BIBLIOTHEQUE N°12 du 20 octobre 1975 PRATIQUE DE LA PEDAGOGIE FREINET
ET AFFECTIVITE par Supplément à L'EDUCATEUR n° 3
du 20-10-1975 |
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Sommaire III -
INTERROGATIONS IV - POUR TENTER D'Y VOIR PLUS CLAIR
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Ont participé à cette
recherche collective, par ordre alphabétique : Suzanne et Claude Charbonnier |
I
Les premières ébauches de ce
travail ont été réunies au cours de l'année scolaire 1972-1973... Au fil des
rencontres et des confrontations, ce dossier s'est enrichi de nouveaux témoignages, de
quelques éléments de réflexion et de beaucoup d 'interrogations. Nous livrons aujourd'hui l'état actuel de nos recherches. Il s'agit d'un dossier ouvert, réalisé par des éducateurs qui ont quotidiennement à inventer leurs comportements face à des adolescents en perpétuelle mutation dans une école et un monde en crise. On se rendra compte que ces attitudes ne sont pas monolithiques, mais dépendent du tempérament, de l'environnement, de l'histoire et des connaissances de chacun. La confrontation de ces pratiques devrait faire naître des pistes de recherche qui nous permettent d'affiner notre pratique pédagogique. Nous avons voulu dire clairement
et tout haut, dans ce dossier, tout ce qui est latent dans nos classes, tout ce que nous
pressentons ou que nous percevons et que trop souvent nous gardons pour nous, de crainte
de voir nos paroles mal reçues, mal interprétées. Il nous a semblé nécessaire de
ne plus garder le silence sur l'une des réalités importantes de nos classes. La
multiplicité de témoignages issus de classes diverses, relatés par des enseignants
jeunes ou moins jeunes, hommes ou femmes aux tempéraments très différents, nous permet
d'affirmer au moins une certitude : l'affectivité est indissociable de l'éducation.
Il faut le savoir, tenter d'analyser ses manifestations
et se préparer à en assumer lucidement les prolongements. Nous avons souvent à nous situer,
non plus comme des enseignants, mais comme des personnes.. l'image traditionnelle du prof
doit laisser place au médiateur... qui aide les adolescents à s'approprier leur culture,
une culture ouverte, et qui se veut un outil d'analyse pour mieux être, pour mieux vivre.
Pour ce faire, le médiateur devra être apte à « entendre » les blocages qui
expliquent aujourd'hui sans doute bien des répulsions,
bien des indifférences et bien des drames...
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II
TEMOIGNAGE n°1 Ils sont 33 en classe. Ils ont 14,
le plus souvent 15 et parfois 16 ans. Deux tiers d'entre eux m'ont déjà eu comme prof en
quatrième : c'est d'un commun accord que nous avions décidé de nous retrouver en
troisième. Mais aux « anciens » se sont ajoutés des nouveaux une dizaine
dont je me demandais avec un peu d'inquiétude, en ce début d'année, comment ils
allaient réagir et être perçus. Finalement, après trois heures de débat sur ce que
les pédagogues appellent « finalités de l'enseignement » et qu'ils
intitulent, eux, « quoi faire ? comment ? » nous avons repris la route, tous
ensemble, secrètement bien contents. C'était bien parti... Et puis il y eut ce matin de
novembre. * Premier témoignageOn essaie de travailler en groupes
: huit équipes explorent des voies différentes... Je vais de l'une à l'autre,
m'attardant davantage auprès des nouveaux, de ceux qui, pour diverses raisons, sont un
peu paniqués, voire réticents devant nos méthodes de travail. Et, à dix heures, c'est
la crise... Quatre filles en pleurs, les plus dynamiques de la classe, me jettent à la
figure « Oui, vous vous occupez des autres, de ceux qui s'en foutent ; et nous, vous
nous laissez tomber ». Crise de jalousie, classique peut-être, mais sur le moment
ça fait mal. A elles qui la vivent profondément, à moi qui ne sais trop comment m'en
sortir et qui, plus ou moins consciemment, culpabilise sur le thème « j'ai sans
doute commis une bêtise... ». A quoi bon en effet expliquer que mon passage rapide
au sein de leur groupe n'est pas le témoignage d'une absence d'intérêt mais une preuve
de confiance ? A quoi bon tenter de faire comprendre qu'en ce début d'année je dois
être plus disponible pour les nouveaux que pour les anciens ? On m'écoute à peine. Et
sans cesse, au cours de la discussion, revient le leitmotiv : « On a besoin de
vous... on ne peut pas accepter un petit tour comme ça dans notre groupe. On vous a
depuis un ou deux ans, on a écrit des textes, vous nous avez parfois aidées à y voir
clair... On ne peut pas vous accepter comme un simple prof... ». Après le cours,
nous essaierons d'analyser les événements : j'essaie de dédramatiser, d'expliquer ce
qu'elles ont vécu. Chacun part plus serein... Mais elles ont raison de dire que les
relations qu'a tissées entre nous l'expression libre sont d'un autre ordre que celles qui
s'établissent ordinairement entre prof et élèves. * Deuxième témoignageJe rends des textes libres. En
ai-je lu un trop vite, trop tard le soir ? Fatigue, inattention... n'ai-je pas su lire
entre les lignes le message dont il était porteur ? Trop hanté par les perspectives du
BEPC pour cette élève âgée, ai-je trop fait porter, pour une fois, ma réponse sur
l'orthographe et la forme au détriment d'un dialogue sur le contenu ? ...Je ne sais.
Sanglots, feuille froissée. J'apprendrai, à la fin du cours, que je me suis conduit
« comme un prof... ». L'indignation de J. et de ses camarades en dit long sur
la valeur péjorative de cette appréciation. * Troisième témoignageLa classe d'un collègue s'essaie
aussi au texte libre. Nous nous retrouvons à 70 pour confronter un peu les points de vue
et les créations : lecture d'un texte, discussion, lecture d'un autre texte,
discussion... etc. et puis une petite phrase anodine du collègue : à propos
« d'Aimer à quatorze ans », il estime « les sentiments, la vie privée
de X... ne m'intéressent pas. Ce qui m'intéresse, c'est le texte, il est très
beau ». Remous chez les miens qui resteront polis mais ne pourront s'empêcher de
dire à mi-voix « Il n'a rien compris à l'expression libre... Ah ! c'est bien une
réaction de prof ! » * Je pourrais multiplier les
exemples. « Comme un prof »,
réaction de prof'... Ce sont des condamnations. A en croire les élèves, l'expression
libre conduit inévitablement à la « mort du prof », que nous le voulions ou
non. Et, après tout, ont-ils vraiment tort ? Est-ce au prof qu'A... racontera son
angoisse après une première expérience sexuelle ? Est-ce au prof que, par
l'intermédiaire du texte libre, on dira sa découverte de l'amour pendant les vacances,
son angoisse devant l'avenir, sa tentation de la drogue ou du suicide ? Est-ce au prof
qu'on confiera ses problèmes au sein de la famille, son dégoût devant certains aspects
de notre monde ? Est-ce au prof à qui on écrit ou à qui on téléphone dans un moment
de cafard, pour lui dire son envie de « foutre le camp » ? Fort de
l'idée naïve d'une jeunesse qui devrait nécessairement être euphorique et insouciante,
l'adulte n'imagine guère que l'adolescent puisse en venir là (1). Il est abasourdi
lorsque cela se produit mais ne comprend pas le processus psychologique qui y aboutit.
Ainsi le suicide montre-t-il cruellement que l'adolescent peut déjà connaître de vrais
désespoirs et les ressentir assez intensément pour ne pas pouvoir en sortir et ne plus
même le désirer. Guy AV
ANZINI « Le temps de
l'adolescence » Editions
universitaires (1) le suicide TEMOIGNAGE n° 2 Texte d'élève : Pendant l'adolescence, chacun de
nous fille ou garçon s'éprend fortement de quelqu'un. Ce n'est pas le « coup de
foudre », c'est autre chose, de difficile à décrire. C'est un événement
important dans la vie de deux êtres qui les unit. C'est un bouleversement à la fois
terrible et merveilleux. Souvent, chez une fille, ce
sentiment germe très lentement. Et c'est vers les garçons de dix-huit à vingt ans
qu'elle dirige son amour et sa tendresse. Les garçons de son âge sont beaucoup plus
désinvoltes, moins sérieux et moins sensibles que leurs aînés. Cet amour naît très souvent de
l'admiration ; peu à peu ce sentiment se développe, se transforme, devient plus profond
et finit par changer profondément le caractère de l'individu. La fille s'attache
énormément au garçon, elle lui accorde toute sa confiance et lui laisse le champ libre.
