BIBLIOTHEQUE DE TRAVAIL ET DE RECHERCHES

N° du 30 novembre 1975

première édition

Supplément à L'EDUCATEUR n° 5 du 30-11-1975  

DES MOMENTS PRIVILEGIES ?

par

MARIE-HELENE MAUDRIN
avec la collaboration de
FRANCOISE GOSSELIN

FRANCOISE RIGAUD
MARIE-CLAIRE PENICHOU

VERS UNE PEDAGOGIE SENSIBLE A L’ECOLE MATERNELLE

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Sommaire :

1.DES OBJETS ET DES GESTES

La voiture de François Xavier ; Les gâteaux de Yannick ; Le dessin de Frédéric ; La photo de Sheila ; Le mariage de Sandrine ; La descente dans le trou ; Marie-Antoinette, Delphine, Christelle ; Patricia et la tasse de lait ; Noël et l'arrosage ; Un objet privilégié : l'éponge ; L'écharpe de Laurent ; Delphine et les punaises ; La confection d'un objet vrai

2.INTERVENTIONS DE LA MAITRESSE

Denis et le loque ; René et la cuvette ; William et le pipi ; Le grand petit lavabo valabo ; Merci monsieur, merci madame ; La cagoule de Vincent ; Isabelle et la pluie ; Agnès et le grand pas ; Les musiciens ; William et le tambourin ; Nés de ces moments : les règles “ des idées ”

3.ROLE DU GROUPE ET NAISSANCE DES REGLES DE VIE

Le milieu scolaire générateur d'angoisses ; La première danse... et son évolution ; Le jeu des clowns poussant poussés ; Jeu des bêtes ; Nées de ces moments : les règles du faire-semblant ; Jeu à mesurer sa force ; La main de Cathy ; L'ajustement des comportements ; Franck ou la pression du groupe ; La mort de la maîtresse ; La maîtresse est une sotte ; L'existence d'une loi dans le groupe ; Lois de la classe signalées par les enfants ; Corinne vers l'autonomie ; Devenir grand est quelquefois insupportable

4.STRUCTURATION DE LA CLASSE

Chrystèle et son saladier ; Evolution des structures de la classe trois niveaux

 5.A CERTAINS MOMENTS... FAUT-IL DIRE ENCORE PRIVILEGIES ?

Stéphanie ou impossible de recourir à la maîtresse ; La rentrée des classes

 6.LORSQUE LE COMPROMIS EST IMPOSSIBLE ?

Les fleurs mutilées

 

 

 

 DES MOMENTS PRIVILEGIES ?

Par MARIE-HELENE MAUDRIN

avec la collaboration de FRANÇOISE GOSSELIN, FRANCOISE RIGAUD,

MARIE-CLAIRE PENICHOU

 

VERS UNE PEDAGOGIE SENSIBLE A L'ECOLE MATERNELLE

 

DES MOMENTS PRIVILEGIES comme ceux qui suivent et sans doute bien d'autres encore ont aidé et peuvent aider des enfants à trouver leur place au sein du groupe de la classe.

IL SERAIT DOMMAGE de ne pas se servir de cette aide...

IL SERAIT INTERESSANT pour notre pratique de recenser ces possibilités...

IL SERAIT UTILE de favoriser ces échanges...

LE POUVONS-NOUS ? C'est la manière dont Philippe a réussi à s'intégrer au groupe, grâce à une petite voiture qui m'a donné l'idée de recueillir ces moments de classe. Puis, je me suis dit qu'il serait peut-être intéressant de les regrouper, en montrant ce qu'ils ont apporté dans mon travail. J'ai sollicité des camarades pour m'aider à compléter ma collection : Françoise Gosselin, Marie-Claire Pénichou, Françoise Rigaud ont répondu à mon appel.

En notant les gestes, les paroles, les attitudes des partenaires j'ai pris conscience que j'avais tendance involontairement à reprendre ceux qui avaient dénoué une situation difficile. Par la suite je l'ai fait volontairement, pour en vérifier l'efficience.

 

 

EN GUISE D'INTRODUCTION

 

On pourrait dire que la Pédagogie Freinet s'appuie sur un réseau de relations ; elle est toujours en cours de construction, Pour l'individu isolé il s'agit de “ créer des liens ” avec les êtres, les objets, la matière, les outils et d'entrer ainsi dans une série d'échanges positifs. La part de l'éducateur au niveau des êtres, serait de prendre conscience de ce réseau de relations et d'apprendre à ne pas contrarier ces échanges naturels puis de les favoriser au niveau du groupe de la classe, (Mais il faut toujours penser qu'il peut exister d'autres structures de vie plus bénéfiques encore car respectant plus les besoins des enfants tout en offrant plus de possibilités et moins de contraintes, Classes décloisonnées, école éclatée). Au besoin, l'éducateur met en branle le jeu des relations positives à l'aide d'actions encore à cataloguer plus finement (cf. William et le tambourin...)

 

Eviter l'échec individuel de manière à ce que le bilan soit positif sans pour cela éviter le conflit, mais contrôler l'action afin que la réaction n'en balaie pas le bénéfice ? Progressivement, permettre à l'enfant d'avoir une action sur le milieu où il vit et que les cadres à fixer pour qu'une vie de groupe soit possible, se mettent en place petit à petit en respectant les besoins et la personnalité de chacun ? Qu'ils viennent si possible de la réflexion des membres du groupe lui-même ou qu'ils découlent des réactions et des conflits ? Il me paraît fondamental d'ajouter que nous sommes tous ou que nous avons été en pédagogie comme ailleurs, capables du meilleur et du pire. Il n’y a pas à s'en culpabiliser outre mesure à partir du moment où nous nous mettons à chercher ce qui pourrait être un mieux. Point par point, en inventant ou en remettant en cause nos attitudes, en échangeant tous à ce niveau, nous finirons bien par nous construire une attitude cohérente.

 

Marie-Hélène MAUDRIN

 

1.                DES OBJ ETS ET DES GESTES

 

LA VOITURE DE FRANÇOIS-XAVIER

 

22.9 - Philippe, 3 ans 3 mois, pleure chaque matin depuis la rentrée. Il accepte seulement de dessiner pour papa et d'écouter le chant commun. Il demande que je le prenne dans mes bras et refuse de participer aux moments d'utilisation de la salle de jeux.

 

Ce matin-là, 22.9, François-Xavier me confie une petite voiture afin de ne pas la perdre au cours de ses évolutions dans la salle de jeux.

 

Philippe me demande de la lui donner. Je ne peux, puisque François-Xavier me l'a confiée.

Philippe paraît comprendre, après un moment me quitte, va s'asseoir à côté de François-Xavier et arrive à lui faire comprendre qu'il voudrait la voiture, car François-Xavier me la réclame et la lui prête. Au moment d'écouter un disque, Philippe s'allonge pour la première fois avec la majeure partie du groupe, à côté de François-Xavier.

 

Il se met avec lui pour un jeu à deux qui est proposé par une camarade. Il monte sur le manège à son côté.

 

24.9 Il va le retrouver à son arrivée et voyant celui-ci “ faire le cow-boy ” se met à galoper derrière lui.

Quelqu'un proposant de faire “ les clowns ”, il participe de tout son cœur en faisant le clown qui ne fait que tomber. Il accompagne ses gestes d'exclamations et de vocalises.

Un premier enfant propose un modèle de clown au groupe, un autre enfant un second modèle, puis je demande à Philippe de nous montrer ce qu'il a fait et il s'exécute devant tous avec la même simplicité et le même plaisir.

 

25.9François-Xavier est absent. Philippe reste tout d'abord sur son banc, commence à s'animer sur place lorsqu'on fait le cheval, se laisse glisser et vient se joindre au groupe pour “ faire le bateau ” et écouter les comptines. Par l'intermédiaire de la voiture, Philippe est entré en relation avec François-Xavier et en suivant celui-ci a réussi à trouver sa place dans le groupe jusqu'à même se passer de sa présence et le dépasser, car François-Xavier n'a jamais osé se produire seul devant tous.

 

Il était lui-même l'an dernier, à la remorque de Stéphane qui nous a quittés.Peut-être entraîné par Philippe, réussira-t-il à son tour à se dépasser ?

 

29.9 A mon étonnement, François-Xavier nous raconte une très longue histoire dont il dessine le premier épisode. Je propose la confection d'un album.

En voici le texte :

C'est un bonhomme avec un chapeau.

Le chapeau s'envole.

Il l'avait enlevé

et il l'a lâché.

Après il s'en va faire les courses

sans son chapeau.

Il revient t à la maison

et il dit : “ Où est-ce qu'il est mon chapeau ? ”

Il rentre dans sa maison.

Il mange.

Il va dehors pour réparer le toit.

Il monte sur le toit.

Il tape un coup de marteau.

Il fait nuit et son chapeau est dehors.

Le chapeau rentre dans la maison tout seul.

Il va sur la tête du bonhomme.

 

*

 

LES GATEAUX DE YANNICK

 

Yannick, 3 ans 9 mois, a beaucoup pleuré à la rentrée ; il a bien pleuré pendant un mois ; au bout d'un mois il ne pleure plus mais en arrivant il prend une petite voiture qu'il garde précieusement dans ses mains et va se réfugier dans le coin bibliothèque, le plus à l'abri de tous les regards. Lorsque j'en parle à sa maman, elle me dit : “ oui, à la maison, il dit qu'il a très peur des autres enfants ”. Personne, pourtant, ne lui fait de mal, disons qu'il est ignoré ; seulement il y a beaucoup de monde, beaucoup de bruit et la seule personne qui pourrait le sécuriser, n'est malheureusement guère disponible !... Petit à petit il commence à me sourire, à me parler un peu mais avec les autres :: RIEN.

 

Les enfants avaient pris l'habitude pendant un temps d'amener des bonbons, des gâteaux de chez eux, qu'ils distribuaient à 4 h à leurs camarades (c'était une réaction en chaîne). Un jour Yannick arrive avec 2 paquets de gâteaux que bien sûr je lui fais distribuer le soir même ; au début il ne veut pas les donner : “ Non, toi ” me dit-il ; je l'oblige un peu et finalement il accepte ; tout le monde lui dit “ MERCI YANNICK ” peu à peu à la fin de la distribution un magnifique sourire illumine son visage. Je le remarque et j'en parle à la maman ; en lui disant de renouveler ceci, si elle veut bien, dans quelques jours. Ce qu'elle fait trois fois et c'est suffisant. Yannick est alors considéré comme “ le camarade qui amène souvent des bonbons et des gâteaux ” ; au début il est apprécié à cause de cela ce qui lui permet de s'intégrer dans le groupe et d'être par la suite très apprécié par sa gentillesse et à dater de ce moment il passe une très bonne année dans le groupe.

 

*

 

LE DESSIN DE FREDERIC... DONNE ET APPRECIE...

 

Frédéric est “ l'affreux ” de la classe ! Il me fatigue plus que les 36 réunis. Le soir je suis littéralement épuisée ; pas seulement à cause de lui, mais disons qu'avec lui, enfin “ la coupe est pleine ”...

 

Frédé ne veut pas écrire, en grande section. Il a fait une fiche de calcul et encore : “ C'est bien pour te faire plaisir ! ” m'a-t-il dit.

 

Il dessine, il peint et depuis le début de l'année, c'est toujours le même dessin “ moche ” : un bonhomme tout noir, avec des cheveux dressés sur la tête, sans jambe avec des grands bras écartés...

 

Quand je lui disais “ Finis bien ton dessin ”, ça coulait de tous les côtés et toujours du noir et du bleu foncé ; et puis un jour il a mis de la couleur.

 

Son bonhomme était beau, son dessin moins tourmenté. Je me suis extasiée : “ Frédé, cette fois, je l'encadre ton dessin, il est magnifique ! ” Ce jour-là, fait exceptionnel, son grand-père est venu le chercher. Il ne partait pas avec le grand frère de l'école primaire ; alors, j'ai montré le beau dessin au grand-père. Je ne l'ai pas gardé, ce beau dessin auquel je tenais, je l'ai “ valorisé ” sur un beau papier blanc et je l'ai donné...

 

Le lendemain Frédé m'a dit : “ Tu sais le dessin, mon pépé, il l'a affiché au-dessus de son lit, mais je t'en ferais des autres, des beaux ”.

 

Depuis, effectivement Frédéric ne fait plus son bonhomme tout noir ; bien sûr il me fatigue toujours autant, mais je crois qu'il a grandi ; il est un peu sorti du tunnel...

 

*

 

LA PHOTO DE SHEILA …

puis des baisers sur la main...

Réactions en chaîne

 

Laurent est en général toujours souriant, confiant dans ses rapports avec moi. De temps en temps, au cours de la journée, il s'arrête auprès de moi et demande à me faire un “ pip ” (un baiser). Ringo et Sheila sont sa grande passion. Il nous a fredonné “ les gondoles à Venise ” dès le premier jour et a demandé à entendre ses idoles dès qu'il a vu l'électrophone. Il compatit toujours au malheur des autres et propose ses bons services avec gentillesse. La seule chose qu'il ne supporte pas, c'est qu'on lui conseille de passer aux W.C. en même temps que les autres. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de lui faire des recommandations à ce sujet, car il a toujours su prendre ses dispositions en temps voulu.

 

Valérie pas contre a eu des difficultés. Son comportement était très possessif vis-à-vis du petit frère tout d'abord, qu'elle voulait voir auprès d'elle et qu'elle privait de toute initiative. Elle ne savait pas proposer gentiment à quelqu'un de danser avec elle mais obligeait le partenaire choisi à la suivre, et menaçait celui-ci s'il refusait de le faire. Je l'ai vue, armée d'une paire de ciseaux, menacer Martine, une petite qui a beaucoup de difficultés à se déplacer. Valérie se faisait souvent rejeter, que ce soit à la dînette ou aux constructions.

 

Ce matin-là, elle s'était fait rappeler à l'ordre à la dînette, aux cubes, en salle de jeux et au moment de l'habillage : aussi me menaçait-elle des foudres de sa mère. Je la sentais tendue, prête à griffer et mordre et je lui faisais remarquer qu'elle n'avait pas le droit de faire mal à quelqu'un pour jouer avec lui ; que ça n'était pas la bonne méthode, de faire mal, pour avoir des copains...

 

A ce moment-là, j'entendis derrière moi une petite voix qui disait : “ C'est ma copine à moi, Valérie, moi, je l'aime bien ”. L'ami Laurent écoutait la conversation et donnait son avis. Il en profita d'ailleurs pour sortir de sa poche la collection des photos de mariage de Sheila et Ringo, les montra à sa “ copine ” et finalement, gardant les “ en couleurs ”, se décida à lui en donner une en noir qu'elle accepta, voyant l'intérêt que je portais au cadeau et l'envie qu'il suscitait chez les autres. Ils sortirent main dans la main, montèrent ensemble sur le manège. Ce fut là, le premier contact positif.

 

Il y eut encore de nombreux moments difficiles, en particulier lorsque revint un petit par la taille, absent depuis un long moment, que Valérie essaya de dominer pour le garder tout à elle.

 

Enfin, un jour, elle courut à moi, illuminée, incrédule et rayonnante : “ Maîtresse, maîtresse ! Oh ! Elle m'a fait un bisou à ma main ! ”. Elle, c'était Martine, incapable de se relever seule, que j'allais oublier en salle de jeux et qui s'inquiétant de loin, avait poussé un petit cri. Valérie toute proche s'était élancée à son secours et en récompense, Martine affolée et reconnaissante lui avait embrassé les mains.

 

Je dois dire qu'à partir de ce jour, j'oubliai d'aider Martine à se relever la majeure partie du temps. Prise en charge par Valérie, Martine eut moins peur des bousculades dans la cour de récréation ou dans le couloir et servit d'intermédiaire entre le groupe et elle, car toujours affectueuse et souriante, elle entrait facilement en contact avec les autres. En salle de jeux, les déplacements s'organisèrent à deux puis à plusieurs ensuite, car Martine, ne se laissa pas enfermer dans une amitié exclusive.

 

Le temps des querelles incessantes était fini, mais tout n'était pas gagné. Si j'avais à faire une remarque, Valérie se fâchait et restait sombre dans son coin pendant un long moment. L'ordre de fermer le piano parce que le groupe avait décidé de danser en utilisant l'électrophone nous valut plus de trois quarts d'heure de retard.

 

Les filles de la classe des grands invitèrent les filles de la section des moyens à danser une de leurs trouvailles. Valérie refusa plusieurs fois de suite.

 

Son graphisme ne progressait pas beaucoup, les personnages restaient incomplets et le reste peu riche.

 

Laurent nous apporta un après-midi son petit chien dans un panier. Valérie resta longtemps à le caresser et à l'observer. Il posa la tête sur ses genoux et s'endormit.

 

Personne ne réussit à dessiner le chien de Laurent sauf Valérie qui n'oublia ni la queue, ni les oreilles, ce qui lui valut un grand succès. Elle commenta alors à haute voix les diapositives que je proposai sur les chiens et en particulier sur un petit chien.

 

Le 25 février, Valérie me montra une poignée de toutes petites perles car son collier s'était cassé. Je lui demandai d'aller les poser tout de suite sur mon bureau dans la boîte prévue car il était dangereux de les laisser à la portée des petits (c'est un des interdits de la classe). Quelques minutes plus tard alors que j'étais encore dans le couloir à déshabiller un enfant, Valérie revient avec Philippe me disant qu'il avait une perle dans le nez. J'emmenai Philippe et par une pression sur la narine réussis à faire sortir la perle.

 

J'allai ensuite voir Valérie, lui réclamai toutes les perles en lui demandant pourquoi elle n'avait pas obéi aussitôt à l'ordre donné. Je lui expliquai qu'avoir une perle dans le nez était très dangereux pour Philippe et qu'elle avait bien fait de venir me prévenir mais que rien n'aurait dû arriver si elle avait obéi.

 

Comme nous avions pris du retard, je lui ordonnai d'installer l'atelier d'encre même si elle ne voulait pas en faire. Le ton était sec et je consultai ma montre pour voir combien de temps durerait le moment de recul. Après 15 minutes Valérie se mit au travail, installa l'atelier puis se lança elle-même dans le dessin et me demanda mon avis sur son œuvre.

 

Quelques jours plus tard, Mariella voulut dessiner les gâteaux qu'elle avait apportés. Le groupe trouva que pour de gros gâteaux tous pareils, les dessins de Mariella étaient “ trop petits et pas pareils ”. Valérie proposa de tourner autour et exécuta le travail le lendemain avec Mariella.

 

Elle me demanda également de lui montrer comment écrire son prénom. C'est elle qui vient de trouver dans le jeu “ de la Piste aux Etoiles ” comment montrer du geste aux lions qu'il faut descendre de la chaise, tourner, saluer, passer dessous, se rendre en un endroit donné. Olivier n'osait pas se produire devant le groupe : elle est allée le chercher, l'a appelé son bébé lion, l'a encouragé de la voix et du geste afin qu'il réussisse... J'ai bien l'impression que Valérie est sur la bonne voie...

 

Note : Valérie, Laurent et Martine étaient nouveaux à la rentrée de septembre.

 

 

*

 

LE MARIAGE DE SANDRINE

 

Nous fonctionnions cette année-là en classes décloisonnées, nous étions donc deux maîtresses et beaucoup, beaucoup d'enfants (90 inscrits).

