Des enfants qui recherchent

Approches de phénomènes d’ordre scientifique par le tâtonnement expérimental

de la maternelle au C.M.2.

 

Avec l’analyse de documents provenant des classes de
Dany Baud
Jacques Couturier
Jacqueline Jannière
Thérèse et André Lefeuvre

Coordination de André Lefeuvre

Avec les réflexions de Jacques Lévine

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Sommaire :

- Les points de départ des recherches des enfants

- Essai d'analyse du comportement des enfants

- En classe unique

- En classe maternelle (grande section) 

- En grande section de maternelle

- Au cours préparatoire

- Un type de recherche en classe de CM2

- Un deuxième type de recherche en CM2

- Quelques remarques

- Après discussion

- Le point de vue du psychologue (Jacques Lévine)


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Des enfants qui recherchent

Approches de phénomènes d’ordre scientifique par tâtonnement expérimental

de la maternelle au C.M.2.

Avec l’analyse de documents provenant des classes de

Dany Baud
Jacques Couturier
Jacqueline Jannière
Thérèse et André Lefeuvre

Coordination de André Lefeuvre
Avec les réflexions de Jacques Lévine

La B.T.R. numéro 21 « La curiosité chez l’enfant » nous a familiarisé au comportement de l’enfant en observation scientifique.

Quelques camarades vendéens ont voulu, sans entrer dans l’analyse psychologique du type laboratoire, étudier d’où partait cette curiosité, comment elle se prolongeait chez l’enfant ou dans le groupe d’enfants. Ils ont opté pour une étude portant sur des catégories d’âge allant de la maternelle au C.M.2. Volontairement ils sont restés dans le vécu quotidien des classes avec toutes les incidences dues au milieu scolaire, aux locaux, aux maîtres…

Cette étude a donc été faite à partir de documents, d’annotations, d’écoutes d’enregistrements pris dans des classes de différents niveaux. Ils ont pensé qu’il fallait introduire une nouvelle présentation qui puisse permettre au lecteur de mieux se repérer dans le temps, dans les lieux, dans les circonstances qui ont entraîné des apports du maître et les réflexions. Le lecteur pourra ainsi apporter ses propres remarques plus facilement face à la documentation qui lui est transmise.

Les documents étudiés sont le plus souvent en corrélation avec des observations de phénomènes physiques. D’abord parce qu’ils tiennent une grande place dans la vie du jeune enfant. Ensuite, parce qu’il a semblé plus facile de prendre des notes, de garder des documents et de les commenter dans ce domaine. En fin de B.T.R. nous essaierons de voir quelques prolongements de cette attitude des enfants en recherche dans d’autres secteurs.


Les points de départ des recherches des enfants

Très jeune, dès la maternelle l’enfant manifeste sa curiosité par des questions, des attitudes, des cris de surprise. Pourtant, souvent une même question est posée aux différents camarades qui dans leur classe laissent pratiquer la recherche à leurs enfants : « C’est pas venu comme ça ! Pourquoi le gosse a-t-il cherché ça ? ». Essayons d’y répondre en prenant quelques exemples de démarrage de recherches dans une classe de C.M.2. de vingt-deux élèves. Les enfants et c’est important, peuvent prendre la parole, discuter, tenter des essais, ils sont habitués à la vie coopérative depuis plusieurs années. Ils savent que le travail de la classe est en majeure partie basé sur leurs apports et leur organisation. Ce sont des fils et des filles d’ouvriers souvent sans qualification, de commerçants, ostréiculteurs et artisans. Pas d’enfants des milieux « intellectuels » de cadres moyens ou supérieurs. Ils ont pour la plus grande partie d’entre eux des difficultés d’expression écrite ou orale. Toutes ces raisons sont peut-être à elles seules déjà porteuses d’une réponse à la question. Voyons dans la pratique quelques cas.

L’AFFIRMATION

Un   matin, au cours d’un « entretien-actualités » les enfants font part de ce qu’ils ont entendu ou vu à la radio, à la télévision, de conversations auxquelles ils ont assisté, de ce qu’ils ont lu dans le journal. Les faits sont souvent des événements survenus dans la localité, la région ou dans le monde. 

LA SITUATION 

Tony relate un accident de la route : un camion a percuté une voiture. Question d’un camarade : « pourquoi ? » Tony : «  Il allait trop vite, il n’a pas pu s’arrêter. » 

L’AFFIRMATION 

Christophe : « C’est normal, plus un camion va vite plus il pèse lourd ».

LA DISCUSSION

Un débat s’instaure pour savoir si la réflexion de Christophe est juste. Aucune justification négative ou poisitve n’en ressort. Cela se termine par : « Il faudrait vérifier………………………………….. 

INTERVENTION DU MAITRE 

Aucune dans toute cette première partie d’entretien.  

Ici Christophe s’est proposé de faire des essais mais « pas seul ». Je demande si un camarade désire l’aider. Spontanément Jacques est d’accord pour lui prêter son aide.

SUITE DONNEE

Pendant un mois, en séances d’une demi-heure, trois quarts d’heure, ils travailleront à des essais divers. Leur plus grande difficulté à résoudre sera de trouver un moyen de remplacer le camion par un mobile plus commode. Finalement c’est le système du téléphérique qui est adopté.

Expériences et mesures seront présentées à la classe. Un résumé en sera fait pour une B.T. (numéro 837). 

REMARQUES SUR LES CIRCONSTANCES 

Pourquoi Christophe était-il si affirmatif ? Durant la discussion Christophe a fait le rapprochement avec la pierre lancée par une fronde, avec la boulette qui   quitte un disque qui tourne lorsqu’elle est posée dessus. Il semblait s’être fait une sorte de loi personnelle en amalgamant des observations. D’ailleurs il ne sentira que difficilement même après ses expériences la notion de force ( au lieu de la notion de poids).

Il faut noter que Christophe acceptera que son affirmation soit mise en doute et la nécessité de vérifier.

REMARQUES PLUS GENERALES 

Est-il inutile de dire que tous les entretiens ne débouchent pas sur des recherches ?

Au départ l’entretien n’a pas ce but et je ne crois même pas nécessaire de forcer les choses pour arriver à de telles situations. Nous pouvons noter déjà que Christophe a préféré prendre un camarade avec lui pour chercher. Nous y reviendrons plus en détail dans les pages suivantes.


LES APPORTS EXTERIEURS 

Denis a apporté en classe le vieil appareil photographique que lui a remis son grand-père. L’intérêt que ses camarades ont porté à son apport ne fait qu’accentuer son plaisir d’avoir reçu ce cadeau. Il suffit de feuilleter l’album qu’il a laissé pour suivre la démarche qu’il a empruntée. 

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Il dessine ce qu’il voit : la vue de face de son appareil et un détail : le viseur.

Une autre vue de face. Il décode des détails.

Une vue de profil. Il a demandé de la documentation.

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Il dessine la vue intérieure et copie des schémas sur de la documentation après avoir démonté son appareil.

Il fait des essais en s’inspirant de la documentation.

Il s’est rendu chez le photographe qui lui a donné des explications et fournit des morceaux de pellicule.


REMARQUES PORTANT SUR L’APPARITION DU DOCUMENT 

Au départ, Denis a vraiment montré sa joie de pouvoir apporter un appareil photo en classe. D’autant que cet appareil avait appartenu à son grand-père.*

Deux faits motivent la mise en chantier de l’album. Denis aime beaucoup le dessin. Il sait que son album sera lu par les camarades de la classe mais aussi par les correspondants à qui il peut l’envoyer. La part d’intérêt apparu chez ses camarades va l’encourager à en connaître davantage.

LA PART DU MAITRE 

Quand Denis a présenté son appareil, je lui ai demandé ce qu’il comptait en faire. Réponse : « J’veux le dessiner ! » Je lui ai fourni du papier.

Quelque temps plus tard il me demandera de la documentation sur les appareils. Je lui sortirai la documentation.

De même il me faudra l’aider lorsqu’il aura envie de le manipuler et de le démonter. 

REMARQUES PLUS GENERALES 

Les enfants aiment apporter des objets très divers en classe, parfois ce sont des animaux. Bien souvent ces objets sont à eux seuls une motivation suffisante pour l’enfant qui va vouloir en connaître davantage soit sur le fonctionnement, soit sur l’origine, soit sur son utilité… Surtout que l’enfant ajoute à l’objet même une valeur de possession et une pointe d’affectivité du fait que c’est « son objet ».

Pourtant quelques fois ces apports ne donneront aucune motivation de curiosité ou de recherche : l’apport est simplement montré pour le plaisir de voir les camarades le regarder. L’enfant dans ce cas peut ne manifester que le sentiment de posséder quelque chose que les autres n’ont pas.

A quoi bon d’ailleurs vouloir systématiquement obtenir de l’enfant une démarche de recherche s’il n’en ressent pas le besoin ! L’objet peut avoir une qualité bien suffisante : être agréable à entendre, ou à voir, ou à regarder.


SATISFAIRE UN DESIR PASSAGER 

LA SITUATION DE DEPART ET SON EVOLUTION 

Durant un moment de travail individuel, Pascale et Isabelle viennent me parler :

-M’sieur, on voudrait faire un robot !

- Oui ! Comment ?

Manifestement elles n’ont pas du tout pensé aux difficultés de la réalisation : forme, matériaux, mécanismes… J’ajoute.

- Tracez un croquis sur un papier et nous en reparlerons. 

Elles reviennent un quart d’heure plus tard avec un dessin, premier dessin (voir ci-contre).

C’est un robot aux « formes classiques » celui des bandes dessinées. Elles précisent que ce robot pourra bouger les bras et les jambes et que le nez, la bouche et les yeux pourront s’allumer. Avec elles je trie des fiches du F.T.C. portant des montages électriques et je leur donne la boîte C.E.L. de montage. En s’inspirant des fiches, elles vont tracer un deuxième croquis (voir ci-dessus). En fait, elles vont délaisser complètement l’articulation des membres pour ne se consacrer qu’au montage électrique. Elles iront jusqu’à la réalisation finale après avoir scié, découpé, collé, pointé et assemblé les différentes pièces. Je n’aurai à intervenir que pour combler quelques maladresses de  maniement des outils et effectuer des collages.

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REMARQUES SUR CE CAS 

En sommes Isabelle et Pascale ont provoqué, seules, leur propre curiosité. Au départ la motivation semble mince : un désir passager. Mais la recherche d’un croquis puis la manipulation vont servir à accélérer le processus de réalisation. Si comme le note Michel Pellisier, le maître, la classe, peuvent provoquer la curiosité (p. 28 B.T.R. 21) les enfants eux-mêmes peuvent exciter leur désir de connaître. Il se passe un peu la même chose quand un enfant va lancer des pierres vers l’eau. Dis fois, vingt fois… Il va recommencer son geste avant de modifier ses tirs, la forme des cailloux pour obtenir des ricochets et de se demander pourquoi les pierres rebondissent sur l’eau.

On pourrait se demander si les enfants ont le loisir maintenant (surtout en ville) d’effectuer tous ces essais et de les analyser quand ils le désirent et si ces carences dans les apprentissages de gestes, de manipulations n’apportent pas des perturbations du comportement.

REMARQUES PLUS GENERALES

Il s’agit d’un démarrage en recherche de deux fillettes. Or, trois fois sur quatre ce sont des garçons qui provoquent et demandent des recherches. En cinq ans le milieu social et familial évoqué (p.2 et 3) n’a pas changé et les enfants garons et filles ont reçu la même pédagogie. Je me refuse à penser que les filles soient « naturellement »  moins curieuses, moins chercheuses, moins bricoleuses, moins sensibles à l’entourage préhensible que les garçons. Par contre connaissant bien le milieu familial de chaque élève, avec les camarades de l’école, nous nous sommes aperçu que l’attitude des parents était modifiée considérablement en fonction du garçon ou de la fille. Non seulement su le plan affectif mais aussi sur le plan matériel : on fait davantage participer la fillette à la vie matérielle de la maison. La fille va ainsi se plier plus vite aux modèles, modèles scolaires y compris, imposés par les parents. Le garçon prend un peu plus ses distances et va se retrouver avec davantage de loisirs qui vont lui permettre des essais supplémentaires et lui laisser plus de temps de se poser des questions. Le milieu familial sert de prolongement au modèle de société actuel : regardez les jouets offerts et leurs publicités très sexuées ! A nous de savoir si dans nos classes nous devons prolonger, à notre tour, ce modèle, ou si nous devons habituer les enfants des deux sexes à se comporter identiquement... même s'il faut employer des moyens artificiels pour accélérer la curiosité et la recherche chez les filles. 