Elle fait l'amour et croit que « c'est arrivé », qu'elle a connu l'amour
véritable et qu'elle a su convaincre le garçon, le séduire. En même temps, elle se
rend malheureuse car elle ne comprend plus très bien ce qui lui arrive. Elle ne sait plus
que faire, que croire : « Suis-je allée trop loin ? », « Est-ce qu'il
m'aime, lui ? ». Son amour est la seule chose qui compte... Soudain c'est la rupture. Il en a
marre, il « casse » ; elle s'aperçoit alors qu'elle n'était pour lui qu'une
gamine, qu'il a profité de sa faiblesse et s'est joué d'elle. Sur le moment, elle le
hait et serait prête à tout, à le gifler, à le rendre ridicule... Que sais-je encore ? Mais elle n'est plus la même ;
elle ne se sent plus le courage de l'affronter. Simplement elle ne veut plus le voir, elle
veut l'oublier. Elle se sent impuissante. Sans doute s'amuserait-il de la voir se
débattre ? Elle vit un cauchemar épouvantable ; elle est déçue, désemparée. Il lui faudra un long moment pour
se remettre. Elle est tombée trop bas pour pouvoir vite en sortir. X. 3e 16 ans. * Cela a commencé par la lecture de
ce texte. On me l'avait remis six semaines auparavant, et j'avais été plutôt
embarrassé : était-il le reflet d'une réalité vécue et dans ce cas, comment répondre
à cet appel ? S'agissait-il, au contraire, d'une habile mouture des mythes véhiculés
partout ? Craignant la maladresse d'une intervention inopportune, j'avais rendu le texte
accompagné de quelques considérations générales. Et puis voilà qu'aujourd'hui
l'auteur, profitant d'un nombre plus restreint d'auditeurs, se décide à le lire à la
classe. Les réactions ne tardent guère et sont plutôt rudes ; l'ensemble de la classe
n'imagine pas un instant que cette impersonnalité apparente du texte cache peut-être un
drame profondément vécu... « C'est Confidences ! C'est
le véritable roman-photo ! ». « Tu nous racontes des
histoires de la presse du cur : ça nous intéresse pas... » « C'est pas du tout ça,
l'amour... » « Je trouve anormal que tu
fasses sur ce thème un texte aussi impersonnel... « C'est sans
intérêt... » J'en passe et des meilleures... Et avant que j'aie eu le temps
d'intervenir, le drame éclate... Crise de larmes. Et entre deux sanglots, l'auteur avoue
que ce qui est si mal perçu... n'est que la traduction de son expérience personnelle...
et que la réaction de la classe la navre... et lui fait mal. C'est le silence... Pas la
consternation ! Le silence de la prise de conscience : derrière l'apparence anodine des
mots il y avait une tentative de faire part de son expérience... et il y avait un
appel... L'événement dont on parle souvent dans les livres est là présent dans la
classe, bien concret, il nous interpelle : elle a 16 ans, elle a fait l'amour, elle
se pose des questions, elle nous les pose... Ni par bravade, ni par exhibitionnisme je
crois ! Peut-être y-a-t-il le désir de
se délivrer... peut-être simplement la volonté de parler de ce qui est considéré,
somme toute, comme normal, naturel... Et maintenant que le problème est
posé nettement, clairement, il faut y faire face... il faut répondre. Et ce n'est ni
simple ni facile à cause de la tension qui règne. Ma première intervention a
essentiellement pour but d'expliquer pourquoi le texte a été mal reçu. Expliquer n'est
pas tout à fait le mot juste... Disons qu'il s'agit de faire
prendre conscience à l'auteur et au groupe des raisons qui expliquent que la forme a fait
écran au contenu du texte, en a masqué le sens véritable : impersonnalité des phrases,
construction assez abstraite, etc. Sans doute « ce
cryptage » du texte correspond-il à une motivation plus ou moins consciente que
l'auteur reconnaîtra d'ailleurs (« Peur des réactions d'autrui-désir de poser le
problème mais sans « se mouiller »), mais il a égaré le lecteur... Se camoufler, camoufler ses idées
et ses sentiments, c'est prendre des risques : le même texte, écrit de façon plus
personnelle aurait été reçu de façon toute différente. Chacun en convient...
Sincérité et authenticité sont pour le groupe valeurs essentielles. Ce point réglé, le problème de
fond peut être abordé. Il le sera de façon rapide mais violente parfois (certaines
filles refusant cette image de l'amour qu'elles trouvent trop peu
« sentimentale ») pendant les dix minutes qui restent. Mais il est
suffisamment important pour que, profitant de notre liberté commune à l'heure suivante,
nous décidions de prolonger la discussion à l'heure qui suit, avec les gens intéressés
; ils seront quinze à vingt... Tout ce que les adultes peuvent
penser de la sexualité des ados est complètement balayé par cette discussion. Ce qui
m'a frappé le plus c'est cette remarque, unanimement approuvée : « C'est de ça qu'on devrait
parler en classe... Jamais on n'en parle. -Mais vos parents... ? -Bof ! -Et vous, entre vous... ? -Oui, mais ça n'est pas pareil.
On en parle dans la cour mais on tourne en rond tous ensemble. Il faudrait un adulte pour
nous aider à aller plus loin. » Pour l'instant cet adulte c'est
moi... j'écoute, j'aide à préciser certains points, je réponds quand je suis
interpellé. Mais cet instant de communication profonde et vraie entre eux et moi n'est
pas né du hasard : Il y a eu les deux ans de vie
commune où nous avons appris à nous connaître, à nous
comprendre... Une telle discussion n'aurait pu avoir lieu, avec la même
intensité, il y a 6 ou 18 mois. Il y a eu les innombrables
discussions en classe où petit à petit chacun a appris qu'on pouvait aborder tous les
problèmes. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que ces questions sont abordées.
C'est la première fois qu'elles le sont de façon aussi intense et sous un angle très
personnel (le problème abordé à travers Libres enfants de Summerhill ou Malvil
n'a pas la même résonance). De tels moments sont, je crois, de plus en plus inséparables de l'expression libre. Reste à savoir si, de part notre situation à l'intérieur de structures scolaires, il nous est toujours possible : l) D'en accepter l'expression 2) D'aider les adolescents à
dépasser leurs problèmes TEMOIGNAGE n° 3 Un jour au cours d'un entretien
sur la fécondation avec mes élèves de troisième pratique filles, j'ai eu l'impression
très nette d'une subite prise de conscience. Ça se voit, l'attitude se modifie, le
regard se tend etc. De fait à treize heures trente, S. me remettait furtivement un petit
papier plié en dix : « Il faut que je me confie
à toi car je n'oserai jamais le dire à ma mère et le garder pour moi ça me rend folle.
Oui, je sais, je n'aurais jamais dû le faire, mais quand j'ai dit oui, je n'étais pas
assez au courant des choses. Maintenant tu as compris que j'ai couché avec un garçon.
Ça fait un an que je sors avec lui, on s'est connu au mois d'octobre l'année dernière
et au mois de juin j'ai dit oui. Maintenant dis-moi ce qu'il faut faire car j'ai très
peur. Je ne sais ce que tu vas penser de moi mais tant pis, il fallait que je te le dise.
J'ai honte. » Je n'ai pas gardé le texte écrit
de ma réponse. Je sais qu'elle visait d'abord à déculpabiliser et ensuite à faire
faire une prise de conscience pour éviter la grossesse-surprise. Tout de suite j'eus
cette réponse : « Merci de m'avoir répondu,
je croyais que tu n'allais pas me répondre. Pour l'instant je n'ai encore rien fait et je
ne sais pas que faire. Je sais que je ne pourrai pas le laisser, car je l'aime beaucoup et
lui aussi. Ca m'a fait du bien de me confier à toi car ça me tourmente beaucoup. Je
t'embrasse bien fort. » Puis le dialogue s'amorce de vive
voix cette fois. S. me dira qu'en fait de précaution « il se retire ». S. ne
savait pas qu'elle pouvait avoir la pilule sans l'accord de ses parents (elle a 15 ans).
Informé du problème de S., un gynécologue la lui donna sans poser inutilement trop de
questions culpabilisantes. Il la suit régulièrement. Tout se passe bien. S. s'épanouit
et fait en classe des progrès spectaculaires. Un jour, sa mère tombe sur la
boîte de pilules. C'est le drame. La fille est harcelée de questions. -Où as-tu pris cela ? Qui te les
a données ? Ils n'ont pas le droit à ton âge. Je vais porter plainte. S. et moi tenons conseil. J'essaie
de lui faire admettre les réactions de sa maman. -Elle est déçue, meurtrie. Elle
se croyait très proche de toi, vous vous entendiez bien, vous étiez comme deux
complices, deux copines, et voilà qu'elle s'aperçoit que toute une partie de toi lui
échappait. Elle se sent trahie, seule. -Mais je n'ai jamais pu lui dire.
A chaque fois que je commençais à parler de ça, elle répondait : je te fais confiance,
hein, je te laisse sortir avec J. mais soyez sérieux !
Combien de parents agissent ainsi
! Et ces sorties, elles duraient depuis près de deux ans ! Le garçon était reçu à la
maison. Tout était permis : bals, rentrées tardives, tout mais pas
« ça »... - Tu es trop jeune encore, disait
la maman. Pour « ça » S. était
trop jeune mais par contre sa mère la considérait comme son égale, une confidente, sa
seule amie lorsqu'elle avait des difficultés conjugales. Après les menaces, la tempête,
la maman s'enferme dans un mutisme encore plus intolérable pour sa fille. J'essaie encore
le rapprochement en agissant sur S. -Ta maman souffre autant que toi,
va vers elle. -Elle m'envoie promener. -Veux-tu que je lui parle ? -Oh non, si elle savait que je
t'ai dit tout cela ! ... -Oui, elle serait encore plus
triste. Que moi, une étrangère, j'aie eu la confiance de sa fille et pas elle ! ...c'est
normal. Mais je peux lui demander de venir sous un autre prétexte. J'aurais remarqué que
tu es moins attentive en classe, que ton travail n'est pas le même (ce qui était exact
d'ailleurs). Accord conclu. La maman vient me voir en classe, pincée, sur la défensive,
mais s'écroule au bout de quelques secondes. Il n'y a plus maintenant, face à face, que
deux femmes d'âge sensiblement égal, en butte aux mêmes problèmes d'éducation, vis-à
vis des mêmes adolescents de 75 (j'ai un fils de l'âge de sa fille). Elle n'est plus
seule. Cette maman n'en pouvait plus de
porter tout, de tout garder pour elle. Pas une amie en dehors de sa fille et sa fille l'a
trahie ! ...Pas une fois elle ne pose la question à laquelle je m'attendais : qui lui a
donné la pilule ? Mais toujours en leitmotiv « elle est si jeune, une enfant
! ». Et je relève en écho à chaque fois : - Votre fille, une enfant ? Est-ce
à une enfant que vous faisiez vos confidences ? Est-ce à une enfant que vous parliez de
tous vos problèmes ? - Est-ce à une enfant que vous
permettiez de sortir et de rentrer à n'importe quelle heure ? - Non, bien sûr, mais... Dans ce « mais » il y
a toute l'interrogation, toute l'insécurité d'une femme qui voit pour la première fois
une autre femme dans sa fille. Dans ce « mais » il y a la peur de la pilule.