Sandrine, 4 ans 3 mois était une petite fille très renfermée, apparemment affolée par l'espace dont nous disposions et surtout par la multitude d'enfants...

Sandrine restait immobile au milieu de la classe et ne se déplaçait qu'accrochée à la jupe de l'une des maîtresses. Elle refusait toute activité.

 

Aux environs du mois de février elle se mit d'elle-même à un atelier (pâte à modeler) elle conserva cette activité pendant plus d'un mois : elle ne faisait que ça. Un jour, elle changea d'atelier : découpage-collage, qu'elle conserva tout aussi longtemps.

Cela représentait pour nous un progrès énorme, d'autant que Sandrine se mettait à nous parler un peu, à nous, mais n'avait toujours aucun contact avec ses camarades.

 

Sandrine assista à un mariage. Le lendemain, à un moment où les enfants étaient regroupés, elle raconta cela ; au départ bien sûr, elle ne s'adressait qu'à nous deux et timidement. Cependant les autres enfants étaient intéressés et lui posaient des questions. Sandrine leur répondait. Ça s'est arrêté là.

 

A la suite de cela nous avons décidé tous ensemble de jouer au mariage (le récit, qu'elle avait fait, avait plu aux enfants). Il était difficile de choisir la mariée : beaucoup de petites filles se proposaient (sauf Sandrine). Comme Sandrine était à l'origine de tout cela, nous lui avons demandé si elle voulait bien être la mariée : elle accepta.

 

Nous avons confectionné ensemble une robe blanche en papier crépon à Sandrine ; une belle robe de mariée !... Quand nous lui avons essayé la robe elle est devenue pâle, elle tremblait de tous ses membres.

 

Enfin, il fallut bien choisir le marié et c'était à Sandrine de décider. Elle y mit très longtemps et nous avons eu l'impression que finalement c'était un peu au hasard qu'elle s'était décidée pour Laurent.

 

Le “ mariage ” eut lieu et c'est de ce jour-là que s'opéra un changement radical dans le comportement de Sandrine.

Sandrine ne quittait plus Laurent petit garçon très ouvert, très vivant, mais aussi très gentil qui l'accepta très bien ; d'ailleurs, ils s'appelaient “ copain ”, “ copine ”.

 

Pratiquement jusqu'à la fin de l'année Sandrine était vraiment dépendante de Laurent : à nouveau perdue quand il n'était pas là, mais très à l'aise quand elle jouait avec lui. Elle le suivait dans la bande des garçons et on la retrouvait même dans des jeux de bagarre de pistolets etc. peu lui importait du moment qu'elle était avec Laurent ! Elle participait aux activités de la classe (souvent les mêmes que Laurent).

 

La maîtresse de l'année suivante nous a dit que Sandrine était devenue indépendante de Laurent. Ils étaient encore amis, mais ce n'était plus une exclusivité, elle était à l'aise avec tous les enfants.

 

*

 

LA DESCENTE DANS LE TROU... "LA BÊTE DE LAURENT"

Le pouvoir de l'action et de la parole

 

En se rapportant à “ l'écharpe de Laurent ” on connaîtra le cas Laurent : un enfant très agressif dans le groupe, avec qui, moi aussi, j'avais de mauvaises relations. Elles se sont un peu améliorées depuis qu'il a pu confectionner une écharpe en soie pour sa maman.

 

Un fait nouveau intervient : la veille des vacances de Pâques, les cantonniers sont venus dans notre entrée, ont enlevé le paillasson puis deux dalles et “ Oh ! Le grand trou ” que personne n'avait soupçonné !

 

Les cantonniers étaient venus pour vérifier les canalisations. L'un d'eux est donc descendu dans le trou avec une torche. Les gosses étaient surpris et se demandaient ce qu'il pouvait bien aller faire, ce qu'il pouvait bien y avoir.

 

Le cantonnier qui restait, a sollicité les enfants pour venir voir. Ils en avaient bien envie mais personne n'osait y aller ; seulement, ils pensaient tous y envoyer Laurent car pour eux, il n'avait peur de rien et c'était sûrement le seul capable...

 

Laurent n'était pas trop décidé. “ Mais si ”, disaient les autres, “ tu nous raconteras ” (ils avaient envie de savoir) et Laurent y est allé.

 

A sa sortie il a vite fallu se rassembler pour qu'il nous raconte ; et voilà ce que Laurent a vu : “ Dans le trou il y avait des cailloux, du ciment et au fond y avait une lumière ; je crois que c'était une grosse bête dans le trou ”.

 

Ils ont pourtant vu le monsieur descendre mais plus personne n'y a pensé. C'est sûr, c'était une bête : “ Alors comment était-elle ? ” Là, le délire, Laurent parlait, il expliquait, il construisait sa bête pour les autres.

 

C'était bien sûr une sorte de monstre avec des dents, des cornes...

 

A la fin une petite fille a dit : “ Mais alors, la bête de Laurent, elle est sous notre classe ! ”. Il ne fut plus question des cantonniers, mais seulement de la “ bête de Laurent ”.

 

C'est dommage, on a été pris par l'heure de la sortie et puis les vacances de Pâques... Il est certain que Laurent avait eu là l'occasion de se valoriser aux yeux de ses camarades.

 

Laurent a besoin que l'on parle de lui, qu'on le valorise, qu'on le regarde, qu'on s'intéresse à lui ; à ce moment-là, il accepte finalement de respecter les autres.

 

*

 

MARIE-ANTOINETTE, DELPHINE ET CHRISTELLE

La connaissance, même de vue, d'un entant et une attitude compatissante...

 

Marie-Antoinette est arrivée dans notre classe au début de cette année venant de la classe voisine. Entrée à l'école au dernier trimestre de l'année précédente, elle l'avait passé à pleurer et nous avions remarqué qu'elle préférait venir dans ma classe car elle y retrouvait Delphine, une petite voisine qui fréquentait l'école depuis la rentrée déjà.

 

Derrière ses lunettes embuées de pleurs, elle ne devait pas voir grand-chose et restait à sangloter discrètement. Delphine accepta avec fierté de la piloter et j'en fus bien contente.

 

Sa mission confirma son statut de grande qu'elle oubliait souvent auparavant pour poursuivre un jeu ambigu où elle passait à l'opposition brutale si je refusais de lui accorder les privilèges de bébé que son attitude réclamait.

 

La présence de Marie-Antoinette coupa court souvent aux moments de tension qui montaient, et, manipulée par Delphine qui lui soufflait le déroulement des opérations et l'entraînait, Marie-Antoinette, en pleurs à chaque changement d'occupation se mit à la peinture, aux feutres, se servit et rangea mais refusa terre et monotypes au cours du 1er trimestre. Elle resta longtemps cependant à observer ces ateliers.

 

Un matin que Delphine était absente, Marie-Antoinette restait plantée en salle de jeux.

 

Le cœur compatissant, Christelle, qui l'observait souvent d'un air navré, mais se tenait à distance, sans doute d'ailleurs, à cause de Delphine qui avait fait un peu de sa voisine une propriété ; Christelle donc, sortit son mouchoir et ne se voyant pas repoussée lui essuya les yeux. Elle la prit doucement par la main et l'emmena s'asseoir, la regardant dans les yeux et lui tenant compagnie pour la séance.

 

A partir de ce jour Marie-Antoinette accepta de se mêler au groupe, tenue d'une main par Delphine et de l'autre par Christelle. Un flot de larmes et un gémissement nous rappelaient qu'il ne fallait pas oublier cette condition. Quand je la priais de prendre place pour une occupation définie comme la confection des gâteaux et qu'elle ne bougeait pas, souvent les intéressés laissaient d'eux-mêmes trois places et Christelle et Delphine venaient encadrer leur protégée sous l'œil bienveillant du groupe. Certains remarquaient, commentaient et encourageaient les initiatives...

 

Marie-Antoinette profita de l'épidémie de rougeole à sa manière. L'atelier monotype déserté devint sa propriété pour une quinzaine de jours. Elle mélangea les encres des heures durant transformant les couleurs en un brun homogène sans trop se soucier d'un graphisme durable, se lavant les mains fréquemment et manipulant l'éponge qu'elle apprit à tordre ; franchissant ainsi, un grand pas vers l'autonomie. Elle pourrait dorénavant réparer ses erreurs avant même que quelqu'un s'en soit rendu compte.

 

Un jour enfin, elle nous déclara d'une voix forte qui m'étonna : “ Moi, je n'ai pas de maison ”. Delphine nous expliqua que Marie-Antoinette vivait dans une caravane. D'autres vivaient en caravane et il y eut de nombreux échanges à partir de sa réflexion.

 

Quelques jours plus tard, en salle de jeux, Marie-Antoinette refusa une fois de plus de monter sur les bancs. Depuis que les enfants en avait fait un toboggan, elle refusait systématiquement d'essayer.

 

Tout en maintenant les bancs en place, je l'appelai et lui déclarai “ Fais comme tu veux, mais fais quelque chose ! ”. Comme elle se tenait toute raide auprès de moi, je lui expliquai que Martine grimpait assise et que tout le monde l'attendait, même longtemps s'il le fallait. (A l'époque Martine donnait de légers coups de reins successifs et je bloquais à chaque fois la progression car ne parvenant pas à s'aider suffisamment des bras, elle repartait vers le bas sitôt que les pieds ne touchaient plus le sol). Béatrice grimpait à quatre pattes et descendait aussi comme elle le voulait ; je l'aidais chaque fois qu'elle le demandait. Elle pourrait être assise, debout, à genoux, à plat ventre... comme elle voudrait !

Pour la décider j'invitai Delphine et Christelle à l'encadrer, et prise en sandwich, Marie-Antoinette tenta l'expérience. Elle recommença et y prit plaisir. A ma stupéfaction, je la vis le midi partir rejoindre sa mère en sautillant au lieu d'offrir l'image habituelle de la désolation !

 

Elle confectionna les jours suivants une bonbonnière en rotin que chacun admira.

 

Elle participa depuis aux ateliers, me demandant de l'aider dans un but défini alors que je devais avant insister pour qu'elle cherche et trouve une occupation.

 

Début mai, comme elle refusait de participer à la “ danse sur une idée de Valérie ”, je lui proposai de prendre place à côté de Delphine, la pris par la main, mais un “ non ” net arrêta mon geste.

 

Elle tira la langue à Delphine qui pour un temps et je ne sais quelle raison n'était plus sa copine et alla d'un pas décidé s'asseoir ailleurs, pas même auprès de Christelle. Les autres lui firent place...

 

*

 

PATRICIA ET LA TASSE DE LAIT :

La bienfaisante éponge

 

Quelques jours après la rentrée de janvier arriva une petite Patricia qui devint la benjamine de la classe. Elle était à la fois curieuse de tout et prudente et saisit dans la journée une partie des possibilités qui lui étaient offertes et une partie des limites à son action.

 

A 16 heures environ, une tasse de lait offerte les mois d'hiver par la municipalité était servie aux enfants. Patricia s'attabla souriante avec les autres, mais la tasse était-elle un peu chaude peut-être ou une situation semblable avait-elle provoqué ailleurs des incidents ?... Toujours est-il que tout le lait fut renversé et que pour la première fois de la journée la petite s'affola et se mit à sangloter.

 

Vite, la voisine courut chercher l'éponge, et je lui expliquai qu'ici, renverser ce n'était rien puisqu'il y avait une éponge.

 

Véronique essuya le plus gros, Patricia regarda comment on tordait, finit d'essuyer le reste avec un beau sourire mouillé, se cala les fesses sur la chaise puis replongea le nez dans une nouvelle tasse de lait.

 

*

 

NOËL ET L'ARROSAGE

ou réparer le préjudice causé.

 

Franck et Noël jouaient à l'eau. Franck emplissait ses bouteilles jusqu'à ce qu'elles débordent.  Noël faisait tourner le petit moulin. Franck voulut s'approprier une bouteille que Noël estimait sienne. Etant le plus fort, il y réussit. Noël ne répliqua pas et se mit à emplir une timbale. Rassurée sur la suite des événements, je me remis à questionner mon voisin à propos de l'histoire qu'il venait de raconter puis levai à nouveau les yeux vers les deux compères.

 

Franck, bouche ouverte avait pris une position de repli et n'osait même pas appeler. Il fixait Noël, qui, la timbale à la main, amorçait sous son nez un balancement du bras qui prenait peut à peu de l'ampleur. L'eau venait lécher le bord de la timbale. Gare à la figure !

 

“ Noël ! ”. Je me levai d'un bond, la chaise et le crayon tombèrent. Il se fit un grand silence.

 

Le geste de Noël brusquement bloqué fit jaillir l'eau hors du récipient et une belle flaque s'étala sur les chaussures de Franck. Alors, en un éclair, Noël qui était presque toujours muet, bondit sur la serpillière et me cria “ Maîtresse, maîtresse, je vais essuyer ! ”, d'une voix forte et distincte comme je ne l'avais entendue qu'une fois lorsqu'il avait failli s'oublier dans la culotte.

 

Le préjudice réparé, l'incident était clos et il fallait voir, le sourire de Noël au moment de l'habillage comme s'il avait conjuré un grand péril.

*

UN OBJET PRIVILEGIE : L'EPONGE

 

Un atelier nettoyage permet aux enfants de réparer eux-mêmes leurs maladresses, et je veille à ce que chacun sache tordre correctement l'éponge, sinon, le remède serait pire que le mal !

 

Je me souviens à ce propos, d'une tentative malheureuse d'Olivier à l'atelier peinture. Celle-ci devait être trop épaisse. Il prit l'initiative d'y ajouter de l'eau, mais il en mit trop, bien qu'il ait employé le flacon à bouchon perforé qui permet de ne verser qu'une petite giclette dans chaque gobelet.

 

La peinture trop liquide dégoulina le long de la feuille, se répandit à terre, sur la table et sur le chevalet. Olivier tenta de réparer les dégâts, il se saisit de l'éponge, mais comme il ne savait pas bien tordre, il provoqua une véritable inondation.

 

Abstraction faite de la maladresse son comportement était tout ce qu'il y a de logique. Voilà pourquoi le nettoyage quotidien et systématique de la table à terre est confié à un groupe rotatif de 3, et je vérifie que chacun sait effectivement tordre.

 

Ce nettoyage n'étant confié qu'à ceux qui n'ont pas encore tout à fait maîtrisé le problème, ils en bénéficient de plus en plus souvent à mesure des progrès. Il y a au bout bien du temps gagné et des heurts évités.

 

*

 

L'ECHARPE DE LAURENT

aider à la confection d'un objet "vrai".

 

Laurent avait besoin à tout prix que l'on s'occupe de lui ; il devait être le “ nombril ” de la classe et pour cela bien sûr tous les moyens lui étaient bons : agressivité vis-à-vis de ses camarades ; refus de tout ce que je proposais ; semer la perturbation au milieu des activités ; enfin tout ce qui pouvait entraîner une réaction de ma part ou de la part du groupe ; il guettait d'ailleurs la réaction avec un petit sourire narquois après chacun de ses exploits. Réactions souvent négatives ; c'est vrai ça ne collait pas entre Laurent et moi, ni entre le groupe et le Laurent (“ Tu n'as qu'à lui couper les cheveux et le mettre à la poubelle ” me disait-on) ; j'étais moi-même désarçonnée par le phénomène Laurent.

 

Et ça continuait !...

 

Un nouvel atelier a été mis en place : peinture sur soie pour la confection d'écharpes (technique du gros sel). Cette activité n'était possible que pour un enfant : c'était un peu la vedette du jour !… (les écharpes sont bien sûr destinées aux mamans) et puis enfin c'était nouveau !… donc beaucoup de candidats.

 

Laurent bien sûr en mourait d'envie mais à partir du moment où ce n'était pas lui, il n'était plus d'accord ; c'était... (tout ce qu'on veut !...)

 

Enfin, un jour, je le sentais un peu plus serein, et je lui propose : “ Tu viens essayer, je vais te montrer ” ce qui d'habitude déchaînait les foudres “ Non, j'veux pas, c'est..., d'abord c'est moi le plus fort et mon père il a des “ pistoles ”.

 

Bref, cette fois-ci pas du tout ; ce fut “ D'accord, maîtresse ! ”

 

Et ce, pendant tout le temps où on a travaillé ensemble. Les autres, je crois, n'en revenaient pas et venaient voir ce que faisait Laurent, qui, à ce moment-là était un personnage très important expliquant aux autres.

 

“ Tu vois, toi, tu saurais pas le faire, il faut faire ceci, cela... ”.

 

II passa un temps fou à réaliser cette écharpe (garder la bonne place le plus longtemps). On avait l'impression que pour une fois il était à peu près bien dans sa peau.

 

Les autres d'ailleurs ont très bien réagi rentrant pratiquement dans son jeu.

 

Enfin, une journée idyllique !...

 

Il y eut à la même époque un autre événement qui fit plaisir à Laurent : nous avons fait une sortie dans une ferme et sa maman (très coopérante) faisait partie des accompagnatrices. Il venait souvent me parler de cela.

 

De cette date nos rapports ont été considérablement changés : je n'ai pratiquement plus de problèmes de relations avec lui. Encore des problèmes cependant avec le groupe. On n'est pas tout à fait sorti de l'auberge mais c'est sur la bonne voie...

 

*

 

DELPHINE ET LES PUNAISES

émailler la journée de petites tâches vraies...

 

Delphine est fort gentille lorsqu'on s'occupe d'elle la première, mais réserve des surprises comme celle de semer la réserve de punaises dans les pots de peinture lorsque je n'ai pas pris cette précaution. Elle aime aussi venir s'asseoir près de moi et s'occupe alors très calmement si je prends la peine de lui adresser de temps en temps la parole.

Par contre, s'il m'est impossible de rester assez longtemps près d'un groupe, elle va de l'un à l'autre, touchant à tout, ne faisant rien et refusant les activités que je peux lui proposer s'il m'est impossible de rester auprès d'elle.

 

Un objet en rotin avait été confectionné au cours du premier trimestre puis une carte de Noël.

 

Il s'écoula ensuite un moment où nous n'entreprîmes ensemble rien de très marquant.

 

Delphine se couvrit la tête de peinture verte et accepta de bonne grâce un shampooing à la stupéfaction de la mère avec qui le shampooing était "toute une comédie".

 

Depuis, j'essaie d'émailler la journée de Delphine de petites tâches vraies de rangement où elle m'aide à porter les objets, de moments de nettoyages communs. Je lui demande par faveur, d'aider quelqu'un qui peine de manière à éloigner l'orage.

 

*

 

LA CONFECTION D'UN OBJET VRAI

 

J’aide le plus vite possible certains enfants à confectionner “ un objet vrai ”, c'est-à-dire un objet qui a effectivement une utilité comme un dessous de plat dont la maman se servira quotidiennement ou un découpage qui décorera la salle de jeux un jour de fête.

 

L'existence de « l'objet vrai » reconnu par les autres, et surtout par sa famille, amène l'enfant qui l'a créé à percevoir sa propre identité donc, celle de ses voisins. De plus, la réussite sociale provoque souvent l'envie de “ re-entreprendre ” et de “ re-réussir ”.

 

Les objets proposés tiennent compte des intérêts et des refus de chacun : rotin pour ceux qui craignent de se salir, peinture sur soie pour les barbrouilleurs, aluminium, où il s'agit de dominer pour certains l'étape de l'encrage, dessous de plat, guéridons, tables en céramique confectionnés à l'aide de gabarits où l'on tasse la terre à grands coups et où il est permis d'en avoir plein les mains et même un peu plus...

