Publication Mensuelle N° 3. Novembre 1937

 

Brochures
d’Education Nouvelle
Populaire


C. Freinet

 Plus
de leçons

 

Vence (Alpes Maritimes)

L’Imprimerie à l’école.

Prix : 10 F

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Un perfectionnement idéal
de nos techniques :
Plus de leçons !

Lorsque, il y a quelques années déjà, j’avais décidé d’ouvrir notre école, certains camarades redoutèrent, parfois d’une façon véhémente, de me voir abandonner l’expérience commencée pour m’en aller dans la voie facile mais inutile pour nous de l’Ecole nouvelle bourgeoise dont les enseignements n’ont jamais, pour les écoles du peuple, aucune portée décisive.

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Après deux ans d’expérience, nous pouvons affirmer que nous avons évité ce danger. Notre école est et reste une école de pauvres. Si quelques petits bourgeois de gauche avaient feint, au début, de nous confier leurs enfants, ils ont bien vite arrêté là leur expérience, parce que nous étions trop résolument prolétariens, que nous avions définitivement renoncé à cultiver le verbiage, supériorité ancestrale dont  se parent à tort ceux qui ont pu faire des études, et que nous voulions être une école de travail et de vie, au service de la virilité enfantine.


 

Gosses des faubourgs de Genevilliers ou de Colombes, enfants des camarades ouvriers, artisans, et même instituteurs, prolétaires 100% espagnols, voilà la composition actuelle de notre école.

Notre école est une école à classe unique très difficile, avec enfants de 5 à 16 ans, à population assez flottante, avec actuellement enfants espagnols et enseignement bilingue. Il m’a fallu rechercher et trouver des techniques de travail me permettant de faire travailler tout ce monde avec la plus grande efficacité possible.

Nous sommes pauvres, comme toutes les écoles populaires. Et force nous est de tenir compte de cette terrible réalité dans l’étude et la mise au point de nos techniques de travail et de vie.

Qu’on ne vienne pas nous dire donc : vous faites ce que vous voulez !

Comme tous les éducateurs ! Nous faisons ce que nous voulons dans la limite stricte de nos possibilités  - qui sont toujours réduites, du fait justement que nous sommes une école prolétarienne.

Nous avons l’avantage, certes, d’avoir ici une plus grande liberté et d’avoir pu pousser à fond certaines expériences qui, de ce fait, deviennent probantes, alors qu’elles seraient restées longtemps des affirmations sans certitude. Mais les conclusions de ces expériences sont valables pour nos écoles primaires publiques, qui y puiseront des exemples et des enseignements précieux pour l’adaptation définitive de leurs techniques aux nécessités et aux possibilités contemporaines.

Qu’on ne s’y trompe pas cependant. Nous avons cette supériorité sur les chefs d’école pédagogique qui nous ont précédés que nous ne préconisons aucune orthodoxie. Nous ne disons pas, comme certains : Voici notre méthode ! Il faut l’adopter en bloc, ou nous ne reconnaîtrons pas notre œuvre.

Au contraire.

Nous ne voulons point fixer de méthode, parfaite aujourd’hui peut-être, mais déjà inadaptée demain si la vie marche et si nous voulions, nous, fixer la forme dans laquelle doit se couler cette vie.

Nous sommes un mouvement pédagogique coopératif. Nous tâchons de mettre au service de tous, au service de l’Ecole Populaire, les recherches et les essais de chacun de nos adhérents. Nous sommes en mesure d’indiquer aujourd’hui les grandes lignes et les principes essentiels de la rénovation que nous préconisons. Mais dedans ce cadre, il appartient à tout éducateur d’adapter nos techniques à ses nécessités locales, avec la plus grande rigidité possible dans les principes, mais une souplesse totale aussi dans la pratique pédagogique.

Qu’on ne s’étonne pas, pour ce qui nous concerne, si on ne trouve plus, l’an prochain, dans notre école, les pratiques que nous allons décrire. Nous voulons marcher avec la vie. Et pour entraîner, il nous faut sans cesse aller de l’avant. Mais que ceux que l’effort essouffle et lasse ne s’émeuvent pas. Nous leur apportons un matériel précieux, des directives précises, des exemples sûrs avec lesquels ils peuvent se lancer sans risque ni appréhension dans la nouvelle vie scolaire.

 ***

 Nous ne voudrions pas laisser croire que le problème pédagogique est un problème strictement scolaire et que les questions qui le conditionnent peuvent et doivent toutes se régler entre les quatre murs de l'école. C'est là une solution commode pour ceux qui sont intéressés à empêcher le peuple et les éducateurs du peuple de voir, de replacer dans son cadre ample et harmonieux de la société humaine le processus d’éducation des jeunes enfants.


L’expérience que nous poursuivons à l’Ecole Freinet portera ses fruits moins peut-être dans le domaine limité de l’amélioration des techniques que par la preuve nouvelle qu’elle est en train de faire de la prédominance en éducation des questions de milieu scolaire et social, de milieu physiologique individuel, de construction et de matériel. Sans vouloir pour cela cataloguer notre enseignement d’une étiquette politique ou sociale quelconque, nous devons préciser au début de cette étude la préoccupation matérialiste de notre effort.

On nous a, pendant trop d’années, à injections officielles te répétées, rempli le cœur et l’esprit de belles paroles. Combien de conseils ne nous a-t-on pas donnés à l’Ecole Normale et dans les conférences pédagogiques ? Ne nous a-t-on pas exhortés aux sacrifices qu’exige notre sacerdoce ! Mais la réalité, hélas, était autre ; et, depuis cent ans, les instituteurs sont impuissants devant cette réalité parce qu’on leur a toujours menti et qu’on a tenté de résoudre par l’intellectualisme et par les discours des problèmes qui sont du domaine strictement technique.

Nous dénonçons ce mensonge. Et, à ceux qui osent encore dire que nous sommes des utopistes, nous répondrons que les faux utopistes, ce sont ceux qui se payent de mots en face des réalités qu’ils n’osent affronter et qui esquivent sans cesse les solutions. Nous, en réalisateurs, en praticiens, nous faisons face à ces réalités : si nous ne pouvons pas les surmonter momentanément, nous ne craignons pas de dire notre impuissance, car nous pensons qu’il vaut bien mieux mesurer d’avance les obstacles à surmonter que de nous faire croire qu’on peut, en toutes circonstances, par du dévouement, du sacrifice… et du verbiage, vaincre ces difficultés… au risque de nous décourager pour toujours au spectacle permanent de notre impuissance.

La vérité sur l’opposition que nous rencontrons un peu partout, est justement cet élargissement normal du problème éducatif et de la nécessité on nous met cet élargissement de dénoncer les mensonges philosophiques, sociaux et politiques avec lesquels on a, depuis si longtemps, trompé le peuple avide d'instruction et de progrès.