Il y a la peur du qu'en dira-t-on. TEMOIGNAGE n° 4 Selon les années, les classes,
l'attitude des élèves est bien différente. Cette année, avec mes élèves de
6e et de 4e, cette affectivité se manifeste surtout oralement, pas par écrit. En 6e, par
exemple, certains ont beaucoup de mal à sortir de la classe, ils aiment
« traîner » pour raconter leurs petites histoires. En 4e, cela se manifeste
davantage par des oppositions. Les élèves qui s'opposent le plus à moi en classe
m'attendent toujours dans les couloirs pour que je leur parle, pour me parler. L'an
dernier, je me suis opposée très violemment à une fille. A chaque cours, elle faisait
tout pour me mettre hors de moi. Un jour, cela a éclaté : j'ai été très méchante
avec elle, ce fut ma plus grande colère de l'année. Le lendemain, elle est venue me
parler et m'a dit : « J'aimerais que vous soyez ma mère. » * ** Comme il est difficile de
comprendre nos élèves parfois ! Mais je n'ai jamais aucune allusion à ces situations
dans les textes libres. * ** En 3e, cela se traduit, au
contraire, surtout par écrit. En particulier avec les élèves que j'avais l'an dernier.
Mais je dois dire que seulement une minorité d'élèves écrit des textes libres ou des poèmes (nous faisons régulièrement des devoirs
imposés). Les problèmes abordés sont vraiment personnels. Il n'est pas question de lire
un texte en classe. C'est une sorte de correspondance entre eux et moi. L'un d'eux
commence ainsi : « Lettres adressées à... ma prof de français de 4e et 3e que
j'aime beaucoup ». Et ce ne sont que des lettres où l'élève me raconte ses joies,
ses peines, me fait également des reproches, par exemple « E. a réussi à vous
« avoir » avec ses ennuis de famille, mais vous n'avez jamais regardé la
fille qui essaie de lui apprendre à « nager »... Quand elle a le cafard je
lui apprends à nager et c'est dur, croyez-moi, quand il faut le faire pendant un cours
d'anglais, de techno, de français... On ne peut pas écouter et parler en même temps.
N'importe, tout ce que je fais pour elle m'est certainement plus utile pour
« vivre ». Je ne vous reproche rien, mais je
vous demande de voir le positif et non le négatif ». E. en effet s'est enfuie toute
une nuit parce que son père l'avait battue. Elle me l'a raconté dans plusieurs textes,
elle écrit beaucoup, elle a de graves problèmes affectifs. Dès la 6e elle a essayé de
reporter son affection sur certains profs... mais elle m'a avoué un jour qu'elle s'était
aperçue que les profs qu'elle aimait se moquaient d'elle. Certains de ses textes sont
bien sombres. J'essaie de répondre car je sais qu'elle attend une réponse. Ils attendent
tous ma réponse, je m'en rends compte quand je rends les cahiers : ils se précipitent
pour regarder ce que j'ai écrit. J'essaie de ne pas trop dramatiser, je bondis sur la
plus petite phrase optimiste... TEMOIGNAGE n° 5 Les mamans... Cette année, nos trois sixièmes
éclatent en ateliers de français 2 h. par semaine : les classes de J., M. et moi. Pendant ces deux heures, les
gosses ont deux ou trois profs de français selon nos déplacements. Le reste de l'horaire
dans cette discipline ramène chacun et chacune à son prof habituel. Lors d'un mini-bilan, J. me dit :
« Tiens, cette année je n'ai pas eu de lapsus « Maman » pour
« Madame » ? Est-ce que tu crois que ça vient de notre manière de
fonctionner cette année ? » A la réflexion je constate cette même absence
dans ma 6e attitrée. Par contre quelques filles me tutoient et m'appellent par mon
prénom. Sommes-nous du fait d'un travail
en équipe côté profs relativisées sur le plan affectif ? Il n'y a pas une cible unique
sur laquelle transférer un fantasme filial mais trois, en même temps. On n'a pas trois
mères. Apparemment cela élimine la Mère. Observation à poursuivre l'an prochain.
Peut-être avons-nous été moins protectrices, moins propriétaires de nos classes. La
structure de fonctionnement habituelle éclatant, un certain type de transfert se fait-il
plus rare ? TEMOIGNAGE n° 6 Je n'ai jamais voulu, (et je ne
pense pas l'avoir jamais fait), jouer le rôle de la mère. Il n'empêche que quand
quelque chose va mal pour eux et que nulle part (et surtout pas auprès de la famille) ils
ne peuvent trouver de l'aide c'est à nous qu'ils s'adressent. Si nous sommes un secours,
peut-être le dernier, au nom de quoi le leur refuser ? Mon problème à moi est ce que je
dois faire, comment, pour aider une de mes élèves16 ans qui se retrouve enceinte et
n'attend d'aide que de moi. Elle m'en a informé en me demandant surtout de n'en rien dire
à ses maîtres (mes anciens collègues). Devant une pareille situation on ne peut rester
indifférent (le père est mort tué par l'alcool, la mère est dans un état, je dirais
presque de léthargie). Ce n'est pas de savoir si je joue
ou non le rôle de la mère qui me préoccupe, ce qui m'inquiète, c'est que je me demande
si je n'aurais pas dû agir plus tôt. Mais comment ? ... Elle était prête à travailler,
je l'aurais aidée à trouver une place... Seulement, voilà, notre société est si bien
faite que dès qu'elle a eu vu le médecin, le juge pour enfants a pensé qu'il était
temps de s'occuper d'elle... On l'a poussée au choix de la solution la plus avilissante :
la maison maternelle où elle est
prisonnière, dépersonnalisée. Il a fallu que je force presque la
porte pour pouvoir la voir (parce que je n'arrivais pas au moment prévu pour la visite).
Je l'ai trouvée en uniforme, avec les pensées « des autres ». Et avec seulement un prénom. Si je lui écris je n'ai pas
« le droit » de mettre son nom, ou la lettre ne lui arrivera pas. Voilà ce
que font la société, la famille, nous. Que puis-je faire ? TEMOIGNAGE n° 7 J. ou le droit à la colère. J. est en 6e, très doué sur le
plan verbal. Il a un physique de bébé monté en graine, des yeux ronds derrière des
lunettes rondes. C'est un as pour prendre la parole et la garder : « Chez moi je
n'ai pas souvent l'autorisation de parler alors je me rattrape à l'école ». Mais
il sait aussi très bien écouter les autres qui ne l'aiment pas beaucoup et l'appellent
« Boudin » par déformation de son nom de famille. Depuis deux mois J. me doit un
livre. Il oublie... Je le relance (il n'est pas d'une
famille nécessiteuse). -Je vous ai déjà payé ! -Non ! -Mais si... -Mais non ! Ping-pong. Et il se lève, rouge. Il tape sur
son bureau, trépigne, lance ses livres à travers la classe. Menaces en direction des
voisins. Il agresse C. aussitôt défendue par son amie, S.. P. m'attrape la main :
« Madame, j'ai peur, j'ai le cur qui bat fort, empêchez-le ! ». Je n'en
mène pas large non plus, je crains les blessures. J'articule quand même : « Tu as
le droit de faire une colère mais tu ne m'as pas payé le livre ». J. finit par se
calmer et nous reprenons un débat interrompu. J'observe les minois. Même les
« durs » semblent bouleversés. Je perçois des regards incertains dans ma
direction. Le lendemain : J. est décontracté. Je lui
demande : - Dis-nous, est-ce que tu piques
des colères chez toi ? - Oh non ! Qu'est-ce que je
prendrais ! Les autres donnent leur vécu en
la matière. Le soir j'apprends par une collègue qu'hier J. pleurait (avant la colère)
parce qu'il avait perdu de l'argent et craignait d'être puni par sa mère et que de toute
façon ses parents allaient divorcer... Nous apprenons aussi qu'à la
sortie du C.E.S. le soir de sa colère, il sétait fait donner une raclée par
quelques camarades. L'ont-ils puni parce qu'il avait
osé ? Ont-ils jugé que décidément, il en faisait trop ? 28 juin Les gamins organisent des jeux :
« On va vous jouer les cours et vous devrez deviner qui c'est le prof,
Madame ». Ils vont comploter dans la pièce
voisine et reviennent en rigolant. L'enfant qui joue le prof les fait s'asseoir. Je
comprends vite qu'il s'agit du prof de musique. M. se penche vers J. et je l'entends qui
chuchote : « Fais donc une colère
! ». J. se lève et répète le scénario. Cette fois il a un large sourire
: plus de grimaces ni de pleurs. Tout le monde rit. TEMOIGNAGE n° 8 Souvent, quand j'arrive près des
enfants, l'un d'entre eux, le plus souvent une fille, me dit : « Vous êtes belle
! ». Généralement, c'est à cause d'un détail d'habillement ou de coiffure qui
est modifié (si je mets une jupe alors que je suis toujours en pantalon, par exemple).
Cette réflexion me gêne toujours et je ne sais pas quoi dire. Je réagis à chaque fois,
soit en disant simplement « pourquoi », soit « pas
spécialement », ou rien du tout, juste un sourire. Pourquoi cela me gêne-t-il ?
