous faire
arrêter, et que celui-ci, avec son képi et son uniforme, symbolise lautorité
répressive. La valeur de lacte nest entrevue que sur le plan de la
répression éventuelle.
Pour le dessin qui nous intéresse, on ne retrouve aucune trace
de sentiment de culpabilité.
Le second dessin (fig. 7)
beaucoup plus complet et évolué, a été réalisé par un
garçon de quatorze ans qui venait darriver dans un centre daccueil pour
jeunes délinquants. Il sétait rendu coupable en 1947 dun vol
dargent, du vol dune montre et du vol dune bicyclette.
Orphelin de père et de mère très jeune, il avait été
élevé par des grands-parents, de milieu social aisé, qui élevaient également un autre
petit-fils, plus âgé, étudiant dans une école dingénieurs.
Travailleur et sérieux, létudiant avait obtenu de ses
grands-parents à titre dencouragement, tour à tour, de largent, une montre,
une bicyclette. Rappelons que nous sommes en 1947 !).
Les vols du plus jeune, qui sestimait lésé,
sinscrivaient dans une ligne revendicative claire. Mais ici, le conflit du garçon
avec soi-même est patent. Les symboles sont transparents. Les anges-éducateurs luttent,
bien armés, de vive force contre les démons du vol. Cependant, les « gas »
du centre subissent leur peine, terriblement mutilés et impuissants. Ces gars sont
dailleurs symbolisés par le seul personnage-victime qui a lair si triste. Le
sentiment de culpabilité est intense. Il se traduit par la tête non reliée au corps et
par la suppression des bras.
La figure 8. dessin dun garçon de 12 ans, Jean-Claude,
élève dune classe de la Turmelière, a été expliquée par son auteur :
« Le monsieur se promenait pour aller chercher à manger. Il a vu le pendu dans larbre. Alors maintenant il a peur quon dise que cest lui qui a fait le coup ! ».
« Celui qui sest pendu, cest parce quil avait tué des gens ! ».
Il nest pas besoin danalyser longuement le dessin
pour y découvrir, outre ce quexpose la verbalisation, les éléments
angoissants : le soleil personnalisé et agressif avec ses dents découvertes,
larbre patibulaire squelettique, branches coupées, sans une solide assise. Tout
semble se passer dans une sorte de rêve inconsistant. Les deux personnages, le pendu et
le témoin sont dépourvus de mains.
Jean-Claude, enfant gringalet, a perdu sa mère assez
jeune ; son père boit beaucoup, et sa belle-mère ne lui a guère prodigué
daffection. Par compensation, il ronge ses ongles jusquau sang, et très tôt
il sest masturbé. Il dort mal, fait de mauvais rêves, il craint de mourir, dit-il.
En lui, sest installé un sentiment de culpabilité, qui sexprime dans son
dessin par un symbolisme dauto-punition du type de castration.
Le problème des personnages aux mains coupées ou
dissimulées a été systématiquement étudié par léquipe du Comité de
lenfance Déficiente de Marseille, Mesdemoiselles S. Cotte, G. Roux, M.A. Aureille,
dans leur ouvrage « Utilisation du dessin comme test psychologique chez les enfants
« (1951).
Les auteurs napportent pas de conclusions définitives.
Leur travail se termine ainsi :
« Faut-il voir dans la mutilation du bonhomme une
survivance de la loi du talion ? Une sorte dapaisement apporté au
Sur-moi ? De nos jours encore, certaines peuplades assez peu civilisées punissent le
voleur en lui sectionnant la main. Faut-il voir dans la dissimulation des mains, le sujet
qui a lhabitude de mentir et qui se trahit ?Faut-il ny voir quun
simple sentiment de « malaise intérieur » ou danxiété de
lindividu qui craint dêtre découvert, peut-être pour une faute autre que
celle qui a déterminé lexamen psychologique ou qui en ressent un sentiment de
culpabilité ? ».
Les auteurs ont considéré le dessin comme un test appliqué à
de jeunes délinquants. Pour nous, dans le dessin libre, les mêmes observations
concernant la mutilation ou la dissimulation de segments se sont imposées dans un grand
nombre de cas. Pourtant, il ne sagissait pas, le plus souvent, denfants ni
dadolescents délinquants. Et nous avons vu que les jeunes délinquants ne
traduisent pas toujours leur mode danxiété par ce sacrifice symbolique. (cf.
fig.7).
Après avoir examiné, entre 1948 et 1950, six cent quarante
dessins réalisés par des enfants (à partir de six ans), et des adolescents des deux
sexes jusquà dix-huit ans, aucun des sujets nétant un délinquant au sens
juridique du terme, jai été amené à penser que le signe des mains coupées ou
dissimulées que jai retrouvé dans une proportion étonnamment élevée vers 18
ans, et surtout chez les garçons, indiquerait une manière de malaise de lindividu avec le milieu et avec
soi.
C. Le dessin, reflet dun style déducation
Le hasard ma mis en présence en 1957, au cours dun séjour chez des amis anglais, dune aimable fillette, Jane W. sept ans, remarquablement douée intellectuellement, qui, sachant que jaimais les dessins des enfants, mavait, entre autres, offert ceux présentées ici (fig. 9 10).
A ma question touchant le garçon de la figure 9 :
« Est-ce un mauvais garçon ou un bon garçon ? » la réponse vint
immédiate : « Oh ! naturellement cest un mauvais garçon,
puisquil a chipé les billes de ses camarades ! ». Ici les deux mains
sont dissimulées, la droite derrière le dos, la gauche dans une poche où elle serre les
billes chipées
Aux yeux de Jane, le garçon est coupable.
La figure 10 présente, fort correctement rendue, une rue
typiquement anglaise avec ses cottages bien alignés, ses barrières dans le fond, ses
larges trottoirs, sa chaussée au passage « zébré » et dans le coin, en bas
et à droite, la corbeille aux papiers avec son inscription « Litter ». Avec
aussi le personnage central, celui qui détient lautorité et le pouvoir de régler
sans discussion la circulation, ce personnage parfait : le policeman, reconnaissable
à son haut casque. Or, sur les sic personnages (y compris le conducteur de la voiture
Co-op), seul notre « bobby » possède des mains aux doigts bien étalés.
Pourtant, tous les personnages agissent de façon parfaitement correcte.
Je verrais dans cet exemple un formalisme extrême
dobéissance à la règle, avec un soupçon dinquiétude dans lattitude
rigide. Est-on jamais sûr de ne pas se trouver en contravention au regard du
tout-puissant policeman infaillible, symbole de la Loi ? Très strictement
élevée, Jane est devenue, pour un temps peut-être, scrupuleuse à lexcès. Il y
aurait donc bien une manifestation de malaise avec le milieu et avec soi, indiqué
précédemment.
Evolution dun sentiment de jalousie chez un jeune enfant
Lexemple choisi se situe entre octobre 1941 et juin 1942. Depuis la rentrée de Pâques 1941, R., quatre ans
six mois fréquente lécole de St P. Même si pendant loccupation il
nest plus possible de développer totalement la pédagogie Freinet, lesprit de
liberté dexpression y est toujours en honneur.
Réfugié du Nord avec ses parents, R. a vécu alors quil
nétait âgé que de trois ans, la terrible aventure de lexode en juin 1940.
Il a connu les bombardements et les
mitraillages au sol sur les routes encombrées et sanglantes.
Le souvenir des spectacles violents dont il a été le témoin terrorisé la sensibilisé à la notion de la mort horrible. Aussi le 18 octobre 1941 (fig. 11),
seize mois après les événements, un souvenir épisodique
remonte à la mémoire de lenfant quil traduit de façon simple et tragique.
Dans un ciel zébré du rouge des éclatements, une escadrille davions largue ses
bombes. Près de la route, en bas, sur la gauche un cadavre est étendu, sans bras, peint
de couleur verte. Deux personnages debout, à droite, de lautre côté de la
route, suivent les vols avec inquiétude. Celui de droite tient une mitraillette.
« Tout le monde a peur » explique R. Lensemble, malgré la modestie des moyens graphiques mais en
uvre, est hallucinant. La sensibilité à vif de lenfant sy manifeste
clairement sans transposition métaphorique inconsciente.
Pendant les mois suivants, R. use du dessin libre. Il sy
exprime bien et verbalise ses productions sans difficulté.
Brusquement, le 23 mai 1942, dans un dessin spontané quil veut intituler « On sen va à la foire » (fig. 12),
dessin riche où lobservation des scènes vécues
sexerce avec fruit, R. met en évidence dans le ventre de la jument (cest lui
qui précise quil sagit dune jument) sept petites formes. Il
nhésite pas à dire que « ce sont les petits quelle va faire ».
La jument est colorée en vert.
Les jours suivants, R. dessinera beaucoup de familles
danimaux porteuses de petits. Toute la classe sait, comme moi, que la maman de R.
attend un bébé.
Le 8 juin 1942, nouveau dessin révélateur dune sorte de hantise (fig. 13).
Inconsciemment R. transpose la réalité sur le plan animal.
Comme benjamin dune famille de trois enfants avec deux surs plus âgées
12 ans et 9 ans il a souvent été gratifié. Aussi malgré laffection
dont il est encore lobjet, il sent monter en lui une jalousie considérable, une
sorte de rancur contre « lautre » qui doit prendre sa place. Il se
replie sur lui-même.
Nous allons vérifier quil sagit dune
véritable fermentation dramatique, beaucoup plus sérieuse et profonde que ne
lestiment généralement les adultes mal informés.
Entre autres, les travaux de Charles Baudouin, dEdmond
Ziman, de Madeleine Rambert, de Louis Corman, ont mis en relief cet aspect de la rivalité
fraternelle : le complexe de Caïn, né de la jalousie.
Ce nest pas une évolution subtile, ce nest pas comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu que se présente le 12 juin 1942 (fig. 14)
la scène funèbre de lenterrement de la maman et du
bébé ». Avec des moyens graphiques fort simples, des couleurs en nombre réduit,
R. donne à sa composition une allure sévère. Le titre éclaire suffisamment le
problème. Le sentiment de jalousie est devenu si exigeant quil a développé
lagressivité inconsciente au summum. Non seulement contre lintrus, mais aussi
contre la maman pourtant chérie.
Devant une pareille et apparente énormité, il paraît bon
dinterroger plus attentivement le dessin dans un sens critique. De se demander
sil ne peut sagir dune simple coïncidence. Voyons donc.
1 Dans le village, depuis plusieurs mois, on na pas
enregistré de décès.
2 Lexamen détaillé du dessin permet
dobserver ce qui suit :
le personnage de droite, en bas, représente le conducteur du
cheval ; il est coloré en rouge, comme le sont les deux premières personnes qui
suivent le char funèbre, cest-à-dire le prêtre et lenfant de chur
marchant allègrement la tête haute. En rouge aussi, le troisième personnage un peu décalé dans lespace par rapport aux
précédents. Celui-là va la tête penchée sur la poitrine, lair attristé.
Le conducteur et les autres « rouges » sont en quelque sorte les
« officiels » , ceux qui sont plus ou moins, mais directement
intéressés ou touchés par le deuil. Mais seul le quatrième le paraît
sûrement. Ce ne peut être que le Père. En effet, les autres membres du cortège,
colorés en jaune, sont des figurants. On les voit converser entre eux. Sils
accompagnent les corps dans ce cortège, cest à cause de la coutume déférente de
nos campagnes. Il faut se rappeler, en effet, que la famille de R. na pas son
origine dans le village. Dans léventualité du décès de la maman qui porte
en elle le bébé seul le Père marcherait en tête du cortège, après le prêtre,
puisque sa parenté ne pourrait être présente et que les enfants seraient confiés à
une obligeante voisine.
Linconscient de notre jeune auteur a joué, cest
évident. Il a permis lexpression « légale » de ce qui eût été
indicible ou monstrueux autrement que par le dessin.
On aurait pu penser que cette explosion symbolique permettrait une liquidation appréciable du drame intérieur. Or, dans le dessin du 20 juin 1942 (fig. 15),
R. reprend une métaphore familière en transférant son
problème à nouveau sur un animal. Quoi de plus calme, en apparence que ce dessin si on
le compare aux précédents réalisés depuis un mois ? On remarquera cependant un
certain enrichissement : le personnage qui manie la fourche ou la faux possède deux
bras figurés en épaisseur. Pour la première fois. De même que pour la première fois,
le visage se complète par des yeux, un nez, une bouche. Il semblerait que létat
névrotique dans lequel se débat R. facilite ses acquisitions pour un temps. Verbalisant
son dessin, le garçon explique la présence des deux petites masses dans le ventre de la
jument (colorée en vert). Sans la verbalisation, on pouvait penser quil
sagissait de deux petits poulains. En fait, voilà ce quil en était :
« Le ptit j
eune, il bougeait toujours dans le ventre de sa mère. Alors sa tête sest cassée.
