PUBLICATION MENSUELLE,   N°41, NOV-DÉCEMBRE 1948

Brochures d'Education Nouvelle Populaire

BELAUBRE

INSPECTEUR PRIMAIRE 

Problèmes
de
l'Inspection Scolaire
 

(Contrôle des Maîtres, Observations des Elèves, Examens) 

 

Editions de l'Ecole Moderne Française
CANNES (Alpes-Maritimes)

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SOMMAIRE

 

BELAUBRE
Inspecteur Primaire

______

 

Problèmes de

l'Inspection Scolaire 

(Contrôle des maîtres Observation des Elèves, Examens)

****

INTRODUCTION

 

La présente étude, qui tend à poser avec clarté les problèmes délicats et urgents que soulèvent les conditions actuelles de l'inspection en France, doit s'avouer bien tardive : il m'a fallu, quant à moi, onze années d'inspection primaire pour que la conscience vague que j'avais, comme bien d'autres sans doute, des exigences de notre métier, m'imposât enfin la nécessité d'une réforme personnelle. Mais il est aussi impossible, dans la pratique scolaire, de mener une expérience isolée à une conclusion valable, que de l'entreprendre sans avoir consulté les travaux antérieurs des théoriciens et des praticiens.

C’est pourquoi j'ai repris et mis à jour mon information psychologique et pédagogique pour assurer aux idées que je sentais le besoin de traduire en actes, la caution de quelques éminents auteurs. C'est aussi pourquoi j'appelle ici mes collègues inspecteurs qu'animent les mêmes aspirations et qui se heurtent aux mêmes difficultés, à repenser nos problèmes en éducateurs, à s'assigner des tâches précises en coopérateurs et à entreprendre, la recherche d'authentiques progrès à la tête des instituteurs désireux de se renouveler.

Deux idées sont dans l'air depuis quelque quarante ans : celle de fonder l'éducation sur la psychologie de l'enfant ; celle de rationaliser la pédagogie en appliquant la méthode des tests non seulement à la mesure de l'intelligence et des aptitudes, mais au contrôle des résultats de l'éducation. Si les Inspecteurs primaires ne jouent pas, en ce domaine, le rôle qui doit être le leur, je crains que l'évolution des institutions, après les avoir alourdies inconsidérément, ne réduise leurs attributions au point d'enlever à leur fonction sa profonde signification humaine.

Certes, l'ancienne conception administrative de l'inspection est depuis longtemps dé­passée et la création d'administrateurs spécialisés, envisagée par le Projet de Réforme de l'Enseignement, est conforme aux vœux de quelques-uns d'entre nous, qui se veulent essentiellement techniciens de l'éducation, « conseillers scolaires », « éducateurs des éducateurs ».

Mais les conditions d'accomplissement de cette mission, non encore officiellement définie, ne sont pas près d'être créées. De sorte qu’entre la réalité d'hier et un idéal qui devrait être demain réalité, la belle fonction d'inspecteur devient bien décevante. J'en prends à témoin mes aînés et mes contemporains qui, après des années de travail rela­tivement aisé, ont vu leur tâche s'alourdir dès 1939-40, temps où il n'était pas encore question de nous adjoindre un secrétaire : la pédagogie tendit à devenir l'accessoire, l'inspection à se mécaniser, les contacts humains à se faire plus rares et plus brefs que jamais. Et depuis la Libération, qui a vu le feu de paille de tant d'enthousiasmes, voilà que les difficultés économiques nées de la guerre, non seulement étreignent encore, mais divisent les fonctionnaires de l'Education Nationale: l'action syndicale, essentiellement revendicative et fondée sur la force numérique des Fédérations, des catégories et des coalitions, et je n'ai garde de toucher aux divisions doctrinales qui la paralysent elle-même ne nous retrouve pas unis à la poursuite des grands objectifs communs à tous les travailleurs de l'enseignement, et surtout pas de notre idéal professionnel, social et humain de toujours, dont on semble parfois désapprendre le service désintéressé.

Dans l'atmosphère de ces années de " réformes " successives et de projets, où la parole a été rarement offerte à ceux qui connaissent par contact direct, pour y avoir été élèves, instituteurs, inspecteurs, l'ensemble des problèmes de l'Enseignement primaire : carte scolaire, besoins matériels, problèmes de méthode et d'organisation pédagogique, conditions de vie de l'instituteur, de l'institutrice dans les milieux divers, la lassitude semble s'emparer des meilleurs. Dans le domaine du progrès professionnel, l'institution des conférences pédagogiques, première forme de la coopération des enseignants sous la direction de ceux qui ont la charge de suivre, d'apprécier et de seconder leurs efforts, souffre dans les milieux urbains, d'une désaffection croissante. Certes, la « collaboration dans la confiance » est à l'ordre du jour et le Statut des Fonctionnaires l'officialise en des Comités techniques qu'il faudra juger à leurs actes. On ne peut non plus méconnaître la réussite bien encourageante de quelques inspecteurs primaires qui, dans des conditions peut-être moins favorables qu'on pourrait les supposer, l'ont instituée parmi l'élite de leur personnel, sous des formes diverses auxquelles président l'amitié et un commun amour pour les choses de l'éducation. Mais les Groupes d'Etudes, remarquables initiatives locales dont les résultats s'assurent parfois à bon droit un rayonnement national, ont l'inconvénient d'être éphémères, ne survivant qu'exceptionnellement au départ de leur animateur, et l'on sait quel travail il faut attendre de comités officiels.

C'est dire qu'en attendant un nouveau climat syndical permettant aux éducateurs de se grouper fraternellement en sections d'études et de prendre solidairement en main, sur les plans départemental et national, la modernisation de l'école française et de leurs propres conditions de travail, notre préférence va à la COOPÉRATIVE en tant que groupe permanent de chercheurs qu'anime un commun désir de progrès et dont les entreprises bénéficient de la continuité et d'une franche camaraderie.

Je soupçonne que cet hommage, aussi discret que mérité, à la C.E.L. et à Freinet qui en est l'âme, acte d'adhésion qui motive en passant la parution du présent travail dans la collection des Brochures d'Education Nouvelle Populaire, déplaira à quelques conservateurs. Mais je demande à ces rares collègues comment on peut vouloir la conservation d'un état de choses qui les a conduits à ne plus croire, du moins à ce qu'ils disent à leurs cadets, à l'efficacité de leur action éducative, à l'utilité de leurs rapports d'inspection, à l'intérêt d'une préparation commune de l'unique Conférence pédagogique annuelle !

Nombreux sont ceux qui ont déjà reconnu dans la C.E.L. un organisme libre et amical qui, au sein de l'enseignement public, s'efforce de faire rattraper à notre pays, selon des formes non servilement imitées du dehors, le retard qu'il accuse dans le domaine d'une organisation scolaire conforme aux besoins et aux possibilités de l’enfance. N’est-ce pas là que les inspecteurs – plus isolés encore que les instituteurs qui réclament leur bienveillante attention – pourraient enfin coopérer entre eux et avec les instituteurs ?

Les lecteurs de « l’Educateur » ont pu constater que le problème de l’inspection a suscité de bonne heure l’attention des « imprimeurs » et qu’ils ne le résolvent pas naïvement par la suppression des « gendarmes de l’enseignement ». Ils se sont portés d’emblée vers la solution d’avenir que j’évoquais plus haut et qu’il faut ici préciser.

Comme tous mes collègues sans doute, je m’étais inspiré d’une haute conception de la fonction dès avant de passer de l’autre côté de cette « barricade » de par et d’autre de laquelle s’affronteraient, à ce qu’on dit parfois, travail et autorité, enseignement et Administration (avec un A), en la personne de travailleurs de la fonction publique et à la fois d’éducateurs dont la volonté de collaboration franche et désintéressée ne devrait le céder en rien à leur totale solidarité. Pénétré d’une conscience aiguë de tout le bien que peuvent faire, dans une circonscription, l’initiative d’un I.P. et son attitude à l’égard des maîtres dont il doit tendre à être l’ami et le conseiller plus que le juge, j’avais dégagé avec le plus vif intérêt, de l’excellent ouvrage de René Dottrens, alors récent, sur « Le problème de l’inspection », les caractéristiques idéales du « conseiller scolaire », les points sur lesquels doit porter son investigation pour aboutir à des jugements pertinents et équitables, et les moyens dont il dispose pour bien connaître l’instituteur et pour l’aider à s’élever. C’est Dottrens qui m’enseigna qu’on inspecte des soldats, mais non des éducateurs ; que le contrôle n’est pas une fin, mais seulement un moyen et un point de départ, notre rôle essentiel s’affirmant dans une action positive pour l’éducation continue des éducateurs ; Dottrens encore m’apprit que l’école « se juge à ses résultats sociaux » ; que « le seul critère qui permette de juger un instituteur, c’est la constatation des progrès réalisés par ses élèves, progrès qui traduisent l’intérêt qu’ils ont pris à l’enseignement et le profit qu’ils en ont retiré », que « le test est aujourd’hui l’outil le plus sûr pour mesurer les connaissances acquises dans un temps donné par rapport à des normes expérimentalement établies »…

Mais il y a loin de l’idéal à la réalité, et j’avoue que mes projets d’étude méthodique des élèves en visite d’inspection, irréalisables durant mes années d’apprentissage, sont, en raison de mille servitudes, toujours restés en sommeil ; cependant, sans jamais abandonner mon ambition d’être un stimulateur et un exemple pour les maîtres, je me suis de plus en plus intéressé par priorité aux enfants, me rappelant que c’est, en définitive, à leur service qu’a été conçue notre fonction, et constatant tous les jours que les problèmes réels nous sont posés par les besoins généraux de l’enfance et par chaque individualité originale et mouvante d’enfant. Seulement, peut-on se contenter indéfiniment d’un heureux dépistage ici, d’une observation psychologique ailleurs, de constatations empiriques et de suggestions occasionnelles un peu partout alors qu’on dispose des ressources de la statistique, de la technique de tests, de la possibilité d’expériences parallèles, que la voie est ouverte, la méthode fondée, et si encourageant l’exemple des pionniers de la psycho-pédagogie ?

La solution à laquelle il a été fait allusion dans « l’Educateur » et que je me propose d’étudier, présente deux aspects solidaires :

– d’une part, le contrôle de plus en plus rationnel et objectif des élèves, s’il devient l’essentiel de l’inspection des classes, permettra dans une large mesure l’évaluation sereine du rendement des maîtres et orientera expérimentalement leur effort dans le sens de l’équilibre le plus efficace de méthodes et procédés éprouvés : on aura fini d’entendre dénoncer l’arbitraire et le dogmatisme, les marottes et la pédagogie officielle ;

– d’autre part, cette même modernisation du contrôle doit assurer, tant l’orientation et la sélection des enfants en vue du maximum de rendement social de l’école, que la transformation du système de mesure qui préside aux examens, sanction des études.

L’évolution de la technique d’inspection intéresse à la fois inspecteurs et instituteurs ; un mouvement progressiste tendant à l’accélérer ne pouvait pas ne pas répondre un jour au mouvement d’Education Nouvelle. Comme à ce dernier, on peut escompter que ces réalisations lui vaudront l’attention d’abord, l’adhésion ensuite des pouvoirs publics.

Après avoir dénoncé et tenté de dissiper le malaise qui trouble encore l’accomplissement de notre mission, l’étude qui suit veut surtout appeler inspecteurs et instituteurs à renouveler l’intérêt et la qualité de leur travail en prenant, ou plutôt en portant sur le plan d’une vaste coopération, l’initiative de recherches et d’études par quoi, se libérant de besognes routinières pour assumer les belles responsabilités qui sont les leurs, ils accroîtront leur qualification dans le sens même des exigences futures de la Technique éducative. Ni les uns ni les autres ne peuvent éluder, par conservatisme ou par peur de la difficulté, des problèmes que le progrès des connaissances et des techniques pose impérieusement. J’aurais fait œuvre de quelque utilité si mon essai peut provoquer un effort de critique constructive, et mon vœu sera comblé si sa conclusion peut mériter l’adhésion de quelques éducateurs d’avant garde, à quelque degré de la hiérarchie qu’ils appartiennent, qu’ils soient résolus à apporter leur contribution ou leur appui à la grande et belle tâche qui nous sollicite.


PREMIÈRE PARTIE

 

Pour dissiper le malaise de l'inspection traditionnelle

 

II ne sera pas inutile d'essayer ici la vertu de la bonne foi,
fût-elle entachée d'un brin de naïveté

 

a) LA PSYCHOLOGIE DE L'INSPECTÉ ET SES COMPLEXES

 

Le point de vue de l'instituteur est empirique. Il compare à. sa conception plus ou moins vague de la fonction d'inspection, la manière dont il est ou croit être contrôlé ; à moins d'arriver à faire sereinement une étude comparative qui exige une assez longue expérience des hommes, son jugement sur la question généralise ses rapports effectifs avec tel ou tel I.P. Il dépend alors :

du degré de compatibilité de leurs deux personnalités ;

du degré de conformisme ou d'originalité de l'inspecté, en même temps que de la propension de l'I.P. au libéralisme ou au dogmatisme ;

du degré de conformité du jugement occasionnel porté sur lui par l'inspecteur avec l'opinion qu'il a de lui-même, ou de la confiance manifestée à son égard avec sa bonne volonté et son mérite ;

dans une certaine mesure, des circonstances plus ou moins heureuses de telle visite d'inspection, des termes plus ou moins habilement choisis et nuancés de tel rapport...

Ces facteurs et d'autres portent certains instituteurs à divers jugements défavorables, tels que :

1.L'inspection est inutile.

Convenons que diverses erreurs de l'Administration et des instituteurs sembleraient manifester une tendance à la rendre inutile ; il importe que les inspecteurs ne se laissent "pas suggestionner, même par les constatations les plus pénibles; car les instituteurs eux-mêmes ne peuvent faire fi de la nécessité d'un contrôle de leurs efforts, ni des bienfaits de l'aide professionnelle et morale que leur apporte une "inspection " devenue très libérale. D'ailleurs, les sévérités et les erreurs mêmes d'un I.P. - et qui peut se vanter d'être infaillible ou de faire plaisir à tout le monde ? - peuvent avoir une action profondément salubre sur les personnalités bien trempées et provoquer des réactions libérées de tout complexe d'infériorité, comme cette profession de foi dédaigneuse : « Je suis ... pour le développement d'une conscience professionnelle plus sensible à l'intérêt de nos élèves et des masses laborieuses qu'à la note de mérite de l'administration. » Cependant, outre que traiter par le mépris la Note, aboutissement assez accessoire de l'inspection, n'est pas la rendre pratiquement inutile, la collaboration avec l'inspecteur, une fois qu'il est fait abstraction de cet aspect secondaire de son rôle, devrait précisément devenir pleinement féconde sur ce terrain : la sauvegarde de la vie et de la croissance physique, intellectuelle et morale des enfants du peuple, dont l'inspecteur est toujours le défenseur légal.

Quant à son rôle de conseiller et de promoteur du progrès pédagogique, il n'est mis en question que par quelques grincheux qui nous accusent à la légère de faire obstacle à l'innovation, oubliant que les textes officiels que nous veillons à faire appliquer, offrent de si larges possibilités de libération, que peu de maîtres ont eu encore la force d'exploiter ce minimum ! Car nous avons parfois à prêcher la prudence, mais bien plus souvent l'audace ! Et quels moyens légaux possédons-nous d'introduire un progrès qui, faisant fi de la norme officielle, pourrait faire figure d'oppressive marotte aux yeux de la majorité ?

Qu'on veuille bien comparer notre fonction d'éducateurs des maîtres en exercice, à celle des directeurs d'Ecole normale, responsables de la première formation des jeunes instituteurs : son caractère extensif et diffus ne la rend-il pas beaucoup plus délicate et plus lourde, sans parler de l'imperméabilité fatale d'une fraction du personnel expérimenté, ou qui se croit tel ? De sorte que la responsabilité de l'éducation des élèves-maîtres est celle d'un apprentissage légalement réglementé et d'une imprégnation constante, tandis que l'action du conseiller scolaire implique une collaboration nullement assurée ni organisée d'avance, doit compter avec le besoin qu'éprouve chaque maître, surtout honnête et dévoué, de croire à la valeur de ses procédés, et se traduit par une guérilla aimable contre l'erreur et la routine, où, c'est là le pire les coups qu'il nous arrive de porter sont amèrement ressentis par amour-propre de celui même qu'en tout respect et en toute sympathie, nous avons voulu aider contre les ennemis de sa propre excellence et de sa pleine personnalité.

Mais ce ne sont pas quelques mécontents qui mettent en péril la fonction d'inspecteur, et nous verrons que, si des dangers la mena­cent, ils ne sauraient laisser indifférents les instituteurs.

Le plus souvent, les réactions de défense se manifestent par des critiques et des ré­serves qu'il est bon de considérer ici.

2.La pratique de l'inspection est jugée imparfaite et parfois vexatoire. La " vic­time " en nie la validité.

Un instituteur écrivait, par exemple, il y a deux ans, que le Rapport d'inspection est « trop à sens unique. L'exécutant doit avoir droit à la parole afin de justifier ses pro­cédés, sa méthode, de les faire connaître sous leur vrai visage à l'I.A., de se défendre contre une partialité toujours possible. Que penserait-on d'un tribunal où l'accusé serait contraint de se taire ? Il faut donc prévoir, à la suite du rapport de l’I.P., la réponse du maître. Elle ne sera que facultative. Rébellion ? Point du tout. Collaboration. »

Inutile de souligner, dans cette sympathi­que citation, les termes révélateurs du « com­plexe ». Cet instituteur aura appris, comme je l'appris il y a près de vingt ans, que la signature indique simplement que l'intéressé a pris connaissance du rapport et n'ignore pas les avertissements, les conseils et les directives qui lui ont été donnés (C.M. du 12 juin 1894). Libre à lui d'accompagner le rapport qui lui est communiqué, de ses com­mentaires et mises au point; mais il est très secondaire que l'imprimé destiné à recevoir le Bulletin de visite comporte un emplace­ment réservé facultativement à la « défense ». Mieux vaudrait demander la mise à l'étude d'une très nécessaire réforme de la pratique actuelle concernant rétablissement de ce Bulletin et la procédure selon laquelle il est porté à la connaissance de l'intéressé. Mais rien ne vaudra une collaboration enfin mé­thodique, antérieure à l'établissement du rap­port.

3.Les conditions de l'inspection sont trop contingentes pour que cette institution présente des garanties de justice. On dit : l'inspecteur n'a interrogé que mes mauvais élèves; il est « tombé » sur le cahier du plus négligent, du plus maladroit; il a fait lire un « anormal ».

Instinct ? Fatalité ? Ou propos délibéré de rechercher ce qui va mal ?

Il ne m'a pas demandé et je ne lui ai pas dit dans quelles conditions je travaille, isolé dans ce poste déshérité, ou du fait de l'effectif de ma classe, de son recrutement, de ma santé, de mes soucis de famille...

J'avais une leçon particulièrement in­grate. Le froid, la chaleur ou le vent m'a desservi en accablant, figeant ou énervant les enfants et en disposant défavorablement mon juge... Je vais être pourtant apprécié, noté, classé en vue de l'avancement, d'après les impressions de l'inspecteur !

Celui-ci est d'ailleurs particulièrement exigeant et j'aurais, dans telle autre cir­conscription, des notes sensiblement supé­rieures...

Je me démonte, alors que d'autres, qui ne font rien, savent briller. Je n'ai pas l'art de faire « mousser » quelques bons élèves... Récuser le jugement de 1'I.P. sur l'activité du maître en classe, en objectant qu'il n'est pas difficile de manifester, à l’occasion de l'inspection, une activité inaccoutumée, quitte à retrouver, une heure après, ses chères ha­bitudes, c'est oublier que les cas d'incurie exceptionnelle ne sauraient nous échapper, même dans l'hypothèse du préavis, car les manifestations en sont multiples. Quant aux objections visant le caractère contingent de l'inspection, plus qu'elles ne condamnent la pratique existante, elles plaident en faveur d'une fréquence des visites telle, d'abord, que la part de la chance soit aussi réduite que possible, ensuite que l'accoutumance rende la présence de l'inspecteur de plus en plus familière aux élèves comme au maître et de moins en moins perturbatrice.

En attendant des conditions nouvelles de contrôle et de collaboration, je conseillerais aux mécontents l'attitude que j'avais adoptée durant une période difficile: je m'étais ha­bitué à attendre mon inspecteur de pied ferme, non seulement en évitant de me met­tre en défaut, mais en imaginant un témoin que j'aurais aimé avoir dans ma classe, aux meilleures heures, pour éclairer mon chef. Cette place du « témoin » que je m'imagi­nais occupée par quelque honnête citoyen, juge sinon la valeur de mon enseignement, du moins de mon activité et de mon appli­cation, chacun ne pourrait-il la réserver dans sa classe ? Se figurer la présence d'un tiers dont on désire l'estime plus qu'on ne redoute ses observations, est salutaire lors­qu'on est, si peu que ce soit, en désaccord avec sa conscience, et calmant quand on peut se rendre justice en toute bonne foi. Mais cette fiction peut cuirasser, en outre, l'émotif contre le choc d'une visite inopinée et faire enfin qu'un jour le visiteur soit le bienvenu.

Me permettrai-je encore une confidence ? On devine que j'ai fort redouté les inspec­tions durant mes années d'enseignement. Il m'arrivait certains jours d'appréhender plus particulièrement l'arrivée de mon inspecteurinconscient bourreau qui a hanté longtemps mes cauchemars d'instituteur, et en­core d'inspecteur parce que je me sentais en faute sur quelque point, ou mal en forme, ou que l'état de l'atmosphère était défavora­ble à mes nerfs ou à ceux de mes élèves. En revanche, je regrettais parfois, au cours ou à la fin d'une leçon qui me semblait réussie, que mon inspecteur ne fût pas depuis une demi-heure à l'écoute derrière la porte, Ou n'eût pas dans son bureau un panneau télé­phonique lui permettant de « se brancher » sur n'importe quel « studio » de sa circonscription et, notamment, d'assister en audi­teur invisible, à défaut de la télévision, à cette séance qui lui aurait présenté, pensais-je, le vrai visage de nia classe. C'est assez dire que, pour peu qu'i1 ait enseigné, un ins­pecteur peut avoir pleinement conscience de la psychologie de celui qui est en face de lui, et se mettre à sa place, tout en dépas­sant le point de vue de l'inspecté pour le conjuguer avec les autres points de vue où sa fonction lui permet ou lui impose de se placer.

 

b) POINT DE VUE DE L'INTÉRÊT GÉNÉRAL AUQUEL SE PLACE L'INSPECTEUR 

1.Si l'on considère l'administrateur veillant au respect des lois et règlements, ses actes revêtent toute l'impersonnalité com­patible avec le facteur personnel de diplo­matie et de tact. Les responsabilités ne se discutant pas, aucun problème ne se pose ici : l'activité privée se plie elle-même à un certain nombre d'exigences légales.

2. – Dans le contrôle de la régularité et de la qualité du service scolaire public, la loi fait à l'inspecteur des obligations préci­ses qu'il a même fallu pratiquement assou­plir. A raison d'au moins une visite par an, il doit recueillir les éléments d'un rapport contenant une notice sur « l'état matériel de l'école, la marche de l'enseignement, les résultats obtenus, les améliorations à intro­duire ». Il est précisé (C.M. 12 juin 1894) que, de quelque façon qu'il soit rédigé, le rapport d'inspection ne peut et ne doit être que « l'exacte reproduction des notes prises par l'I.P. au cours de sa visite et trans­mises à l'Inspection académique ». Il assu­rera à tous « des notes précises et complètes appelant leur attention en toute franchise sur ce qui, dans leurs classes, aura frappé l'inspection en bien ou en mal ; mieux éclairé, l'instituteur verra facilité l'accom­plissement de sa belle tâche ».

Le bulletin d'inspection ainsi conçu, qui permet à chacun d'avoir par devers lui le double de son dossier, constituait, avec la communication des notes chiffrées, une me­sure d'un « caractère libéral » incontestable et le récent Statut de la Fonction publique ne pouvait tendre qu'à généraliser cette for­mule. On voit que ce sont là, pour le fonc­tionnaire, de sérieuses garanties en contre­partie de celles qu'exige l'Etat; et il faut noter que, si le bulletin est toujours conforme aux notes prises en inspection, il est rare qu'il les reproduise sans choix et sans tra­duction : la totale franchise préconisée par la C.M. ne plairait pas toujours au point de laisser apprécier la garantie que constitue pourtant la possibilité d'en appeler à l'Inspecteur d'Académie, responsable de la notation.

3.On peut d'ailleurs se poser la ques­tion : Dans quel cas pourrait-on réduire l'ins­pection à ce qu'elle est dans l'enseignement privé, où il s'agit seulement, en veillant à la capacité des maîtres (diplômes) et à la salubrité des locaux, de s'assurer que l'en­seignement n'est pas « contraire à la morale, à la Constitution et aux lois » ?

pour les instituteurs en tant que fonc­tionnaires si l'on supprimait, avec l'avan­cement, les récompenses et distinctions et tout barème de mutations faisant intervenir le mérite ;

pour les instituteurs en tant que tra­vailleurs de l'enseignement, si, celui-ci étant dénationalisé, la libre concurrence du talent et aussi, malheureusement, des forces finan­cières, présidait au recrutement des élèves et à celui des maîtres. N'insistons pas ; mais nos éducateurs auraient tort d'oublier, dans les moments d'amertume, que leur condition est liée à ce régime de l'école gratuite d'Etat dont, en majorité, ils souhaitent la com­plète évolution dans le sens de la nationa­lisation de l'enseignement, c'est-à-dire, si l'on veut que celle-ci représente autre chose pour l'Etat que des charges, du contrôle d'Etat s'exerçant partout sur la conscience professionnelle, sur la culture générale et pédagogique, sur le dévouement à l'enfance.

Il va sans dire qu'il n'y aurait plus besoin de contrôleurs ni de conseilleurs si la conscience professionnelle de tous était ga­rantie, si chacun était dès l'abord infaillible, si personne n'avait plus rien à apprendre. Le cas même, heureusement très rare, de l'imperfectibilité de mauvais fonctionnaires, tout comme celui de l'incapacité provoquée par la maladie, confirme la nécessité d'un contrôle et poserait le problème, générale­ment éludé par un excès peut-être coupable d'humanité (l’intérêt d'une génération d'en­fants étant parfois en jeu), de l'élimination des non-valeurs notoires.

 

c) REMARQUES ET APAISEMENTS 

J'ai déjà considéré le Bulletin d'inspection de deux points de vue. Mais il n'est pas inutile d'observer que, pratiquement, le conseil oral, accompagné souvent de l'exemple actif et de l'information directe apportée à l'instituteur par 1'I.P. en tournée, serait assez efficace ; toutefois, les écrits étant moins fugaces que les paroles, nous laisse­rions volontiers des conseils directs sur de petites fiches à conserver dans la documen­tation pédagogique du maître, ce qui nous dispenserait de consigner à chaque visite nombre de renseignements d'un intérêt purement documentaire. Mais le chef admi­nistratif du département, et ensuite l'Inspecteur général qui inspecte et juge à la fois les maîtres en tant qu'éducateurs et les I.P. non seulement en tant qu'administra­teurs, mais comme éducateurs-conseillers, a besoin d'un ensemble de constatations motivant des jugements condensés en une ap­préciation laconique, que traduit la note chiffrée proposée. La valeur des observa­tions, appréciations et conseils notés par 1'I.P. à l'occasion d'une visite effectuée avec lui, apparaît à l'I.G. par confrontation avec ses propres notes et remarques; d'autres bulletins peuvent témoigner à ses yeux d'une manière de procéder plus complète, souple et variée, l'I.G. voyant moins encore l'I.P. dans sa pratique habituelle de l'inspection que l'I.P. n'a de chances de voir l'instituteur dans sa pratique naturelle de la classe ; en­fin, l'I.G., seul à pouvoir s'instituer le gardien d'une suffisante uniformité dans la no­tation et du maximum d'identité de l'éven­tail utile des notes de circonscription à cir­conscription, ne saurait mieux assurer cette péréquation qu'à la lumière des rapports notés.

Ainsi, le contrôle même qui s'exerce né­cessairement sur les I.P. motive la teneur des bulletins et canalise la notation. Des voix jeunes et d'autant plus véhémentes se sont élevées contre la pratique consistant à proportionner à leur ancienneté la note des maîtres ; et certains, surtout parmi les an­ciens, ont des réactions amères à l'occasion de l'abaissement symbolique d'un demi-point de leur note de mérite sur 20 : le peu que je viens de dire rappellera à tous que la notation n'est pas une pure affaire de com­plaisance. On conviendra même de la né­cessité, du point de vue administratif, de marquer objectivement tout fléchissement sensible aussi bien que tout progrès ; ainsi entendue, occasionnelle et nullement défi­nitive la note ne traduit pas un jugement arrêté sur la valeur du fonctionnaire ; elle n'est qu'un point sur sa courbe.

Prévenu d'avoir à l'interpréter dans ce sens, l'inspecté se montrerait parfois plus serein et accepterait sportivement la règle du jeu, s'il y a jeu dans la mesure où la compétition pour les promotions et les mu­tations est réglée par un barème et où l'ins­pection s'apparente encore à la pratique tra­ditionnelle des examens.