Parce que je le ressens comme une admiration inconditionnelle qui ne me semble pas
libérante pour les enfants. Cela me fait plaisir lorsque je sens la sincérité profonde
de l'enfant, et rien d'autre. J'ai toujours peur de l'envie ou de l'amertume, car cela
m'attriste, et c'est pourquoi je ne m'habille jamais avec trop de coquetterie ou de
recherche. Lorsque je suis venue cet hiver
avec un manteau bordé de fourrure, plusieurs sont venus la caresser, en particulier un
garçon assez fier, de la part de qui cela m'a étonnée. Lui, ne s'est d'ailleurs pas
contenté de caresser, il a plutôt joué avec le pan de mon manteau. Une autre n'osait
pas et visiblement en avait envie : je l'ai encouragée. Il ne me semblait pas juste
qu'elle soit frustrée de ce plaisir. * ** Un enfant de 6e (transition) a
commencé à travailler lorsqu'il m'a sentie plus près de lui physiquement, ce que j'ai
fait volontairement. Je l'ai pressenti inconsciemment. Garçon très perturbé
affectivement (mère seule avec neuf enfants), ayant des relations très difficiles avec
les camarades de la classe, aimant les agacer, les faire suer surtout lorsqu'ils sont bien
occupés par leur travail, perturbant la classe. Il s'est mis à me rendre des dessins, à
écrire la lettre pour son correspondant anglais, à mettre son travail sur la
correspondance à jour. Un matin sa photo m'a été donnée par son frère jumeau (dans la
même classe) en me disant : « C'est J. qui vous la donne ». La photo, en
couleur, prise dans la cour de l'école, était chiffonnée, ce qui m'a fait imaginer une
bagarre entre les deux frères (comme il y en a souvent sous mes yeux). Depuis ce
moment-là, je crois, J. a cessé de travailler. C'est après coup que j'ai cru comprendre
le petit drame de fierté qui a dû se jouer. J'ai d'abord pensé que je m'occupais moins
de lui, donc que c'était ma faute ; mais dès que j'insistais un peu l'effet était
contraire, et il se butait davantage. * ** Une fillette de 5e, que j'ai eue
en 6e, s'est épanouie en deux ans, a pris de l'assurance et même a réussi à faire
changer l'opinion de la classe vis-à-vis d'elle. Quelle est ma part dans cet épanouissement ? Au début de la 6e, les autres se
moquaient d'elle dès qu'elle ouvrait la bouche si bien qu'elle bafouillait et disait
aussi des sottises ; plus elle s'enferrait, plus les autres se moquaient. Je me souviens
m'être fâchée contre cela aussitôt, et à chaque fois je l'encourageais (car elle
demandait la parole) et même je la valorisais (presque plus que normal quelquefois),
quand elle avait dit quelque chose d'intéressant ou de juste. Avec les autres professeurs, elle
était plutôt considérée comme « faible » et « sans moyens »...
Cette année, on lui reconnaît de l'intelligence, de la mémoire et du sérieux. Je dois
maintenant dire ceci : elle était visiblement en recherche affective. Elle était ce
qu'on appelle « collante », toujours près de moi à me demander quelque chose
et n'entreprenait rien sans mon accord. J'ai dû la houspiller et à la fin de cette
deuxième année, elle avait acquis autonomie et initiative. Pendant la 6e, elle m'avait
envoyé deux lettres anonymes, chez moi, me disant peu de choses, mais montrant bien sa
quête. Après la seconde (lorsque je fus certaine que c'était elle, grâce à
l'écriture), je lui ai simplement fait comprendre que je le savais... Elle n'a pas
continué. Cette année, en juin, elle a
posé une enveloppe sur le bureau et elle me l'a dit. J'ai eu une inquiétude, j'ai cru un
instant qu'elle « régressait », mais elle s'était associée à une camarade
pour m'écrire un message codé. C'était donc un jeu de fin d'année surtout qu'elles
terminaient par « Vive les vacances ! ». J'étais donc rassurée. TEMOIGNAGE n° 9 Les vacances de Pâques sont
finies. K. vient d'arriver dans ma classe de 6e. Sur la fiche de renseignements que je lui
demande de remplir, elle indique la profession de son père qui est décédé depuis
quelque temps déjà. Très vite elle cherche, non à
s'intégrer à l'équipe à laquelle elle participe, mais à faire appel à moi pour des
demandes d'explication lorsqu'elle ne comprend pas. Il semble qu'elle éprouve des
difficultés de compréhension et cherche plus à travailler seule avec mon aide qu'avec
la participation de ses camarades. Le conseil de classe prononce :
« trop de lacunes » ; « des difficultés de compréhension » ;
« manque de maturité » ; .. K... doit redoubler la classe de 6e. * ** Un an plus tard, je retrouve K. en
5e. Très vite, avec deux camarades, elle forme une équipe. Fin décembre, un sociogramme
montrera que l'équipe est très soudée sur le plan relationnel. A tous les cours K. m'appelle pour
me demander des explications car elle est en désaccord avec ses camarades. Elle est peu
disposée à écouter, à tenir compte de leurs remarques ni des miennes d'ailleurs. Je
suis très étonné de la nature des questions qu'elle pose et des problèmes qu'elle
soulève. La difficulté pour moi est de comprendre ce qu'elle ne comprend pas. Je
constate rapidement que répondre à la question posée ne résout en rien ce qui semble
lui faire problème. Même si les exercices proposés
sont résolus correctement, elle éprouve le besoin de faire appel à moi. « Ce
n'est pas normal que cela soit ça », « cela ne peut être comme ça »,
« ce n'est pas possible » ... « je ne comprends pas ».Point
final ! Derrière toutes ses questions toujours les mêmes, qui reviennent sans cesse n'y
aurait-il pas une autre demande, plus profonde, plus formulée ? Je m'aperçois finalement qu'elle
a une bonne compréhension des situations qui sont étudiées mais elle n'arrive pas à
accepter les règles qui sont données comme point de départ. Sans cesse, elle conteste
les règles de jeu que nous choisissons. Les raisonnements, les
différentes étapes d'un calcul ne lui posent pas de difficultés mais elle en revient
toujours au point de départ qu'elle ne peut accepter. Le premier pas nécessaire n'a pu
être fait : celui de l'acceptation de la règle, l'acceptation de la loi - Loi ( ?). Les
difficultés rencontrées par K. semblent relever davantage d'un blocage d'ordre affectif
(problème soulevé par la nature même des mathématiques et la nature de la relation
qu'un sujet peut entretenir à ce type de savoir) qu'à un simple problème d'ordre
cognitif. * ** Lors de l'étude d'une relation de
lien verbal : « ... est le fils ou la fille de... » dans un ensemble de
personnes, de nouvelles discussions apparaissent entre K. et ses camarades. Elle m'appelle
pour résoudre les différends. Dans la représentation graphique de cette relation K.
n'établissait des liens qu'entre les enfants et leur père. Sur cet exemple dont l'étude
mathématique paraît triviale, l'erreur commise par K. ne traduit-elle pas d'une manière
criante ce qui lui fait problème ? Les explications que je tente de lui fournir restent
sans effet. Elle finit par conclure : « Mais on descend plus de son père que de sa
mère ». C'est avec beaucoup de soupirs et de roulements d'yeux qu'elle
« accepta » la solution. * ** Sa maman, inquiète, me contacte
pour me demander des leçons à K. et d'une manière plus générale ce que je pense
d'elle. J'essaie de lui expliquer comment je perçois les difficultés qu'éprouve sa
fille. Sa maman m'informe que la
situation à la maison devient impossible. Depuis quelque temps K. harcèle sa maman pour
qu'elle lui fasse donner des leçons de mathématiques, sous prétexte qu'elle ne comprend
pas, qu'elle n'y arrive pas toute seule... Elle me rappelle sa situation de famille et me
parle de K. A la suite de la mort de son père sa fille avait suivi une psychothérapie et
il était apparu qu'au niveau inconscient, elle tenait sa mère pour responsable de la
mort de son père. Elle m'explique ce qu'elle semble saisir de la relation privilégiée
que sa fille cherche à entretenir avec moi. Elle est très émue, et je ne sais plus
très bien que faire. Je passerai voir K. pendant les vacances de Pâques. * ** K. m'attend avec son classeur et
de quoi travailler. Après une petite discussion, la maman propose de se retirer pour nous
laisser travailler. Je lui demande de rester. Dans un premier temps, je lui demande ce
qu'elle ne comprend pas. Sur des exemples précis, je l'amène à constater qu'elle n'a
pas de lacunes, ni de difficultés de compréhension puisque c'est elle-même qui me
fournit les explications. K. ne pourra plus ressortir le scénario quotidien à sa maman.
Petit à petit, la conversation glisse vers d'autres problèmes : son attitude, la
nécessité de faire un effort pour écouter les autres et de chercher à les entendre.