 

Le plaisir peut durer longtemps. Une mère signalait l'autre jour qu'au CE2, son fils prenait toujours autant de plaisir à lui voir autour du coup l'écharpe qu'il avait confectionnée à 3 ans.

 

 

***

 

 

2.    INTERVENTIONS DE LA MAITRESSE

 

 

DENIS ET "LE LOQUE"

ou la maîtresse reprend une attitude familiale spécifique qui sécurise

 

Denis restait debout dès son entrée en classe. Il se tenait dans le recoin à droite de l'entrée formé par une table et un casier de rangement et ne commençait une activité que si, questionné et consentant, je l'emmenais par la main à l'endroit voulu et lui indiquais les gestes à faire : “ Prends les pinceaux, place-les dans les pots, prends, trempe-les dans la peinture... un dans chaque pot... il en faut encore un... ”. Je ne le quittais que quand il avait vraiment commencé l'activité choisie et paraissait s'y absorber.

 

Denis était asthmatique et fréquemment absent. Je désespérais un peu de le voir prendre confiance en lui.

 

Un matin, la classe était toute calme, j'entends une sorte de cri et je vois Denis, tout pâle, portant la main à sa gorge. Il parle d'une voix tendue, hachée : “ Maîtresse, Maîtresse, le loque... ”. Il a le front moite ainsi que les mains. Avait-il avalé quelque chose ? A le voir décomposé ainsi, je ne me sentais vraiment pas à l'aise. Il secouait la tête négativement à ma question “ Non... pas avalé... le loque ”. De quoi avait-il peur ? Ne le comprenant vraiment pas, je décide d'aller trouver sa sœur dans la classe voisine.

 

Le prenant dans les bras, je cours dans la classe voisine, entre sans frapper et demande à la sœur ce qu'est “ le loque ”. Elle me répond en pleurant le “ loquet ”. Compris ! -Le hoquet - Par chez nous il y a une comptine qui dit “ j'ai le loquet bilboquet... ” heureusement !

 

Quand je parle de hoquet, elle me fait signe que c'est bien cela. Je lui tapote le dos, Denis est toujours aussi tendu. Je lui frotte le visage, lui parle, enfin ne sachant plus que faire, je demande à la sœur ce qu'il faut faire.

 

Elle me dit “ Souffler dans l'oreille ”. Je souffle et ressouffle, voici mon Denis qui se calme presque instantanément. Le mieux c'est que je suis sûre qu'il n'avait pas le hoquet effectivement, il avait seulement peur de l'avoir et on le sentait en proie à une angoisse profonde au point qu'on en voyait tous les signes physiques.

 

A partir de ce moment-là, Denis a été transformé. Il est venu me donner la main alors qu'auparavant je la lui prenais et quand je le voyais un peu tendu, je lui disais “ Alors Denis, plus le loque ? ” et il se mettait à sourire.

 

Pour le rassurer, je crois qu'il fallait que j'adopte au moins une fois une attitude familiale spécifique qui le sécurisait lorsqu'il se sentait angoissé.

 

J'ai bien eu de la chance que la sœur soit là, sinon, allez deviner !

 

Maintenant, je pense à demander ce que fait la maman quand quelque chose ne va pas et que je sens l'enfant angoissé. A la vérité, je n'ai fait qu'emprunter les gestes familiaux, provisoirement, car après environ 3 mois, nous avons pu plaisanter de cette peur qu'il avait eue alors que je ne pense pas que la maman ait plaisanté de cette peur-là !

 

*

 

RENE ET LA CUVETTE

ne pas entrer dans le jeu de l'enfant...

 

René était très souvent absent. On le voyait une fois de temps en temps rarement.

Un après-midi, la grand-mère affolée l'amena. Les parents étaient commerçants, la maman sérieusement malade depuis un moment. Ce jour-là, vraiment, personne ne pouvait être à la maison avec l'enfant.

 

La grand-mère le suppliait, promettait monts et merveilles. L'enfant se mit à hoqueter “ Je vais vomir, je vais vomir ! ” s'écria-t-il.

 

“ Ça y est, s'écria la grand-mère, il fait ça, chaque fois qu'il a une contrariété ! ”.

 

Personne ne pouvait le surveiller, il fallait qu'il reste et trouver une solution. Je ne pouvais retenir un certain agacement.

 

“ Madame, dis-je à la femme de service qui venait d'accourir, allez donc chercher une cuvette ! ”

 

Ce fut instantané. Les hoquets et les cris cessèrent, l'enfant lâcha la grand-mère et sortit dans la cour.

 

Nous nous regardions toutes, stupéfaites “ Ah ! C’était de la comédie ! ... ” réalisa la grand-mère presque déjà indignée.

 

De la comédie... non... Le mot ne me satisfaisait pas, la preuve que quelque chose n'allait pas... oui... Comédie, c'était rendre l'enfant responsable et son attitude ne pouvait être qu'une résultante... Quelles étaient les forces qui la composaient ? .Toute une histoire !

 

*

 

WILLIAM ET LE PIPI

ou la maîtresse s'interpose entre le groupe et l'enfant

 

William était très timide, rougissant pour un rien, et n'osant s'exprimer. Je le sentais toujours vis-à-vis de moi, et de tous d'ailleurs, sur la défensive. Un après-midi, je l'aperçois de loin, inoccupé, tourmenté, le regard anxieux, près des larmes.

 

Que se passait-il ?

 

Nous nous trouvions à l'époque à 45 dans 37 m2. Faire déplacer quelqu'un pour gagner la porte et les W.C., ou m'appeler, avait semblé insurmontable à William. Il avait essayé d'attendre et n'avait pas pu.

 

Cela me rappelait un souvenir personnel datant de ma section enfantine...

 

J'ai donc appelé la femme de service pour qu'elle réponde en mon absence aux besoins de la classe, ai pris William par la main sans rien dire, et suis allée changer moi-même le slip. La culotte n'était que relativement peu atteinte, il a décidé de la remettre... ni vu, ni connu...

 

Au lieu de lui préparer un petit paquet infamant, j'ai trouvé du papier à fleurs et l'objet se trouvant assez présentable, l'ai posé sur mon bureau en attendant la sortie.

 

William me rapporta le lendemain le même discret petit paquet et je replaçai le slip dans le linge de l'école.

 

Depuis ce jour, nos rapports changèrent, il sortit de son mutisme, et n'hésita pas à m'appeler à l'aide, puis il fit confiance à ceux à qui je conseillai de s'adresser lorsque j'étais occupée et se créa des liens avec le groupe.

 

Je suis sûre toutefois qu'il n'aurait pas supporté la honte de s'être oublié devant 45 personnes et qu'il aurait pu s'enfermer définitivement dans son mutisme si le hasard n'avait pas été favorable à notre petite machination.

 

Quelques semaines après l'épisode du petit paquet, je me sentis tout à coup tirée très discrètement par la blouse et j'entendis William me dire très doucement “ Maîtresse, ton jupon passe ! ” C'était l'époque des jupons gonflants et il passait en effet de cinq bons centimètres à l'arrière. Très vite, alors, j'amorçai une sortie discrète et en revenant lui jetai en coin, un regard. Je le vis alors baisser les yeux avec un sourire de connivence, histoire de me faire comprendre que tout était rentré dans l'ordre.

 

*

 

LE GRAND PETIT LAVABO VALABO

 

Laurent notre grand admirateur de Sheila et Ringo aimait aussi les jeux de mots.

 

Il ne laissait à personne d'autre qu'à moi le soin de déboutonner les manches de son tablier et en profitait pour tenir conversation au moment du passage en salle de propreté.

 

Un jour où j'étais peu loquace, il me montra le coin de la salle d'eau en disant :

 

- “ C'est quoi, là ? ”

- “ Un petit lavabo ”.

puis, me montrant le centre de la salle : “ Et là ? ”...

- “ Un grand lavabo ”.

- “ Ah ! Oui, un petit valabo ” reprit-il en me montrant le grand, et ses yeux se mirent à rire.

- “ Non, un grand la-va-bo ” repris-je très sérieusement et mes yeux devaient commencer à rire car il reprit :

- “ Ah ! oui, un petit, un petit ”.

- “ Si c'est un petit, tu es un grand coquin toi ! ” lui dis-je en lui pinçant le tablier au niveau du nombril.

 

Plusieurs fois, le jeu recommença entre les petits valabos, lavabos, et les grands coquins et les petits coquins. Le temps passa, puis Laurent fut absent. Un matin, notre Laurent après un assez long moment, revint à l'école mais le cœur n'y était pas.

 

Je déboutonnais les manches mais il baissait le nez. Cela me fit penser au valabo-lavabo et je lui dis d'aller se laver les mains au petit valabo. Immédiatement son œil s'alluma.

 

- “ Tu t'es trompée, toi ! C’est un grand lavabo ! ”

 

Je pris l'air embarrassé, une main devant la bouche. “ C'est vrai, je me suis trompée ! Qu'est-ce que c'est ? ”

 

- “ Un grand et un petit ” dit-il en me montrant les pièces à conviction

-. “ Je sais, hein ! ”

- “ Très bien ” fis-je admirative.

 

Et le grand petit coquin s'en alla tout content...

 

L'allusion à un moment heureux avait dissipé les nuages et ramené le sourire.

 

*

 

MERCI MONSIEUR, MERCI MADAME !

 

La fin de la journée était plutôt houleuse. Je n'étais pas très en forme ce soir-là, plutôt lasse, très lasse, en particulier parce que la pluie depuis la rentrée nous obligeait à rester souvent à l'intérieur et parce qu'à l'intérieur, 3 pauvrets continuaient à pleurer à grands cris bien que ce soit le début d'octobre.

 

Nos oreilles avaient encore souffert et chacun méritait une compensation. Je pris donc la boîte de gâteaux et commençai la distribution des restes. Nous en étions là !

 

Ils se servirent l'un après l'autre sans un merci. D'un ton plutôt désabusé je fis remarquer qu'il n'y avait “ pas un merci ! ”

 

Alors, d'une voix claironnante Christophe s'écria : “ Merci Monsieur ! ” Il y avait dans l'intonation quelque chose de frondeur qui disait comme “ Ah ! Tu veux un merci, et bien, qu'est-ce que tu en dis ? ” Visiblement ce merci voulait dire que j'étais l'empêcheuse de danser en rond. Celle qui les avait maintenus là alors qu'ils avaient des fourmis dans les jambes et venait encore les ennuyer avec une politesse de convention, alors que tous en avaient assez de cet espace confiné et de ces pleurs.

 

Les yeux s'allumèrent, les pieds cessèrent de gigoter, le silence se fit... et sans que j'aie à réfléchir la réplique se fit : “ Ah ! Bien mademoiselle ! ”. Un éclat de rire général détendit l'atmosphère. Tous ceux qui n'étaient pas servis me donnèrent du “ merci monsieur ” à qui mieux mieux. A chacun je répondis en inversant les sexes. L'habillage devint plus supportable à tous.

 

La semaine suivante, nous eûmes le matin, la visite de l'inspectrice départementale et le climat malheureusement n'était pas meilleur : pas de récréation pour eux, nos trois enfants en pleurs et pour moi une humeur peu propice au dialogue !

 

Tension chez eux, tension chez moi, gare aux étincelles ! Une distribution pouvait peut être détendre l'atmosphère.

 

“ Ils ne disent plus merci ” fit remarquer à un moment la visiteuse et c'était vrai. Olivier présentait ses gâteaux comme il pouvait, c'est-à-dire un peu n'importe comment ! Il oublia David qui se mit à réclamer en grognant. La visiteuse en prit un et le lui tendit.

 

“ Merci Monsieur ” s'écria David alors, en se tapant sur les cuisses “ Merci monsieur ”, -“ Mais, je suis une dame ” dit l'inspectrice. “ Merci monsieur ”, répéta David en s'esclaffant. Une situation analogue avait amené une réponse analogue et nous eûmes l'un l'autre un petit sourire complice...

 

*

 

LA CAGOULE DE VINCENT

un vrai merci...

 

Vincent sauta sur Corinne dans le couloir : “ Ma cagoule, donne-moi ma cagoule ! ” s'écria-t-il et une volée de coups s'abattit sur “ la voleuse ” qui se mit à piailler.

 

J'attrapai le poing au vol “ Regarde, la couleur, petit père ! ”, dis-je à Vincent, “ celle de Corinne est plus foncée que la tienne ”.

 

Nous vérifiâmes. Toute une série de cagoules allaient du blanc cassé, au beige soutenu. Vincent rentra la tête un peu dans les épaules, le sourire se fit confus...

 

Rien ne tomba. “ Ah merci ! ” s'écria Vincent qui reprit toute sa taille et son sourire “ merci ” et il fila en récréation.

 

*

 

ISABELLE ET LA PLUIE

ou guetter un moment fortuit intéressant par ses possibilités et le présenter à tous

 

Après un moment de danse libre, lorsque le groupe souffle, Isabelle fait de grands gestes en direction de ses camarades qui rient en se frottant le visage.

 

“ Que fait-elle ? ”- “ De la pluie ! ”

 

Sur ma demande Isabelle présente sa trouvaille à tout le groupe qui l'apprécie et tous jouent à la pluie qui arrose.

 

Je propose que le jeu de pluie fasse partie du spectacle qui sera présenté aux parents en fin d'année.

 

Après cette réussite Isabelle se lance dans les découpages grand format.

 

*

 

AGNES ET LE GRAND PAS

une "idée" à valoriser

 

Agnès ne parlait pas distinctement, restait timidement assise l'an dernier, sur un banc ou participait peu aux évolutions en salle de jeux.

 

Par un jour de grand énervement, debout, sur un banc alors que les autres dansent, elle s'efforce de passer sur le banc voisin distant de 50 cm environ en se suspendant au radiateur.

 

Je propose alors aux autres enfants de faire comme elle. Nous reculons le plus possible les deux bancs. Agnès réussit le plus grand pas (85 cm franchis en s'aidant du radiateur). Son visage est rayonnant. A partir de ce jour elle se lance dans la danse.

 

Chaque fois que quelqu'un propose “ le grand pas ” Agnès revendique la place de première.

 

*

 

LES MUSICIENS

ou une idée et sa contrepartie...

 

Stéphane et Sébastien au cours d'une danse se mirent un matin à jouer de la trompette à grand bruit, couvrant en partie la musique.

 

Le disque fut arrêté et Stéphane et Sébastien priés de danser ou s'asseoir mais je leur promis de montrer au groupe leur idée aussitôt après. Ils décidèrent de s'asseoir.

Le groupe s'intéressa et suivit les deux musiciens, placés en tête à grand renfort de bruits variés. Je proposai même que l'idée des deux compères serve à l'entrée de la danse des clowns pour la fête...

 

MAIS, lorsque Stéphane et Sébastien se mirent à perturber la trouvaille des autres, ils virent ceux-ci délaisser ou perturber la leur. Après un moment où je laissai faire, je leur expliquai qu'il fallait ne pas déranger les autres ou même mieux, venir avec eux et suivre leur idée s'ils voulaient que les autres les suivent.

 

Il n'y avait aucune raison pour que le groupe les suive s'ils perturbaient celui-ci. Pris alors par le désir de se voir approuvés et reconnus, ils perdirent peu à peu leur opposition ou leur marginalité et s'intégrèrent de plus en plus fréquemment.

 

*

 

WILLIAM ET LE TAMBOURIN

donner confiance en lui à William à l'aide d'un objet qui le rende maître du groupe

 

William restait raide et quasi-inactif toute la journée, il ne tentait presque aucun geste. Toujours spectateur, en apparence indifférent à ce qui se passait autour de lui, il ne s'habillait ni ne dessinait et pourtant c'était un enfant vif en milieu connu au dire de chacun.

 

Comme, après presque deux mois il ne tentait rien en salle de jeux, je résolus de voir si un objet qui le rendrait en quelque sorte maître du groupe pourrait avoir une influence sur son comportement.

 

Le groupe avait organisé un jeu “ les coureurs ” et, après discussion il avait été décidé que tous partiraient en ligne d'un point donné sur un signal donné.

 

Je pensai à William au moment de donner le signal. Sa main tenue dans la mienne frappa le tambourin chaque fois qu'il fallait donner le départ.

 

Un jour au lieu d'aller le chercher par la main, je l'appelai de l'endroit voulu, puis lui demandai d'aller chercher le tambourin.

 

D'autres réclamèrent le privilège de donner le départ au groupe mais je le laissai à William qui le gardera pour tout le temps où il restera dans la classe et tant que durera le jeu, s'il le désire.

 

 

 

NEES DE CES MOMENTS LES REGLES "DES IDEES"

 

Toujours essayer de voir le geste fortuit qui intéressera le groupe et donnera à l'enfant une première réussite.

 

Au besoin, créer une situation de réussite.

 

Laisser à l'auteur de chaque trouvaille la place de leader quand le groupe s'y intéressera à nouveau s'il le désire.

 

Certains se mirent à réclamer le droit de montrer “ une idée ” au groupe. Certains se mirent à l'exposer de vive voix avant l'exécution. Il fallut instaurer un tour de parole ou de présentation d'idées.

 

Quand une décision commune est prise l'enfant qui n'est pas décidé à s'y conformer est prié de ne pas perturber la réalisation des autres : après quoi, ses propres désirs seront favorisés.

 

 

 

 

3 ROLE DU GROUPE ET NAISSANCE DES REGLES DE VIE

 

 

LE MILIEU SCOLAIRE GENERATEUR D'ANGOISSES

 

Dans le milieu scolaire actuel, l'espace péricorporel, le besoin de sommeil, le rythme personnel des enfants est rarement respecté.

 

Comme Valérie certains veulent lier connaissance avec les autres, s'y prennent mal, se voient repoussés et ripostent. En retour certains ne désirent pas répondre à une demande et ne savent comment se débarrasser d'un intrus autrement que par des coups.

 

D'autres sont pleins de vitalité et ne se rendent pas compte de la portée de leurs gestes, n'étant pas habitués à évoluer au milieu d'un aussi grand nombre d'enfants.

 

Le grand nombre apporte l'attente alors que le désir profond est de voir le besoin qui se fait jour immédiatement assouvi...

 

L'enfant doit aussi partager le matériel scolaire et la présence de la maîtresse.

 

De plus la venue à l'école est un événement important et nouveau pour l'enfant :

- Sa mère qui hésitait à le perdre de vue le laisse, sans regrets apparents et souhaite qu'il ne manifeste pas son désarroi à la quitter.

 

- Le local est vaste alors qu'il était habitué à un espace limité

 

- Le mobilier est sans commune mesure avec celui de chez lui.

 

- Chaque salle est réservée à une activité précise : l'une destinée aux jeux, l'autre au repos.

 

- Il rencontre de nouveaux adultes différents quelquefois de ses parents par leurs vêtements, leur langage, leur comportement.

 

- Il y a beaucoup d'autres enfants, ce qui amène une stupeur chez le petit nouveau mais ce qui rend les réactions de l'école différentes de celles qu'il connaît.

 

- Il y a des objets à partager avec d'autres.

 

- L'horaire est strict

 

- Les interdits ne sont plus les mêmes'il peut jouer à l'eau, tripoter la terre, se traîner...

 

-Il doit comprendre et réussir à se faire comprendre.

 

Il va donc falloir qu'il réagisse et rapidement à cette intrusion dans un monde nouveau.