***

Lorsqu’un propriétaire demande à un maçon de construire une maison, l’entrepreneur ne se contente pas de dresser les murs à l’endroit indiqué avec les matériaux à sa disposition. Il scrute au préalable le terrain, calcule la solidité des fondations, étudie la valeur des matériaux employés. Et si vous vous avisiez de lui demander de construire sur un sol mouvant ou avec des matériaux ne permettant pas un travail consciencieux, vous le verriez protester, et peut-être refuser. Et s’il accepte, ce ne sera qu’après vous avoir bien prévenu qu’il tient, dès le début, à dégager sa responsabilité pour les malfaçons qui en résulteront.

Et nous qui travaillons sur une matière combien plus précieuse mais plus fuyante et capricieuse aussi, nous n’aurions pas droit aux mêmes élémentaires garanties !

On nous amène des enfants déficients, sous-alimentés, ou odieusement suralimentés, ayant mal dormi dans des chambres trop exiguës, énervés par les jeux excessifs dans des ruelles sans soleil ou des cours étroites et empuanties, et l’on voudrait que nous les éduquions mieux : que nous leur donnions un enseignement basé sur leurs possibilités individuelles sans rien connaître de ces possibilités ; on nous confie de pauvres êtres sans élan et sans vie, que les dures conditions économiques ont déjà à demi vaincus et on suppose que nous pourrons ainsi, par des méthodes pédagogiques, qu’elles soient nouvelles ou anciennes, leur redonner cet élan et cette vie. Des programmes prétentieux, à peine digestibles parfois pour quelques surnormaux, nous sont imposés : il faudrait, pendant cinq heures par jour, tenir nos élèves penchés sur leurs manuels ou pendus aux lèvres du maître pérorant. On ne se demande pas si l’enfant peut normalement fournir la somme de travail et d’attention qu’on exige de lui.

Assises fragiles et défectueuses, matériaux sans résistance, construction déplorable !


Mais le maçon sait que la construction sera déplorable et, d’avance, il en rejette la responsabilité. L’éducateur feint d’ignorer – et il l’ignore souvent effectivement – l’effet inexorable de ces causes. Et, quand la construction chancelle, quand parents et administrateurs contemplent l’impuissance décevante de tant d’efforts, alors, naturellement, on accuse l’éducateur et ses méthodes alors qu’à l’image du maçon, nous devrions savoir dénoncer les vrais coupables de cette carence : l’organisation sociale, politique et économique qui ne veut pas donner aux fils de travailleurs, l’air, l’alimentation saine, le repos bienfaisant, les jeux de plein air qui fortifieraient leur corps et leur esprit et les rendraient capables d’affronter avec succès le travail scolaire.

C’est pourtant une vérité banale ; mais l’école l’a tellement sous estimée qu’il n’est pas inutile d’en faire une preuve irréfutable.

Lorsque vous avez mal dormi, ou trop mangé, ou mal mangé ; quand vous êtes fatigué, ne sentez-vous pas une impuissance invincible à travailler intellectuellement. Et si vous réfléchissez alors à ce fait d’expérience, comment ne comprenez-vous pas que l’enfant, physiologiquement incapable de profiter de vos leçons, a besoin non pas d’un traitement pédagogique mais d’une amélioration physiologique . Tous ces enfants qui dans nos classes sont distraits, inattentifs, sans goût au travail, sans application, auraient besoin non pas de meilleures méthodes pédagogiques, mais d’air, de soleil, d’une bonne alimentation et de travail harmonieux. L’appétit de travail reviendrait alors : l’élan de vie renaîtrait.

C’est en considération de ces réalités que nous accordons dans notre école une importance primordiale à ce que nous pourrions appeler le milieu ; et pas seulement le milieu extérieur, mais aussi le milieu intérieur.

Notre pédagogie, nous l’avons marqué bien des fois, change totalement de sens : pour nous, les questions de méthode pédagogique, de programme, d’horaire, etc…, sont secondaires. Si l’enfant n’a pas envie de travailler, s’il ne sent aucun élan vers aucune activité, s’il est à tel point passif déjà que la vie semble  l’avoir vaincu, tous les efforts des pédagogues resteront impuissants. Si, par contre, nos enfants reconquièrent l’activité et la curiosité QUI LEUR SONT NATURELLES, s’ils sentent, puissant, ce désir essentiellement humain d’aller de l’avant, nous n’aurons pas à traîner désespérément nos élèves le long d’une route que nous aurions en vain aplanie ou fleurie ; il nous suffira de les suivre, de les accompagner, de les aider en leur apportant surtout les techniques et les outils qui sont la résultante des siècles d’efforts qui nous ont précédés.

Ce milieu ainsi favorable est en partie réalisé dans les classes pratiquant nos nouvelles techniques.

Dans les classes traditionnelles, en effet, l’enfant se recroqueville sans cesse sur lui parce qu’on ne lui laisse jamais la possibilité de s’exprimer et de se réaliser. Habitué à être commandé, il se résigne à cette mortelle passivité qui caractérise les enfants de 12 ans sortant des écoles. L’élan de vie s’est éteint, ou du moins a été si dévié qu’il est parfois bien difficile de remettre à jour les éléments essentiels de la renaissance que nous préconisons.

Mais si cessent les devoirs et leçons, si l’enfant peut réaliser, ne serait-ce qu’une partie de ce qu’il sent être l’essentiel de sa vie, alors, le miracle joue. L’activité naturelle reprend ses droits ; l’appétit de travail, cet appétit nié par tous les éducateurs traditionnels, reparaît. Alors peut se développer notre pédagogie.

Nous réalisons, nous, le milieu presque idéal, parce que nous ne considérons pas seulement l’école, mais toute la vie : nos enfants ne retournent pas le soir dans leur famille où l’atmosphère est ou trop autoritaire ou trop libérale. Nous surveillons tout spécialement l’alimentation des enfants et leur respiration qui sont, on semble trop l’oublier, à la base de toute vie et de tout effort.

Une mauvaise digestion – c’est encore là un fait d’observation courante – prédispose à la mauvaise humeur et au « noir » ; l’insuffisance de sommeil  contribue à la nervosité ; les excitants – cela se sait aussi – créent momentanément une euphorie qui fait illusion, mais aux dépens, toujours, de l’harmonie générale de la vie.


Lorsque, un jour, il y a eu du bruit dans notre école, des disputes ou des cris, nous ne nous en prenons point aux enfants, nous ne nous usons point en imprécations sur leur mauvais caractère et leur sans-gêne. Nous pensons qu’il y a eu tout simplement une réaction physiologique qui a dérangé l’harmonie souhaitable et nous cherchons quelle erreur a pu être commise : erreur d’alimentation parfois : il suffit d’une livraison de farine qui, malgré la rigueur de notre attention, sera légèrement évoluée (il ne s’agit pas de la farine avariée qu’on passe couramment dans le pain de boulangerie), ou d’un panier de fruits (pêches par exemple) trop chargé de toxiques, pour que cesse cette harmonie du milieu intérieur que nous nous appliquons à créer. Ou bien des bain trop prolongés par exemple, au moment des changements de saison, produisant une légère congestion. Et cela suffit : les enfants sont grognons ou pleurent ; ils ne travaillent pas volontiers ; ils oublient leurs besoins, cassent la vaisselle (la désharmonie vitale se traduit nécessairement par une désharmonie dans le jeu des muscles), et parfois, le soir, se mettent à languir, ou à pleurer en demandant leur maman…

Que disparaisse le déséquilibre et immédiatement tout rentre dans l’ordre : plus d’énervement, plus d’inutiles batailles, plus de pleurs, plus de « languisson ». Les visiteurs de notre école ont justement toujours été frappés par le calme de nos enfants, par cette paix qui règne en permanence, par ce sérieux au travail et cette profondeur dans l'implication qui caractérisent les individus normalement équilibrés.