J'insiste sur le travail d'équipe. * ** L'année scolaire s'achève sur
des progrès scolaires de K. en mathématiques. TEMOIGNAGE n° 10 J'ai eu à résoudre deux genres
de problèmes qui sont tous deux l'expression d'un état que j'ai ressenti plus
particulièrement depuis quelques années et qui fait que, garçon ou fille, un adolescent
est un quêteur d'affection à haute dose comme si existait là une carence monumentale au
sein de la famille. Et cette quête d'affection je l'ai rencontrée soit · dans les relations entre eux · dans les relations avec moi. l) La quête affective dans leurs
relations a) il s'agit de gars et de filles
qui vivent en expression libre depuis la 6e, ensemble. Là tout se passe apparemment de
façon très claire entre eux et les liens sont très solides soit entre filles, soit
entre garçons, soit entre fille et garçon. Disons que dans ce dernier cas il y a dans
leurs rapports beaucoup de vérité, d'honnêteté, de respect. Quand ils en arrivent aux
relations véritablement amoureuses, pas de problèmes sauf la question sexuelle qui
arrive nette et franche et à laquelle je réponds tel que je suis. Je ne refuse aucune
question, aucun problème. Bizarrement sûr de moi actuellement, je me sens prêt à faire
face à tout, à me battre. Je sais qu'on peut me casser les reins, qu'on peut m'empêcher
d'être ce que je veux être, que l'administration veille, que les parents surveillent...
mais ai-je le droit de refuser un peu d'amour parce que je crains pour ma classe ? b) il s'agit de gars ou de filles
qui arrivent d'ailleurs avec tout leur bagage de matraquage car en général ils viennent
à D. parce que cela n'a pas été ailleurs, ou parce qu'un toubib psycho les envoie là.
Ils sont déjà chargés d'un énorme potentiel agressif. Et là tout va vite très mal.
Cette année, en 4e, deux garçons ont réussi à embobiner une de mes filles dont je
parlerai par ailleurs. Elle, candide, s'est lancée et a bien failli se laisser prendre.
Mais quand elle a su ce qu'il en était (ils avaient parié que l'un ou l'autre l'aurait
le premier) cela a été pour elle un véritable écroulement et actuellement tout
doucement elle revient au jour mais elle est marquée. Je dis ceci, non pas parce que le
fait est essentiel en lui-même, non, mais parce que cela me fait découvrir des relations
que je ne voyais pas et me fait préparer une prise de conscience de la classe sur ce
problème. Mais pourquoi aussi en sommes-nous arrivés là ? Ai-je été assez lucide ?
Ai-je assez donné ? J'apprends aussi, s'il en était besoin, la fragilité des ados et
l'influence de toute la saloperie qui court les rues. Nous allons repartir, c'est sûr,
mais c'est difficile. c) cette quête affective se
traduit aussi par l'agressivité entre eux et envers moi, la jalousie, etc. J'ai une
petite D. hypersensible qui régulièrement me passe un savon... injures... etc. parce que
je nai pas su moccuper d'elle, que je n'ai pas bien écouté sa chanson...
Chaque semaine elle est amoureuse et en fait un vrai drame. Une affectivité en dents de
scie qui provoque des conflits... terribles,
des bagarres mêmes ! Et mon attitude là-dedans ? Je suis souvent bien ennuyé mais je
réagis tel que je suis, c'est-à-dire sans trop calculer mais sans me laisser aller à
mes impulsions car c'est si vite arrivé une blessure ! d) actuellement, en 3e, j'ai une
grande fille très belle, très chaleureuse et trois garçons un peu livrés à
eux-mêmes, mûrs de certaines expériences douteuses qui tournent comme des mouches
autour... Les réactions se font vives... Gifles... Il a fallu que j'intervienne et que je
fasse prendre conscience. Nous avons décidé d'en parler sérieusement et de faire appel
à tous ceux qui pourraient nous aider. Nous
en sommes là... e) en 3e encore quelques grandes
filles ont à l'extérieur des activités extra-scolaires et nagent dans la vulgarité.
Elles rapportent ces relents en classe... ça barde... moi je ne veux pas qu'on les juge,
qu'on les condamne et quand M.N. m'a écrit, là aussi, un texte impersonnel où elle
décrit des orgies (auxquelles elle participe) bien qu'elle juge celle dont elle parle
très violemment... que faire ? Et puis il y a tant d'autres choses... J'arrive parfois à
être dépassé mais toujours je veux être là quand on a besoin de moi... 2) La quête affective vis-à-vis
de moi Tout d'abord une remarque
générale que ce soit fille ou garçon ils ont besoin de la même sollicitude, de la
même attention, la même affection et ceci à un degré très élevé. Cette année, D. a
nourri pour moi une affection profonde qu'elle m'exprimait dans ses textes. Au début fout
était caché sous un symbole (le soleil) et puis au fur et à mesure que la confiance
s'est développée, le symbole a été abandonné... J'ai tout accueilli, tout accepté
avec le plus d'affection possible, parce qu'il s'agissait bien d'apporter, c'était une
quête... D. est une fille intelligente, j'ai laissé faire, laissé grandir, mûrir,
toujours présent, attentif, sans rien exiger, sans rien dire. Accueillir sans juger.
C'est elle qui a peu à peu dépassé cela mais le vide affectif n'était pas comblé
puisqu'elle s'est lancée à corps perdu vers deux garçons. Mais elle m'avait beaucoup
parlé d'elle, de son corps, de ce qu'elle ressentait, elle voulait que je lui explique.
C'est elle qui a pris la décision de parler devant les autres de tout cela parce qu'il
faut assainir. Mais tous sont-ils prêts à recevoir ? Toutes ces expériences
personnelles ne se sont pas terminées de la sorte et ce n'est pas facile d'être dans ces
cas-là. TEMOIGNAGE n° 11 Tous ces témoignages trouvent des échos chez moi, dans mon expérience passée et présente, avec une tonalité forcément différente puisque je suis femme, puisque nous sommes deux, mon mari et moi, à être profondément engagés avec eux. Des crises de jalousie, j'en ai
eues de multiples, mon mari en a eues aussi. Cette année, l'arrivée de huit nouveaux
dans une classe dont je devais m'occuper sans arrêt m'a valu de graves confidences
d'abandon, de désintérêt etc. Grâce aux échanges individuels sur les plans de
travail, j'ai compensé ; ils m'ont aidée après à assumer les autres. Des poèmes qui m'étaient
dédiés, j'en ai eus de gars, de filles... Je me rappelle la fin de l'un d'eux : « J'étais trop jeune pour
savoir l'aimer ». Le travail quotidien a aplani ces
crises lentement ; je n'ai rien fui. J'ai continué à être moi-même, parlant de moi
parfois, de mes enfants. Des révélations de cauchemars intérieurs, familiaux,
personnels.. une bonne provision ! J'ai toujours écouté, dépanné, offert la maison
quand il le fallait, secoué parfois quand le repliement était trop dangereux. Ce mois-ci
c'est S. dont le frère, après un cambriolage, a fui avec deux autres copains... S.
prostrée, accablée par les autres profs puisqu'elle refusait de travailler. Elle m'a
tout dit, je l'ai délivrée, rassurée, conseillée... J'ai offert un abri au besoin j'ai
expliqué aux autres profs... ça évolue. C'est A. qui me donne ce texte que je découvre
à la veillée : « Il est là en moi plein de vie Je l'attends. Il sera ma joie, ma
raison de vivre, ma volonté, ma douleur. Il sera ma tristesse, mon bonheur, ma faiblesse,
mon courage. Il est là en moi, je l'entends ; je l'attends. Imaginer, le bonheur de
donner la vie, d'aimer et surtout d'avoir quelqu'un à soi, rien qu'à soi. Lui, ce
bébé, il est là en moi, plein de vie. Je l'attends. Et lorsqu'il sera là, le paradis
en personne m'habitera et m'accompagnera sans cesse ». Dès le lendemain, je m'informe
discrètement : est-elle enceinte ? Que se passe-t-il ? Que veut-elle? Elle dit simplement que le temps
lui tarde d'en avoir un, à elle. Avec les filles, on peut tout se dire car elles ont une
maturité de femme à 80 %. C'est encore B. qui depuis
plusieurs mois vit douloureusement le passage à l'athéisme. Il en a discuté avec ceux
qui ont le plus d'affinité avec lui, et avec moi. Cette prise de conscience-là a
toujours bouleversé tous les ados qui l'ont vécue quand j'étais avec eux. J'ai eu des
filles, en 3e spéciale qui avaient eu des expériences sexuelles. Je me rappelle surtout
L. qui fréquentait, sans aucune information contraceptive, un homme marié dénué de
scrupules vis-à-vis d'elle. Il a fallu lui ouvrir les yeux prudemment, attendre qu'elle
comprenne. Elle est mariée maintenant avec un gars de son âge et je n'oublierai pas son
visage radieux quand elle est venue nous montrer son bébé qui venait de naître, dans
une troisième nouvelle que j'avais. « L'école...
est le lieu du premier apprentissage relationnel sur le plan social. Et l'on sait
l'importance éducative des relations affectives élèves-maîtres et des relations entre
élèves... » « On
admet aujourd'hui qu'à côté de l'éducation intellectuelle et physique, l'éducation
affective ne doit plus être négligée ». « Il
lui - à un enfant - faut une sensibilité épanouie et des aptitudes relationnelles lui
permettant de se servir de ses capacités physiques et intellectuelles ». « Ce
que la sensibilité humaine demande, ce n'est pas en effet la satisfaction d'un besoin,
c'est une relation avec autrui : c'est-à-dire un dialogue et un échange ». « La
qualité du maître qui apparaît la plus essentielle est la SYMPATHIE pour les élèves.
C'est-à-dire sa DISPONIBILITE AFFECTIVE POSITIVE ». « Le
bon maître ainsi défini, par sa disponibilité affective ouvre à l'élève la voie à
l'identification. Il est le modèle adulte vers lequel tend le développement de l'enfant.