Il est tué maintenant ». Ce mot « tué a été presque crié.
Il paraît donc bien certain que R. symboliquement, a renouvelé
par deux fois le crime de Caïn. Quon se rassure pourtant, chez lenfant jeune,
ce vu de destruction, tant à légard de la mère (perçue comme responsable)
que du bébé-rival est moins cruel en définitive quil ne se manifeste.
Lenfant ne saisit pas ce quest la Mort ; pour lui cest une absence,
un départ. Quoi quil en soit, toute lagressivité manifestée, la recherche
pour dominer lintrus ont tiré leur source de la même note affective : la
jalousie.
Enfin, bien vivante, une petite sur : Fabienne, naît le 22 juin 1942. Le 23, R. indique cette naissance par un dessin très différent des précédents (fig. 16).
Il veut représenter sa maison. On peut ici, observer quelques
caractères du dessin enfantin selon Luquet ; en particulier le « mélange des
points de vue » et le « rabattement », ces caractères avaient été
dépassés depuis longtemps par R. Lattention est attirée par ce qui est désigné
par lenfant comme le lit de Fabienne, là où elle dort. Lit énorme qui tient en
haut du dessin une place considérable, tout à fait en dehors de la réalité. La maman
« malade » gît plus bas, dans un lit beaucoup plus petit. Le papa et une voisine venue laider
saffairent. Relégués sur la gauche, séparés par un trait vertical du reste de la
maison, se tiennent trois lits, ceux de ses surs aînées et le sien. Tous trois
curieusement traités.
On ne peut pas ne pas être frappé par la régression dont
témoigne ce dessin. Une seule couleur est utilisée : le bleu froid qui intéresse
les personnes de la famille et les objets familiers. La voisine est traitée en noir. Le
trait se montre exceptionnellement mal assuré, nerveux. R. dessine sans enthousiasme
cette « arrivée ». Il na pas trouvé en lui lélan nécessaire à
un beau compte rendu affectif-actif. Limpression dexclusion est évidente.
Quelques jours passent. R. dessine peu, sans intérêt. Il faudra attendre le 16 juin 1942 pour quapparaisse un sujet amusant. Il sagit du « bal de noce » (fig. 17).
Au centre, le couple des mariés. Elle, vêtue de rouge (ce
rouge qui, en quelque sorte, « officialise » certains personnages) plus
importante en volume que le marié. Tous deux valsent parmi les invités, ceux-là
mesquins par la taille. Tant il est vrai, et les badauds en témoignent toujours, que dans
un mariage, seule la mariée vaut la peine dêtre regardée. Ici, il sagit
réellement dune noce de campagne que fait danser un seul musicien trompettiste,
juché sur son estrade au premier plan. La verbalisation explicite les détails du dessin
et les intentions de R. assez en verve. Il dit que cet lui-même qui « rigole
à faire le fou » à droite et en bas du document. « A faire le
fou ! » sans doute pour oublier sa peine
Pendant les mois suivants, puis au cours préparatoire, les dessins libres senrichiront dintention et de matière. Souvent, ils se présenteront comme figés, empreints dun climat obsessionnel. Tel celui-ci « Au printemps » réalisé en avril 1943 (fig. 18).
Si nous voulions examiner cette production autrement quau
premier degré, on la percevrait dans les rondeurs de larbre central qui protègent
les nids habité dun petit oiseau (à droite) puis dun petit serpent, puis
dun autre oiseau ; le nid de gauche (retour symbolique à la mère) porte ce
que R. a désigné comme une araignée. Or, quelle est la valeur archétypique
de laraignée ? (Jung écrivait « Cela
représente ou
personnifie certaines données instinctives de lâme primitive obscure, des racines
réelles mais invisibles de la conscience individuelle
Il ne sagit pas de
représentations héritées mais dune disposition innée à former des
représentations analogues, cest-à-dire des structures universelles identiques de
la psyché que jai appelées plus tard : inconscient collectif. Jai
appelé « archétypes » ces structures. Elles correspondent au concept
biologique de « pattern of behaviour ». Les archétypes fonctionnent dans les
mythes et dans les contes, dans les rêves et dans toutes les productions propres au sujet
quil soit sain, névrosé ou psychotique ».)
Laraignée serait la représentation fantasmée de la « mauvaise »
mère. Un ouvrage récent, dans le courant dit de lanti psychiatrie « Mary
Barnes, un voyage à travers la folie » de M. Barnes et J. Berke traduit de
langlais par Mireille Davidovici Edition du Seuil 1973, évoque au long de
pages extraordinaires, écrites tour à tour par la malade : Mary Barnes (une
ancienne infirmière) et son thérapeute : Joseph Berke, le fantasme souvent repris
de laraignée. Par exemple, voici selon J. Berke :
« Mary éprouvait de la colère et des désirs de meurtre
à légard de sa mère qui lavait abandonnée et à légard de son
frère qui prenait sa place » p. 391. Puis « Mary considérait son passé
comme une toile daraignée qui lenveloppait et contre laquelle elle se
débattait pour en échapper. Laraignée était bien sa mère tyrannique,
dominatrice et possessive. A mon avis, Mary était également laraignée » p.
305. Bien dautres passages de Berke sont de la m^me veine. Mary Barnes, guidée par
son thérapeute, se met à dessiner et à peindre « javais limpression
que ma mère était en train de sortir de moi. Dans mon carnet de croquis, je fis au
pastel « Deux diables dans une toile daraignée ». Ma mère et moi
p. 214.
« Laraignée était ma mère. Joé (son thérapeute)
me donna une araignée comme jouet
quand jétais au lit, javais des
hallucinations : je voyais des araignées. Lemprise du passé se relâchait. Ma
mère devint progressivement une personne distincte, individualisée. Petit à petit, je
me libérais du passé de la toile daraignée ». p. 179.
Pour en terminer avec cette histoire réellement vécue, il faut
savoir que Mary Barnes vit toujours, guérie. Elle est devenue une artiste peintre tout à
fait cotée en Grande-Bretagne. Revenons à R. La frustration dont il a souffert ne
sest pas liquidée complètement. Peut-être à cause de sa sensibilité extrême,
peut-être à cause du climat catastrophique dinsécurité quil avait connu et
qui se poursuivait en 1943 ? Tout cela avait sans doute exacerbé la tendance
introvertie de R., cet aimable petit garçon timide, au regard bleu si doux, dont les
fantasmes inconscients avaient pourtant rêvé la disparition de la mère et du bébé
quelle portait. Au passage, jai souligné lusage de la couleur verte.
Sans sappesantir on peut rappeler que dans notre civilisation occidentale les
différentes couleurs du spectre ont pris des valeurs affectives symboliques. Le rouge,
par exemple, sassocie à la puissance, mais aussi à laction violente, à la
colère, à lérotisme. Le blanc est associé à la pureté, à la joie (à
linverse des civilisations de lExtrême Orient). Le vert semble évoquer
lespoir suivant une mystique popularisée. En fait, le langage courant accorde aussi
à cette teinte une tout autre valeur émotionnelle. On dit de quelquun quil
est « vert » de peur, une pâleur maladive est aussi associée au vert ;
une viande corrompue est qualifiée de « toute verte » et, bien que
mordorées, les mouches à viande sont appelées « mouches vertes ». Autrement
dit le passage du symbole « vert-espérance » à celui de
« vert-morbide » nest peut-être pas impossible à entrevoir. En ce qui
concerne les quelques dessins de R., on pourrait linterpréter dans ce sens (Au
lecteur curieux de la notion du symbolisme de la couleur, il est conseillé létude
de « La conquête de la couleur » de R. Maurel et J. Brunais Edition
Denoël 1956.).
Pour en terminer avec cette suite de huit dessins, rappelons que
classiquement la jalousie fraternelle, bien évidente ici, se manifeste à deux
niveaux : contre le tiers qui sinterpose dans la relation
« mère-enfant » et contre la mère elle-même. Ce sentiment « tire son
origine dans la confusion de soi et de lautrui. Il est fait dune
identification positive à celui qui est envié et dune frustration
Des
comportements divers le prolongent qui vont de lagressivité manifestée, à la
passivité de rumination vengeresse, parfois délicieusement amère
Le sentiment ne
reste pas toujours dans les limites habituelles. On le retrouve en psychiatrie infantile
et adulte sous des formes diverses : soit des troubles du comportement, soit des
fixations ou régressions en fonction des complexes de Caïn ou
ddipe
» art. « Jalousie » in « vocabulaire de
psychopédagogie et de psychiatrie de lenfant » par R. Laffon Edition
P.U.F. 1963.
Le thème de la rivalité fraternelle, admirablement traité par
Charles Baudouin dans « Lâme enfantine et la psychanalyse » Dition
Delachaux et Niestlé p. 25 à 40, a été repris par le docteur Louis Corman sous le
titre « Psychopathologie de la rivalité fraternelle » Edition Dessart
1970. De même, un ouvrage dEdmond Ziman « La jalousie chez les
enfants » traduit de laméricain par Mme D. Mazé a été édité au
« Scarabée » en 1959 avec une intéressante introduction de Maurice Debesse.
Actuellement (1977) R. est un homme solide, sérieux,
sensible. Marié et père de plusieurs enfants, chef dune petite entreprise assez
prospère, il conserve des relations suivies avec toute sa parentèle, sans problème
apparent.
Expression
transitoire dun vif sentiment de frustration affective
Ph. 6 ans
8 mois, a gribouillé librement dès quil a été en mesure de le faire. Puis il a
dessiné.
Gribouillis et dessins ont constitué pour lui une forme normale
dexpression évoluant de pair avec le langage courant. Ce langage est plutôt riche
et nuancé.
Jusquà présent, il a vécu avec ses deux surs
aînées entre ses parents. Et voici quau cours du mois de novembre 1949, pour des
raisons dordre professionnel, sa maman est appelée à travailler à la ville, à
cinquante kilomètres de la famille quelle quitte du lundi matin au samedi matin.
Les surs de Ph. Sont elles-mêmes pensionnaires dans un collège. Ph. Se trouve donc
brusquement seul avec son père et une très jeune employée de maison.
Malgré laffection dont il est entouré, malgré les
retours hebdomadaires de sa mère, Ph. éprouve un sentiment de vive frustration,
cependant quune véritable détresse sempare de lui. Sa détresse, il ne
pouvait manquer de lexprimer dun jour ou lautre dans ses dessins ;
comme en dautres occasions, il a manifesté ses joies.
Cela sest produit, de façon sensible, le 25 novembre (fig. 19).
Au verso de son dessin, Ph. A écrit spontanément (fig. 19
bis) : « Les merles ont que le père. La mère est morte ; les
piverts sont tout seuls ».
Rappelons
que souvent, chez lenfant jeune, lidée de mort est associée à celle
de départ. Toute la sympathie de Ph. Va vers les « pics-verts »
orphelins, mais il préfère « les merles » dit-il, car « ils ont encore
leur père ».
La
métaphore vécue est transparente. Dautant plus que « les merles » dans
leur nid, le cour érigé, constituent une famille de trois enfants, comme celle de Ph.
Il serait sans doute intéressant danalyser de plus près le dessin. Mais une observation semble plus souhaitable. Pour mieux comprendre, il faut examiner la fig. 20
reproduction
dun dessin réalisé quelques jours plus tôt et qui porte déjà des détails
symptômatiques dun trouble affectif, à savoir : les cicatrices du tronc de
larbre à gauche, lindication dagressivité marquée par les angles
aigus du sapin, et la présence de ces immenses mais inquiétants champignons vénéneux
(ils ont été indiqués comme tels par Ph.) Le
tracé est ferme, précis, sans « repentirs » selon la technique habituelle et
caractéristique de Ph.
Revoyons le tracé de la fig. 19. Il donne une impression de
nervosité, de manque dassurance. Il semble traduire une émotion profonde et
considérable impossible à masquer. Ce dessin est un acte dangoisse.
Lémotion se retrouve dans lécriture dont laffaissement de la direction
générale de la ligne, sur la droite, est si caractéristique en graphologie où elle
appelle lattention sur laffaiblissement du tonus.