L’alimentation, excellemment réglée par Elise Freinet, selon les principes qu’elle a formulés dans son livre, est pour beaucoup dans cette régénération. La vie saine et naturelle, notre thérapeutique naturelle aussi en sont l’heureux complément.

Il est certain que chez des enfants ainsi préparés physiologiquement, l’éclosion intellectuelle n’est que le jeu normal de la vie. Ce n’est pas nous qui l’éveillons : nous travaillons à créer le milieu et nous en facilitons ensuite le développement.

Que ce processus soit en tous points souhaitable, cela ne fait aucun doute. Quand des enfants nous arrivent, incapables de fournir librement le moindre effort intellectuel – et c’est la presque unanimité des cas - , nous soignons d’abord et EXCLUSIVEMENT le milieu intérieur. Et l’enfant, même s’il avait été dégoûté de l’école par ce qu’il en avait souffert ailleurs, se remet à aimer la vie à mesure que lui reviennent ses forces, et, de lui-même, il retourne un jour à l’école et au travail intellectuel dont il était excédé. Et nous constatons alors que, pendant cette période de remise en état physiologique, sans aucun travail proprement scolaire, l’enfant a fait des progrès SCOLAIRES considérables : son écriture s’est raffermie et organisée (et cela est naturel puisque rien ne traduit mieux que l’écriture le déséquilibre intérieur de l’individu), son aptitude en calcul est renforcée, sa mémoire a de l’audace, son attention autrefois si fuyante, peut aujourd’hui se fixer…Nous avons là LE BON MATERIAU avec lequel il nous sera enfin possible de construire.

Des camarades penseront peut-être :

De quelle utilité pourrait bien nous être cette expérience puisqu’il nous est impossible à nous d’influencer directement ce milieu intérieur et que nous devons, bon gré mal gré, travailler avec les matériaux qu’on nous amène ?

Notre expérience a une très grande portée parce qu’elle élargit considérablement le champ éducatif. Aux pédagogues, aux parents, aux autorités qui, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la pédagogie, voudraient nous cantonner encore dans cette besogne étriquée, entre quatre mure, sans considération de l’admirable synthèse vitale, vous citerez notre expérience. Vous ferez comprendre autour de vous qu’il n’est pas vrai – comme on le suppose parfois – que les enfants débiles soient mieux disposés que les autres à recevoir votre enseignement. Qu’au contraire, les enfants ne profiteront à l’école que dans la mesure où ils seront en bonne santé ; vous vous habituerez à distinguer l’excitation de l’harmonie : vous acquerrez en face de vos élèves une attitude plus matérialiste qui vous fera voir à travers les faiblesses scolaires, intellectuelles, morales et sociales, les erreurs du milieu ambiant ou les tares véritables à la disparition desquelles vous devez vous appliquer. Vous aurez alors, dans votre besogne journalière, une compréhension nouvelle du processus vital, une compréhension faite d’une indulgence raisonnée pour les victimes, impitoyable pour les véritables responsables.


Lorsqu’ils sauront, les parents, toujours si inquiets pour l’avenir et les succès de leurs enfants, nous approuveront et nous aideront. Un grand pas sera fait en éducation lorsque tous les pédagogues auront conscience de cette interdépendance entre l’école et le milieu, entre l’école et l’état physiologique des individus ; lorsqu’ils sauront replacer l’école dans son cadre normal, lorsqu’ils comprendront et feront comprendre autour d’eux que l’école n’est pas l’essentiel dans la vie d’un enfant, mieux : qu’elle n’est qu’un accident tant que l’école elle-même ne sera pas intégrée totalement à la vie.

Une fois encore nous montrons le chemin. Et, parce qu’elles sont des raisons de bon sens, nos raisons sont très vite comprises par la masse du peuple.

L’idée marche.

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Les locaux scolaires

Mais il ne suffit pas de redonner à nos enfants vie et harmonie pour les replacer alors dans un milieu scolaire qui soit un anéantissement progressif mais inéluctable de cette vie et de cette harmonie.

Or les locaux scolaires actuellement existants sont conçus exclusivement pour une technique scolaire, celle là même dont nous avons dit la malfaisance. Rien dans ces locaux scolaires n’est prévu pour la libre et intime expression des enfants : ce sont des sortes de casernes où doit régner nécessairement l’ordre strict, l’immobilité et le silence. Les bancs, d’ailleurs, sont là comme les moules où se coule cette discipline : l’enfant qui y a pris place, bon gré, mal gré, est obligé de se plier à cette discipline. Il ne peut pas se dresser, parce que cela fait trop de bruit,, et qu’il n’y a aucun espace libre pour des enfants qui, fatigués de rester assis à leur pupitre, voudraient s’occuper à un travail moins passif. Ici, il faut se taire, écrire, lire, écouter… Pour le reste, si l’on veut parler au voisin, occuper ses mains à quelque activité, remuer les pieds sans rencontrer les trop sonores bois de la table, c’est en cachette, au risque d’être punis, qu’il faut satisfaire ces besoins pourtant si naturels.

Nous ne critiquons pas pour le simple plaisir de dénigrer quelque chose qui existe.

Ce matériel et cette organisation scolaire étaient normaux et adaptés au temps où l’école n’avait qu’un rôle bien délimité : enseigner le lecture et l’écriture aux enfants. La salle de classe était alors un auditorium et un scriptorium, et elle avait été meublée en conséquence, de façon à peu près rationnelle, si l’on considère ces buts à peu près exclusifs.

Or, l’évolution de la pédagogie et de la psychologie, les nécessités nouvelles économiques et sociales, ont peu à peu transformé l’école. Nul, dans aucun milieu, n’oserait plus prétendre que l’école doit enseigner seulement la lecture, l’écriture et le calcul.

Tant de techniques nouvelles se sont imposées, on a chaque année surchargé à tel point les programmes, qu’on en arrive aujourd’hui à une impasse : on se rend compte que la seule instruction est un mythe et un leurre, surtout lorsqu’on prétend l’imposer par des méthodes qui pourraient avoir leur sens et leur efficacité pour l’acquisition de techniques précises, comme la lecture, l'écriture et le calcul, mais qui sont impuissantes à contribuer à la formation humaine qui est en définitive la mission sacrée de l’école.