 

d) L'INSTITUTION ÉTANT CE QU'ELLE EST, IL DÉPEND DES HOMMES QU'ELLE FONCTIONNE PLUS OU MOINS BIEN 

Depuis qu'il existe des inspecteurs, des formes déjà précieuses de collaboration sont possibles et plus ou moins effectives. Tenons ­nous-en ici aux plus simples. L'accueil fait au visiteur contribue à rendre sa tâche aisée ou laborieuse et il est à craindre qu'il influence ses jugements. L'attitude de l'inspec­teur influe pour une part non moins grande sur l'atmosphère de la classe, conditionnant en quelque mesure les données sur lesquel­les il jugera. Ecartant les cas, aussi excep­tionnels que pénibles, de malaise prolongé, voire insurmontable, bornons-nous aux di­verses formes de « composition » d'où il res­sortira qu'il suffit que, de l'inspecteur ou de l'inspecté, l'un des deux fasse preuve de cette sorte d'intelligence qui se manifeste par le calme et par une courtoisie à toute épreuve.

1. Parfois, l'instituteur non seulement se plie aux nécessités du contrôle, mais met sa complaisance à le rendre aisé et complet : registres, travaux de préparation, cahiers divers des élèves sont disposés, sans phrases, à la portée de l'inspecteur, à qui est offert, devant le bureau du maître, le seul siège disponible, qu'il n'accepte pas toujours ; si la classe est commencée, il expose brièvement l'activité en cours ou le dernier travail ef­fectué ; il présente le « menu » et même parfois propose une inspection « à la carte » : ou bien, dès le premier regard du visiteur sur tel enfant ou sur la classe entière, s'é­bauche. de banc en banc, une revue psycho­pédagogique que nous apprécions dans la mesure où la discrétion y modère l'usage de termes tels que « mauvais élève » ou « anor­mal ».

2.Parfois c'est l'inspecteur qui, voyant le maître dans l'impossibilité de quitter, sous peine de dérailler, la voie droite sur laquelle il est lancé, soit presque aveuglément, soit avec une vigilance de mécanicienou re­doutant, à son arrivée, de briser l'élan d'un commun effort, de rompre un véritable charme, et faute de pouvoir repasser la porte sur la pointe des pieds, s'assimile à la classe et se fait oublier jusqu'au mo­ment où, adopté, il peut ébaucher un pre­mier geste de quête, placet un mot, oser une question. C'est lui qui va adapter sa techni­que aux habitudes du maître, subordonner ses procédés au mode de vie de la classe, de sorte que sa manière sera multiforme, le minimum d'uniformité à sauvegarder con­sistant pour lui dans les démarches les plus formelles du contrôle (visa des registres, coup d’œil, parfois oublié, au journal de classe du maître...)

3.Enfin, les solutions de compromis toujours possibles impliquent des concessions réciproques.

Citons, de la part de l'instituteur, l'assou­plissement de l'horaire et de l'emploi du temps, le déplacement d'exercices en vue d'assurer le maximum d'intérêt et de diver­sité aux éléments contrôlables, les facilités en vue du recours à des formes de contrôle étrangères aux prévisions ou aux habitudes de la classe...

de la part de l'I.P., les facilités d’ho­raire, l'instituteur pouvant choisir la leçon ou l'exercice qu'il préfère présenter ; la li­berté de recourir à tous moyens propres à montrer sa classe en action et sa manière de faire.

S'il m'est permis d'insister sur les facilités et la compréhension dont aurait besoin l'inspecteur, au plus grand bénéfice de l'inspecté, je noterai que la difficulté et à la fois l'in­térêt qui s'attachent à tout travail occasion­nel, si manifestes dans la pratique de l'en­seignement, se retrouvent dans celle de l'ins­pection. Nous nous trouvons d'heure en heure devant de l'imprévu, en spectateurs dont le rôle est bien facile du point de vue de l'instituteur (la critique est aisée...) mais en réalité comme fonctionnaires responsa­bles, tout comme lui, du point de vue de notre double mission administrative et édu­cative.

Le maître qui cultive l'imprévu venant de ses élèves, peut-il trouver mauvais l'imprévu de notre visite, ou celui de tel ou tel aspect de notre contrôle supplémentaire, même si l'intérêt du moment s'en trouve fâcheuse­ment mis en sommeil ? Et celui qui déteste l'improvisation n'aurait-il pas mauvaise grâce à ne pas admettre dans notre contrôle une part de méthode ainsi que de sondage systématique, fût-ce hors des manuels, à côté et au-delà du programme du jour ou du mois ? Simple question de justice.

La considération de ce que pourrait être l’inspection confirmera la nécessité absolue d'une mutuelle confiance entre instituteur et inspecteur et la possibilité d'étendre et de systématiser, sans lui enlever pour autant sa tonalité humaine, cette collaboration indis­pensable à toute rénovation pédagogique pro­fonde.

 

DEUXIÈME PARTIE 

Conditions et démarches actuelles de l'inspection primaire en France

 

Partons de la conception originelle selon laquelle l'inspection a pour but la connais­sance et l'appréciation de l'action du maître. Pour le rassemblement d'informations aussi diverses et aussi précises que possible, elle appelle une observation directe de l'éduca­teur et de l'homme et une étude indirecte consistant à contrôler, sur ses élèves, les ré­sultats de son enseignement et de son in­fluence.

La première doit permettre de constater les moyens dont il dispose et sa façon de les exploiter ; la seconde, d'évaluer leur ef­ficience ; toutes deux conjuguées, de décou­vrir et de prouver les liens de cause à consé­quence entre moyens et efforts d’une part, résultats d'autre part, et par là, d'éclairer et de persuader le maître lorsque des mises au point sont indispensables ou réalisables.

 

a) OBSERVATION DIRECTE DE L'ÉDUCATEUR 

Ses moyens Son effort Ses progrès 

Toujours empirique, mais en partie diffuse et occasionnelle, en partie méthodique, elle me paraît porter sur son niveau intrinsèque, caractéristique de sa personnalité présente ; sur le niveau de sa technique, en partie indépendant de ses ressources intimes ; sur son effort, fonction de son intérêt pour le métier, de son exigence envers lui-même et envers ses élèves, de la conscience qu’il possède des difficultés de sa tâche ; sur la courbe de son progrès par rapport à lui-même au point de vue de sa valeur foncière autant que de, sa compétence pratique et de l'effort déployé pour promouvoir indéfiniment l’une et l'autre. 

1. – SES MOYENS. 

Je n'ai garde d'énumérer les caractères de l'éducateur idéal, ni d'examiner l'influence de divers facteurs physiques, intellectuels et moraux sur l'autorité de l'éducateur selon la conception traditionnelle de l'école, fondée d'ailleurs sur des données empiriques de psychologie dont certaines seront toujours vraies.

Une personnalité est un ensemble original et fort complexe, où des lacunes apparemment graves peuvent trouver de remarquables compensations, et il est mille et une manières de tendre à une même perfection. C'est dire que la mise en oeuvre des moyens est décisive. Il est des ressources inexploitées, et tels emplois inefficaces ou néfastes des plus remarquables dons. L'observateur averti a tôt fait de voir quel parti sait tirer, de ce qu'il est, l'instituteur le mieux servi comme le plus défavorisé sous tel ou tel rapport : taille, force, santé, distinction physique, voix, regard, confiance en soi, mémoire, vivacité d'esprit et de langage, équilibre nerveux, etc..., et c'est à ses fruits qu'il juge l'arbre.

Cependant, il est des facteurs qu'on a toujours reconnus essentiels : niveau intellectuel et culture générale d'une part, niveau pédagogique et culture professionnelle d'autre part. A l'entrée de la carrière, nous évoluons sans doute une première formation, mais surtout des aptitudes, des promesses, des possibilités ; de la première visite d'inspection ou de l'épreuve pratique du C.A.P., les inspections suivantes diffèrent dans la mesure où l'homme et le travailleur (je m'excuse auprès des institutrices d'employer pour simplifier le traditionnel masculin) fait servir les années à l'enrichissement de son être et de son faire. Peu d’années peuvent d'ailleurs suffire à transformer les promesses en belles réalités et le mouvement ascendant de la courbe ne saurait rester indéfiniment égal à lui-même, mais l'expérience humaine et pédagogique qui consacre le « maître » accompli est toujours la conquête persévérante de la richesse et de l'harmonie non moins que du savoir-faire. Toute inspection doit atteindre cette valeur intrinsèque de la personne, L'audition de la parole du maître y est indispensable en général ; si la manifestation de sa personnalité dans ses travaux et dans ses « leçons » n'y suffit pas, la conversation d'instituteur à conseiller, et autant que possible d'homme à homme, doit trouver place dans une inspection complète. Celle-ci devrait aboutir sur ce point à une appréciation de niveau, et le caractère forcément subjectif des jugements de valeur ne met pas en cause la place que mérite la considération du niveau général et du niveau technique dans une observation même globale, et à plus forte raison analytique, de l'instituteur.

Inutile de distinguer et d'analyser « culture générale » et « valeur pédagogique », chacun sachant de quoi il s'agit ; on sait aussi, dans l'enseignement primaire, que la culture générale, comme condition de l'aptitude éducative est nécessaire mais non suffisante ; on y aurait même tendance à croire que l'apprentissage de procédés de métier peut en tenir lieu ou dispenser de la poursuivre tout le long de la carrière. En fait, la sûreté de la technique, impliquant une sorte de simplicité savante ou artiste après essai d'une multitude de procédés, exige la prise de conscience préalable d'un problème pédagogique : celui qui se pose dès que l'on a reconnu que le savoir et la valeur intellectuelle du maître ne lui garantissent pas la moindre réussite auprès d'élèves à qui il ne s'agit pas de communiquer tel quel ce savoir, et devant qui les plus hautes facultés abstraites se trouvent plus démunies que le simple bon sens. La maîtrise technique relève alors de certaines aptitudes psychologiques, parfois innées, toujours cultivables, et aussi de l'effort appliqué à la solution du problème pédagogique posé par chaque classe et chaque enfant ; la volonté, la conscience professionnelle y interviennent donc largement.

Dispensons-nous donc également de caractériser ce qui fait l'Art pédagogique d'un maître. En général, les qualités formelles d'aisance y vont de pair avec celles, plus profondes, de sûreté; la maîtrise est un tout difficile à analyser et le prestige de l'ART, ici comme ailleurs, fait paraître naturel et facile ce qui est le fruit d'un long apprentissage.

2. L'EFFORT DU MAITRE se manifeste dans la préparation lointaine ou immédiate de sa « classe » ; dans la mise en oeuvre des moyens pédagogiques choisis et organisés ; dans l'action éducative qu'il exerce sur l'école et sur le milieu où elle baigne.

 

PRÉPARATION

De la part du maître à l'égard de l'enfant qui ne sait pas, ne comprend pas ou ne sait pas faire, c'est d'abord l'effort qui permet au maître de bien savoir, de bien comprendre, de savoir faire. Ne sourions pas : qui ne s'est jamais payé de mots ? qui a toujours eu le scrupuleux souci de dominer tous les détails de son enseignement encyclopédique, de savoir beaucoup pour enseigner peu, de remonter d'une vision naïve à une position critique lui permettant de dégager la « philosophie » de toute chose enseignée, de posséder assez les techniques qu'il professe pour que son exemple soit digne de constituer un modèle ? L'effort est fonction ici d'une exigence de sincérité et d'intime probité.

Il faut ensuite que le maître assure, pour les ensembles que sont une année scolaire, un mois, une semaine, et pour cette unité de temps encore si riche qu'est la journée de classe, l'adaptation des ressources de son art aux élèves dont il a la charge : tâche si complexe et si lourde dans certaines classes, qu'on l'élude inconsciemment ou qu'elle fait négliger l'effort de dépassement personnel d'une matière à enseigner qu'on croit trouver toute prête dans le livre ad hoc.

La complexité de l'effort à fournir ne fait que s'accentuer si l'on se place, non plus au point de vue d'un maître croyant savoir ce qu'il faut à ses élèves et le leur offrant sous des formes plus ou moins agréables et assimilables, mais au point de vue de l'enfant manifestant inconsciemment par son activité spontanée les besoins fonctionnels de sa croissance naturelle; car, dans la mesure où l'éducateur veut alors subordonner à l'enfant vivant et agissant la matière à conquérir et la manière d'en assurer la conquête, il peut être forcé d'improviser et de suivre; dans la mesure où, improvisant, il veut être à la hauteur des circonstances, et où, suivant, il veut rester un guide sûr, un modèle qui élève, il est forcé de cultiver en soi l'excellence du savoir et du savoir-faire avec un scrupule redoublé.

Il faudrait aussi que le maître, faute d'affronter au moins une fois dans sa carrière, pour l'approfondir et en chercher pour lui-même la solution, chacun des grands problèmes de doctrine, d'organisation et de technique qui se posent mêlés tous les jours, s'attachât plus spécialement à certains problèmes et se rendît capable d'échapper à l'illusion qui fait dire « Ma méthode » alors qu'on a adopté sans esprit critique des procédés, et d'accéder à une vraie méthode subordonnant les moyens aux fins et l'accessoire à l'essentiel.

Tous ces travaux par quoi l'on se prépare à la conduite d'une classe quelconque et de telle classe donnée valent, à des degrés divers, par leur ampleur, leur sérieux, leur qualité foncière. Comment certains instituteurs peuvent-ils prétendre que cet aspect de la tâche du maître ne regarde pas l'inspecteur ? invoquer la suffisance d'une préparation qu'il suffit de dire orale (disons plutôt mentale) pour n’avoir pas à en fournir de preuves tangibles ? dénoncer le travail écrit de préparation quotidienne et d'étude pédagogique méthodique comme une concession formelle, sinon comme une basse complaisance à l'égard du chef ?

 

ENSEIGNEMENT PROPREMENT DIT

L'inspection s'attache toutefois avec raison à la mise en oeuvre des moyens du maître plus qu'aux efforts préalables fournis pour l'assurer ; ceux-ci nous intéressent plutôt après coup, comme témoignages de l'ampleur et de la nature de l'effort auquel répond la réalisation : une séance excellemment conduite doit quelquefois, mais pas toujours, sa qualité au sérieux de la préparation immédiate; une leçon manquée peut tenir à l'impréparation, mais aussi à l'inutilité d'un effort qui a porté à faux, par exemple lorsque le maître prend un plan détaillé, élaboré d'après un ou plusieurs livres, pour la préparation d'une leçon qui exigerait un art accompli dans la conduite de l'interrogation, dans l'appel à l'attention et à la réflexion, et par conséquent une recherche « tactique » plus encore que le rassemblement des connaissances.

On peut distinguer dans l'action du maître en classe deux formes qui constituent les dominantes respectives de deux pédagogies dont ce n'est pas ici le lieu de juger le conflit :

   l’enseignement proprement dit comme apport du maître aux élèves ou collaboration de l'un avec les autres ;

   la direction, l'observation et le contrôle des élèves.

Sur le premier point, dont l'analyse pourrait être fort poussée, nous nous bornerons à l'essentiel en soulignant l'importance :

-           de l’art de provoquer et de soutenir l'intérêt ;

-           de la progression dans les choses enseignées et dans les démarches de l'activité proposée aux élèves.

Chaque leçon ou exercice est l'occasion d'éprouver l'intensité et la qualité de l'effort du maître au service de ses élèves. Quand je parle d'intensité, je n'ai garde de proportionner la valeur du maître à la dépense physique consentie : le mouvement le plus néfaste tient, chez certains débutants, au manque d'auto-discipline qui compromet l'attention de la classe, le contact direct avec chaque élève. Mais, faute de quitter leur chaire, les indolents et les fatigués se contentent d'un auditoire réduit aux premiers bancs et abandonnent le reste de la classe.

Pas davantage l'usure vocale ne saurait mesurer la conscience professionnelle et c'est pour trop parler et pour parler trop fort que bien des débutants et quelques institutrices de tous âges étourdissent des enfants qu'il faudrait appeler calmement à observer, à réfléchir, à persévérer ; mais la parole du maître est un instrument dont on peut user très utilement tout au long de la journée, sous forme d'appels, posément formules, à l'attention, à l'admiration, à l'effort : ni sermons, ni éclats, ni exposés où l'on s’écoute parler ; et si, après cela, l'expression « enseignement oral » n'a plus toute sa signification traditionnelle, il n'en reste pas moins qu'un maître actif se livre au long de la journée, à d'innombrables interventions vocales, sur tous les tons et s'adressant à tous et à chacun, qui témoignent de son attention à tout, de sa vigilance, de son adhérence à ce qui se passe chez ses élèves.

Toujours dans le domaine quantitatif, oserons-nous citer le propos selon lequel la valeur d'une classe se mesurerait à la craie qu'on y dépense? Ici encore, il s'agît du témoignage d'un zèle qui a des chances d'être efficace, non si le tableau sert à de simples transcriptions ou à la démonstration, par le maître, qu'il est « le meilleur élève de sa classe », mais dans la mesure où l'orthographe de mots difficiles, la représentation par vingt croquis de choses évoquées, le relevé des points essentiels d'une leçon, qui permettront sa prompte révision et l'élaboration en commun d'un résumé, ont appelé le maître à répéter ce geste dévoué d'aide aux enfants.

 

QUESTIONS QUI VEULENT ÊTRE DES OBJECTIONS

 

On revient sur celle-ci : Définissez-vous la meilleure classe celle où le maître se fatigue le plus ? ... ou encore : Etes-vous sûr que notre enseignement soit d'autant plus efficace que nous travaillons davantage ?

Je crois qu'il faut rechercher des moyens d'alléger au maximum la besogne souvent épuisante des maîtres, tout en assurant à l'enseignement le maximum de rendement; mais je ne puis traiter ici le problème longtemps éludé de la libération de l'éducateur. Le fait est qu'en l'état actuel de nos moyens et procédés, le maître qui se ménage, fût-ce un moment, prive tout ou partie de sa classe de quelque chose qui, pour toute conscience délicate, lui est dû : le service de sa présence active d'entraîneur, de guide, d'éveilleur,... d'éducateur. Et s'il est simpliste de confondre la qualité de l'effort avec son intensité, du moins peut-on augurer d'un effort généreux la possibilité de progrès qualitatifs.

Autre question : La portée de l'inspection va-t-elle se trouver réduite dans les classes où l'on s'interdit tout ce qui pourrait tendre à la leçon ex cathedra ?

Quand même l'instituteur réduirait au strict minimum ses interventions d’adulte, l'inspection peut et doit encore porter sur son activité. Dans le meilleur cas, celle-ci se voudra essentiellement qualitative ; on peut admettre qu'une classe dotée d'un matériel bien au point, et dont les élèves sont exercés aux travaux individuels librement choisis dans un programme et à des réalisations collectives, peut, à certaines heures, n'exiger du maître qu'un travail de coordination des activités et de contrôle des résultats. Se tenant en contact direct avec ses élèves et à la disposition de tous pour les aider en cas de besoin, il semble d'ailleurs qu'il doive être constamment sollicité ; mais, en admettant qu'il résulte pour lui quelque loisir d'une organisation où les «  outils » le libèrent en partie de son effort de « parleur » et de « répétiteur », ne doit-il pas en profiter pour pousser plus à fond l'observation de ses élèves ? Telle étant l'activité hautement qualifiée que je voudrais voir substituer un jour à certaines besognes formelles et dévoreuses de temps et d'énergie, je considère que les maîtres qui ont essayé avec quelque bonheur d'une pédagogie aussi libératrice d'eux-mêmes qu'elle veut l'être de leurs élèves, devront être les premiers à instituer sur une grande échelle l'observation régulière et précise des enfants, ainsi que le contrôle méthodique de leur développement, observation et contrôle qui ne peuvent manquer d'être pleins d'enseignements.

Il va sans dire que l'intérêt qu'un maître porte à ses élèves peut apparaître dans toute classe à l'occasion de maints exercices ; et le contrôle de la façon dont ils travaillent, révélateur de la nécessité première de leur apprendre à travailler, n'est pas moins important que celui des résultats de leur travail, révélateur des lacunes de leur apprentissage. Nous verrons quelles difficultés présente encore ce contrôle ; mais dosage des exercices, manière d'assurer les corrections collectives et le contrôle sur mesure de l'auto-correction individuelle, sont déjà autant de témoignages directs de l'effort pédagogique ou plutôt éducatif du maître, car il s'agit ici de faire aimer le travail bien fait, de créer des habitudes et des exigences.

L'activité du maître en classe, sa manière d'enseigner, de diriger et de former ses élèves, sur quoi a toujours porté l'essentiel de l'inspection, me paraît donc devoir rester un aspect important du contrôle scolaire. Je m'excuse d'avoir dû donner à son rapide examen l'allure d'une leçon de pédagogie.

 

Activité post-scolaire

 

Mais ce n'est pas tout, et le personnel enseignant demande à bon droit qu'on n'oublie pas de tenir compte, en le notant, du dévouement dépensé au service de diverses oeuvres scolaires et péri-scolaires. Si je n'ai guère prodigué, jusqu'ici, les mots de « zèle » et de « dévouement », c'est que, dans notre fonction, il est devenu difficile d'assigner une limite au devoir proprement dit : l'instituteur se fait, avec un désintéressement parfois doublé d’insatisfaction et de scrupule, des devoirs qui l'accaparent tout entier ; il nous suffira d'une allusion à la cantine, à la coopérative scolaire, à la bibliothèque post-scolaire, au cours d'adultes, à l'Amicale laïque et à ses fêtes, aux oeuvres de solidarité. Les initiatives et les efforts de cette nature sont des éléments non négligeables du travail d'un maître. Les inspecteurs primaires qui, malgré la création de services spécialisés, restent les animateurs des oeuvres locales où se dévouent les instituteurs, n'auraient garde d'en faire abstraction.

 

3. LES PROGRES DU MAITRE :

 L'étude directe de l’éducateur et de l'homme ne saurait se présenter sous l'aspect statique d'un instantané ou d'une simple qualification de niveau. La traduction chiffrée de sa valeur professionnelle implique le recours, généralement valable bien qu'intuitif et empirique, à des normes de cotation relative, permettant de comparer chacun aux autres et à lui-même. Or, la dernière note n'étant jamais qu'occasionnelle et nullement conclusive, cette position ne prend sa vraie signification que sur la courbe représentative des progrès de l'enseignant.

Si nous continuons à réserver la considération des résultats obtenus, niveau de culture et niveau technique, somme et qualité de l'effort y interviennent, du début à la fin de la carrière. Le mouvement de la note veut traduire l'évolution de la valeur de l'homme eu égard à sa fonction ; mais nous ne saurions affirmer que le problème de la notation du mérite soit résolu : le seul élément vraiment mesurable en pourrait être justement celui que nous nous sommes réservé de considérer à part : les progrès des élèves, dont la mesure constitue une observation indirecte, décisive à bon droit aux yeux des réalistes, de l’action de l'éducateur.

Or, autant il paraît difficile de faire progresser les moyens de connaissance directe du maître, autant le domaine que nous allons aborder offre à l’inspection de vastes possibilités de renouvellement technique.

 

b) OBSERVATION DU MAITRE A TRAVERS SES ELEVES

Le contrôle de leur niveau et de leurs progrès, méthodiquement organisé, permettrait une véritable mesure de l'efficience de leur maître, c'est-à-dire du rendement de cet effort et de cet art avec lesquels il met en oeuvre les moyens éducatifs dont il dispose.

Il va sans dire qu'un contrôle des résultats est déjà organisé ; l'inspection lui fait une part plus ou moins grande selon les inspecteurs et les circonstances ; les examens traditionnels jugent les maîtres et pas seulement les élèves. Mais il faut noter, d'une part, qu'en l'état présent de notre technique, ce contrôle se fait à des degrés divers et sous des formes variables, précisément parce qu'il présente des degrés de difficulté très différents ; d'autre part, que si les succès ou les échecs aux examens sont significatifs, surtout par leur constance, la liberté est laissée aux maîtres de courir en ce domaine plus ou moins de risques ; que d'ailleurs, la valeur probatoire de ces examens est contestable ; qu'enfin, le responsable d'une « classe d'examen », dans toute école à 2 ou plusieurs classes, ne fait ni tout le bien, ni tout le mal de sorte que les examens jugeraient l'école en son entier. 

Au regard d'un inspecteur, la première remarque revêt une grande importance technique : c'est à propos des jugements motivés par l'examen des travaux des élèves et par les interrogations de contrôle, que surgissent les malentendus les plus pénibles et les plus évitables entre instituteur et inspecteur. Serait-il si difficile de nous mettre d'accord sur un ensemble de procédés et de normes ?

1. Conditions diverses du contrôle actuel. Force nous est de considérer un instant la diversité des conditions du contrôle dans les visites d'inspection. Et notons que nous ferons abstraction de la possibilité de rythmes très divers dans les tournées, depuis les brefs passages multipliés au cours d'une année dans les classes de débutants ou de maîtres à surveiller ou à stimuler de près, jusqu'aux visites bi ou triennales que connaissent surtout les maîtres éprouvés et... les postes déshérités ; il est bien entendu aussi qu'une circonscription ne peut que très exceptionnellement être inspectée au complet chaque année.

Le dosage de l'observation muette, – visuelle et auditive –, des interventions actives, des interrogations occasionnelles ou systématiques est très variable, du fait de diverses circonstances :

- la nature de la classe : car on ne peut examiner, selon la même tactique, une école à classe unique et une classe de ville à un seul cours ; une classe où prédomine l'enseignement oral et une autre où les élèves sont longuement occupés à des tâches écrites ou manuelles ; les classes peuplées de quelques unités et celles qui groupent quarante élèves ;

- le caractère, l'âge, l'expérience, l'aisance et la valeur du maître ; les conditions momentanées où se trouve ce dernier, ou sa classe.

Et lui interdira-t-on de varier lui-même ses procédés selon ses propres dispositions du moment ? Sans parler de la possibilité pour lui, du fait d'une inévitable spécialisation, de se reconnaître plus ou moins compétent en présence de classes de types très divers, allant de la section des Petits des Ecoles maternelles aux classes de préparation au Brevet et à l'E.N.

Il y a plus : les tournées d'inspection, vu le peu de mois utiles, les travaux sédentaires et charges administratives de l'inspecteur, la limitation des crédits pour frais de tournées, impliquent une pleine utilisation des journées et des vacations ; l'impossibilité de consacrer à toute classe une vacation entière ou le moment le plus favorable – moment nullement déterminé à priori – impose couramment deux visites par demi-journée, quelquefois trois ; la pratique traditionnelle, qui veut que la visite ne soit pas annoncée, entraîne, outre des déplacements inutiles, (maître malade, épidémie, cérémonie religieuse locale...), de fâcheuses coïncidences (compositions écrites d'au moins une heure) et, dans la généralité de nos classes actuelles, des différences considérables entre matin et après-midi, entre début et fin des vacations. Certains moments de la journée sont à ce point favorables à l'attention requise, de la part des élèves, par les disciplines essentielles, qu'on a scrupule à interrompre les activités prévues à l’Emploi du temps pour instituer autre chose que des interrogations occasionnelles de détail ou des dialogues à voix basse ; à d'autres moments, rien n'est plus facile que de pousser les interrogations et même de les faire porter systématiquement sur telles connaissances ou telles aptitudes mentales, les élèves n'abandonnant momentanément qu'un travail formel d'écriture, et le visiteur est alors enclin à regretter de ne pouvoir demander au maître de reprendre telle leçon ou d'anticiper sur telle autre, pour le voir lui-même à l’œuvre.

2. Les conditions du contrôle seraient-elles faciles à uniformiser ?

On risque d'oublier la complexe réalité, la force de l'habitude et les exigences de l'esprit de méthode, à improviser une technique d'inspection. Des « imprimeurs » s'y sont essayés : cf. « L'Educateur » des 1er décembre 1947, et 1er et 15 février 1948. Leurs suggestions sont fort sympathiques et je ne méconnais pas les réserves du second touchant le temps nécessaire à trois contrôles méthodiques par an à raison d'une matinée entière de tests, mesures et interrogations pour une classe, ni le caractère beaucoup plus limité des exigences du premier, qui imagine seulement que l'inspecteur « déterminerait grosso modo les aptitudes de quelques élèves, puis vérifierait sans l'aide du maître leurs connaissances » et à qui échappe cette affirmation : « quand l'enfant aurait été « testé » une bonne fois, cela vaudrait pour toute sa carrière scolaire ».

Freinet a dépeint avec humour le désarroi qui serait celui de l'inspecteur pressé, dans une classe modernisée où, horaires et programmes ayant été bousculés avec l'assentiment ministériel au profit de la poursuite passionnante de l'intérêt dominant, il n'entendrait pas de leçons et se verrait dans l'impossibilité de mesurer, par quelques interrogations hâtives ou l'examen de tâches collectives, les qualités nouvelles cultivées chez les élèves par un travail libéré de la tradition ; et sa caricature est expressive d'un nouveau malaise dont l'extension finirait bien par poser officiellement le problème d'une inspection nouvelle.