PROPOS SUR L’ENSEMBLE 

A travers la B.T.R. 21 de nombreux exemples montraient d’autres points de départs de recherche. Les causes peuvent comme nous l’avons vu être diverses. Nous pourrions y ajouter (en vrac) :

- La parole du maître : questions
- Attitude du maître : la surprise, l’encouragement.
- La boîte à questions : avec dépouillement journalier.
- l’affichage des remarques : croquis, trouvailles…
- l’observation régulière des plantes et animaux.
- la notation d’observations sur un cahier.
- la classe promenade.
- les boîtes de recherches C.E.L.
- les boîtes « bric à brac »

L’organisation coopérative de la classe qui permet la prise de parole par les enfants, les déplacements, les essais grâce à des ateliers divers offrira sans nul doute la possibilité de démarrage aux recherches. Pourtant, c’et certain, des enfants n’ont aucune envie de poser des questions et se laissent « porter » par la classe. L’esprit d’imitation les incite souvent à devenir plus curieux mais pas forcément chercheurs. Ne serait-il pas trop tard, déjà au C.M.2, pour que ces enfants changent d’attitude ? L’influence de certains leaders parmi les enfants de la classe jouera le rôle de moteur ou de frein dans la démarche initiale des camarades. Il m’arrive donc de veiller à ce que les connaissances d’un élève sur un sujet ne viennent pas arrêter le désir d’essayer d’un autre élève.


Essai d’analyse du comportement d’enfants en recherche 

NOTRE BUT était d’essayer de suivre le comportement des enfants durant une recherche. Pour cela nous pensé qu’il fallait

-connaître leurs propos
-connaître leurs réactions
-connaître leur démarche au fur et à mesure des observations.

Un seul moyen technique s’offrait à nous : l’enregistrement. En raison de la mauvaise qualité d’enregistrements qui ne permet pas une reproduction, nous avons transcrit ici fidèlement les échanges des enfants.

 

LE PREMIER ENREGISTREMENT a été fait avec des enfants de la classe de C.M.2 déjà présentés. Partant de l’expérience de Piaget sur la perception chez l’enfant de la conservation de la masse pour un corps dissous dans un liquide, j’ai attendu l’occasion d’une discussion portant sur la dissolution des corps pour inciter des enfants à chercher. A la suite de ma question : « Qui veut essayer de plonger des sucres dans de l’eau et regarder ce qui se passe ? », deux garçons ont accepté d’essayer. Je les ai installés dans une pièce où ils pouvaient disposer d’eau, de verres et d’une quantité importante de sucre (1 kg) morceau. Je suis parti en laissant le magnétophone branché et les prévenant de sa présence. Aucun adulte n’est donc avec eux.

L’ENREGISTREMENT QUELQUES EXPLICATIONS COMPLEMENTAIRES LES REFLEXIONS ET LES REMARQUES

Philippe – Nous mettons deux sucres dans le verre.
Fabrice – On va le couper en deux.
P. – Non il a dit deux sucres

Le « il » employé remplace le maître.

Au début de l’enregistrement les enfants manquent de « naturel », mais très vite ils finiront par oublier le magnétophone. D’ailleurs on note que déjà Fabrice veut mettre un demi-sucre au lieu de deux sucres : c’était la seule consigne que j’avais donnée. Pourquoi l’avoir donnée ?

F. – Oh, cela fait des bulles. Les verres sont disposés sur une table mais souvent ils les prendront dans les mains pour observer. C’est une exclamation marquant l’étonnement d’une première découverte. Fabrice restera tout au long de l’enregistrement le plus curieux et le plus chercheur.
P. – Le sucre grossit, on voit des bulles, elles vont à la surface ; le sucre se dissout. Le sucre semble prendre du volume avec les cristaux qui s’en détachent.  
F. - Oh oui ! regarde ! des produits ! regarde-là !   Cette fois il tient à faire part de son étonnement à son camarade et veut l’entraîner à faire la même observation que lui.
P. Le sucre se dissout.   C’est la deuxième fois que Philippe répète : « le sucre se dissout » comme s’il prenait plaisir à employer l’expression. Ne serait-ce pas un mot récent de son vocabulaire qu’il tient à faire ressortir ?
 

Une pause marquant l’observation des enfants.

 
P. – Quand on secoue, cela forme des tourbillons. L’eau par rapport à celle de l’autre verre est plus trouble, on voit moins bien. Ils ont donné un mouvement de rotation et l’eau tourne dans un des verres. Ils comparent avec l’eau calme du verre resté sur la table (eau sans sucre).

C’est une deuxième découverte : le mouvement de rotation qui modifie la surface de l’eau.

F. – On dirait une « taire » qui serait dans le verre. On dirait comme de petits rochers. Le sucre qui se désagrège au fond du verre rappelle à l’enfant une taire (poisson) qui creuse le sable au fond de la mer. Les petits cristaux de sucre sont pour lui des rochers. Imagination ! Non, Fabrice va à la pêche en mer avec son père. Il lie son observation du moment à ce qu’il a pu observer ultérieurement en d’autres occasions.
P. – Oui ! des morceaux de sucre se détachent. Les cristaux de sucre se détachent peu à peu.  
F. – On va mettre un peu d’eau du verre dans l’autre verre.    
P. – On voit des morceaux de sucre qui se dilatent… Ils ont ajouté d’autres sucres et brassé. L’enfant aperçoit les couches de densité différentes qui flottent dans le verre d’eau : légère coloration. Le vocabulaire de base qu’ils possèdent suffit à peine à traduire verbalement leurs observations. Deux autres enfants au cours d’un même essai verront très bien la promenade des cristaux.
F. – Comme si on mettait du citron dans un verre.   C’est une bonne comparaison avec une observation précédente mais il ne donne pas d’explication.
P. – C’est le sucre qui se mélange.    
F. – L'eau qui se mélange

 

 
F. – Oh ! c’est bien sucré. Ils goûtent des verres d’eau plus ou moins sucrée. Le kilo de sucre que je leur ai donné sera sérieusement entamé à la fin de l’enregistrement. Ils se seront donnés l’occasion de boire plusieurs verres. C’est un moment agréable !
P. – Goûte donc par rapport à l’autre. Ils rient.  
F. – C’est moins sucré.    
P. – On va mettre un peu d’eau. Ils se donnent l’occasion d’en boire à nouveau.  
F. – On voit comme des grosses bulles puis cela se trouble. On secoue ?   Encore des bulles ! Et cela reste un constat. Aucun essai d’explication n’apparaît.

P. – On met le verre un peu penché…

L’eau coule le long du verre penché car ils la font couler lentement. Ont-ils déjà observé ce phénomène ? C’est encore une observation qu’ils mettent dans doute en réserve.
F. – l’eau elle coule le long du verre, puis elle tombe.

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P. - Tu as vu le verre ? Il y a des petits morceaux de sucre collés dessus. Des petits cristaux de sucre restent, en effet, accrochés au verre. Ils ont mis une grande quantité de sucre. Ils constatent un nouveau phénomène. A la réflexion de Fabrice qui suit, on s’aperçoit qu’ils ont bien enregistré ce qui s’est passé mais pas d’analyse profonde sur les raisons réelles de l’apparition de ces cristaux. Je ne pense pas qu’ils soient capables de faire référence à d’autres observations semblables faites ultérieurement.
F. – Oui c’est tout à l’heure quand on a versé et maintenant le sucre est resté collé en haut.    
F. – Les verres de loupe comme tu disais tout à l’heure ( ?) ça doit se faire avec deux verres et entre eux de l’eau. Attends ! Je vais essayer, il me faut de l’eau propre. Le facteur qui passe est bien plus gros qu’avant.

( ?) je ne comprends pas à quoi fait allusion Fabrice.Pas de coupure dans l’enregistrement ! Non ! C’est bien la suite ! Les enfants commencent à regarder ce qui les entoure à travers un verre rempli d’eau pure. Fabrice est allé au robinet chercher de l’eau. Par la fenêtre, il a vu le facteur faire sa tournée.

Ils ont donc abandonné « passagèrement » leur recherche avec l’eau et le sucre. Leur attention est retenue par d’autres phénomènes. Fabrice veut vérifier le grossissement obtenu avec son verre rempli d’eau. Notons les phénomènes optiques :

* Le grossissement (comme avec une loupe).

 

P. – Fais voir !Ah oui ! Fais voir. L’arbre, les arbres de chez la mère Brard ; ils sont vachement gros. On va regarder le ciel. On dirait que le ciel est blanc mais les couleurs se mélangent avec le vert.

Ils regardent les arbres d’un parc d’une voisine situé en face de l’école.

Ils tiennent les verres dans les mains et les orientent dans des positions différentes.

Vérification par le camarade.

* La décomposition de la lumière.

F. – Oh ! Puis à travers une bouteille en plastique c’est tout de travers ! Avec le sucre, on voit mal. On voit des bulles comme si, sur la route il y avait des bulles qui montaient dans le ciel.

C’est la bouteille en plastique qui leur sert à remplir les verres.

Il a repris un verre d’eau sucrée très sucrée.

* Les déformations d’images

Essai de comparaison avec conditions différentes : bouteille plastique remplie d’eau puis verre d’eau sucrée.

P. On voit le vert qui se mélange avec le rouge. T’as vu l’orange et le rose se mélangent avec le vert. Ca fait une nappe d’orange, ça fait drôlement beau une nappe, deux nappes de vert et une nappe d’orange.

Ils regardent le vert des arbres et le rouge orangé des toits.

* La superposition en nappes des couleurs, les formes réelles étant déformées.

Au passage ils apprécient la beauté des formes et des teintes.

F. Le sucre diminue de plus en plus. L’eau est de plus en plus trouble. Maintenant, t’as vu ce qui reste du sucre ? Il n’en reste pas beaucoup à côté de tout à l’heure. Combien de sucres ont-ils mis dans un même verre d’eau. Ils n’emploient que de l’eau froide.

Ils sont donc revenus à la ligne maîtresse de leurs observations : le sucre dans l’eau : l’entracte est passé. Est-ce le sentiment de n’avoir rien expliqué ?

P. – Tiens ! Regarde-là ! Cela s’agite hein ! Par instants les cristaux de sucre se détachent plus rapidement. Ils s’aperçoivent donc que la vitesse avec laquelle les cristaux se détachent du sucre varie. Ils n’iront pas plus loin. Encore un petit acquis à leur actif.
F. – Oui !   Fabrice répond mais il observe autre chose.

P. – Il y a de moins en moins de sucre pourtant

 

 

 

F. – Peut-être qu’on voit pas. Ce tantôt on avait mis une feuille et du sucre et de l’eau dessus. Regarde il y a de grosses bulles. Ce « tantôt » veut signifier tout à l’heure. Je ne vois pas à quoi veut faire allusion Fabrice. Cette fois il a l’impression de tenir une explication concernant la formation des bulles. Ce n’est pas facile à expliquer. Il s’appuie (une fois de plus) sur un autre acquis visuel. Avant d’expliquer oralement il montre (par l’essai) à son camarade.
P. – Oui !   Philippe suit Fabrice dans son explication. Par sa présence il l’aide même sûrement.
F. – Heu ! Oui ! Je sais pourquoi, parce que, quand, je verse là… Il continue à montrer et à agir Fabrice continue à soutenir sa pensée en agissant comme si, lui-même avait besoin de se convaincre.

P. – Hein !

   
F. – Tu vois là, le verre est sur la table et puis là, le verre il est en l’air. Il y a de l’air puis l’eau elle pousse l’air dans le verre. Puis l’air est enfermé puis, hop ! ça repart en l’air. Lorsqu’il verse de l’eau sur un sucre, il apparaît des bulles d’air. L’air contenu dans le sucre est prisonnier de l’eau. Mais plus léger, il monte à la surface.

Son explication verbale est difficile à suivre même pour le camarade sui suit la démonstration.
D’ailleurs, au départ il mélange deux phénomènes :
- les bulles qui se forment quand on verse de l’eau dans un récipient,
- les bulles qui s’échappent du sucre mis au fond du verre rempli d’eau.

P. – Ah ! Peut-être ?

  Philippe n’est pas convaincu… et c’est bien utile car Fabrice est obligé d’apporter des précisions.

F. Mais si ! C’est comme si tu faisais tomber une pierre dans l’eau, tu verrais, il y aurait de l’air : tiuc ! tiuc ! tu verrais, il y aurait des bulles qui sortiraient.