C’est justement parce que nous en sommes pédagogiquement à cette période critique de changement d’orientation qu’il y a dans l’éducation un tel flottement et une telle désadaptation. L’école est comme le petit marchand qui, installé petitement dans un appentis pour vendre trois produits bien délimités, la lecture, l’écriture, et le calcul, et qui y réussit fort bien parce que toute son installation est adaptée à cette vente, voit ses rayons s’élargir, se diversifier et se compliquer et qui ne voudrait cependant changer ni l’exiguïté de son local, ni l’organisation de ses étagères, ni de ses méthodes de vente. Il échouerait finalement là où il réussissait si bien au début.

Nous sommes les organisateurs qui venons et qui disons : à travail nouveau, matériel nouveau adéquat ! Prenons du large, abandonnons le carcan des bancs, trouvons des techniques de travail adaptées aux besoins qui se sont fait jour. Nous redonnerons ainsi aux éducateurs la paix et la satisfaction professionnelle et à l’école toute son efficacité pédagogique et sociale.

Nous accordons à cette transformation matérielle de l’école une importance toute spéciale, immédiatement parallèle à celle que nous apportons à l’harmonisation du milieu interne des enfants. Nous ne craignons pas de l’affirmer : dans les classes prisons, même si elles sont neuves, où on a calculé tout juste la place des rangées de bancs et de l’étroit passage qui les sépare, tout travail nouveau et actif est impossible ; l’enfant ne peut pas se dresser sans bruit, il ne peut ni s’organiser, ni collaborer, et le pupitre ne permet aucune des besognes que réclame la pédagogie nouvelle.

Si l’instituteur a la possibilité de réaliser dans ces classes ce qu’ont fait hardiment dans les villages de nombreux instituteurs de notre groupe, alors un compromis provisoire est possible. Quand je suis arrivé dans mon poste de Saint Paul, en octobre 1928, je tombais dans une des plus déplorables écoles traditionnelles : des vieux bancs branlants sur un plancher disjoint, d’étroites allées entre les tables, des cartes plein les murs. Mais il y avait, naturellement, l’estrade, très haute, sur laquelle trônait la table du maître. Et c’est de ce côté là que j’ai récupéré.


J’ai hardiment arraché la table et, avec l’estrade ainsi libérée, j’ai eu un dessus de table extraordinairement solide. Quatre pieds, un brin de peinture, et voilà notre table d’imprimerie et, du même coup, la place pour cette table.

Ma propre table, au niveau des élèves, a été repoussée dans un coin près de la fenêtre, là où elle gênait le moins , et ainsi, en utilisant au mieux les espaces libres, j’ai pu reconquérir une certaine liberté de manœuvre. Avec deux planches posées sur deux vieux bancs, j’ai même pu organiser, le long d’un mur, une sorte d’atelier de travail, qui allait remplacer ce que ne pouvaient donner les vieux bancs traditionnels.

Si vous savez ainsi, et aussi hardiment, aménager votre classe pour la destination de travail que nous préconisons, vous pourrez, presque toujours, faire un pas décisif sur la nouvelle voie.

Ne vous préoccupez pas de savoir si le fait de descendre de votre estrade, de ne tenir, matériellement, dans votre classe, pas plus de place que chacun de vos élèves, nuira ou non à votre autorité. Collaborez avec vos enfants, à leur niveau, travaillez et vivez selon nos techniques et vous verrez naître aussi des normes nouvelles de collaboration et de discipline qui vous vaudront la régénération que nous annonçons et dont vous éprouvez bien vite les incontestables avantages.

Certes, vous n’aurez fait qu’un commencement de réforme, mais un commencement de réforme qui fera réfléchir éducateurs, parents, administrateurs et architectes. Ils comprendront alors qu’il existe peut-être, en effet, des façons nouvelles de travailler, qu’il se peut que l’outil adapté puisse s’imposer à l’école comme il s’est imposé dans la société. Ils en viendront à étudier les besoins véritables auxquels doivent répondre local et matériel.

Et nous verrons alors, un jour prochain, les administrateurs proposer des formules nouvelles d’écoles, les architectes prévoir des locaux adaptés à ces formules, et les fabricants de matériel étudier, enfin, des bancs de travail, des établis, des étagères qui répondent aux activités suscitées, comme le banc traditionnel répondait aux nécessités d’acquisition de l’écriture, de la lecture et du calcul.

Utopie encore ?

Que non pas ! Et les choses marchent bien plus vite parfois qu’on ne le suppose dans ce domaine.

L’évolution que nous préconisons n’a-t-elle pas été à peu près intégralement réalisée à l’école maternelle, comme conséquence de la pédagogie montessorienne ?

N’a-t-on pas construit de belles petites tables à la mesure des enfants, et portatives, avec des chaises légères ? N’a-t-on pas compris la nécessité alors d’avoir du large entre les bancs et autour de la classe pour les étagères et les tables d’exposition, de jeu et de travail ?

Et, dans toutes les constructions, n’a-t-on pas, maintenant, prévu des salles plus spacieuses pour les maternelles ?

Précisons nos besoins, commençons la réalisation du matériel nouveau, et on nous suivra bien vite.

Déjà, de nombreux architectes sont entrés en relation avec nous pour nous demander des conseils sur l’installation d’une classe moderne : atelier d’imprimerie, tables de travail, bancs et chaises etc…

En 10 ans, l’automobile n’a-t-elle pas éclipsé totalement la circulation des voitures ? Dans le même temps, une transformation matérielle totale de nos écoles peut fort bien être réalisée.

Et alors, dans notre école, encore une fois, nous donnons une idée de ce que doit être l’organisation nouvelle.

Le bâtiment lui-même, d’abord !


Plan de l’école

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Les nouveaux locaux scolaires

Afin de bien marquer la portée générale de l’expérience que nous tentons ici, nous croyons utile de rappeler d’abord comment nous entrevoyons la généralisation de nos principes, même dans les écoles de ville.

Disons tout de suite que nous sommes contre les grandes écoles de ville, à 10 ou 15 classes ou davantage et qui ne sont, et ne peuvent être que de grandes casernes, quels que soient les efforts pédagogiques des éducateurs.

Nous avons eu l’occasion de visiter l’an dernier, à Oslo, une grande école de ville qui était vraiment un des meilleurs modèles du genre : une Directrice novatrice hardie et au courant de toutes les réalisations contemporaines ; des classes d’expérimentation qui ne le cédaient en rien à nombre de classes nouvelles ; un équipement impeccable ; un mobilier rénové et, du sous sol aux mansardes, toute l’organisation qu’on peut actuellement souhaiter pour une grande agglomération d’enfants : piscines, douches avec séchoir électrique,

cantine, cuisines, musées divers, salle de gymnastique, skis, matériel de sciences étonnamment adapté à l’activité naturelle des enfants, salle de couture, tissage, dentiste… et j’en oublie…

Et, malgré cela, les enfants ne nous ont pas paru heureux : ils passaient en rang, tête baissée, dans les couloirs immenses, ils se démenaient comme bêtes en cage dans la cour trop étroite.