 

Si ce monde est assez proche de celui qu'il connaît, il sera rapidement à l'aise, mais, s'il est absolument différent (et c'est ce qui arrive pour les enfants des milieux dits frustres) l'enfant angoissé réagira brutalement. Plus le décalage sera grand et plus il nous faudra faire face à l'agressivité et à l'inhibition...

 

*

 

LA PREMIERE DANSE...

et son évolution

 

En salle de jeux, j'ai remarqué que souvent les créations des enfants inhibés ont lieu au cours d'un moment de flottement du grand groupe : après une réalisation au moment d'une mise en place du matériel ou lorsque les autres sont très occupés et ne prêtent plus attention à ceux qui ne se sont pas joints à eux.

 

J'ai donc pensé qu'il serait bon d'institutionnaliser des moments de flottement où tout est permis sauf faire mal au voisin ou lui faire peur s'il n'en a pas envie.

 

Par prudence, c'est un disque qui a servi de support au départ. Il m'a suffi de laisser faire de plus en plus et de le passer chaque fois qu'ils le réclamaient. (Je constate qu'ils le réclament tous les jours ainsi qu'un certain nombre de jeux où se décharge leur agressivité).

 

Le titre du disque “ Cavalier rouge ” : une musique style cow-boy, air vif et assez entraînant avec quelques cris au départ, mais il est arrivé qu'on n'entende même plus la musique. Les agressifs ont rapidement mené la danse.

 

Là-dessus, ils crient, certains même poussent des hurlements ou font mine de tirer au pistolet, galopent, tombent morts, certains tirent ou sont tirés par un pied ou par un bras, courent, glissent ou tombent en contrôlant leur chute, se roulent à terre en gigotant et en criant. Certains font semblant de se battre, d'autres d'ailleurs dansent réellement. La salle est insonorisée heureusement ! et le jeu s'interrompt si un seul en fait la demande. Se boucher les oreilles suffit.

 

Les déplacements des plus timides consistent souvent à parcourir aller et retour la salle dans le sens de la longueur, mais en avant puis de revenir s'asseoir et de recommencer à volonté.

 

L'an dernier, une petite qui savait à peine marcher (à la rentrée un mois avant) n'hésitait pas à se jeter dans la mêlée car elle savait que sa maladresse serait respectée. Chacun, en effet doit contrôler sa trajectoire et faire attention de ne pas bousculer le voisin ou de le pousser à la renverse ou de le mordre réellement, car alors, il sera exclu du jeu par mes soins.

 

J'ai remarqué d'ailleurs que les jours de grande tension, il suffisait que je ne quitte pas cette petite des yeux pour qu'elle réussisse à passer au travers des plus grandes bousculades. Je suis d'ailleurs des yeux les initiatives des débutants et ils me jettent un regard en partant.

 

Alors qu'il existe des moments d'expression plus calmes, c'est souvent là que les inhibés commencent à participer, tout d'abord dans leur coin, puis ils partent à la conquête de la salle.

 

Cette année de danse “ à tout faire ” elle est passée à danse “ des cow-boys qui galopent ”, puis aux “ cow-boys par deux ” qui se tiennent par la main, tournent et changent de sens. Pour permettre ces différentes expressions, il arrive, quand l'unanimité n'est pas faite que la salle soit partagée en deux zones, l'une réservée aux cavaliers seuls, l'autre aux cow-boys par deux.

 

*

 

LE JEU DES CLOWNS POUSSANT ET POUSSES...

apprendre à "faire semblant"

 

Deux ou trois enfants jouaient aux clowns dans un groupe. S'approchant trop des spectateurs, ils se virent repoussés sans méchanceté et un jeu qui consistait à faire semblant de pousser et faire semblant de tomber à la renverse les pieds en l'air s'instaura.

 

Deux pousseurs faisaient correctement leur travail, un clown s'approcha d'un troisième et se vit repoussé réellement avec force sur la cage aux tourterelles. Il tomba, le derrière dans les plantes vertes et se tourna vers moi, à mi-chemin entre le rire et les larmes.

 

J'ai donc fait remarquer à Noël qu'il aurait pu faire très mal et qu'il devait prévenir s'il ne voulait pas jouer.

 

Le groupe soufflait, les clowns poussant et poussés ont montré leur trouvaille au groupe. Martine, qui a du mal à se déplacer et qui n'a aucune parade lorsqu'elle est bousculée est venue se faire pousser et, touchée du bout des doigts par Laurent qui quêtait mon approbation du regard a reculé difficilement de deux pas en riant.

 

J'ai bien remarqué l'ajustement de la pression à la maîtrise et à la force du partenaire ; certains enfants étant franchement repoussés, d'autres à peine touchés.

 

J'ai demandé à Noël s'il voulait faire “ le pousseur ” devant tous. Un peu prié, il a accepté et a joué son rôle correctement jusqu'au moment où son regard m'a fait comprendre qu'il ne voulait plus le faire. Je lui ai dit alors qu'il pouvait se lever, ou dire “ non ”, ou tourner le dos et nous avons cherché toutes les manières de montrer qu'on ne voulait plus jouer. Noël était tout content d'avoir participé positivement et il est parti se remettre dans son coin avec le sourire.

 

Faire comprendre qu'on veut, ou qu'on ne veut pas, c'est un gros problème. Ne pas supporter sans réagir les tentatives de brimades et ne pas brimer à son tour, se faire accepter dans un groupe, c'est bien difficile !

 

*

 

JEU DES BÊTES... DES BETES MECHANTES

QUI APPRIRENT A FAIRE SEMBLANT

 

Un jour ils voulurent jouer aux bêtes...

 

Le jeu des bêtes est vite devenu le jeu des bêtes méchantes. Lui aussi m'a obligée à faire respecter le code “ faire semblant ” et réciproquement “ prévenir d'une manière ou d'une autre, si on quitte le jeu ou si on refuse d'y participer ” car les bêtes étaient méchantes pour de vrai, ce qui n'est pas du jeu !

 

Maintenant, les bêtes montrent les griffes, font semblant de mordre, grimacent, gesticulent, poussent des hurlements ou de petits cris. Quelque- fois, c'est un concert supportable de cris divers, quelquefois, le son monte dans l'aigu et en force jusqu'à devenir insupportable. J'ai interrompu plusieurs fois ce jeu en voyant certains se boucher les oreilles ou présenter des signes de panique, mais il m'est arrivé de laisser quelquefois aller ces cris jusqu'au bout et alors quel calme ensuite, quel silence par contraste. Le son est coupé tout à coup comme si le groupe avait été jusqu'aux limites de lui-même.

 

Il serait intéressant de voir, au cas où d'autres tenteraient l'expérience, si ce phénomène est toujours respecté ; mais il me semble important dans ce cas de ne jamais tolérer aucun coup réel, ni la volonté délibérée de faire peur à l'autre.

 

Il est conseillé à celui qui passe à l'acte d'aller s'asseoir un moment pour se calmer et nous en profitons pour discuter à deux ou trois du geste qui vient de se produire.

 

Les nouveaux venus ont en général très peur lorsqu'une bête méchante s'approche d'eux et j'en vois qui cherchent mon secours ou lèvent la main pour riposter.

 

Je fais alors remarquer à la bête qu'elle n'a pas le droit de faire peur pour de vrai.

 

Petit à petit, les comportements s'ajustent, certains jouent à la limite de la peur. Les bêtes prennent des postures d'intimidation, les agressés ripostent pour rire ou font comprendre qu'ils quittent ou refusent le jeu.

 

Nous avons encore eu quatre ou cinq jeux où les enfants se libèrent de leur tension : les avions, les autos, les camions, les motos, les pompiers, l'ambulance, les coureurs... où l'on s'exprime par la voix et la course d'une manière plus ou moins supportable à l'oreille, (ces jeux sont de moins en moins fréquents à mesure que l'année scolaire s'écoule). Un autre consiste à tourner à 2, 3 ou 4, en tenant un cerceau de plastic, l'un d'entre eux le lâche ou se laisse tomber et les autres doivent réussir à contrôler le mouvement du reste du groupe. Deux garçons autrefois agressifs en sont à l'origine.

 

 

 

 

NEES DE CES MOMENTS LES REGLES DU "FAIRE-SEMBLANT"

 

JAMAIS je ne participe à un jeu où peut se libérer l'agressivité ni ne le propose.

 

L'initiative vient toujours d'un ou plusieurs enfants et de l'adhésion en force du groupe à cette idée. Ces jeux sont COURTS (1’5 à 2’) séparés si besoin est, par des périodes de retour à une position de départ. Je rappelle les règles du jeu : “ Ne faire mal, ni peur pour de vrai. S’arrêter si un seul membre du groupe en émet le désir ou semble mal à l'aise ”.

 

*

 

JEUX A MESURER SA FORCE

Certains ne savent comment participer aux jeux dans la cour

 

Je pense à Frédéric, un petit garçon très bien planté et très sage qu'une toute petite fille à la main leste prenait facilement pour cible, et qui avait tendance à avoir la larme à l'œil. J'ai fait remarquer à la petite fille que si elle prenait un jour une bonne gifle, elle ne l'aurait pas volée ; et un jour, la gifle a été donnée avec mon absolution. Fort de cela, chaque fois qu'il la voyait Frédéric la repoussait sans douceur à titre préventif. Je lui ai donc fait comprendre qu'elle ne lui faisait plus rien et qu'il pouvait la laisser, mais Frédéric a continué à tarabuster les petites filles. S'il voulait “ jouer à la bagarre ”, il valait mieux qu'il s'adresse à quelqu'un d'aussi fort que lui. S'il se mettait maintenant à faire peur ou mal aux petits, j'allais être obligée de les défendre.

 

J'ai donc proposé à Loïc, un bagarreur, de jouer avec Frédéric. Le marché conclu, Frédéric s'est mis à pleurer aux premiers jeux de mains pourtant peu violents de Loïc, puis lui a retourné une gifle magistrale.

 

Loïc s'est alors tourné vers moi, sans riposter pourtant, ce qui m'a étonnée car il rendait à ses égaux les coups du tac au tac ; j'ai fait comprendre à Frédéric que Loïc faisait attention de ne pas lui faire mal, qu'ils jouaient seulement à voir leur force ; lui, ne devait pas frapper s'il voulait être son copain.

 

Frédéric a dû comprendre car après quelques petites larmes il est rentré dans le groupe des garçons et y a vécu à l'aise ; sans tomber dans la brutalité, tout en s'en donnant à cœur joie...

 

*

 

LA MAIN DE CATHY

Un autre aspect du "faire semblant"

 

Cathy n'avait pas de main droite. Juste un moignon et quelques embryons de doigts de la taille d'une groseille. Elle devait porter une prothèse mais ses parents me dirent quand nous envisageâmes ensemble la manière de l'accueillir au mieux, vers quatre ans, qu'elle la laissait un peu partout.

 

La maman pensait qu'il valait mieux qu'elle la porte à l'école, car il lui arrivait déjà de réagir à la curiosité d'autrui et je promis de veiller à faire tampon au besoin entre elle et les autres.

 

Cathy porta très régulièrement sa prothèse. Il m'arrivait de l'ôter pour la nettoyer. Elle la retirait quelquefois elle-même et petit à petit, chacun se mit à admettre la main de Cathy. Je donnais des explications discrètement au besoin : “ La main de Cathy n'avait pas fini de grandir dans le ventre de sa maman ; c'était un peu comme Martine qui avait du mal à se retrouver seule ou même un peu comme moi qui vomissais quelquefois au lieu de trouver que ça sentait bon quand quelqu'un mettait trop de “ patchouli - un petit quelque chose qui n'était pas comme tout le monde : c'est tout ”.

 

Christelle fut l'une des premières à comprendre qu'il fallait donner la main à Cathy d'une manière spéciale en lui tenant fermement le poignet.

 

Plusieurs fois, la prothèse, au cours des rondes avait atterri dans ma poche. Je pensais que chacun en avait maintenant connaissance, quand, un jour, au moment de l'habillage Cathy et Nathalie eurent envie d'aller au W.C. ensemble. Nathalie voulut lui prendre la main droite et partir en courant pour aller plus vite.

 

Quel cri ! La prothèse arrachée tomba sur le sol. Nathalie affolée se mit à tourner sur elle-même. Je la recueillis dans mes bras. “ Maîtresse, maîtresse j'ai arraché sa main ! ”.

 

J'essayai de la calmer en la berçant, lui passai de l'eau fraîche sur le visage, lui dit que ce n'était pas vrai, que ce n'était qu'un gant, lui demandai si elle voulait voir ce gant de plastique. “ Non, il y avait du sang ! ”. Je savais Nathalie émotive, mais là, je fus désolée ! Je me demande encore si elle n'avait pas effectivement vu ou si elle n'avait pas voulu voir. C'est vrai, qu'elle faisait toujours en sorte d'être dans le droit chemin, attentive à s'observer et à se conduire parfaitement. Je crois que sa conduite lui demandait des efforts trop grands pour son âge, on sentait derrière une grande angoisse.

 

La moindre remarque et c'était l'affolement, les larmes qui perlaient... Si sage et si fragile... déjà.

 

Bon, je ne lui montrerais rien, mais il fallait qu'elle ne puisse faire autrement que voir.

 

La prothèse fut lavée moins discrètement, elle resta là où elle était. Cathy ne dit rien, ce jour-là mais elle devint agressive, impérieuse et sans indulgence.

 

J'entamai avec elle, pour compenser un peu, la confection d'un maximum d'objets : modelages, écharpe, dessous de plat, baril décoré d'alu. Nous cherchâmes ensemble une technique pour qu'elle réussisse à découper seule. Il suffisait de laisser dépasser le découpage au bord de la table en le maintenant à l'aide du moignon et de le faire tourner pour présenter à l'extérieur la partie à découper que l'on attaquait de la main gauche.

 

Nathalie eut droit à un soutien identique. Leurs idées de danse furent reprises en priorité quand les désirs du groupe n'étaient pas impératifs. Elles firent partie du groupe qui alla danser avec les grands...

 

Mais la pauvre prothèse en voyait de drôles ! Mangée, il lui manqua plusieurs doigts, elle fut tachée d'encre, gribouillée et prit un aspect granuleux.

 

Un jour même, Cathy tenta de sectionner à l'aide des ciseaux de découpage les embryons de doigt qui tenaient au moignon. J'accentuai franchement l'aide. Elle passa bien plus souvent qu'à son tour à la dînette et fut souvent servie la première.

 

Il fallait remplacer “ la vieille main ”. C'était un voyage à Paris en perspective et des examens. Les spécialistes s'étonnèrent du peu de retentissement que son “ infirmité ” avait l'air d'avoir sur elle.

 

Cet avis me permit d'affronter les événements qui suivirent. Cathy avait organisé une danse et nous l'expliqua le 16 février :

“ Les filles font la ronde et tournent

-les garçons s'arrêtent

-les garçons passent en dessous

-les garçons font la ronde et tournent

-les filles dansent dedans

-les garçons s'arrêtent,

-les filles passent en dessous,

-on claque des pieds et on chante ”.

 

Nous suivions souvent ses indications, mais elle se mit à vouloir l'imposer à chaque séance et comme je demandais que soit appliquée la décision commune, elle se mit à refuser de participer à un quelconque travail organisé de manière à m'ennuyer.

 

Elle refusa de s'habiller avant le départ : “ Tant pis, nous le ferons sans toi ! ”. Cette remarque la fit rentrer dans le rang. Enfin, elle appela “ grosse patate ” une camarade qui avait des problèmes de corpulence et se fit alors vertement rappeler à l'ordre.

 

Nous venions de jouer aux bêtes méchantes et chacun regagnait une place pour souffler. Cathy s'écria d'une voix aiguë. “ Je vais vous manger, tous ! ”

 

Après tout, elle avait l'air d'y tenir ; sa danse risquait d'être encore rejetée. On pouvait lui donner ce moyen de s'extérioriser.

 

Plantée devant le premier du groupe, elle éleva son moignon et les doigts en griffe de la main gauche au niveau des yeux de l'enfant, à quelques centimètres du visage.

 

Un événement oublié me revint en mémoire. Il griffait, celui qui mutilait les fleurs, de cette manière-là, les paupières et le visage des autres...

J'eus envie d'interrompre le jeu, mais Cathy était lancée, il fallait faire confiance “ au faire semblant ”.

 

-“ Attention, Cathy, tu fais semblant ! ”. Elle eut un geste d'agacement et concentré, puis brutale, griffa de ses deux mains l'air, tout près du visage de l'enfant. J'allai m'installer pas très loin de Nathalie. Le silence s'était fait. Cathy d'enfant en enfant suivait sa progression. Soulagée, je dis à mon voisin qu'à nous manger tous ainsi, elle aurait, c'est sûr, un gros ventre ! Elle entendit sans doute, sourit et ses derniers gestes furent vraiment “ pour rire ”.

 

Ils se mangèrent tous réciproquement en s'esclaffant, jouèrent à avoir trop mangé, puis proposèrent le jeu des clowns. Nathalie nous montra un clown mangeur de fraises qui mange tout et qui devient énorme. Elle se tailla un beau succès.

 

Cathy, redevenue souriante rentra dans le rang. La prothèse neuve, souvent délaissée, se vit oublier comme à la maison un peu partout. Si bien qu'il nous fallait tout à coup la chercher à l'heure de la sortie.

 

Un jour, je vis arriver Nathalie tout courant, qui criait en agitant la main coupable au bout de la sienne. “ Cathy, Cathy, t'as encore oublié ta main ! ”

 

C'était fini.

 

*

 

L'AJUSTEMENT DES COMPORTEMENTS

 

“ Faire semblant ” et pouvoir ainsi exprimer ce qu'ils ont au plus profond d'eux-mêmes paraît vital pour les enfants. Ils se contentent d'ailleurs du compromis que nous ne pouvons que leur offrir : une libération par petites doses qui ne nous ébranle pas trop, tous.

 

La tension est déjà si forte dans le groupe ! Il m'arrive d'interrompre ces jeux en donnant le motif réel “ Nous sommes tous trop fatigués ” et même “ Je suis trop fatiguée, je sens que je vais me fâcher ! ”. Les enfants comprennent bien d'ailleurs nos difficultés.

 

Joëlle, une petite fille très calme et un peu timide passa une demi matinée à la dînette avec Christelle à jouer la colère. Elle mordait son oreiller, le secouait entre les dents, repoussait la couverture avec les pieds en poussant de petits cris, toute rose et prise à son jeu mais maîtrisant cependant l'intensité de sa voix pour qu'elle ne dérange pas le grand groupe. J'ai observé cette maîtrise progressive de l'attitude chez Stéphane cette année également (voir “ Impossible de recourir à la maîtresse ”). Il guette le moment où il lui sera possible de venir auprès de moi. Par une sorte d'accord réciproque, il est venu s'asseoir auprès de moi à certains moments de danse.

 

Lorsqu'il arrive, je m'aperçois maintenant que souvent je lui touche l'épaule, le bras ou le genou et que le même geste se renouvelle lorsque nous nous quittons. Ces gestes sont nés, par intuition, naturellement, entre nous. Ils veulent dire quelque chose comme “ je sais que tu es là ” et “ je m'en vais mais je suis avec toi ”. Si je ne remarque pas sa présence par ces gestes, l'opposition surgit. Moyennant ces marques spéciales, il accepte de prendre part aux activités du groupe.