Mais si, avant tous leurs collègues, les éducateurs « nouveaux » et les imprimeurs scolaires en particulier souhaitent, comme je le crois, la modernisation de la technique d'inspection dans le sens des suggestions ci-dessus, c'est qu'ils sont les premiers à consentir d'avance des sacrifices qu'en l'état actuel des choses, les inspecteurs sont loin de leur demander. On a pu voir dans l'introduction que, m'inspirant de grands novateurs, je préconise aussi une organisation du contrôle méthodique des élèves qui permette à la fois de mesurer l'efficience des maîtres de manière aussi objective que peu tatillonne, et d'assurer au maître et à l'inspecteur une connaissance des enfants propre à promouvoir, non seulement une pédagogie de plus en plus sûre, mais une réforme profonde des examens d’orientation et de sélection. Mais ce mode de contrôle exigera la création, à l'occasion de toute visite – que, pour mettre les choses au mieux, nous supposerons annoncée –, des conditions favorables à des examens patients et calmes ; du moins la partie de la visite consacrée à l'application de tests collectifs exigera-t-elle que la vie de la classe se subordonne aux exigences nouvelles. En voilà assez pour révolutionner les habitudes de tout instituteur français, car la méthode dans le travail présente toujours, pour prix de ses avantages, une contre-partie de servitudes. Il ne s'agit d'ailleurs là que d'accommodements déjà consentis, même dans les classes traditionnelles, à l'occasion des visites médicales et des tests d'orientation professionnelle, et nous les envisageons ici comme conditions d'une collaboration passionnante.


 

TROISIÈME PARTIE

La modernisation du contrôle et les résultats qu'on peut en attendre

 

a) DU CONTROLE IMPRÉCIS A LA MESURE DES RÉSULTATS ET DU RENDEMENT

Le problème d'un examen des élèves propre à fournir des indications précises sur leur niveau, leurs progrès, l'efficience du maître et de ses méthodes et procédés, ne peut se simplifier impunément : dès qu'on le pose, surgissent, nous le verrons, diverses exigences. Pour plus de clarté, attachons-nous d'abord au problème proprement pédagogique.

1. Ce qu'est et ce que devrait être l'examen des élèves

Pour mesurer la part mesurable de l'action d'un éducateur, il faut d'abord connaître aussi bien que possible ce que sont et où en sont ses élèves au moment où on lui confie chacun d'eux.

On peut toujours caractériser empiriquement le niveau scolaire d'une classe ou d'un isolé, en début ou en cours d'année scolaire ; mais en général, ces appréciations restent vagues : et après coup, il ne reste d'autre témoignage du niveau initial que les travaux (écrits surtout), notamment ces cahiers de devoirs mensuels dont l'institution fut si précieuse en un temps où les tests scolaires n'existaient pas, qu'un maître n'a pas le droit d'abandonner tant qu'il n'a pas trouvé mieux, mais qu'un dossier comportant diverses fiches remplacerait avantageusement aujourd'hui.

 Un examen précis au début de chaque année scolaire serait donc indispensable surtout dans le cas de changement de classe, bien que le dossier de chaque enfant, transmis à son nouveau maître, dût déjà permettre de l'affecter, sous bénéfice d'un nouvel examen, au cours, à la division qui lui convient.

Le niveau de départ étant caractérisé, on peut ensuite mesurer les progrès réalisés au bout d'un certain laps de temps, puis en fin d'année, Ceci également, nous dira-t-on, se pratique depuis toujours ; mais il s'agit encore d'une observation vague, même lorsqu'elle est systématique. Il est facile à un inspecteur de contrôler les progrès apparents d'une classe ou d'un groupe d'élèves, manifestés par la succession des travaux réalisés et une transformation globale du comportement et de l'activité ; mais il risque, surtout quand le temps presse, de rester à la surface des choses et de ne pas découvrir la valeur foncière de réalisations apparemment médiocres ou de se laisser leurrer par la forme impeccable d'exercices insincères ou sans valeur éducative.

L'observation systématique est déjà plus difficile et, faute d'être organisée parallèlement dans un ensemble de classes, son résultat reste purement indicatif et son action sur les maîtres se borne à un effet de stimulation par l'exemple ; car, même si l'inspecteur applique à chaque cours de telle classe un ensemble d'interrogations et d'exercices qui veulent être complémentaires et gradués, il lui manque des formules de rendement, des termes de comparaison bien définis, valables dans les cours de même niveau : proportion des bonnes réponses obtenues comparée à leur proportion normale établie d'avance expérimentalement.

Il est bien entendu que l'acquisition de connaissances n'est qu'un des éléments à contrôler, élément qui n'intervient même pas en début de scolarité ; bien que nos écoles maternelles et élémentaires accueillent encore ensemble anormaux, normaux et sur-normaux, nous savons tous que la motricité et le langage permettent de connaître l'enfant d'âge préscolaire et nous aimerions connaître sans perdre un temps précieux, dès qu'on nous confie un enfant de quelque âge que ce soit, ses aptitudes motrices et mentales, et non uniquement son niveau scolaire, qui dépend de tant de facteurs ; le bilan, à son tour, doit porter sur un ensemble de progrès sensoriels et moteurs intellectuels et moraux ; de quel droit nous limiter aujourd'hui à un aspect « scolaire », étroitement pédagogique du problème, alors que l'école aspire à assurer la vie intégrale de l'enfant, à baigner à même la vie du milieu ambiant et à préparer chaque enfant à sa vie d'homme en cultivant ses possibilités d'épanouissement, de travail de sociabilité?

Or, on sait tout ce qu'exige de mensurations et de renseignements la connaissance anatomique et physiologique d'un sujet ; plutôt que de les énumérer ici, notons que si le regard averti de l'inspecteur suffit parfois à dépister de prime abord bien des déficiences et des symptômes pathologiques, l'instituteur ne les aperçoit pas toujours, ou n'en prend pas une claire conscience, bien qu'il soit ou, précisément, parce qu'il est tous les jours en contact avec ses élèves ; ce qui confirme la nécessité d'examens médicaux sérieux et réguliers, avec enregistrement de données précises, chiffrées autant que possible.

Et qui oserait affirmer que le contrôle de ses progrès de tous ordres et déjà l'examen de ses moyens et aptitudes soit plus facile que celui de son état et de sa croissance physique ? Combien plus compliqué encore est forcément le contrôle des progrès de toute une classe dans les divers domaines où doit s'exercer cette action complexe et indivise qu'on appelle l'éducation ! Les procédés les plus approximatifs ou même des sondages vagues et multiformes y suffiraient-ils ?

Nul doute que se pose dès maintenant la question, sur laquelle nous reviendrons, des auxiliaires spécialisés de l'éducateur ; nul doute aussi qu'à défaut de mesures telles qu'on les pratique sur les grandeurs concrètes, il n'y ait lieu de faire intervenir une méthode de mesure comparative tenant de sa rigoureuse uniformité une valeur éprouvée, méthode dont les modalités pourraient se diversifier en fonction des besoins de la recherche. Cette méthode existe: c'est celle des tests.

 

2. La mesure en pédagogie

Sans oublier un instant la solidarité des divers problèmes, nous devons étudier d'abord le plus facile : celui de la mesure chiffrée des résultats.

LA « PÉDAGOGIE QUANTITATIVE » ET « DE RÉSULTATS »

Les novateurs du début du XXe siècle, (qui devait être le siècle de l'enfant !) se trouvaient d'accord pour réclamer au profit de la pédagogie un peu des efforts déjà réalisés dans tous les domaines de la vie moderne en vue de l'accroissement du rendement et de son contrôle méthodique. Nous citerons Claparède, Decroly et Buyse, Delvolvé.

Au moment, écrit Claparède, où commençait à se constituer la pédagogie, Kant et Herbart « avaient compris que la méthode expérimentale était une condition capitale du succès de ses efforts : d'abord des écoles expérimentales, ensuite des écoles normales ». Pourtant on n'a rien fait chez nous pour le contrôle de la valeur des procédés pédagogiques : vie économique, démographie, fabrications réglementées font l'objet de travaux statistiques vastes et précis, mais nul service ne s'emploie à « rechercher d'une façon méthodique, par voie de statistiques, d'enquêtes ou de comparaisons d'une école à l'autre, d'un pays à l'autre, ou d'une époque à l'autre, quel est le rendement scolaire de telle méthode, de tel programme, quelles sont les fautes scolaires qu'il faudrait éviter, quelle est la cause des éducations manquées… ; ce qu'étaient au collège ceux qui sont devenus plus tard des hommes de talent, ou au contraire des malfaiteurs... ; et ce sont cependant des renseignements de ce genre qui, seuls, permettraient à la pédagogie de progresser d'une façon sûre… » Résultat : la pédagogie n'arrive pas à se constituer comme science ; elle ne le pourra qu'en se fondant sur l'observation et sur l'expérience. De crainte de faire de l'enfant un « cobaye » entre les mains du savant curieux, « on en fait la victime de tous les tâtonnements inévitables d'une pratique aveugle qui n'est pas guidée par la méthode sûre de la science ».

N'oublions pas, en effet, qu'il a fallu l'entrée dans les écoles d'un savant tel que Binet et la création d'écoles expérimentales à côté des Instituts de recherches tels que celui de Genève (on connaît les noms et l’œuvre des Claparède, des Piaget, des Bovet) pour que nous fût révélée par ces éminents chercheurs la possibilité d'un contrôle méthodique et d'une pédagogie expérimentale dont le collaborateur de Binet, le Dr Simon, nous donna voilà déjà longtemps, de beaux modèles qui n'ont pas vieilli. Nous avons appris que le praticien, dirigé par le savant, pouvait apporter sa modeste contribution à la science, mais d'abord qu'il a le devoir d'introduire un peu d'esprit scientifique dans la pratique de son art.

Claparède citait avec satisfaction les paroles d'un maître français de l'éducation, Jules Payot, s'indignant enfin – et déjà ! en 1913 – de ce que « nul n'expérimente chez nous, et nul ne collabore... Chacun est isolé et recommence pour son propre compte la vie professionnelle sans pouvoir profiter des succès ni des erreurs de ses devanciers ou de ses collègues... Si les savants étaient isolés aussi complètement, nous en serions encore aux diligences et au télégraphe Chappe ! » C'était là poser, non directement le problème du contrôle, mais celui de comparaisons impliquant le recours à un contrôle méthodique du rendement, en vue d'améliorer ce dernier.

Decroly et Buyse constataient en 1929 : il n'est plus de production sans contrôle ; l'école ne peut rester seule exclue du bénéfice que procure une utilisation plus rationnelle des activités humaines. « Il nous faut comme en médecine, non plus les roublardises du charlatan, les trucs empiriques du rebouteux, les prescriptions dogmatiques des médicastres, mais l'art du praticien expérimenté, aidé de la science du savant de laboratoire ».

Presque mot pour mot, Claparède avait défini le « théoricien » par rapport à l'empiriste et réclamé l'intervention de l'expérimentation systématique en pédagogie : « Si la théorie est capable de perfectionner (au point où l'a fait le taylorisme) des techniques grossières portant sur une matière inerte, n'est-on pas en droit d'attendre d'elle des découvertes plus importantes encore dans cet art bien plus délicat qui consiste à guider le développement d'un enfant ? Il ne faudrait pas que le pédagogue eût rien de commun avec le rebouteux. »

A propos des tests de résultats, qui nous intéressent ici, je n'aurai garde de donner fût-ce un résumé de la Méthode des Tests, exposée notamment par Claparède et par Dottrens (Suisse), par Decroly et Buyse (Belgique), par Duthil (France) et déjà, pour l'essentiel, par Binet et Simon qui, avec l'aide de mathématiciens, mirent au point des procédés permettant la cotation précise d'épreuves spécialement étudiées ou de productions de type scolaire analysées en vue du maximum d'objectivité dans leur interprétation. Ces « tests » doivent permettre l'instauration d'une « pédagogie quantitative », et il faut noter que le psychologue, quand son intelligence est ouverte à toute réalité, comme celle d'un Binet, s'accorde à proclamer avec le technicien, au nom même de l'enfant et non du seul rendement social, la nécessité de cette « pédagogie de résultats » qui impose à l'éducateur esprit critique et curiosité.

MAIS QUE FAUT-IL ENTENDRE PAR « MESURE » ?

Il est bien entendu que tout n'est pas mesurable, surtout immédiatement mesurable, dans les résultats de l’œuvre éducative. A plus forte raison, après la faillite de la psycho-physique, ce mot doit-il être bien défini lorsqu'on franchit le seuil de la psychologie. De quel droit parler de mesure de l'intelligence ou même de mesure des progrès ? Binet et Simon, Decroly, Claparède, ainsi que les savants américains qui ont exploité la méthode savaient bien, dès l'abord, qu'ils travaillaient sur ces grandeurs discontinues qu'on appelle qualités, valeurs, aptitudes ; leur psychométrie ne prétend donc pas proprement mesurer mais classer, sérier, situer des mesures, toujours indirectes, sur des échelles dans des séries ordinales. Le terme de comparaison décisif est ici la chronologie grâce a la remarquable constance observée dans les étapes de toute évolution individuelle ; le psychologue-technicien obtient des résultats très suffisants en comparant les données globales ou analytiques fournies sur un sujet par telle épreuve, aux normes correspondantes établies par le procédé dit psycho-statistique ; d'où notamment les formules d'âge physiologique et d'âge mental, puis chez le Dr Simon, âge de Lecture, d'Orthographe... âge moyen d'Instruction.

Il est clair que la traduction de tout résultat en termes d'âge est particulièrement précieuse dans la période scolaire, et propre à aider l'instituteur en situant chaque enfant par rapport à la moyenne de son âge, soit quant au niveau général de développement, soit sous tel aspect particulier ; personne, par contre, ne songe plus à faire, de l'application aux adultes d'une échelle de l'intelligence, l’interprétation abusive qui a valu des critiques si injustes à celle de Binet et Simon.

ET QUE FAUT-IL EN ATTENDRE ?

Sachons d'abord ce que d'autres en ont tiré.

« Grâce aux travaux des pédagogues américains, entrepris pour donner au contrôle du rendement scolaire plus d'exactitude et d'objectivité, un pas a été fait vers la solution de l’irritante question des examens et concours traditionnels, par l'élaboration des « échelles objectives ». » Tout un domaine de la pédagogie comporte d’incontestables moyens de mesure ; seule la connaissance exacte du résultat atteint permet de juger la valeur pratique du travail et de découvrir les défauts de didactique ; l'effort de tout le corps enseignant doit viser à améliorer les conditions de l’instruction de l'enfance. »

Decroly et Buyse, que je viens de citer, semblaient pourtant redouter, de la part des enseignants belges, des réactions peu favorables à l'idée d'un contrôle susceptible de leur être appliqué. Il faut, pour être surpris à l’idée d'un contrôle enfin méthodique, ne s'être pas posé le problème, ou l'avoir mal posé. Car Delvolvé nous dit que, dès avant 1914, les tests-étalons étaient appliqués en Amérique à la mesure de l'efficience, et l'usage des mesures s'y développait comme le moyen essentiel d'apprécier le rendement scolaire et, par suite, d'être à même de l'accroître.

« La mesure scolaire, écrivait-il en 1920, tend ainsi à devenir, en Amérique, l'instrument par excellence de l’inspection : à travers écoles et classes, l’inspecteur transmet les résultats des tests, établit la comparaison permanente; entre inspecteur et maître, le test sert de base à la discussion des résultats d'éducation et des améliorations désirables ; le test permet ensuite de mesurer l'effet des changements apportés ; il fournit enfin à l’inspecteur une aide objective pour l'appréciation des maîtres. »

« Que l'objectivité d'appréciation soit une condition précieuse pour bien constater les progrès d'une classe, les différences de rendement des classes et écoles, et qu'elle soit requise pour le bon accomplissement de la fonction d'inspection et de stimulation scolaires, point de doute. Enfin, l'appréciation objective des résultats, là où elle est possible, sert évidemment à l'appréciation des méthodes elles-mêmes et doit fournir un moyen de contrôle de la valeur de 1'innovation pédagogique. »

On voit que nous sommes au cœur de notre sujet, et on mesure quel est le retard de notre technique traditionnelle.

Certes, le philosophe faisait des réserves. Il s'agit surtout de ne pas confondre la valeur de l'enseignement et la valeur de ses résultats mesurables : « ce qui importe le plus en éducation, c'est moins la parfaite exécution de l'exercice scolaire que l'aptitude acquise par le moyen de l'exercice scolaire et mise au service d'autres usages de l'esprit. »

Le contrôle scolaire le plus pragmatique n'a rien de commun avec celui d'un rendement industriel et, contrairement à la machine transformant une matière brute, l' « outil » même, en éducation, ne nous intéresse qu'en vue d'un rendement humain : non d'une production, mais d'une auto-création, d'un accroissement de potentiel de l'ouvrier lui-même, corrélatif sans doute d'une diminution de la fatigue, ou du temps nécessaire, ou d'une plus grande liberté à efficience égale, mais la matière première à valoriser, à élever, étant la personne même de l'enfant.

 

Aussi Delvolvé notait-il que, si le résultat d'un travail industriel est une chose valable par elle-même, « chaque production scolaire n'est qu'un témoignage indirect et fragmentaire relatif à l'organisation mentale, seul résultat substantiel de l'éducation seule valeur utile réellement produite. Or, l'interprétation du témoignage est précisément l’œuvre du jugement du maître ou de l’inspecteur dans chaque cas d'espèce ; ce jugement peut s'aider du test, il ne saurait s'effacer devant le résultat du test ».

 

Delvolvé reconnaissait néanmoins les grands avantages, non seulement des tests de contrôle, mais des tests analytiques de l'intelligence (voir ci-dessous), constatant qu'aux applications scolaires de l'analyse des fonctions mentales est due l'Education sur mesure et que, grâce à elle, d'autre part, on a pu offrir des types variés d'enseignement aux écoliers placés sur un même palier scolaire ; car c'est l'application des tests à l'étude d'un programme minimum (tests diagnostiqués ; tests d'entraînement avec auto-correction, répondant à chaque unité de travail des matières à étudier, des techniques à acquérir) qui permit à Washburne, dans son école de Winnetka, de consacrer, grâce à l'accroissement du rendement scolaire, la moitié du temps à l'activité libre et au travail par groupes en application des connaissances acquises.

Ainsi, un contrôle quantitatif du travail scolaire présente des avantages de plusieurs sortes. Je les résume d'après Decroly et Buyse :

- d'abord, l'élève apprend à contrôler ses propres progrès et à se comparer à lui-même, sans préjudice de l'émulation qui peut résulter des classements et que Binet tenait à conserver parce qu’il faut aux enfants « une sanction sociale de leur effort » ;

- ensuite, le maître contrôle sur ses élèves les fruits de son propre enseignement; la tentative n'est pas neuve, mais les tests ou examens standardisés, employés avec prudence, aident à mieux connaître les besoins des élèves en vue d'y répondre dans la mesure du possible ;

- enfin, « il est clair qu'en ce qui regarde l'utilisation des tests pédagogiques pour des fins d’inspection, les maîtres ont tout à gagner à voir remplacer le régime actuel, où domine l’impression personnelle, par un mode objectif d'examen dans lequel l'humeur versatile de chacun sera délibérément remplacée par l'ordre rigoureux de règles générales et précises... Pour le chef, il s'agit non de chercher à constater pour le plaisir les défaillances des praticiens, mais au contraire de prêter une aide avertie à chacun dans la recherche des points faibles de sa technique, avec l'unique intention de découvrir les moyens d'y remédier... Par cette collaboration sympathique de tous, chacun apprendra à envisager son effort dans l’œuvre scolaire d'un point de vue plus objectif et plus exact ».

- D'autre part, que penser de la valeur propre de renseignant ? En l'absence de critères précis et objectifs permettant le contrôle du résultat de son enseignement; on a jusqu'ici beaucoup surestimé le « don » de l'art pédagogique, l'importance du « geste magistral », alors que ce qu’il faut, c'est obtenir la participation active des élèves à l’œuvre de leur propre formation... En outre, dans l'appréciation d'un maître, doivent intervenir les conditions de travail qui lui sont faites ; mais, même en supposant tous les maîtres également doués et placés dans des conditions uniformes, c'est néanmoins de l'amélioration des techniques qu'il faut attendre un progrès marqué de la pédagogie. Oeuvre du maître, travail personnel de l'enfant, collaboration intime des deux, la « didactique » ne peut s'améliorer que par l'expérimentation, et celle-ci suppose des mensurations et par conséquent requiert l'esprit quantitatif.

(Notons qu'en la personne de Buyse, c'est un I.P. belge qui parle.)

b) NÉCESSITÉ ET ROLE DES TESTS PSYCHOLOGIQUES

Il nous a été difficile, jusqu’ici d'éviter toute allusion à la psychologie à propos de pédagogie. C’est que le contrôle des résultats relève d’une pédagogie expérimentale ou positive qui, d’une part, diffère de l’observation ou de l'expérimentation proprement psychologique, mais, d'autre part, ne saurait avancer sans s'appuyer sur ses données, Delvolvé : ne voulait pas qu'on parlât de psychologie pédagogique, confondant ainsi la science et l'art appliqué, et observait que la « psychologie appliquée à l'éducation » est la psychologie pure et simple, fidèle aux méthodes expérimentales ; mais les termes condamnés veulent sans doute marquer une solidarité de la psychologie de l'enfant ou de l'adolescent et de la pédagogie, telle qu'on peut parler, pour tout éducateur, d'une culture et de recherches psycho-pédagogiques. Cette liaison nécessaire est apparue à la fois aux éducateurs novateurs qui ont consulté et renouvelé la pédagogie pour réformer l'école (Montessori, Dewey, Decroly) et aux psychologues de profession qui sont entrés eux-mêmes à l'école populaire (Binet) ou ont introduit l'école dans l'Université (Claparède ; c'était aussi le rêve de Delvové) pour exploiter les immenses ressources du milieu scolaire, champ d'action avant tout pour l'éducateur, champ d’investigation idéal pour les théoriciens.

RECHERCHE ET ACTION S'Y EXERCENT DANS LES DEUX SENS PRINCIPAUX

1. - Application des ressources actuelles de la psychologie infantile à la connaissance des élèves, en vue de les sélectionner et de leur adapter les moyens pédagogiques, ou de les orienter vers les activités répondant le mieux à leurs aptitudes naturelles ou acquises ;

 - et mise à l'épreuve de ses lois sur les enfants à qui l'on a affaire, contrôle d'hypothèses nouvelles par l'institution d'expériences propres à faire avancer l'explication positive des phénomènes psychologiques ou, du moins la connaissance de leurs relations.

2. - Application des conquêtes de la pédagogie expérimentale et de la statistique pédagogique au contrôle des progrès dans les activités et les connaissances ;

 - et recherche expérimentale consistant à instituer la comparaison rationnelle des résultats d'organisations scolaires différentes, de méthodes et de procédés divers.

N'oublions pas que la nécessité d'une « échelle métrique » de l’intelligence, point de départ des recherches dans ce domaine, était apparue à l'esprit éclectique et souple d'un Binet à l'occasion de ses travaux de psychologue sur les relations entre les anomalies de « l'âme » et celles du corps ; les tests psychologiques se généralisèrent bientôt aux Etats-Unis en raison des possibilités qu'ils offraient de fonder une amélioration du rendement scolaire sur une connaissance précise des possibilités et des besoins de chaque enfant. A partir de là, d'autres savants ont appris à mettre au point des épreuves d’investigation psychologique très délicates, dont certaines fournissent des données purement qualitatives d'une interprétation particulièrement difficile.

Ceci dit, revenons à notre propos de mesurer des résultats. Nous savons qu’ils s'évaluent relativement à un niveau de départ ; mais il faut ajouter qu'ils n'ont de signification que relativement aux moyens du sujet, moyens globaux ou particuliers; d'où la nécessité de recourir aux tests psychologiques, non seulement, comme nous l'avons entrevu, pour atteindre des résultats fonciers et non simplement « scolaires », mais en vue de la connaissance préalable des enfants, et d'une évaluation valable de leurs progrès et du rendement de l'école.

Les tests psychologiques peuvent avoir pour objet :

a) la détermination de l'âge mental et du quotient intellectuel ou de développement (de Stern) , quotient de l'âge mental par l'âge réel, - l’intelligence étant entendue de manière toute générale et pratique; ils sont, avec l'observation anatomo-physiologique et l'examen sensoriel le fondement du diagnostic de base qui permet l'affectation de l'enfant au type et au niveau de classe qui lui convient ;

b) l'établissement du profil psychologique d'un sujet, d'un quotient d'aptitude, quotient du nombre qui mesure le travail intellectuel du sujet par la valeur normale de son âge ; la détermination du degré de ses diverses aptitudes qui, à âge mental égal sont très diversement distribuées ; dans la mesure où ils permettent un pronostic, les tests de cette nature rendent possible l'orientation bien avant le temps où se pose la question du choix d'un métier ;

c) l'exploration du psychisme par l'analyse des fonctions et la recherche des corrélations fonctionnelles : on les appelle alors tests fonctionnels. Ils peuvent constituer de véritables expériences individuelles ou collectives, mais ils assurent en même temps une connaissance nuancée de chaque sujet.

Tests d'aptitudes et tests moteurs, conjugués avec les tests de connaissances dont nous avons parlé, assurent la détermination de la physionomie mentale d'un enfant ;

d) il faut faire une mention spéciale des derniers venus, les tests d'exploration du caractère.

 

C) ENSEIGNANTS ET INSPECTEURS

PEUVENT-ILS PRATIQUER LA MESURE PSYCHO-PÉDAGOGIQUE ?

 

La question se pose maintenant de savoir si le praticien de l’éducation peut, et à quelles conditions et dans quelles limites, œuvrer dans ces divers domaines.

La mesure, et plus encore son interprétation, sans parler de l'exploration analytique, sont, de l'avis unanime, très difficiles, en raison surtout de la méthode, de l’intelligence et dé la culture spéciale qu'elles exigent, Cependant, le degré de confiance manifesté aux enseignants est très variable ; consultons-les un instant.

 

1. - Point de vue des théoriciens et des spécialistes

 

Certains semblent défendre jalousement le domaine de la Science contre l'intrusion des profanes; nous avons trop de respect admiratif pour les savants, pour attribuer cette attitude à autre chose qu'au scrupule intellectuel, humain aussi, qui les anime eux-mêmes dans leurs recherches.

Des réserves d'un Delvolvé, je retiens une double leçon de prudence : d'une part, l'emploi de normes et de chiffres ne doit pas faire illusion sur le caractère scientifique de l'évaluation et de la comparaison des résultats de l'éducation ; d'autre part, l'étude psychologique proprement dite ou analyse mentale requiert toujours 1'intervention perspicace et sympathique de l'esprit de finesse, dont l'observation analytique est un usage d'autant plus délicat qu'elle veut être révélatrice du jeu des fonctions et de leurs corrélations.

Decroly et Buyse distinguent deux parts dans l’investigation scolaire, mais celle qu'ils font à l'enseignant n'est pas négligeable. Malgré les difficultés de l’introduction de la mesure à l'école, ils affirment la nécessité d'une collaboration à tous les échelons de l'enseignement. A bien des maîtres d'école font défaut la technique d'emploi des échelles et, plus encore, « l'esprit scientifique nécessaire pour juger froidement ».

Enregistrons, et tirons la conclusion qui s’impose,.. Mais d'abord, la possibilité de la pédagogie quantitative est démontrée par l'étranger : « la presque totalité des instituteurs américains la réalise depuis 1918 ». Ensuite, il faut distinguer la science qui se fait de celle qui s'applique: les recherches de la première sont réservées aux spécialistes qui seuls auront la charge d'établir, de mettre au point des tests standardisés ; tandis que les travaux de la seconde, qui consistera à utiliser intelligemment les procédés de mesure pédagogique, deviendront la prérogative des praticiens de l'éducation.

Les auteurs belges, du moins pour une période transitoire, réserveraient à des spécialistes l'usage des épreuves mentales et le diagnostic des aptitudes; aux instituteurs reviendraient la classification des élèves, l'emploi et l’interprétation des tests d'instruction.

Même position chez R. Duthil, qui milite depuis si longtemps en France pour la méthode des tests : l'élaboration des tests étant assurée par un Service de recherches, le maître, libéré de leur correction par des « comptables scolaires » , assurerait leur application et aussi leur interprétation, « vrai travail de l'éducateur » , dont les procédés devraient être enseignés dès l'E. N .

C'est certainement là une adhésion très nette à la large confiance témoignée aux enseignants par Claparède, bien qu'il ait souvent dit que « le test est une arme à double tranchant, qui met en valeur les qualités de l'examinateur en même temps que celles du sujet » . Il écrivait :

« Myers proteste contre le fait que les tests sont souvent pris par des personnes non initiées à la psychologie et que le matériel ainsi rassemblé, entaché d'erreurs, n'a aucune valeur réelle.

« Assurément, prendre un test, surtout sur un enfant, est toujours délicat. Mais est-il vraiment nécessaire d'être un psychologue de carrière pour prendre correctement des tests sur des enfants ? Je ne le pense pas : il suffit de connaître ces tests et de les avoir pratiqués, d'avoir à l'esprit les causes d'erreurs possibles, Les tests de Binet et Simon, notamment, me paraissent pouvoir être fort bien compris par les instituteurs. Ainsi que Koh l'a prouvé par des expériences de contrôle, un cours de six semaines suffit pour se familiariser avec ces tests et les employer d'une façon correcte. » (Méthodes, P. 70.)

Et à propos de Binet, M. F.L. Bertrand, qui semble admettre généreusement nombre d'instituteurs à une recherche psychologique valable et même utile, cite ces propos du Maître français :

« C'est une erreur de croire que la méthode expérimentale s'apprend verbalement par la lecture et par les cours: elle s apprend par l'exercice et par l'effort personnel. Il faut se mettre aux prises avec la nature et là, essayer de la comprendre, avec la résignation de commettre bien des erreurs de débutant, mais avec le courage de se corriger et la modestie nécessaire pour demander des conseils à ceux qui en savent davantage ». Il voulait pratiquer la méthode expérimentale dans l'éducation des esprits et, en somme, appliquer la méthode naturelle et active l'Education Nouvelle aux éducateurs, comme ceux-ci doivent l'appliquer aux enfants.