Des pensées amies avaient tout prévu pour eux, sauf la joie de vivre que nul ne peut leur donner dans une caserne où l’individu qui y pénètre devient un numéro sans personnalité. Et malgré nous, nous comparions la richesse intérieure de ces enfants, ou plutôt leur sécheresse intérieure, à la vie débordante et passionnante et passionnée des élèves de nos écoles rurales, au sein de la grande famille qu’est le village.


Et nous étions obligés de convenir, avec notre propre expérience que, à tous points de vue, nos petites écoles rurales sont supérieures aux grandes casernes scolaires.

Nous voyons alors la possibilité d’organiser partout dans les villes, progressivement certes, des groupes scolaires réduits avec 80 à 100 enfants au maximum, groupes qui pourraient devenir alors des communautés de travail organisées et non des usines taylorisées, avec leur fausse spécialisation qui est, à notre avis, une des plus graves erreurs de notre époque.

Nous sommes heureux de constater que le gouvernement de Catalogne s’oriente vers une telle organisation, qu’elle préconise la décentralisation et l’abandon progressif des grands groupes scolaires qui seront remplacés par des petites communautés situées autant que possible dans la périphérie des villes.

Il est certain que cette décentralisation suppose une nouvelle technique de travail qui permettra un rendement satisfaisant, sans que soit poussée à l’extrême l’homogénéité recherchée dans les grands groupes, qu’elle suppose aussi de nouvelles organisations matérielles qui, disons-le tout de suite, ne seront pas plus onéreuses que l’organisation actuelle.

Mais le jour où cette transformation sera en voie de réalisation,, les instituteurs de ville, désabusés par l’aride travail à la chaîne qu’on leur impose, prendront goût comme leurs collègues des villages à l’éducation pour laquelle ils sont prêts à se dévouer et alors s’accomplira une des plus grandes réformes pédagogiques et des plus profondes, de notre siècle.

C’est dans le sens de cette évolution que notre école peut aider à comprendre la construction pédagogique nouvelle.

 ***

Les techniques nouvelles supposent l’abandon du principe des classes qui étaient une organisation adaptée aux méthodes de travail par leçons et devoirs, mais ne correspondent nullement aux nécessités de l’activité libre que nous préconisons.

Chez nous, la réunion dans de grandes salles pour travail collectif sous la direction directe des éducateurs n’est qu’accidentelle. Nous avons prévu le travail effectif dans des salles équipées à cet effet, sous la surveillance et avec la collaboration des éducateurs.

D’où la formule nouvelle dont le schéma ci-joint donne une idée précise :

Un grand couloir central qui est non seulement l’artère vitale de la classe, mais sert en même temps de salle d’exposition de travaux, avec panneaux pour disposition de la documentation journalière, du journal mural, des plans de travail. Des tables de travail peuvent même y être disposées selon les nécessités.

Débouchant sur ce couloir, les ateliers de travail : deux salles assez grandes pour la préparation collective des textes d’imprimerie, le travail libre sur fiche et les diverses activités collectives. La salle des grands est en même temps salle de sciences avec matériel, étagères pour disposition des documents divers, panneaux et autres.

A gauche : salle de documentation avec fichier et bibliothèque de travail, salle d’imprimerie avec casses, presses, composteurs, journaux imprimés etc… salle de dessin et de travail artistique. A droite : salle des petits avec le matériel qui leur est plus spécialement réservé ; et salle des éducateurs qui contient les livres divers ou le matériel utilisable accidentellement par les enfants mais que nous ne pouvons laisser à leur entière disposition, et où les éducateurs peuvent, même pendant les heures de travail scolaire, trouver, comme les enfants dans leurs salles, un coin adapté à leurs nécessités.

On verra par la suite comment nous avons organisé l’activité scolaire dans ces salles de travail.

Le matériel est naturellement adapté aussi aux nouvelles formes d’activité. Aucun banc pupitre scolaire. Pendant des mois nous en avions un qui nous était échu provisoirement au hasard d’une exposition ; nous ne savions qu’en faire et il a fini dans l’atelier de menuiserie pour lequel il n’était guère mieux adapté.

Nous prévoyons trois sortes d’installation :

1. Pour les ateliers d’imprimerie, la salle de documentation, la salle de sciences, il y a avantage à profiter au maximum des surfaces murs avec de grandes tables fixées aux murs et de nombreuses étagères. Le centre de la pièce reste libre.

2. Pour les salles destinées aux travaux d’écriture pour lesquels il est bon d’être assis, nous avons adopté la simple table sur tréteaux avec chaises ordinaires. C’est là un matériel pratique, démontable, qui permet de libérer en un instant nos grandes salles pour réunion de coopérative par exemple.


La grande table convient très bien à la plupart de nos travaux scolaires. Les cahiers, les dossiers et documents divers personnels à chaque élève sont rangés dans des casiers individuels qui garnissent un côté de la salle. Tout le matériel de travail est communautaire : livres, crayons, fiches, porte-plumes, couleurs etc…

3. A l’usage, nous avons constaté que ce matériel rudimentaire aurait intérêt à être remplacé par des tables simples de 1,00x0,60, convenant pour 4 et même 6 enfants selon les travaux, et qui peuvent se grouper dans le sens de la largeur pour former des tables de 0,60 m de large. La mobilité de ce matériel très simple suffit à toutes les nécessités de notre école.

Comme sièges, nous avions d’abord des chaises que nous remplaçons peu à peu par des tabourets plus maniables.

Ce matériel très pratique dans notre école, bien plus que les bancs traditionnels avec lesquels nous ne pourrions rien faire, est bien meilleur marché que les installations habituelles. Les tables recouvertes d’un beau lino reviennent à 45/50 F l’une et les tabourets à 15 F l’un, soit pour quatre élèves une dépense d’environ 50+15+15+15+15=110 F. Soit 110 F : 4= 27 F 50 par élève, ce qui est, je crois, un record.

Il manque actuellement à notre école une pièce qui devrait se trouver au-dessus de la construction actuelle : une grande salle, avec de larges baies vitrées servant de préau pour les jours de mauvais temps et, en même temps, de salle de réunion, de salle de spectacle etc…

Qu’on ne croie pas qu’une semblable installation est du luxe. Notre école est à peine plus spacieuse que certaines salles de classe ; seulement, au lieu d’une grande pièce, nous avons de petits ateliers de travail.

Malgré tout, nous reconnaissons et nous affirmons que le travail scolaire nouveau nécessite plus de place que la pratique traditionnelle des devoirs et leçons.

Si l’enfant est condamné à rester assis tout le jour, un demi mètre carré par élève peut suffire. Si l’on admet que l’enfant doit agir et faire d’autres besognes que l’écriture ou l’attention relative, bras croisés aux leçons du maître, alors on donnera du large à nos classes. C’est là une nécessité devant laquelle on ne pourra plus longtemps reculer.