Or en pédagogie scolaire, G. MAUCO « Psychanalyse
et Education » Ed. Aubier
Montaigne. TEMOIGNAGE n° 12 Ce qui suit rassemble des textes
libres obtenus au long de l'année scolaire 1971-72, dans une école normale
d'institutrices, en formation professionnelle première année, ainsi que les commentaires
du professeur. Voici une partie de l'introduction de ce dernier : « Je m'aperçois que c'est
une excellente illustration de ce que je soutiens par ailleurs comme étant la fonction
essentielle du texte libre : libérer, par l'expression, pour arriver à dire
l'instinctif, l'impulsif, et ceci au prix d'une violence de la part du maître, violence
destinée à briser les interdits accumulés par toutes les instances répressives (dites
éducatives : parents, enseignants, autorités religieuses, conformisme idéologique des
mass media, etc. : on est civilisé quand on est bien réprimé !). Il faut dire que
c'était la première fois que je m'adressais à des adolescentes ». * ** Extrait
du troisième texte de D. : « Le plus monstrueux à mes
yeux c'est l'attitude des gens quand on essaie d'avoir des relations humaines avec eux.
Ils ne comprennent pas et dénoncent tout de suite une atteinte à l'intégralité de leur
intimité ». Commentaire du prof, en marge : Je suis d'accord avec toi. Opinion d
'individu, non de prof ! Extrait du quatrième texte de
D : « J'ai toujours eu peur des
autres et surtout de leurs réactions vis-à-vis de moi-même. Même les personnes les
plus proches n'ont jamais pu me mettre en confiance, que cela soit mes parents ou bien mes
frères et surs. J'ai toujours peur qu'on se moque de moi et cela me paralyse. Cela
se situe aussi bien au niveau de l'action qu'au niveau des idées. Il y a beaucoup de
choses que j'aimerais faire ou dire et que je ne fais pas à cause de cela. En fait, dans
mes relations avec autrui, je me place dans un rapport de dominée à dominateur. Je me
sens souvent inférieure aux autres. D'autre part, j'ai beaucoup de mal à m'exprimer
devant les personnes qui ne me sont pas familières. Il faut absolument que le côté
affectif entre en jeu ». * ** Le 20 avril c'est l'anniversaire
de D.. A cette occasion elle a invité une trentaine de personnes pour un lunch ; chaque
invité trouve dans son assiette une lettre personnelle et un poème d'auteur
calligraphié à la manière des manuscrits gothiques. Pour ma part, j'ai droit à Soleil
couchant de Verlaine. Quant à la lettre : « Tu répètes à qui veut
l'entendre que tu agis de façon à provoquer une réaction chez les autres. C'est une
façon comme une autre d'essayer de connaître les gens. Mais je la trouve dangereuse pour
tes victimes. Tu sais fort bien que vis-à-vis de toi on ne peut avoir que deux attitudes.
Je ne ferai que te citer : une attitude d'aversion ou une attitude amoureuse. Tu sais fort
bien que tu es souvent le sujet de conversation de beaucoup de filles et je me doute bien
que cela te flatte. Ton attitude m'a amenée à me poser beaucoup de questions sur
moi-même et sur mes relations avec autrui. Cela m'a permis d'y voir plus clair mais cela
ne s'est pas fait sans mal. Tu attendais, cela un jour, n'est-ce pas, qu'on te parle de
ton attitude. Je ne regrette qu'une chose, c'est que nous en parlions derrière toi et non
avec toi. Je trouve que ton attitude est incomplète : tu provoques les gens mais tu
t'arrêtes là. Tu veux bien connaître les gens mais tu refuses de t'engager toi-même.
Or, pour moi, la connaissance des autres entraîne un engagement de sa part. Sinon c'est
trop facile ! On provoque quelqu'un puis on le laisse se débattre. Il est bon de se
débattre seul mais il y en a qui n'en sont pas capables. D'autre part, on se pose des
questions en fonction de toi-même, tu en es le centre. Je parle évidemment pour moi mais
à travers les discussions que j'ai eues avec des filles, je peux sans trop m'avancer dire
que ce n'est pas seulement un cas personnel. On dirait que tu cherches à entrer dans la
vie des autres et y rester, de peur de rester dans l'incognito, indifférent pour les
autres. (...) Tu es un prof mais tu n'es jamais bien défini. On ne sait jamais si on doit
te considérer en tant que tel, ou bien comme individu. (...) Tu sais, ce qui me ferait
plaisir ? Ce serait que tu me répondes par une lettre. Mais c'est peut-être trop te
demander car ce serait une façon de t'engager et je sais que tu n'aimes pas cela. » Je n'ai pas répondu à cette
lettre par une lettre, bien que certains passages volontairement provocateurs, notamment ceux qui me prêtent
certaines opinions ou certains propos, fussent bien faits pour entraîner une réponse.
Mais il n'était pas question, pour moi, d'établir une relation duelle, excluant la
classe, à propos de quoi que ce soit. * ** Aussi, quelques temps après, y
eut-il un nouveau texte titré : Sur le texte libre. Ce texte fut lu en classe et provoqua
des réactions. Notamment plusieurs filles suivant l'exemple de D. se livrèrent un peu
face à la classe, conscientes du fait que le climat souvent tendu du groupe dépendait de
cette défiance collective. Voici des extraits de ce texte. « J'ai envie de dire ce que
m'a apporté le texte libre. Cela me permettra de répondre aux questions posées par
certaines filles de la classe. On m'a demandé pourquoi j'adressai toujours mes textes à
C. D'autres m'ont dit que le fait que cela soit lui, le prof de français, me motivait
pour écrire des textes ». Ici, annotation du prof, en marge
: J'ajouterai une question : Pourquoi dans tes textes t'adresses-tu à moi en parlant à
la troisième personne ? Parce que ça a une portée plus générale ? * ** « (...) Ecrire me permet de
mieux structurer ma pensée. Là j'aborde les côtés positifs du texte libre. Depuis que
j'écris, je vois plus clair en moi-même. J'apprends à me connaître en écrivant. Dans
les textes que j'ai faits jusqu'à présent, je parlais surtout de moi-même et de mes
difficultés. Ici, annotation du prof, en marge : C'est exact, c'est
pourquoi la portée est plus grande encore quand on s'adresse à un groupe. Avec un seul
individu on peut encore tricher en se conformant à l'image qu'il a de vous. Avec un
groupe, non. Trop varié. * ** « (...)
Par le texte libre j'ai voulu rechercher le dialogue, or j'ai l'impression de monologuer.
Nul doute que les annotations qu'il me met sur mes textes libres sont très justes mais il
me semble que cela m'apporterait plus si on débouchait sur une discussion. J'ai
l'impression qu'il n'y a que moi qui me remette en cause et qui m'engage en tant
qu'individu. Et cela m'ennuie. (...) A partir du moment où l'on s'engage sur le plan
individuel, doit-on, peut-on, attendre des autres la même chose ? ». Annotation du prof :
Non, ce n'est pas un marché ni une transaction commerciale. S'engager sur le plan
individuel c'est tout simplement s'affirmer comme individu unique parmi d'autres individus uniques. Ça ne présuppose par des
réactions d'autrui. Et C. ajoute, en fin de texte : « Je me situe dans un rapport
pédagogique, c'est-à-dire dans lequel j'envisage un travail globalement avec un groupe,
mais multiplié par les originalités caractérielles de chaque individu. Ce n'est pas,
pour moi, un rapport prof/élève, c'est un rapport inter-groupe, groupe dont je fais
partie mais ce n'est pas non plus un rapport individuel car, dès lors, ce serait de
l'ordre de l'intimité (vouloir connaître l'autre parce qu'il vous plaît par exemple) et
non pas de l'ordre de la découverte de soi-même. » * ** Extrait du 6e texte de D. : « Mercredi matin nous sommes
partis en promenade. Tout de suite, cela a pris un air de vacances. Il faisait beau et
cela changeait de l'habitude. Dès le début, la classe s'est divisée en plusieurs
groupes. Le plus important se trouvait autour de C., il changeait selon ses déplacements
mais il y avait certains facteurs de ce groupe qui étaient constants... Les filles se
groupaient par affinité et autour d'un personnage central : C. Il était
incontestablement le point de mire de beaucoup d'entre nous ». Annotation du prof :
Peux-tu m'expliquer ce point de vue ? Point de mire pour quelle raison ? En tant que
maître ? Qu'homme ? Que parleur ? etc. * ** Dans le texte suivant D. répond : « Il y a une chose chez toi
qui me casse les pieds : tu fais semblant parfois de ne pas comprendre ce qu'on te dit par
pur plaisir de nous faire préciser. (...) Ce point de vue, je ne sais pas comment
l'expliquer ; c'est une constatation. Tu étais le personnage central et je serais
nullement surprise si tu me disais que cela te plaisait assez. Je crois que, pour moi, ce
qui m'attirait le plus, c'est l'homme parleur. Ces deux aspects sont très liés. Que
veux-tu, des comme toi, on n'en rencontre pas à chaque coin de rue ! Pouvoir te dire
exactement lequel des aspects m'attire le plus chez toi, c'est assez difficile. Remarque,
si cela peut te faire plaisir, je veux bien te faire un tableau décroissant : 1) L'homme : sur le plan physique
comme sur le plan intellectuel. 2) Le parleur : quoique tu me
donnes souvent l'impression que tu joues un personnage. Je ne saurais te dire pourquoi,
mais il me semble, que tout exhibitionniste que tu sois, tu ne nous as jamais montré le
vrai C. 3) Le prof. Tout cela est très confus et
difficile à vraiment bien analyser. Du moins, j'y renonce ». C. commentait ce texte ainsi :
« A plusieurs reprises j'ai constaté que tu employais cette expression : « être au centre ». Tout
se passe comme s'il n'y avait que deux possibilités : être au centre ou être ignoré,
rejeté, rien. Je sais bien que cela fait partie de l'idéologie ambiante : si on est au
centre, les journaux, la radio, la T.V. parlent de soi. Sinon nous sommes ignorés, donc inexistants. Mais c'est peut-être contre quoi il
faut lutter : arriver à être soi, à l'écart, sans attendre que ce soit le regard
d'autrui qui nous construise ». Il n'y eut pas d'autre texte libre mais, à la fin
de l'année, juste avant son départ, D. m'offrit un recueil de poèmes qu'elle avait
écrits pour moi. En voici un : PRETEXTE Que de rêves ébauchés SUBLIMATION ? TEMOIGNAGE n° 13 Moi, j'en ai marre de toujours
entendre parler de l'affectivité des élèves, des désirs des élèves et jamais de ceux
des profs... Pourquoi ne serions-nous jamais que l'objet de sollicitations plus ou moins
acceptées, reconnues ; pourquoi n'aurions-nous pas nous aussi des demandes, des désirs ? Si l'on dénonce l'hypocrisie de
la neutralité pédagogique ou politique, alors, il faut dénoncer la première
neutralité, qui est neutralisation des corps. L'idée n'est pas de moi, mais de R.