Toutefois, ne nous berçons pas d'illusions : la méthode expérimentale serait généralisable précisément sil s'agissait de lire un manuel ou de suivre quelques cours ; l'effort personnel en ce domaine requiert une curiosité, une perspicacité, une application exceptionnelles ; quant au courage intellectuel et à la modestie, ce sont valeurs peu courantes qui relèvent de la « morale de la science ».

D'ailleurs, dans leur commentaire de l'échelle métrique et de son emploi, Binet et Simon affirment eux-mêmes en conclusion :

« Pour qu'un résultat de cette méthode ait une valeur réelle, il est absolument nécessaire que celui qui s'en sert possède à fond la pratique de l'expérimentation psychologique, ou mieux encore, ait fait l'apprentissage de la méthode elle-même dans un laboratoire de psychologie... Nous avons vu des personnes qui, en dépit de leurs efforts, n'arrivaient pas à s'assimiler la technique des tests, et que le contrôle le plus soigneux n'arrivait pas à corriger de leurs erreurs. »

L'inaptitude et les erreurs d'application seraient d'autant plus graves que la méthode même est reconnue imparfaite par les savants modestes qui l'ont créée, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit, entre des mains sûres, dépourvue de valeur, pratique et théorique. Mais il est assez étrange de constater que si, pour les uns, le plus délicat n'est pas la pratique de tests une fois bien mis au point, décrits et étalonnés, mais bien l'interprétation de leurs résultats, surtout lorsqu'il s'agit de rechercher des corrélations, il semble que d'autres tiennent surtout à ce que l'application même des tests soit assurée par des spécialistes.

Et il faut bien dire que le maximum de défiance est témoigné aux enseignants par des spécialistes dont nous ne saurions nier la science, mais qui sont plus souvent des initiés à une technique que des créateurs.

Nous y reviendrons à propos de la collaboration de ces spécialistes au contrôle scolaire [1](1).

Il n'est pas possible à un inspecteur qui n'a reçu que l'initiation exotérique et qui, jusqu'à ce jour, avoue avoir fait passer trop de travaux et de besognes avant l'application des méthodes de recherche dont il ose se permettre de parler, de prendre dès maintenant position, Mais si je ne puis affirmer l'aptitude ou l'inaptitude actuelle des instituteurs et même des inspecteurs français à pratiquer la mesure psycho-pédagogique et son commentaire, je puis et dois proclamer ma conviction que nous devons acquérir et démontrer cette possibilité. Comme Claparède et Delvolvé le demandaient, il faut que les Ecoles Normales (au cours des deux années qu'on y consacre désormais à la formation professionnelle), préparent sommairement mais sérieusement les futurs instituteurs et institutrices aux techniques indispensables, en s'attachant à cultiver en eux curiosité et esprit scientifique. Pourquoi, d'autre part, ne pas exiger des I.P. une qualification spéciale qui en fasse de prime abord mieux que des apprentis en ce domaine ? Toutefois, ceux qui ont entretenu et poursuivi leur culture, - c'est-à-dire tous, - pourraient déjà instituer, avec les éléments « jeunes » de leur personnel, des travaux modestes et méthodiques propres à généraliser une initiation progressive à l'observation suivie, au contrôle objectif, à la mesure simple. Ainsi, à l'observation directe, l’instituteur, une fois initié au maniement des tests de connaissances et d'aptitudes, pourrait ajouter, pour son compte, une mesure plus rationnelle de l'efficacité de son enseignement; et 1'inspecteur, par le recours à des épreuves uniformes, pourrait dépasser l'appréciation fondée sur la seule impression, et même faire contribuer, comme on l'a déjà vu, certaines classes, sinon au progrès de la psychologie, du moins de la pédagogie, les esprits scientifiques accédant à l'expérimentation. N'est-ce pas là un minimum ?

En somme, convenons que l'attitude des juges les moins encourageants est bien motivée par l'état de fait actuel; mais considérons l'optimisme des autres comme un précieux encouragement, qui n'est refusé à aucun éducateur de bonne volonté. « Le difficile seul mérite d'être fait. »

 

2. Instituteurs et Inspecteurs ont-ils un point de vue ? Lequel ?

 

Je me permets d'ouvrir ici une consultation préalable.

Il me semble que la majorité a bien des objections à émettre, mais non toujours celles des spécialistes, qui impliquent un connaissance pratique des difficultés : en général, ne trouve-ton pas les procédés de mesure inutilement compliqués, sinon la mesure inutile ?

J'en juge par le peu de cas que font très souvent instituteurs et professeurs du contrôle même des travaux scolaires et de l'étude; par la manière routinière dont il est pratiqué quelquefois.

Car ce n'est pas souvent par esprit novateur, et mépris des activités formelles, qu'on se dispense de l'effort d'attention que requièrent l'annotation et la notation ou l'appréciation précise des travaux de classe. Le symbole de cette indifférence non exceptionnelle est la mention VU figurant en regard de tant de travaux que l'inspecteur aimerait mieux ne pas voir et dont le maître s'est visiblement éloigné au plus vite, libérant les enfants de l'auto-correction, les privant d'observations et de conseils, et de la conscience même de leur négligence ou de leur ignorance.

Même lorsque le contrôle parait sérieux, n'est-on pas en droit de penser quelquefois que l'instituteur n'y croit pas, ou n’y croit plus ? Ce discrédit de son propre travail doit lui poser un problème, faute de quoi l’inspection ne peut pas ne pas le soulever.

Tel maître, qui a su se montrer instituteur d'élite, se résigne à souligner et à compter chaque mois quinze à vingt fautes sur les petites compositions d'orthographe de son C.M.1e. A partir de 10 fautes, il attribue la note zéro, car ce sont Dictées de contrôle.

Quand donc l'un de ces élèves de 10 ans accédera-t-il à une note positive d'orthographe ? Les procédés de notation des tests auraient ici pour l'enfant cet avantage énorme de situer la moyenne de 5 points non au niveau de 5 fautes, mais peut-être de 14 ou de 17 fautes, avec une répartition des 10 points, de vingt et quelques fautes, à un nombre de fautes peut-être supérieur à dix. Que si cette nécessité logique indignait le maître, il songerait sans doute à se demander si les épreuves auxquelles il a soumis ses élèves, d'une part sont progressives d'octobre à juin d'autre part contrôlent leurs connaissances possibles ou leur ignorance probable, c'est-à-dire répondent au niveau d’intelligence et d’instruction, et plus précisément à l'âge d'orthographe qui est le leur. La nécessité d'évaluer celui-ci l'obligerait-elle à regarder hors de sa classe, à consulter les résultats d’observations déjà faites par d'autres ? Ce serait tant mieux pour lui et pour ses élèves ; mais son inspecteur - je parle pour moi, si l'on veut - ne doit-il pas l'aboucher avec d'autres maîtres de C.M. qui, dans des conditions uniformes, mettront à l'épreuve certains textes de dictée et lui enverront les résultats pour étude comparative confidentielle, en vue d'amorcer une étude de ce que les enfants de cet âge savent et ne savent pas, peuvent et ne peuvent pas savoir, d'une façon générale en orthographe ?

Quelques-uns peut-être, parmi ceux qui négligent le contrôle des résultats de leur enseignement, ou qui se contentent du visa le plus routinier, ne se résigneraient pas d'un cœur léger à adopter des méthodes de mesure rigoureuse dont l'apprentissage même leur serait pénible. Quant aux maîtres les plus consciencieux, ils ne sont pas forcément enclins à admettre à priori qu'une mesure standard vaille mieux que ces compositions sur lesquelles ils fondent le classement de leurs élèves et qui corroborent à peu près toujours le jugement empirique qu'ils n'ont pas tardé, c'est un fait, à porter sur chacun de ces derniers[2]. Il faut, pour les persuader, leur révéler les avantages pédagogiques de la mesure et de la comparaison, pour leurs élèves, pour leur pratique, pour la pédagogie moderne. Des revues qui ne touchent qu'une minorité d’instituteurs rendent compte, occasionnellement, de travaux pédagogiques de cette nature ; il faut que les organes d'une coopérative qui se veut adaptée aux besoins mêmes des éducateurs assurent la vulgarisation d'un ensemble de techniques dont nous pourrions faire l'inventaire et le choix, en attendant d'en mettre d'autres au point. Qu'en pense-t-on ?

 

3. Apprentissage du contrôle et Education Nouvelle

 

Car, qu'il s'agisse d'esprit quantitatif (souci du rendement, qui implique la qualité) ou plus largement d'esprit d'observation, c'est la masse du personnel enseignant qu'il importe, comme le disait Decroly, d'amener à réaliser et à légitimer la théorie dans ces « ateliers d'humanité » que sont les classes. Le contrôle des résultats, nous le pensons avec lui, doit être le champ le plus favorable à un premier apprentissage de la mesure et de l'expérimentation psycho-pédagogiques pour tous les praticiens de l'enseignement.

Le problème de la rénovation des techniques d'inspection et d'examen l'exige; et il s'est posé avec acuité à ceux qui aspirent à « aller d'abord à la découverte de l'enfant », ce qui, pour Mme Montessori, est la définition de la « véritable Education nouvelle ».

L'éducateur nouveau ne peut être ni un imitateur, ni un simple intuitif ; ou plutôt, il n'est pas donné à tout le monde de faire une imitation intelligente des meilleures pratiques, et moins encore de pouvoir compter sur son intuition pour instituer un milieu éducatif, adapter sa personnalité aux enfants et organiser la vie scolaire la plus favorable à leur épanouissement.

Freinet ne me démentira pas si j'ajoute que l'adoption formelle d'une technique moderne peut laisser le maître aux antipodes de l'Education Nouvelle, s’il ne part d'une connaissance précise et nuancée de l'enfance ou s'il fait fi de la nécessité de préciser et de vivifier tous les jours cette connaissance - et pour chacun des enfants dont il a la charge - par une observation aussi méthodique que sympathique. Tous les groupes d'études et d'Education nouvelle devraient donc - (les instituteurs allemands étaient organisés dès 1908 en groupes d'étude, psychologiques) - donner, dans leurs activités, sinon la primauté, du moins la priorité au perfectionnement des techniques d'observation de chaque enfant et groupe d'enfants, à la lumière d'une étude toujours plus poussée de la psychologie enfantine en général, tâche plus urgente que le choix et l'élaboration des moyens de satisfaire des besoins dont peu d'éducateurs ont eu la révélation directe, ou même théorique.

La question n'est pas de savoir si ces travaux doivent être le fait de groupes libres d'instituteurs ou de circonscriptions d'inspection impulsées par leur inspecteur ; je pense que ces deux formes de coopération peuvent servir, et surtout que ce ne sont pas des décisions d'en haut qui pourraient promouvoir les techniques qui se cherchent.

C'est aux instituteurs et aux inspecteurs progressistes, mettant à profit ce qui nous est officiellement offert de liberté, à faire des essais à mesure qu’ils assimileront les connaissances indispensables et qu’ils forgeront - qui sait ? - leurs propres outils de contrôle psycho-pédagogique. La naissance, chez nous, de groupes amicaux de travail répond à un besoin trop tardivement senti ; Le Dr Simon dit, par exemple, que, dans tout travail sur un test, « il faut pouvoir opérer dans des classes différentes…. Des maîtres pourraient, croit-il, s'entendre pour opérer simultanément dans leurs classes respectives, calculer les moyennes des élèves réguliers, contrôler ces barèmes que (nous) donnons toujours comme provisoires et les établir pour les milieux spéciaux, ruraux, pauvres ou aisés dans lesquels ils se trouveraient expérimentés ». On voit qu'un groupe d'Education Nouvelle peut organiser la coopération sur le terrain de l'expérience pédagogique... ce qui ne veut pas dire qu’il ne lui manquera pas un chef d'orchestre et agent de liaison.

Mais est-ce un groupe d'instituteurs qui pourra mettre au point une technique de contrôle valable dans les divers types de classe et susceptible de moderniser l’inspection et les examens ? Qui ne voit que précisément la réforme impliquerait une large collaboration parmi les inspecteurs eux-mêmes ? Celle-ci peut aussi être amorcée et guidée par MM. les Inspecteurs généraux des Académies ; mais on devine que l’initiative, pour être vraiment vivante, doit venir des collègues que rapprochent des aspirations communes. Un groupe d'I.P. au sein de la C.E.L., faillit naître en 1938, mais nous sommes dispersés et ne nous connaissons pas... et la guerre était déjà sur nous. Sur le plan syndical, il n'est pas moins difficile aux I.P., lorsqu'ils ne s'enferment pas dans un individualisme farouche caractéristique des Français et tout particulièrement des « chefs », d’instituer entre eux cette coopération qui les rendrait tellement plus utiles à tous les enseignants.

Les éducateurs novateurs, ayant la volonté de se libérer du formalisme, retournent à la nature enfantine, au service de laquelle ils n'en mettent pas moins les ressources de la civilisation propres à servir à son développement dans la joie de l'effort ; les inspecteurs qui travaillent dans le même esprit veulent aussi retrouver la source des problèmes, étudier ceux que posent les besoins de l'enfant et les besoins de l'instituteur, et pensent le problème même de leurs relations avec les maîtres, en fonction du sens nouveau que ceux-ci doivent acquérir de leur mission ; pour se libérer du formalisme dans les jugements, eux-mêmes recherchent le point de vue fonctionnel, considérant en l'éducateur la curiosité sympathique de l'observateur, l'aptitude pédagogique de l'éveilleur, la valeur intellectuelle et morale du guide, la maîtrise du technicien dans la création, l'emploi et le perfectionnement de ses outils, ce qui ne doit pas les empêcher de mettre au service de la fonction, dans toute la mesure de leurs moyens, les données de la science susceptibles d'en favoriser le perfectionnement.

Le rôle de l'éducateur est peut-être de savoir s'effacer et, à l'aboutissement de l'éducation, de se rendre inutile: ce qui, bien compris, n'allège en rien ses devoirs et ses responsabilités ; et c'est, nous a-t-on montré, dans la mesure où il sait organiser l'auto-éducation et l'éducation mutuelle des enfants, qu’il accède à la plus haute utilité. De même, il ne peut être question pour l'inspecteur de se rendre inutile en désertant sa mission, en libérant purement et simplement ceux dont il est responsable. L’idéal que nous partageons avec Dottrens veut que nous organisions cette liberté qui ne va pas sans un sens aigu de la solidarité et de la responsabilité : l'inspecteur a une fonction de coordination, et par là de direction, « non du point de vue de l'autorité qu’il détient, mais de l'éducation » sur laquelle il veille.

Ce concours désintéressé et cordial doit s'étendre ; en France comme ailleurs, en liaison avec tout groupement tel que le Groupe Français d'Education Nouvelle, dont l'activité se concentre visiblement dans la C.E.L.[3] les inspecteurs paraîtront, à la presqu'unanimité des enseignants, tout indiqués pour l'organiser et l'animer dans leur ressort.

d) LES AUXILIAIRES DE L'EDUCATEUR

Que l'instituteur ait besoin d'être aidé, c'est l'évidence même. En ancien instituteur, j'affirme que le meilleur instituteur « en puissance », celui qui est pleinement convaincu de ses responsabilités, de la beauté et de la difficulté de sa tâche, modeste et fier à, la fois, exigeant à l'égard de lui-même et avide de justice, de compréhension et d'estime de la part de la société et des hommes, sent le besoin d'être aidé dans sa culture, dans sa pratique professionnelle, dans la solution des difficultés de sa vie. Citons pour commencer les difficultés que lui créent les inimitiés et les injustices atteignant sa personne ou son école ; les difficultés économiques de son existence de travailleur, - c'est là ce qui le fait syndicaliste - ; celles qui naissent de son isolement intellectuel et professionnel. S'il refuse de se résigner à sa condition de faux intellectuel, il est souvent impuissant à en sortir, faute de moyens de culture et faute de liberté : manque de loisirs, de ressources, de contacts, même dans le cadre départemental, voire cantonal, et à plus forte raison faute de voyages en France et à l'étranger, qui lui permettraient de suivre le mouvement des idées et les réalisations concrètes, sur quoi il n'a que des informations brèves de N..ième main, qui l'intéressent peu, surtout s'il refuse de se payer de mots.

D'autres difficultés lui viennent de la complexité de sa tâche dans certaines classes : décalage entre son effort et son rendement, qui fait, dans le cas le plus favorable, le novateur, le révolutionnaire, avec les risques que cela comporte : risque de ne se poser qu'en s'opposant, d'affronter trop de problèmes et de les résoudre à l'aide d'une panacée. Ajoutons la présence, dans sa classe, d'enfants qui ne peuvent que la troubler ou y perdre leur temps....

L'instituteur assure comme il peut sa culture avec des livres d'emprunt ou une modeste bibliothèque personnelle : c'est ce qui le fait autodidacte. Très rarement, il a la possibilité de s'inscrire auprès d'une Faculté et de s'y montrer certains jeudis : s'il a la chance de se faire ainsi étudiant, il lui arrive d'ailleurs de mal tourner, je veux dire de s'évader de l'enseignement, du moins primaire. Si, occupé surtout de son métier, il trouve la possibilité de confronter enfin ce qu'il fait avec ce que font ses collègues, le voilà coopérateur : autant de voies où il faut le suivre avec sympathie. Mais cela ne suffit pas, et il importe de prendre conscience de besoins qu'une organisation rationnelle de la fonction doit arriver à satisfaire. Le problème se pose depuis toujours aux inspecteurs primaires et ne saurait être tenu ici pour déplacé.

1. L'instituteur doit recevoir les moyens de s'informer et de « s'enrichir » sur place et au dehors, - pour l'aider dans sa culture, il lui faut des outils (importance d'une bibliothèque pédagogique vivante, variée et à jour, - et j'en parle avec gratitude) et des contacts (réunions corporatives sereinement consacrées aux grands et petits problèmes du métier; coopération à distance, selon ses besoins et aussi les aptitudes qu'il peut mettre au service de ses collègues ; cours et conférence de culture très générale, mais aussi de psychologie et de pédagogie, séances de cinéma répondant à cette double fin ; stages d'information et d'études, à raison d'un par année scolaire, libres mais occasionnant le moindre déplacement et le moins de frais possible ; voyages culturels de vacances officiellement encouragés par une indemnité individuelle ou de groupe accordée sur le vu de comptes rendus et travaux d'ordre général et pédagogique, ainsi que par une liaison universitaire officielle en France et à l'étranger...)

 2. Il lui faut aussi une aide régulière sur place, en vue :

 a) du perfectionnement de sa pratique, soit qualitativement considérée, soit jugée dans ses résultats mesurables, et notamment de l'accroissement de son rendement par l'utilisation rationnelle d'un effort normal : choix ou élaboration des outils et procédés, emploi des uns et des autres, auto-contrôle et contrôle comparatif des résultats obtenus... Les conseils bienveillants, l'exemple direct et concret de l'inspecteur sont à ce point précieux qu'il n'est guère de cas où, surmontant éventuellement le malaise né d'un système d'inspection imparfait, le maître ne devienne le collaborateur confiant de son conseiller technique et chef administratif ;

 b) d'une connaissance suffisante de certains enfants qui lui posent de rudes ou délicats problèmes, et de l'élimination de ceux pour qui, dans les conditions où vit et travaille sa classe, il ne peut rien d'efficace, ou qui sont même dangereux pour leurs camarades.

1° Quels services vont aider l'instituteur sur ce second point ?

Force est encore, à quiconque s'aventure en ce domaine, de parler au futur, sauf en ce qui concerne la connaissance de l'état physique des enfants, et les mesures que peut motiver cet état, puisqu'il existe enfin, sur le plan national, un service d'hygiène scolaire qui n'a plus désormais qu'à mettre au point ses activités.

L'initiative de communes et même de départements avait d'ailleurs institué depuis longtemps ces médecins-inspecteurs, qui avaient fait d'excellent travail, dans certains secteurs au service de l'enfance et de l'école. Les suites qu'il faut supposer données a une inspection médicale sérieuse sont de nature très variée; mais dans leur ensemble, les visites me semblent être justifiées par les simples considérations que voici : elles pallient, pour chaque enfant, le défaut d'une consultation régulière du médecin par toutes les familles; elles dépistent des anomalies ignorées ou négligées par les parents comme par le maître, ou apportent aux interventions, trop souvent vaines, de ce dernier, la confirmation décisive de l'homme de l'art. C'est dire qu'avec plus de science et plus d'autorité que l'instituteur, sans parler de cent choses bénignes mais dignes d'attention qu'il peut signaler au maître, il constate, diagnostique et devrait pouvoir « ordonner », dans l'intérêt de chaque enfant, eu égard à sa santé, à sa croissance, et du même coup à ses études.

Le médecin est un auxiliaire de l'instituteur dans la mesure où famille, médecin traitant, oeuvres sociales, donnent une suite à ses constatations et prescriptions ; dans la mesure aussi où un contact suffisant avec le maître et une confiance à laquelle fait parfois obstacle une conception discutable du secret professionnel, lui permettent de fournir à celui-ci des données susceptibles d'influencer sa pratique pédagogique, son attitude, ses exigences, le mode de ses interventions d'éducateur à l'égard de tel ou tel enfant.

- Mais on parle beaucoup, depuis 1945, d'une autre institution, déjà en fonctionnement dans la Seine et dans quelques grandes villes : il s'agit d'un service d'inspection psychologique, ajoutant à l'examen physiologique pratiqué par le médecin-inspecteur, un examen sensori-moteur, mental et caractériel ou, plus brièvement, psychologique.

Se référant au Projet de Réforme de l'Enseignement, M. Prudhommeau, Professeur d'enfants arriérés, chargé du service de, dépistage des enfants anormaux et des examens psychologiques dans les Ecoles de la Seine, fait de fréquentes allusions aux futurs « psychologues scolaires » tant dans son ouvrage sur « Le dessin de l'enfant » que dans le Bulletin n° 74 de la Société française de Pédagogie, consacré au « Problème pédagogique et social de l'enfance inadaptée ».

Tant que le « Projet » reste, malheureusement, sur le plan de la chimère, nous sera-t-il permis de nous interroger sur le rôle et la place de la nouvelle institution ?

Sans initiation spéciale au détail du Projet, on pourrait d'abord se demander si la spécialité en question sera de caractère médical ou éducatif; et effectivement, il apparaît à la lecture de l'intéressante étude de M. Prudhommeau qu'un conflit préalable existe entre un commencement d'institution privée subventionnée par le Ministère de la Santé et le projet d'organisation officielle dans le cadre de l'Education nationale. Nous ne saurions prendre part à ce débat, encore qu'il nous soit impossible de concevoir l'organe nouveau dont nous allons définir la fonction, autrement que sous forme d'un service public laïque intégré à l'Université.

Mais la question pourrait rester entière de sa voir si l'inspection psychologique sera confiée à des spécialistes de la neuro-psychiatrie ou à des éducateurs formés à la pédagogie spéciale qui se fonde sur la psychopathologie infantile et les thérapeutiques correspondantes. Il nous importe peu de savoir s'il s'agit alors d'autre chose que du conflit de prestige entre une spécialité médicale déjà vieille (branche d'ailleurs la plus imparfaite parce que la plus complexe de la médecine) et une jeune science fière de ses premières techniques efficaces... Ce qui compte à nos yeux, c'est ce que nous pouvons attendre de l'inspection nouvelle, qui fonctionne dans la Seine et dans certains grands centres, ainsi que dans divers pays étrangers, - étant entendu d'avance qu'elle ne doit constituer à son tour qu'un moyen au service d'une fin antérieure à sa naissance.

On sait que les anomalies de l'intelligence ou du comportement sont plus négligées encore que les maladies proprement corporelles, et que souvent les familles les cachent comme des tares infamantes, plutôt que de chercher à y porter remède, ce qui peut conduire, surtout s'agissant d'enfants, à de véritables crimes par abstention. Il semble donc qu'ici encore, le dépistage d'anomalies, connues ou non de l'instituteur, doive être assuré en vue d'une suite médicale ou pédagogique à donner ; mais qui dit dépistage doit dire, pour qu'on dépasse, non seulement sur le plan technique, mais sur celui des réalisations, l'action d'un bon maître, un diagnostic précis permettant la « catégorisation » de chaque sujet, c'est-à-dire (je résume M. Prudhommeau) précisant :

- s'il présente une inadaptation physique momentanée exigeant une cure de plein air sans interruption des études normales ;

- s'il est retardé pédagogique et a besoin d'un simple rattrapage ;

- si des troubles psychiques ou une déficience mentale marquée exigent son affectation à une école ou une classe d'enseignement spécial ;

- si son état fait de lui un infirme définitif ou un malade mental nécessitant des soins en même temps qu'une action éducative spéciale ;

- s'il doit être mis en observation dans un centre spécial avant d'être pris en charge par le service d'éducation qui conviendra à son état ( cas des enfants « en danger moral » d'intelligence normal ou non, avec ou sans troubles du comportement) ;

- s'il est « inéducable » et relève des services hospitaliers ou asilaires...

 

On voit que, si nous avions l'équipement requis, impliquant la construction et l'organisation d'écoles diverses et surtout d'internats urbains et plus encore ruraux, le diagnostic ne serait pas simplement médical, mais pédagogique. On verrait non seulement le praticien de médecine générale, - encore qu'initié aux anomalies infantiles de l'intelligence et du comportement, ainsi qu'à leurs causes organiques, mentales, sociales, - orienter vers les psychologues de laboratoire la petite proportion des enfants de leur ressort rural sur qui il ne pourrait formuler un diagnostic certain, mais aussi des fonctionnaires de l'Education Nationale qualifiés au point de vue neuro-psychologique assurer à l'école, dans les milieux urbains, son maximum de rendement, en allégeant les classes de tous éléments inadaptés, et à chaque enfant toutes ses chances de récupération en vue de son insertion dans la Société du travail.

Cela ne signifie pas que l'instituteur ait généralement besoin qu'on lui signale un cas psycho-scolaire grave, un retard de scolarité, ni les troubles de la motricité, de l'attention et de l'inhibition, ni ceux du caractère (pas plus qu'une croissance défectueuse en poids ou en taille, les troubles de la vue ou de l'ouïe, etc.) Mais, puisque nous supposons mis sur pied un ensemble de services spéciaux d'éducation, il faut convenir que les familles se soumettront plus volontiers aux prescriptions précises d'un spécialiste capable de leur indiquer les possibilités de récupération de l'enfant et de leur indiquer avec sûreté l'établissement convenant à son état.

Sélection des enfants qui relèvent momentanément ou définitivement d'un enseignement spécial ou de conditions de vie incompatibles avec le maintien dans son milieu actuel, organisation et contrôle de l'enseignement spécial, voilà une tâche importante pour des spécialistes recrutés dans l'élite de l'enseignement spécial comme les inspecteurs primaires le sont dans celle de l'enseignement normal. Tâche immense si, retenant les chiffres donnés par M. Prudhommeau dans son ouvrage et sa brochure déjà cités, nous estimons à quelque 400.000 le nombre de nos enfants « inadaptés » de 6 à 14 ans, - soit l'effectif d'au moins 20.000 classes -, effectif qui, avec la prolongation de la scolarité, irait à 5 ou 600.000 ; tâche longue à réaliser si, d'autre part, on considère que notre pays dispose seulement de quelques centaines de classes de perfectionnement : nombre de départements où, sans spécialistes, serait déjà dépisté l'effectif de plusieurs classes, n'en ont encore aucune. Certes, la mise en fonctionnement des écoles nécessaires, par transformation de classes et créations complémentaires, n'impliquerait pas une longue formation technique au personnel à y affecter, puisque c'est un stage de 4 mois qui a conduit au succès, en 1948, des institutrices non spécialement préparées d'avance à l'enseignement des Arriérés. Mais en admettant que ce problème soit promptement résolu par la prise en charge par l'Education Nationale de la formation accélérée des maîtres, le problème pour longtemps insoluble est celui de l'équipement scolaire du pays.

Mais ne quittons pas notre propos. Nous avons vu quel rôle précieux devrait jouer une inspection psychologique à fins sanitaires, pédagogiques et sociales. En liaison avec les services asilaires, hospitaliers, sociaux, d'orientation professionnelle, elle veillerait à l'affectation de tous les enfants inadaptés aux milieux scolaires appropriés, et à la prise en charge par des éducateurs spéciaux de ceux dont doit être immédiatement préparée (parfois dès l'âge de la classe enfantine) la récupération en vue du meilleur reclassement, dans leur intérêt comme dans celui de la nation.

2° Quelle sera leur place ?

Malheureusement, on voit se poser, à propos des services de dépistage et surtout d'inspection, des problèmes de cohabitation et de collaboration entre anciens et nouveaux (ou futurs) services.

a) D'abord, revenons un instant sur la crainte manifestée par les spécialistes, d'empiétements sur leur spécialité de la part des profanes.

Il est entendu que le maniement des tests psychologiques peut être très délicat, et j'ai rassemblé trois arguments d'un grand poids :

1°) faute d'une expérience suffisante pour « conduire et interpréter avec toute la rigueur scientifique désirable » des examens « portant un titre réputé », on peut tirer de ses investigations des conclusions préjudiciables à la réadaptation de l'enfant, les erreurs d'aiguillage étant susceptibles de compromettre gravement son avenir.

Réponse : D'accord ; ce n'est pas aux éducateurs des normaux d'assurer l'orientation des anormaux.

 2°) « lorsque certaines épreuves ont été faites, qu'elles l'aient été bien ou mal, on ne peut les recommencer qu'après un certain délai, atteignant, pour certaines épreuves de caractère, plusieurs années ». C'est un danger que souligne, comme le précédent, M. Prudhommeau.