Dans cette considération du milieu scolaire externe, nous ne pouvons négliger les annexes et les abords de l’école ; non seulement les cours de récréation et les terrains de gymnastique, mais aussi des jardins, des ateliers pour que l’école puisse naturellement remplir sa tâche hétérogène de préparation à la vie complexe contemporaine. Les cours de récréation dans les groupes scolaires de ville sont nettement insuffisantes. Mais là où on trouve difficilement de l’espace pour la vie libre de 500 enfants, il serait toujours possible d’aménager des terrains suffisants aux 80 ou 100 élèves des groupes dont nous avons suggéré la création. Autre avantage encore de la disparition de ces grands groupes au profit des communautés scolaires susceptibles de former les nouvelles générations de travailleurs.

L’école dont je viens de tracer le schéma vaut pour une quarantaine d’enfants d’une école à classe unique. Il serait facile d’établir sur ce modèle un aménagement spécial pour école à deux classes et école à trois classes.

A mon avis, le groupement idéal avec nos nouvelles techniques serait l’école à trois et quatre classes : classe maternelle et enfantine, cours préparatoire et élémentaire, cours moyen et supérieur et, selon les cas, classe de scolarité prolongée.

Les expériences intéressantes qui se poursuivent un peu partout dans les campagnes françaises, le retard manifeste au point de vue éducatif des écoles de ville, prouvent que nos projets ont certainement du bon et que c’est dans ce sens que nous devons délibérément nous orienter.

Des officiels, des administrateurs vont sans doute jeter les hauts cris. Les architectes habitués à faire toujours plus vastes les projets scolaires vont se récrier. Ce n’est pas la première fois que nous heurtons de face la tradition. Mais parce que nous savons que nombreux seront ceux qui nous approuveront, nous sommes persuadés que le grain jeté lèvera et qu’un beau jour, lentement mais sûrement, nos rêves deviendront réalités.


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Voici des enfants en voie de régénération ; voici une école adaptée au travail nouveau, quel va être ce travail ?

Dans la recherche de cette technique nouvelle de la conduite de la classe, il ne s’agit nullement de rechercher l’inédit et l’original. Nous ne travaillons point pour la galerie et n’avons aucune mode à lancer. Nous cherchons seulement, avec le minimum de peine de l’éducateur, avec le minimum d’ennui de l’enfant, à obtenir le maximum de rendement éducatif et instructif. Là réside toute la motivation des expériences que nous avons entreprises et que nous continuons, avec l’appui des centaines d’écoles de notre Groupe.

Avons-nous raison de chercher pour diminuer la peine que se donnent les éducateurs ? Hélas ! Nul effort n’est plus urgent : il y a actuellement peu d’activités scolaires qui réservent à l’instituteur quelque satisfaction véritable ; il en est peu qui ne surmènent pas ses nerfs et sa voix. Tout est à faire pour permettre aux éducateurs de travailler dans des conditions humaines, et dans la joie de l’incessante création que devrait être la besogne pédagogique.

Et les enfants ? Nous n’avons qu’à nous rappeler notre enfance – et les choses n’ont fait qu’empirer depuis – pour considérer combien il y a urgence à rendre également humain et efficient le travail des enfants à l’école.

Examinons ensuite le rendement et convenons que tant d’efforts, tant de peines, tant de veilles, tant d’ennuis, tant d’argent dépensé aussi, ne donnent pas 10% de ce qu’ils doivent normalement rendre.

Nous ne disons pas que nos techniques vont, instantanément, anéantir tous ces maux. Nous posons le problème dans toute sa brutalité, sans nous payer de mots, sans masquer les possibilités de demain par les efforts impuissants et les insuccès d’hier, afin que chacun prenne conscience de l’urgence de la réadaptation que nous avons entreprise et que, tous ensemble, nous parvenions hardiment à faire avancer le problème tel que nous l’avons posé.

 *** 

La grande erreur scolastique est, à mon avis, la leçon – et les devoirs qui en découlent. C’est toute la technique de l’école traditionnelle que nous essayons de jeter bas, nous le savons ; c’est tout un passé d’illusions parfois généreuses que nous ne craignons pas de dénoncer.

Nous ne ferons pas ici la critique théorique de cette technique. Cela ne manquerait pas d’intérêt mais nous devons, dans ces brochures, parer au plus pressé et envisager sans cesse le côté éminemment pratique de nos considérations.


Nous vous disons alors simplement :

Examinez attentivement la technique sans leçons et sans devoirs que nous préconisons pour l’avoir longuement expérimentée déjà. Et puis, prudemment, par paliers, supprimez leçons et devoirs pour une matière, puis pour deux. Vous verrez quel changement immédiat dans votre classe !

Plus de leçons ! Vous n’userez plus votre voix et vos nerfs pour expliquer à des enfants qui n’ont aucune envie de vous écouter les matières portées au programme et à l’emploi du temps. Vous ne vous énerverez plus à rappeler à l’ordre l’écolier qui parle à son voisin, fait claquer son plumier ou ne sait rien répondre à votre question brusque et inattendue.

Vous ne ferez plus réciter de résumé par cœur ; vous n’aurez donc plus à punir pour une phrase mal sue. Plus de ces fastidieux devoir ; donc plus de sanction non plus.

Résultat : repos pour tous et surtout possibilité de créer entre enfants et éducateur cette intimité, cette fraternité sans lesquelles il ne saurait y avoir de véritable éducation ; cessation automatique de cette hostilité centenaire qui dresse les élèves contre l’instituteur comme l’oppression soulève en permanence les esclaves contre leurs maîtres. La suppression des leçons et des devoirs est une des conditions essentielles à la création dans nos classes de l’atmosphère éducation nouvelle que nous jugeons indispensable.

Et au bout de quelques temps, vous comparerez les résultats pratiques au point de vue acquisition, puisque ce n’est guère que dans ce domaine que la mesure est actuellement possible. Nous vous garantissons un succès au moins équivalent, surtout si l’on tient compte qu’il est possible de faire comprendre aux enfants la nécessité de certaines conquêtes et de les pousser à parvenir d’eux-mêmes à des acquisitions scolaires qui ne s’obtenaient jamais autrefois sans sanctions.

Nous n’avons qu’à nous souvenir combien peu nous avons profité des leçons que nous avons subies et des devoirs sur lesquels nous avons pâli durant toute notre jeunesse. Nous pensons qu’il n’est pas difficile de faire aussi bien.

Mais nous voulons faire mieux. Pour cela il ne suffit pas de supprimer une technique ; il faut la remplacer par une autre qui lui soit supérieure.

Nous croyons y être parvenus.

 

Comme nous l’avons expliqué dans notre brochure n° 1 (La Technique Freinet), l’imprimerie à l’école est naturellement au centre de notre activité ; c’est sur elle que nous comptons pour animer notre petit monde, pour l’amener à prendre conscience de ses possibilités et à s’extérioriser.