 

A nouveau il emploie le rapprochement avec un phénomène connu. Nous avons suivi le chemin tortueux emprunté pour arriver à une petite explication. Les analogies sont certainement nécessaires pour que les enfants structurent leur pensée. On est tenté de dire qu’il est préférable d’entendre une recherche d’explication venant d’enfants qu’une explication bien construite d’un adulte.

Cela peut paraître déroutant. Pourquoi brusquement ont-ils abandonné provisoirement les observations avec le sucre ?
- Pensent-ils n’avoir plus rien à regarder de nouveau.

- Manque d’attention prolongée ?
- Sont-ils saturés par la même observation ?
- Ont-ils l’impression de s’accorder une récréation en goûtant différentes eaux sucrées ?

Il faut encore attendre la fin de l’enregistrement pour avancer un embryon d’explication.
De toute manière il me paraît difficile de dire qu’ils ont perdu leur temps ; tous ces petits acquis leur serviront à n’en pas douter par la suite lorsqu’ils auront à mener d’autres recherches. Nous avons pu noter qu’ils effectuaient souvent des rapprochements pour essayer de comprendre ce qui se passait.


Un arrêt dans l’enregistrement. Philippe et Fabrice sont venus me retrouver à d’autres ateliers. Nous avons alors une courte conversation. 

M. – vous avez terminé ?
P. et F. – Non !
M. – avez-vous arrêté le magnétophone ?
P ; - Non ! il s’est arrêté seul (c’était la fin d’une face de cassette).
F. – On voudrait essayer avec d’autres produits.
M. – Lesquels ?
P. – Remplacer l’eau.
M. Que voulez-vous ?

Ils repartent finalement avec de l’alcool et de l’huile. Ils se sont certainement mis d’accord sur les essais à faire dans le temps qui sépare l’arrêt de l’enregistrement de leur venue jusqu’à moi. Afin de rendre cette étude moins fastidieuse, j’ai établi un résumé très fidèle des essais des enfants. On y note une structuration beaucoup plus grande de la recherche facile à suivre. Voici dans l’ordre strictement chronologique les faits : 

1ère expérience : sucre plongé dans l’huile ; ils obtiennent des bulles mais le sucre ne se dissout pas.

2ème expérience : sucre plongé dans l’alcool ; il se dissout tout de suite.

3ème expérience : huile, alcool et sucre ; le sucre ne se dissout pas. Ils trouvent une raison : l’alcool est monté à la surface.

4ème expérience : huile, alcool, eau et sucre ; ils obtiennent une sorte d’émulsion qu’ils appellent oeufs à la neige.

« C’est peut-être comme cela qu’on fait la lessive » dit même Fabrice. Ils enregistrent une argumentation sensible de la chaleur du contenant et du contenu.

Pourquoi ce phénomène ? Ils décident de continuer leurs essais.

5ème expérience : alcool, eau, sucre ; pas d’émulsion.

6ème expérience : alcool, eau, huile, sucre ; l’émulsion se produit.

* ils comparent ce qu’ils ont obtenu à la neige du Mont Dore où ils vont au ski.

* ils prennent de « la mousse blanche » sur leurs doigts

* ils sentent

* ils repèrent le placement des liquides superposés : eau, alcool, huile.

Ils viennent m’annoncer qu’ils arrêtent leurs essais.

Durant toute cette deuxième partie, on retrouve les exclamations, les marques de l’étonnement et peut-être plus d’enthousiasme. Leur motivation est plus personnelle puisqu’ils ont cette fois eux-mêmes ouvert leur voie de recherche.  

On retrouve des comparaisons avec des phénomènes analogues (ou qui leur semble analogues). 

Une réflexion que j’ai notée : « L’alcool va brûler les sucres » (Philippe). 

Une sorte de tabou : l’alcool brûle

- c’est l’alcool sui s’enflamme

- c’est l’alcool qui brûle la langue

L’alcool doit brûler le sucre.

Cette fois leur recherche est construite : les mélanges sont faits dans un ordre précis. Leur tâtonnement es plus raisonné : ils vont éliminer puis reconstituer pour mieux observer. C’est ainsi qu’ils vérifieront qu’il leur faut les quatre éléments pour obtenir une mousse blanche et l’augmentation de chaleur. 

C’est un  procédé que j’ai vu assez souvent employé par les enfants dans d’autres cas. C’est l’introduction d’une variable, puis de deux… qui permet l’analyse partielle d’un phénomène. Mais par des enfants entraînés à chercher. 

En cours de chemin ils ont encore effectué des observations en marge de leur domaine principal de recherche : 

- le grossissement apparent du doigt à travers le verre rempli d’eau,

- la superposition des liquides.

 

L’enregistrement a duré vingt minutes. Aucune suite ne sera donnée à leur travail : pas de présentation à la classe, pas de croquis… Ils écouteront l’enregistrement en ma présence ; c’est ce qui m’a permis de mieux suivre leurs manipulations.

 


En classe unique

Une classe unique. Onze élèves (dont quatre maternelle) dans le bocage vendéen.

Christophe, Sonia : C.E.1

Philippe, Landry : C.E.2

Nathalie, Jérôme : C.M.2

Une grande salle de classe.

Un matin, à l’entretien… Parfois la discussion démarre sur une remarque.

Je prends des notes rapides que je relis de temps en temps et que je relis aussi parfois aux enfants…

Tous les dialogues qui suivent sont des notes prises à ces moments. Ils ne suivaient pas : d’autres remarques et discussions s’intercalent entre eux.
Je les ai choisis, car ils me semblent montrer une évolution et des recoupements intéressants.

Nathalie – Moi, j’ai remarqué que l’eau dans le sable, ça coule et dans la terre ça coule pas. Nous sommes dans une région où il y a des étangs. Perméable       Imperméable   

Nous ferons des essais avec toutes sortes de matériaux (tissu, plastique, sable, terre glaise, terre végétale…).
Les enfants classeront en deux catégories :
1 -  laisse passer l’eau  
2 - ne laisse pas passer l’eau.

Philippe - Si, ça coule dans la terre !

Christophe – Ce n’est pas vrai, t’as qu’à voir aux Ardias que c’est de la glaise.

Nathalie – Ce que je comprends pas c’est pourquoi un bateau ça coule pas et une planche, ça coule… quand on monte dessus.

Philippe – Quand c’est lourd et en bois, ça coule pas.

Christophe – Pourquoi que les bateaux en fer ne coulent pas ?

Isabelle – Le bateau est plus lourd, il devrait couler.

Dominique – Il y a des bateaux qui coulent pas parce que les voiles les entraînent, ou le moteur, ils ont pas le temps de couler. Dominique reviendra sur cette donnée à propos des avions (rôle de la vitesse).

L’après-midi et les jours suivants, nous ferons des tas d’essais.
Ils en feront aussi chez eux.

Là aussi nous classerons en deux ensembles «  les objets qui coulent », « les objets qui ne coulent pas ». Ces deux ensembles se coupent. Exemple : le bois (dans la rivière il y a du bois au fond de l’eau).

Les enfants chercheront à savoir si ça dépend de :
La matière (« en quoi c’est fait »)

La masse
La forme
La densité – bois léger
                     bois compact

Mais ces quatre suppositions n’apparaîtront qu’après de très nombreux essais.

Dominique – Ca dépend quel bois. S’il est léger comme le liège ça coule pas.

Christophe – Les bateaux en papier, quand ils sont mouillés, ils coulent.

Philippe – Les bouteilles de plastique, ça coule pas.

Christophe – Tiens, ça mon p’tit pote quand elle est pleine, elle coule.

Dominique – Ca dépend, si elle est pas complètement remplie.

Christophe – Une gomme, ça coule.

Philippe – Les règles en bois ça coule pas parce que le bois est léger, ça dépend du bois.

Christophe – Si on prenait une grosse, grosse planche et qu’on faisait un trou au milieu, je sais pas si elle coulerait.

Notion de densité. Le mot n’est pas dit, bien sûr. Je leur apprendrai ce mot plus tard.

Christophe fait intervenir la masse et la forme en même temps. Il en faudra des essais où ils feront varier ces données pour qu’ils puissent être en mesure de posséder des éléments de réponse. 

Jérôme – Ben si, elle coulerait.

Christophe – Ca, ça m’étonnerait.

Nathalie – Ce que je ne comprends pas c’est qu’est-ce que l’air ? Ca m’énerve.

Référence culturelle qui intervient ici non comme un élément constructif de recherche, mais comme un moyen d’éviter la question. 

« air » : ambiguité du vocabulaire. Pour Christophe : air = espace à avion.

Jérôme – Ben si, l’air ça nous fait vivre.

Moi – tu ne réponds pas à la question de Nathalie, qu’est-ce que c’est l’air ?

Christophe – Moi ce que je ne comprends pas c’est comment ça peut voler un avion.

Sonia – Nous, avec des ailes on vole pas.

Jérôme - Si on court, pourquoi on vole pas.

Nathalie – On est trop lourd pour s’envoler.

Christophe – Ben et l’avion ?

Dominique – C’est le moteur qui fait avancer l’avion. (rôle de la vitesse, voir discussion précédente).

Philippe – Tu disais qu’on vole pas avec des ailles mais les oiseaux, eux, les oiseaux, ils bougent les ailes, mais pas les avions.

- la vitesse ? 

- la masse joue un rôle

 

Nathalie – C’est peut-être l’air qui les fait voler.

Christophe – Ca va pas toi !

Philippe – Si, quand il y a du vent des fois, ça fait voler les feuilles.

Jérôme – Comme quand je suis en vélo et que vais à toute vitesse et que le vent est derrière, je suis prêt à m’envoler.

Christophe – Ah oui, toi parce que t’as un grand vélo aussi.

Philippe – Oui, ben si ça souffle par devant aussi, ça freine.

Nathalie – Quand on court vite des fois, on sent l’air ça nous freine.

Philippe – C’est comme quand on fait tourner un bâton à toute vitesse ça siffle.

Sonia – Quand on saute aussi, on le sent l’air.

Christophe – Si tu veux faire péter un ballon, tu le gonfles beaucoup, beaucoup, beaucoup, l’air se met partout et quand il peut plus loger ça pète.

Jérôme – Moi, j’ai remarqué qu’avec une pompe à vélo, si on bouche le trou au bout et qu’on enfonce, ça force et si on lâche ça part d’un seul coup.

Philippe – C’est l’air qui résite.

C’est Nathalie qui fait cette remarque. C’est elle qui avait posé la première question. Elle y avait déjà réfléchi.
 

Toutes ces remarques (et il y en aura d’autres !) qui reposent sur leurs observations, leurs expériences,        

faites à n’importe quel moment ont pour but de prendre conscience de ce qu’est l’air.

 

Leur sens, leurs observations antérieures, alimentent leur réflexion.

Après maintes autres observations, on énoncera quatre données.

 l’air      à  on peut le sentir (en bougeant la main)

              à  il résiste (vélo)

              à il peut faire du bruit (bâton)

              à on peut le faire bouger (éventail)

 

 

On essaiera des tas de fois. Les enfants mettront un capuchon de stylo sur le manche pour le faire voler en l’air. Ils constatent que l’air « peut prendre moins de place » (on peut le comprimer) et utilisent cette découverte. Je leur parlerai de la carabine à air comprimé.

Philippe – Pourquoi, quand j’ouvre un robinet, ça coule fort et quand j’ouvre les deux, les deux coulent moins fort.

Christophe – L’autre robinet prend de l’eau au premier.

Philippe – Ils partagent.

Jérôme – Je sais, je vais faire un dessin, je sais comment c’est chez Philippe. L’eau qui arrive va dans les deux robinets.

Nathalie – Je reviens aux bateaux. A la Barre de Monts, ils ont fait un bateau en ciment, il fait 10 kg et il coule pas. C’est parce qu’il est creux. Ca dépend de la forme.

Landry – Si on prend un verre droit et qu’on enfonce il veut remonter à la surface, ça force.

Christophe – Ca je le sais, c’est parce que l’eau résiste.

Philippe – C’est vrai, tu sais quand on avait mis la pierre dans la mare*, eh bien elle était moins lourde dans l’eau, parce que l’eau la pousse. C’est comme quand on marche dans l’eau avec des bottes, l’eau pousse les bottes.

Christophe – Tu prends un couvercle de soupière et tu l’enfonces, il remonte en vitesse.

Jérôme – L’eau résiste et fait remonter les objets, y a longtemps qu’on le sait.

Philippe – Ah oui ! Et la pierre, elle remonte la pierre ?

Jérôme – Non mais ça la pousse quand même.

Sonia – Si tu mets le verre d’une autre façon, il coulera.

Philippe – C’est vrai.