Cest ce qui paraît ressortir présentement. En classe
où, malgré son jeune âge, Ph. suit convenablement un C.E.2, la maîtresse remarque à
la fin du mois, sur la fiche « moins bon travail, manque dattention ».
La courbe des résultats a baissé ; ce qui affecte beaucoup Ph. Et voici quau
début du mois de décembre, la fièvre sempare de lui. Fièvre que le médecin
consulté considère comme atypique et sans gravité, simple réaction psychosomatique. De
fait, Ph. Se remet assez bine après quelques jours de repos au lit, pendant lesquels il
exécute un nombre considérable de dessins. Après les vacances de Noël, en janvier, les
progrès scolaires se poursuivent et Ph. ne donne plus dinquiétude pour sa santé.
Par chance, en octobre suivant, toute la famille se retrouve définitivement réunie. Le 10 de ce mois, Ph. exprime sa joie (fig. 21).
Solide sur son cheval, il sonne du cor, face à lavenir.
Son écriture est de nouveau bien équilibrée.
Le sentiment aigu dinsécurité et dangoisse,
dramatisé peu à peu, pendant le premier mois du départ de sa maman, sest
progressivement liquidé. Le dessin en a été le truchement, comme il le sera près
dun an plus tard, lorsquil attestera que tout a été surmonté et que Ph. a
repris un bon départ poursuivi tout au long détudes heureusement couronnées.
Traumatisme
sexuel incestueux chez deux surs
Les deux surs A. et G. âges respectivement de 13 et 12
ans, ont été, lune puis lautre, victimes des agissements criminels de leur
père, incarcéré après la dénonciation de leur sur aînée. M. âgée de 16 ans,
qui avait refusé de se soumettre plus longtemps à lui. Elle avait préféré quitter sa
famille pour entrer au service dun ménage honorable à qui elle sétait
confiée, et qui lavait conseillée. Lenquête sociale présente le père
comme un éthylique assez « imbibé ». La mère donne limpression
dune amoralité qui confine à linconscience. Après lincarcération de
leur père, les fillettes lui ont été enlevées par une ordonnance provisoire du juge
des Enfants qui, sur le conseil dune assistante sociale, les confie au Centre
Sanitaire Scolaire de la Turmelière à cause de leur faible développement somatique. Nous
les recevons le 8 octobre 1948.
Elles quitteront le Centre de la Turmelière en mars 1949 pour
un établissement plus spécialisé, où le juge me demandera dapprécier la suite
de leur évolution.
Priées de conserver le secret le plus absolu sur leur triste
affaire tout au long de leur séjour à lEcole, les fillettes tiendront
scrupuleusement parole. Dans un milieu moralement sain et adapté aux besoins de
lenfant, elles se sont épanouies, se comportant comme leurs compagnes, sans que
rien de trouble ni de malsain ne transparaisse dans lensemble de leurs activités.
A. 13 ans
Développement staturo-pondéral
insuffisant. Na pas commencé sa puberté.
Niveau mental :
suffisant.
A. dispose dun pauvre vocabulaire. Lexpression de sa
pensée est rudimentaire. Sur le plan
affectif, elle est très infantile.
Examen des dessins :
8 octobre 1948 (fig.22)
: Il
sagit du dessin du monsieur et de la dame. Elle précise que ces personnages sont
nus. Elle ne marque cependant que des caractères indifférenciés deux points pour les
seins, un point pour le nombril.
Labdomen de lhomme est cerné largement de crayon
noir, surtout dans sa partie inférieure. Le commentaire sollicité précise que
lhomme est âgé de 17 ans, quil est menuisier (comme son frère aîné,
dattitude étrange, qui, durant le procès cherchera à innocenter son père) ;
la femme na que 15 ans.
Fig. 23 :
A. dessine ce qui lui
plaît. Ce sont des éléments apparemment sans lien. Pour plus de précision, je lui
demande décrire le nom de chaque objet. La valeur symbolique de la plupart semble
peu contestable ; ainsi la lune, la canne, les cerises, la fleur. La voiture
denfant nest même plus un symbole. Reste la barque que A. nomme
« bateau ». Je ne saisis le sens métaphorique de cet élément et sa place
dans l ensemble que lorsque la fillette, après une courte réticence, rappelle
que cest dans un « bateau » comme celui-là quun soir, sur
lErdre, son père avait abusé delle pour la première fois. Dans le même
temps, elle avait éprouvé une crainte de lacte et peur de leau qui pourrait
les engloutir.
Fig. 24 :
Après une période de détente, nouveau dessin libre
constitué par une juxtaposition déléments en apparence aussi disparates
quune « robe » (elle dit que cest une robe de petite
fille), un « cygne sur leau », et quune porte fortement
verrouillée que, toute réflexion faite, elle annule en la gribouillant.
Il nest pas indispensable de reprendre dans le détail
létude des thèmes aqueux inconscients développés par Gaston Bachelard (Gaston
BACHELARD « Leau et les rêves » Edition José Corti Paris 1942
et 1956) par exemple celui du cygne et de Léda (p. 50 à
62) pour retrouver dans le dessin de cette petite fille ignorante une composante
symbolique extraordinaire : la blancheur, synonyme de pureté, leau
limpide qui, alliée à un important volume, vaut également comme mythe de pureté ;
quant au cygne lui-même, linterprétation sexuelle a été mise en lumière
par de nombreux auteurs daprès la mythologie grecque.
Le sens caché de la porte verrouillée, dessinée seule, hors
du cadre dune quelconque maison, puis griffonnée, comme abolie, me paraît une
métaphore de compréhension aisée en rapport étroit avec le viol dont elle a été
victime. Sur le document, lécriture et le tracé traduisent une sensibilité
significative.
Au cours du stage au centre, A. sest intéressée au
travail de sa classe. Elle a réalisé des progrès auxquels elle sest montrée
sensible, en faisant part à son correspondant scolaire. Avec sa mère, elle a entretenu
une correspondance assez régulière. La mère a insisté pour quelle et sa
sur écrivent aussi au père, à la Maison dArrêt. Elle le leur représente
comme souffrant beaucoup, injustement, par la faute « de votre sur M. Qui est
une mauvaise fille pour ses parents ». A. écrira au père, en faisant passer ses
lettres par sa mère. Dans ses dessins libres, on sent que peu à peu, le rapprochement
familial souhaité par la mère est accepté.
Le dessin (fig. 25)
obtenu le 12 mars 1949 dans un autre établissement
daccueil, ne laisse aucun doute. Laventure quelle a subie nest
plus quun souvenir à peine dramatique. Personnalité plastique elle accepterait,
comme sa mère le désire, de revenir sur ses déclarations devant le Juge
dInstruction.
Voyons la production de sa sur cadette G. 12 ans.
Son développement
somatique est relativement meilleur que celui de son aînée. Elle est impulsive.
Niveau mental : moyen.
Dans des conditions de vie familiale normale, dans un milieu
intellectuellement et affectivement riche, elle aurait obtenu des résultats scolaires
convenables. A larrivée, elle parle dabondance, volontiers verbeuse ;
son vocabulaire est pourtant pauvre. Elle travaillera assez bien dans sa classe. Plus
« douée », et de personnalité plus affirmée que sa sur, elle se
montre plutôt « chipie » et agressive au début, se calmant et
sadaptant par la suite.
Examen des dessins :
à cause de la similitude assez troublante de certains dessins des deux surs, il
faut lever toute hypothèque qui laisserait croire que A. et G. ont pu sinspirer
lune de lautre. En fait, elles ne se trouvaient pas dans la même salle et ne
possédaient aucun moyen de communication, en particulier le 8 octobre. Les explications
ont été fournies en tête à tête avec chacune delles, sans quelles aient
pu se rencontrer entre temps.
8 octobre 1948 (fig. 26)
Le dessin du monsieur et de la dame est plus évolué que
celui de A. ; comme chez A., mais à un degré moindre, labdomen du monsieur
est épaissi dans sa partie inférieure. Les vêtements, stéréotypés, figurent.
Limportant paraît bien être ce trait décidé qui sépare les personnages.
« Ils sont mariés, mais faut pas les mettre ensemble ! ».
Le dessin libre (fig. 27)
comme celui de sa sur, se présente constitué
déléments juxtaposés apparemment sans lien : la maison avec ses curieux
volets ornés dun cur, le pot de fleurs, la trop fameuse barque où, pour elle
aussi, sest faite linitiation dont
elle a souffert physiquement, et puis cet homme nu, que virilise sans doute une pipe.
En mars 1949, les deux surs ont quitté La Turmelière.
Elles sont placées dans un centre daccueil spécial.
Jai vu A. le 12 mars. Je verrai G. le 15, puis le 30. Le dessin (fig.28)
du 15 porte des éléments nouveaux qui appellent
lattention. A gauche, une femme au nez crochu et pointu, aux mains mutilées.
Malgré une apparence de voile de mariée, la bouche grande ouverte clame, selon G.
« Je veux rester vieille fille ! les hommes ça boit, ça tape ses filles, ça
fait des malhonnêtetés quand notre mère est morte, ou nimporte
Ca va avec
dautres femmes ! »
Le bateau est là encore, puis une automobile, une voiture avec
un bébé, une sorte de caricature de garçon à bicyclette, sans bras. Au second plan,
une maison dont la cheminée fume et, tout à fait à larrière-plan, une chapelle
sans croix.
La fillette avait rejoint ses compagnes, je vois
léducatrice du groupe de G., une religieuse ; je minquiète près
delle du comportement de son élève et japprends sans étonnement que G.
recherche la compagnie dune autre fillette, J.F., elle-même victime de son propre
père, et que lattitude du « couple » oblige à une surveillance
permanente.
30 mars 1949 (fig. 29)
En riant, la femme tourne le dos au fumeur de pipe
G. a refusé de revenir sur sa déclaration devant les juges. De
personnalité moins labile que celle de sa sur A., elle continue à tenir rigueur à
son père, et à travers lui à tous les hommes. Troublée sur le plan hétéro-sexuel,
elle recherche une compensation homosexuelle.
Il faut signaler létude très documentée du docteur M.
Mathis « Les traumatismes sexuels chez les filles impubères », et celle du
professeur R. Lafon et du docteur Ponget « Aspects psychologiques et sociaux des
attentats hétérosexuelles sur les enfants et les adolescentes » parues dans
« sauvegarde de lEnfance » n° 9/1957, 28 pl. St-Georges Paris 9ème. Contrairement à une croyance généralisée, le traumatisme
sexuel incestueux, dans les milieux familiaux du même type que celui évoqué, ne
survient pas « dans un ciel bleu ». Linsuffisance éducative,
lalcoolisme, le danger moral intra et extra-familial, en forment la trame
favorisante. Après le choc, et surtout après la mise en accusation officielle du père,
le comportement général, comme la trace psychique de laccident et le pronostic,
dépendent du milieu rééducatif et du facteur personnel.
Ici, les fillettes issues dun milieu amoral ne présentent
quun sentiment de minime culpabilité. La cadette repousse limage
paternelle, puis limage de lhomme, avec vigueur, parce quelle
a été blessée physiquement. Laînée tient peu de rigueur au père ;
elle a été relativement peu traumatisée. La mère, élément favorable (lenquête
la révélé) est encore acceptée par A., et rejetée par G.
Il est dès lors bien évident que lattitude rééducative
doit tenir compte des facteurs mis en lumière et suivre avec attention lévolution
de chacune de ces jeunes victimes.
Liquidation partielle dune série de situations anxiogènes
chez un jeune garçon
Jean-Jacques M
Age réel : 10 ans à son entrée au Centre de la
Turmelière en 1947
Age mental : 8 ans et 6 mois au B.S. Niveau :
suffisant. Type de réponse au B.S. A la question facile « Quand on a manqué le
train que faut-il faire ? » R. « Faut faire attention que le train y nous
écrase pas ! » A peu près 10 ans au Goodenough.
Plan somatique :
développement médiocre.
Plan psycho-moteur :
très grande timidité fort bégaiement et énurésie régulière.
Niveau scolaire :
retard énorme (niveau C.E.1) malgré une bonne volonté évidente.
Histoire du garçon :
le père a été prisonnier de guerre. La mère, déchue du droit de garde, avait
abandonné ses enfants dès 1940. Deux frères plus âgés ont été recueillis et
élevés convenablement par un oncle et une tante qui navaient pu, faute dun
logement suffisant, adopter Jean-Jacques. Pour celui-ci, multiples placements en
nourrice : mauvaise nourriture, mauvaise hygiène. Lenfant est enfin pris par
une tante âgée et une grandmère. A Nantes, lenfant subit la série des
bombardements de 1943 (16 et 23 septembre en particulier).