Nous n’insisterons pas ici sur la valeur exceptionnelle, d’ailleurs aujourd’hui indiscutable et indiscutée de cette technique. Avec les échanges interscolaires qui en sont la conséquence, nous arrivons à motiver souverainement l’écriture, la lecture, la grammaire. Nous montrerons dans une prochaine brochure comment nous garantissons la conquête normale de la lecture par les tout jeunes enfants sans leçons spéciales de lecture.

Nous avons dit dans la brochure N° 2 comment nous supprimions la grammaire. Nous dirons, dans une prochaine brochure également comment, par l’imprimerie, nous motivons le calcul dans ce qu’il a de profond et éducatif.

Je m’attacherai plus spécialement à jeter les bases ici d’une technique de travail sans leçon pour ce qui concerne les autres disciplines : l’histoire, la géographie, les sciences, le calcul rapide.

Nous pourrions certes, comme dans tant d’autres écoles nouvelles, exhiber des travaux montrant comment l’intérêt au travail peut susciter des acquisitions inébranlables dans les diverses disciplines. Mais ce raisonnement ne vaut que pour des écoles peu peuplées, avec, par contre, des éducateurs nombreux, et pour certains enfants. Dans la pratique de nos classes populaires, la technique du seul intérêt s’avère insuffisante. Il y faut d’autres règles.

Ces règles ne seront pas forcément autoritaires. Il y a une disposition de l’esprit de l’enfant qu’on a trop négligée jusqu’à ce jour en éducation : c’est sa curiosité foncière. Et on l’a négligée, parce que l’école avec ses pratiques l’avait tuée et qu’il nous est parfois difficile de la faire réapparaître.

L’enfant non déformé par l’école, ou à qui nous avons redonné un peu de son bon sens, est foncièrement curieux : curieux en histoire, curieux en géographie, curieux, prodigieusement curieux dans toutes les branches de la science. Le jour où nous aurons trouvé des pratiques de travail qui, au lieu d’émousser cette curiosité, tendent à la satisfaire, le problème sera définitivement résolu : nous n’aurons jamais à forcer l’enfant pour ces acquisitions.


Ce sont ces pratiques qu’il nous faut chercher.

Une autre considération d’importance :

L’enfant, comme l’adulte, n’a aucun intérêt à un travail dont il ne voit pas le but, parce qu’il n’y en a pour ainsi dire jamais. Pourquoi l’écolier mettrait-il quelque âme à un devoir qui n’est destiné qu’à être sali pas l’encre rouge du maître et annoté par lui ?

Nous sommes parvenus à ce que l’enfant qui travaille sente toujours qu’il sert la communauté : lorsqu’il rédige, lorsqu’il compose, lorsqu’il imprime, ce n’est point pour le maître, mais pour ses camarades et ses correspondants. Lorsqu’il étudie une question d’histoire, de science ou de géographie, il faut qu’il ait la sensation aussi que son effort va servir ses camarades.

Nous y sommes parvenus par deux moyens : le plan de travail et les conférences.

L’école traditionnelle impose à tous les enfants d’une classe le même travail. Il faut donc que chaque enfant étudie pour lui-même tous les points du programme. Si nous comptions alors ces points du programme et que nous divisions par ce nombre les heures de travail d’un enfant au cours de l’année, nous verrions qu’il ne reste, pour l’étude de chacun d’eux, qu’un nombre infime de minutes – juste de quoi tout parcourir superficiellement, verbalement, sans rien approfondir. Et là est la grande tare de l’école. Et si on veut approfondir, alors on néglige des parties importantes de l’acquisition.

Quel remède trouver à cette situation insoluble ? Les plans de travail.

L’Ecole habituelle amendée par les enseignements de l’éducation nouvelle, c’est l’anarchie capitaliste où chacun va où le pousse son intérêt individuel et sa fantaisie sans autre considération pour l’intérêt général. Parce qu’un groupe financier croit avoir intérêt à construire des automobiles, il se met à construire des automobiles sans considérer s’il ne serait pas plus urgent de construire d’abord des tracteurs.

Pour asservir ces techniques aux nécessités de l’intérêt général, l’U.R.S.S a dû établir des plans de travail soigneusement étudiés, qui ont mesuré et délimité l’effort à accomplir et qui ont, du même coup, galvanisé les volontés pour cet accomplissement.

Le même avantage résulte de l’établissement de nos plans scolaires.

Pour chacune des matières habituelles du programme, j’ai établi des plans de travail pour l’année qui comportent pour ainsi dire la liste des sujets susceptibles de valoir une étude approfondie. Cette liste est tout simplement celle des matières du programme. Et ce n’est pas par servilité que nous avons reproduit presque textuellement la liste des matières du programme : elle est, sauf sur certains points, la mise en valeur des connaissances diverses que doivent raisonnablement acquérir les enfants de nos écoles. Et ils parviendront à les acquérir, ils iront même plus loin parfois si, au lieu de les dégoûter de la recherche et de l’effort, nous savons maintenir intacts leur curiosité naturelle et leur besoin tout aussi normal d’acquisition.

Car c’est là la pierre de touche de l’école. Nous nous plaignons que les enfants ne veulent rien étudier en histoire, et nous mêmes avons été souverainement, et parfois pour toujours hélas ! dégoûtés de l’étude de l’histoire à cause justement de cette méthode scolastique des devoirs et leçons. Et pourtant le désir de connaître ce qui a été avant nous, ce besoin de savoir comment ont lutté les hommes qui nous ont précédés, n’est-il pas un des plus puissants chez l’enfant ? Et n’est-il pas vrai que si la technique et les matériaux étaient adaptés à cette étude, il n’y a rien qu’on ne pourrait attendre de nos élèves.

Géographie ! Cette étude, qui se sépare à peine de l’histoire, n’a-t-elle pas pour tous le même attrait, et un bon documentaire cinématographique ne vaut-il pas, même pour les enfants, le meilleur des films d’aventure ?

Sciences, physique, chimie, histoire naturelle ! Là c’est le drame véritable. A l’école, rien ou presque rien à tirer de cet enseignement et pourtant regardez les enfants en liberté, et non encore totalement déformés par l’école, s’ébattre dans les champs, s’arrêter passionnément devant une jolie pierre, devant un brin d'herbe, devant un animal, devant un insecte   Et les oiseaux, quelle merveille  

L’école n’obtient rien en physique et pourtant tous nos enfants sont aujourd’hui passionnés de mécanique et la plupart d’entre eux y réussissent prématurément mieux que les adultes, malgré l’école. L’électricité ! Discipline aride et rebutante quand l’école l’enseigne. Mais s’il s’agit d’installer l’éclairage du vélo, alors on sait acquérir les notions indispensables et réaliser.

Jamais la nature n’avait été si près de livrer ses secrets ; jamais enfants n’avaient eu à leur portée pareille possibilité de pénétrer ces secrets.


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Et le jour où l’école aura découvert les techniques qui, au lieu de rebuter l’enfant, lui permettront de partir hardiment à la conquête des connaissances désirées, ce jour là, nos programmes ne seront jamais trop ambitieux.