 

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Nathalie change de discussion. Dans sa tête : eau à bateau et elle repense aux remarques antérieures. Ici, elle « rumine » les expériences faites sur les objets qui coulent. Nous avions convenu que la forme jouait un rôle. Elle éprouve le besoin de le redire et son affirmation est un peu une remise en question. Très souvent les enfants éprouvent le besoin de refaire leurs expériences.

Les enfants feront cette expérience pendant plus d’un quart d’heure. Ils remarqueront que des bulles s’échappent quand on incline le verre et la poussée s’arrête. Des tas d’observations sur les bulles seront énoncées (chambre à air dans l’eau, les poissons… etc).

Sonia – Quand l’eau va dans le verre, ça fait du poids et il coule.

Landry – J’ai essayé avec un verre en plastique, il coule pas.

Philippe – J’arrive pas à comprendre moi.

Landry – T’as vu il reste de l’air dans le verre, l’eau ne va pas jusqu’au bout.

Jérôme – C’est comme avec la pompe à vélo, tu te rappelles on peut pas pousser le manche jusqu’au bout et il revient d’un seul coup. C’est l’air qui est tassé et qui le renvoie. **

Landry – Là, c’est l’air qui est dans le verre qui le fait remonter peut-être.

Philippe – Ca y est, j’ai tout compris, t’as raison Landry, c’est l’air, regarde. L’eau tasse l’air et l’air pousse le verre vers le haut, comme dans la pompe.

Pourquoi ici Jérôme repense à la pompe à vélo ? C’est peut-être l’expression « jusqu’au bout » que l’on a beaucoup employé en manipulant la pompe qui le fait penser à ça.

** rappel. Expérience faite au moment des discussions sur l’air.

 

La remarque de Philippe est acceptée à l’unanimité, avec un grand soulagement et le sentiment d’une découverte. L’air résiste, il peut exercer une force. Ils l’avaient dit, ils l’avaient senti, mais là ils le découvrent encore.

 

Christophe – J’ai une remarque à faire. Quand je vais chercher de l’eau pour la peinture avec la bouteille où y avait de la citronnade, eh bien quand je mets le robinet dans le goulot, au bout d’un moment l’eau coule moins vite.

Jérôme – C’est parce que tu tournes le robinet. Moi tous les jours je vais chercher du vin à la barrique pour les hommes et c’est toujours pareil.

Philippe – C’est que le robinet prend toute la place. L’air est coincé. Mais il devrait rester avec l’eau.

Nathalie – L’air ne peut pas pousser l’eau parce que l’eau c’est liquide.

Philippe – L’air résiste alors, il peut pousser l’eau.

Landry- Oui, mais l’air peut passer à travers l’eau.

Nathalie – Si le goulot prend toute la place, l’air restera dans l’eau.

Landry- On pourra pas la remplir toute, sinon ça passerait par-dessus. Le bouchon sautera.

Nathalie – Si on renverse la bouteille, l’air sera dans l’eau, il ira à l’autre bout.

Philippe – Je comprends pas comment l’air traverse l’eau.

Nathalie – Et si on remplit toute la bouteille.

Christophe – Oui, on peut remplir toute la bouteille parce que y a d’es tuyaux aux robinets et l’air va remonter dans le tuyau et ira dans le puits. Après il sortira par la plaque.

Jérôme – Il ne peut pas sortir par la plaque. Il n’y a pas de trou, autour et le crochet est fixé dans le ciment.

Christophe – Si, y a des petits trous autour, c’est jamais complètement bouché, et même, de toute façon l’air le débouchera.

Philippe – L’air peut sortir, mais peut rentrer aussi.

Jérôme – Quand il pleut, l’eau rentre dans le puits par les petits trous.

Nathalie – Quand on est dans le cimetière, il y a des petites bêtes minuscules qui nous mangent. Elles creusent. Il peut y avoir plein de trous qu’on ne voit pas. Si on prend un rond avec de l’air dedans, sans trous, est-ce que l’air peut sortir, est-ce que l’air peut passer quand même.

Philippe – J’ai rien compris. Fais un dessin.

Nathalie – Sans compter les petites bêtes ou les petits trous, l’air peut sortir, il peut passer partout.

Landry – L’air peut bien passer à travers la terre, mais pas à travers la pierre.

Nathalie – Les fantômes passent bien à travers les murs, pourquoi que l’air pourrait pas passer aussi ?

Jérôme – Les fantômes ça existe pas, mais l’air si.

Cette remarque sera refaite quand on se servira d’un entonnoir pour transvaser des produits photo dans une bouteille.

On sort avec la bouteille pour vérifier. La constatation de Christophe est vraie.

 

L’observation, le tâtonnement sont bien des actions de tous les moments. Ce questionnement est permanent, c’est « plus fort que lui », l’enfant cherche. Regardez-le faire rouler son crayon sur la table : il cherche. Mais cette recherche peut bien passer inaperçue.

 

Pour qu’il y ait résistance, il doit y avoir une force de réaction. La difficulté est de comprendre pourquoi l’air contenu dans la bouteille et qui est comprimé, peut empêcher l’eau de couler, puisque l’air peut passer à travers l’eau.

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Un jour, je leur apporterai un niveau.

 

Ils contestent la réalité.

 

Nathalie est beaucoup intriguée par les microbes. Elle a arrêté de sucer son pouce parce qu’elle avait peur d’en avaler.

Approche de l’infiniment petit.

 

Densité de la matière. Les enfants sentent qu’il y a des éléments plus « serrés » que d’autres. C’est une nécessité de toucher, de soupeser, de caresser, de casser (pierres, bois…), de tailler… des objets pour le sentir.


Nous apportons maintenant des documents montrant des recherches telles quelles se sont passées dans le contexte de vie d’une classe.

Nous pensons que dans l’essentiel nous retrouverons une démarche voisine de celle que nous avons analysée jusqu’à cette page.

Nous avons choisi de faire le compte rendu de recherches prises dans des classes de niveau différent puisque cela s’étale de la maternelle au C.M.2. 

En classe maternelle (grande section) 

PREMIERE RECHERCHE

1-       Alors que je surveillais la récréation des enfants, Olivier et Sylvain m’interpellent/

 

- « Hé ! la maîtresse on joue au manège ».

- Allez-y, je vous regarde ».

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- « Tiens, ça fait un rond dans le sable » remarque Olivier.

- «  Nous aussi on voudrait jouer au manège »

Pendant ce temps, un enfant étranger au jeu du manège, avait pris une brindille et dans le sable reproduisait le même mouvement et annonce : « Moi aussi ça fait un rond. » 

Le jeu découvert par Olivier suscite un intérêt et beaucoup d’enfants y jouent mais peu sont étonnés et intrigués par la trace laissée dans le sable ; si bien que lorsque nous rentrerons en classe, seule une dizaine d’enfants poursuivront la recherche. Les autres n’en sont pas pour autant exclus mais ce n’était pas leur recherche, ils n’étaient pas en état de recherche, leurs préoccupations étaient autres aussi ils ne s’y associent pas.

Je propose alors : « Si on essayait d’en faire avec autre chose que du sable lorsque nous serons en classe ».

 

1-       En classe.

Un groupe d’une dizaine d’enfants part à la recherche du matériel : règles, bâtonnets, peinture, papier…

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 Pour le groupe d’enfants qui travaille avec Olivier l’intérêt de la recherche était plus important que leurs occupations du moment et ils ont jugé devoir les abandonner pour se rallier à un intérêt supérieur.

Chacun essaie de retrouver « le rond ».

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 - « Je trouve que ça ressemble aux aiguilles de la pendule ».

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3-       Quelques jours plus tard Mathias en mettant ses doigts dans les trous de chacune des extrémités d’un jeu de mécano remarque : - « Je le fais tourner et ça fait comme le rond dans le sable ». « Les hélices des hélicoptères ça fait pareil aussi ».

La communication de notre recherche n’a pas été faite à la classe, non pas parce que le groupe de chercheurs s’y soit opposé mais parce que les autres enfants ne se sont absolument pas intéressés au travail. 

Si Mathias fait le rapprochement entre ce qu’il décrit dans l’espace avec son mécano et ce qu’Olivier a décrit dans le sable avec son rondin c’est parce qu’il avait participé à la recherche en classe ; de même que les enfants qui se sont intéressés à la recherche avaient déjà perçu d’autres images analogues : 

mouvement du rondin   à manège qui tourne
mouvement du mécano
à hélice qui tourne
traces des bâtonnets      à aiguilles de la pendule.

En maternelle l’enfant raisonne très souvent par association d’images et d’idées.

 


DEUXIEME RECHERCHE 

Au début de l’année scolaire, je mets en place dans ma classe de grande section de maternelle, des ateliers permanents auxquels chaque enfant a accès, la seule règle de vie étant : chaque outil et chaque matériau utilisés, doivent être nettoyés et rangés après usage et des ateliers semi-permanents que je dirige ou semi-dirige en fonction du vécu de la classe.

Cette structuration rigoureuse m’apparaît pratiquement obligatoire pour qu’une vie s’organise dans la classe compte tenu d’un espace restreint, d’un mobilier encombrant car mal adapté, d’un nombre d’enfants beaucoup trop important ; elle est cependant pesante parfois et lorsque j’ai essayé d’enlever ses structures, la vie de la classe s’est désagrégée, et la situation a tourné au grand DESORDRE générateur d’appauvrissement, ; cependant je remarquai que lorsque le nombre d’enfants dans la classe diminuait, cette nécessité de structures tombait d’elle-même et il m’était alors possible d’individualiser davantage le travail.

Samedi matin, 12 mars 1977, peu d’enfants en classe, vingt sur trente, je les laisse organiser leur matinée : au bout d’une demi-heure la répartition est la suivante :

- un groupe de six discutait, s’affairait autour de l’atelier dessins, puis s’y installe,

- un autre groupe de six décide d’emblée de jouer à « sur quelle case » (jeu collectif),

- trois enfants se retrouvent au coin déguisement,

- quatre enfants discutent entre eux.

L’arrivée des enfants se faisant très progressivement ce matin-là, je remarquai leur comportement : soit ils allaient vers des camarades et discutaient soit ils allaient terminer un travail à un atelier.

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Mathias fait le tour des groupes, regarde, écoute, entre un peu dans les discussions, puis me crie : « J’veux faire deux p’tits bonshommes en marionnettes ! », et sans attendre quoi que ce soit de moi, il récupère tous les outils nécessaires une paire de ciseaux, de la colle, du papier tapisserie, s’installe à l’atelier bricolage et commence ses petits bonhommes.                                                                   Les quatre enfants qui discutaient entre eux, entendent Mathias, se regroupent autour de lui et vont peu à peu s’intégrer à son travail. Tony m’interpelle : « Regarde !! la maîtresse, je tiens bien pour que ça sèche ! » et il ajoute : « Comme çà Mathias peut couper l’autre », il tenait entre le pouce et l’index la jambe et le corps d’un petit bonhomme. Sylvain dit : « Tiens avec ça on pourrait faire une couronne, ce serait un roi ! ».  

Je fais un signe de tête affirmatif à Mathias, me trouvent à ce moment-là, à l’autre bout de la classe en train de fixer le déguisement d’une petite fille.

Mathias était un enfant bagarreur et le fait qu’il réunisse autour de lui des enfants non pour « attaquer » ou pour se battre mais pour travailler à une réalisation commune fut déterminant pour son intégration dans la classe, ses rapports avec les autres changèrent : ce ne sera plus Mathias le chef et le bouc émissaire mais Mathias qui a fait des marionnettes avec Tony, Sylvain etc. les liens noués dans le travail ont été très forts.

 

Mathias accepte que ses petits bonhommes deviennent un roi et une reine et la nouvelle équipe s’active et chacun s’aide : « Passe-moi la colle », « Tu veux me tenir la tête et la couronne, », « Tiens bien, c’est pas sec… attention ! tu bouges ». 

 
Environ une heure après, Mathias brandit deux petites marionnettes et tout sourire aux lèvres vient vers moi : « Regarde j’ai fabriqué deux marionnettes, un roi et une reine ». Tony avait fait une dame, Jean-Michel avait fixé un brin de laine au bout d’une branche de peuplier. Cyril et Sylvain avaient aidé et se sentaient solidaires de la fabrication. Je propose alors : « si nous allions en salle de projection faire jouer nos petites marionnettes de la même façon que nous faisons jouer nos doigts sur le mur éclairé par le projecteur ! ? » Aussitôt dit, aussitôt fait. Tous les enfants se sont regroupés autour de Mathias, ils ont été conquis par la joie de Mathias, joie qui venait de la réussite dans la réalisation de son désir.
Mathias avec ses marionnettes Les autres groupes avaient cessé leurs activités et appréciaient le travail de Mathias et de ses camarades. J’insiste sur le fait que les camarades de Mathias ne lui disputent pas ‘le devant de la scène » car ils ont conscience de l ‘importance du moment pour Mathias.
Tous ensemble nous sommes donc partis en salle de projection. Mathias tenait avec précaution ses marionnettes, les autres enfants lui faisant place. En salle de projection le groupe s’installe de manière à ne pas gêner Mathias, lui laissant un maximum d’espace.