A son retour de captivité après avoir été libéré par les
soviétiques, le père marque une vive affection à Jean-Jacques, qui demeure malingre et
doit passer ses vacances dans une colonie sanitaire où il assiste à la noyade dun
petit camarade à qui il sétait lié.
Placé par la Sécurité Sociale au Centre de la Turmelière, il
perd son père au cours du séjour. Un conseil de famille confie Jean-Jacques à
loncle et la tante qui se sont occupés de ses frères. Il quitte
létablissement en 1949.
Cette cascade étonnante de très graves chocs affectifs :
abandon par la mère, placement chez de mauvaises nourrices, bombardements (il raconte à
son éducatrice quen sortant de labri il a vu de nombreux cadavres
déchiquetés, certains décapités, sur la place devant chez lui), noyade dun petit
compagnon, décès de son père, tout cela a constitué une rare sommation de traumas qui
a installé en lui un sentiment de constante angoisse. Une angoisse sans manifestations
spectaculaires, mais puissante, sournoise, morbide, qui a fait de lui un être timide,
bégayant, énurétique, dont le développement psychosomatique paraît très perturbé,
voire en détresse.
Dans la classe, il a dessiné, à lexemple de ses
camarades. Et demblée sont apparus les souvenirs liés à une crainte persistante
de la mort. Sa peur, son angoisse, il les exprime en verbalisant ses productions
graphiques. Peur des catastrophes ferroviaires, peur des accidents sur la route, peur de
leau naturellement, peur des avions, peur de la foule, peur des armes des chasseurs,
etc. Véritable obsession quil extériorise peu à peu par les graphismes, ce qui
lui permet, dans un climat libéral, une expression orale légale. Nous voyons une fois
encore que le changement authentique de milieu, le placement dans un climat affectif
compréhensif où lexpression médiate sous toutes ses formes est favorisée et
entretenue, permet, à un moment donnés, lélan qui fera sortir lenfant de sa
détresse. Lidentification symbolique à un petit écureuil, nous le verrons,
marquera le début de son évolution vers une libération relative.
Enfin, lenfant nous a quittés, heureux de rejoindre la
famille de son oncle qui sera désormais la sienne. Il pense quil y sera le
bienvenu, et sen réjouit. Sur un plan très général, lamélioration obtenue
a été nette. Le niveau mental est devenu « moyen ». Le poids et la taille
ont acquis un développement confortable. La timidité subsiste encore mais elle
nest plus obnubilante et le bégaiement ne se marque guère quau début
dune conversation. Malheureusement, lénurésie persiste, avec, de temps à
autre, quelque rémission.
Létude dun choix des dessins avec la verbalisation
spontanée explicite les troubles et témoigne de lévolution vers une amélioration
importante sans quon puisse penser toutefois quelle est complète, et croire
quelle sera définitive.
Verbalisation de quelques dessins libres de
Jean-Jacques
17 novembre 1947 (fig.30)
Cest un train de lAmérique. Il va mener les
Américains pour attaquer les Allemands. Le pont va peut-être « croûler ».
(fig. 31)
dessin réalisé le même jour. Lavion a lancé une bombe
plus loin. Les homes courent. Les rochers et puis larbre sont tombés dans
leau, coupés par la bombe.
« la Croix Rouge va pour voir sil y a des blessés
dans la montagne ».
18 novembre 1947 (fig. 32)
« Cest la source. Cest marqué sur les
poteaux. Les Américains descendent en parachute pour donner du chewing-gum à nous.
Cest sous le pont de la Madeleine à Nantes. Il y a des plongeoirs. Un monsieur
jette des chiens dans leau pour les noyer ».
19 novembre 1947 (fig. 33)
« Le train va en Russie pour « chercher les
prisonniers. Il y a un petit chien et un petit chat qui vont se faire écraser. Il
y en a un qui se noie ».
Dans tous les dessins de ces derniers jours, se révèle une
hantise, une obsession de la mort et de la catastrophe qui se développe suivant un net
crescendo : pont qui va peut-être « croûler », rochers, arbres coupés
par une bombe, chiens qui se noient, chats et chiens qui vont être écrasés
Seul
élément favorable : le retour éventuel des prisonniers. La situation évoquée se
rattache dans un certain sens à la réalité car le père de Jean-Jacques a bien été
libéré par les Russes.
20 novembre 1947 (fig. 34)
Jean-Jacques en classe a entendu raconter « La
chèvre de Monsieur Seguin ». Il évoque encore la mort, inconsciemment. La montagne
est traduite ou mieux symbolisée, par une série de dents de scie. Elle est hérissée
dherbes piquantes, hautes et agressives. Le loup, déjà vainqueur, est énorme. Il
se lèche les « babines ». Il a des yeux brillants. La chèvre, elle a
peur
Elle va mourir.
21 novembre 1947 (fig. 35)
encore un train de couleur sombre, qui passe sur un pont
fragile. Des gens plongent dans leau. Ils ont peur de se faire écraser. Tout le
monde, dans le train, a peur. Et ces gens qui craignent tant pour leur vie « se
disputent tout le temps ».
22 novembre 1947
a) Un avion allemand tombe en flammes. Des avions anglais
lancent des bombes. Un monsieur a peur. II fait courir son cheval pour se mettre à
labri dans un moulin. Une bombea fait un gros trou. Le moulin tombera parce
quil reste encore une bombe « accrochée » à lavion. Tout ce qui
a été touché ou doit être touché est colorié en noir.
b) Les oiseaux, sur les fils électriques, disent
« voilà le train ». Mais le train a « un peu » déraillé à
cause dune bombe. Un fil téléphonique pend. Une charrette, sur la voie, va être
« tamponnée ». Les chevaux ont peur. Couleur dominante : le noir.
24 novembre 1947
a) Dessin
réalisé sur un papier rose, beaucoup plus de couleurs vives quà
laccoutumée : du vert, du jaune, du bleu, du rouge, du brun, très peu de
noir. Une certaine détente marque cette production. Pourtant Jean-Jacques a introduit
dans son dessin lhistoire dun loup farceur qui veut jouer un tour au corbeau
qui se cache sous la terre. Juxtaposition dun grand nombre déléments
scripturaux hétéroclites. En principe, la scène se déroule à Paris, selon
Jean-Jacques dans une gare. Les mêmes dents de scie représentent les montagnes qui se
profilent en motif obsessionnel.
b) Fig. 36
Ici, le dessin apporte un curieux témoignage
dapparence imaginaire. Dans une « grosse » montagne, un train
circule ; il vient dAllemagne. Il ramène des prisonniers. Deux hommes sont
occupés à chasser. La neige tombe et tombe
sur eux seulement. Un grossier bonhomme de neige est figuré. Tout en haut dun
arbre, un écureuil sadressant au chasseur le plus proche lui dit en se
moquant « tu devrais tirer dans le bonhomme de neige ! ». Cependant
quune chouette fonce sur le second chasseur « pour lui piquer le nez ».
Autrement dit, dans cette chasse, malgré les chiens, qui suivent seulement, sans
participer à laction, le gibier demeure indemne et même, il fait la nique aux
chasseurs. Il y a là une intention magique nette. Lécureuil malin reviendra une
dizaine de fois dans les dessins.
Le 21 février suivant (fig. 37)
|
lidentification de Jean-Jacques (qui surmonte peu à peu
ses difficultés et liquide au moins partiellement ses problèmes) au petit écureuil
facétieux, deviendra criante.
En effet, dans la classe coopérative, nous avions
lhabitude, comme en famille, de fêter affectueusement les anniversaires de tous les
membres de la communauté. Ce 21 février la coopérative fêtait le mien. Et pour sa
part, Jean-Jacques avait écrit sur le papier quil me destinait : « Nous
sommes bien contents de vous souhaiter un bon anniversaire. On vous a mis des belles
fleurs, des dessins sur le bureau, et jai dessiné un écureuil sur le
tableau ». (fig. 37 bis).
Un écureuil souple, débrouillard (Lexistence du
petit écureuil est réelle. Capturé dans un arbre du parc, il a été confié aux bons
soins de la classe de Jean-Jacques quil amuse comme ses camarades. Quelquun, certain jour, a laissé une
fenêtre largement ouverte. Lécureuil a heureusement repris sa liberté.
Pressentant lidentification, javais émis à part moi
lhypothèse que Jean-Jacques avait favorisé cette fuite. Hypothèse confirmée
vingt-deux ans plus tard dans une lettre (18.11.70) « Je me rappelle
lécureuil. Cest moi qui avais ouvert la fenêtre ! »), qui dans les productions de Jean-Jacques na pas son
pareil pour éviter pièges et traquenards de ce monde hostile et incompréhensible qui
la entouré jusquà présent. Un monde tout pareil à celui où Jean-Jacques a
vécu. Mais lécureuil lui, est invulnérable.
La succession des dessins seffectue régulièrement. Alors
survient, brutale, la mort du père de Jean-Jacques. Celui-ci ne dessinera pas
pendant une quinzaine de jours.
27 avril 1948 (fig. 38)
Ici, le tout petit oiseau malheureux, cruellement piqué
à grands coups de bec par le héron, cest lui, le pauvre Jean-Jacques que le sort a
de nouveau molesté. Le petit oiseau pleure. Il a peur dêtre mangé. Partout il y a
de eau : leau qui toujours provoque son angoisse depuis la noyade de son
petit copain.
Pendant des mois, vaille que vaille, la vie sest
poursuivie pour Jean-Jacques. Il a eu des joies. Ses frères lui écrivent, viennent le
visiter en même temps que loncle et a tante chez qui il vivra bientôt. Il
pressent quon laime, quon sintéresse à lui, aux
progrès quil réalise. Jean-Jacques affirme sa personnalité. Il bégaie beaucoup
moins.
13 octobre 1948 (fig. 39)
Il y a eu un mariage dans une ferme près du Centre
Scolaire, les enfants ont vu le défilé et les mariés. Jean-Jacques qui ne fabule plus
guère à partir de ses dessins, cherche plutôt linspiration anecdotique comme ici.
Les couleurs sont vives, agréables. Le tracé ne porte pas délément perturbé. Le
rendement scolaire est meilleur, la santé plus florissante. Seuls quelques nuages dans le
dessin témoignent peut-être, dune certaine crainte.
15 octobre 1948 (fig. 40)
|
Une famille se promène. Le ciel nest plus taché
de nuages. Les coloris sont nets et vifs. Les enfants sont bien encadrés et protégés
par leurs parents. Le soleil brille. Jean-Jacques, lespoir au cur, quittera
bientôt létablissement.
Sur tous les plans, lamélioration se sera développée.
Les potentialités mentales, dégagées de lanxiété à peu près liquidée, ont
permis au niveau intellectuel datteindre un meilleur rendement sur le plan efficace.
On peut assurer que, pendant longtemps lenfant, au lieu de liquider son angoisse,
lavait intériorisée en une auto-agressivité désastreuse pour son développement
psychosomatique. Le dessin a joué un rôle dexutoire, un rôle libératoire
dans lambiance sécurisante et compréhensive dune clase Freinet. Il sa servi
à vérifier ce quon savait déjà de Jean-Jacques, puis à suivre lévolution
de sa personnalité. A noter cependant la discrétion des échappées graphiques qui, à
aucun moment, nont pris lallure dune anxiété manifeste.
Lexplication verbale elle-même était toujours formulée du même ton monocorde
presquà mi-voix. Ce nest quà partir de lentrée en jeu du
« petit écureuil » que Jean-Jacques a pris un peu plus dassurance. Dans
son nouveau milieu, là où il sera le centre dintérêt et daffection de
parents sensibles, il devrait poursuivre la montée amorcée au centre et la développer.
Janvier 1977 - Les lignes précédentes datent de 1959. Elles traduisaient un optimisme non dénué de fondement à considérer ce que nous avions appris des potentialités du garçon. Toutefois, au long des années, aucune nouvelle ne me parvenait. Brusquement en février 1963, je reçus une lettre de Jean-Jacques écrite du service psychiatrique de lhôpital dune petite ville de lEst de la France. Lettre fourmillant surtout de souvenir étonnamment vivaces de la vie quotidienne quil avait connue à la Turmelière, de comparaisons désobligeantes aussi avec celle qui lavait marqué dans lI.M.P où très rapidement, loncle et la tante excédés sétaient débarrassés de lui, considéré comme un être inintelligent, un bon à rien. Entre nous, léchange de correspondance sest organisé. Puis après une plongée dans la maladie mentale de six ou sept ans pendant lesquels Jean-Jacques avait dû être placé dans plusieurs autres établissements psychiatriques, doù il navait pas été en mesure décrire, nous correspondons assez régulièrement. A lheure actuelle, je possède une série de 149 lettres dun intérêt psychologique considérable. Lettres accompagnées parfois de dessins (fig. 40 bis).