Réponse : Les instituteurs peuvent, sur ce point, se contenter des données assurées par des épreuves répétées de type scolaire; mais ils devraient aussi pouvoir pratiquer les examens qui peuvent être refaits, et dont on peut admettre que le test de Dessin de M. Prudhommeau est un premier modèle qui ne laissera pas d'ouvrir la voie à d'autres recherches.

 3°) avec certains tests délicats (psychanalyse), une expérience manquée « peut avoir des répercussions fâcheuses sur le psychisme et aggraver un mal qu'on désirait déceler ».

Réponse : Nul enseignant ne se risquera à faire de la psychanalyse ; nous avons besoin de sciences plus sûres, ainsi que d'instruments dont on nous laisse user sans crier au sacrilège : Binet avait cru nous donner une « échelle métrique », Foucault un « thermomètre », l'un et l'autre approximatifs ; ne devons-nous pas réclamer le droit - et du même coup, l'initiation - à leur usage ?

b) En revanche, on peut se demander si la psychologie scolaire ne risque pas de se prendre pour une fin, à la lecture, par exemple, de tels passages de l'ouvrage de Mme Violet-Conil et Mlle Ganivet: « L'exploration psychologique de la mentalité infantile », auquel j'ai emprunté la citation ci-dessus.

L'examen médico-psychologique généralisé, même sous sa forme collective, bien imparfaite, « deviendra, y lisons-nous, la base d'organismes divers » ; et cependant, il s'agira de « reconnaître les cas difficiles, » et de « classer les sujets normaux » (p.426) : des deux choses, il en est au moins une que tout instituteur se charge de faire avec une suffisante sûreté, et son inspecteur primaire, sans toucher aux cas spéciaux, doit être à même de l'aider à traiter les normaux !

Au laboratoire central de tout Centre psychologique scolaire, comportant, « un ou plusieurs psychologues qui exécuteront dans l'école même les tests collectifs et les exercices psycho-individuels », sera fait l'examen médical et sensoriel ; cet organisme « doit être considéré comme l'intégration d'un élément nouveau et substantiel dans l'ancienne équipe formée par le médecin et l'instituteur ».

L'offre de collaboration est précieuse et la formule assez jolie : nos collègues enseignants, qui cherchent encore les modalités d'une collaboration pleinement féconde avec leurs inspecteurs, (éducateurs comme eux qui, ayant fait la preuve, avec un sens aigu des problèmes individuel et social de l'éducation d'une certaine culture psychologique et pédagogique, sont, jusqu'à preuve du contraire, le mieux à même de les aider), savaient-ils qu'ils font depuis longtemps « équipe » avec les médecins-inspecteurs ? Et tout éducateur excuse cet apparent mouvement d'humeur et me comprend : nous ne collaborerons jamais d'assez près avec les médecins scolaires qui, malheureusement, inspectent trop hâtivement de trop vastes secteurs, et qui se tiennent pour liés par un « secret professionnel » que les psychologues de laboratoire s'apprêtent aussi à nous opposer, comme si les membres de l'enseignement n'avaient pas aussi leur secret professionnel bien gardé.... Mais ne leur semble-t-il pas qu'on commencerait enfin à travailler « en équipe » si médecin scolaire et inspecteur primaire, leur service étant sérieusement allégé, organisaient une fois l'an des visites conjuguées où, sans déranger à des dates différentes le service scolaire, contrôle médical et contrôle pédagogique des enfants s'effectueraient en collaboration étroite, sur plus d'un point, avec le maître ?

On me répond, il est vrai, que c'est au psychologue d'entrer dans l'équipe à la place de l'inspecteur primaire, et là, il n'est pas inutile de réfléchir sereinement.

De la triple tâche du Centre scolaire de Psychologie, l'une me paraît constituer la vraie mission d 'un service départemental (je pense à la province) ; c'est l'examen individuel des troubles graves du caractère et des « cas sociaux ». Les comptes rendus d'examens de ce genre, donnés en Appendice au savant ouvrage cité, donnent une idée de la qualité et de la portée de tels travaux.

Quant au dépistage des « arriérés légers, avec son corollaire, l'établissement de classes faibles, qu'il faut bien séparer des classes de perfectionnement », c'est quelque chose que nous pourrions faire, s'il y avait des classes de perfectionnement pour nous libérer des arriérés et si les classes de « rattrapage » ou de « développement » jouissaient d'une plus grande faveur. Pour ce qui est des instables et des indisciplinés, leur dépistage n'est pas difficile, et lorsque leur intelligence est normale, ce que nous pouvons sa voir, le problème psychologique se ramène à un problème pédagogique.

Nous apprenons justement qu'il est urgent « de tirer au clair l'erreur trop souvent commise, et qui résulte d'une connaissance insuffisante de la question, qui consiste à envoyer en classe de perfectionnement des instables d'intelligence normale, alors qu'il leur suffit, pour obtenir des résultats excellents, d'un régime éducatif spécial, s'inspirant de celui de l'école active ». Voilà une erreur qui n'a pu être observée que dans un secteur où fonctionnent dépistage et enseignement spécial, et que ne commettraient pas les inspecteurs primaires, parce qu'à leurs yeux, l'école active, officiellement préconisée dès 1923, ne saurait être le type d'un « régime éducatif spécial » et que, après Mme Montessori, la pratique de l'éducation des enfants de deux à quatorze ans au moins leur a appris, sans grand renfort de techniques psychologiques, que l'essentiel est la création d'outils adaptés à l'enfance et d'un milieu où le travail, fixant les instables, résolve seul le problème de la discipline.

c) Mais la crainte d'un grave malaise est motivée par la lecture du Titre IV du Projet de Réforme : « Organes de contrôle et de perfectionnement ». Le rôle que doit jouer la psychologie dans une éducation fonctionnelle et : sur mesure, rôle non moins important que celui de la médecine, y motive l'institution, à côté des contrôleurs pédagogiques ou inspecteurs, et des contrôleurs physiologiques ou médecins scolaires, de ce corps de « psychologues scolaires » que M. Prudhommeau appelle de ses voeux. Il ne s'agira pas seulement pour ces derniers de diagnostiquer, pour tout enfant présentant quelque anomalie, les causes intellectuelles, caractérielles ou sociales de son comportement scolaire, mais d'adapter le programme de chaque classe « aux aptitudes propres à chaque âge » et ensuite d'apprécier « les conséquences psychologiques des méthodes éducatives », abstraction faite de leur rendement.

Je conçois mal, quant à moi, qu'un inspecteur soit chargé du contrôle des élèves, et un autre de celui des maîtres, et que l'inspecteur responsable du progrès pédagogique laisse à un autre fonctionnaire le soin d'assurer l'adaptation des programmes aux classes, même normales, et qu'ayant lui-même fait essayer dans les classes l'application des recherches pédagogiques auxquelles il est prévu qu'il collaborera, il laisse encore à cet autre contrôleur le soin « d'établir le bilan » de ses expériences. Est-il donc si facile de séparer le pourquoi et le comment ? Et, pour aboutir à un dédoublement qui se veut fonctionnel de la charge actuelle du contrôle, dédoublement impliquant les mêmes créations d'emplois nouveaux que son dédoublement territorial, ne va-t-on pas tout droit au chevauchement et au conflit de fonctions artificiellement partagées entre des fonctionnaires de formation identique ?

Car il sera exigé - c'est normal, puisque le diagnostic vise à une orientation scolaire, pédagogique, - des spécialistes de la psychologie scolaire, une « double qualification pédagogique et psychologique », et le diplôme universitaire qui sanctionnera leur formation psychologique sera « tel que le diplôme de psychologie pédagogique actuellement délivré par l'Institut de psychologie de l'Université de Paris ». N'est-il pas surprenant que le Projet n'envisage pas d'exiger des inspecteurs  qu'il veut spécialiser dans les tâches pédagogiques cette même formation psychologique? Et peut-on supposer que l'Etablissement de hautes études pédagogiques et de recherches sur l'éducation (St-Cloud, Fontenay) qui est en voie d'organisation et où ils auront à faire un stage, ne leur donnera pas lune formation de psychologie pédagogique ? Ou croit-on que les inspecteurs pédagogues pourront être recrutés parmi de moins bons étudiants, à qui mieux vaut ne pas demander ou ne pas permettre d'obtenir le diplôme indiqué plus haut ?

Outre qu'une triple inspection ne sera pas pour faciliter la tâche de l'instituteur, il faut bien se demander si les dispositions projetées visent à dispenser d'avance des études et recherches psychologiques, et les maîtres, à qui « des fonctions trop absorbantes » n'en laisseraient pas le loisir, et les inspecteurs, chargés des seules responsabilités pédagogiques. Or, une fois créés les divers types d'écoles et d'internats assurant le maximum d'homogénéité aux classes, ne peut-on considérer qu'il n'y aura plus dans l'enseignement que des spécialistes ? Si les connaissances psychologiques que nécessiterait la pédagogie pratique sont trop lourdes pour que la fonction d'enseignant laisse le loisir de les acquérir, on peut admettre qu'un stage égal à celui qui improvise les maîtres d'arriérés ne serait pas inutile à ceux des classes dites normales et pourrait leur conférer aussi un titre spécial et le droit à une indemnité !

Quant à l'inspection, qui ne voit que du même coup, elle pourra ou devra se spécialiser ? Il suffit de lire l'étude de M. Prudhommeau pour s'assurer que ce qui a été à peine amorcé pour les Ecoles maternelles devrait être fait pour les écoles d'enfants malades, d'élèves intermittents (fils de bateliers, de forains...), pour les diverses écoles de perfectionnement et de rééducation, pour les classes d' « élite » (élèves surnormaux) si l'on en crée... L'inspection pédagogique des seuls normaux, avec l'infinie diversité des mentalités, des aptitudes et des caractères, pourra-t-elle n'être pas en même temps Psychologique et ne pas constituer une spécialité ? Avec le plus grand sérieux, on peut se poser la question de sa voir en de ça et au delà de quel seuil il conviendra d'affecter à la fonction de contrôle des psychologues pédagogues ou des pédagogues-psychologues. Car, initiés de manière suffisamment poussée à la psychologie infantile et aux méthodes et procédés de la psychotechnique, tous les inspecteurs seraient sans doute capables de s'adapter, sous réserve d'affinités personnelles, à l'une ou à l'autre des spécialités, comme font les instituteurs.

Mais ce n'est pas ainsi que l'entend le Projet de Réforme, puisque nous avons vu qu'il envisage sous une forme concrète bien particulière, la consécration de cette subordination théorique, proclamée par l'élite des éducateurs, de la pédagogie à la psychologie. En fait, les inspecteurs n'auront pas tous le même « rang » ; le statut et les règles d'avancement des psychologues scolaires « tiendront compte de leur double qualification », de sorte qu'ils ne seront pas à côté, mais au-dessus des inspecteurs pédagogiques. D'ailleurs, dans le Projet comme dans le livre de Mme Violet, la collaboration s'institue entre les maîtres, les médecins scolaires et les psychologues scolaires, tout se passant comme si la pédagogie était devenue un appendice périmé dans le nouvel organisme.

Or, si l'inspecteur exerce son contrôle uniquement sur les maîtres et non plus sur les élèves (!), il va en revanche devenir effectivement « le guide » des maîtres, « leur conseiller permanent », chargé de répandre parmi eux la connaissance des progrès pédagogiques et de leur en montrer les applications, et sera tenu en même temps à une « collaboration avec les centres de recherches pédagogiques », ce qui sera fort bien. Mais, dans l’œuvre artificiellement décomposée de l'éducation, quelle peut être la mission de la pédagogie expérimentale, sinon la recherche d'une adaptation fonctionnelle du milieu, du programme, des méthodes et des outils aux besoins et aux possibilités motrices et mentales des enfants, à ces « intérêts » qui caractérisent la physionomie psychologique de chaque âge ?

Comment peut-on, dans ces conditions, envisager dans un projet d'organisation scientifique de l'Education Nationale, de replacer l'inspecteur primaire – si c'est lui, le pédagogue – en face de l'instituteur, comme gardien du programme fixé par le psychologue et d'une orthodoxie dont il aura à rendre compte ?

Il y aurait là une erreur très grave ; car ce sont les responsabilités proprement pédagogiques dont on prévoit d'investir les psychologues scolaires : adaptation aux enfants du milieu scolaire et des programmes d'études, contrôle des résultats fonciers de l'action pédagogique, qui précisément avaient motivé depuis longtemps, chez les meilleurs inspecteurs, des études psychologiques qui faisaient d’eux les conseillers hautement qualifiés des instituteurs. C'est dire que, si l'on fait l'expérience, la nouvelle fonction ne tardera pas à absorber l'ancienne; tout se présente donc comme si les inspecteurs pédagogiques ne devaient subsister que pour décharger les nouveaux inspecteurs (en chef) des principaux problèmes de l'éducation, de ceux que posent, après quelque diagnostic que ce soit, la recherche et la mise en œuvre efficace des méthodes et techniques pédagogiques.

Mes collègues peuvent constater que, lorsque je les appelle à coopérer pour faire, autant que possible, de la psychologie scolaire et de la pédagogie scientifique, je ne complique pas à plaisir notre métier et que cette libre étude, qui ne risque de « forcer la main » à personne, répond en partie à des préoccupations qu'ils devraient tous partager, en même temps qu'elle s'inscrit avec beaucoup de retard dans un mouvement auquel notre pays a déjà été associé, il ne faut l'oublier ni parmi nous, ni chez les psychologues de métier, par l'élite dispersée de plusieurs générations d'inspecteurs et d'inspectrices. On peut se demander si certains milieux universitaires ne préparent pas, après le déclassement déjà sensible, de notre fonction, son élimination, ou plutôt la disparition d'une forme de recrutement trop provinciale et primaire. Aux inspecteurs primaires il appartient de démontrer que la spécialisation nécessaire et suffisante de leur fonction consiste en la responsabilité exclusive mais totale de la psycho-pédagogie normale.

3°) Au demeurant, ne pourrait-on se poser la question du recrutement des « psychologues scolaires » ? M. Prudhommeau affirme à deux reprises, dans son étude militante, qui dénonce à bon droit la carence de l'Etat et le caractère douteux de nombreux organismes privés en matière de sauvegarde de l'Enfance inadaptée : « nous possédons déjà les cadres »...« aussi bien, ajoute-t-il, pour former les maîtres que pour organiser les services de dépistage, de conseillers techniques ou d'inspection spécialisée ».

Mais il ne serait pas inutile de savoir si, pour réagir comme il se doit contre « les procédés d'autorité hérités de l'occupation », ces cadres seront recrutés par concours.

Car on risque de voir s'aggraver dans l'Education Nationale un malaise déjà sérieux, et même de voir naître un conflit entre de trop nombreux auxiliaires de l'instituteur, pour le plus grand dommage de l'école.

Le gros travail consistant dans le dépistage initial de 500.000 enfants « inadaptés » pouvant être assuré, grâce aux possibilités techniques existantes, « en un an ou deux », les organes d'inspection diagnostique n'auraient ensuite qu'un service assez léger ; en revanche, le contrôle des 25 ou 30.000 classes spéciales ainsi recrutées représente bien 100 emplois d'inspecteurs ; leur recrutement ne nous intéressait pas directement, mais si les spécialistes de l'enseignement des anormaux prennent en main non seulement l'enseignement spécial qui est leur domaine et l'ensemble de l'inspection psychologique, mais le contrôle des conseillers techniques de pédagogie normale, ils constitueront des inspecteurs principaux sous les ordres et le contrôle desquels les pédagogues appliqueront des ordonnances : conception où la technique tuera ce libéralisme dans la collaboration directe que nous voulons justement accentuer, entre le praticien initié à la théorie et un éducateur-conseiller pourvu d'une culture théorique plus poussée et excellant dans la pratique.

Voilà pourquoi j'estime que, si les circonstances doivent permettre un jour à nos institutions scolaires d'évoluer dans le sens prévu par la Commission ministérielle Langevin, il importe que nous soyons autant que possible dès maintenant, les inspecteurs psycho-pédagogiques dont l'école primaire a besoin, et que l'élite des instituteurs puisse continuer, à l'avenir, d'accéder à cette fonction.

4°) Mais une dernière question se pose : il s'agit d'un problème de doctrine dont la solution commande le choix d'une « politique scolaire ». Faut-il tendre, au point de vue de l'organisation à des spécialisations multiples ? à la croissante qualification du personnel entier ? ou à un sage équilibre entre la spécialisation qui peut accroître le rendement par la division des tâches, et une formation théorique et technique plus poussée de l'ensemble des enseignants, propre à faciliter leur adaptation à des tâches diverses, soit dans des milieux scolaires différents, soit dans le cadre d'une même école ?

Corrélativement, du point de vue des usagers (enfants et familles) , faut-il s'employer à créer partout des groupes homogènes en vue d'une action éducative rigoureusement adaptée ? à instituer partout le milieu matériel et vivant accueillant à l'extrême diversité des enfants (même à niveau intellectuel égal) ? ou conjuguer ces deux tendances afin de s'adapter aux conditions réelles d'un pays au visage aussi divers que le nôtre et de mettre autant que possible tous les moyens d'éducation à la portée de notre clientèle ?

On peut souhaiter, par recours aux spécialistes de la sélection, la répartition pédagogique des enfants, dans les zones à peuplement dense et fortement urbanisé, en groupes théoriquement homogènes : classes d'élite, classes normales, classes faibles ou de développement, classes d'arriérés, classes spéciales pour caractériels... ; on peut aussi dénoncer les dangers de plusieurs de ces catégories en contre-partie d'avantages réels ; mais les conditions du peuplement, pour l'ensemble de la province, sont défavorables à cette spécialisation. Elle est d'ailleurs si peu prisée, au delà de l'autonomie des quatre cours, que nous avons des départements où n'a pu durer une seule classe intercommunale de fin d'études, et que le groupement des garçons ou des filles, de 13 à 14 ans, pour une ville moyenne, dans une école avec atelier, suffit à choquer les habitudes.

C'est dire que la France ne va pas dans ce sens et qu'il s'agit là d'une conception urbaine et essentiellement parisienne. Son adaptation à la réalité provinciale pourrait consister à mettre sous les ordres de chaque Directeur départemental de l'Education Nationale un Inspecteur psychotechnique assurant, aidé d'un conseiller psychotechnique ou deux, les examens individuels dont la nécessité serait révélée par une visite annuelle de dépistage, et à créer dans les principaux centres de chaque département les classes de perfectionnement nécessaires, placées sous le contrôle de ce fonctionnaire. Ce doit être ainsi, du reste, que l'entend un spécialiste averti comme M. Prudhommeau.

(Notons qu'il y a encore des départements sans inspectrices des Ecoles maternelles, et que les inspections existantes intéressent en général deux départements: il est vrai que le personnel d'inspection doit pouvoir être impunément réduit là où, l'effectif inscrit étant illimité et pouvant dépasser nettement 100 élèves par classe sans aucun égard aux prescriptions élémentaires de l’hygiène, on fait une telle économie de personnel enseignant ! )

L'autre solution, qui consiste à adapter chaque école au travail éducatif le plus diversifié dans ses modalités et ses rythmes, implique, avec des constructions et un équipement pédagogique que l'Etat et les communes ne sont pas près de consentir, l'allègement des classes surpeuplées et une formation progressive du personnel enseignant lui permettant de mettre à profit les conquêtes théoriques et pratiques les plus générales et les plus précieuses de la psychogénie et de la pédagogie expérimentale.

 N'est-ce pas la seule concevable pour les milieux ruraux ? Là, l'école s'adapte aux deux sexes, à tous les âges, et fait, sans limites d'horaire, de l'éducation intégrale, en résolvant, – tant bien que mal pour le moment –, tous les problèmes ; là, l'instituteur a besoin d'avoir des clartés de tout : l’hygiène et psychologie non savantes, mais pratiques, autant qu'agriculture, droit, administration municipale... L'inspection même de ces écoles met le visiteur en contact avec l'âme d'un terroir et implique ce « sens psychologique » fait de sympathie plus que de science, qui permet à un éducateur de comprendre cette âme sans recours à l'analyse. Là, l'instituteur recherche les occasions de s'instruire auprès de ses collègues ; là, il est a vide de conseils, consulte l'inspecteur sur les chances du candidat au C.E.P.E., comme sur les moyens d'intéresser la petite fille de cinq ans, encore un peu sauvage. Nos collègues de la Seine ont-ils souvent retrouvé cela dans les classes « homogènes » de Paris ?

Aucun faisceau d’organismes techniques ne remplacera ni ne transformera cette école où l'éducation est un tout saisi dans sa vivante continuité, où le milieu éducatif, aussi ressemblant que possible à la famille, exerce sur elle une influence directe à la mesure de la valeur du maître. La formule de l'école à deux classes avec coéducation est si heureuse qu'on a pu préconiser son ex tension aux centres urbains ; cependant, ce qui a des avantages pédagogiques et économiques au village serait très dispendieux en ville, de sorte que la diversité des solutions s'impose. D'ailleurs, tout en groupant les enfants déficients des villes dans des internats ruraux et en ramenant les classes rurales à plusieurs cours aussi près que possible (comme effectif) des classes de perfectionnement, on devrait supprimer toutes les écoles de moins de 5 ou 6 élèves, le ramassage de ces derniers étant assuré en vue d'alléger très sensiblement les classes urbaines.

S'il n'est pas certain que la « ruralisation » de l'école doive prévaloir, il ne l'est pas davantage que se fasse rapidement la modernisation qui ferait de l'école, en milieu rural, l'école idéale. Mais une minorité active d'instituteurs, surtout ruraux, s'engage résolument dans la voie de l'individualisation de l'enseignement et des travaux coopératifs, excellents moyens d'assurer sur place la récupération des retardés et déficients légers, et leur acheminement vers une activité professionnelle de type agricole ou artisanal.

Mais faut-il choisir, ou ne s'agit-il pas plutôt d'adapter des solutions diverse à des besoins différenciés ? En tout cas, si l'on veut une solution de facilité, il sera plus expédient, surtout les techniciens étant formés d'avance, de créer par en haut des services de dépistage, bureaux et laboratoires, un corps nouveau de fonctionnaires sédentaires et itinérants, pour tester scientifiquement l'ensemble de la France, que de doter les écoles de l'espace et du matériel éducatif qui leur manquent, et de réaliser les créations d'emplois d'inspecteurs et d'instituteurs qui s'imposeraient d'autant plus qu'il faudrait pourvoir ici à un recrutement plus difficile, exigeant le reclassement des deux fonctions.

Ce que nous redoutons, c'est que la multiplicité des spécialistes ne laisse l'instituteur plus désemparé que jamais et que les fins ne soient sacrifiées aux moyens. Notamment, si, comme le signale sans arrière-pensée M. Prudhommeau. « l'Examen collectif de base mis au point par le Service de dépistage des Enfants anormaux de la Seine) est couramment pratiqué pour cinquante élèves en moins de deux heures par un dépisteur aidé d'un surveillant », ce n'est pas du point de vue des dépisteurs diplômés qu'apparaîtra indispensable, fût-ce dans l'intérêt de la santé psychique des élèves et des maîtres, le dédoublement des classes de 50 élèves...

Ce n'est surtout pas par décision officielle que, du jour au lendemain, sera généralisée la pratique de l'Education Nouvelle, solution à tant de problèmes d'adaptation et de réadaptation, grâce à sa part d'individualisation et d'options, à la vertu socialisante de la coopération, aux conditions de santé et de joie qu'elle aspire à réaliser par le contact direct avec le milieu naturel et humain, l'expression confiante et vivante, les réalisations collectives, la correspondance, la coéducation et l'éducation mutuelle des âges et des sexes.

Cette réalisation-là exige un peu et le plus possible de science, certes, mais surtout beaucoup de foi et d'amour; elle ne peut être que le fruit du labeur patient des éducateurs unis[4] pour qui la psychologie n'est que la lumière première et permanente qu'ils empruntent à de plus savants, mais qu'il leur faut à tout instant sur eux, comme au mineur sa lampe, et qui leur découvre les problèmes pédagogiques... à résoudre, trop souvent, par leurs propres moyens. L'aide dont ils ne sauraient se passer pour l'accomplir devra surtout consister à mettre au service de l'enfance tout ce que l'on pourra de crédits, d'initiative intelligente et de soins effectifs.



[1] Cf. les études d'E. Chmielnitzki dans le C.P.M. n° 5 (Bourrelier) et de E. Dédet (Journal des Instituteurs, 1947-48, nos 14 et 15 : « Diagnostic ». Mais jamais personne ne s'est montré aussi péremptoire dans son exclusive que M. Prudhommeau (Bull. de la Soc. française de Pédagogie, n° 74) qui écrit :

« II faudrait qu'une réglementation intervienne d'urgence pour fixer les modalités de l'utilisation des techniques psychologiques, l'application de certains tests devant être interdite à toutes personnes qui n'ont pas fait les études suffisantes et n’ont pas obtenu les autorisations nécessaires après examens pratiques. Il faudrait également qu’une réglementation intervienne pour limiter l’application des tests à des cas précis et dans des conditions déterminées. On ferait ainsi disparaître un abus qui tend d'une part à discréditer les tests, en laissant croire que n'importe qui peut les appliquer et en ironisant sur les résultats obtenus dans ces déplorables conditions, et d’autre part qui tend à rendre inapplicables dans des conditions de rigueur scientifique satisfaisante, des tests éprouvés et particulièrement précieux... »

[2] On a vu, p. 23. une allusion à l'attitude des enseignants belges. Quant à la psychologie, MIle A. Descoeudres notait avec douleur, en 1930, l'inexplicable phobie de certains instituteurs suisses pour cette science. Sommes-nous davantage au niveau de notre siècle ?

[3] Soit dit du point de vue de la masse des enseignants primaires, qui ne connaissent d'autres publications, d'autres initiatives, ni d'autres Congrès que les siens.

[4] On verra plus loin quelle confiance leur fait le Dr Simon, le grand psychopédagogue dont j’ai réservé les précieuses suggestions pour la partie pratique de ce travail.


 

QUATRIÈME P ARTIE

 

Propositions de travaux pratiques

 

a) TRAVAUX SUGGÉRÉS AUX INSTITUTEURS EN VUE D'ASSURER D'ABORD LE CONTROLE OBJECTIF DES RESULTATS DE LEUR ENSEIGNEMENT, AINSI QUE L'INSTAURATION D'UNE ÉDUCATION SUR MESURE

 

Il s'agit de n'adopter, comme généralisables, que les activités présentant le caractère le plus pratique joint au maximum de facilité : d'autres risqueraient d'être entre prises sans conviction et vite abandonnées. D'autre part, il appartient à chacun, selon ses propres possibilités actuelles, de s'arrêter au stade le, plus prudent ou de franchir d'emblée une étape pour affronter dès que possible de plus grandes difficultés.

 

** *

Première étape: Minimum immédiatement indispensable

 

D'abord, l'OBSERVATION PROLONGÉE ET RÉGULIÈRE DES ENFANTS (conduite, jeux, manière de travailler, langage, réactions diverses).

D'eux-mêmes ou sur la, recommandation de leur inspecteur, certains instituteurs ont « ouvert » ce cahier d'observation qui, à raison d'une double page par élève, devrait recevoir sans retard es remarques occasionnelles, faits intéressants, notations expressives glanées au jour le jour, ....tout document significatif (premier dessin, essais d'écriture, fragment d'épreuve scolaire) pouvant être encarté entre les deux pages ; mais combien ont eu la persévérance qui leur eût permis de faire, après quelques mois, la description précise de chaque caractère ? La persévérance est pourtant la première qualité sur laquelle il faille compter, une observation attentive mais libre et souple exigeant surtout cette sympathie pour les enfants qui crée en eux la confiance et permet de les voir sous leur visage le plus naturel ; mais cette observation peut et doit constituer l'amorce d'une curiosité plus intellectuelle pour la psychologie des enfants et la caractérologie, d'un besoin de pousser l'étude comparative et la recherche des causes, ce qui nous mène au seuil de la science.

Voilà pour l'aspect qualitatif de l'étude psycho-pédagogique à ses débuts. Je pense que, dès l'abord, tous les instituteurs pourraient aussi, ayant pris conscience de la nécessité d'un contrôle précis de ce que savent et de ce qu'apprennent les élèves qu’ils ont, c'est un fait, pour principal souci d’instruire, apprendre à perfectionner les examens de connaissance existants, c'est-à-dire ceux qui devraient fournir une notion précise du niveau d'instruction de chacun : ce serait là le début des études quantitatives.

Se doute-t-on de tout ce qu'a de vague le contrôle actuellement assuré par les examens de passage pratiqués dans les écoles à plusieurs classes et par les compositions mensuelles dont on s'acquitte parfois avec si peu de conviction qu'elles deviennent trimestrielles sans gagner en valeur significative ce qu'elles perdent en fréquence ? Sans pessimisme et très objectivement, tout inspecteur peut faire des constatations assez décevantes en ce qui concerne l'aptitude actuelle des maîtres à l'auto-contrôle, leur désir de liaison pédagogique et les possibilités d'instituer dans des conditions valables, non pas même des expériences pédagogiques, mais des comparaisons susceptibles de comporter quelque enseignement sur un point de pédagogie.

Mais pensons aux progrès réalisables.