 

Quelquefois, il demande à danser avec moi. J'accepte, puis lui rappelle que je dois aussi aider les autres, qu'il pourra venir me faire un brin de causette ou un câlin dans la cour, à la récréation et il accepte, à présent de n'avoir de moi que ces témoignages ponctuels de sympathie qui, tout en le rassurant me laissent disponible cependant.

 

Ces deux preuves de l'ajustement possible des comportements m'ont donné de l'optimisme pour aller vers l'acceptation de ce qui surgit au détour de l'expression.

 

*

 

FRANCK OU LA PRESSION DU GROUPE

 

L'entrée de Franck à l'école n'a pas été chose facile. Il était très fort pour son âge et avait un gros chagrin qu'il exprimait à pleins poumons.

 

Sa sœur qui se trouvait en grande section offrait aussi l'image de la désolation. Elle pleurait à la moindre larme du petit frère et le suivait pas à pas.

 

Une fois les pleurs séchés cependant, Franck, tout à coup serein, s'appropriait tout ce qui lui tombait sous la main, bousculant le propriétaire du moment, passant au milieu des constructions, démolissant et déchirant par maladresse et inconscience ne pensant pas que les objets puissent être rangés ; agissant pour satisfaire immédiatement son désir sans se soucier d'autrui.

 

Il avait souvent des ennuis avec ses égaux ou avec moi-même mais on sentait qu'il ne comprenait pas le motif de leur rancune ou mes rappels à l'ordre. Il m'arrivait de lui mettre l'objet qu'il avait laissé traîner entre les mains et de le piloter jusqu'au lieu de rangement.

 

Il se trempait à l'eau ou se barbouillait à la terre et à la peinture, faute d'avoir prévu le tablier de protection et avait l'impression d'être partout rejeté.

 

Il était là depuis cinq mois et la situation ne s'améliorait guère. Le groupe n'était pas tendre envers lui et il n'était pas heureux. Je sentais particulièrement la réprobation lorsqu'on distribuait gâteaux ou bonbons.

 

Nous étions arrivés à prévoir qu'il allait en manquer et pour vérifier l'hypothèse, à trouver la méthode qui consiste à placer un gâteau devant chacun. Il ne fallait évidemment pas le manger car s'il en manquait impossible de partager ensuite. Franck le mangeait, à chaque fois et s'attirait des réflexions désagréables et même quelques petits coups donnés à la sauvette car il pleurait souvent après les distributions difficiles.

 

Un jour Catherine passa devant Franck qui tendait la main et dit “ Ah ! Non ! Tu n'en auras pas ! ”. Silence dans la classe... Hurlements de Franck qui avait compris. Catherine se tourna vers moi “ Il va encore le manger ” - hurlements répétés de Franck. Je cherchai alors une solution qui satisfasse tout le monde.

 

“ Franck en aura, mais il sera servi le dernier ”. L'intensité des pleurs diminua, mais il manquait des gâteaux. Les pleurs allaient reprendre. Vite, vite, j'expliquai que nous allions pouvoir lui en donner puisque les autres n'avaient pas mangé ce qui se trouvait sur leur table et je me hâtai de faire le partage, le servant le dernier. Il poussa un gros soupir et se mit à rire en voyant sa part lui arriver.

 

Servi plusieurs fois le dernier, il comprit et fit tellement attention au moment des partages, qu'une fois il resta devant sa part alors que tout le monde l'avait croquée, n'ayant pas compris aussitôt que lorsque chacun était servi, on pouvait passer à l'action. Cette année, il demande encore s'il peut “ le manger ”. Son estomac a permis à Franck de prendre un jour conscience de l'existence des autres.

 

Pour le reste, il jetait quelques traits de crayon ou du stylo-feutre sur un papier à la sauvette, uniquement quand je lui proposais de faire un dessin pour maman. Il avait une telle manière de regarder ailleurs en le faisant qu'on voyait tout l'intérêt qu'il y portait.

 

Nous avons cette année-là, confectionné des dessous de plat en céramique à partir des couvercles de barils métalliques que l'on emplissait d'argile. La surface arrosée était décorée aux engobes puis l'enfant y dessinait ce qu'il désirait. Au mois de juin, Franck émit le désir d'en faire un et pour la première fois, je le vis suivre avec attention le tracé de la pointe dans la terre. Le premier ayant eu un malheur, il en fit d'ailleurs un second et revint souvent à la terre. Je lui proposai d'aider certains au remplissage de leurs gabarits et il fréquenta de plus en plus l'atelier participant à l'installation et au rangement.

 

Il avait pourtant un problème majeur. Il lui fallait enfiler le tablier de protection. Placer celui-ci col en haut, à l'envers, sur le dossier d'une chaise, se mettre face au dossier et enfiler les manches bras en avant était un travail auquel il renonçait souvent. Il confondait avec le manteau qu'on enfile dos à la chaise et chaque fois qu'il changeait de vêtement il lui fallait retrouver le col et le bon sens.

 

Après un an et demi aujourd'hui, il est capable d'aider un nouvel élève à placer correctement le vêtement sur le dossier au moment de l'habillage ! La partie est gagnée de ce côté-là !

 

Cet exercice, répété au moins quatre fois par jour, fut pour beaucoup à mon avis, dans l'ouverture de l'esprit de Franck. Je m'aperçois que certains se projettent dans le temps lorsqu'ils n'enlèvent plus leur tablier après chaque activité mais pensent qu'ils doivent le garder pour la prochaine alors que les plus jeunes l'enlèvent, réfléchissent à leur activité future, puis vont le remettre quelques minutes après.

 

Tout n'était pas gagné cependant.

 

Au cours des évolutions en salle de jeux, Franck continuait à vivre dans son monde et s'il lui arrivait de danser, ce n'était ni en fonction du rythme, ni du groupe.

 

Les enfants avaient trouvé le jeu de la pluie sur une idée d'Isabelle et il fallait se sauver lorsque la pluie arrivait.

 

Franck pouvait être arrosé, jamais il ne jouait le jeu. Il restait allongé ou se roulait à terre, c'était même préoccupant pour le spectacle de fin d'année. De quoi allait-il avoir l'air au milieu d'un jeu organisé ?

 

Après discussion, nous avions prévu de confectionner des arbres, à partir de plaques de polystyrène fixées aux dossiers des grandes chaises. Le premier essai nous montra qu'il fallait craindre les chutes.

 

Je demandai donc à Franck de bien vouloir prendre soin de l'arbre en s'asseyant sur la chaise ce qui avait un  triple intérêt, le laisser présent, à la fois neutralisé et actif.

 

L'arbre de Franck suscita des questions et des commentaires de la part des grands et des petits des classes voisines. Certains voulurent même prendre la place. Franck défendit son territoire, protégea et transporta son arbre chaise aux endroits voulus. Pour lui, il obéit même à la musique car le jour de la fête il participa correctement à la danse sauf au moment ou quelqu'un voulut prendre sa place. Je crois que de son poste d'observation une fois bien installé, conscient d'être en partie le point de mire, il s'était intéressé à ce qui se passait autour de lui. Je dois dire que pour ne pas lui faire concurrence nous n'avons monté les autres arbres que quelques jours avant la fête.

 

Les progrès de Franck ont été réellement sensibles cette année à la rentrée. Il s'est mis à suivre correctement un rythme de marche bien marqué. Il réussit même à présenter sa trouvaille au groupe. Le premier bonhomme naquit vers la mi-décembre. Beaucoup découpaient des silhouettes de carton qu'ils ornaient, de boutons, de morceaux de papier peint, de galons, d'ouate, ou de papier métallisé.

 

Les yeux, la tête et deux filaments se promenèrent d'abord dans l'espace puis enfin un jour, sur un grand carton, les yeux prirent place dans la tête. Nous mîmes trois heures pour découper le bonhomme par petites doses. Une bonne grippe ayant fait le vide autour de nous me permit de me consacrer à lui à deux reprises pendant un long moment, ce qui lui valut deux réussites de taille : ce fameux bonhomme qui décora la salle de l'arbre de Noël, et un saladier réalisé dans un moule à partir de petites galettes juxtaposées.

 

Après un premier échec où il emplit complètement le moule, je lui répétai la consigne périodiquement et ce fut un succès. Il réalisa un très grand personnage en terre dans le courant de janvier.

 

Le 25 février, il me demanda s'il pouvait se servir du matériel. Il voulait savoir s'il en avait le temps. Il dessina également un coucou et réussit à m'expliquer qu'il s'agissait d'un coucou chantant qui donnait l'heure “ avec des boules au bout des chaînes ”. C'était son premier dessin figuratif différent du bonhomme.

 

Le premier modelage ayant eu un malheur à la cuisson, Franck en réalisa un second de même taille. La première semaine de mars, Franck essaya de reproduire le dessin d'un camarade (nous avons fait des fiches plastifiées qui peuvent servir de modèle si quelqu'un le désire avec les réalisations des petits et des grands).

 

Il fit d'abord un bateau puis un soleil, et continua lentement à progresser en graphisme.

 

 

*

 

LA MORT DE LA MAITRESSE...

La dure loi...

 

Sylvain était un élève docile mais qu'on sentait toujours réservé.

 

Le premier incident se produisit début octobre à cause d'une fermeture de pantalon difficile à descendre.

 

Il n'osa demander assistance ni à Simone la femme de service, ni à moi et il y eut “ un accident ”.

 

Sylvain est l'enfant d'une collègue, je crois qu'il aurait préféré s'adresser à Maman puisqu'elle était sur place mais il n'en a pas eu le temps.

 

Le 12 novembre au matin, à l'heure du rangement, il s'agissait de remettre tous les cubes dans leur coffre et je voyais Sylvain manœuvrer le couvercle à plaisir sans trop se soucier des voisins.

 

Deux rappels furent sans effet. “ Attention aux doigts, ne touche pas au couvercle avant que tout soit rangé ”.

 

Les doigts de Lucien se trouvaient là et furent cruellement pincés. "Puisque c'est ainsi, ramasse donc le reste tout seul" dis-je à Sylvain d'un ton sec, compte tenu des avertissements et je prêtai ensuite attention aux doigts de Lucien.

 

Sylvain se mit à ramasser les cubes et comme je me tournai vers lui pour voir où il en était, voyant mon regard, il se mit à crier : “ Oh, toi, je vais te tuer, là, je vais te tuer ! ”... “ Mon frère il est fort, mon papa il a un couteau ! ”. Silence alentour...

 

-“ Peut-être, mais tu n'avais pas le droit de pincer les doigts de Lucien et je t'avais prévenu, oui ? ". Pas de réponse.

-

-« Si Lucien t'avait pincé, tu n'aurais pas été content, alors tu n'as pas le droit de le pincer, toi ”... Pas de réponse...

 

Habillage. Derrière mon dos, j'entends des bruits caractéristiques et deux doigts vengeurs me désignent “ tac, tac, tac, tac ”, me voilà prise pour cible.

 

A la récréation, je retrouve la maman de Sylvain. Celui-ci tourne autour de nous et fait toujours mine de me tuer. Sa maman l'envoie jouer plus loin car ses cris sont très aigus.

 

Je lui explique l'épisode de la caisse à jouets et nous sourions des menaces de mort puis nous parlons d'autre chose, mais toujours en passant Sylvain me prend pour cible.

 

Au moment de quitter l'école le midi alors qu'il vient se faire aider à nouveau, il me dit qu'il me coupera “ la tête, les bras, les jambes, les pieds, tout... ” -“ Je me demande comment je ferai pour t'aider alors. Plus de mains pour mettre les boutons, si tu veux que je t'aide, alors, laisse-moi mes mains au moins ! ”.

 

Il y a des sourires autour de nous. Olivier, qui se fait souvent reprendre parce qu'il tire les cheveux sans motif direct en profite pour me menacer aussi et prend à son tour un pistolet.

 

L'après-midi Sylvain arrive avec un pistolet de matière plastique. Je lui propose de le ranger dans la boîte, vite, car s'il lui arrivait malheur dans la classe ou dans la cour tant pis... Après un moment et quelques tirs dans ma direction, le pistolet se retrouve sur le bureau.

 

Au cours de ses activités Sylvain, tout à coup, se met à chanter à pleine voix alors que ce n'est pas son habitude, il parle fort et agit avec décision. La fin de l'après-midi se passe sans incident.

 

A mon grand étonnement le lendemain midi, la maman de Sylvain me propose d'aller chez elle prendre une tasse de café à 5 heures car Sylvain veut absolument m'inviter chez lui... J'accepte en riant intérieurement de voir maintenant ma présence souhaitée. A 5 heures, Sylvain me montre ses trésors puis s'en va jouer avec mes filles et revient périodiquement me montrer un objet nouveau.

 

Sa maman me raconte alors qu'il est rentré la veille en disant : “ J'ai tué la maîtresse parce qu'elle m'avait donné une fessée ”. Il déclare n'avoir rien fait de mal et, comme la maman parle des doigts pincés et semble vouloir me questionner, il déclare que de toute manière je ne sais pas, que c'est lui qui sait ce qui s'est passé.

 

Là-dessus, il parle de m'inviter et insiste à plusieurs reprises. Il s'agissait d'ailleurs d'inviter “ Mme Maudrin ” pas la maîtresse. Depuis nos rapports sont bien plus confiants.

 

Il vient me tirer par la manche pour que je lui montre comment on écrit papa et maman. Je dois avouer qu'il se met à parler un peu fort et un peu à propos de tout.

 

Ce qui me fait sourire encore, c'est que comme j'élevais la voix au moment du rangement il est venu vers moi et m'a dit “ Si je t'invite hein, tu viendras ? ”.

 

Chaque fois que “ la maîtresse ” renaît à ses yeux, il se dépêche de m'inviter pour être sûr de n'être pas en cause et j'accepte aussitôt son invitation.

 

Ce qui m'a touché aussi, c'est qu'Olivier qui supprimait également la maîtresse la veille, en découpant le lendemain avec mon aide un vélo et un sac à main m'a dit "c'est pour toi" et j'ai vu des petits sourires et des yeux malins lorsque j'ai dit très sérieusement que le vélo me servirait bien pour aller faire les courses et que le sac à main serait très pratique pour ranger les crayons qui tombent toujours de mes poches.

 

Il y a quelques années, je n'aurais pas supporté qu'on me supprime ainsi. J’avais sans doute besoin de me sentir indispensable.

 

*

 

“ LA MAITRESSE EST UNE SOTTE ! ”

ou le droit pour tous à la maladresse

 

Il y a des jours où tout se renverse, se déchire, se casse ou tombe et où la tension monte jusqu'à devenir insupportable.

 

Nous étions 45 et moi, dans 37 m2. Il fallait passer certains enfants par-dessus les tables et les bancs pour atteindre certaines places quand quelques-uns avaient le malheur d'être assis et ce jour-là, bien que les petites bouteilles soient scellées avec du plâtre dans leur support, l'encre se renversa pour la seconde fois, et la remarque jaillit de mes lèvres. “ Ce que tu peux être sot, toi, aujourd'hui ! ”.

 

Toute la vie s'arrêta pour la seconde fois, plusieurs se déplacèrent et l'on put nettoyer. Quelques instants plus tard, ma jupe un peu ample balaya une table et l'eau qui servait à rincer les pinceaux fut renversée. La réplique jaillit de la bouche de l'accusé de l'instant d'avant “ la maîtresse est une sotte ! ”

 

Silence -“ C'est vrai, je nettoie ” et je pris l'éponge.

 

Après un moment, une petite voix féminine s'éleva “ On ne dit pas que la maîtresse est sotte, on dit, elle est coquine ! ”.

 

La coquine diplomate me fit sourire et il n'y eut plus de sots parmi nous, mais à la rigueur des coquins et des coquines !

 

*

 

L'EXISTENCE D'UNE LOI DANS LE GROUPE...

 

Marianna un matin, juste au moment du rangement du matériel, se mit à faire “ la bête qui mord ”, alors que le groupe se préparait à quitter la salle de jeux.

 

Voyant qu'elle cherchait à m'atteindre, je m'étais d'abord reculée à l'autre bout de la pièce où certains peinaient à ranger les bancs ; mais, comme j'avais l'impression que cela ne faisait qu'augmenter sa tension, je pris le parti de ne plus bouger. Elle paraissait prête à perdre le contrôle d'elle-même. Elle en mordait presque mes chaussures qui se tachaient de salive.

 

A la suite d'une bonne inspiration pour me décontracter, je me suis penchée sur elle pour lui rappeler la loi du “ faire semblant ” en évitant tout geste.

 

JE VOULAIS LUI MONTRER QU'IL N'Y AVAIT EN MOI AUCUNE HOSTILITE PERSONNELLE. QUE MON EXISTENCE AVAIT POUR BUT DE RAPPELER AU GROUPE UNE LOI LA MEME POUR TOUS, QUI LUI PERMETTE D'EXISTER.

 

Sa tension a diminué progressivement, elle a ri, s'est relevée et nous avons rejoint le groupe. Une scène semblable ne s'est jamais reproduite.

 

Je me suis donc mise à chercher les lois qui existaient dans le groupe pour voir ce qu'il en était et pouvoir les rappeler au besoin en cas de conflit puisque cela paraissait une solution satisfaisante...

 

*

 

LOIS DE LA CLASSE SIGNALEES PAR LES ENFANTS

samedi 2 mars 1974

 

 

Pas le droit d'écrire sur le tableau avec             un crayon

un feutre

une craie grasse ;

pas le droit d'effacer la date ni de la gribouiller ;

 

si on fait une bêtise on la répare :

quand on renverse de l'eau, on l'essuie ;

quand on fait une tache sur les tables ou sur les chaises, on l'enlève avec un coton et de l'alcool ;

quand on met des papiers par terre, on les ramasse ;

 

pas le droit de se couper la parole ;

 

quand on a envie de faire pipi, on le dit à la maîtresse et on y va ;

 

quand on a les mains sales, on le dit à la maîtresse et on va les laver, on demande à quelqu'un d'ouvrir la porte pour pas la salir ;

 

quand on a cassé son crayon, on va le tailler ;

 

quand on a fini son travail, on range l'atelier, on nettoie avec Madame Backeland ;

 

il faut apporter à manger aux cochons d'Inde ;

il faut nettoyer les oiseaux et les poissons ;

 

pas le droit de dessiner sur le travail des autres sans leur demander ;

 

quand on ne revient plus à l'école, on monte les chaises sur les tables ;

 

pas le droit de faire des croche-pieds ni de faire mal aux autres enfants ;

 

pas le droit de jeter des papiers de bonbons dans la cour : on les met dans la corbeille ;

 

pas le droit de jeter du sable : ça fait mal et on peut tomber quand on court et qu'il y a du sable par terre.

 

IMPRIMERIE :

 

On met une blouse, on se fait boutonner par les autres,

on se boutonne la blouse derrière ;

il faut avoir les mains propres : on ne touche pas à l'encre ni au chiffons ;

si on touche aux feuilles il ne faut pas mettre trop d'encre mais il en faut sur toutes les lettres ;

quand il y a trop d'encre à côté des lettres, on l'essuie avec un chiffon ;

quand on a fini, on nettoie avec le pinceau : il ne doit plus y avoir d'encre : les lettres brillent ;

 

il faut ranger les lettres dans leurs casiers ;

il ne faut pas mélanger les lettres ni les mettre debout ;

 

on ne joue pas avec les lettres ;

 

le chiffon à imprimerie ne sert qu'à l'imprimerie.