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J’allume le projecteur, sur le mur apparaît l’écran lumineux.

Mathias d’un pas décidé va se placer à deux centimètres de l’écran (panneau n°1) ; perplexe, Mathias recule… sans mot dire et il va se placer près du projecteur (panneau n°2).

- « C’est tout petit »
- « On ne voit rien tu es devant nous »
Cette fois-ci c’est un « ah ! » de déception
- « C’est trop grand maintenant ! »
- « Ca dépasse »
- « On voit mal »

Au cours de cette recherche pour obtenir l’ombre sur l’écran, je ne suis absolument pas intervenue car tous les enfants se sont impliqués entièrement et tous attendaient consciemment ou non que la réussite soit celle de Mathias (les rapports étaient Mathias à ses camarades)

Silence de Mathias.

Il regardait ses copains comme pour s’excuser de cette double déception et en demandant de l’aide.

Silence des enfants.

Frédéric, enfant très timide, utilise le silence et dit : « si on est près de l’écran c’est trop petit ; si on est loin de l’écran c’est trop grand et on voit mal… » Isabelle interrompt sa démonstration et dit : « il faut se mettre là », elle indique une position centrale sur une ligne allant de l’écran projecteur.

Aussitôt Mathias se précipite à la position indiquée, mais cette fois-ci il n’y a reine sur l’écran (panneau n°3). Frédéric reprend la parole à la faveur d’un nouveau silence : « Pour qu’on voie l’ombre des marionnettes, il faut se mettre en face de la lumière ».

Mathias recherche le rayon et aussitôt l’ombre apparaît ; elle est un peu floue. Mathias avance ou recule l’avant-bras jusqu’à temps qu‘il obtienne une silhouette nette.

Ses camarades l’aident dans son tâtonnement :
- « C’est pas bien recule ».
- « Avance, c’est mieux ».
«  « Là, c’est bien ».

Tony, Jean-michel se joignent à lui avec leurs marionnettes, Mathias manipule le roi, donne la reine à Cyril et ensemble montent une scènette.

-« On dirait du cinéma » dit Bruno.

«   « Oui, mais nous, on voit pas bien » disent les spectateurs.

Ce qui apparaît important pour les enfants c’est qu’ils puissent voir les ombres de leurs marionnettes, ce qu’ils recherchent ce n’est pas : pourquoi une ombre? mais : comment une ombre? et lorsqu’ils l’ont enfin obtenue, leur curiosité s’arrête là ; peut-être chercheront-ils à savoir le pourquoi en d’autres circonstances mais ce jour-là il leur suffisait d’avoir résolu le comment.

En grande section de maternelle

 

22 mars 1977                        REPRESENTATION DE LA SITUATION

C’est notre atelier eau qui est en permanence installé dans la classe.

Les enfants y travaillent avec des bouteilles de toutes grandeurs, de différentes formes, en plastique et en verre, qu’ils ont apportées. On y trouve aussi un entonnoir, un tube plastique souple, des pots de différentes formes, des bouchons,…

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Remarques de la maîtresse

Importance de la constitution coopérative d’un atelier : l’enfant s’intéresse d’autant plus à l’atelier qu’il a participé à sa constitution. C’est une façon de se projeter dans son expérience.
Les enfants apportent toutes sortes d’objets qui leur semblent utiles pour leurs expériences. Au fur et à mesure de celles-ci, ils voient ce qui leur manque et ils complètent ou me demandent de compléter. Ils constituent peu à peu des groupements qui leur offrent des possibilités d’expériences variées.

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Franck a besoin de me montrer et de me dire ce qu’il a découvert. Il a déjà travaillé plusieurs fois à cet atelier. Il a dû déjà constater ce phénomène.
Je pense que ses tâtonnements successifs, la répétition de cette expérience l’amènent à en déduire que la bouteille vide ne tient pas dans l’eau, il faut ou appuyer dessus, ou l’emplir d’eau.

Pour un jeune enfant il faut de nombreuses expériences répétées et parfois espacées dans le temps et dans des conditions différentes pour qu’il puisse formuler sa découverte.

10 heures 

Franck et Grégory travaillent à l’atelier eau.

Franck a pris une grande bouteille en plastique vide et il la pose dans la bassine contenat de l’eau aux trois quarts.

Puis il remplit cette bouteille à l’aide d’un entonnoir et d’un gobelet et la remet dans la bassine d’eau.

Je l’observais de loin, je m’approche.

Il me dit : « Cette bouteille, quand elle est vide, elle tient pas dans l’eau, il faut appuyer dessus, quand je mets de l’eau dedans, elle tient ».

Intervention de la maîtresse

 

La présence de la maîtresse est une forme d’intervention.

 

Il continue :

« Quand elle est vide, la bouteille ne tient pas dans la bassine d’eau, elle tient sur la table.

Quand je mets beaucoup d’eau dedans elle tient droite dans la bassine ».

Il prend une autre grande bouteille en plastique.

- « Avec une autre bouteille, c’est pareil :

      * elle tient pas dans la bassine, elle est vide

      * je mets de l’eau dedans, elle tient pas encore.

      * maintenant elle tient parce que j’ai mis beaucoup d’eau.

Intervention du groupe classe 

- « Forcément, tu n’as pas mis assez d’eau », dit Aurélie qui regarde depuis un moment, intéressée.

Elle touche la bouteille pour voir s’il faut vraiment appuyer dessus pour la faire tenir droite dans la bassine.

L’explication de l’autre ne suffit pas.

Regarder, avancer une idée, ne suffit pas à Aurélie qui a besoin de toucher, de faire son tâtonnement à elle.

Elle reviendra peut-être à l’atelier pour vérifier elle-même cette affirmation.

Il prend une troisième grande bouteille en plastique.

- «Celle-ci non plus elle tient pas dans la bassine d’eau, elle est vide.

Je mets un peut d’eau, elle tient pas.

Je mets encore un peu d’eau, elle tient pas.

J’en mets encore d’autre, l’eau arrive là, elle tient.

L’eau dans la bouteille arrive jusqu’à l’eau de la bassine, à la même grandeur ».

 

Verse l’eau doucement Franck

Regarde où arrive l’eau

Je précise (à la même hauteur, au même niveau)

Je pense que Franck va trop vite, qu’il n’observe pas tout assez précisément (manque d’analyse des éléments qui influent sur l’expérience chez les enfants de cet âge), notamment le niveau de l’eau aux différents moments de l’expérience. Ai-je eu raison d’intervenir ? Doit-on orienter, aider ?

Franck recommence avec une autre bouteille à chaque fois (importance de varier, de changer), il est très pressé de voir s’il arrivera au même résultat. Il se dépêche aussi parce qu’il tient à ce que j’assiste à toute son expérience (son regard en dit long).

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Grégory qui travaille à l’atelier depuis le début regarde, écoute, tâtonne de son côté avec une toute petite bassine et une petite bouteille de jus de fruit en verre.

Il dit :

- « La toute petite bouteille vide tient dans la petite bassine, elle ne tient pas dans la grande bassine ».

- « C’est qu’il y a beaucoup d’eau dans la grande bassine et pas beaucoup d’eau dans la petite bassine ». 

Grégory n’avait encore rien dit.

Il vient de découvrir un phénomène qui complète celui découvert par Franck.

Les expériences sont faites dans des bassines peu profondes dans lesquelles les bouteilles touchent le fond. Personne n’a pensé à utiliser un récipient plus profond (un seau par exemple).

Mais il est intéressant de voir que Grégory a entrevu une explication en faisant varier les éléments : bassine et bouteille.

Franck propose : 

- « On va faire tenir cette petite bouteille (de jus de fruit) dans la grande bassine ; elle tient, j’ai mis de l’eau jusqu’à l’eau de la bassine ».

Au même niveau (l’acquisition du langage n’est pas immédiate).
Il rajoute ainsi, deux, trois petites bouteilles de jus de fruit qu’il emplit d’eau.

Aurélie est partie parce qu’elle ne peut pas faire elle-même sa propre expérience.

Grégory continue ses tâtonnements à l’atelier, sans intervention.

Les autres enfants travaillent en atelier.

Je n’ai pas sollicité les autres enfants, occupés en ateliers, en raison de l’effectif trop important de la classe.

- « Je prends celle-ci maintenant (une grande bouteille en plastique). Il l’emplit de la même façon.

Mais voici que la première grande bouteille placée se renverse maintenant : « Oh, elle tombe, comment ça se fait ? »

Il la retient avec sa main. Il a un court instant, très peur que tout s’écroule. Mais il entrevoit très vite une solution :

« Evidemment j’ai ajouté une autre bouteille ! Les autres bouteilles ne tombent pas, alors je vais rajouter de l’eau dans la bouteille qui tombe ; elle tient maintenant. 

Le niveau de l’eau de la bassine est monté à cause des nouvelles bouteilles mises et la première bouteille n’est plus assez lourde.

Franck ne s’attendait pas à cela, il est très étonné, mais son étonnement est de courte durée, il entrevoit très vite une solution.

Franck ne me demande rien, aucune aide, il cherche, il manipule, il veut faire et trouver seul.

Le fait qu’il ne m’ait rien demandé tout au long de son expérience peut prouver qu’il a déjà vérifié de nombreuses fois ce résultat mais cette  fois il a besoin de la présence de l’adulte.

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-« Si j’enlevais toutes les bouteilles et si je laissais que celle-là qui tombait ? »

Il enlève les bouteilles et remarque que le niveau de l’eau de la bouteille laissée dépasse celui de l’eau de la bassine. 

« Et oui
( l’eau de la bassine baisse quand j’enlève les bouteilles
( l’eau de la bassine monte quand je remets les bouteilles. 

Et Franck répète ce qu’il vient de constater, mais oralement seulement :

- « Si j’enlève les bouteilles ( l’eau de la bassine baissera
                                          ( l’eau de la bouteille montera

- « Si je mets les bouteilles    (l’eau de la bassine montera
                                           (l’eau de la bouteille baissera

                          c’est le contraire ». 

C’est l’heure de la récréation, les enfants sortent.

- « Moi, je sors pas, je joue encore à l’eau » dit Franck. 

Pourquoi répète-t-il ?

C’est peut-être un besoin, pour mieux comprendre.

 

Ce travail dure depuis une demi-heure.

Franck va continuer ses expériences, il ne semble pas fatigué, mais il n’ira pas plus loin dans la découverte.

Il y a eu présence constante de la maîtresse au cours de cette recherche. Je voulais voir jusqu’où   ce tâtonnement pouvait aller, la façon dont Franck le mènerait, et je découvrais en même temps l’esprit de curiosité et l’effort constant de cet enfant qui est un enfant très remuant.

 

Cet exemple pose le problème de l’attention que l’on doit porter aux ateliers. Ici cela a été possible mais au détriment des autres enfants. Comment faire autrement avec trente enfants ? La pédagogie de l’éveil est nécessaire mais comment la mener avec tant d’élèves ?

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Au cours préparatoire          Automne 72

Les enfants, tantôt l’un, tantôt l’autre ont l’habitude d’apporter des objets de toutes sortes pour les montrer en classe. Par exemple : couvercle de bidon de peinture, coquillage… Ils savent que tout est accepté, regardé par la maîtresse et les camarades. Ce matin-là, c’était donc un caillou.

Pourquoi Franck l’a-t-il apporté ?

* La cause immédiate : son papa, maçon, a fait venir des cailloux.

* les causes profondes :

 - nous sommes dans un pays de sable (côte sablonneuse – dune) de terre argileuse (marais) donc sans pierres

 - ce caillou était « beau » : gris, brillant, dur, « exceptionnel »

 - c’était pour lui un objet curieux, valable pour être montré en classe.

Voici l’album avec les réflexions des enfants notées dans l’ordre telles qu’elles ont été émises.

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1

Neuf heures : En début de discussion il fait sombre, l’éclairage électrique fonctionne.
La discussion : - « Il est dur », « C’est un caillou à étincelles ».
Après avoir vu et touché, les enfants veulent satisfaire un désir, celui de casser. Mais tout de suite l’observation des étincelles a pris le pas sur la vérification de la dureté du caillou ». 