Un témoignage humain, qui de A à Z, atteste limportance
déterminante de la qualité des relations affectives dès la conception dun
petit dhomme. Singulièrement avec sa Mère-médiatrice, en quelque sorte de
lEnfant avec le Monde, avec Autrui, avec Lui-même.
Instabilité et fugues chez un jeune anxieux
Joseph N. : 9 ans
Niveau mental : suffisant
Ce garçon, venant de Paris, est amené au centre de La
Turmelière le 8 janvier 1959 à cause, nous dit lassistante sociale qui
laccompagne, dun développement somatique très insuffisant. Demblée,
la prise en charge de la Sécurité Sociale était accordée pour six mois.
On ne nous apporte aucun renseignement intéressant, ni sur
lhistoire de lenfant, ni sur le milieu familial. Comme les autres arrivants,
une dizaine, Joseph N. est confié à une éducatrice qui aura soin deux pendant les
trois semaines dobservation
réglementaire.
Bavard jusquà la logorrhée, grossier, fabulateur,
agressif, « Jojo » (cest ainsi quil veut être appelé) crée
immédiatement un climat conflictuel au sein du groupe. Le soir même de son arrivée, il
prend une petite somme à un camarade, la cache, et fait porter les soupçons sur un
autre. Vite démasqué, il boude, menaçant ses victimes des représailles de « sa
bande de St Denis ».
Le lendemain, pris de « bourdon » comme il dira
ensuite, il échappe à la surveillance de léducatrice, retrouve le chemin de la
gare. Le chef de gare le recueille et minforme par téléphone. Je retrouve le
garçon à la gare. Il pleure, se jette à mon cou, et il mexplique que, sil
voulait « brûler le dur » cest à cause de la mauvaise éducation de
ses co-équipiers qui parlent mal et disent « des gros mots ».
Dans la voiture, en cours de route, « Jojo » me
confie encore quà Paris, il a une grande sur « Elle nous a lâchés.
Elle sest mise en ménage avec le voisin. Maintenant elle est enceinte ».
Sa mère, il laime bien, mais « pas le monsieur qui
vient la voir ». Il ne dit rien sur son père.
De retour au centre, je recommande une attention
particulièrement vigilante.
Sur ma demande, Jojo dessine de bon cur. Au cours de son
séjour, soit pendant une vingtaine de jours, il traitera spontanément une trentaine de
sujets, presque tous morbides et obsessionnels.
Ce jour-là, il représente dabord « Jojo, papa et
maman ». Le tracé est nerveux, rapide, mal contrôlé. Ni son père, ni sa mère,
nont de mains sur le dessin.
Aussitôt après, illustrant la confidence quil ma faite deux heures plus tôt, il dessine (fig. 41)
« Le monsieur qui veut tuer maman parce quil ne veut
plus delle ». Le monsieur brandit une arme. Lenfant ne peut préciser de
quelle arme il sagit. Lui si bavard et disert, il demeure court. Lensemble est
inquiétant, comme lest lenfant lui-même. Il paraît vraisemblablement
quau hasard dune coucherie avec son amant, la mère a été surprise par Jojo
qui a pensé à une bataille.
Dans le groupe, les conflits se multiplient. La vie devient
intenable. Jour et nuit, il faut surveiller étroitement le garçon. Aussi pour plus de
commodité, et par précaution, on linstalle à linfirmerie chaque nuit.
Le 21 janvier, passant par une fenêtre dont il a brisé la
vitre, il fuit avec son « baluchon ». Rattrapé immédiatement, il explose de
rage, fait une crise de larmes. Il me dit avoir eu peur, puis sans transition, il raconte
certains des « exploits de sa bande de St Denis ».
Dangereux à nouveau pour ses camarades et pour lui-même, le 23
janvier, il faut lisoler dans la chambre réservée, en principe, à des contagieux.
On saperçoit quil a dérobé la poignée dune porte pour se sauver, et
quil a dissimulé sous le matelas de
son lit : du poulet, du pain beurré, une orange, et des vêtements pris à un
camarde car on ne lui a laissé que son pyjama. Il espérait fuir au petit matin. Le même
jour, une lettre est adressée au père par nos soins, linformant que le
comportement anormal de son fils ne relevant pas de létablissement, il devait le
reprendre durgence. La Caisse de Sécurité Sociale dont le père dépendait était
informée de notre décision par le même courrier.
Parmi les dessins que Jojo a produits spontanément dans la journée (23 janvier 1950), je relève celui où il sest représenté avec des cheveux bouclés (fig. 42).
Dessin bizarre, mal structuré, avec les bras amputés dont
lun déverse un flot de sang, qui se répand très loin, hors de la feuille. Seul
commentaire « je vais me buter ! »(me tuer).
25 janvier Quelques minutes après la sortie de linfirmière qui le surveille, vers 17h30, Jojo brise à nouveau un carreau dune fenêtre de sa chambre, et, enveloppé dans une couverture, il tente de senfuir par une température extérieure de 6°. Le lendemain matin, il dessine un homme armé dun arc et dune flèche (fig. 43).
« Cest lhomme qui tue les enfants. Jai
« entendu dire » çà dans les journaux
jai peur ».
Le même jour, il présente un bateau (fig.44)
insolite dans sa production habituelle, en disant « les
grosses vagues, ça fait peur ! ».
Le 27 , tour à tour, il moffre « un lion » (fig. 45)
; à larrière-plan, protégé par une sorte de faible rideau de végétation, on devine un petit personnage armé dun arc et dune flèche, puis (fig. 46)
ce malheureux « petit canard » à quoi il sest
identifié inconsciemment, tout seul dans une nature hostile. Il pleut dru. Le petit
canard a froid, il a peur. Les fleurs au second plan, déprimées, sinclinent sous
la pluie.
Le monde extérieur conçu par Jojo semble malveillant,
dangereux, coercitif ; quelque soit le lieu où il se trouve, il ne peut trouver
une solide impression de sécurité.
Le 30, son père vient le reprendre.
Nous comptions éclairer le problème « Jojo »
grâce aux explications de quelquun de sa famille. Mais, dallure veule, sans
doute mal équilibré lui-même, le père na été en mesure de communiquer aucun
renseignement utile à la compréhension du comportement de son fils.
Il sest contenté de répéter : « Il est comme
ça, comme ça ! ».
En admettant comme possible , au départ, lhypothèse
dune constitution héréditaire médiocre chez cet enfant, nous avons été enclins
à penser, le médecin du centre et moi-même, que lhyper-émotivité agressive se
retournant parfois en auto-agression, sétait accrue jusquau déséquilibre
dangereux pour les autres et pour lui, à cause des chocs affectifs incessants et
cumulatifs développés dans un milieu familial malsain et peu sécurisant, jusquà
provoquer des troubles réactionnels graves à base anxiogène dont le dessin navait
cessé de se montrer le fidèle reflet pendant trois semaines.
Pour un garçon si jeune,
il était à craindre, puisque les troubles navaient pu être atténués dans un
milieu sain et favorable à lépanouissement, puisque, au contraire, le comportement
du garçon avait suscité dincessants conflits, que ces troubles sétaient
tellement structurés dans le passé, quils avaient pris une allure
caractéropathique impossible à réduire dans une Ecole de Plein Air, non équipée
spécialement.
Le renvoi étant indispensable, nous avons conseillé le
placement dans un établissement spécialisé où une psychothérapie pouvait être
tentée.
A part nous, nous pensions quen tout état de cause, dans
lintérêt de lenfant, la valeur éducative et morale du milieu familial ne
saurait permettre lespoir dune remise ultérieure pure et simple aux parents.
Tel est laspect dramatique de certaines situations
apparemment sans issue dans notre société.
N.B. Le 9 février 1968 Soit dix-huit après ce qui
précède, la presse parisienne faisait part de larrestation dun curieux
personnage « hirsute, barbu, au regard halluciné » qui avait tenté de
rançonner sa plus proche voisine, ancienne directrice dune école commerciale
privée. Une lettre anonyme fort mal écrite et orthographiée réclamait un million
danciens francs « sinon, il vous arrivera malheur. Nous sommes des gens
sérieux, pas des rigolos. A bon entendeur, Salut ! ». Lauteur de cette
mise en demeure rapidement démasqué, nétait autre que Jojo. Inculpé de tentative
dextorsion de fonds et de menaces sous conditions, Jojo sest ainsi
expliqué : « jai horreur du travail. Alors javais besoin
dargent
Mais jai beaucoup de respect pour ma voisine. Je la salue depuis
longtemps
».
Suite dobservations sur Pierre T
Létude suivante, étalée du premier octobre 1947 au
premier mars 1948, est consacrée à un garçon âgé de 14 ans et 6 mois.
Au Binet-Simon, son
âge mental atteint tout juste sept ans ce qui correspond à un niveau de débilité (La
notion de débilité mentale, uniquement fondée sur un quotient intellectuel, pour
lentrée en classe de perfectionnement, est controversée. Pour Pierre T., il
sagit dune réelle arriération due à un trouble physiologique congénital
constituant le handicap primaire. Linfluence du milieu familial, ici fort médiocre,
comme organisateur de lappareil psychique, doit entrer en ligne de compte pour
apprécier le garçon.).
Au point de vue physiologique, on a affaire à un
hypothyroïdien (myxoedémateux) au faible
tonus, et dun développement staturo-pondéral médiocre : 1, 38 m 32,
400 kg très onychophage (il se ronge les ongles).
Milieu familial et social Pierre T
a
toujours vécu entre son père : 70 ans et sa mère, 50 ans, ouvriers agricoles. Il a
un frère et deux surs, beaucoup plus âgés que lui. Les parents sont illettrés.
Le milieu est frustre. On y boit sec, et après boire on se dispute en famille, parfois
aussi avec le voisinage, qui, volontiers, cherche querelle. Hygiène à peu près
inconnue. Le garçon est présenté au Centre Sanitaire de La Turmelière tout imprégné
de vie terrienne.
Lenquête sociale note que les parents ont manifesté, à
leur manière, une certaine affection au garçon. De fait, ils ne manqueront pas de le
visiter assez régulièrement ; Lui, il est assez attaché à ses parents ; à
peine à son frère et à ses surs, de qui il ne parlera presque jamais.
Connaissances scolaires Pierre sait peu et mal
lire. Il nécrit que son nom et son prénom quil distingue mal lun de
lautre. Aucune notion de calcul. Dans a classe, quil a quittée en juillet, il
assure quil na jamais dessiné « dabord, moi je connais pas
dessiner ! ».
Premier octobre 1947 En arrivant dans la classe de
perfectionnement de lEcole de Plein Air, Pierre est
invité à dessiner comme il lentend, un monsieur et une dame. Il dispose de
feuilles de papier nombreuses, de crayons noirs, de crayons de couleurs. Malgré son
affirmation renouvelée dignorance totale du dessin, il sinstalle et commence
ce jour-là la série des graphismes quil produira ensuite librement pendant six
mois.
Selon ses explications, le monsieur (fig. 47)
se trouve au centre de la feuille ; il est de bonnes
dimensions. La masse de ses cheveux gribouillée très vite, se colore de bleu et de
violet. Une oreille, énorme, est violette, et les contours du corps se cernent de bistre.
Les bras, dinsertion aberrante, possèdent des mains à trois doigts, curieusement
terminés par des disques sui sont, dit-il, des ongles.
Plus haut à gauche, la dame est dessinée deux fois plus
petite. Elle est traitée suivant la même technique. Elle ne dispose que dun bras,
car lespace semble manquer pour faire lautre. Dans les deux dessins, trois
ronds (des boutons) matérialisent sans doute la vêture.
Lallure des personnages est stéréotypée. Rien ne
distingue les sexes, sauf peut-être que la chevelure de la dame serait un plus opulente.