 

ENCRES :

 

On met une toile cirée sur la table ;

on met une blouse ;

on ne mélange pas les pinceaux :           bleus (encres de couleurs)

noirs (encre de chine)

blancs (encre blanche).

 

DECOUPAGE :

 

On ne met pas les ciseaux à la bouche ;

on ne coupe pas de papier avec les ciseaux à tissus ;

on ne se coupe pas les cheveux ;

on tient toujours les ciseaux la pointe en bas.

PEINTURE :

 

Il faut mettre un pinceau par couleur, on ne mélange pas la couleur dans le pot

au chevalet on prend les brosses

on ne rajoute pas d'eau sans demander

quand le dessin est sec on l'enlève du chevalet, on marque le nom et la date.

 

MAGNETOPHONE :

 

On fait silence, on ne fait pas de bruit avec sa chaise ni avec les pieds

on demande la parole.

 

AUDITION DE DISQUES :

 

On ne fait pas de bruit ; on fait silence.

 

FEUTRES :

 

Il ne faut pas les mélanger ;

il faut les reboucher ;

il ne faut pas les faire tomber, ça les abîme ;

on a le droit de dessiner ce qu'on veut.

 

*

 

CORINNE VERS L'AUTONOMIE

 

La première enfance de Corinne avait été difficile et son langage s'en ressentait. Il était quasi-incompréhensible en début d'année, mais ce n'était pas le plus inquiétant pas plus que la curiosité maladroite qui lui faisait tremper les doigts dans la peinture et les essuyer un peu partout même sur le manteau du voisin. Pour essayer de définir l'état de Corinne je ne vois qu'un image “ perdue dans le cosmos ” : petite capsule dérivant sans cycle et sans repère, conductrice affolée du véhicule de son corps dont elle n'était pas capable d'infléchir le trajet.

 

Il lui fallait d'abord savoir que faire. Elle rencontrait les objets au hasard de son passage puis les quittait. Rien ne parvenait à lui servir de repère. Ni les formes découpées pour le rangement des ciseaux, ni la porte à côté de laquelle se trouve la poubelle ni l'évier et son robinet qui sont pourtant caractéristiques ne pouvaient l'accrocher.

 

Elle me laissait perplexe quand un jour, elle apporta des gâteaux et fut chargée de leur distribution.

 

Ce ne fut pas une mince affaire. Elle allait de l'un à l'autre au hasard, oubliant le voisin qui se mettait à réclamer ; servant celui qui criait le plus fort, sollicitée, tiraillée, encore plus ahurie qu'à l'ordinaire, mais finalement heureuse de tout ce remue-ménage.

 

A la prochaine offrande, elle fila tout à coup chercher le plateau orange décoré de cerises qui sert aux distributions comme pour bien nous montrer qu'il ne fallait pas l'oublier ce jour-là. Le donateur se chargea de la distribution mais Corinne fut félicitée pour sa coopération et souvent après chargée de récupérer le plateau ; surtout d'ailleurs les jours où il n'était pas rangé à l'endroit voulu.

 

Il me fallut élever la voix et expliquer aux autres qu'il ne fallait jamais aller le chercher à sa place, qu'elle devait le trouver rien qu'avec ce qu'on lui disait. C'était la manière de l'aider à grandir, la laisser réfléchir et chercher en écoutant celui qui parlait.

 

Ce ne fut pas chose facile, mais petit à petit en portant le plateau, puis la poubelle pour les papiers d'emballage elle repéra des endroits comme sur la table, à côté de la porte, sous l'évier, sous le bureau, au fond de la classe, derrière le meuble de la dînette...

 

L'autre jour, comme je cherchais ma paire de grands ciseaux elle me montra le meuble de la dînette et me dit “ là-haut ”. C'était vrai.

 

Corinne par exemple eut bien de la peine à effectuer la succession logique des gestes qui permettent de confectionner un collier : aller chercher le seau à perles dans son casier puis le lacet de la couleur ou de la longueur que l'on désire et qui porte un anneau brisé à une extrémité ; ce qui permet de l'accrocher aux pitons d'un présentoir, si l'on a pris la précaution de placer une épingle à linge à l'autre extrémité, ou de le fermer, pour le porter, en passant le lacet dans l'anneau.

 

Souvent les perles roulèrent à terre faute d'épingle, puis, elle vint me demander de placer celle-ci en tendant les deux objets, ce qui nous permit de faire des comparaisons de couleur, de longueur, de forme avec ceux des voisins, qu'elle écoutait même si visiblement elle ne saisissait pas tout au départ.

 

Fin juin elle m'apporta un collier de longues perles toutes rouges, sans pouvoir cependant expliquer ce qu'elle avait fait.

 

Bien des gestes lui posèrent des problèmes, comme prendre le papier voulu pour la peinture à l'endroit voulu, aller chercher et reporter le tablier de protection au porte-manteau, prendre une épingle à linge.

 

Corinne est maintenant capable de tordre l'éponge et de la rincer dans le seau sans se mouiller trop, mais, je me souviens du temps où elle plongeait les bras jusqu'au fond, quelle que soit la longueur des manches. Elle sait nettoyer la table à terre, aller chercher et se servir du balai et de la pelle, emplir “ bien pleins ” un ou plusieurs flacons pour arroser les plantes vertes, verser au besoin “ juste une petite goutte d'eau ” au fond d'un pot pour humecter la terre, choisir un gâteau pour chacun à la dînette à 4 et les distribuer, mettre le couvert et préparer une tasse de chocolat en suivant uniquement des indications orales, ramasser les objets de la “ vraie dînette ” après usage dans une cuvette et la porter sur l'évier presque sans que j'aie à lui indiquer la suite des gestes, ne pas utiliser pour manger la “ dînette à faire semblant ”, aller chercher une feuille perforée spéciale pour les classeurs ou prendre un papier à emporter si l'on veut faire un dessin “ pour les mamans ”.

 

En général si les actions sont souvent maladroites, leur déroulement dans l'espace et dans le temps paraît compris.

 

En juin s'il lui était difficile de réussir un découpage-collage qui se tienne faute de savoir encore placer ses doigts dans les ciseaux, elle entreprenait cependant des collages de papiers superposés tenant plus du déchiquetage- découpage en utilisant des quantités énormes de colle mais le principe était compris. Une fois par semaine environ nous nous isolions avec un catalogue et cherchions quelque chose à découper, personnage, jouet, objet et je m'arrangeais pour qu'il reste entier à la fin du travail de manière à élargir son horizon et lui donner petit à petit l'idée qu'une forme peut être respectée.

 

Corinne en est encore au stade du gribouillis sans explications a posteriori et bien qu'elle ait fait beaucoup de progrès il lui est toujours aussi difficile d'utiliser son casier personnel où l'on range les objets à emporter. Il est pourtant facilement repérable, tapissé de rouge, faisant partie d'un lot de 4 seulement et placé juste sous la réserve de catalogues. Il n'y a rien à faire, les réalisations sont toujours semées au hasard, que se soient les papiers perforés destinés aux classeurs qui devraient être une fois terminés des deux côtés déposés pour le rangement dans un casier spécial en haut juste à côté de l'armoire, ou les autres.

 

L'année prochaine, si elle reste dans ma classe, nous allons pouvoir travailler vraiment au niveau du langage puisque Corinne peut maintenant entamer toute une série d'actions et qu'elle comprend ce qu'on lui dit même si elle n'est pas capable de l'énoncer encore clairement.

 

Déjà les rôles ont changé. Lorsqu'elle m'apporte quelque chose je lui demande ce qu'il faut en faire. Nous avons d'ailleurs fini l'année comme nous l'avions commencée, par une histoire de gâteaux.

 

Quelque jours avant les grandes vacances. Corinne nous en apporta deux paquets dans un sac pour son anniversaire. Sans ouvrir, je posai la question : “ Qu'est-ce que c'est ? ”

Corinne : “ gâteaux ”

-“ Pour quoi faire ? ”

Corinne: “ gâteaux ”

-“ Qu'est-ce qu'il faut faire avec ces gâteaux-là ? ”.

Corinne : “ gâteaux ”.

-“Il faut les donner à la tortue peut-être ? ”.

Sourire de Corinne : “ gâteaux ”.

-“Les donner peut-être au cochon d'Inde ? ”

-“ gâteaux ” et sourire...

-“ Peut-être est-ce qu'il faut les mettre dans la poubelle ” dis-je en riant.

Corinne alors se mit à rire et quelqu'un donna la réponse “ Pour manger, pour nous ”.

-“ C'est vrai, Corinne pour quoi faire ? ” Chœur du groupe “ Pour manger ”.

-“ C'est vrai, Corinne, pour quoi faire ? ” Et enfin la réponse “ Pour manger ”. Puis comme nous passions aux lavabos “ Maman l'a donné les gâteaux ”.

C'était l'une des plus longues phrases que j'ai entendue de sa bouche. La distribution a été vite et bien faite. A son air concentré on voyait qu'elle contrôlait ce qui se passait tout en allant de proche en proche servir chacun.

 

Quelle différence avec le début de l'année mais qui, à part moi peut se rendre compte des progrès, de la patience déployée à attendre qu'une idée, ait fait son chemin et soit vérifiée par une réalisation, du nombre d'indications verbales répétées, des maladresses supportées et réparées ? Corinne à présent au lieu d'être ballotée par les événements entreprend de plus en plus d'actions réussies pour son plaisir. Elle cherche à réaliser ses désirs.

 

Qu'aurait dit un spectateur de sa première performance ? Temps perdu peut-être, trop de bruit, trop peu d'intervention de ma part...

 

C'est vrai qu'en début d'année, souvent, les maladresses au cours des travaux et des rangements, l'agressivité qu'on laisse s'exprimer dans des limites bien précises d'ailleurs, le manque de prise de conscience du déroulement des activités, chez certains ou l'expression d'une tension intérieure peuvent donner au “ spectateur ” une impression de “ désordre ” qui ne se produirait peut-être pas avec “ une pédagogie assise ” où “ la maîtresse ” dirige “ l'enfant-objet ” avec “ un ton suffisant de commandement ”.

 

Des moments comme la distribution de Corinne m'ont appris que le plus important n'est pas toujours le mieux orchestré, celui où notre numéro de pédagogue est au point.

 

*

 

DEVENIR "GRAND" EST QUELQUEFOIS INSUPPORTABLE

ou notre numéro de pédagogue n'est jamais au point !

 

Le contrat était rempli. Ils se débrouillaient tous à peu près. J'étais, sur ce point satisfaite. Ce jour-là, Stéphane s'adressa à moi pour que je l'habille. Gentiment, je lui demandai de placer son manteau sur le dossier de la chaise. Il alla s'adresser à la femme de service qui donna une réponse voisine de la mienne.

 

Stéphane, alors, se mit à trépigner et pousser des cris. Des larmes jaillirent, des injures. Ces manifestations n'étaient pas du tout dans ses habitudes. Il était toujours doux, réservé, un peu étranger à ce qui se passait. Jamais il ne revendiquait la possession momentanée d'un objet, jamais il ne réclamait son tour à la dînette. Il essayait de se plier avec bonne volonté aux contraintes de la vie en groupe.

 

Il attendait sagement que je vienne l'aider et parfois mon aide se faisait attendre. Souvent, il restait à observer des bestioles, des fleurs, l'envol des feuilles, les graines du tilleul. Il en parlait quand il le pouvait et s'il fabulait un peu, les choses restaient toujours dans le domaine du possible. Pauvre Stéphane ! Il se blottit contre moi, ce jour-là, et je me dis que je devais être passée souvent à côté d'un bien gros chagrin. Par la suite, ceux qui peinaient à l'habillage posèrent leur manteau sur mes genoux et restèrent à côté de moi.

 

Des réticences signalaient un gros rhume, une maladie sous-jacente, une grosse fatigue, un peine trop lourde à porter, une sieste utile à nouveau momentanément, une tension et un bruit dans la journée trop éprouvants. J'observai Stéphane. Même en allant faire la sieste, les jours de pluie, de tension ou de bruit, il se réfugia à partir de 16 h dans le sommeil. Son visage montrait qu'il souffrait lorsque j'élevais la voix.

 

Je lui fis remarquer souvent, que mes reproches ne s'adressaient pas à lui. Je lui dis de me tirer par le tablier si je l'oubliais, bien qu'il soit grand ou de me le dire. Je n'avais pas de tête à oublier, comme ça, il devait m'aider ! Il avait des idées originales qui ne demandaient quelquefois que peu d'aide spéciale, encore fallait-il prendre le temps de le faire.

 

Il me rappela à l'ordre gentiment et réussit peu à peu à mener une vie qui lui convienne discrète et un peu marginale cependant.

 

*

 

4. STRUCTURATION DE LA CLASSE

 

 

CHRYSTELE ET SON SALADIER...

le piège de l'organisation

 

Chaque mois environ, nous confectionnons tous ensemble quatre gâteaux à la fois. D'abord, quelqu'un apporte un fruit ou un oeuf et à partir de cet apport la production s'organise.

 

“ Faire des gâteaux ” nous permet d'aborder bien des choses :

-goûter le sucre, le sel, la farine en n'en prenant qu'une pincée au lieu de s'en fourrer une poignée dans la bouche ;

-reconnaître au son ce que peut contenir une boîte. C'est Agnès qui nous l'a appris ; voir ce qui manque, ce qui reste, dessiner ce qu'on a apporté, sans compter toutes les actions entrant dans la confection...

 

Tout cela est enrichissant, c'est sûr, et voilà des années que nous faisions des gâteaux, quand, cette année, j'ai eu à faire face à un problème, qui ne s'était pas présenté les années précédentes à cause d'une trop parfaite organisation.

 

Ce matin-là, nous n'étions que 25, les ingrédients étaient là, au complet. La confection avait été prévue dans mon esprit pour le lendemain, mais tout avait été là si vite et le désir était tel que nous avons décidé de nous y mettre...

 

Seulement, je n'avais pas placé sur chaque table collective, le saladier, la cuillère en bois, le ramequin, l'assiette et le moule qui nous servent à confectionner nos œuvres.

 

Ils se sont donc levés comme un seul homme pour aller les chercher et tous ont essayé de s'approprier un instrument de travail.

 

Un groupe possédait 3 assiettes et deux cuillères, deux moules et un ramequin mais pas de saladier. Le groupe le plus éloigné de la source n'avait presque rien !

 

Tous s'étaient rassis après cette bousculade, prêts à passer à la confection. Certains se plaignaient de ne rien avoir pour mettre la farine et réclamaient un saladier ou une cuillère, mais les autres serraient leur matériel sur leur cœur et refusaient de le rendre à la collectivité.

 

Chrystèle dont c'était pourtant la deuxième année dans la classe, serrait son saladier et refusait de le livrer à la table voisine, ne comprenant pas que pour un plaisir immédiat mais bien mince, en refusant de mettre dans la communauté ce qu'elle avait, elle se privait d'un plaisir futur dix fois supérieur.

 

Voilà dix gâteaux qu'elle avait confectionnés dans ma classe. Elle avait parfaitement compris quand quelque chose manquait, qu'il en restait, qu'il fallait ajouter, battre, verser. Elle savait casser les œufs, mesurer plusieurs cuillerées de farine et tout cet apprentissage ne servait à rien, dans une situation où la répartition des matériaux n'avait pas été effectuée préalablement par un pouvoir supérieur.

 

Il lui était impossible de faire autre chose que satisfaire un plaisir immédiat et l'organisation des années passées ne lui permettait pas de prendre conscience qu'il est quelquefois préférable de se priver d'un petit plaisir en vue d'un plaisir plus grand.

 

Je la voyais dans la cour refusant de jeter le ballon au voisin et se privant ainsi de le recevoir en échange. Je la voyais aussi gardant la boule et bloquant ainsi tout le jeu de quilles.

Je voyais aussi que cette attitude était pour elle une source de souffrance...

 

Nous avons donc parlementé. Si tout le monde ne pouvait faire ce gâteau, personne ne le ferait !

 

Laurent, dont la tablée possédait deux saladiers, voulait que les autres le fassent dans un ramequin mais quelqu'un devait lui donner un moule.

 

Dans le meilleur des cas il y a eu troc puis finalement Joël s'est levé pour prendre à Chrystèle son saladier.

 

Les pleurs ont été vite séchés quand nous sommes passés à l'action.

 

J'ai depuis, laissé jouer les conflits à ce niveau. Il a fallu trois mois pour que le problème du partage du matériel soit réglé. Parallèlement, l'attitude de Chrystèle s'est améliorée aux quilles et au ballon.

 

Parfait, n'est-ce pas ! Mais il faut croyez-moi un sérieux optimisme pour se livrer à ces sortes d'exercices avec 35 ou 40, je ne parle pas de 50 enfants !

 

A laisser jouer les tensions à l'intérieur du groupe, nous risquons à tous moments d'être dépassées ou incomprises.

Nous sommes donc prises entre deux feux. Si nous n'organisons pas en partie le travail, les enfants ne réussissent pas à s'organiser eux-mêmes, ne supportent pas les tensions qui en résultent ou une attente qui laisse le but trop lointain. Si nous organisons trop, nous ne laissons plus se créer, ni tensions, ni échanges naturels. Nous ne les aidons pas à se dépasser en connaissance de cause pour leur plaisir ou le bien commun. De toute façon pour que les enfants réussissent à confectionner leurs gâteaux il est nécessaire qu'il y ait une organisation. Ni trop rigide, ni trop lâche, il n'est pas facile de trouver la juste mesure ; d'autant plus qu'avec le temps les structures doivent évoluer pour permettre à l'enfant d'y être encore à l'aise ou de laisser une plus grande place à son initiative.

 

Si c'est une moindre organisation des moments “ pâtisserie ” qui a permis à Chrystèle de prendre un peu de distance vis-à-vis de son désir de possession immédiate, c'est une règle supplémentaire aux ballons et aux boules qui permit d'obtenir le même résultat. “ Ne jamais prendre le ballon dans les mains, mais le frapper avec une quille ”.

 

Plusieurs, dans les petits groupes bloquaient les jeux de ballons en ne les lâchant jamais.

 

Une idée de Sylvain se servant d'une quille en guise de batte pour propulser la balle introduisit cette règle. De nombreuses boules permettaient à tous de jouer puis petit à petit elles devinrent moins nombreuses...

 

ÉVOLUTION DES STRUCTURES DE LA CLASSE : LES 3 NIVEAUX

 

De plus en plus, en classe, maintenant les comportements des enfants et le mien s'ajustent par tâtonnement des événements pour moi révélateurs, m'amènent à modifier les structures de la classe afin qu'elles soient mieux adaptées à mes yeux aux besoins des individus. Pour un temps, quelquefois assez long, je laisse à présent “ flotter ” un atelier en supprimant certaines structures qui ne me satisfont plus pour me rendre compte des besoins véritables et la transformation peut se faire à tout moment si le besoin s'en fait sentir.

 

L'évolution des structures du jeu de dînette depuis 1970 montre, d'ailleurs bien ces influences réciproques.

 

Prenant la classe des petits, je m'étais aperçue que la dînette était un lieu riche en événements. Les attitudes allaient du refus d'obéissance à la “ maman du moment ” ou au “ papa ”, au refus d'accepter la “ nourriture ”. La “ maman ” se fâchait, obligeait “ le bébé ” à “ manger ”, le grondait, le frappait, le “ bébé ” gigotait, pleurait, jetait les objets à terre.