2

Le brillant du caillou frappe l’attention des enfants.

Marc est attiré par les reflets et rapproche son observation avec un mot : « diamant ». Il n’en a jamais vu réellement. Peut-être à la T.V. ? Mais il sait pour l’avoir entendu dire que c’est une pierre éclatante.

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3

Première explication du brillant du caillou.

C’est un constat : l’éclairage électrique fait briller certains objets.

4

La vérification de l’explication est sollicitée par la demande d’un changement de situation.

Avec l’introduction d’une variable cette démarche de pensée est un pas vers l’essai. La variable introduit des modifications dans les phénomènes observés.

Il se trouve que cette fois deux variables se trouvent superposées ! La lumière est éteinte.

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5

- mais le soleil venait d’apparaître !

Deux variables ensemble c’était trop pour les enfants. Ils ont admis l’explication de Franck.

Pas d’intervention de la maîtresse (conversation libre). Cela montre combien l’approche de phénomènes apparemment simples demande beaucoup de précisions et d’attention.

6

Sylvie cite d’autres objets brillants mais personne ne reprend l’explication de Franck ; cette dernière était pourtant plus facile à appréhender avec le caillou dont les petites facettes en mica renvoyaient nettement la lumière.

Sylvie procède par rapprochements : « Les enfants emploient souvent l’expression « c’est comme… » et citent des listes d’observations référentielles ».

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Un vide dans la conversation. Intervention de la maîtresse

-« D’où viennent les cailloux ? » 

Deux enfants apportent une réponse : « connaissance-vocabulaire ». Mais ce n’est plus dans la recherche dialogue noté jusqu’à maintenant  La preuve est dans la page suivante, la question tombait à côté de la préoccupation des enfants.

8

Vincent revient au mot « diamant » ; son papa peintre vitrier en possède un. Mais pour cet enfant c’est un outil qui n’a rien à voir avec la roche-diamant ; la maîtresse explique que l’outil porte ce nom parce qu’il possède une extrémité dure en diamant capable de couper le verre et que c’est ce diamant-là qui est fragile.

Même si la réflexion de Vincent a une attache affective, cet enfant reste « branché » sur l’idée du brillant de la pierre et sur la valeur de celle-ci


Un type de recherche en classe de C.M.2

Un type de recherche en classe de C.M.2.

En suivant le déroulement des essais relatés par les enfants on aperçoit la dispersion en « branches » des diverses observations. Michel, Freddy et Christophe avaient de la peine à suivre ou à mettre en place un raisonnement logique. Dès leur plus jeune âge, ils avaient demandé beaucoup d’attention de la part des maîtres.

Les rayons du soleil renvoyés par un miroir éblouissant

* Ils ont commencé cela au cours d’une récréation.

Le miroir réfléchit la lumière et donne une tache lumineuse sur le mur gris de la cour.

Les formes lumineuses obtenues varient suivant l’angle de projection.

* Je  les ai encouragés à mesurer : ils n’ont pas poursuivi.

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Un miroir peut-il faire brûler du polystyrène ?

* Ils confondent l’effet produit par une loupe avec celui obtenu avec un miroir. Un camarade intervient : c’est ce qui explique la bonne représentation du chemin suivi par les rayons dans les deux cas.

Ils ont recommencé leurs essais avec du papier remplaçant le polystyrène.

*Ils ont une impression intuitive : le miroir ne renvoie pas que la lumière, il doit réfléchir la chaleur.

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La mesure apparaît avec l’emploi du thermomètre.

* Je leur ai fourni un thermomètre pour qu’ils puissent enregistrer avec précision les variations de température.

Ils enregistrent une variation de température thermomètre à l’ombre – thermomètre au soleil. Ils « éclairent » le thermomètre placé à l’ombre avec les rayons du soleil provenant du miroir.
* A partir de ces essais ils suivent une ligne de recherche continue. Ils utilisent les comparaisons dans des lieux différents.
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Ils ont recommencé un autre jour leurs essais.

* Ils notent une variation de la température ambiante (chaleur variable suivant les jours) et un effet semblable du miroir.

Ils multiplient le nombre de miroirs afin d’obtenir une montée de température plus importante.

* Pour ces trois enfants ce n’était pas du tout une évidence. Ils n’ont admis vraiment le fait qu’après avoir recommencé plusieurs fois. L’installation était facile : ils utilisaient les morceaux d’un miroir cassé qu’ils enfonçaient dans le sable.

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La montée de température est progressive.
*Ils n’ont jamais évoqué une notion de proportionnalité. 

Michel s’est souvenu avoir vu une gravure avec beaucoup de miroirs : c’était celle représentant le four de Mont-Louis. Ils liront avec soin la documentation que je leur ai fournie.

Lors de la présentation de leurs essais à la classe ils donneront des précisions sur le four solaire et son fonctionnement. Voir BT2 14 : Pièges à soleil.

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Un deuxième type de recherche en classe de C.M.2

 Ce n’est pas sans raison que la documentation suivante est placée en dernier. Depuis huit ans je n’ai noté aucune autre démarche semblable dans ma classe. Un des deux enfants participants a en effet abstraitement monté la démarche de ses essais persuadé du résultat final. Il n’est pas possible de parler uniquement d’intuition. Non ! Il a voulu mettre en évidence un phénomène qu’il pressentait mais qu’il ne pouvait expliquer clairement. D’ailleurs la ligne de recherche est directe et les observations occasionnelles sont notées mais ne l’intéresse pas. En suivant l’album qu’il a laissé, nous pouvons suivre son désir d’aller droit au but.

Le pourquoi de la recherche : au cours d’une récréation, des élèves ont pris une loupe dans la classe et essaient de faire brûler du papier. Beaucoup d’enfants veulent essayer. Le groupe d’observateurs se fait et se défait. Les essais se multiplient : ils s’aperçoivent que la réussite est liée à la variation des distances séparant la loupe du papier. Didier plus astucieux pensera à planter le manche de la loupe dans le sable, à orienter correctement sa lentille par rapport au soleil : il lui suffit de déplacer le papier pour trouver le point d’inflammation. La récréation se termine. Didier, accompagné de Sophie, vient me trouver. Didier (10 ans et demi) sera le meneur, Sophie son aide. Il me demande s’ils peuvent faire une « expérience » avec la loupe et une ampoule électrique. Aucune explication sur ce qu’ils veulent essayer. Mais Didier savait sans aucun doute à cet instant ce qu’il voulait obtenir.

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1

Sophie et Didier ont résumé, dans ces deux premières pages, les essais effectués dans la cour.

2

* Leurs croquis sont bien schématisés. La représentation des rayons aboutissant en un point est bonne.

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3

Didier avait sorti son double décimètre pour mesurer.

* Les mesures et les observations enregistrées leur serviront pour la suite de leurs montages.

4

Après être venus me trouver : ils commencent leurs essais.

* La chance a voulu que l’année de cette expérience, je disposai d’une petite pièce obscure dans laquelle les deux enfants ont pu travailler tranquillement. A la demande de Didier je l’ai aidé à monter une ampoule électrique sur un support.

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5

Sur ces pages 4 et 5, ils ont observé l’image à l’envers et pris des mesures.

* C’est à ce moment que quittant d’autres ateliers je leur rends visite. Ce qu’ils ont bu me paraît intéressant mais ils sont pourtant déçus : « Le polystyrène ne brûle pas ! m’annonce Didier. L’essai (page suivante) avec le papier ne donnera rien. Mais c’est à cet instant que j’ai compris son désir : faire brûler avec de la lumière !

6

Il est allé lire une B.T. sur le Soleil mais il n’a pas eu une réponse à sa question.

* Je suis incapable moi-même de le renseigner et lui propose de remplacer le papier et le polystyrène par un thermomètre qui pourrait indiquer une variation : rien !

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7

 Ils attribuent leur échec à la faiblesse de la lampe. Ils me demandent le projecteur de la classe. Ils obtiennent une montée de température de 1°.

* Il est dommage, peut-être, de passer sous silence toutes les précautions qu’ils ont dû prendre : tenir compte des distances (faisceau convergent sur le réservoir) des alignements, de la température ambiante.

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Une ampoule de 500 W va enfin leur donner une montée de température probante : 4° C ;

* Encouragés par leur essai précédent, ils voulaient une lampe plus puissante. C’est une ampoule de projecteur de scène qui sera employée.

Les deux enfants sont satisfaits et ils en parlent beaucoup à leurs camarades.

Didier est certain quant à lui que la lumière produit de la chaleur. Moi, pas ! C’est pour cela que le doute apparaît à la fin de leur compte rendu. Il ne faut pas en rester là. Didier prépare un petit résumé des essais et l’envoie à Monsieur Rumebé, ingénieur physicien au Palais de la Découverte. La réponse (ci-contre) ne laisse aucun doute sur la validité de leurs expériences. L’hypothèse du départ, la lumière peut brûler, ressentie par Didier puis vérifiée sans détours était correcte.

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Quelques remarques

Tout au long des réflexions portant sur les documents, nous avons situé la part du maître. Les interventions ont été placées dans l’ordre chronologique des faits. Aussi nous pensons inutile d’y revenir maintenant. Par contre d’autres points qui apparaissent moins (ou pas du tout) jouent un rôle dans le comportement de l’enfant.

- L’ORGANISATION COOPERATIVE DE LA CLASSE

Elle permet la présentation des recherches des enfants à leurs camarades, la discussion, les rebondissements d’idées, les vérifications, les hypothèses nouvelles. Elle donne l’occasion de se rendre compte que des enfants ont plus de difficultés que d’autres à coordonner leurs trouvailles, à structurer leurs idées. Il est évident que l’utilisation du F.T.C. programmant une série d’expériences  pourra aider le maître conscient d’une aide nécessaire à certains enfants.

- L’ACCUEIL FAVORABLE DES CAMARADES A LA PRESENTATION D’UNE RECHERCHE

Elle joue parfois un rôle important dans la prise de conscience de la personnalité de l’enfant placé devant le groupe. Surtout pour l’enfant adroit mais qui a de la peine à s’exprimer oralement. Il faudrait encore vérifier, bien sûr, mais il semble bien que l’enfant qui a monté une expérience, fabriqué un objet se sente plus à l’aise pour s’exprimer et que l’auditoire soit plus attentif du fait de la présence d’un support matériel. Petit à petit l’enfant valorisé par le groupe-classe prend mieux conscience de ses moyens et augmente ses efforts pour mieux présenter, mieux écrire, mieux s’exprimer.

- LES ECHECS 

On est tenté de dire : existent-ils vraiment ? Et surtout ne sont-ils pas nécessaires ? 

Deux enfants ont fabriqué une « voiture » à vapeur (propulsion à réaction). Au cours des essais, la machine a pris feu. Voici ce qu’ils ont remarqué (d’après mes notes) :

- la voiture n’avançait pas : rapport poussée-poids du véhicule

ils ont mis en cause : les roues qui tournaient, mal,

                                  les matériaux employés

                                  la quantité d’eau employée.

- comment éteindre le feu : ne pas employer de l’eau (alcool enflammé), ils sont allés chercher du sable.

La fin de l’année ne serait pas arrivée, ils partaient sur un autre montage, forts de l’expérience manquée.

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- LA REPONSE A TOUT

Des phénomènes, des connaissances échappent aux enfants. Pourquoi pas ? Laurent et Christophe ont cherché autour d’eux tout ce qui pouvait donner de l’électricité. Je vous laisse lire le brouillon de la lettre écrite à Paris et la réponse de Monsieur Rumebé. La sincérité de cet ingénieur face à la demande des enfants est très importante. Des adultes cherchent encore et toujours et ne peuvent pas tout expliquer.

Si les enfants sont curieux (et la B.T.R. numéro 21 ne manque pas d’exemples) ils aiment aussi des réponses mais pas obligatoirement celle du « je sais tout ». La sincérité leur convient aussi bien et les encourage tout autant.

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- LA REPRESENTATION DESSINEE

Les enfants, partant de faits qui les entoure, pour évoquer des remarques vont souvent employer une représentation que nous appellerons »totale » de leur observation.

Voici l’exemple d’un dessin de Jacques (C.M.2)

Tout y est : l’herbe, le personnage…

Finalement la remarque apportée dans l’observation est noyée dans un contexte complexe de représentation.

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Au contraire, dans l’exemple ci-contre Jacques a schématisé à l’extrême ses observations.

Quatre mois se sont écoulés entre les deux représentations.