Sont déjà sur la voie ceux qui ont pris l'habitude :

a) de réduire à des questions précises, jamais équivoques et ne comportant qu'une seule réponse correcte, les compositions contrôlant l'acquisition de mécanismes et de notions, en vue de les noter selon des règles bien définies ;

b) d'analyser les compositions de type plutôt qualitatif: dénombrement de leurs éléments divers, considération de leurs diverses qualités et notation selon un barème établi par tâtonnement.

Cependant, nous avons vu que d'autres moyens méritent d'être mis à 1’épreuve : il s'agit des Tests d’instruction déjà éprouvés pour les matières les plus diverses; ils permettront à la rentrée scolaire (et compte tenu de l’influence des grandes vacances, les tests administrés en Juillet ou les dernières compositions devant être consultés) , de répartir provisoirement les élèves ce que d'autres tests feront encore mieux et surtout de mesurer les lacunes présentées par l'ensemble de la classe et par chaque élève. Ils devraient donc, pour une part, commander le Plan de travail du premier mois ou du premier trimestre.

Bien entendu s’imposent ici objectivité et désintéressement ; quel véritable éducateur se laissera suggestionner par le désir d'un bilan avantageux, qui l'inciterait à faire apparaître bas le niveau initial de ses élèves pour rendre relativement plus élevé leur niveau de sortie ? Dans le cas rarissime de mauvaise foi, des recoupements en feraient aisément la preuve, mais une franche collaboration présidera utilement à ces examens intérieurs.

Comme il semble possible de convaincre tout le personnel enseignant de la nécessité de ce premier progrès, je demanderais à tous d'essayer d'abord, pour leur compte, en cours et en fin d'année, des épreuves de contrôle collectif des connaissances, graduées et permettant une évaluation objective : ensuite, d'appliquer, selon les règles prescrites, des tests déjà édités.

La première étape de la coopération qu’il est du plus haut intérêt d'amorcer consisterait, par exemple, pour les membres d'un Groupe local d'Education Nouvelle à interpréter ensemble, avec leur inspecteur, les tests d’instruction appliqués parallèlement dans leurs classes. Les résultats essentiels de cet apprentissage seraient le réveil de la curiosité, le développement de l'esprit critique, la culture de l'attitude objective. 

** * 

Second stade de travail :

Examens méthodiques d'entrée

Mesure pédagogique

Essai d'analyse des physionomies mentales

 

On a constaté que je m'interdisais de demander tout de suite à tous ce qui, dans un plan idéal ou théorique, viendrait en premier lieu, à savoir l'introduction du maximum de précision dans une première connaissance des élèves à leur entrée dans une école ; car il sera bon qu'une première initiation a l'observation et à la mesure soit assurée et que l'intérêt soit allumé, pour qu’on puisse tenter la généralisation progressive d'une pratique déjà délicate comme celle des tests d'intelligence générale. Pour le début, j'irais aux tests collectifs, plus faciles à administrer dans les conditions habituelles de la classe et à propos desquels il est difficile d'invoquer la lourdeur de l'effectif scolaire et le manque de temps. Je signale les deux séries d'épreuves établies et éprouvées par M. Foucault, la première convenant aux enfants (sachant écrire) de 7 ou 8 ans jusqu'à 11 environ, la seconde aux enfants de 12 à 15 ans ; ces épreuves, dont la genèse et le mode d'emploi sont précisés dans l'ouvrage sur « la mesure de l'intelligence chez les écoliers », où transparaît la charmante modestie du savant professeur, peuvent être dirigées et corrigées par les maîtres et exigent au maximum une heure. Pour les élèves de 9 à 16 ans, la « fiche collective scolaire » de M. et Mme Piéron, spécialement conçue pour les écoles, et qui permet d'établir un profil individuel et un classement. Les tests individuels, seuls utilisables avec les enfants des maternelles et des cours préparatoires, sont, en outre, précieux pour nous éclairer sur le cas des enfants à propos desquels les tests collectifs posent un problème. Pour tous les âges, il est naturel d'aller droit à l'échelle métrique de l'intelligence, de Binet et Simon (dont on emploie souvent aujourd'hui la révision américaine de Terman et, pour le calcul de l'âge mental des jeunes enfants, celle de M. Zazzo ; pour les petits existent des Séries de questions de Mlle Rémy (Société A. Binet) , les tests Alice Descoeudres, les « cinq épreuves » de Foucault (ouvrage cité).

A tous ces tests, il y a intérêt, selon le Dr Simon, à ce que le maître procède lui-même (non sans l'aide d'un collègue, s'il y a lieu, tant pour la surveillance d'une épreuve collective que pour l'administration, après la classe, de tests individuels) ; et il en sera capable lorsqu'il aura reçu, conformément au nouveau Programme des E.N., la formation requise, ou qu'il aura fourni, non sans aide, l'effort nécessaire à l'acquérir par lui-même.

La constante attention et la discipline qu'exige leur application motivent les réserves avec lesquelles je préconise leur emploi étendu ; d'autre part, il ne peut être question d'essais indifférents et sans lendemain ; leur adoption implique la volonté de suivre méthodiquement ses élèves et de réaliser, à plus ou moins brève échéance, selon la formule du Dr Simon dans une petite mais importante brochure qui est venue par bonheur entre mes mains alors que mon étude était fort avancée, « Une organisation scientifique de l'école ». (Bulletin de la Société A. Binet, Juillet-septembre 1946, que je ne saurais trop recommander).

Une telle organisation n'abandonne à la routine aucun retranchement ; non qu'elle appelle un lourd appareil de procédés, mais plutôt qu'elle soulève inévitablement un ensemble de problèmes solidaires. Il va de soi que le souci de mesurer l'intelligence, d'établir l'âge mental et le quotient intellectuel de chaque enfant présuppose celui d'une connaissance précise du développement physique de l'enfant et de ses conditions de vie. C'est dire que l'examen physique et sensoriel doit avoir précédé l'examen mental ; ce qui ne veut pas dire que la visite médicale la plus minutieuse doive intervenir partout le jour de la rentrée !

Il est précieux qu'un médecin doublé d'un psychologue affirme, comme l'ont fait tant d'éducateurs, les raisons morales et pédagogiques qui veulent que l'instituteur mesure lui-même le poids, la taille, la vision, éventuellement l'audition de ses élèves, de même qu'il veille quotidiennement sur leur propreté corporelle et vestimentaire. On verra dans la brochure du Dr Simon le parti que peut tirer un maître curieux de la confrontation des chiffres donnés, pour chaque enfant et pour la moyenne de sa classe, ainsi que parfois pour certaines catégories d'élèves, par le calcul de l'âge physiologique ( voire de l'âge de taille et de l'âge de poids; de l'âge mental; de l'âge d'instruction (voir première étape ci-dessus) et de données telles que le degré de la vision.

D'autre part, le souci du conditionnement et des causes mêmes d'un état de fait rend indispensable la connaissance des antécédents de l'enfant : hérédité, maladies, âge de la marche du langage..., tous renseignements que l'école attend des familles, mais peut rassembler avec toute la discrétion et la patience désirables (c'est ce que les psychologues de l'enfance appellent l'Enquête, parce qu'ils s'informent d'un seul coup et du dehors).

C'est donc avec un personnel convaincu, prêt à l'effort et aussi aux surprises désagréables et aux inévitables erreurs, aux patientes recherches et mises au point, que je préconiserais la mise en train d'un système méthodique d'étude des élèves, même du seul point de vue pédagogique. Dès ce stade, on ne saurait, en effet, se dispenser de constituer pour chacun un dossier comportant :

1° la fiche de contrôle médical ;

2° la fiche de renseignements recueillis dans la famille ;

3° la fiche d'observations portant toutes remarques datées et pouvant servir notamment à l'établissement d'une fiche de caractère (que le Dr Simon conseille d'établir seulement en Mai et de ne communiquer à un nouveau maître qu'au moment où lui-même peut, à la lumière d'une observation prolongée, en établir une nouvelle) ;

4° la fiche de résultats, qui recevra les formules ou notes correspondant à des tests ou examens datés ; des graphiques individuels permettront la confrontation, par exemple, de l'âge intellectuel et de l'âge d'instruction, et la comparaison de leur évolution respective au cours de la scolarité.

Ce n'est pas tout, puisque le maître doit tirer des enseignements d'ordre pédagogique de la mesure appliquée à l'ensemble de la classe; la tenue à jour des fiches se fera généralement elle-même à l'aide de cahiers où, en regard de la liste des élèves, le maître aura pointé tous les résultats des tests et mensurations.

Sans revenir sur le détail des possibilités offertes à chaque maître dans sa classe, et à tous grâce à l'échange de documents et de résultats, par cette observation méthodique mais encore purement pratique, je me borne à conclure avec le Dr Simon qu'elle permettrait « une organisation de l'école telle qu'ayant pour base l'observation des enfants, elle règle sur cette dernière la répartition de sa population scolaire et l'enseignement qui lui serait donné ».

Réponse à une objection :

Mais avant d'aller plus loin, je crois bon de prévenir une objection de la part de ceux qui. portés par l'esprit nouveau à observer leurs élèves, verraient pourtant d'un oeil défavorable un tel recours à l'arithmétique et un si grand souci du rendement.

L'éminent expérimentateur à l'autorité de qui je viens de recourir occasionnellement leur répondra que toute cette mathématique doit évidemment être interprétée, mais présente le grand avantage de soulever des problèmes par sa précision. On peut être un « littéraire » et sentir la nécessité d'une rigueur dont s'accommode mal l'intuition pure. « Il est plus plaisant d'imaginer empiriquement des méthodes nouvelles d'enseignement que de se soumettre à une discipline de contrôle minutieux ». Or, ce n'est pas la seule imagination, mais l'intuition confirmée par une étude très poussée, qui a mis un Freinet sur la voie de techniques nouvelles, et le souci du rendement, la préoccupation réaliste de ce dont a besoin l'enfant en raison de son psychisme propre et aussi de ce dont il a besoin d'être doté pour la vie qui l'attend dans une société donnée, inspire sa conception fonctionnelle du travail éducateur. Ne disait-il pas à Bourg, le 3 avril 1946, qu'il vise dans l'école modernisée, à « atteindre 100 % dans toutes les branches » ?

C'est dire que l'éducateur nouveau qui sait où il va et subordonne les moyens au but, entend se mesurer avec les autres, y compris sur le terrain des connaissances, d'une instruction authentique et non formelle, mais contrôlable et mesurable, comme est devenue mesurable cette « véritable intelligence de la vie » qu'il préfère à bon droit à certaine « intelligence scolaire ».

A ce stade du progrès personnel, l'instituteur doit pouvoir, d'autre part, recourir aux tests de résultats, non plus simplement pour évaluer un rendement pratique, mais pour préciser sa connaissance des enfants et suivre leur évolution intime.

C'est ainsi que, sans parler des questionnaires délicats servant à l'introspection psychologique, l'analyse de tests de Dessin (de mémoire, d'imagination sur un thème suggéré, libre) ou de Rédaction (compte rendu de leçon de choses ou de classe-promenade), institués collectivement à des dates bien choisies, peut permettre l'établissement et la comparaison de profils psychologiques individuels.

Pour un nouveau parti qui peut être tiré du dessin, je signale l'ouvrage où M. Prudhommeau, déjà cité, présente son test de copie de dessins et expose la manière dont il doit être conduit et dont il en interprète les résultats: « Le dessin de l'enfant ». Un autre test de dessin est proposé par le Dr H. M. Fay dans son livre « L'intelligence et le caractère. Leurs anomalies chez l'enfant ».

Quant à l'exploitation des rédactions, de préférence librement illustrées, je me fais un agréable devoir de citer l' « Essai d'analyse psycho-sensorielle et de psychogénie scolaire », thèse principale de Doctorat de M. F.-L. Bertrand, le biographe de Binet cité plus haut. Il faudrait pouvoir reproduire plusieurs pages du chap. XI, nourries du plus authentique esprit d'Education Nouvelle. L'analyse dont la valeur significative fut révélée à l'auteur, dès 1924, alors qu'il occupait encore « cet excellent poste d'observation » que fut pour lui, pendant vingt ans, une circonscription d'inspection, cette analyse consiste après examen du dessin fourni spontanément par chaque élève à la suite d'une promenade dirigée dont le but et les modalités d'exécution ont été clairement indiquées au maître de la classe, à parcourir avec attention le compte rendu rédigé en rentrant en classe; à noter en marge les éléments perceptifs (vision, audition, tact, mouvement, goût, odorat), conceptuels (précision, jugements logiques ou faux, associations d'idées ou d'images, imagination représentative, imagination créatrice, symbolisme) et affectifs (émotivité, esthétique, volonté) exprimés par l'enfant ou l'adolescent. Des interrogations destinées à éclairer et compléter les tests permettent de savoir si les lacunes possibles et les erreurs tiennent à une éclipse d'attention perceptive ou réflexive. Le relevé numérique des annotations marginales dans les colonnes d'un tableau spécial donne la « formule psychosensorielle » du sujet « pour le jour de l'expérience ». Cette formule peut être relevée tous les mois ou tous les quinze jours ; la moyenne annuelle peut fournir au maître une traduction valable de l'activité et des possibilités de l'élève, dont apparaissent vite les « dominantes sensorielles et psychiques ».

Aussi facile que bien des tests ordinaires, cette méthode, dont je ne puis détailler les modalités et les enseignements, « ressemble tellement aux exercices scolaires coutumiers » que la plupart des maîtres peuvent s'y intéresser. Elle confirme à la fois le crédit que Binet faisait et que le Dr Simon continue de faire à l'école comme laboratoire vivant; cette remarque de Claparède, « qu'une expérience n'implique pas nécessairement des procédés extraordinaires » mais peut revêtir l'aspect d'un travail scolaire si l'on considère celui-ci d'un oeil scientifique, de sorte qu' « on peut faire bien des choses sans troubler ni programmes, ni classes, ni enfants » ; et aussi cet avertissement que Millot notait chez divers auteurs, « qu'on a tort d'oublier que beaucoup de nos exercices scolaires, lorsqu'ils sont bien compris et convenablement utilisés, nous fournissent d'excellents tests qu'il serait difficile de remplacer, ...des épreuves de sélection aussi bien que des moyens de culture ». Présentant, pour les besoins de la comparaison psychologique et comme moyen de contrôle pédagogique, des avantages que n'a pas et ne recherche pas le « texte libre », la pratique ci-dessus résumée, (qui n'a pas, en revanche, le même intérêt que le vrai « texte libre » spontané et divers) , permet une étude à la fois quantitative et qualitative portant sur l'ensemble d'une classe.

Il va sans dire que, parmi les 400 instituteurs qui participèrent, dans les années 1924-1930, à l'essai de cette technique sous la direction de M. Bertrand, bien peu eussent été capables d'autre chose que d'instituer la séance avec toute la méthode et la probité requises pour fournir des matériaux au chercheur sagace qui s'employait ensuite à les « interroger ». Il en irait de même à l'occasion de toute recherche psycho-pédagogique qu'on généraliserait sans apprentissage et sans culture théorique préalable. C'est pourquoi je ne demanderais de l'appliquer qu'aux maîtres déjà capables de faire du contrôle quantitatif de résultats et de s'intéresser vivement aux différences qualitatives qui apparaissent entre divers enfants et entre les âges successifs d'un même enfant, ainsi qu'entre les sexes, la contribution permanente du plus grand nombre possible d'instituteurs aux recherches analytiques de psychogénie, que souhaite dans ses deux thèses le disciple de Binet, impliquant l'aptitude préalable à découvrir les problèmes posés par telle série de formules et à émette une ou plusieurs hypothèses à vérifier, à la lumière de la science déjà faite. Ce n’est pas d'office, en effet, mais à ce prix, que « l'éducateur, grâce à A Binet devient véritablement homme d'avenir, de découverte et d'action novatrice ».

 

Troisième étape

 

Elle me paraît réservée, sinon à l'élite des éducateurs, car celle-ci compte des hommes et des femmes très divers par les aptitudes et la tournure d'esprit, du moins à ceux qui pousseraient le plus loin la curiosité ou qui pourraient consacrer le plus de loisirs à la préparation et à l'interprétation d'expériences.

D'une part, la connaissance psychologique de chaque enfant, des enfants d'un âge donné, des deux sexes à âge égal, peut comporter des études très complexes, de caractère statique ou génétique, tendant soit à éprouver les données obtenues jusqu'alors par les chercheurs, soit à apporter une contribution à la solution des problèmes en suspens. Sans expérience spéciale, on peut concevoir que le problème psychologique apparemment le plus simple exige la mise en oeuvre, des années durant, de la plus grande perspicacité, d'un rigoureux esprit scientifique, beaucoup d'études et la collaboration, non plus seulement avec d'autres praticiens, mais avec des savants. On entre ici dans le domaine du travail scientifique.

Rares sont certainement les enseignants capables d’œuvrer en ce domaine, et nous avons vu que la recherche des corrélations entre fonctions, la mesure de certaines aptitudes mentales où intervient toujours un facteur énergétique personnel, et l'interprétation de toute épreuve analytique mesurant une fonction mentale, exigeaient une formation spéciale assez poussée.

D'autre part, l'expérimentation plus proprement pédagogique constitue aussi un domaine où ne suffit plus la parfaite probité de l'observation. Il n'en reste pas moins qu'ici encore, les éducateurs, dans leurs classes. peuvent apporter une indispensable contribution aux travaux des chercheurs. Le théoricien a besoin de sortir du laboratoire et de s'appuyer au praticien, et ce dernier s’élève d'autant plus vers l'excellence qu'il s'appuie sur une solide formation théorique. La formule moderne du théoricien-praticien mérite bien de représenter l'idéal de tous ceux qui affrontent la Technique éducative ; l'art appliqué que constitue la pédagogie progressera autant que le lui permettront les sciences qui étudient le développement physique, intellectuel et moral de l'enfant et de l'adolescent. Notre devoir, je le dis avec la plus grande modestie, est d'essayer de nous mettre au niveau de la science de notre temps ou du moins d'en utiliser correctement les résultats ; sinon, comment serions-nous des éducateurs nouveaux ?

C'est là, sans doute, la raison profonde de la lenteur effective des progrès, non de la pédagogie « officielle », mais tout simplement de la pédagogie encore pré-scientifique héritée de la tradition.

 

b) TRAVAUX QUE POURRAIENT EFFECTUER OU ORGANISER AUTOUR D'EUX LES INSPECTEURS PRIMAIRES EN VUE D'ASSURER D'ABORD L'INSPECTION OBJECTIVE, ENSUITE LA DIRECTION TRÈS SOUPLE DE FORMES INDIVIDUALISÉES D'ÉDUCATION, LE CONTROLE « SUR MESURE »

 

Je me suis interdit, dans le précédent chapitre, de faire intervenir l'inspecteur pour imaginer chez les instituteurs, à des degrés divers, une libre volonté de progrès personnel et de coopération ; mais il m'a fallu constater la nécessité d'un apprentissage de la mesure, d'études psychologiques coordonnées, de comparaisons entre milieux scolaires différents, d'enquêtes et expériences permettant à des conceptions et procédés divers de se mesurer sur le plan pratique ; autant de nécessités qui réclament un animateur cultivé, un agent de coordination également proche de tous, un témoin serein et un auxiliaire de toutes les bonnes volontés.

Comme pour l'instituteur, commençons par les modalités d'action généralisables, parce que répondant aux exigences fondamentales de la fonction. 

***

 

Première étape : Organisation du Contrôle et de l'Action constructive vers quoi il me semble que nous devons tendre pour l'ensemble d'une circonscription

 

Il est bien entendu que nous ne contrôlons pas pour contrôler; sur le double plan où s'exerce notre action, nous recherchons des données précises sur la matière et la forme de l'enseignement d'une part, les aptitudes, les habitudes, le travail, le niveau des élèves d'autre part ; des jugements de fait, nous avons ensuite à passer à des jugements de valeur. Pour une part, ceux-ci peuvent porter sur des rendements faciles à mesurer par référence à un rendement moyen qu'il nous faut supposer préalablement établi; en attendant, les autres peuvent se traduire par un classement sur une échelle qualificative, moyennant des références sûres propres à écarter le risque de tout jugement dans l'absolu; certains de ces jugements, en effet, restent fatalement, ne disons pas subjectifs, mais intraduisibles en langage quantitatif.

Sans répéter ce que j'ai dit pour éclairer les instituteurs, je rappelle que notre contrôle se présente sous trois formes complémentaires, diversement dosées :

1. – OBSERVATION DU TRAVAIL SCOLAIRE DANS LES CONDITIONS HABITUELLES A LA CLASSE :

leçons ou collaboration du maître et des élèves ;

contrôle des élèves par le maître ;

réalisations et travaux individuels, de groupes ou équipes, collectifs ; soit uniformes, soit variés, soit gradués.

Cette observation a pour fin de savoir comment le maître organise et donne son enseignement ; comment les enfants l'accueillent et l'assimilent; dans quelle mesure ce qui est tenu pour su et pour compris est effectivement su et compris.

2. – INSTITUTION DE TRAVAUX DE TYPE HABITUEL MAIS NON CONFORMES A L'HORAIRE : soit orientation particulière des travaux prévus, soit groupement systématique de plusieurs travaux habituellement dissociés, pour ajouter à l'observation occasionnelle en étendant le contrôle en profondeur ou en portée.

3. – INSTITUTION DE TRAVAUX DE TYPE IMPRÉVU ET INHABITUEL (tests) en vue de faire porter l'observation sur des éléments choisis d'avance comme significatifs d'un certain niveau soit scolaire, soit psycho-sensoriel, de certaines aptitudes natives ou cultivées.

La CONNAISSANCE DU MAITRE comme maître pourrait se préciser. Les notes prises en inspection peuvent constituer des éléments provisoires d'un portrait parfois nuancé ; si l'inspecteur tenait sur chacun des maîtres une fiche d'observation, les qualités et défauts de chacun arriveraient à se dégager positivement, des renseignements relatifs aux résultats mesurés s'y ajoutant progressivement. La confrontation d'extraits anonymes de fiches de ce genre, nullement officielles, par un groupe d'inspecteurs (département ou Académie, par exemple), leur permettrait de mesurer les écarts de leur notation et d'arriver à un barème assez sûr ; pour le moment, le souci de confronter son jugement sur un maître avec celui des inspecteurs qui l'ont jugé antérieurement n'est pas assez général, mais on peut invoquer une crainte louable de la prévention; les comparaisons gagneraient donc à porter sur des inconnus que nous nous efforcerions de caractériser de manière précise.

Quant aux ELEVES, l'idéal serait que l'inspecteur parvînt à les connaître individuellement aussi bien que leur maître.

Pratiquement, dans une circonscription chargée comme elles le sont toutes en France, il peut du moins contrôler l'application que le maître apporte à les observer, l'aider à les connaître par ses propres remarques, contrôler la justesse de la connaissance qu'il a pu acquérir empiriquement de leurs aptitudes, de leur caractère, en amorçant, à propos des cas intéressants, une observation plus méthodique.

Mais, à ce premier stade, l'essentiel consisterait à examiner avec le maître, à l'occasion de toute visite, le niveau moyen des connaissances (application de tests passe-partout) , à étudier la répartition pédagogique des élèves à la lumière de leurs résultats individuels, et les Plans de travail en fonction du niveau de la classe ou de deux ou trois groupes (forts, moyens, faibles) , à proposer des différenciations qualitatives et les moyens pratiques de s'adapter à divers niveaux, des limitations de programme, tel ordre ou tel rythme dans les travaux d'une période scolaire.

Dès ce stade, se nuance la collaboration du maître et de l'inspecteur, nécessaire notamment parce que l'instituteur, dans l'évaluation, même objective, des résultats de son enseignement, est à la fois juge et partie.

Voici sur quelles considérations je fonderais deux formules équilibrées de contrôle. Lorsque le niveau ou le rendement d'une classe (rendement signifiant provisoirement niveau relatif manifesté par les tests d'instruction) est supérieur à la moyenne, il ne reste qu'à s'assurer que les résultats qualitatifs et fonciers ne sont pas sacrifiés à ce qui est mesurable, auquel cas l'inspecteur doit dégager les éléments favorables à de tels résultats et tendre à les généraliser. Lorsque le niveau est insuffisant ou qu'il y a déséquilibre entre les progrès formels et la qualité de l'action éducative, il y a lieu d'orienter l'action du maître dans des directions précises, de rappeler soit à transformer la méthode d'enseignement, soit à changer les habitudes, à renouveler l'atmosphère de la classe, à assurer le contact avec tous les enfants...

Ainsi, en vue d'une constante harmonie entre le contrôle occasionnel (adapté au maître et aux circonstances) et le contrôle systématique (général et complémentaire), la COLLABORATION DE L'ENSEIGNANT ET DU CONTROLEUR pourrait présenter deux formes principales :

 - Dans les classes où sont essentiellement cultivées les habitudes et la mémoire, par un travail à base de leçons et d'exercices collectifs, généralement fondés sur l'emploi des manuels, maître et inspecteur pourraient ensemble mesurer les résultats tangibles, recueillir des faits, des chiffres ; si, dans ce cas, les résultats « scolaires » ne sont pas bons, que peut-on espérer ? S'ils sont pour le moins satisfaisants, reste, pour l'inspecteur, à porter son attention sur le niveau intellectuel, la culture de la curiosité et de diverses aptitudes, sur les activités de synthèse. Son rôle est, – trouvant dans ce contrôle une confirmation de la qualité des résultats plus formels ou la preuve qu'il y a à faire des réserves –, d'appeler éventuellement le maître à ne pas sacrifier le travail vivant de chaque enfant et de la société enfantine au souci de l'instruction pure.

 - Au contraire, dans les classes où le souci éducatif prédomine, manifesté par la part plus ou moins large faite aux travaux libres, aux études occasionnelles, aux classes de plein air, aux projets enfantins et aux réalisations coopératives, le contrôleur suivant toujours le maître sur son terrain familier recueillerait avec son aide des données vivantes, évaluerait les résultats au point de vue des réalisations synthétiques ou créations, des initiatives, de la culture des aptitudes, de l'exploitation de la curiosité, de la sociabilité, du désir de « grandir ». Ici, encore, si le résultat auquel s'attache le maître n'est pas bon, qu'y aura-t-il ? Mais s'il est bon ou encourageant – mot que nous aimons tous beaucoup –, reste à mesurer les résultats plus proprement scolaires, c'est-à-dire techniques et acquisitifs, par des coups de sonde destinés à confirmer le jugement favorable ou à motiver des réserves. L'inspecteur administrera donc quelques tests et, s'il y a lieu, appellera le maître à ne pas sacrifier les mécanismes au souci le plus louable d'une éducation libérale.

Ce stade de perfectionnement de la technique d'inspection, sans doute atteint et dépassé par un certain nombre de mes collègues, implique déjà des contacts assez réguliers avec le personnel, par exemple dans le cadre cantonal : aux Conférences pédagogiques d'automne, condamnées à rester si peu efficaces du fait de leur brièveté, ne faut-il pas ajouter des réunions semestrielles ou trimestrielles groupant, soit tous les maîtres, soit ceux à qui des classes de tel ou tel type posent des problèmes spéciaux ? L'action de l'inspecteur en tournée me parait devoir être préparée ou renforcée par ces réunions ; la création d'un Bulletin pédagogique de circonscription les complète sans doute utilement, mais je ne pense pas qu'elle puisse y suppléer.

L'auteur de cette étude, à qui les circonstances n'ont pas permis de réaliser encore ce dont il sent l'impérieuse nécessité, s'interdit d'invoquer les circonstances atténuantes les plus valables, et n'affirmerait pas que les difficultés matérielles de l'heure soient un obstacle infranchissable, ni que l'apathie de quelques maîtres pourvus de « leur bâton de maréchal » soit absolument sans remède. Il demande donc à ses collègues plus audacieux ou plus heureux de ne pas garder pour eux leurs recettes pratiques ni leurs résultats, dont la publication serait grandement stimulante, et à tous ceux qui veulent dès maintenant rationaliser leur contrôle, de s'unir pour un travail coopératif qui, pour commencer, pourrait consister à établir et expérimenter des séries de tests collectifs de connaissances bien adaptés aux enfants de France, à nos programmes, à chacune des huit années de la scolarité normale, peut-être même à chaque région de notre pays ou à divers milieux économiques et sociaux. Chacun de nous éprouverait dans un certain nombre de classes, d'abord les tests qui se trouvent dans le commerce ou dans les archives des anciens, puis de nouvelles séries à étalonner en commission. Suggestion de peu d'envergure, certes, mais ne s'agit-il pas d'un commencement ?

 

Seconde étape

 

Un progrès plus important ne paraît pas réalisable sans une réduction considérable du champ d'investigation et d'action des contrôleurs-conseillers psycho-pédagogiques que nous sommes ou devons être.

Il s'agirait, en effet, de fonder méthodiquement le contrôle du rendement mesurable sur l'examen annuel de toutes les classes en début en cours et en fin d'année scolaire et de présider, d'autre part, au perfectionnement régulier de la culture psychogénique et pratique des éducateurs par des études collectives dont la motivation fonctionnelle suffisante réside dans leur besoin d'étendre leur investigation aux profondeurs et aux ressorts mêmes du psychisme enfantin.