 

Si je laissais faire, il y avait plus de dînettes mouvementées que de dînettes calmes ! L'atelier était souvent bruyant et mal rangé. Une dînette réelle calmait les esprits et contrebalançait la tension des moments “ à faire semblant ”. Elle s'instaura peu après.

 

Elle permettait d'écarter un peu les utilisateurs à demeure avec un motif reconnu légitime par tous. Cela m'amena à noter le passage de chacun afin que personne ne se trouve lésé.

 

Chacun de plus mettait alors le couvert de bon cœur. Les places furent limitées à 4. Chaque convive portant un collier, les autres étaient invités à aller chercher une autre occupation. Devant un désir trop grand, il m'était facile de marquer d'une croix la demande du futur convive qui souvent se satisfaisait d'un passage prochain.

 

Nous avions 4 couverts, 4 tasses et 4 assiettes. Les couteaux se placent à droite, les fourchettes à gauche, la cuillère entre le verre et l'assiette, au centre un petit pot contenant les aliments. Je ne donne ceux-ci que lorsque la table est correctement mise et que l'eau ne l'inonde pas. Voilà cette année les utilisations de la dînette réelle, l'utilisation variant lorsque chacun a eu son tour :

 

4 gâteaux au départ (1 à chacun) ;

2 pommes à partager (1 moitié à chacun) ;

1 gros gâteau (à partager en 4) ;

1 seule pomme et 4 gâteaux - ce qui donnait 1/2 pomme à chacun ou 2 gâteaux ou 1/4 de pomme et 1 gâteau à chacun ;

1 tasse de chocolat à préparer à l'aide d’1 cuillère à café de sucre,

2cuillère à café de chocolat en poudre,

3cuillère à café de lait en poudre,

1/2 tasse d'eau chaude

et 4 gâteaux à partager.

 

La dînette réelle est suivie d'une vraie vaisselle.

 

J'ai complètement abandonné après une tentative en 1971/72 le rangement rationnel des ustensiles “ à faire semblant ” sur des formes préétablies. L'idée était séduisante à l'esprit. L'enfant devait repérer la forme correspondant grosso modo aux objets et les ranger à l'endroit voulu. Plus d'une douzaine et demie de formes servaient de repères. Le rangement était facile à contrôler. Après un temps ou certains s'intéressèrent à la recherche des formes elles-mêmes, leur utilisation devint fastidieuse à beaucoup. Il fallait se fâcher pour l'obtenir ou l'imposer toujours aux mêmes, certains refusant d'utiliser la dînette à cause du rangement.

 

Les formes étaient un moyen d'oppression plus subtil encore que les jeux d'identification imposés puisque la dînette servait de carotte et que le rangement en était le prix !

 

Devant les réactions et les signes avant-coureurs de conflits, je repensai tout le rangement des objets de la classe de manière à ce qu'il soit simplifié au maximum. Toutes les perles par exemple furent mélangées sans souci de forme, de taille, ou de couleur. Le grand principe devint “ Rien ne doit traîner à terre à cause du balayage ”. Maintenant je comprends clairement qu'il est bien plus agréable de faire le tri parmi des objets avant de confectionner une œuvre plutôt que de le faire après, quand le plaisir de l'entreprise est tombé.

 

Le seul endroit où la forme reste pourtant motivée est la panoplie d'outils, car là il faut vraiment vérifier et vite qu'aucun ne manque si l'on veut qu'une action future soit possible.

 

Voir les assiettes et les couverts utilisés réellement, voyager un peu partout et même sous le meuble, chiffonnait mon sens de l'hygiène. J'en vins à envisager l'achat de deux dînettes, l'une “ à faire semblant ” et composée de tout ce qui nous arriverait, l'autre en inox, solide et propre pour l'usage réel. En début d'année la dînette “ à faire semblant ” fonctionnait le matin, l'autre l'après-midi car j'étais alors plus libre pour m'en occuper ; cette partie du matin étant réservée plus spécialement dans mon emploi du temps personnel aux commentaires des dessins car malheureusement personne n'a plusieurs paires de bras et beaucoup se mettent à dessiner d'eux-mêmes à ce moment-là. Comme il arrive souvent que les esprits s'échauffent “ à faire semblant ”, il m'arrive quand le bruit et la tension deviennent insupportables à quelqu'un (dont je peux faire partie d'ailleurs), de conseiller une petite dînette réelle et rapide qui sert de palier de décompression.

 

Pour avoir laissé “ flotter ” l'atelier, je sais maintenant en fin d'année que les deux dînettes ne doivent pas voisiner sur le même meuble, tout en restant à portée de la main : ainsi Corinne et Philippe éprouvent moins de difficultés à ne pas confondre le matériel réel et “ à faire semblant ” et l'atelier peut fonctionner sans ma constante intervention même avec les plus jeunes. Sans matériel différent, je ne pense pas d'ailleurs que la dînette réelle puisse servir de “ dînette de décompression ”. Cette dînette-là est pour moi une sécurité car l'autre peut réserver des surprises.

 

Plusieurs enfants m'ont aidé à voir les possibilités et les limites que je pouvais donner et supporter.

 

La dînette fonctionne donc sur trois plans :

1) le “ faire semblant ”

2) la confection sans grande aide d'une réalisation à manger

3) la confection suivant une recette soit retrouvée en commun par tâtonnement.

 

Comment faire du café au lait ?

de la compote ?

de la purée ?

des frites ?

soit donnée par une maman ou moi-même. Qu'il faut observer impérativement pour qu'il y ait réussite.

 

L'atelier terre fonctionne également sur trois plans :

1) tâtonnement au niveau de la matière qui se fait lorsqu'on ré-humecte la terre, qu'on la bat, qu'on y introduit différents objets ou qu'on prépare des engobes.

2) réalisations sans grande aide : techniques de personnages ou d'objets auxquels l'enfant donne un nom.

3) utilisations de gabarits ou de “ modèles références ” qui restent sous les yeux d'une année à l'autre, où la technique s'impose en vue d'une réussite.

 

Je suis maintenant persuadée que, pour que leur développement soit harmonieux les trois niveaux doivent coexister à tout moment dans la classe et personnellement je m'efforce à présent de réserver 1/3 du temps à chaque niveau et que chaque enfant passe de l'un à l'autre à quelque stade qu'il soit.

 

Le premier niveau n'est pas le plus facile à maîtriser. Stéphane, Laurent, Sébastien, Olivier m'aidèrent à comprendre.

 

Ce sont quatre habitués des dînettes à faire semblant mouvementées. L'an dernier Stéphane et Sébastien quittèrent sans rien dire la salle de jeux et je retrouvai le coin dînette inondé sans trop savoir ce qui s'y était passé. Le 8 octobre cette année Sébastien se retrouva à la dînette avec Chrystèle et Stéphane. Trois élèves pleuraient encore à chaudes larmes, nous ne pouvions sortir en récréation à cause de la pluie et j'étais irritée à cause de la présence de l'Inspectrice départementale avec qui je ne pouvais ce jour-là, nouer le dialogue.

 

Les deux compères en profitèrent et prenant le bébé de la dînette lui firent avaler de force le contenu de plusieurs pots d'eau qu'ils allaient chercher au lavabo à l'autre extrémité de la classe.

 

Sébastien, je me souviens, sautait presque sur place en battant des bras et poussait des petits cris pendant qu'Olivier officiait. Ce qui me fit d'ailleurs interrompre le jeu ce matin-là et charger Olivier d'une distribution de gâteaux dont il ne se tira guère mieux que Corinne la première fois. Malgré la présence de la dînette en inox, il me fut conseillé de leur apprendre l'ordre.

 

Le soir je regardai le film sur Bettelheim, tiré de “ La forteresse vide ”, et voyant la fillette jouer à l'eau et à la poupée je revis Sébastien et Olivier et me demandai s'il n'y avait pas là un éclairage possible en ce qui concernait leur cas ?

 

La maman se plaignait continuellement en effet, du manque d'appétit de son fils qui refusait de manger.

Pour éviter les inondations, je résolus de faire l'acquisition d'un bébé qui puisse boire et faire pipi, de petite taille et solide si possible qui trouverait place auprès du lavabo et permettrait aux jeux comme ceux de Sébastien de moins nous déranger et de se faire plus facilement. Je pense pouvoir faire cette acquisition à la prochaine rentrée.

 

Un autre jour, un samedi matin, au mois de mai, Sébastien, Laurent et Martine se retrouvèrent à la dînette. Martine était la maman. Ce jour-là nous étions à peine une vingtaine et l'atmosphère s'en ressentait. Les enfants couchés ensemble dans le lit poussaient des cris. Martine tentait de les faire manger mais ils refusaient. Les cris redoublaient d'intensité. Je demandai à Martine ce qu'elle allait faire. Elle décida de leur donner un petit jouet qu'ils jetèrent. Sébastien se leva et jeta à terre tous les ustensiles “ à faire semblant ” de la dînette. Qu'allait-elle faire encore ? “ Je vais lui donner une petite fessée ” dit-elle. “ Pour de vrai ? ” demandais-je. -“ Non, pour faire semblant ” dit-elle.

 

L’enfant en réponse gifla sa mère.

“ Gifler pour de vrai ” demandais-je à Sébastien et Martine,

“ Non pour faire semblant ” répondirent-ils tous les deux. Mais la joue de Martine était, ma foi, bien rose...

“ La mère ” ne savait plus trop que faire.

Les enfants se livraient à une sorte de danse du scalp. L'heure de la récréation approchait. Je déclarai qu'il était temps de ranger et que “ les enfants ”devraient bien aider “ leur mère ” après avoir mis tout à terre. Sébastien et Laurent se mirent à rire et rangèrent de bonne grâce. Mes questions sur le faire semblant m'avaient permis d'être rassurée car j'avais eu peur, un peu, de la tournure des événements.

 

Sébastien et Laurent reprirent quelquefois le jeu de l'enfant qui refuse de manger et jette tout à terre et quelquefois je l'interrompis quand l'atmosphère était trop tendue en conseillant d'ailleurs une dînette réelle minimum pour permettre aux esprits de se calmer.

 

Un après-midi, juste à l'accueil, environ 15 jours après, Sébastien se mit à jouer avec un garçon de la classe voisine assez difficile de caractère, qui voulut s'opposer à son jeu de refus, puis déclara forfait au bout d'un instant en le voyant jeter les assiettes à terre en déclarant “ Ça va pas, j'en ai marre, je vais à côté ! ” J'entendis alors Sébastien s'écrier à l'adresse du partenaire qui voulait régenter le jeu “ T'es con, t'es con, ma mère ! ”.

 

Je jetai un coup d'œil vers le couloir. Pourvu que des oreilles ne traînent pas, qui, ne comprenant pas ce qui se passait, portent un jugement hâtif et désobligeant ! “ La mère ” quittant la place, j'engageai Sébastien à venir m'aider ailleurs et ramassai avec lui les objets à terre.

Je pense que notre intérêt commun était dans l'immédiat que ces sortes de choses restent entre nous.

 

Je constatai que Sébastien depuis le jeu de la dînette avec Martine était devenu plus calme, qu'il s'était mis au dessin, qu'il commentait. Il dessina même un bonhomme “ gourmand de beefsteak ”. Son attitude d'opposition s'estompa. Il se mit à vouloir écrire.

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

5.A CERTAINS MOMENTS...

FAUT-IL DIRE ENCORE PRIVILEGIES ?

 

 

STEPHANE

ou Impossible de recourir à la maîtresse lorsque celle-ci est toujours en déplacement à cause de trop nombreuses demandes.

 

Les parents de Stéphane allaient divorcer et le pauvre ne savait plus où il en était. Il tournait entre les quatre murs de la classe, oubliant tout, renversant tout, s'attirant les coups et la mauvaise humeur de ceux qu'il dérangeait.

 

Epidémie de rougeole.

 

Nous nous retrouvons à 17.

 

Je peux donc consacrer plus de temps à chacun. Installée à une table, je réussis à rester assise environ un quart d'heure sans être obligée de me lever.

 

Stéphane petit à petit se rapproche et finit par s'installer juste aux pieds de ma chaise. Tout à coup, il me regarde et dit.

 

“ Je suis gentil, hein ! ”

-“ Bien sûr que tu es gentil ! ”

-silence- 

“ Maman, elle est partie ”

-silence 

“ Je suis gentil, hein ! ”

 

Bien sûr qu'il était gentil. Je ne me suis pas privée pour le lui dire et l'ai aidé au maximum pour qu'il réussisse chaque fois qu'il entreprenait quelque chose.

 

Il a voulu réaliser une coupe en céramique à partir de petites galettes juxtaposées et lissées que l'on place dans un gabarit.

 

Il a parfaitement réussi pour son âge et commençait à la décorer. Un petit bonhomme montrait déjà son visage, mais, comme je suivais les progrès, son compagnon s'est écrié “ C'est beau, hein ! dit maîtresse, c'est pour maman! ”

 

Stéphane a arrêté son geste. “ C'est pour mémère ” a-t-il déclaré. Le petit bonhomme, la minute suivante, a été lardé de coups et la course de Stéphane d'un point à l'autre de la classe a repris son cours. Il a refusé de reprendre son travail.

 

Sans rien dire, le lendemain, j'ai ressorti la coupe. Son camarade de la veille utilisait les engobes. Stéphane l'a regardé faire. Il a voulu passer des couleurs comme lui. Je les ai laissées à sa disposition. Il les a mélangées, juxtaposées, superposées, essayées toutes, puis, reprenant son bâtonnet pointu a continué à gratter la surface intérieure de la coupe, la marquant de traits serrés et isolant ainsi de minuscules surfaces de couleur. Je l'ai complimenté sur l'effet produit.

 

Quelques jours plus tard, je racontais une histoire qu'on réclame souvent et comme William a peur des histoires même fort tendres, je l'ai pris sur mes genoux.

 

Immédiatement Stéphane s'est roulé à terre puis a déclaré qu'il voulait aller se coucher. Il s'est fait porter jusqu'au dortoir et border dans un lit.

 

Un matin, j'ai neutralisé le démarrage d'une situation délicate en lui demandant d'aller ranger deux punaises. Conscient de sa mission, il a oublié son opposition précédente et est revenu tout guilleret.

 

La veille, il avait arrosé en compagnie de Sébastien toutes nos provisions de tissus à découper en allant jouer à l'eau en cachette au fond de la classe, juste au-dessus de nos réserves alors que le groupe regardait les trouvailles de quelques-uns en salle de jeux. Dépités de n'être pas dans le groupe vedette du moment, ils étaient partis exercer leurs talents à leur manière.

 

*

 

LA RENTREE DES CLASSES

 

Le 16 septembre J. Philippe pleure toute la journée, Corinne, Olivier, Philippe et Carole également. Paola tente de s'enfuir en escaladant la clôture.

 

Le 17 Carole, J. Philippe, Philippe et Olivier pleurent. Vincent s'écrie “ Ah, je m'en vais dehors, j'en ai ras le bol ! ”. Nous sortons, il ne fait que brouillasser !

 

Le 19 pleurs. Pluie. Philippe devient agressif, attaque William qui le fait rouler à terre, attaque Stéphane et Sébastien qui se défendent. Vincent au moment de l'habillage à 16 h 45 part en courant et hurlant. Je referme la porte de la classe. Cris stoppés net.

 

Le 20. Pleurs de Vincent le matin à l'arrivée. Pleurs de Philippe, Olivier, Carole, J. Philippe. La maman de J. Philippe le conduit en classe en disant “ Je reste là ” et le quitte immédiatement. Je lui conseille de rester effectivement un moment quand elle affirme qu'elle va le faire, sinon, comment J. Philippe pourrait-il croire ce qu'elle lui dit ? Nous promettons à J. Philippe que sa maman restera bientôt un grand moment avec nous.

 

Vincent au moment de l'habillage fait tournoyer dangereusement ses vêtements. Plus de cris mais il bouscule Martine et tire les cheveux.

 

Le 23. Philippe malade. David qui a toujours refusé de faire pipi à l'école et pleure à partir de 15 h environ, se trémousse sur sa chaise mais refuse d'aller au W.C. Une petite auréole commence à marquer le pantalon. Je l'emmène malgré ses négations. Il se laisse faire en disant "non" et en tournant la tête puis reprend son sourire une fois le pipi terminé. Guillaume traîne derrière lui son “ doudou ” (une couverture de petit lit) qu'il oublie souvent. Il pousse des cris sitôt qu'il s'aperçoit de cette perte.

 

Le 24. En salle de jeux, un groupe rampe ou se déplace sur les bancs. David, Séverine, Carole et Olivier qui refusaient toute participation acceptent d'y monter David s'il est assis entre mes cuisses, Olivier, s'il est juste derrière moi.

 

Le 26. David accepte d'aller au W.C. avec moi quand il se met à se trémousser vers 15 h 30 et accepte également de rester dans la cour lorsque j'y suis. Il se met à hurler lorsqu'on allume l'électricité en classe.

 

Le 27. Michel ne veut rien faire dans la cour “ Le manège tourne trop vite, la trottinette penche, s'il monte sur le tracteur... on va le pousser trop vite ! … ”

 

Le 28. La maman de J. Philippe reste avec nous une demi-matinée.

 

Le 30. Stéphane passe la matinée à jouer avec les animaux de la ferme apportés le matin même et pousse des cris ou se roule à terre si quel- qu'un veut jouer avec eux également. Nous regardons les classeurs de rangement dont certains sont restés vides et je donne les indications les concernant.

 

Le 1er octobre. Je propose à Stéphane de laisser le matin les animaux aux petits et de les lui réserver un moment l'après-midi. Il accepte.

 

Le 3. Sabrina, qui refuse toute activité sauf le stylo feutre pousse des hurlements parce qu'elle a une minuscule tache de stylo feutre sur la main. Elle accepte que Mme Mansart (la femme de service) nettoie. David pousse toujours des hurlements, lorsqu'on allume. Pensant à Pavlov j'essaie d'associer lumière et gâteaux en disant que je ne vais pas voir ce que je donne et promets d'éteindre tout de suite après. David accepte.

 

Olivier accepte en salle de jeux de monter, debout, derrière moi sur le banc en me tenant par la taille. J'accentue le balancement d'un pas sur l'autre, il le suit puis le provoque.

 

Vendredi 4. Carole accepte de jouer avec les animaux de la ferme, sa seule activité en dehors d'un dessin.

 

Après la distribution de gâteaux, je n'éteins pas. David oublie la lumière. Puis réclame par des cris l'extinction des feux. Chrystèle va éteindre d’elle-même.

 

Lundi 7. Michel court en jouant aux cow-boys et termine sa course par une glissade ou plutôt une tentative de glissade. Olivier  accepte de mettre le tablier de protection qu'a apporté son père, mais pousse des cris sitôt que je lui présente le pinceau ou une boule d'argile. J. Philippe recommence à pleurer après trois jours de mieux consécutifs à la visite de sa mère. Pluie.

 

David et Guillaume, qui est de retour, pleurent également. Grande tension dans la classe à cause des pleurs. Christophe gifle J. Philippe puis fond en larmes “ C'est parce qu'il pleure ! ”. Ce n'est pas la bonne méthode puisqu'ils sont deux à présent à pleurer ! Il pleut... Gilles serre Philippe à tous moments. Ses gestes sont si poussés qu'ils font mal à celui-ci ou le mettent mal à l'aise.

 

A surveiller, d'autant plus que celui-ci se laisse faire et reste muet. Seule son expression trahit sa gêne.