Il lui arrivera par la suite de faire apparaître des détails inutiles mais il a déjà fait un pas important dans la schématisation explicite.

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- LE PASSAGE DU CONCRET AU REEL

L’enfant est curieux, observateur, chercheur mais il n’a qu’une approche « concrète » des phénomènes. Cette approche parfois suffit (nous avons vu des exemples) mais parfois elle est insuffisante. L’enfant pressent que quelque chose lui échappe (exemple de l’électricité) et il veut connaître. C’est ce qui arrivé à Philippe avec une recherche patiente, acharnée et précise portant sur des gouttes d’eau.

Il avait en particulier remarqué, noté, dessiné avec soin :

- que la mine d’un crayon posée sur une goutte d’eau « attirait », l’eau si on soulevait le crayon légèrement, 

- que les gouttes d’eau  prenaient une forme de petits globes en tombant d’un tube, 

- que si on approchait deux gouttes près l’une de l’autre elles semblaient s’attirer et n’en formaient qu’une,

- l’épaisseur des gouttes suivant leur importance… etc.

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Ses observations minutieuses étaient justes.

Il a très bien perçu le phénomène d’attirance mais le stade du « concret » ne suffisait pas. Il fallait atteindre le stade du « réel », chose   impossible dans une classe, et parler « molécules ». Une fois de plus le courrier sera employé. Christophe posera ses questions et attendra patiemment la réponse : la  lettre ci-contre.

- LA DOCUMENTATION

Les enfants ne découvrent pas tout à partir des manipulations et des observations. Ils ont bien souvent besoin de prolonger leur acquis par une documentation. Nous avons vu que la correspondance pouvait jouer un grand rôle. Mais elle n’est pas la seule : les B.T., les livres sont parfois bien utiles.

Manuel a cherché comment un sous-marin pouvait s’enfoncer dans l’eau. Mais il avait besoin d’en savoir davantage.

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Manuel a tenu reproduire les croquis et les explications trouvés dans une page d’un livre de sciences. Il a su en retirer ce qui l’intéressait et répondait à sa demande : c’est important et fait partie d’une certaine démarche logique dans la recherche.

 - LES AUTRES DOMAINES

Nous sommes tentés de nous demander si le maintien de la curiosité et de la recherche en sciences fait que l’enfant a une démarche semblable dans d’autres domaines. Voici deux exemples :

* Des  plans du P.O.S. ont été exposés en mairie. Nous sommes allés visiter l’exposition. Les enfants ont eu envie d’écrire ce qu’ils pensaient de leur commune. Ils ont demandé à participer à l’exposition. Accord donné. Un album de textes et des lettres ont été disposés sur des panneaux. Voici trois modèles.

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* Une école neuve doit se construire dans la commune. Des plans ont été conçus par les enfants. Voici deux brouillons de plans.

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Après discussion

 

Nous avons échangé nos remarques après avoir écouté et lu nos documents. Puis il nous a paru intéressant de résumer nos observations.

 

* Mis à part quelques cas particuliers, le fait de parler est un point d’appui, un élément indispensable à la réflexion des enfants. Les exclamations sont fréquentes. Les enfants cachent difficilement leur enthousiasme et leur imagination. Avec un « si » et partant d’une simple observation ils inventent souvent une autre situation.

 

* Dans leur tâtonnement, ils emploient en premier la vue, puis le toucher (main), le goût, parfois l’odorat, plus rarement l’ouie. Il lui faut avoir vu l’adulte l’employer pour se servir enfin de la sensibilité de la peau (exemple : peau du visage pour la chaleur d’un objet).

 

* L’enfant doit refaire souvent la même expérience avant de l’avoir assimilée suffisamment pour en donner une explication.

 

* Très souvent il fait des rapprochements inconscients et spontanés dès qu’une apparence d’analogie semble surgir. L’enfant ne distingue pas les différences physiques ou chimiques ou… il ne retient que l’impact visuel de première apparence (faisant concordance) laissé dans sa mémoire. Exemple : de  la taire et du sucre. Pourtant il semble bien que ces liens qui se créent entre tous les faits d’observation soient nécessaires à la bonne mise en place de son raisonnement. En somme des expériences sensibles seront des points d’appui constants pour le cheminement de sa pensée.

Ceci étant noté et vérifiable dans nos comptes rendus de documents, nous avons ainsi mieux saisi le cheminement d’un enfant en recherche. Prenons le point de départ d’une recherche : nous avons vu combien l peut être varié : question, objet apporté…

Le point de départ se trouverait prolongé sans arrêt après que l’enfant ait fait ses réflexions, qu’il ait apporté ses questions et ses suppositions. On s’est aperçu que ce cheminement s’appuyait sur les références  personnelles de l’enfant, références qui lui serviraient de déclic.

Plus ses références sont nombreuses, plus la faculté, plus ses possibilités de compréhension des phénomènes semblent grandes. 

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Les recoupements (involontaires sous semble-t-il) alimentent en permanence sa réflexion et permettent de professer dans la recherche en direction d’un point d’aboutissement (exemple : fin  première partie sur le sucre).

L’enfant commence à abstraire quand ses points d’appuis (références) et ses recoupements sont suffisamment nombreux. Il possède alors un réel sur lequel il peut s’appuyer. En somme il s’est « repéré » dans l’ensemble des coordinations. A l’examen des documents il semble bien que la capacité d’abstraction n’apparaisse que par à-coups.

Avec le sucre (on peut en ajouter)           

Avec le bateau
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Nous avons écouté un long enregistrement. Il retransmettait les paroles d’un maître et d’un enfant. Le maître essayait de faire trouver à l’enfant l’augmentation de masse d’un verre d’eau recevant un sucre. En somme la séquence relatait des comportements semblables à ceux qui apparaissent dans une leçon traditionnelle habituelle. Nous pensons pouvoir résumer la séquence par un schéma :

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Mise en place de l’expérience à effectuer par l’enfant (matériel – présentation…)

 

Cela nous a mené à pensé que bien souvent les programmations de fiches dans différents secteurs (art – physique – français…) sont articulées en fonction de la demande de l’adulte (dernier croquis) et non en fonction du comportement de l’enfant (croquis précédents).

 

¤

 

L’enfant n’est pas neutre par rapport au monde qui l’entoure. Il se pose des questions et cherche des réponses  à ces questions. Cette recherche est une action de tous les jours qui se fait souvent à notre insu.

Il est naturellement intéressé et sa réflexion est alimentée par ses sensations, ses observations, ses expériences antérieures et aussi par ses lectures, les réponses qu’il a déjà pu obtenir.

 

- Tout le monde connaît le « Dis, maman, pourquoi ça… » qui a fait l’objet de tant de sketchs et histoires « drôles ». Il est la manifestation de ce questionnement permanent de l’enfant qui est souvent bien peu aidé dans sa recherche par le monde adulte, qui, bien au contraire, lui impose souvent un savoir tout fait inodore et insipide, bien en dehors de ses préoccupations personnelles, des questions qu’il se pose ; et petit à petit ce savoir inculqué entrave cette recherche personnelle fondamentale, seule source du véritable apprentissage, seule voie vers un savoir véritable et moyen de formation scientifique.

 

¤

 

- Il faut dire que le questionnement de l’enfant apparaît souvent comme déroutant et bien compliqué alors que notre esprit adulte a appris à classer, ordonner, répartir les connaissances, ce qui devrait faciliter, apparemment, par un enseignement bien conçu, bien programmé, la satisfaction des questions que se posent les enfants. Mais il faut être adulte pour percevoir la réalité avec tant de recul et l’enfant, lui, vit ce monde et si son questionnement est complexe c’est parce que le monde est complexe.

 

- L’enseignement tend aujourd’hui à isoler les phénomènes pour les expliquer, mais il est physiquement impossible d’isoler un phénomène (quand un enfant regarde bouillir de l’eau dans une casserole, il observera les bulles, le reflet de son visage dans la casserole, la vapeur…) et bien d’autres choses encore.

 

¤

 

C’est une démarche intellectuelle qui suppose qu’on fasse abstraction des phénomènes annexes qui l’accompagnent. Cette démarche est une démarche d’adulte car elle exige un acquis suffisamment important qui permette de classer les observations faites en deux catégories :

- celles qui concernent le phénomène étudié

- celles qui ne le concernent pas.

 

Cette démarche est impossible à l’enfant qui appréhende le monde dans sa globalité, comme il se présente à lui. La démarche de l’enfant vers la connaissance n’est pas rectiligne, elle est divergente, et elle le sera d’autant plus que son champ d’expériences sera limité.

 

L’enfant a besoin d’un nombre d’acquis indispensables à un âge donné pour qu’il puisse être chercheur et créateur. Un conditionnement dû à un milieu familial ou à un milieu social (cf. filles déjà citées) conduit l’enfant à un manque d’acquis ou un bagage suffisant ou pour le moins aidant de références et d’essais. Puisque nous vous transmettons des documents disons qu’ils sont le reflet du comportement de la majorité des enfants de nos classes. Parmi ceux qui n’aiment pas observer et chercher nous avons trouvé

- des enfants venant d’un milieu familial peu ouvert à l’apprentissage  manuel et plus axés sur les lectures,

- des enfants attachés à leur famille seulement par un lien matériel : le manger, le sommeil…

 

En somme des enfants manquant d’acquis qui n’ont rien à voir obligatoirement avec des acquis scolaires.

 


PART DU MAITRE

 

1.       Consiste d’abord à ne prendre que sa part, c’est-à-dire prendre conscience et faire en sorte que cette attitude de recherche se déroule aussi en dehors de l’école.

2.       Au départ d’un travail dans ce sens, il faut savoir qu’on est souvent rééducateur avant de redevenir éducateur, donc il faut :

* inciter               )  apport de matériel

* favoriser          ) fiches F.T.C.

* provoquer        ) réserver des moments

                            ) laisser faire les recherches tous azimuts.

3.       Dans une classe où le travail de recherche existe, le maître peut intervenir différemment.

 

                             (  enfant :  - doit préciser sa pensée

    il faut                 (                 - doit ordonner ses remarques

    favoriser            (                 - devient plus critique sur ses affirmations (interventions des autres)

    le rapport           (                 - la discussion permet d’éliminer une partie des suppositions fausses

    oral                    (

                             ( maître :      le moment de prendre des notes

                                                                            à 

                                                                     mettent en évidence des recoupements

                                                                            à

Ces notes permettent des interventions a posteriori qui peuvent relancer l’intérêt ou permettre de débloquer une situation. On peut revenir sur ce qui a été dit, reprendre des thèmes de réflexion qui peuvent avoir été « noyés » par d’autres observations.

¤

L’adulte ne doit téléguider la recherche pour aboutir à un résultat qu’il pressent (en fonction de ses propres connaissances) à travers la démarche de l’enfant.

Par contre, il me semble qu’il doit intervenir pour permettre d’aboutir à des résultats « à froid »

- par la mise en parallèle d’expériences (utilité des notes)

- par l’apport d’informations précises (livre…)

- par des apports personnels qui peuvent compléter et consolider des éléments de réponse des enfants (apport d’une carabine à air comprimé, d’un niveau de maçon… - voir avant…).

 

Il est nécessaire assez souvent de « souffler » à l’enfant occupé par ses observations : « Prends ton double-décimètre pour mesurer » ou « Prends une balance » pour qu’il ait des vérifications précises ; Il emploie peu les mesures de façon spontanée. Cette remarque nous conduit à la suivante.

¤

 

Les enfants en recherche ont besoin de disposer du temps nécessaire. L’enregistrement pris dans son intégralité a duré vingt minutes sans aucune intervention humaine extérieure. Les deux enfants n’ont pris aucune note, aucun croquis. Les recherches menées ordinairement en classe sont formées de durées variables étalonnées de vingt minutes à trois quart d’heure : avec prises de notes, de croquis, regroupement de matériel, discussion. La recherche peut durer huit à dix jours de classe. Mais il ne faut pas prendre ces données chiffrées comme des valeurs absolues. Les conditions de travail matérielles et l’effectif de la classe peuvent modifier bien des comportements.

¤

Malgré l’intérêt que nous portons à la recherche chez l’enfant nous ne pensons pas que le fait d’être curieux, chercheur pour un enfant et que le fait de lui donner les moyens de répondre à ces états le rendent moins apte à la poésie ou le prive de sentiments. Mais ce n’est qu’à partir d’une documentation fournie qu’il sera possible de le prouver et d’apporter toutes les nuances nécessaires.

¤

Nous avons voulu que cette étude soit la transmission la plus complète possible de documents pris dans les classes. Les propos, les dessins des enfants sont ceux que nous détenons. Les réflexions que nous avons faites ne conduisent pas systématiquement à des théories, même quand il y a essai d’explication de la part des maîtres.