On a vu les éléments du contrôle qu'institueraient désormais, avec l'aide de leur conseiller, et dans l'esprit de la brochure du Dr Simon, les maîtres qui en seraient capables. (cf. aussi l'art. de R. Duthil dans le Cahier de Pédagogie Moderne n° 5, chez Bourrelier. Mais c'est ici le lieu de parler de rendement: il sera nécessaire de nous entendre sur une définition valable de celui-ci et j'ouvre ici une consultation à ce sujet. ( J'en retiens provisoirement une qui ne me satisfait qu'à demi ; ce serait le rapport, pour la moyenne d'une classe, entre les progrès mesurés en termes d'âge et les aptitudes également mesurées en terme d'âge.) Car nous supposons que l'habitude de l'observation quotidienne et du contrôle objectif est désormais acquise et que les plus curieux des maîtres tiennent à savoir tout de suite ce dont est capable chacun de leurs nouveaux élèves (or, l'enfant n'est-il pas « toujours nouveau » ?) pour offrir et demander à chacun suivant ses besoins et ses moyens, et à éprouver ensuite l'efficacité des voies dans lesquelles il aura orienté leur développement.

Mais comment le contrôleur pourra-t-il suivre de près les diverses classes où l'on aspire à s'organiser scientifiquement ?

En l'état actuel des choses, il devra sans doute distinguer entre sa grande et sa petite circonscription. Cette dernière sera-t-elle une unité administrative (petit canton) ou réunira-t-elle des novateurs disséminés ? Ces volontaires pourraient-ils être éparpillés sur un vaste territoire et dans des écoles de types divers ? Sera-t-il procédé parmi eux à un choix guidé par des considérations de méthode ? Si l'on admet que nous devons tendre à la généralisation du mode le plus rationnel de contrôle, l'adoption d'une petite unité administrative en vue de l'expérience peut se soutenir, mais il serait regrettable que l'inspecteur s'y dépensât en vain auprès de certains maîtres mal convaincus, alors qu'il priverait ailleurs de son aide des volontaires pleins de foi et d'enthousiasme. M'est-il permis d’ouvrir encore sur ce point une consultation ?

Quoi qu'il en soit, dans une petite circonscription, le conseiller psycho-pédagogique doit pouvoir présider ou assister aux tests de niveau, puis aux tests de contrôle, ou les suivre de près ; diriger la répartition des enfants, le médecin-inspecteur étant intervenu auprès des anormaux et déficients ; étudier à loisir des épreuves instituées parallèlement dans diverses classes et propres à préciser la connaissance des enfants ; fournir aux chercheurs, dans des réunions régulières la possibilité de préparer des expériences simples, puis d'en exposer et d'en discuter les résultats...

Dans le reste du territoire de sa circonscription, si l'on ne procède pas à la révision qui s'impose de la carte, il tendra à réaliser la première étape de progrès, exposée ci-dessus ; et sa tâche sera déjà si complexe dans la période de transition, qu'il sera indispensable de lui assurer partout un plein service de secrétaire.

Il va sans dire qu'en l'absence de normes préétablies, c'est à une collaboration amicale des inspecteurs qu'il appartiendra de mettre au point, après les moyens de contrôle, les termes constitutifs et les règles d'évaluation d'un rendement, après accord sur un rendement moyen méthodiquement recherché pour les divers cours.

Un organe commun devrait, en outre, faciliter à tous l'entretien de cette culture philosophique adaptée à notre fonction, dont le C.A.I.E.P. a fourni la preuve, mais qui, à l'avenir, sera probablement sanctionnée par des diplômes spéciaux; il permettrait en même temps les échanges d'idées et de renseignements, assurant ainsi cette liaison qui nous manque, bien plus qu'aux instituteurs. Est-il utopique d'espérer que nous saurons nous donner cet instrument de coopération, dont absolument rien ne nous tient encore lieu ?

c) CONCLUSION PARTIELLE

Les exigences et les possibilités d'une étape ultérieure sont à peine concevables en l'état actuel de notre fonction. Par contre un fait paraît certain, et c'est par son affirmation que je conclurai : une indispensable réorganisation de l'inspection est liée à la nécessité de faire à la psychologie, dans l'éducation, la place qu'elle mérite, en relation étroite avec l'expérimentation pédagogique. De plus en plus, la technique éducative et ses progrès se fonderont sur l'observation psychologique sous ses diverses formes. Si, loin de réduire l'instituteur à être un simple exécutant, on veut le conduire à perfectionner sans cesse la qualité de son action par la considération des enfants qui lui sont confiés, j'estime qu'il sera plus utile de lui donner la culture psychologique et l'initiation technique pour une application et une interprétation correcte des tests les plus sûrs, que de faire constituer hors de l'école, par des techniciens non pédagogues, des dossiers d'examen médico-psychologique; car il faut répéter que le rendement pédagogique même n'est obtenu qu'en raison de l'effort joyeux qu'éveille et soutient un éducateur qui, comprenant l'enfant, lui offre ce dont il a besoin, de la manière qui convient.

Sa place faite à une spécialité nouvelle dont les services, on l'a vu, nous seront très précieux, il importe essentiellement de mettre en contact direct avec des maîtres ayant reçu une formation préalable dans l'Enseignement supérieur, des éducateurs-conseillers débarrassés, comme l'envisage le Projet de Réforme, des fonctions administratives non en connexion étroite avec leurs responsabilités pédagogiques, et se tenant en contact régulier avec l'Université. Le dédoublement, pour le moins, des circonscriptions actuelles ne serait rendu inutile ni par la création de dépisteurs, ni par celle de secrétaires administratifs, puisque la véritable charge des I.P . resterait entière.

Une solution satisfaisante est suggérée dans l'art. cité de R. Duthil : solution qui respecte l'unité de la fonction tout en faisant bénéficier l'école du progrès, puisque les spécialistes, bien que l'idée de base de la réforme soit la généralisation de la méthode des tests, travailleraient surtout à soulager instituteurs et inspecteurs d'une tâche matérielle, l'interprétation des résultats des tests devant, d'après Duthil, incomber au maître.

Mais peut-être serait-il plus opportun que de redistribuer les circonscriptions entre fonctionnaires égaux, de stimuler dans leurs fonctions si délicates enseignants et éducateurs-conseillers en créant de nouvelles possibilités d'avancement, c'est-à-dire de recruter par deux concours successifs pour l'emploi de conseiller psycho-pédagogique et pour celui d'inspecteur départemental de l'E.N. Au 1er, on appellerait des enseignants diplômés en psychologie par les Facultés et ayant exercé pendant 10 ans au moins, et au second – dans des conditions égales d'ancienneté dans l'inspection, et avec option pour l'enseignement spécial ou normal, – les conseillers psycho-pédagogiques et ces conseillers psychotechniques, qui seraient recrutés dans les mêmes conditions de services et de diplômes.

Le rôle respectif des inspecteurs et des conseillers qu'on a proposé d'appeler inspecteurs-adjoints, serait facile à mettre au point. L'idée n'est pas nouvelle, mais mériterait audience.

J'ai éclairé le problème sans oublier que tout grand projet de réforme est encore chimérique en l'état actuel du pays et surtout du budget de l'Education Nationale, mais en faisant le vœu désintéressé que, le jour où viendra la rénovation, le mieux ne soit pas l'ennemi du bien.


 

CINQUIÈME PARTIE

 

Les examens primaires et leur réforme

 

Il n’est pas question de faire ici le procès ni la critique des examens en général. Convaincu que l'on pratique chez nous trop d'examens inutiles et pauvres de signification, je tiens les Concours et Examens d'aptitude pour une institution irremplaçable et digne d'être étendue à d'autres domaines de la vie professionnelle et publique où le choix des hommes a, jusqu'à ce jour, été livré au hasard ; je les tiens même, avec Alain, lorsqu'ils s'adressent à des personnalités déjà formées, c'est-à-dire à partir de la fin de l'adolescence, pour d'excellentes épreuves de caractère.

Les quelques lignes consacrées à la « sanction des étude, » par le Projet de Réforme de l'enseignement me paraissent vouloir clore excellemment le débat en supprimant tous les examens avant l'âge de 18 ans et en énonçant les principes qui devront présider à la conception future des indispensables concours de recrutement et examens de fin d'études.

Mais en attendant. l'enseignement primaire continue de « préparer » à divers examens traditionnels ou nouveaux ; au lieu de partager à contre cœur la satisfaction que des représentants très qualifiés du personnel ont manifestée à la suite de la prétendue Réforme de ces examens, je crois indispensable d'interroger ces institutions sur leur but et leur sens. Pour cela, il ne sera pas utile de les situer par le moyen d’une classification ; j’ignore si celle-ci a déjà été tentée, mais je sais que « l’on vient trop tard » et que « tout a été dit » ; la mienne n’a donc d’autre ambition que de faciliter les distinctions les plus nécessaires.

a) ESSAI DE CLASSIFICATION DES EXAMENS

Je distinguerai des examens de simple mesure, les uns statiques, les autres génétiques, et des examens de sélection, soit qualificative, soit fonctionnelle.

 

1. – EXAMENS DE SIMPLE MESURE :

a) statiques (d'état ou de niveau) : ils assurent la comparaison d'un sujet à une norme statique, ou la comparaison de plusieurs sujets entre eux.

b) génétiques (d'évolution ou de croissance) : ils consistent à comparer un sujet à lui-même dans le temps, ou à comparer une courbe individuelle soit à d'autres soit à une courbe tenue pour normale ou moyenne.

Tous ces examens tendent donc à l'observation objective de sujets, en vue :

– soit de les mieux connaître: les mesures physiologiques et psychologiques peuvent servir ainsi des fins scientifiques théoriques apparemment désintéressées; l'emploi de la mesure tend à se généraliser dans le domaine médical et déjà en psychologie; la continuité fait encore défaut dans l'étude génétique individuelle, mais on recourt utilement, de loin en loin, à la comparaison du niveau des sujets examinés à des niveaux d'âge obtenus statistiquement ;

– soit de les mieux traiter en vue de favoriser leur croissance et leur équilibre : les fins sont ici techniques et pratiques. Ainsi, l'hygiène infantile et la pédagogie (comportant une véritable orthopédie motrice, intellectuelle et morale) font un emploi pratique des mesures les plus diverses; du moins, le traitement médical et pédagogique des enfants anormaux de tous genres constitue-t-il déjà un spécialité qui a ses méthodes et fait la preuve de son efficience. Il faut déplorer, par contre, le manque actuel de moyens de donner une suite effective aux examens assurés par le service d'Hygiène scolaire et à ceux qu'assurerait un service de psychopathologie infantile que nous voudrions voir appelé un jour à assurer l'orientation des anormaux vers les classes appropriées et à suivre leur traitement pédagogique même mais non à commander et contrôler la pédagogie dans son ensemble.

2. – EXAMENS DE SELECTION :

a) j'appellerai examens de sélection qualificative ou positive ceux qui sanctionnent divers degrés de culture générale ou spéciale qui témoignent d'une qualification dont le degré est conventionnellement défini, cette sanction, ce témoignage étant polyvalent pour le sujet comme pour la société ; le niveau d'instruction ou technique dont témoigne un diplôme, un brevet, pouvant n'être pas exploité par le détenteur, ou l'être dans des conditions diverses ; un niveau de culture habilite celui qui ne peut se contenter de la satisfaction intime ou du prestige, à postuler certains emplois ou simplement – c’est la tendance actuelle, obstacle utile au mandarinat – être requis pour la participation à certains concours.

On voit que c'est dans cette catégorie que se placent le C.E.P.E., nos divers brevets, le baccalauréat, la licence (dont le sens a depuis longtemps dévié, non moins que celui du Brevet de capacité), le doctorat... qui avant la dernière guerre, ne garantissaient plus aucun emploi, non plus que les diplômes d'ingénieur, le nombre des diplômés ayant rendu l'offre très supérieure à la demande sur le marché des professions « intellectuelles » ; l'agrégation, pourtant véritable concours et hautement spécialisé, a semblé s'y ajouter depuis la guerre, du fait même de ses nouveaux détenteurs, qui désertaient volontiers les fonctions d'enseignement pour des carrières mieux rémunérées.

L'existence et le maintien de ces divers diplômes répondent pour une part à une nécessité (sélection directe en vue de répondre à des besoins sociaux peu différenciés, ou sélection préalable à une autre que j'appellerai fonctionnelle) ; mais leur maintien répond aussi chez nous au goût des diplômes qui s'est généralisé en relation étroite avec la course aux emplois publics les plus médiocres et le développement de la tendance à tenir pour juste l'égalité de tous devant une même instruction, quelles que soient leurs aptitudes.

b) Il faudrait peut-être appeler sélection superlative celle qui a pour objet de déterminer, d'une part, par différenciation des aptitudes, les sujets qui présentent au plus haut degré certaines possibilités; d’autre part, par des épreuves de niveau dans une même aptitude ou un même ensemble d'aptitudes, les sujets les plus aptes à certaines fonctions.

1° Les examens de différenciation devraient constituer les véritables examens d'orientation ; et voici un rôle possible des conseillers psychotechniques, plus indiqué que leur intervention dans l'établissement des programmes et le jugement des méthodes : un premier stade d'orientation dépisterait, à l'âge le plus favorable, les aptitudes précoces, soit générales, soit spéciales; des paliers ultérieurs mesureraient tout particulièrement les aptitudes spéciales.

2° Quant aux examens fonctionnels ou superlatifs de niveau, ce sont les concours et examens pour l'obtention de certificats d'aptitude ; j'y vois les deux aspects relatif et absolu :

– la sélection me parait rechercher un niveau absolu sans trop d'égard à des besoins de recrutement, mais essentiellement à la valeur des candidats, dans les Concours comme ceux de l'Agrégation ou, mieux encore, les « Prix de Rome » ; au contraire, compte tenu toutefois d'un niveau minimum auquel la commission responsable a généralement a cœur de maintenir l'examen, c'est le niveau relatif des candidats qui commande le choix dans les divers concours de Bourses, d'entrée dans les écoles aux possibilités d'accueil limitées, de recrutement ou de sortie lorsque l'obtention du diplôme d'aptitude qui sanctionne les études est rendue plus ou moins difficile par les besoins dans les emplois correspondants.

– Dans la sélection relative, il s'agit de choisir les candidats les plus aptes à certaines activités

1° soit en vue de les préparer directement (apprentissage, formation spéciale) Ce serait là, en principe, le domaine de l'orientation professionnelle; mais on ne peut oublier que l'orientation est oeuvre de longue haleine, dont les éducateurs seuls peuvent s'acquitter avec souplesse et désintéressement ; que, telle qu'elle existe actuellement, elle ne prend que ce qu'on lui laisse et ne saurait se piquer d'être normative; qu'elle ne le serait d'ailleurs que sous un régime prêt à mettre l’école et l'enfant sous la tutelle de l'économie souveraine.

2° soit en vue de les y affecter : c'est ainsi qu'on peut assurer l'utilisation des compétences, et notamment que l'armée américaine, grâce à des tests, a pu improviser des officiers et sous-officiers lors de l'application de la conscription. Notons que les C.A.P. de création récente dans les professions artisanales et à la sortie des sections techniques et écoles d'apprentissage sont encore bien plutôt de type qualificatif que de type superlatif, même relatif, assurant, comme tous brevets, une sélection de niveau final non préparée par une large sélection initiale d'aptitudes.

3° il s'agit, enfin, par la sélection relative, de choisir, parmi des candidats, les plus aptes à certaines fonctions : ici se placent les concours de recrutement et certificats pourvoyant au choix pour les divers grades et catégories de la plupart des administrations, ainsi que pour la plupart des emplois de l'enseignement.

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* *

Cette classification vaut ce qu'elle vaut ; du moins nous permet-elle de situer les examens auxquels prépare l'enseignement primaire ainsi que de ceux dont font ou feront l'objet les écoliers, de la part de services spéciaux (médicaux, d'orientation professionnelle).

Il n'est pas indifférent de noter tout de suite que, si ces derniers sont confiés à des spécialistes dont la fonction même doit consister à pratiquer la mesure et le diagnostic en matière soit d'équilibre fonctionnel et de croissance, soit d'aptitudes, tous les « examens » au sens traditionnel sont confiés au personnel enseignant et au personnel d'inspection pédagogique. Nul doute qu'il y ait à cela des raisons qui veulent de même qu'en cas de suppression des examens inutiles, le contrôle plus prolongé et plus efficace qui les remplacera avantageusement, reste confié aux enseignants et aux pédagogues, étant entendu que les uns et les autres, en tant qu'éducateurs comme en tant qu'examinateurs, seront d'authentiques psychologues de l'enfance et de l'adolescence.

Le nouveau Brevet auquel préparent les cours complémentaires intéressant tous les établissements du second degré, il nous suffira de considérer les deux examens auxquels prépare encore l'école primaire :

– l'examen d'entrée en sixième, prétendue sélection des élèves à l'entrée de l'Enseignement du second degré, le C.E.P.E. prétendue sanction des études primaires élémentaires.

 

b) LES EXAMENS PRIMAIRES

 Ces deux examens après avoir soutenu entre eux les rapports changeants que l’on sait, se trouvent de nouveau bien séparés, le premier visant à constituer un examen d’aptitudes, le second un examen de connaissances.

1. – L’EXAMEN D’ENTREE, prétendue sélection

Voici que l’examen d’entrée en classe de 6e (qui voudrait être une classe d’orientation), des enseignements classique, moderne et technique, est uniformisé et sert en même temps de concours commun des Bourses, sauf pour l’Enseignement technique.

Il y a d’excellentes choses dans la nouvelle organisation de cet examen. du moins sur le plan théorique; l'uniformité des épreuves dans chaque département, si elle n'élimine pas les inévitables écarts de notation autorisés par la nature des épreuves, est une garantie de justice que présentaient déjà les examens et concours départementaux ou nationaux ; le nouveau système d'affectation à un établissement des candidats admis, devrait éliminer les inégalités pouvant résulter du rapport variable entre possibilités d’accueil et effectif des candidats ; le bulletin scolaire, enfin, permet de faire la part des accidents d'examen, toujours possibles avec des enfants.

Mais va-t-il assurer une sélection ? On peut être assure d'avance que non et que, si besoin était, toutes dispositions légales seraient prises pour que les établissements mettent le plus possible à profit leurs possibilités d'accueil, dût une série de « sixièmes » alimenter très difficilement une classe de Philosophie et une classe de Mathématiques. Mais gardons-nous de toute incursion dans un domaine qui n'est pas le nôtre. Constatons seulement que la vraie sélection continuera à n'être pas assurée, soit par la faute de certains instituteurs à qui l'on reproche de garder leurs bons élèves, soit du fait de la légitime hésitation de bien des familles lorsqu'il s’agit de soumettre leurs enfants encore tout jeunes au régime de l'internat, ou encore de l'insuffisance notoire des Bourses nationales. Ainsi, les meilleurs ne se présenteront pas forcément à l'examen et, conformément à une vieille tradition, on éliminera simplement les candidats les plus lamentables. Les principaux facteurs de la sélection restent la condition économique des parents, leurs charges, leurs ambitions et leur propension au sacrifice, voire leurs illusions de parents et leurs préjugés sociaux.

Possibilité d'une véritable orientation sans examen,
avec suppression d'une sélection prématurée

 

Il est donc réjouissant de lire dans le Projet de Réforme qu'un jour aucun examen n'aura lieu avant la fin des années de Scolarité obligatoire, c'est-à-dire jusqu'au niveau du Baccalauréat, du Certificat d'aptitude professionnel et du Brevet d'enseignement professionnel; que l'orientation dépendra alors de l'avis des maîtres et sera motivée par les « activités antérieures » des élèves ; que la sélection proprement dite n'interviendra qu'au seuil de l'enseignement « pré-universitaire » sous forme d'un stage, puis à l'entrée des Universités, Instituts et grandes écoles, sous forme de concours.

Est-ce une utopie ? Nullement, car d'abord, vu la formation psychopédagogique qu'il est prévu de donner à tous les enseignants, vu l'institution d'examens psychologiques précis, des renseignements de tous ordres sur le niveau intellectuel le niveau scolaire et les aptitudes des enfants dispenseront de la formalité hasardeuse de l'examen de passage ou de barrage et pourront même apporter une certaine limitation à la liberté mal éclairée – liberté d'action et d'abstention – des parents.

Ensuite, nous avons la preuve d'une tendance qui aboutira à la suppression d'un examen prétendument sélectif, dans les textes mêmes relatifs à cet Examen probatoire d'admission dans les classes de 6è :

– l'Arrêté du 8 sept. 1947 prévoit la constitution d'un dossier où figurent non seulement le relevé des résultats de la dernière année scolaire et, si possible, de l'année précédente (relevé de notes par matière, classement général) mais l'indication des aptitudes particulières décelées par les maîtres et, éventuellement, la fiche d'orientation scolaire ou toute appréciation sur les aptitudes du candidat et sa scolarité antérieure ;

– la C. M. du 20 mars 1948 stipule que les enfants ayant 10 ans dans l'année de l'examen ne pourront être admis en 6e « qu'avec une dispense qu'il importera de réserver à ceux qui paraissent vraiment en possession des mécanismes fondamentaux ».

C'est reconnaître qu'une évaluation du niveau et des aptitudes des candidats, antérieure à l'examen probatoire, est parfaitement possible : bien avant cet examen uniformisateur (qui pourrait s'appeler concours commun « si les portes n'étaient si largement ouvertes aux aptes et aux médiocres ») les élèves sont déjà assez bien connus et jugés par leurs maîtres. Cette connaissance préalable de tous les enfants, sur quoi l'examen tend à s'appuyer, n'aurait qu’à se préciser et s'uniformiser à l'occasion, par l'emploi des procédés méthodiques de contrôle que nous avons vus, pour que l'examen perde sa raison d'être. On voit ici l'unité qui préside à notre petite étude : la normalisation des procédés encore empiriques de mesure du niveau scolaire et des aptitudes, qui, d'une part, doit faire l'objet principal du contrôle scolaire, et requiert la collaboration de l'instituteur avec le médecin et l'inspecteur ou directeur psycho-pédagogique, doit, d'autre part, se substituer à nos examens inutiles.

Pour terminer la brève étude de l'examen d'entrée en 6e, j'ai relevé les éléments que veut contrôler cet examen ; il y a des mécanismes et connaissances « de base » (écriture, orthographe. connaissance et compréhension de notre langue. mécanismes du calcul), des aptitudes intellectuelles (mémoire, sensibilité, imagination, jugement, aptitude au raisonnement) et une qualité précieuse mais formelle (le goût de la présentation). Pédagogues et psychologues ont constaté qu'à 11 ans la part de l'imagination, et surtout de la sensibilité et du raisonnement est généralement réduite, et qu'on ne peut pas tenir grand compte de la présentation ; il semble que l'observation prolongée des enfants, susceptible de fournir bien d'autres données analytiques, même par le moyen d'exercices de type scolaire, soit aisément supérieure à l'examen le plus intelligemment réformé.

 

2. – LE CERTIFICAT D'ETUDES

prétendue sanction des études

 

Pouvons-nous considérer dans le même esprit le vieil examen que nous conserverons jusqu'à l'absorption de l'enseignement secondaire, professionnel et pratique dans la scolarité obligatoire, et sur lequel instituteurs et inspecteurs s'attendrissent régulièrement dans les revues pédagogiques ? Sa réforme avait été étudiée avec passion entre les deux guerres ; il n'intéresse plus, avec la majorité des ruraux, qu'une fraction des écoliers urbains ; il a subi à plusieurs reprises des modifications de détail mais garde toujours son ancien visage de Certificat d'études, et l'on déclare volontiers que son prestige est intact.

Pour moi, il m'est difficile de lui trouver un but véritable, une utilité précise. Certificat d'études primaires : puisque cela ne signifie pas simplement « attestation de scolarité », on ne saurait mieux définir, en principe, ce diplôme que comme sanctionnant l'acquisition des connaissances que l'école primaire se propose d'assurer à tout enfant, c'est-à-dire, selon le mot de Gréard, de « ce qu'il n'est pas permis d'ignorer ».

Cette sanction, me fera-t-on observer, n’a pas besoin de légitimation, puisque vous attachez une si grande importance à l'évaluation des résultats de l'institution scolaire et de chaque école en particulier.

Cependant, on peut contester et la validité de ce contrôle, et son utilité de fait. D'abord, la statistique des diplômes attribués, abstraction faite d'une indulgence qui en accroît sensiblement le nombre, mais qui n'est pas toujours suffisante, bien qu'elle semble parfois ridicule, permet, certes, d’établir le pourcentage des enfants qui, ne poursuivant pas leurs études après l'école primaire, sont censés avoir assuré une scolarité normale ; mais ce bilan, que je crois peu brillant, est sans signification; car il faudrait faire état, dans le calcul d'un rendement, des seuls enfants aptes à assurer cette scolarité normale; et plus précisément, en ce moment, de ceux à qui leurs aptitudes et leur assiduité permettent d'assimiler, avec deux ans de retard au plus, le programme du cours moyen, et ainsi de fréquenter au moins une année la classe de fin d'études. On voit que la mesure de l'âge mental et une fiche précise de scolarité seraient indispensables. Il faudrait, d'autre part, que fussent présentés tous les élèves ainsi reconnus aptes.

Ensuite, pour éphémère que soit une grande part des connaissances verbales dont l'apprenti, le jeune ouvrier ou paysan n'a pas l'occasion de faire usage dans sa vie étroite, et faute même d'avoir acquis ce précieux minimum qui constitua la première ambition de l'école populaire et que remettent en valeur les instructions de 1945 : lire, écrire, compter, on n’en est pas moins, en droit et en fait, « un homme et un citoyen ».

De sorte que pour éprouver les résultats de la scolarité, il faudrait recourir à des moyens plus précis et moins artificiels, et que, l'inutilité effective du diplôme une fois reconnue, on a lieu, si l'on veut assurer au travail scolaire une sanction sociale, de chercher celle-ci dans des voies nouvelles, et notamment dans le sens où une école vivante peut offrir à chaque enfant la possibilité de faire oeuvre selon ses moyens, c'est-à-dire de cultiver au maximum ses aptitudes par le travail éducatif.

– Mais si le C.E.P.E. n'a plus d'utilité sociale, pourquoi voit-on des élèves de cours complémentaire, voire de lycée, s'y présenter par précaution, des jeunes gens le subir par nécessité et des personnes mêmes âgées demander une attestation de leur diplôme ?

– En effet, à l'entrée de certains emplois, pour anachronique que cela paraisse, le C.E.P. fait encore la preuve formelle d'un minimum d'instruction ; mais la pratique des concours et des C.A.P. se généralise et, si l'on a encore la coquetterie d'encadrer « le certificat », les occasions d'en faire usage n'existeront bientôt plus, ne fût-ce qu'en raison de la dévaluation constante des diplômes.

Quant à sa valeur comme preuve d'un niveau intellectuel, il n'est que les jeunes lauréats pour en être dupes, et la vie nous rappelle quel large crédit il faut faire à l'adolescent de 14 ans : la réussite dans la société du travail tient à l'emploi que chacun sait faire de ses qualités et aptitudes particulières et d'une sorte bien personnelle d'intelligence auxquelles J'école. dans certains cas, n'avait jamais offert l'occasion de se manifester. Aux rudiments acquis à l'école, chacun ajoute. entre la sortie et l'âge des grandes responsabilités, l'irremplaçable fruit de l'observation, de la conversation de la réflexion, du travail personnel. Le C.E.P.E. témoigne donc simplement de l'aptitude à atteindre momentanément un certain niveau scolaire où la mémoire intervient beaucoup plus que le jugement ; et c'est ce qui motiverait la possibilité de subir l'examen dès l'âge normal où ce niveau peut être atteint, de façon à se libérer, pour la suite des études, du souci de cette sanction, aIl profit d'un travail plus largement culturel ; d'ailleurs. les enfants qui passent à 12 ans de l'école primaire au second degré, auraient ainsi la possibilité, s'ils y tiennent, de sortir nantis de ce premier diplôme[1] ; et il n'est nullement question de regretter la « 1re partie », qui n'avait rien de commun avec cette garantie qu'il s’agit de s'assurer librement, puisqu'elle voulait être exigible pour accéder à l'enseignement secondaire.

 

C.E.P. ET FREQUENTATION SCOLAIRE

 

Mais précisément, bien que dans l'impossibilité de contrôler le résultat pratique d'une ou deux années de fin d'études qui sont censées assurer « une préparation directe à la vie », mais qui, faute de moyens, sont essentiellement consacrées, le plus souvent, au rabâchage des notions étudiées au C.M. et à l'entraînement aux épreuves de type scolaire qui jouent, dans l'examen, un rôle décisif, on exige que le candidat ait quatorze ans dans l'année de l'examen, croyant ainsi favoriser la fréquentation scolaire légale. Cette condition d'âge témoigne de bonnes intentions, mais aussi de réelles illusions.

Si, d'une part, nombreux sont encore les enfants qui sortent de l'école sans C.E.P.E., bien que l'ayant fréquentée jusqu'à 14 ans, d'autre part la prolongation est suffisamment entrée dans les mœurs pour que certains enfants reviennent à l'école de village après 14 ans, pourvus ou non du Certificat, leurs parents les jugeant trop faibles physiquement pour entrer en apprentissage ou tenant à retarder le plus possible la séparation nécessitée, par exemple, par des études techniques ; et c'est alors, s'ils ont le C.E.P., qu'ils font du travail libre et personnel, enfin en rapport avec leurs goûts et leurs aptitudes.

Par contre, on prétend obliger 50 % des candidats éventuels (nés. entre le 1er janvier et juin) à rester à l'école jusqu'à 6 mois après quatorze ans, alors que d'autres passent l'examen à 13 ans 1/2 et évitent aisément plusieurs mois de scolarité. Pour un jour, faute de dispense, on est retardé d'un an.

Double conséquence fâcheuse : après un échec, on risque fort de ne pas insister; et quant aux enfants des familles nombreuses et besogneuses, ils risquent d'être retirés à 14 ans révolus, en admettant qu'un certificat médical ne les dispense pas de rentrer en octobre, à 13 ans et 8 ou 9 mois.