Dailleurs, en verbalisant son dessin, Pierre explique brièvement quil
sagit dun « monsieur » et dune « dame » parce
quils sont nés comme ça ! Ce qui marque son bon sens
14 octobre 1947
Volontairement, Pierre veut dessiner sa
mère, quil situe bien au beau milieu de la feuille. Tout en dessinant il explique
quelle porte un « beau chapeau ». Elle a aussi une « robe »
figuré par deux traits de crayon noir qui rejoignent la taille. Quatre boutons
complètent la toilette. Il samuse à dessiner les mains, et multiplie par jeu les
doigts comme le font souvent des enfants très jeunes.
Un petit garçon lui sans doute, mais il nen dit
rien, pas même à ses voisins intéressés figure en haut et à gauche de la
feuille. Les mains sont énormes. Un béret complète le croquis, tangent au crâne.
Pendant toute la durée de lexécution du dessin, Pierre a paru très absorbé, répondant brièvement et avec un rien de condescendance dans le ton à ses camarades (fig. 48)
car lui, il travaille avec sérieux !
4 novembre 1947
Pierre sintègre au milieu et commence à participer socialement aux
activités pour la mise en ordre de sa classe. « Latelier » disons-nous.
Il veut bien réapprendre à lire est ses progrès sont réels. Le calcul vivant sans le
passionner, ne constitue plus à ses yeux la tâche stérile dans laquelle il se perdait.
Spontanément ce matin-là, il annonce à haute voix, tant pour
ses camarades que pour lui « je vais dessiner mon parrain : Joseph F. Du
Tremblay (village voisin de Liré). Et il se met à luvre en détaillant
« Là ! avec ses grandes oreilles, ses moustaches, sa casquette
»
(fig. 49).
Dun trait appliqué et plutôt rapide, le portrait remplit
la feuille. Ce parrain, il laime bien ! Pourtant le dessin semble marquer une
régression. Ce quil a gagné en volume, il la perdu dans la précision des
détails : les bras et les pieds manquent.
Pierre collabore à certains travaux. Il prend obscurément
conscience de la place quil tient parmi les autres dont la « science »
ne lécrase pas. Il leur parle, à eux, petits citadins, de ce qui ne pouvait
intéresser personne dans son milieu précédent : des bêtes de la
campagne, surtout des chevaux, des employeurs de son père. Il reconnaît son pouvoir sur
autrui, de qui il apprend à se différencier. En se valorisant, il améliore
la relation. Il devient lamuseur dune galerie sympathique. Il sidentifie
à « Papillon » son cheval préféré (Lidentification à
lanimal est fréquente pour lenfant jeune. Il le traite fraternellement et
lidentifie souvent même à un membre de sa famille.). Tous les soirs, dans la chambre quil partage avec
quelques camarades, il joue son personnage en dételant « Papillon » à la
grande joie des voisins. Ce quil dit « dételer » signifie quil se
déshabille pour la nuit, quittant ses vêtements et les pliant lun après
lautre. Les vêtements, selon lui, ce sont les harnais du cheval !
12 novembre 1947
les chevaux commencent à sinstaller dans les dessins de Pierre. Quelques
essais quil a détruits, aussitôt comme dénués dintérêt, lont
amené à dominer ce nouveau graphisme. Désormais, les
animaux envahiront des quantités de feuilles. Tous les chevaux quil connaît
apparaîtront. Ils seront « Canard », « Poulet », et naturellement
« Papillon ». La composition du 12 novembre est la plus riche quil a
conçue jusqualors.
Le dessin, assez bien structuré, lencourage à vivre la
scène qui traduit ses fantasmes actuels.
En vrai magicien, il prend la place du personnage actif ;
tout en dessinant, il parle, puis gesticule intensément « Rcule Poulet !
Rcule Cest mon père qui dit comme ça ! » Mais, si le père
est là, cest surtout comme témoin du miracle. Pierre sinstalle près des
chevaux, sérieux maintenant, car il est le conducteur dun attelage qui
traîne une machine précieuse « la machine à battre à Bricard ! elle
en coûte des sous ! moi je vais lessayer un ptit ! Là, ça
y est, il a glissé mon cheval ! ». Le dessin dune des mains du père, à
cause dune erreur ou dun oubli, ne compte que trois doigts et lautre
quatre. Pierre invente sur-le-champ une explication : « il a eu mal à ses
doigts ! » (fig. 50).
A partir de ce dessin du 12 novembre, les productions seront
rarement statiques ; le sens de la marche établi vers la gauche, vers
le passé symbolique, suivant Max Pulver. Tour à tour, pendant plus dun mois, il se
représentera comme chef de convoi de nombreuses charrettes. Ses chevaux seront toujours
plus forts ou plus rapides que ceux des voisins. Car il est devenu, en pensée,
propriétaire de plusieurs animaux. Il a trouvé une solution valorisante, il sy
tient (fig. 51 du 15.11.47).
Vers la fin du trimestre scolaire, les éléments du dessin se
groupent moins bien, le tracé est moins net, le commentaire sappauvrit. La fatigue
le marque.
A ce moment se place lanecdote suivante qui situe le
garçon. Malgré des progrès considérables sur le plan moteur, Pierre continue à
éprouver quelque peine à monter et surtout descendre les escaliers du château.
Sil sessaie à courir, il arrive que le résultat soit grotesque ; mais
encore animiste, il accuse ses sabots de mauvaises intentions. Il a même prétendu,
devant ses camarades, que ses sabots se battent après
quil les a quittés ! Il fournit tant et tant de détails quune sorte de
conte plaisant en a été tiré après un travail collectif. Dans cette fabulation
aberrante, se mélangent faits réels et inventions de mythomane. Il récompense en
particulier son sabot « mignon » en le peignant de rose tendre, tandis
quil châtie le querelleur dun « bon coup de fouet ». De
sêtre érigé en justicier lui plaît (Il est bon de rappeler, selon Piaget,
que la mentalité enfantine se caractérise par le syncrétisme qui fait confondre
à lenfant très jeune son Moi et les choses, lanimisme qui le porte à
croire que les choses qui lentourent possèdent une part de vie, de conscience et de
volonté, lartificialisme par lequel il imagine que tout est de création
humaine. Pierre t. exemple attardé de cette mentalité qui conditionnait sa structure
mentale, disposait donc, évidemment, dune vision animiste qui déterminait
lactivité de sa pensée.).
Il part alors en vacances dans sa famille, pour Noël.
Son niveau scolaire sest un peu amélioré. Il a regroupé
des éléments intégrés pendant sa précédente scolarité, alors que sa place
permanente de dernier, ou mieux de laissé pour compte, le défavorisait. Il y a joint des
connaissances acquises dans un tout autre climat éducatif, grâce à dautres
techniques. Il prend même plaisir à lire, à composer des textes libres très courts, à
compter et à effectuer de petits problèmes bien concrets.
A son retour de vacances, nous notons avec étonnement combien
Pierre sévade de ses précédentes préoccupations villageoises et terriennes. Au
lendemain dune séance de cinéma scolaire, il évoque par son dessin une course de
bateaux à voile. Il devient sensible à la compétition. Mais, dans tous ses graphismes,
le sens du mouvement, se maintient de droite à gauche
sans exception.
5 janvier 1948 (fig. 52)
Il sagit dun dessin enlevé très vite,
sans apport de couleurs, au lendemain de la fête scolaire du centre, qui a coïncidé
avec la visite mensuelle des parents. Linstitutrice de Pierre a présenté le
garçon à ses parents venus en spectateurs. Il a conçu une fierté considérable
dun pareil honneur. Aussi, dans son dessin, il ne manque pas de placer la maîtresse
avec ses parents au tout premier rang. Mais seul le commentaire rend lintention
intelligible. Chacun des éléments du dessin est pauvre en soi, alors que lensemble
concourt à vouloir représenter une foule dans laquelle le narrateur a tenu à affirmer
ne hiérarchie affective précise. Modestement peut-être, il sest omis de la
distribution !
10 janvier 1948
Désormais, les voitures automobiles et la mécanique, sous bien des formes,
linspireront à peu près uniquement. Un soir, il a vu les employés charger du
matériel sur la camionnette du centre. Il dessine la scène. Les phares allumés de la
voiture sont matérialisés par lapport massif de couleurs mêlées (violet, brun,
noir). En cette occasion, il va se prouver, et prouver à autrui, quil sait retenir
les explications fournies en classe. La route est figurée par deux traits déterminant
une surface, et il veut représenter une « patte doie ». Le terme exact,
il la oublié, mais il surmonte la difficulté en disant « les doigts de la
route ». Puis, choqué, il se reprend comme sil se gourmandait :
« Non ! elle a des pieds, la route ! ». Même sens de la marche du
véhicule (fig. 53).
16 janvier 1948 Brusque apparition dun élément affectif nouveau. Pour une fois, Pierre dessine en silence. Dabord une automobile, sans évolution notable sur le plan du rendu. Les roues, à ma connaissance dailleurs, demeureront toujours tangentes à la carrosserie (le « déplacement » de Luquet). Il accroche une remorque à la voiture. Le tracé est ferme, lourd même. Cette remorque porte ce quon peut juger être quatre formes allongées deux par deux. Sans explications, Pierre range son dessin, quil regard attentivement laprès-midi (fig. 54).
Puis, sur une autre feuille, au crayon de couleur noire, en
traits écrasés, il trace un corbillard trapu surmonté dune croix « Minette,
ma jument, tire le machin ». Personne ne semble conduire cet attelage funèbre. Une
remorque est dessinée. Dun beau vert, qui tranche sur le noir. Dans la remorque,
Pierre sinstalle en disant « Cest
un de mes copains qui est mort, devant. Moi, je suis là-dedans à pleurer,
moi ! » (fig. 55).
Jusqualors, Pierre ne sest guère montré émotif.
Sil est attaché à ses parents, eux-mêmes frustres, il na jamais été
choyé ni gâté. Cette manifestation marque donc une nouveauté. Cet état affectif a dû
exiger une prise de conscience plus aiguë de son existence, de son Moi. Et la crainte de
la Mort lui vient dans le même temps. Astucieusement, jimagine il a mélangé au
noir trop funèbre un peu de jaune et du rose. Les roues du corbillard sont lune
rose, lautre en partie rose, en partie verte. L route ne figure pas, alors
quil avait accoutumé de la dessiner. Le sens de la marche demeure le même, de
droite à gauche.
21 janvier 1948 (fig. 56)
Nouvelle scène funèbre. Le corbillard est
motorisé. Il tient du tracteur, suivi dune lourde remorque : un drapeau noir
flotte sur le tout. Le noir se mélange de jaune dor, bien visible. Personne ne
conduit le convoi ; personne ne laccompagne. Lensemble (tracteur,
remorque, route) se détache en ombre chinoise.
Commentaire spontané : « Cest une petite
fille. Elle sappelle Pierrette. Elle est morte ce matin à Liré « par »
lappendicite. Elle est enterrée à 9 heures à Liré. Rien de plus. Même sens de
la marche.
23 janvier 1948 ( fig. 57)
Même thème repris volontairement. La couleur noire
est pure parce que, explique-t-il, lenterrement a lieu la nuit. En vague
transparence, un cercueil. Les gens qui participent au convoi sont barbouillés de noir,
de la tête aux pieds. « Ils pleurent, cest pour ça ».
Un personnage surtout, le second après le corbillard, paraît
écrasé de chagrin. Tous ont une allure traduite simplement, mais très révélatrice de
lémotion suscitée par le tableau. Même sens de la marche.
A ma connaissance, la série des dessins dinspiration
léthale est close. Elle semble avoir joué, ici, le rôle bienfaisant dune
catharsis (liquidation) spontanée. Pierre y a trouvé la voie dexpression légale
dun trouble anxieux inconnu de lui jusqualors, et en rapport singulier avec
une certaine prise de conscience dune personnalité évolutive. Ses craintes
morbides se sont transférées sur un être mythique et pourtant proche, cette
« Pierrette », son double transparent quil fait disparaître, sorte de
victime symbolique, après avoir dabord enterré « un copain ».
On peut assurer que la couleur noire, dallure
obsessionnelle pendant quelques jours, bien quagrémentée parfois dun
soupçon de rose, de jaune et de vert, a aidé Pierre à exprimer sa crise de tristesse
angoissée, jusquà sa liquidation (« La tristesse ne peut
véritablement exister quavec une sorte de dédoublement qua,nd lenfant peut
assister au pathétique de son sentiment. Cette contemplation implique une certaine
compassion et une comparaison que lenfant fait entre lui-même et autrui. Cette
tristesse, suivant WALLON, est au-dessus de la joie et son apparition constitue une étape
importante dans la formation de la personnalité. Paul Césari
« Psychologie de lenfant » Ed. P.U.F. 1949 Q.S. p. 77 chap.