 

Nous savons que ces documents demandent d’autres documents et qu’il est nécessaire d’approfondir bien des points

Action du milieu familial

Action du milieu social…

Si seulement,

- nous avons provoqué chez le lecteur le doute qui le fera observer davantage ses enfants,

- nous avons suscité la naissance de questions

Tant mieux !

Nous aurons ouvert la voie à de nouvelles B.T.R.

 

Le point de vue du psychologue

 

En bonne pédagogie Freinet, on considère dans cette BTR que le plus court chemin pour former au raisonnement de type scientifique nécessite un long détour par la parole « naturelle » de l’enfant, et peu importe si elle est confuse, laborieuse, pauvre ou envahissante. Nathalie évoque les vers du cimetière pour expliquer le passage de l’air par des trous qui existent mais qu’on ne voit pas… Chaque enfant s’engage à sa manière dans un circuit d’associations libres où il se réfère à son expérience quotidienne. Autrement dit, on convient que l’enfant a d’abord besoin d’accoucher de sa façon pré-scientifique de voir le problème.

Contrairement au préjugé des adultes, l’enfant a en effet toujours une information personnelle sur la question, qu’elle soit appropriée ou hors sujet. Elle fonctionne à la fois comme écran qui bouche l’accès au savoir objectif et comme médiatrice qui, par la question irritante qu’elle pose, en rapproche. Il faut donc la mettre au dehors de si, se la donner à parler, pour que le langage puisse faire sur elle son travail, c’est-à-dire la situer dans l’espace où se fait la recherche du savoir juste. Alors que l’enseignement traditionnel tient pour négligeable et puérile cette information pré-existante ou, à la rigueur, dans ses formes les plus libérales, lui donne un coup de chapeau récupérateur, ici, cette parole est mobilisée à fond, délibérément.

 

Mais pour créer quel type de relation psychologique à la classe et au savoir ? Pour quels résultats pédagogiques et psychologiques ?

 

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Au risque de surprendre, je dirai que toute classe traditionnelle ou Freinet fonctionne dans le cadre de l’école élitiste, comme un champ dont le rôle est de mettre chacun en rapport avec un autre champ, transcendant celui-là, mystérieux, de type religieux, qui est le champ de la Loi, du savoir des autres, de la culture des autres. De ce champ supra-scolaire, qui est la raison d’être, le donneur de sens symbolique du champ scolaire, proviennent toutes sortes de formes dérivées de la Loi, selon les matières : théorèmes en mathématiques, règles en grammaire, lois en physique-chimie…

 

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La classe traditionnelle fonctionne exactement sur le modèle de la famille patriarcale. Non pas, comme on le dit ordinairement, parce que l’enseignant et le père de famille se comportent en chefs, mais parce que ce sont des courroies de transmission dans le cadre d’un culte de type totémique reliant à des ancêtres fantasmiques, dépositaires de savoirs, véritables potions désignées comme dispensatrices de pouvoirs sociaux (en gros, les secrets distribués devenus anachroniques, sont les codes-écriture, calcul, géographie, sciences… qui ont permis l’avènement du règne de la bourgeoisie marchande à la fin du Moyen Age). Qu’en est-il de l’enfant dans ce double champ, dont seul l’un est visible ? La loi lui est « assénée » et il est un récepteur, coupable ou valeureux, selon sa soumission aux sources de force totémiques.

 

Dans le champ scolaire Freinet décrit ici, la classe renvoie à un type de famille, probablement plus rurale qu’urbaine, plus artisanale qu’industrielle, où enfants et parents sont des producteurs associés et où existe une façon, respectueuse mais démystifiante, de dialoguer avec le champ de la Loi et du savoir. Ce qui me frappe le plus, c’est de voir comment ces enfants de CM1 et CM2 recréent un « chez soi » en classe par leur façon de disposer de l’huile, du sucre, de l’alcool, des instruments ménagers, d’aller à la fenêtre, de parler de la vache de la mère X, du facteur. Bien sûr, l’essentiel du climat vient de l’importance institutionnelle accordée à l’opinion de chacun du statut qui lui est fait de porteur de savoir et de réinventeur en puissance. Mais il y a aussi le temps prévu pour l’erreur et le tâtonnement, la sérénité des rythmes, le fait que la parole de l’un s’enchaîne à celle de l’autre autour d’un objectif commun. Bref, on change le sens du rapport au savoir par la façon dont on fait entrer l’enfant dans le champ supra-scolaire, castrant, de la science établie. On dé-castre ce champ dans la mesure où l’on organise, comme ici, un champ scolaire de type familial où l’on prend en compte les besoins d’oralité, de complètement affectif, de valorisation narcissique de chacun. Ce qui n’exclut nullement un climat de confrontation collective au problème. Dans cette approche, l’appareil culturel cesse d’être pour l’enfant un monument étranger qui va l’écraser.

 

D’autant plus qu’une autre particularité de ce mode d’accès au savoir consiste en un déplacement de l’objet du savoir. Ce n’est jamais seulement sur le phénomène extérieur que l’enfant s’interroge mais, en même temps, sur le savoir naturel, spontané qu’il croit posséder de ce phénomène.

 

La priorité n’est donc plus donnée au monde impersonnel des autres, vu par les autres, comme dans les livres qui parlent de « la » plante , de « l’ »homme, de « l’ »animal. Ici, l’enfant oppose un monde qui est le sien, concret pour lui, où il s’agit de « son » expérience, de « son » imagination du travail des microbes, de « sa » pompe à vélo. Le problème pédagogique devient donc celui de l’invention de modalités de passage entre ces deux mondes. La double question du maître, c’est : a) – comment faire pour que l’enfant explore et élucide à sa façon son propre territoire pré-scientifique en fonction des lièvres qu’il y lève ; b) – quelles passerelles aménager pour, de là, l’amener au monde et au langage des « savants » ?

 

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Troisième particularité : si on relit le discours des enfants, on voit qu’ils pensent pour le plaisir de penser. Ils cherchent moins à expliquer l’invariance de la qualité de sucre ou à rassembler des conclusions précises sur les problèmes de perméabilité du sol qu’à en parler et à faire des expérimentations papillonnantes, là aussi, en associations libres. Bien sûr, l’enfant est capable, quand il entreprend des constructions et des recherches, de donner la priorité au but à atteindre. Mais dans ses cheminements pré-scientifiques, il adopte souvent une mentalité de non-rentabilité, de non-menée à terme de son questionnement qui irrite l’adulte et constitue même pour certains enseignants un véritable scandale. Et là aussi, la pédagogie Freinet ne fait pénétrer dans le monde des raisonnements adultes de type efficace et responsable qu’en laissant se développer autant que nécessaire des modes de questionnement et de raisonnement de l’enfant largement hétérogènes à ceux de l’adulte.

 

Au total, on s’aperçoit que toute appropriation de savoir est l’occasion d’un conflit interne chez l’enfant. Apprendre, c’est au préalable, opter entre deux statuts sociaux ; entrer dans le territoire des adultes et accepter d’intérioriser leurs motivations, leurs pratiques, leurs théories, ou bien se maintenir dans son camp d’enfant immature, tantôt d’enfant parfaitement mûr mais méfiant envers le monde adulte et dont il serait dangereux d’attiser trop précocement l’opposition à ce monde. L’hétérogénéité de la composition de la classe fait qu’il y a des enfants capables de s’installer très rapidement dans la position d ‘adhésion au monde adulte alors que pour d’autres, très nombreux, c’est contre nature, une auto-violence à s’infliger.

 

Il ne s’agit pas seulement d’un conflit au niveau du cognitif entre des systèmes opératoires de la pensée, comme la psychologie génétique piagétienne le suggère, pas seulement d’une non-intégration suffisante du point de vue de l’autre en tant que condition de la pensée opératoire de la réversibilité, mais d’une lutte à l’intérieur des enfants en mal d’adhésion scolaire où le rêve du statut duel et de la famille première idéalisée perçu avec son cortège de désappointements ou quand il a été vécu par l’enfant comme le trahissant, l’investissant mal, ou source de top lourds problèmes pour lui.

 

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Dans sa façon de négocier  ce conflit qui conditionne l’acte d’apprendre pour ceux qui ne sont pas les bons élèves, la pédagogie Freinet a-t-elle raison de refuser la bousculade, l’impatience, la logique adulte-tout-de-suite ? A-t-elle raison de ne pas tomber dans le piège, dans l’énorme contre-sens de ceux qui utilisent les expériences de Piaget dans la direction du dépassement le plus rapide par l’enfant, de la pensée syncrétique, alors qu’elles sont faites pour rappeler au respect des structures spécifiques de la pensée enfantine ?

 

Il se trouve que je viens de montrer ce projet de BTR à un universitaire renommé pour être brillant philosophe et scientifique efficace. Première réaction après une lecture dont il admet qu’elle est oblique : « Ces enfants bavardent comme des bergers de l’Antiquité ou des paysans sur les phénomènes de la nature. C’est pittoresque mais peut-être as sans inconvénient. Il y a un aspect « science du café du coin » qui personnellement me plairait beaucoup mais qui risque de ne jamais rattraper la science telle qu’elle est ».

 

Je lui demande de penser moins aux bons élèves qu’à ceux qui forment la cohorte des « largués » depuis le C.P. jusqu’à la fin du CES et pour qui un avenir manuel ou de technicien rend encore plus nécessaire l’utilisation de la science.

 

Deuxième réaction : « Peut-être faut-il en effet que ces enfants commencent par leurs bavardages pour pouvoir écouter le nôtre. Moi aussi, j’ai dû refouler un premier mouvement d’irritation pour faire de la place à une attitude plus réfléchie. La philosophie bachelardienne du « non » c’est aussi l’acceptation de laisser monter en soi l’imaginaire non-scientifique. Et pas seulement pour s’en débarrasser après l’avoir formulé, mais pour le laisser fonctionner à l’intérieur de la pensée scientifique elle-même comme un ferment qui réunit des données qui semblent sans lien entre elles. Mais je maintiens mes réserves, il y a une transmission à assumer, on ne réinvente pas la science et on ne peut éviter un certain formalisme dans cette transmission ».

 

C’est un problème de stratégie. Faut-il faire comme la mère qui corrige les fautes de français de son enfant de trois ans dès qu’il ouvre la bouche ou participer de bon cœur à sa joie de bafouiller en sachant que c’est la condition pour qu’il accède le moment voulu, à un langage châtié ? Autrement dit, faut-il faire suivre d’une leçon de science très structurée chaque occasion de philosopher sur les mystères de fonctionnement de la nature ?

Pourquoi pas, avec ceux que çà ne rebute pas.

 

Mais pourquoi ne pas envisager également, conformément à ce que nous enseigne la psychologie génétique, que les enfants qui ont du mal à assimiler les explications de type scientifique d’un certain niveau d’abstraction, commenceront par s’en approcher à la manière décrite ici, puis poursuivront par des réalisations concrètes, voire des prises de décision, autant que possible en contact avec ceux qui appliquent la science, et n’auront à se confronter que bien ultérieurement au langage des opérations formelles. Et s’ils n’en sont pas capables à l’adolescence, ils n’auront pas tout perdu et d’autres voies techniciennes dont on ne les aura pas dégoûtés prématurément leur resteront ouvertes.

 

Cela correspond à une conception étalée dans le temps de l’approche scientifique. Et cette B.T.R. ne prend tout son sens que comme premier temps d’une démarche qui doit parcourir toute la scolarité.

 

Mais ne soyons pas naïfs. L’œil surmoïque qui nous regarde du champ supra-scolaire, fait que nous sommes tous culpabilisés voire foudroyés dès qu’il est question de toucher au tabou de l’appropriation obligatoire, rapide et littérale, du savoir. On est criminel si l’on propose, par exemple, que le français et le calcul cessent d’être des enseignements « prioritaires » à l’école élémentaire.

 

Pourquoi cette angoisse apocalyptique ? Est concerné rien moins que le statut d’appartenance de l’enfant aux adultes, leur désir de le dresser vite, de lui administrer vite la preuve de leur puissance, le besoin de revivre vite leur scolarité au travers de celle de l’enfant pour la réparer ou en re-jouir.

 

Autrement dit, paradoxalement, une véritable approche populaire de la science à l’école implique d’abord que soient dénoncés les mécanismes qui expliquent l’involontaire et inconsciente collusion avec l’école élitiste, des parents qui y ont le plus à perdre.

 

 

                                                                                             Jacques LEVINE

 

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