Schérer. Formule un peu facile, la vivre est plus compliqué. Je pense à B. isolé dans
le groupe de stagiaires, en recyclage, parce que trop provocateur, trop contestataire.
C'était ma première année d'enseignement à l'E.N., c'était ma première année
d'enseignement tout court et je vivais assez mal le rôle de prof que je croyais devoir
jouer. Une complicité s'est instaurée entre nous au niveau de la contestation de
l'institution scolaire et de ses normes, complicité qui me permettait d'exister en tant
qu'individu et pas seulement en tant. que prof. Je me sentais isolée, moi aussi, dans une
ville où je débarquais, où je n'avais que des relations professionnelles et c'est B.
qui m'a permis de sortir d'une solitude intellectuelle et affective qui me pesait. B.
n'avait jamais eu de relations sexuelles avec une fille. Un défaut physique, conséquence
d'un accident lorsqu'il était gosse, était certainement à l'origine d'un comportement
très ambivalent à l'égard des filles, fait d'un mélange de provocation et de crainte.
Je ne crois pas trop me tromper en disant que notre relation lui a permis de s'assumer
physiquement et de vivre sa sexualité avec moins d'angoisse. Qu'est-ce qui s'est passé dans la
classe ? La relation privilégiée que j'avais avec une personne du groupe, n'a jamais
été explicitée, clairement affirmée, même si certains pouvaient l'avoir devinée ou
perçue. Je crois que c'est là un point important : si je veux qu'aux élèves se
substituent des personnes entières, il faut que moi aussi j'existe non pas seulement
comme prof, mais comme personne porteuse de désirs, d'attentes, de contradictions, sans
que j'aie pour autant à m'en justifier, ce qui impliquerait que ces désirs, ces
attentes, ces contradictions sont illicites.
|
III
|
IV
Pour tenter d'y
voir plus clair... POUR UN ENSEIGNEMENT GLOBAL,
L'EQUIPE PEDAGOGIQUE : Une des solutions avancées qui me
paraît la plus valable est celle de l'équipe pédagogique : -complémentarité des individus qui désacralise le personnage du « maître » et relativise son importance, ses qualités, ses défauts -complémentarité des tâches,
des matières permettant des valorisations diverses et nombreuses de l'adolescent -milieu de vie plus riche, outils
plus nombreux. Pour les adolescents, la
structure scolaire devient alors plus concrète, plus préhensible. Ils se sentent
participants au projet de l'équipe, ont mieux conscience des contraintes de
l'institution, de son fonctionnement. LA STRUCTURE DES ETABLISSEMENTS Il faudrait que les structures de
l'établissement deviennent plus humaines, plus permissives, que chacun à tous les
niveaux accepte le dialogue et la remise en question, que la liberté d'expression soit
permanente. Ainsi, peut-être arriverions-nous à relativiser les problèmes et à éviter
que ceux qui acceptent la discussion avec les adolescents soient perçus comme différents
des autres et deviennent, de façon souvent excessive, recours, modèles... DECODER LES MESSAGES DES
ADOLESCENTS Se défier des placages de bribes
freudiennes, lacaniennes etc, à tout propos qui permettent de se fabriquer des certitudes
à bon compte, au mépris des adolescents et des apports certains de la psychanalyse.
Seule une confrontation des expériences vécues par chacun, des comportements adaptés à
ces vécus, peut nous permettre de reconnaître les appels voilés, les questions, les
silences, les blocages, la signification des colères, des agressions, des refus, etc.
Ensemble, nous aurons une connaissance plus objective de ces manifestations, ce qui nous
permettra d'intervenir plus efficacement, plus rapidement. Nous ne faisons pas fi des
apports des sciences contemporaines, mais
sans une réflexion collective dans notre pratique quotidienne, ces outils d'analyse
restent pour nous une culture morte, un objet de luxe. Nous avons engagé et nous
engageons nos élèves à s'exprimer librement dans tous les domaines qu'ils jugent bons
et nous accueillons tous les tâtonnements de leurs démarches. Mais nous savons toutes
les limites qui parfois s'imposent à eux, à nous. Nous refusons de cacher les problèmes
que cela pose vis-à-vis d'eux, de nous, de l'extérieur : famille, administration,
société. Et nous nous battons pour que chacun reconnaisse cela, entende les cris, les
joies, les haines des adolescents jusqu'au paroxysme : « Si c'est ça la vie, je
préfère retourner
M.
CET Nous pensons que cette libération
de la parole peut leur permettre de ne pas franchir le seuil des actes irréversibles,
mais de vivre réellement leurs désirs, leurs révoltes, leurs élans avec moins
d'angoisse. Et vous ? Juillet 1975 Il suffit pour l'instant de dire
que chaque enfant, avant que l'endoctrinement familial ne dépasse un point de non-retour
et que l'endoctrinement scolaire ne commence, est, du moins en germe, un artiste, un
visionnaire, et un révolutionnaire. Comment retrouver ce potentiel perdu, comment
remonter le chemin qui mène du jeu réellement LUDIQUE, qui invente lui-même ses propres
règles, aux jeux RIDICULES et normaux qui ne sont que des comportements sociaux ? David COOPER-
Mort de la famille Ed. du Seuil. *********** |
Dans la mesure où la pagination
nous le permet, nous publierons, dorénavant, une partie ACTUALITES qui traitera de tout
ce qui se publie et peut se lire relatif à notre pédagogie. NB : L'ICEM-Freinet édite au
sein du chantier BTR un BulleTRin de travail auquel on peut s'abonner. Ecrire au
délégué départemental. Nous recevons d'Henri VRILLON CELESTIN FREINET OU LA PHILOSOPHIE DE L'EDUCATION Marianne Goose a analysé les
idées essentielles de C. Freinet dans un mémoire destiné à un examen d'études
supérieures. Elle retient comme intention générale « former des hommes libres et
heureux par un travail choisi et motivé ». Puis elle passe ensuite la revue des
principaux obstacles que rencontre l'éducateur en suivant cette voie : que ce soit
de la part de la famille, des camarades, du maître ou de la société. Très
objectivement elle rapporte le côté négatif de ce qui existe et le côté positif
proposé par Freinet face à chacun de ces secteurs. Très discrètement engagée, elle
veut prouver la partie constructive de la Pédagogie Freinet. Elle a apporté donc sa
contribution à ce jugement, par une enquête personnelle menée dans deux écoles de
Bruxelles où l'on pratique la pédagogie Freinet dans la mesure du possible. Après une
approche de compréhension, elle pose des questions aux enfants et recueille leurs
réponses au magnéto. Ce travail impressionna favorablement le jury, car il justifiait la
valeur des principes de la pédagogie Freinet. Enfin dans le dernier chapitre consacré à
« la culture » M. Goose essaie de dégager la philosophie de la pédagogie
Freinet. Tel que, ce mémoire ne peut pas aider les maîtres qui veulent appliquer cette
pédagogie, le sujet est abordé à partir de l'idée maîtresse citée au début ; puis
développé en une suite d'arguments bien ordonnés dans un langage à la fois clair et
prudent. L'auteur le reconnaît d'ailleurs. Néanmoins ceux qui voudraient faire un
exposé cohérent sur la question pourraient s'inspirer de sa solide logique. Il n'était pas possible dans ce
travail limité de noter toutes les ouvertures pratiquées par Freinet quant à la
démarche du pédagogue, on peut cependant faire une réserve sur l'essentiel. En face des
obstacles, Freinet observait, s'informait, réfléchissait puis décidait sans pouvoir
dire quelle était la part des suggestions et celle de l'intuition. Animé toujours par
une intention généreuse, il s'appuyait sur deux éléments : la puissance de la vie
pour aller de l'avant et le tâtonnement pour assurer sa position. Ces deux éléments qui
ne rentrent peut-être pas dans le cadre classique de la philosophie, déterminèrent sa
vie de bout en bout et firent de lui le Freinet de la Pédagogie. Cela est peut-être dû à la
situation de l'étudiante qui devait constamment éclairer la pédagogie Freinet à la
lumière de ses connaissances philosophiques sans se laisser entraîner par
l'enthousiasme. Or la pédagogie Freinet n'est pas seulement une méthode après une
autre : elle n'est concevable que dans une attitude face à la vie en vue de la
changer avec tout ce que cela entraîne d'affectivité, de volonté, de dépassement. * Après une citation de Freinet,
centrant l'école essentiellement sur l'enfant, l'auteur ajoute : il est donc question,
ici, des besoins de l'enfant et des besoins de la société. Mais, les deux sont-ils
compatibles ? D'après ce que nous avons vu jusqu'à présent, il semblerait que non. II
s'agirait plutôt d'une rupture totale entre l'école et la vie sociale. D'un côté, des
élèves ennuyés, ânonnant tous les mêmes refrains, soumis et passifs. De l'autre, une
société qui exige de ses travailleurs des qualités qui ne sont pas souvent reconnues à
l'école : dynamisme, esprit d'initiative et d'entreprise. On pourrait conclure à un
manque de continuité, à une cassure entre l'école et la vie professionnelle. * Alors, en quoi les écoles Freinet
sont-elles différentes ? « Nous avons appris à nos
enfants à s'exprimer librement, à éditer leurs journaux, à remplacer leurs besognes
conventionnelles et scolastiques par du véritable travail intelligent et profitable. Nous
habituons maintenant nos élèves à s'éduquer sur le plan des sociétés adultes basées
sur l'effort et la responsabilité communautaires ». (C. FREINET : Pour l'Ecole du
Peuple Maspéro édit.) Mais, le problème ne paraît pas résolu pour autant qu'on centre
l'enseignement sur l'enfant plutôt que sur la matière à enseigner : car, pour quelle
société l'école forme-t-elle l'enfant ? On parle d'adaptation à la vie sociale et
professionnelle mais les idées de Freinet sont en contradiction avec notre société
telle qu'elle existe. Peut-être, le problème se situe-t-il au niveau des qualités
exigées des travailleurs ; nous avons parlé de dynamisme et d'esprit d'initiative ;
il est nécessaire de préciser que ce sont là des qualités de cadres, des qualités
demandées à une certaine élite. Il n'est pas du tout question, à l'heure actuelle, de
« permettre » aux ouvriers de prendre des initiatives et de marquer leur
indépendance. Dans une classe, c'est pareil. Qu'un élève doué rue dans les brancards,
on fermera les yeux. Qu'un « cancre » le fasse, il sera puni et remis à sa
place. Au niveau de la classe Freinet, cela change : chacun a le droit de parole,
chacun est encouragé et aidé dans le développement de sa personnalité et ceci, dans le
respect de son individualité propre, tout en ne perdant pas de vue l'intérêt de la
communauté. Alors, peut-on dire que l'école Freinet prépare les enfants à entrer dans
la société actuelle ? Oui et non. Oui, en ce sens qu'on prépare les enfants à
avoir des qualités exigées dans certaines professions, qualités qui sont généralement
négligées dans les écoles plus traditionnelles. Non, en ce sens que ces professions
étant classées et hiérarchisées, il devient dangereux pour les fondations sociales,
politiques et économiques d'un pays tel que le nôtre de former des gens qui
réfléchissent trop et qui pourraient par conséquent, mettre ces fondations en danger.