 

Guillaume rapporte le matin un slip de rechange dans un papier. En fin de matinée il pousse des cris en réclamant le papier. Le fait de n'avoir pas été compris le met dans tous ses états. L'après-midi, il apporte des fleurs puis les réclame à partir de la récréation. Elles lui sont rendues. Toujours “ le doudou ”

 

Mardi 8. Pleurs continuels de Guillaume et J. Philippe. Pluie. Pas de récréation. Agitation aux ateliers mais retour au calme sans trop de difficulté. Sébastien et Olivier jouent à faire boire le bébé.

 

Le 10. Carole accepte d'éplucher les pommes pour la compote et de tourner la moulinette. Sabrina, si elle refuse de l'éplucher accepte de la manger. Plusieurs dessinent la pomme qu'ils ont apportée.

 

Le 11. J'insiste sur le silence des non-chanteurs au moment du chant. David refuse un gâteau si ce n'est pas moi qui le lui donne. Il refuse de tenir son “ zizi ” quand il va aux W.C.

 

Le 12. Nous regardons les classeurs et les montrons à nouveau “ aux petits ”. Certains qui ont encore des classeurs vides sont déçus. Nous précisons la place des feuilles pour les classeurs, leur rangement et la place des feuilles destinées aux mamans.

 

Lundi 14. Seuls Sabrina et David bien qu'ayant pris une feuille pour les classeurs refusent de la ranger dans celui-ci. Je commence à insister pour que David tienne son “ zizi ”.

 

Guillaume arrive avec un morceau de doudou coupé dans la poche. Il danse mais refuse de quitter le manteau. J'avais proposé à la maman d'ouvrir une fente au milieu de la couverture pour qui Guillaume puisse l'enfiler comme un poncho, ce qui aurait évité les tiraillements, les chutes possibles puisque les enfants marchaient dessus, et les oublis qui entraînaient les pleurs. Mais il était “ vieux et sale ” aussi a-t-elle préféré le petit morceau dans la poche.

 

Mardi 15. Les jeux d'eau étant mal rangés, je redonne avant le départ les consignes de rangement : les bouteilles ensemble sur l'étagère. Les cuvettes les unes dans les autres sur l'évier. Les “ poissons ” et les objets qui flottent dans le petit seau...

 

Jeudi 17. Philippe reste un long moment à comprendre “ va poser ton dessin sur la table à côté de la porte ”. Il ne prête attention qu'à porte et va plusieurs fois dans le couloir. Je rythme mieux la phrase, pour que se détache “ sur la table ”. Il comprend à la troisième demande et je précise “ sur la grande table ”.

 

Vendredi 18. Les enfants sont fort intéressés par la remarque de Christophe parlant de son papa pompier. J'élargis la discussion vers ce que font les papas et les mamans. J. Philippe parle de son “ papa Michel ” qui joue au football.

 

Samedi 19. J. Philippe dessine “ son papa Michel ” et lui-même sur ses épaules. Intérêt du groupe pour ce papa gentil et footballeur.

 

Lundi 21. Carole accepte de jouer à la dînette et de faire la vaisselle. William commente deux dessins pour la première fois “ maman donne la fessée, elle crie, elle a bobo au ventre ” et “ maman fait un câlin ”. Nous parlons football J. Philippe et moi lorsque l'humeur se gâte éclaircie.

 

Mardi 22. Attribution d'un porte-manteau à chacun. Guillaume pleure pour obtenir le premier porte-manteau. Chrystèle accepte l'échange.

 

Jeudi 24. Je préviens David de ce que je ne tiendrai plus le zizi lorsqu'il passera aux W.C. Tant pis s'il y a du pipi dans la culotte. Bonne direction du jet une fois la culotte baissée. David jubile.

 

Vendredi 25. Pipi dans la culotte de David qui a refusé de tenir “ l'objet ” une fois la culotte baissée. Cris au moment où on le change. Certains demandant à passer aux W.C. après la récréation, je demande machinalement à David s'il a encore envie. Il déclare que “ oui' ”, je baisse le slip. Il fait ses besoins comme un grand et pour la première fois se sert seul d'un gâteau.

 

Samedi 26. David se débrouille seul aux W.C. Je ne fais que déboutonner la ceinture. Il demande à y aller plusieurs fois, se lave seul les mains et les essuie alors qu'il fallait avant faire tous ces gestes pour lui.

 

Lundi 28. Grand événement aux cubes : Stéphane, Olivier, Christophe V et Christophe W se les jettent. J'oblige les perturbateurs à prendre une autre occupation. Olivier me voyant élever la voix, me regarde, médusé. Sur la lancée j'insiste pour qu'il enfile le tablier de protection et lui place le rouleau à monotypes entre les mains. Il reste un long moment à manœuvrer le rouleau et à tracer des signes qu'il efface ensuite.

 

Mardi 29. Olivier réclame les monotypes et recommence son manège longtemps. David s'habille seul en s'aidant de la chaise, tente même de mettre son bonnet et au lieu de s'installer à la sortie sur la chaise d'adulte à côté de la porte s'installe avec le groupe des élèves.

 

VACANCES !

 

Je n'ai fait que recopier les notes, prises à la va-vite, en début d'année. Elles permettent de voir une partie de ce qui se passe. Je n'ai noté que les faits marquants concernant ceux qui paraissaient avoir le plus de difficultés d'adaptation.

 

Si l'entrée à l'école maternelle peut être considérée comme une seconde naissance, sociale celle-là, on voit, qu'elle non plus, ne se fait pas sans violence : enfants mal préparés, parents maladroits, locaux insuffisants et inadaptés, impossibilité pour nous d'être attentive à chacun. On voudrait traumatiser qu'on ne s'y prendrait pas autrement !

 

Tous les ans nous conseillons aux parents d'échelonner l'entrée de leurs enfants sur une quinzaine de jours surtout s'ils sont timides ou émotifs. Une fois le courant repris, il est facile d'incorporer petit à petit cinq enfants tous les deux ou trois jours par exemple. Nous avons déjà fait deux classes parallèles petits et moyens de manière à n'avoir chacune que la moitié de notre effectif renouvelé par an. Les anciens se chargent d'entraîner les plus jeunes et l'adaptation se fait bien plus facilement.

 

Rien à faire, la majorité d'entre eux amène les enfants le premier jour, même si, ensuite, il faut mettre longtemps à réparer les dégâts. Ont-ils peur de leur faire manquer l'épreuve d'initiation qu'ils ont eux-mêmes vécue ? Une phrase revient souvent “ Il faudra bien qu'il s'y fasse ! ” On peut rêver d'une naissance sociale sans violence !

 

Un article de l'Ecole des Parents me permit de comprendre les réactions de Christophe, Vincent, Philippe ou Guillaume et Carole. J'appris l'existence de “ la bulle ”, d'une sorte de “ territoire ” chez l'homme et d'une distance critique située à environ 80 centimètres. “ Quand nous sommes nombreux à nous rencontrer sans arrêt sans pouvoir nous éviter des troubles surviennent... cela entraîne des réactions de défense au niveau du corps et de l'esprit ”. (extrait de la conférence du professeur Swadon octobre 1971).

 

En classe nous pouvons rarement nous éloigner à plus de 45 centimètres d'un quelconque membre du groupe - un mode de communication proche nous est imposé alors que nous sommes étrangers les uns aux autres. Il suffit de placer la main sur la poitrine d'un nouveau quand par exemple il demande de l'aide pour passer aux W.C. pour sentir son cœur battre la chamade même quelquefois plusieurs mois après la rentrée.

 

Ce cœur me renseigne souvent sur l'état de confiance de l'enfant. Je guette aussi des signes d'abandon comme ceux d'Olivier le 3 octobre. Je me souviens d'une petite Sandrine qui me replaça une mèche de cheveux alors que je remettai en place la culotte alors qu'avant elle se tenait toute raide et que le cœur cognait.

 

J'évite d'imposer la présence de mon corps à ceux que je sens encore sur leur garde. Je comprends maintenant des enfants comme Caroline.

 

On la disait “ méchante ”. Dès qu'un camarade l'approchait, elle bondissait toutes griffes dehors. Elle cramponnait les jeux, les crayons, attaquait celui qui se risquait trop près d'elle, se raidissait à mon approche. L'attitude de Caroline me mettait mal à l'aise. Me rappelant “ la Bulle ”, je fus très heureuse de trouver à ses gestes une raison naturelle possible qui ne mettait en cause ni elle, ni mon attitude envers elle.

 

La situation fut dédramatisée et se trouva ainsi résolue plus facilement. Caroline se vit attribuer un territoire, le dessous du bureau. Tant pis pour ceux qui s'y risquaient, c'était à leurs risques et périls. Il y eut des tractations, certains furent acceptés et Caroline en sortit peu à peu.

 

Que dire de la situation actuelle ?

 

Les enfants sont placés dans une situation où leur agressivité ne peut faire autrement qu'exploser. Des réactions comme celles de Vincent ne sont que des réactions saines à la violence qui leur est faite. Il nous faudrait sévir et culpabiliser ainsi celui qui ne fait que se défendre d'une pression inadmissible ! Nous le faisons déjà. Croyez-vous que Vincent ait oublié la porte refermée brutalement lorsqu'il est sorti en criant. La violence a été déviée, je m'en suis rendu compte toute l'année en l'observant. Et nous étions 35. Nous avions refusé  l'entassement de 50 enfants dans 56 m2 car là plus de pitié pour Vincent ou Caroline, il ne reste que la main de fer. Déjà notre main serre trop un bras quelquefois et quelqu'un s'écrie comme Christophe : “ Arrête, tu me fais mal ! ”. Et ce n'est pas rare, j'ai retrouvé le même détail dans un livre d'Inspectrice “ La main ” de G. Calmy.

 

35, c'est l'extrême limite. On peut encore par un choix volontaire laisser à l'enfant le droit à la maladresse, à l'immaturité, le droit d'être différent et établir un dialogue qui partant de ce qui est et montrant que nous le respectons et l'acceptons, cherche à lui faire comprendre qu'il faut bien faire des concessions pour avoir le plaisir de vivre ensemble ; qu'il n'est pas un objet, c'est pourquoi par exemple personne ne va aux W.C. en rang d'oignons même le premier jour, mais que je ne suis pas leur chose et que s'ils ont des mains, c'est pour s'en servir. Comme David. Ce n'est d'ailleurs que quand je suis assurée qu'ils savent que je ne leur suis pas hostile que je remets les choses en place.

 

Lorsqu'on parle des besoins de l'enfant, de l'égalité des chances et que les ouvertures de classe se font à 50 alors, je sens en moi comme dans la chanson de Félix Leclerc que je ne peux entendre sans avoir le frisson “ alors je sens en moi, au plus profond de moi, malgré moi, malgré moi, entre la chair et l'os s'installer LA COLERE ! ”

 

6. LORSQUE LE COMPROMIS EST IMPOSSIBLE ?

 

 

 

LES FLEURS MUTILEES OU 46 DANS 37 m²

 

Quelques jours après la rentrée 65-66 mon Inspectrice me donna l'ordre de faire classe à 45 enfants dans 37 m².

 

L'école était une ancienne maison bourgeoise fonctionnant d'abord à une classe puis à deux ; sans préau, sans salle de repos, avec un vestiaire et des sanitaires insuffisants, mais elle était peu sonore, gardait une âme de maison. La cour, que nous appelions “ le parc ”, grande, gazonnée, plantée de beaux arbres permettait de sauvegarder grosso modo notre équilibre.

 

L'Inspectrice s'écria qu'il était “ scandaleux ”, je me souviens du mot, de n'avoir inscrit dans cette classe qu'une trentaine d'enfants. Je me défendis pourtant d'autant plus, que le jour de la rentrée, il s'était passé un événement qui m'avait laissé atterrée.

 

Un nouveau, brutalement, quelques instants avant l'habillage qui précède la sortie avait renversé sa table puis celle du voisin devant la classe stupéfaite. Rien ne laissait prévoir un tel geste. C'était comme si tout à coup l'enfant s'était transformé en une boule de violence.

 

J'avais, je me souviens, fait sortir le groupe, demandé à la femme de service de veiller à l'habillage puis avait demandé à l’enfant de relever sa table. Après un moment d'attente silencieuse, comme une sorte de lutte de volonté entre nous, il avait essayé de le faire, mais si maladroitement qu'il ne réussit qu'à se pincer les doigts dans le tiroir. Je lui demandai, alors, s'il voulait que je l'aide, à la condition de ne plus recommencer car s'il cassait certaines choses, il réparerait. Le lendemain, à la sortie, il avait saisi, encore sans motif apparent, une enfant par les cheveux et lui avait claqué la tête contre le mur.

 

Je racontai cela et aussi, que se trouvaient déjà dans la classe deux enfants à problèmes. Le premier après deux traumatismes crâniens et son hospitalisation prolongée faisait payer cher cet abandon, à sa mère et aux autres femmes, si elles ne prenaient pas garde à tout instant de ne pas entrer dans son jeu. Le second férocement jaloux de son petit frère était un opposant farouche.

 

Je ne connaissais pas à l'époque l'existence d'un territoire propre à chacun de nous. Je pense que l'état de promiscuité où nous étions a aggravé les réactions et l'état de tension du premier enfant jusqu'à le rendre dangereux. Pour les deux autres ils étaient souvent difficilement supportables : mais surtout, ce que je ne comprenais pas, c'était cet état de tension de tout le groupe de la classe et ces réactions violentes ou de désespoir qui même chez les plus pacifiques jaillissaient de manière imprévisible.

 

Elles étaient de plus en plus fréquentes avec les mauvais jours et me laissaient le cœur battant.

 

La classe donnait sur le couloir par deux portes vitrées à petits carreaux. Les sorties étaient toujours mouvementées, comme s'il leur était impossible de se supporter une seconde de plus. Un jour de bousculade une tête claqua contre une vitre qui, heureusement, s'étoila, sans plus. Je pensais aux bras et aux mains qui pouvaient suivre le même trajet et n'eus de cesse que l'on ait fait à hauteur d'enfant une sorte de protection en bois ajourée.

 

Coincés, certains n'osaient sortir faire leurs besoins et bien des petits drames durent rester ignorés. Il me fallait veiller d'abord à la sécurité.

 

A l'extérieur heureusement la vie était toute autre. Ils ramassèrent et pesèrent cette année-là, 120 kg de marrons d'Inde. Il ne fallait pas les jeter ! Une fois rentrés à l'intérieur, ils furent tout étonnés de ne pas retrouver le même poids.

 

Comme les problèmes d'espace étaient insolubles, j'essayais toujours de changer la disposition des lieux et des projets furent abandonnés faute de moyens financiers.

 

Ils me proposèrent alors de vendre nos marrons pour avoir beaucoup d'argent et comme ce n'était pas possible, leur rêve donna naissance à l'histoire du petit marchand de marrons qui grimpait sur le marronnier si grand, qu'il allait jusqu'au ciel, jusqu'à la Lune et au Soleil. Là par un heureux concours de circonstances, dans la Lune qui craquait et à la suite d'une pluie de jouets qui transformait le marronnier en sapin de Noël, le petit marchand s'emparait de tous les jouets du Père Noël et après discussion les distribuait avec lui à tous les enfants.

 

C'est vrai, les arbres et les parterres étaient notre ballon d'oxygène.

 

Une petite gelée avait fait tomber en même temps presque toutes les feuilles des marronniers et du hêtre. Elles furent transportées par brouettées et par brassées, jetées à pleins bras. Quels cris de joie, quelles batailles heureuses et quels plongeons dans l'énorme tas. Certains avaient arraché, je m'en souviens, de longues guirlandes de lierre pour se faire des couronnes, des traînes et des ceintures.

 

A l'intérieur par contre, quelle tension, quelle tension infernale, qui se traduisait par des coups, des crises de larmes, des gestes incontrôlés possibles de la part de tous. Bousculé pour la troisième fois alors qu'il s'appliquait à l'encre quelqu'un planta sa plume palette dans la table éraflant la main du voisin, le dernier fautif, puis fondit en larmes.

 

Il ne me reste que quelques images chocs : un enfant poussé du haut des marches pour sortir plus vite et dont le visage alla s'écraser sur le goudron à quelques centimètres du gratte-pieds de fonte. Un cache-col, serré par derrière, que je ne sais quel instinct me fit découvrir alors que l'enfant étouffait... Et puis un jour, à la fin de l'hiver comme nous faisions le tour des parterres je découvris que tous les boutons floraux du pommier du Japon avaient été sectionnés à mi-hauteur systématiquement et je découvris le coupable. Je n'eus même pas le courage de le gronder mais ce fut plus fort que moi, chaque fois que mon regard le croisait, les fleurs mutilées me revenaient en mémoire heureusement, j'eus par la suite 90 jours de congé...

 

Je me souviens, maintenant, le coupable griffait, ce geste m'est revenu lorsque Cathy fit semblant de nous manger.

 

Il s'attaquait aux paupières, des deux mains et plusieurs enfants furent ainsi défigurés pour un moment. Une question pour moi reste sans réponse. J'ai beau chercher un détail qui me fournisse une preuve, ces paupières griffées était-ce avant, était-ce après l'épisode des fleurs ? Et si c'était insupportable pour un enfant le poids d'un regard ? Il n'était pas responsable de ces gestes, je le sais maintenant, et lui, je ne lui ai pas trouvé d'excuse à l'époque. Quand je pense aux réactions de Christophe et Vincent, cette année où nous sommes à 35 je me dis que nous ne sommes pas encore très loin de cette atmosphères là, et je ne vois pour moi qu'une solution. Le refus !

 

Je veux être le moins complice, bien que sachant que j'en fais partie, de cette chaîne d'oppression qui mutile les êtres, les enfants et les fleurs.

 

Marie-Hélène MAUDRIN

10 rue R. Dorgeles

60510 BRESLES

 

Avec la collaboration de :

 

Françoise GOSSELIN

Ecole Maternelle Gambetta

rue du Docteur Graillon

60110 MERU

 

Marie-Claire PENICHOU

10 rue Louis Guibert

87170 ISLE

 

Françoise RIGAUD

Ecole Maternelle Gambetta

18 rue Jean Mermoz

95390 SAINT-PRIX

 

 

 

DES RAISONS DE NOTRE CHOIX

 

Il est évident que des expressions comme “ favoriser ”, “ mettre en jeu ”, “ éviter ”, “ permettre l'expression ”, “ contrôler ”, etc. si elles ne sont pas des ordres, ou, pire, des conseils, ne peuvent être que les termes ambigus et vagues d'une tentative de description.

 

De même, les notions de directivité et non-directivité, ne pourraient valablement aider à rendre plus claire cette tentative.

 

Pourrons-nous arriver, avec d'autres, à forger de nouveaux concepts, communicables, aptes à mieux rendre compte de la situation “ classe Freinet ? ”

 

En attendant, nous pensons que ces moments, décrits par la maîtresse concernée, lus et commentés par des travailleurs ayant vécu des situations semblables, constituent la meilleure façon de rendre compte des interactions entre le milieu et les individus. Ces flashes peuvent être des signifiants qui font émerger ponctuellement les lignes de force qui entrent en jeu dans les conflits, les coopérations, les dépassements de soi, quotidiens dans nos classes. Ils sont les meilleurs témoins de notre conception du milieu éducatif. C'est pour cela que nous vous les proposons.

 

BTR

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