Interviennent donc, pour priver certains enfants du C.E.P.E., non seulement le manque d'aptitudes scolaires, mais leur aptitude physique au travail. la condition économique et la bonne volonté des parents. Pour ceux-là, ne faudrait-il pas trouver une sanction d'une scolarité pourtant complète ?

Quant à l'organisation même de l'examen, il serait oiseux de nous attarder à la critiquer et à en étudier la réforme, toutes choses restant par ailleurs ce qu'elles sont. Le seul effort digne d'être accompli doit consister à rechercher une rénovation profonde du contrôle de l'efficience de l'école. conditionnée, il est vrai, par une transformation préalable de notre conception pédagogique traditionnelle.

c) CRITIQUE DU CERTIFICAT D'ÉTUDES PAR FREINET ;

SES ENSEIGNEMENTS

Rien d'étonnant à ce qu'une voie nouvelle soit ouverte, ici encore, par Freinet et ses coopérateurs. Malgré lui, je dois le citer et le commenter un moment.

J'avoue avoir assez mal compris, en son temps, un article aussi riche que bref, et partant difficile à interpréter; et dont le sous-titre : « Comment poser les questions », ne disait pas toute la portée. L'auteur n'y condamnait pas le C.E.P.E. pour les mêmes raisons que moi, mais au nom de principes ; et il me semble qu'il marque une étape de la pensée de Freinet à ce sujet, en ceci qu'il ne s'agit plus simplement de prouver que l'école nouvelle, tout en préparant mieux que l'autre ses élèves à affronter la vie, ne les prépare pas moins bien à affronter les examens traditionnels.

Aujourd'hui, à la lumière de tel autre article présentant des échantillons de Brevets d'aptitudes, où se précise l'idée d'une nouvelle technique de contrôle des résultats, et du compte rendu du récent Congrès de la C.E.L. à Toulouse, nous voyons se préciser une conception propre à nous libérer de la traditionnelle conception adulte d'une sanction des travaux scolaires.

Il ne sera sans doute pas vain d'essayer de situer cette innovation dans le cadre d'une école aussi soucieuse de vie libre et riche que d'efficience sociale. Sans alourdir cette brochure d'une longue étude critique, il faut d'abord comprendre dans quel esprit Freinet souhaite voir réformer le Certificat d'études.

A propos de cet examen, il affirme « trois principes logiques » :

1. Cet examen doit, selon l'évolution de la pédagogie officielle, sanctionner la formation de l'homme, du travailleur, du citoyen, et pas seulement le volume et la précision des acquisitions intellectuelles ;

2. Il doit retrouver l'utilité sociale qu'il a perdue – car pour Freinet non plus, l'actuel C.E.P.E. ne sert à rien – ; plus généralement, programmes et examens doivent s'inspirer des nécessités mêmes de la vie ;

3. La nature et la technique de l'examen doivent être telles qu'il contrôle non le savoir, mais le faire, les possibilités de travail utile.

De ces principes qui ne me paraissent pas en tous points indiscutables, Freinet tire des conclusions qui débordent considérablement le problème posé, mais auxquelles je souscris volontiers. Elles réclament :

a) la détermination du degré d'urgence sociale et humaine des diverses acquisitions et conquêtes (remise en question du but de l’école ;

b) l'adaptation des normes scolaires à ces fins sociales (vie de l'école, moyens d'action auto-éducative pour l'enfant) ;

c) l'harmonisation de la technique d'examen avec le but assigné à l'école et avec le sens et les moyens de son action.

Il faut avoir lu et médité Freinet pour ne pas prendre pour un utilitarisme oublieux de l'individu, de la liberté enfantine, ce qui est proprement « éducation fonctionnelle » si, à la considération des besoins de l'enfant (Claparède) on ajoute, par exemple avec Dewey, celle du milieu social. Ceci précisé, reprenons brièvement les principes qui devraient commander la technique de l'examen et son esprit.

Sur le premier, c'est avec raison que Freinet n'insiste guère ; car s'il y avait vraiment quelque chose de changé dans les buts et les possibilités de notre pratique scolaire, le C.E.P.E. aurait été amené à se transformer aussi ; or, étant resté aussi conforme que possible à ce qu'il a toujours été, il a, au contraire, de très fâcheux effets sur le travail scolaire ; il encourage les maîtres les plus chargés et les plus conservateurs à uniformiser ce travail pour les enfants de 9 à 14 ans ! – tendance contre laquelle les inspecteurs ont à lutter dans certaines écoles rurales où d'ailleurs un recrutement mêlé semble autoriser un décalage de tous les cours, le C.M. commençant à l'âge où il devrait s'achever. D'autre part, les formules libérales de 1945 et 1947 n'ajoutent guère à celles de 1923 et… ne sont que des formules : l'application réelle des horaires et programmes, même en ville, se trouve prise entre des velléités verbales de liberté et de « réalisme » et des exigences parfois très étroites qui se marquent dans le détail des instructions et des horaires. La liberté qui doit vivifier le programme, il faut la prendre dans les phrases où elle s'affirme et étendre ses exigences à l'ensemble, imposant l'esprit au détail de la lettre. ce qui revient, repensant le programme, à le refaire pour son compte ; mais ce n'est le fait que d'une élite.

Convenez que, l'horaire des travaux pratiques étant réduit au profit du calcul, qui signifie Problèmes, et du français qui, malheureusement, signifie souvent Dictée suivie de questions et Rédaction sur un sujet passe-partout qui veut se rapporter à la vie de l'enfant, et la plupart des écoles étant encore privées de compendium et de musée, d'atelier et de matières ouvrables, de jardin et d'outils, « il est légal » que le C.E.P.E. reste, à peu de chose près, adapté à l'enseignement que nous donnions ou recevions il y a trente ans.

Deuxième principe : le C.E.P.E. doit avoir une utilité sociale. Mais Freinet n'entend pas par là les vestiges d'une utilité de convention auxquels j'ai fait leur part ; il voudrait que le Certificat eût la « résonance » du permis ou brevet conféré au candidat « qui se montre capable de conduire un véhicule sans risque pour lui-même et surtout pour les autres », c'est-à-dire qu'il sanctionnât « les qualités aujourd'hui essentielles dans la vie d'un peuple ».

Bien que la formule soit heureuse, on pourrait demander si des garanties doivent et vont être exigées de tous les adolescents, comme futurs travailleurs et futurs citoyens, avant de les lâcher dans la vie économique, puis civile et politique : et nous n'en sommes pas là ; ajouter aux éléments de cette morale pratique du service, où Freinet fait intervenir harmonieusement qualités corporelles, aptitudes intellectuelles pratiques, qualités de caractère, trois vertus qui semblent conditionner une société juste et pacifique : honnêteté, tolérance, esprit critique... Mais une énumération hâtive n'engage à rien, et l'essentiel est d'observer que Freinet veut voir sanctionner des aptitudes, au sens concret et pratique du mot, un ensemble de moyens de tenir sa place dans une vie sociale faite de lutte en même temps que de travail et de solidarité.

Qu’on n'aille pas croire que, par haine de l'intellectualisme, Freinet oublie une instruction dont l'acquisition, étroitement liée à d'authentiques travaux intellectuels et manuels, peut favoriser grandement, dans la société scolaire ; celle des qualités de l'esprit et du caractère : que l'école ait, entre autres buts, celui de faire s'instruire l'enfant, il le sait bien, mais il estime qu'on y pensera assez pour qu'il puisse parfois passer l'instruction sous silence.

Car il s'agit de savoir ce que la vie en... 1948 réclame d'acquisitions, de possibilités individuelles et sociales, et de marquer, dans les matières d'examen, comme dans les programmes d'enseignement, l'ordre de priorité de ces acquisitions et de ces aptitudes, puis, ayant fixé les normes selon lesquelles seront cultivées ces connaissances et ces possibilités, de contrôler par l'examen, non plus seulement « l'acquis statique », mais « les possibilités de travail efficient dans tous les domaines ».

Troisième principe : L'efficience étant l'un des buts que Freinet assigne à l'école et aux examens, le C.E.P. devrait être organisé de manière à contrôler, non des connaissances d'une importance minime ou d'un caractère artificiel, mais la manière dont les enfants « savent faire servir » ce qu'ils ont appris « à la création et à la vie ».

Il n'est évidemment pas question de remplacer par de nouvelles valeurs, dans les « nécessités manuelles, intellectuelles, scientifiques, morales et sociales » du présent, l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul, de l'expression orale et écrite de la langue maternelle, du passé national, du visage de la France et du monde... Il s'agit de trouver des travaux plus proches de la vie et non moins éducatifs, bien au contraire, à substituer, dans ces divers champs d'intérêt, aux formes traditionnelles du travail scolaire, comme travaux à organiser à l'école et comme épreuves d'examen.

Certes, Freinet est toujours en avance, et telle phrase où il caractérise le temps présent comme « l'ère où l'adolescent doit surtout savoir se documenter, établir un rapport, faire une conférence », a d'abord surpris un travailleur dit « intellectuel » qui ne rédige de rapports que depuis qu'il est inspecteur et n'a jamais fait de conférences que pédagogiques. Le monde moderne, me suis-je demandé, a-t-il rendu si généraux et si précoces, à mon insu, des besoins de cette nature ? Et la tendance à « la prolongation du temps d'enfance » qui fait l'objet d'un récent article de M. l'Inspecteur Général Le Lay dans « l'Education Nationale », ne risque-t-elle pas, au contraire, de retarder, pour la plupart des adolescents, l'heure des responsabilités et des vrais travaux ?

Ce serait précisément une raison d'introduire les unes et les autres à l'école même, devenue milieu naturel de croissance : il y a là une condition à la fois d'efficience sociale et de bonheur pour l'enfant. Le souvenir de notre propre enfance ne nous aide-t-il pas à le comprendre ? Au souvenir de l'incompréhension de certains adultes, parents ou maîtres, à l'égard de nos goûts les plus vifs, chacun de nous, observant et comprenant ses enfants et ses élèves, ne devrait-il pas encourager leur goût des collections, de la documentation personnelle et de la communication de leurs trouvailles et des résultats de leur travail à leurs camarades, sans parler de tous ces vrais travaux répondant à des besoins et à des aptitudes qui, refoulés, se satisfont en activités clandestines et extrascolaires ? Freinet veut précisément que chacun, y compris le déficient, qu'avec Bakulé il réhabilite comme Gandhi réhabilita le paria, puisse à l'école cultiver officiellement ses aptitudes, s'affirmer par des réalisations à sa portée.

Rien d'étonnant à ce que, à l'individualisation de l'enseignement au sein d'une école fortement socialisée par son organisation coopérative et par les liens de la correspondance interscolaire, il aspire à ajouter une véritable individualisation des examens, naturelle et possible à un stade où ils n'ont rien de commun avec les concours de sélection mais peuvent être pour chacun la sanction d'aptitudes différenciées, démontrées par des réussites à l'échelle de l'enfant.

LES BREVETS D'APTITUDES

proposés pour remplacer le C.E.P .E.

D'où les « brevets » multiples d'aptitude que la C.E.L. est en train d'étudier et dont l'idée se précise peu à peu. L'expression de « chef-d’œuvre », empruntée aux corporations, est tout à fait adaptée à la psychologie de l'âge pré pubertaire et de la première adolescence, du moins pour les Garçons, et quant à la formule des Brevets spéciaux, c'est un emprunt non moins heureux au scoutisme dans ce qu'il présente d'intérêt fonctionnel. Freinet apporte déjà, sur la manière dont ces Brevets pourraient remplacer l'examen actuel des suggestions assez précises :

 « Il faudrait (pour obtenir le C.E.P.E.) posséder par exemple 8 brevets obligatoires et 4 brevets facultatifs, et avoir réalisé un chef-d’œuvre (ce point appelle une précision, puisque chaque brevet comporte lui-même un chef-d’œuvre). L'examen pourrait continuer à se tenir au chef-lieu de canton ; il comporterait l'examen des brevets et des chefs-d’œuvre, et aussi quelques séries de tests soigneusement standardisés. »

 « Un examen ainsi compris contrôlerait vraiment le travail, les possibilités techniques et culturelles et les connaissances des enfants. Il serait un document précieux pour l'indispensable orientation. »

Voilà beaucoup d'idées en peu de lignes ; il apparaît que l'examen souhaité par Freinet comporterait une partie standardisée, recourant donc à des épreuves uniformes, destinées à mesurer, dans des conditions égales, des connaissances et surtout des aptitudes indispensables, tests de résultats et tests de niveau qui constitueraient l'aspect quantitatif et analytique de l'examen, et d'autre part un ensemble varié d'épreuves individualisées assurant le contrôle de résultats qualitatifs et synthétiques, autre aspect du rendement de l'école et du niveau des élèves sortants.

C’est ici le lieu de noter que mon étude sur le contrôle n'a pas voulu négliger les réalisations de l'école au profit de la mesure arithmétique ; si j'ai souligné la nécessité de généraliser la mesure de l'efficience de l'école dans les domaines où elle est possible, je n'ai pas oublié les Travaux proprement dits. Le fait est, que dans trop d'écoles, ils ne tiennent encore aucune place, malgré les Conférences sur l'Etude du milieu et les recommandations des Programmes touchant, par exemple, la rédaction de « petites monographies », cependant qu'ailleurs on voit surtout de belles réalisations personnelles du maître pour un « enseignement par l'aspect » ou un enseignement « actif » qui n'a rien à voir avec le travail éducatif.

Un C.E.P.E. qui sanctionnerait, non le résultat aléatoire de quelques épreuves, mais les travaux déjà réalisés par l'enfant à l'école, pourrait servir, plus valablement que l’actuel examen, à juger l'école sur ses résultats et à comparer le « rendement » des éducateurs. Un choix particulièrement heureux de travaux utiles et éducatifs pour les dernières années de la scolarité mettrait à même les meilleurs classes au point de vue fonctionnel, d'affirmer leur supériorité.

Quant à l'utilisation de l'examen à des fins d'orientation, à quoi l'article cité faisait allusion, je prie le lecteur de se reporter au peu que j'ai dit de l'Orientation p. 37 ; vu l'actuelle conception psychotechnique, les brevets préconisés par Freinet ne seraient peut-être, à 14 ans que des confirmations, trop simples aux yeux des scientifiques, des aptitudes de chaque enfant; mais on va voir que, dans d'autres conditions, ces épreuves devraient être révélatrices d'aptitudes personnelles à favoriser par une certaine individualisation de l'éducation (options) et par une judicieuse orientation des enfants par leurs éducateurs.

 

Conclusion générale

 

a) CALENDRIER DE L'INSPECTEUR

ET ABOUTISSEMENT DU CONTROLE PERMANENT

 

Car, sans prétendre à la légère dépasser la pensée si féconde de Freinet, je dois essayer de montrer que c'est avec la suppression définitive du Certificat d'Etudes et dans le cadre du futur Second cycle de l'Enseignement du premier degré élargi, soit à l'âge même de l'orientation, que cette formule neuve des Brevets que chacun pourrait subir au moment où il serait apte et prêt à le faire apporterait une stimulation précieuse au Travail dans une école mettant en oeuvre les vivantes possibilités de chaque enfant, et contribuerait très utilement à ce contrôle nuancé, à la fois quantitatif et qualitatif, dont aura besoin une éducation expérimentale et différentielle à la fois.

Le souci bien français de la juste mesure doit permettre de trouver un équilibre harmonieux : d'une part, entre la culture généralisée, selon des moyens néanmoins divers, de certaines possibilités indispensables à tous les hommes, et l'exploitation d'aptitudes personnelles permettant à chacun d'exceller sur quelque point ainsi qu'il pourra le faire dans la vie adulte, où le plus humble travail a sa perfection propre ; d'autre part, entre le recours à la mesure quantitative, dont la rigueur requiert une traduction qualitative prudente. et l'intérêt accordé à des résultats pratiques dont la valeur globale peut d’ailleurs se décomposer en qualités diverses susceptibles de degrés successifs.

C'est dans cet esprit que, pour préparer et promouvoir une Education Nouvelle, la collaboration confiante et constante des instituteurs et des inspecteurs nous est apparue indispensable à la transformation du contrôle scolaire en tant que moyen : le contrôle du niveau et des aptitudes de chaque enfant, de ses progrès fonciers et de ses réalisations concrètes, s'est avéré indissolublement lié à la mesure de la valeur professionnelle des maîtres et à celle du rendement pratique et humain de l'école.

Pour un travail fécond, on ne saurait donc trop compter sur l'adoption, par tous les instituteurs, de l'attitude compréhensive et juste dont Freinet leur donne l'exemple (Congrès de Toulouse) . Comprenant comme lui les responsabilités propres à chaque fonction, reconnaissant que, si le conseiller pédagogique doit savoir se mettre à la place de chaque maître et faire ce que celui-ci doit faire, les maîtres auraient tort de prétendre « (se) mettre à la place des inspecteurs et faire ce qu'ils doivent faire », les progressistes sauront se libérer les premiers des complexes malsains et surtout de l'indifférence teintée de suspicion qui frappe parfois les initiatives les plus désintéressées de chefs désireux de servir et de créer, attitude inconséquente de la part de ceux qui se plaisent, par ailleurs, à dénoncer dans le «corps» entier le conservatisme dont feraient preuve quelques inspecteurs.

C'est avec une masse toujours croissante d'éducateurs cherchant à faire oeuvre de bonne foi, intelligente et féconde, que pourront s'organiser ces tâches de l'inspection modernisée dont les pouvoirs publics finiront par découvrir les exigences et dont je vais ébaucher maintenant les grandes lignes, en supposant que prévaudra finalement, dans l'intérêt de l'école, la réduction du territoire de circonscriptions confiées, au double point de vue solidaire de la psychologie et de la pédagogie, à des éducateurs-conseillers connaissant de près leur personnel et lui facilitant l'accomplissement d'une mission éducative conçue dans sa vivante unité.

 

1. – CALENDRIER DU CONTROLEUR DE L'EDUCATION

 

Dans une circonscription d'une centaine de classes au maximum, celui à qui nous pouvons garder sans risque le vieux titre d'Inspecteur, consacrerait le premier mois de d'année à un contrôle initial, laissant, s'il le fallait, à une vingtaine de très bons maîtres, le soin d'assurer seuls l'essentiel de ce contrôle ; celui des écoles importantes et, en particulier, des classes ayant à leur tête le directeur de l'école, pourrait être promptement assuré, les directeurs devant être choisis parmi les meilleurs praticiens de l'autocontrôle pédagogique doublés des éducateurs justifiant du meilleur niveau intellectuel et technique et des meilleures aptitudes d'animateurs.

Le deuxième mois pourrait être affecté à des Conférences de mise au point, pouvant durer deux jours par centre, ceux-ci étant multipliés pour éviter au personnel dérangements et frais excessifs[2]. Ces conférences prépareraient en coopération le travail de l'année pour les divers types de classes et apporteraient aux maîtres des solutions répondant aux principaux problèmes soulevés par le premier mois de classe, mois de contact, d'observation et de contrôle, mois de mise en place et en train pour chaque élève, de démarrage et d'essai pour les maîtres.

Au cours du troisième mois (mois d'hiver), il serait excellent que l'inspecteur pût diriger, dans quelques centres, le fonctionnement de classes d'initiation pédagogique mutuelle où seraient appelés les maîtres inexpérimentés ou désireux, après une mutation, d'apprendre la pédagogie d'un nouveau type de classe. Ils seraient suppléés d'office dans leur classe, et il faut dire en passant que, dans un Enseignement public mieux « classé », les suppléants devraient être d'excellents maîtres titulaires, spécialement indemnisés pour servir, dans un secteur ou une catégorie de classes donnée, en fonction des besoins.

De janvier à fin mai, l'inspecteur procéderait aux visites d'inspection complète, où il verrait toutes les classes en action mesurerait les progrès, s'assurerait de la manière dont sont mis à profit les enseignements du contrôle initial en ce qui concerne niveau, rythme et méthode du travail, apporterait éventuellement l'aide de nouvelles mises au point.

Juin et la fin d'année scolaire serviraient aux visites de contrôle final, ayant pour objet les examens intérieurs de résultats et donnant lieu à la notation annuelle du personnel. (Bien entendu, loin de se l'interdire, on ferait intervenir pour tous cette note récente dans le barème appliqué aux mutations de fin d'année.)

Dans chaque classe, indépendamment des tests collectifs d'instruction et de niveau final, le maître appellerait l'inspecteur à examiner les plus belles réalisations de la classe au cours de l'année, et notamment – pourquoi non ? – à attribuer avec lui ces Brevets qui ont déjà été adoptés et décernés dans telle classe citée dans le C. R. du Congrès de Toulouse. A propos de ces derniers je suppose que les enfants seraient tenus en haleine par la nécessité de se pourvoir d'un certain nombre de brevets obligatoires et d'options pour obtenir, à la sortie de l'école, un Diplôme de bon travail ; de 10 ou 11 à 15 ans, chacun s'attacherait à obtenir successivement ceux qu'il aurait choisis ; dès avant l'examen, l'autocontrôle et le contrôle par la classe confirmeraient l'aptitude de chacun à obtenu. tel brevet, dont, après l'examen officiel, mention serait faite sur la fiche de résultats datés tenue au nom de chacun.

 

2.SANCTION DU TRAVAIL POUR TOUS

 

C'est seulement pour plus de solennité et d'uniformité que, chaque année, seraient examinés et accompagnés d'épreuves probatoires les divers travaux des élèves sortants. Outre que des réunions pédagogiques cantonales de fin d'année, occasion d'expositions scolaires, feraient utilement le bilan d'une année de travail coordonné, la période du contrôle final pourrait se clore, le même jour, par un examen d'un type nouveau véritable fête du travail enfantin, comportant l'exposition des travaux des élèves sortants.

La commission serait constituée, non par des collègues, connus ou inconnus, venus d'un autre canton, dont on ait à redouter la sévérité ou à réclamer l'indulgence mais par l’assemblée des maîtres du canton, à qui l'on ne ferait plus l'affront d'une suspicion que, tout comme dans les classes, l'esprit des nouvelles institutions doit balayer ; ils seraient assistés d'amis de l'école, (et ici les Délégués cantonaux seraient tous à leur place) sous la présidence de l’inspecteur. De brèves épreuves en rapport avec les chefs-d’œuvre présentés pourraient accompagner l'examen des fiches de résultats, encore que je n'en voie pas la nécessité, et la Commission attribuerait les Diplômes d'aptitudes ou de bon travail portant mention de la série des brevets obtenus, avec leurs dates. Ce ne serait plus la journée de transes vaines et d'inutile surmenage que connaissent aujourd'hui candidats, maîtres et commissions...

3. – ORIENTATION

Le lauréat et sa famille verraient sans doute confirmée par la composition même du « Certificat sur mesure », où chaque brevet pourrait être affecté d'une mention, la direction dans laquelle l'élève de 15 ans est porté par ses aptitudes; mais l'orientation serait déjà assurée, de manière de plus en plus précise, à partir du moment où chacun aura pu compléter par des brevets successifs la physionomie de ses résultats scolaires les plus généraux.

De même, dans le 2e cycle prévu par le Projet de Réforme, où nous trouvons d'ailleurs inquiétante l'intervention de l'enseignement spécialisé auquel seront confiées les « activités permettant d'éprouver les goûts et les aptitudes des enfants », les « options » prépareront l'orientation scolaire, puis professionnelle de chaque enfant, l'acheminant « vers une des sections et branches d'enseignement entre lesquelles sera divisé le cycle suivant... »

L'autorité de l'inspecteur psycho-pédagogique chargé du contrôle permanent des maîtres et des élèves pourvoira sans doute dans les meilleures conditions, en liaison étroite avec les maîtres, à cette orientation enfin libérée de l'empirisme qui lui laisse une apparence de souplesse, mais la prive de toute sûreté.

 

b) PÉDAGOGIE OUVERTE

 

L'accueil que je fais à cette idée de « brevets d'aptitudes multiples » dans le cadre d'un contrôle scolaire conciliant les exigences de l'originalité individuelle et celles de la socialisation pour s'adapter à une pédagogie capable d'exploiter à la fois les richesses concrètes de la vie et les ressources abstraites de la science, veut témoigner de la large tolérance qui doit être, à l'égard des procédés, celle d'une pédagogie ouverte.

L'adhésion de principe à de nouvelles formes de travail pour nos élèves, pour leurs maîtres, pour nous, inspecteurs, n'implique d'ailleurs nullement une révolution soudaine de notre manière de travailler : les transformations durables s'élaborent lentement.

C'est dans cet esprit qu'en continuant à composer avec toutes les difficultés présentes de notre métier et à présider des commissions de C.E.P.E. établies conformément aux prescriptions légales et dûment stylées de crainte qu'une « demi-faute » d'accent oubliée ou généreusement escamotée n'ait des conséquences injustes ou ne donne lieu à un scandale, j'espère que nous serons quelques-uns, et peut-être beaucoup, à affronter les problèmes que pose ce nécessaire équilibre entre le passé et le présent qui, selon M. le Recteur Hubert, doit permettre de les dominer tous deux également et « de ne pas substituer aux servitudes anciennes des servitudes nouvelles. »

S'il est démontré qu'une pédagogie rationnelle permet de réduire très sensiblement le temps nécessaire au montage des mécanismes moteurs et mentaux indispensables, ces esclaves que restent trop souvent nos écoliers doivent trouver dans chaque journée les séances de jeu et d'oxygénation intense indispensables à leur développement intégral et tout particulièrement, à leur attention scolaire, ainsi que les heures de travail spontané ou suggéré, motivé par leur curiosité du moment ou par le désir de faire part à d'autres de leurs travaux, de leur vie, de celle du milieu ambiant, ou par la volonté de réaliser une oeuvre utile qui les égale aux adultes. La mesure de leur croissance les intéresse de bonne heure assez pour qu'ils se prêtent volontiers ou s'offrent même à un contrôle qui peut constituer, à l'école du travail, une forme de jeu grave et passionnante. Donc, observons, interrogeons, éprouvons nos élèves, notamment à l'aide de tests empruntés aux psychologues ou élaborés à leur école, mais enseignons-leur aussi, dès que possible, cette preuve de progrès qu'administre une réussite obtenue au prix d'attention, de perspicacité, de patiente application.

Il ne sera pas moins intéressant pour nous que de préparer des tests d'aptitudes et d'instruction bien adaptés à chaque âge, de mettre au point en coopération des ensembles aussi homogènes que possible de tâches extrêmement variées, impliquant non une simple activité d' « effectuation » (Claparède), mais un véritable travail de la main et du cerveau, et susceptibles de constituer des projets limités mais déjà sérieux autant que passionnants, dans les domaines si divers où nous donnons des livres et des résumés, à étudier, alors que l'enfance est prête a s’y engager avec toutes ses forces vives, dans son aspiration, déjà révélatrice de la fonction de l'homme, à s'assimiler le milieu ambiant et à y insérer son action.

 

(Carcassonne, 1948.)



[1] Il paraît d'ailleurs démontré que tout examen est contre-indiqué en pleine crise pubertaire.

[2] Les crédits si regrettablement absorbés par les examens primaires, à quoi s'ajoute maintenant le Brevet Sportif Scolaire, serviraient plus utilement à dégrever le personnel, dans le cadre cantonal, pour tout déplacement de caractère professionnel et officiel (conférences et stages).

Publications et ouvrages cités

_______

BERTRAND (F.L.) : Alfred Binet et son oeuvre. - Alcan, 1930;
Essai d'analyse psycho-sensorielle et de psychogénie scolaire. - id.

BINET et SIMON : La mesure de l'intelligence chez les jeunes enfants. - Public. de la société Alfred Binet, édit. Bourrelier.

Cahier de pédagogie moderne N° (Bourelier) : articles sur les tests.

CLAPAREDE (Dr E.) - Psychologie de l'enfant. Tome II, Les méthodes.

DECROLY (Dr O.) et P. BUYSE : Introduction à la pédagogie quantitative.

DELVOVE (J.) : La technique éducative. - Alcan, 1922.

DESCOEUDRES (A.) : Le développement de l'enfant de deux à sept ans. - Delachaux et Niestlé, 1930.

DOTTRENS ( R.) : Le problème de l'inspection dans l'éducation nouvelle. - Collection d'Act. Pédag. 1931.

Educateur (L') : Articles de FREINET (notamment 15 janvier et 15 octobre 1947) - BOISSEL (1er-15 février 1948). - PAGES (id.) - MOULINEAU (1er déecmbre 1947), et plusieurs autres.

Education Nationale (supplément à L') : La réforme de l'enseignement (projet soumis...)

FAY ( Dr H.M.) : L'intelligence et le caracgtère. Leurs anomalies chez l'enfant. - Foyer central d'hygiène, 1934.

FOUCAULT (M.) : La mesure de l'intelligence chez les écoliers. - Delagrave, 1935.

MILLOT (A.) : Les grandes tendances de la pédagogie contemporaine. - Alcan, 1938.

PRUDHOMMEAU (M.) : Le dessin de lenfant. - P.U.F. 1947.
Bulletin de la Société française de Pédagogie, N°74.

SIMON ( Dr TH.) : Pédagogie esxpérimentale. - Colin, 1924.
Une organisation sceintifique de l'école. -
Bulletin de juillet-septembre 1946 de la société A.Binet.

VIOLET-CONIL (M.) et CAVINET (N.) : L'exploration expérimentale de la mentalité enfantine. - P.U.F., 1946.

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