On peut dire que l'école Freinet prépare les enfants à la société en ce sens qu'ils
sont plus proches de la vie quotidienne, par leurs enquêtes, leurs recherches, la
télévision, etc., et qu'il y a donc une liaison entre l'école et la vie mais, d'autre
part, ils n'y sont pas préparés, en ce sens que la société n'apporte pas aux enfants
ce qu'ils sont en droit d'attendre : un emploi stable, intéressant, où le facteur
social joue un rôle important. Ce problème se pose déjà au niveau du passage de
l'école primaire à l'école secondaire, c'est-à-dire, si un élève d'une classe
Freinet passe dans un lycée traditionnel ou même rénové et, ce problème sera donc
encore beaucoup plus crucial quand l'enfant entrera dans la vie professionnelle. Mais,
nous pouvons déjà tirer quelques conclusions : L'enfant a été heureux pendant ses
années scolaires, en travaillant librement, à son rythme et selon ses intérêts. On
peut espérer qu'il aura suffisamment de ressources personnelles et de richesses
intérieures pour faire face à n'importe quelle situation dans la vie. En plus, il a
été habitué à rechercher son épanouissement ; lorsque ce sera en contradiction
avec ce que la société attend de lui, il y a de fortes chances pour qu'il réagisse et
essaye de faire tourner la situation à son avantage et à celui de ceux qui sont dans son
cas. C'est probablement là que se situe une des conséquences politiques de
l'enseignement de Freinet : apprendre aux enfants qu'ils ont tous les mêmes droits, la
même chance à la vie et leur donner les moyens d'y arriver. Le rôle du maître est de
compenser les inégalités de départ (différence d'éducation, de milieu social,
d'instruction) pour faire prendre conscience à l'enfant du rôle qu'il a à jouer, de la
fonction qu'il peut remplir dans la communauté. Mais, une nouvelle question se pose
alors : ne risque-t-on pas de former uniquement des intellectuels, dès lors ?
Probablement pas, puisque dans les classes Freinet, le but n'est pas de pousser
l'éducation intellectuelle à tout prix, mais, surtout, de permettre un développement
harmonieux de l'enfant, c'est-à-dire, que le travail intellectuel, manuel, technique,
artistique feront partie de son éducation et cela sera dosé selon les désirs et les
possibilités de l'enfant. Mais alors, on court peut-être le risque de former des
travailleurs manuels qui auront suffisamment de liberté intérieure et de richesse pour
être heureux, indépendamment des circonstances extérieures ; ils pourraient, par
conséquent, ne pas chercher à changer l'esprit, les conditions et le contenu de leur
travail. Cela aussi semble pouvoir être évité, grâce à l'information qu'ils auront
reçue, grâce à l'habitude qu'ils auront acquise de faire un travail intéressant et
toujours lié, bien sûr, à l'intérêt général du groupe. En conclusion, nous pouvons
dire que l'école est une institution utilisée par le système économique, politique,
social et culturel, pour maintenir le système en place et même le renforcer. Il
semblerait donc qu'il y ait une opposition entre l'école telle que la souhaite Freinet,
et la société actuelle mais, les enseignants en sont conscients : « Nous ne
pouvons pratiquer pleinement la pédagogie Freinet dans cette société fondée sur le
profit et l'exploitation. Nous choisissons cependant de travailler à l'intérieur d'un
tel système pour prendre conscience des données du problème, à partir de nos
expériences, qu'il s'agisse de nos réussites ou de nos échecs, afin de promouvoir une
pédagogie véritablement populaire qu'il s'agira ensuite de mettre en place dans une
société réellement démocratique. Il appartient à chacun de nous de militer dans les
partis, syndicats, organisations pour contribuer à la remise en cause et au renversement
du système actuel ». (Déclaration de /'ICEM, avril 1973) Il s'agit donc de mener une lutte
actuellement, pour former des êtres conscients, libres, qui sauront prendre leurs
responsabilités pour construire une société plus démocratique et plus juste. L'auteur
définit la culture comme une façon d'exister. C'est-à-dire que si chacun recherche un
épanouissement propre, grâce à une culture personnelle, cela ne va-t-il pas encore plus
isoler les gens les uns des autres ? Il semble que nous puissions répondre à cela
par la négative : en effet, nous avons démontré qu'un travail individuel en classe se
double toujours d'une conscience collective et que l'intérêt du groupe n'est jamais
perdu de vue. Pour la culture, il en va de même. Si en parlant de culture, on y associe,
comme le fait Elise Freinet, une culture civique et un militantisme civique, ce sera donc
toujours en vue d'une lutte fraternelle et populaire contre une culture et des forces
réactionnaires et dépassées. Nous avons vu que Freinet
souhaitait assurer une continuité entre école, vie et société A ces trois termes, nous
pourrions en ajouter un quatrième : la culture. Nous allons reprendre ici, le
parallèle avec l'école : pour mieux éduquer les enfants, nous avons constaté
qu'il fallait améliorer les locaux, procurer des outils de travail aux enfants, les
laisser chercher et s'exprimer librement etc. Nous partons donc d'un certain état de
fait ; il y a énormément de choses à changer radicalement mais à partir de bases
existantes. Nous voudrions souligner que dans le domaine de la culture, trop peu de choses
ont déjà été faites. Il y a bien quelques foyers et maisons de jeunes mais, en
général, on y est encore trop directif et surtout, les enfants ne peuvent être
accueillis en permanence. Il faudrait donc des centres d'accueil ouverts continuellement
pour les enfants qui ne peuvent rentrer directement chez eux, au lieu des garderies
actuelles où ils sont véritablement parqués. A notre avis, ce ne devrait pas
être seulement des maisons où on fait traditionnellement du ping-pong, et des
émaux ; il faudrait peut-être y ajouter des fournaux pour apprendre à cuisiner,
des jardins pour apprendre à cultiver des fruits, des fleurs et des légumes, des
ateliers divers de peinture, bricolage, menuiserie, maçonnerie etc. Si nous demandions
l'avis des enfants, ils auraient sûrement des tas d'idées à nous apporter. Il faudrait
exiger de telles maisons auprès de l'autorité, dans chaque commune. Nous sommes
conscients du fait que cela demande énormément d'argent, non seulement pour la création
de telles maisons mais aussi pour leur entretien, la formation des éducateurs, etc. Ce
domaine semble encore bien neuf. Nous posons ici un problème
politique : le gouvernement a un choix à faire mais il ne semble pas fort disposé
jusqu'à présent à écouter de telles requêtes. * Freinet avait souligné le fait
que l'école était créée pour répondre aux besoins de la société capitaliste ;
une telle société n'a peut-être pas besoin de gens qui réfléchissent et qui ont une
culture riche et personnelle : tout comme elle n'aurait pas besoin d'une école qui
applique des techniques modernes pour assurer un épanouissement maximum des enfants ;
mais, éducation et culture ne peuvent être dissociées. Nous avons montré la
nécessité d'un changement à l'école, ce changement est tout aussi nécessaire en ce
qui concerne la culture. C'est donc un combat de front qu'il s'agit de mener ; il faut se
battre pour nos enfants d'aujourd'hui et de demain, pour leur assurer un avenir meilleur.
C'est en cherchant aujourd'hui à les rendre plus heureux et plus épanouis qu'ils
pourront construire une société plus juste et plus humaine. H.V. |
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