« Laffectivité enfantine »). Ici, le
dessin, avec laide de la couleur, ont, de pari, assuré la dédramatisation
dune crise intérieure.
24 janvier 1948 (fig. 58)
Par son comportement général, Pierre prouve
quil prend de mieux en mieux conscience de lui-même. Il souhaite de
saméliorer. Il ne parle plus de chevaux et nen dessine plus jamais.
Aujourdhui, son dessin le montre en automobile, un gros camion. Son cousin
conduit ; son père et lui-même se font véhiculer comme des Messieurs
(prononcer »Meussieurs » et traduire « Propriétaires ou
bourgeois »). Ils vont chercher du sable de Loire.
Brusquement, le sens de la marche, rompant avec le passé,
sétablit de la gauche vers la droite dans le sens même dune orientation
affective nouvelle. Il se trouve avec des hommes sérieux, et il veut participer, nous le
vérifierons sous peu, à des activités dhommes faits.
Mais ce dessin impose une observation. Si la route nest
quun simple trait de crayon, son profil particulier donne limpression de
freiner, sinon de bloquer curieusement les roues du véhicule. Tant pour larrière
que pour lavant. Nest-ce pas là un témoignage symbolique inconscient
dune prudence en rapport avec lhabituelle mentalité campagnarde encline à de
grandes hésitations avant de modifier ses habitudes ?
28 janvier 1948 (fig. 59)
Pierre na pas éprouvé le besoin de dessiner
depuis le 24. Brusquement, il est à nouveau envahi et guidé par ses souvenirs de
terrien. De chic, il traite une scène de dépiquage du blé. Les acteurs sont nombreux.
Parmi eux, marqués dune croix, deux personnages lintéressent
précisément : son père, qui engrène les gerbes dans la vanneuse, et lui-même qui
a tenu à se représenter chargé dun sac de grains sur les épaules :
« Un sac de 100 ! » (100 kilogrammes, bien entendu). Dans les campagnes,
seuls les jeunes hommes très solides se spécialisent dans ce rude emploi ; cela,
chacun le sait. Aussi, sidentifiant à lun deux, Pierre, dans un esprit
magique, se désire une telle force qui assure la puissance. Amélioré, il se veut
capable daffronter bientôt son milieu dorigine. Il est vraisemblable
quil en a accepté lillusion. La désinvolture du tracé de la tête des
personnages du bas du dessin, traitée à la manière dun O majuscule manuscrit,
témoigne de cette illusion qui le détermine à dessiner les autres cavalièrement, alors
que la projection de son propre personnages est plus soignée comme lest la facture
des travailleurs sérieux sur la vanneuse.
30 janvier 1948 (fig. 60)
Pierre ne parlera plus de ses chevaux, si ce nest
quà loccasion pour amuser la galerie ; il ne dessinera plus rien qui
rappelle la campagne jusquà la fin de son séjour à la Tumelière, le 31 mars
1948. En revanche, les autocars, les trains et les locomotives feront sa joie graphique.
Le 30 janvier, par exemple, il dessine une locomotive étrange
suivie dun seul wagon de voyageurs et dun wagon de marchandises où se
prélasse un « bonhomme » - lui-même avoue-t-il qui va à Paris. Il
est de fait que, jusquà présent, jamais Pierre na voyagé. Pour le début,
il se contente donc dun modeste wagon de marchandises.
Le sens de la marche, déjà infléchi vers la droite depuis le
24 janvier, semble fixé dans la même direction.
2 février 1948 7 février 1948, etc. Pierre dessine nombre de camions qui se
ressemblent tous, comme des trains et des wagons. Ces véhicules transportent quelques
voyageurs et beaucoup de marchandises. Pour lui, il semble inconcevable quon puisse,
à moins dêtre un « Monsieur », voyager pour son plaisir.
La marche de tous les véhicules se poursuit généralement vers
la droite, sans quon puisse cependant augurer une amélioration plus profonde ni
dans les résultats éducatifs, ni dans le comportement. De même, si la couleur dominante
des productions devient le rouge, dont le psychologue Max Lüscher, entre autres, dit
quil marque symboliquement « le plaisir de conquérir » (cité par R.
Maurelet J. Brunais « La conquête de la couleur » p. 54 ed. Denoël
1956) cela ne saurait traduire quune conquête récente, mais limitée dans ses
effets et son étendue, comme étaient limités et le sont demeurés, les moyens mentaux
mobilisés.
Résultats obtenus
du point de vue staturo-pondéral, Pierre a pris plus de 4 kilos et il a grandi de
4 cm. Il respire mieux. Léducation physique la un peu assoupli. Il quitte le
centre sanitaire scolaire après un séjour de six mois seulement. Cest peu, et on
avait beaucoup tardé à se préoccuper de son éducation en vue dun avenir moins
sombre. Pourtant, tels quels, les résultats obtenus ne sont pas négligeables, sans
quon puisse toutefois assurer quils soient acquis définitivement.
Sur le plan physiologique, mental et affectif, léquilibre
sest amélioré et les possibilités de rendement se sont accrues. Le garçon
sest un peu « dénoué ». Cest le résultat dune meilleurs
hygiène de vie et de soins médicaux vigilants en même temps que celui dune
éducation physique à sa mesure dabord considérée avec crainte à cause de
sa nouveauté qui la rendu moins pusillanime, en même temps quelle lui
a donné un peu plus de tonicité et daisance.
Les résultats éducatifs obtenus dans la classe coopérative
lui ont permis de lire à peu près correctement un texte imprimé assez court, den
saisir lessentiel, de comprendre une lettre
manuscrite simple. Il saura recevoir de largent, le compter, rendre la monnaie sur
de faibles sommes. Il lira lheure. Par lexercice, ses mains si
caractéristiques auront développé et affiné leur adresse. Sans disparaître,
lonychophagie aura régressé parallèlement à son anxiété latente.
Le plus important sans doute tient à ce que Pierre aura pu
prendre conscience de sa propre réalité au sein du groupe, dans le milieu
aidant que constitue une classe coopérative à faible effectif. Autrement dit, malgré de
lourdes hypothèques somato-psychiques congénitales, on a obtenu une socialisation
intéressante en favorisant lexpression médiate et la relation avec les autres
éléments du groupe, enfants et adultes.
Pourtant, si le rendement est meilleur en fin de stage, il ne
peut guère être envisagé dinscrire ce résultat au bénéfice dun gain de
niveau mental. Il sagit dune mobilisation affective plus puissante et plus
complète, qui permet une meilleure utilisation du potentiel des capacités.
En bref, les causes extérieures essentielles dun tel
résultat peuvent se résumer ainsi :
a) Séparation de lenvironnement habituel (parents,
voisinage
) perturbateur et peu sécurisant (disputes, querelles après boire
surtout).
b) Reconditionnement régulateur du mode de vie,
meilleure discipline générale, nourriture mieux équilibrée (plus aucune boisson
alcoolique), relaxation et éducation physique.
c) Influence des soins médicaux sous surveillance
permanente (Ici, je rends un singulier hommage à mon ami, le docteur J.M. Bazquez,
médecin résident, dont la compétence et le dévouement ont pesé et continuent à peser
lourd dans les destinées du Centre de la Turmelière.)
d) Souci de techniques éducatives assurant le contact
authentique et la relation entre les divers membres
du groupe, en même temps que la valorisation personnelle du sujet dont on peut dire
quelle suscite lacquisition des sentiments sociaux. Cette auto-valorisation ne
peut se gagner que par leffort volontaire sous linfluence de la liberté
dexpression, premier pas vers lautonomie. Chaque réussite hausse en effet le
niveau de laction, les prétentions de lenfant, et lengage à se faire
confiance à lui-même (Piaget).
Le plus simple, le plus direct, le plus accessible
demblée et sans doute le plus efficace des modes dexpression libre a été
ici, le dessin. Pierre y a pris conscience, de proche en proche, dune personnalité
dont lévolution nétait guère pensable dans es activités antérieures de
faible tension, de « laissé pour compte » de la classe.
Tout cela na été possible que par la convergence des
efforts de léquipe des éducateurs et du médecin, conscients du but quils se
proposaient, et des moyens pour y parvenir.
Désormais, Pierre est entré comme petit berger dans une
importante ferme, rendra des services à peu près satisfaisants. Il sera un peu mieux
armé dans la lutte pour la vie.
Quant aux dessins réalisés par Pierre T., véritables
projections expressives, la douzaine dexemplaires choisis parmi les plus typiques et
utiles de son dossier, il est évident quils ont permis de mieux connaître le
garçon et son milieu dorigine, de juger de son imprégnation terrienne. Chez lui,
dès labord, pas de problèmes affectifs majeurs ; son Moi ne se différencie
guère de lautrui, tout comme pour un petit enfant.
On juge de son niveau mental par la facture de ses personnages.
On note aussi quelques améliorations dans le rendu objectif, mais finalement on termine
la série sans apercevoir une montée appréciable. Débile congénital il était, débile
il demeurera.
Mais on suit parfois au jour le jour, son évolution affective
dans ses subtiles incidences ; on le sent soucieux dune valorisation dont il
perçoit obscurément le bénéfice. Ses intérêts se modifient ; miroir précieux,
le dessin les matérialise. Ainsi, nous atteignons la crise assez dramatique de la
conscience de sa personnalité, de son Moi, quand il découvre quil pourrait
mourir. La tristesse lhabite, et tout naturellement le dessin aide à liquider
létat de tension transitoire.
Un élan vers la vie le jette dans une direction affective
nouvelle. Pierre est un autre gaillard, mais encore modeste dans ses activités et son
comportement.
Il na jamais été un enfant-problème, et on pouvait le
croire sans problèmes. Le dessin la révélé à lui-même comme il la
révélé à ses éducateurs : plus complexe et plus délicat quon
limaginait ; le dessin a été un outil important de sa minime, mais certaines,
libération.
Une expérience vécue
ailleurs
« Nous sommes tous le psychothérapeute, bon ou mauvais,
de celui dont la formation dépend de nous » docteur Ch. De Mondragon, directeur
médical eu C.M.P.P. Henri Wallon de Nantes.
Maintenant, je me propose de présenter, avec son accord, le
témoignage plaisant de lexpérience menée par notre camarade Paul Le Bohec
lorsquil se trouvait dans sa classe de Trégastel (22). Expérience qui illustre le
propos du docteur de Mondragon et montre sa particulière validité dans le cadre de la
Pédagogie Freinet.
Christian est âgé de 7 ans et 6 mois. Ses parents sont
divorcés ; la mère est remariée à Paris. Lenfant est élevé à Trégastel
par sa grand-mère maternelle. Il est chétif, pâlot. Lannée précédente, son
inscription, à lécole privée des filles avait permis déviter aux petites
jambes les deux kilomètres qui séparaient la maison de lécole publique.
Voici ce que Paul Le Bohec écrivait sur Christian :
« Au début de lannée il ne travaillait guère.
Cest à peine sil écrivait une ligne dans sa journée. Contrairement à mes
anciens du C.P. qui suivaient désormais le C.E.1, je ne connaissais pas ce garçon et ses
fréquentes absences mempêchaient de nouer la relation. Tout mon C.E.1 travaillait
darrache-pied. Ce garçon-ci ne faisait rien. Alors, surtout en début dannée
où il sagit de bien mettre la machine sur les rails, cétait
linstituteur, celui qui fournit les connaissances qui dominait en moi. Je
« rouspétais », je nacceptais pas que Christian ne fit rien dans sa
journée.
Ce nétait pas la bonne attitude. Tôt, jen eus la
preuve.
En effet, au cours des monologues spontanés auxquels
lenfant avait pris goût, Christian révéla sa peur.
Tournant en rond, presque sur place, il psalmodiait :
« Léco-o-le cest-est-du-ur ! ».
Puis un beau jour, il chanta : « Je vais à la
chasse, je vais à lécole. Je tue tous les enfants et je tue le
maître ! ». (Bovet, dans un schéma fameux prouve que
lagressivité est rarement primitive. Elle serait la conséquence dun
sentiment dinsécurité développant langoisse puis une agressivité pouvant
sinvestir en délit générateur de sentiment de culpabilité. A partir de quoi peut
sinstaurer une réaction circulaire de conséquence souvent nocive.)
Ainsi, Christian avait peur des autres enfants (lun
deux à 16 ans mesurait 1,80). Leur comportement leffrayait dans la cour de
récréation. Mais il avait surtout peur de moi. Peur du maître !
Jabandonnais alors toute tentative didactique. Je lui
parlais doucement, je désirais faire sa conquête. Ce nétait pas facile parce que
nous navions pas vécu assez longtemps ensemble.
Cependant, lenfant sadaptait mieux. Il écrivait des
textes de plus en plus longs. Il lisait un peu et semblait vouloir calculer. Mais le
problème nétait pas résolu pour autant. Un jour, il me remit même le document
suivant (fig. 61)
Voilà que chez moi, dans une classe
« normale » avec des enfants réputés « normaux » surgissait
cette page illustrée où jétais parfaitement mis en cause. Tout tendait à me
diminuer, à me rendre ridicule à tout prix, grotesque même, dans ces croquis.
Examinons les éléments graphiques péjoratifs :
- la face de
Monsieur Le Bohec
- Monsieur Le Bohec
aux cabinets ( !!)
- Monsieur Le Bohec
qui fait son marché (pour Christian, cest le comble du ridicule)
- Monsieur Le Bohec
en prison parce quil a renversé larmoire exprès
- Et surtout,
peut-être, Christian, tout minuscule, qui va battre Monsieur Le Bohec. David
sapprêtant à terrasse Goliath !
Moi qui métais imaginé que les relations sétaient
arrangées, quelle désillusion !
Que pouvais-je faire ? Que devais-je tenter ?
Jessayais de me montrer très indulgent pour Christian. Cétait assez facile
parce quil était sensible et intelligent et que sa lecture, son écriture, son
calcul étaient devenus à peu près acceptables. Je ne sanctionnais surtout pas le peu
dardeur quil manifestait parfois le travail. Au contraire, je favorisais
son expression libre. Alors, Christian se révéla peu à peu, à nos yeux comme à
ceux de ses camarades intéressés :
-
un chanteur remarquable, voix grave,
inspiration sans défaillance,
-
un danseur excellent, encore que fort
comique (je savais rester sérieux car lenjeu était dimportance)
-
un dialogueur de premier ordre à
limagination vive,
-
un chorégraphe (mais oui !) inspiré
qui inventait des évolutions, marches, courses à deux ou à plusieurs participants, des
rondes, des danses.
Souvent je le félicitais. Il le méritait bien.
Parallèlement, Christian avançait en calcul, en lecture, en écriture, en orthographe,
ses centimètres-carré montaient sur le planning.
Un matin, le 25 mars, je trouvai sur mon bloc, le dessin présenté ici (fig.62).
Quelle joie ! Ainsi, même dans les situations courantes,
avec des enfants appréciés comme normaux, des problèmes se manifestaient comme sous
forme de petits drames, doppositions, de craintes génératrices dangoisse, le
tout plus ou moins intériorisé. Pour qui se refuse à voir, il est possible de ne rien
savoir. Mais le dessin spontané est un témoin .
Il y a plus. Lorsque la situation se normalise. Lorsque
laccord se développe, lexpression totale de lenfant aidant à
lépanouissement, le dessin spontané témoigne encore de lamélioration et il
aide à cette amélioration.
Lorsque laccord « enfant-maître » a été
conclu, lorsque lidentification a permis de dépasser la situation paradoxale
« amour-haine » dans un climat pédagogique aidant, Christian a pu
investir symboliquement son maître de la plus haute dignité que lui suggèrent ses huit
ans proches : « Monsieur Le Bohec est le roi » (fig. 63).
« Pourquoi chercher à tout prix cet accord ?
écrit encore Paul Le Bohec parce que lenfant ne peut vraiment être
lui-même quà partir de ce moment-là. Ce nest quà ce moment-là
quil sera en mesure de se mettre en route. Je pense que nous devons tenter de
lobtenir le plus tôt possible, en même temps que nous devons chercher et étudier
coopérativement les techniques qui favorisent cet accord et le précipitent ».
Lexpérience de Le Bohec à Trégastel pourrait se
multiplier, elle devrait constituer un exemple. En tout cas, elle sinscrit
harmonieusement dans les conclusions du colloque sur lEcole Moderne dAntony en
1957..
« Les techniques de lEcole Moderne permettent à
lécolier dagir en Enfant, au maître dagir en Homme, à lEcole de
devenir thérapeutique ».
Pour terminer
Cette série de témoignages devrait avoir permis un contact
authentique avec une certaine réalité enfantine généralement mal perçue ou occultée
parce quelle se présente sous un aspect inquiétant.
Car lenfance nest pas seulement la période
heureuse, innocente que daucuns imaginent.
Quon ne voie pas là une conclusion pessimiste. Mais
léducateur doit être réaliste. Certains des aspects pénibles sont le reflet de
notre société, de notre temps, de notre condition inhumaine et angoissée.
Maurice PIGEON
Complément bibliographique chronologique
La simple référence à la bibliographie relative aux études
consacrées au dessin de lenfant ne peut manquer détonner un profane. Les
travaux bibliographiques parmi les plus sérieux paraissent bien être ceux de Pierre
Naville, parus sous le titre « Eléments dune bibliographie critique »
dans la revue « Enfance » n° 3 / 4 - 1950. (numéro actuellement
introuvable).
On y relève, jusquen 1949 le nom de 306 auteurs et 414
titres. P. Naville ne cache pas combien il lui a été difficile, sur le plan
international, de dresser un tableau complet de toutes les uvres car de nombreuses
publications (surtout américaines et japonaises) parviennent difficilement à Paris.
Georges Rioux consacre également un chapitre important de sa
thèse « Dessin et structure mentale » à un « Essai de bibliographie
historique » dont la première uvre indiquée date de 1881. Il sagit de
« Lâme de lenfant » de Preyer (Alcan Paris).
Sans prétendre épuiser la liste chronologique des ouvrages de
langue française parus depuis 1950, il semblerait convenable dajouter les titre
suivants où il est traité du dessin de lenfant, même si celui-ci ne constitue pas
lobjet principal de luvre.
¤
Jean CHATEAU « Lenfant
et le jeu » Ed. du Scarabée-Paris 1950 p. 139/140
Georges RIOUX « Dessin
et structure mentale » P.U.F. Paris 1951
Melles S. COTTE ROUX et M.A. AUREILLE « Utilisation du dessin comme test
psychologique chez lenfant » Ed. Comité de lenfance
déficiente-Marseille 1951.
Charles BAUDOUIN « Lâme enfantine et la
psychanalyse »
II Les cas III Les méthodes (cf le
dessin et les activités plastiques p. 206 à 226). Ed. Delachaux et Niestlé
Genève 1951
Célestin FREINET « Méthode naturelle de dessin » - Ed.
MARABOUT (MS 265)
Maurice POROT « Le
dessin de la famille. Exploration par le dessin de la situation affective de lenfant
dans la famille » in « Pédiatrie n° 3 1952 p. 1 à 17.
Ernest BOESCH « Lexploration
du caractère de lenfant. Principes et Méthodes » Ed. du Scarabée Paris 1952
(cf « Le dessin » p. 116 à 120).
Dr Henriette HOFFER et LAUNAY « La peinture à grande échelle ».
Son rôle dans la rééducation des enfants déficients psychiques in « Annales
médico-psychologiques » novembre 1952 (p. 698 à 701).
CAIN et GOMILA « Le dessin de la famille chez
lenfant ». Critères de classification » in « Annales
médico-psychologiques » 1953 (p. 103 à 122).
S. COTTE « Le
retard affectif vu à travers le test de Goodenough chez les enfants intellectuellement
normaux au BINET SIMON » in « cinquième fascicule des études de
neuro-psycho-pathologie infantile » ed. Comité de lenfance déficiente
Marseille 1953.
J. BOUTONIER « les
dessins des enfants » Ed. DU Scarabée Paris 1953
C. FREINET « La
genèse de lhomme » Ed. de lI.C.E.M. Cannes B.E.N.P. n° 79/1953
Jean PIAGET PIERRE DUQUET Margaret R. GAITSKELL
etc
in « Art et Education » Ed. U.N.E.S.C.O. Paris 1954.
C. FREINET « La
genèse des oiseaux » Ed. de lI.C.E.M. Cannes « lEducateur n° 11/
12 1955
Elise et Célestin FREINET
« Les dessins dAlain Gérard » Ed. de lI.C.E.M.
Cannes
a)
janvier 1956
b)
janvier 1957
Docteur Robert VOLMAT
« lart psychopathologique » Bibl. de Psychiatrie. P.U.F. Paris
1956
Marthe BERNSON « Du griboullis au dessin » Ed.
Delachaux et Niestlé-Neufchâtel-Paris 1957.
Arno STERN « Aspects
et techniques de la peinture denfants » Ed. Delachaux et Niestlé
Neufchâtel-Paris 1957
Pierre DUQUET « Lenfant
imagier » Ed. Delachaux et Niestlé Neufchâtel Paris 1957.
Arno STERN et Pierre DUQUET « du dessin spontané aux techniques
graphiques » Ed. Delachaux et Niestlé Neufchâtel Paris 1958.
S. COTTE et G. ROUX « The house divided » (La maison
divisée) in « Etudes de neuro-psycho-pathologie infantile » 8ème
fascicule Ed. Comité de lEnfance déficiente- Marseille 1959.
Pr Enrico FULCHIGNONI
« lart thérapeutique moderne, in « Le courrier de
lU.N.E.S.C.O. » paris mai 1959 (P. 26/27) Dans ce même numéro « Enfants troublés,
dessins troublants » p. 32
ART ENFANTIN Revue
trimestrielle de lI.C.E.M. Premier numéro décembre 1959 Cannes
C. FREINET « La genèse des autos » Edition
de lI.C.E.M. Cannes LEducateur n° 6/7 1960
Elise FREINET « lenfant
artiste » Edition de lI.C.E.M. Cannes 1963
Renée STORA « La
personnalité à travers le test de larbre » numéro spécial du bulletin de
psychologie 1964
Docteur Louis CORMAN
« Le test du dessin de famille » Ed. P.U.F. 1964
Laboratoire de psychologie clinique (Sciences humaines de
lUniversité de Paris) « Le rôle du dessin dans lappréciation clinique
du développement psychomoteur ». Ed. Laboratoires Solac 1965
Docteur H. LE BARRE « Lenfant et ses dessins » (deux
volumes) Ed. du Maille Pujols 1965
Docteur D. WIDLOCHER
« Linterprétation du dessin denfant » Ed. Ch. Dessart
1965
Docteur Louis CORMAN
« le gribouillis. Un test de personnalité profonde ». Ed. P.U.F. 1966
S. GRUNER M. Th. MAZEROL J. SELOSSE Etudes de peintures dadolescents
délinquants » Ed. Cujas 1967
Alain BEAUDOT « La
créativité à lécole » Ed. P.U.F. 1969
Docteur Henry AUBIN « Le dessin de lenfant
inadapté » Ed. Privat 1970
Robert GLOTON Cl. CLERO « Lactivité créatrice chez
lenfant » Ed. Casterman 1971
Antoinette MUEL « Mon enfant et ses dessins » (Le
langage des symboles) Ed. Universitaires 1974
J.C. ARFOUILLOUX « Lentretien avec lenfant :
lapproche de lenfant à travers le dialogue, le jeu, et le dessin » Ed.
Privat 1975
Ada ABRAHAM « Les
identifications de lenfant à travers son dessin » Ed. Privat 1976
Une recherche systématique de la littérature scientifique ou
pédagogique consacrée au dessin de lenfant devrait permettre de relever un grand
nombre darticles de langue française présentés dans différentes revues depuis
1950 (« LEcole des parents et des Educateurs » -
« lEducation nationale » devenue « LEducation » en
1974 et quelques revues médicales ou autres (1).
¤
Ainsi Adolphe FERRIERE continue davoir raison, qui
concluait en 1928, un article dans « Pour lEre Nouvelle » par ces
mots :
« Notre génération a découvert les dessins
denfants »
Les générations suivantes poursuivent la quête avec la même
curiosité. LEcole Moderne française, à la suite de Célestin FREINET et
dElise, tient une place de choix dans la recherche.
(1) « Sauvegarde de lenfance » n° spécial 5-6 mai-juin 1966, consacré à lexpression artistique au service de léducateur spécialisé.
La revue Art Enfantin et Créations continue de porter témoignage
de limportance que révèlent les dessins des enfants et
des adolescents.
Reuve trimestrielle de 48 pages 21 x 27 cm quadrichromies
Abonnement annuel : 74 F avec supplément de 2
disques : 98 F
Vente au numéro à CEL BP 282, 06403 Cannes Cédex