Et nous ne disons pas : le programme d’histoire est trop ambitieux. Nous disons : il est mal conçu. On veut donner le premier plan à l’accessoire et on oublie totalement l’essentiel, mais l’enfant n’est pas satisfait de cette étonnante réduction. Il veut connaître la véritable histoire, celle de la vie des hommes, de leur travail, de leurs conquêtes pacifiques. Il en viendra ensuite aussi aux conquêtes guerrières et à cette histoire fascinante des rois, des reines et des ministres, mais il se rendra compte alors du caractère secondaire de cette étude. Mais même dans cet état d’esprit, il sera à même alors d’acquérir intelligemment ce qui ne savait être jusqu’à ce jour que des mots.

En géographie, nous irons bien plus loin que le contenu réduit de nos manuels. En sciences aussi, le programme est un ensemble minimum que nous dépasserons en bien des cas.

Le jour où nos techniques auront été vraiment adaptées aux possibilités enfantines, l’acquisition elle-même se fera à un rythme autrement efficient, et nous ferons se rejoindre ainsi les préoccupations majeures des uns et des autres. L’efficience pratique de l’école fera tomber les barrières devant nos techniques nouvelles.

Je présente ci-dessous quelques-uns des plans que nous avons ainsi établis pour les enfants de 11 à 14 ans. Nous ne les donnons pas comme parfaits, mais plutôt pour faire comprendre ce désir, ce besoin d’efficience. Des plans analogues sont établis pour les enfants plus jeunes, avec des sujets à étudier mieux adaptés à leurs possibilités.

PHYSIQUE MECANIQUE

Dilatation des solides. Dilatation des gaz. Dilatation des liquides. Densité. La chaleur. Vaporisation. Liquéfaction. Solidification. Mesure de chaleur. Pesanteur (ses lois). Les vitesses. Les leviers. Vases communicants. Capillarité. Pression sur les liquides. Principe d’Archimède. Aéromètres. Pression atmosphérique. Compressibilité des gaz. Dilatation des gaz. Force ascensionnelle.  

Pompes à gaz. Pompes à liquide. Siphon. Presse hydraulique. Evaporation. La vapeur. L’ébullition. Distillation. L’humidité. La pluie. La lumière. Miroirs plans.. Miroirs concaves. Réfraction. Les lentilles. La chaleur nature. Transmission de la chaleur. Les aimants. Courant électrique. Piles. Accumulateurs. Les courants. Travaux électriques. L’électricité atmosphérique.

L’HOMME

Structure du corps. Le squelette. Appareil digestif. L’alimentation. La bonne et la mauvaise alimentation. Circulation du sang. Respiration. Le foie. Les reins. La vessie. Système nerveux. L’oreille. La vue. Le goût. L’odorat. Le toucher. La bouche et les dents. Le sang. Le cœur. Artères et veines. Muscles. Fractures. Articulations. Gymnastique. Fonctions de la peau. Comment nous mangeons. Comment nous respirons. Comment nous travaillons. Comment nous sentons. Comment nous voyons. Comment nous pensons. Comment nous entendons. Comment nous croissons. Comment nous mourons. Les maladies. Naturisme. Vie au grand air. Camping, excursions.

LES ANIMAUX

Mammifères. Hommes. Insectivores. Carnivores. Rongeurs. Edentés. Cétacés. Proboscidiens. Marsupiaux. Monotrèmes. Oiseaux (squelette et corps). Reproduction des oiseaux (œufs et nids). Rapaces. Perroquets. Passereaux. Colombins. Gallinacés. Echassiers. Palmipèdes. Coureurs. Reptiles (squelette et vie). Reproduction et vie. Chéloniens. Crocodiliens ; Ophidiens. Sauriens. Batraciens (squelette et vie). Métamorphoses. Divers batraciens. Poissons (squelette et vie). Reproduction diverses sortes de poissons. Mollusques (squelette et vie). Articulés (structure). Insectes. Myriapodes. Arachnides. Crustacés. Les vers. Les animaux parasites.

 GEOGRAPHIE GENERALE

La terre. Comment les anciens se sont représentés la terre. Matériaux de l’écorce terrestre. Formation des montagnes. Montagnes jeunes et montagnes vieilles. L’action des glaciers. L’action érosive des eaux. Les vallées. L’érosion


. Le régime des cours d’eau. La mer. Les grands courants marins. Les côtes. Les vents. L’humidité. Les climats. Habitation adaptée aux régions. Mode de travail selon les régions. L’alimentation selon les régions. La situation des villes. La vie des villages. La vie dans les régions tempérées. Vie dans les régions équatoriales. Vie au désert. Vie dans la ville. Les pêcheurs. Les chasseurs. Les explorateurs. Grands raids mondiaux. Raids au pôle. Tour du monde. Traversée des mers. Industries textiles. Industries alimentaires. Industries de luxe. Industries métallurgiques. La houille blanche. Les mines. Le lait. L’élevage. Le blé. La vigne. Les grandes routes. Les chemins de fer. Les canaux.

SCIENCES NATURELLES

La terre. Roches cristallines. Roches calcaires. Roches siliceuses. Roches argileuses. Roches salines. Roches combustibles : houille, anthracite, tourbe, pétrole. Actions de l’air. La neige. Les glaciers. Eaux d’infiltration et ruissellement. La mer, son action. Les volcans. Eaux thermo-minérales. Formation de la terre. Les minerais naturels (fer, cuivre, zinc, plomb). Les sols. Amendements. Engrais. Les végétaux . Formation et composition des tissus. La racine. La tige. Les feuilles. Les fleurs. Les fruits. Les graines. Respiration de la plante. Fonction chlorophyllienne. La reproduction. Germination. Utilisation des racines. Utilisation des troncs. Industrie du bois. Utilisation des feuilles. Utilisation des fruits. Les végétaux dans l’alimentation.

GEOGRAPHIE : LA FRANCE

Nord. Vosges. Lorraine. Alsace. Saône. Jura. Vallée du Rhône. Normandie. Bretagne. Bassin Parisien. Vallée de la Seine. Massif Central. Vallée de la Loire. Touraine. Beauce. Alpes. Midi Méditerranéen. Midi Pyrénéen. Aquitaine. Côte d’Argent. Landes. Périgord. Charente. Vallée de la Garonne. Isère. Marseille. Rouen. Bordeaux. Algérie. Tunisie. Maroc. Indochine. Nouvelle Calédonie. Madagascar. Afrique Equatoriale Française. Afrique Occidentale Française.

AUTRES PAYS

Italie. Allemagne. URSS. Danemark. Norvège. Suisse. Belgique. Grande Bretagne. Espagne. Pologne. Tchécoslovaquie. Hongrie. Autriche. Etats Unis. Amérique du Sud. Norvège. Suède. Balkans. Grèce. Ethiopie. Turquie. Chine. Japon. Afrique.

SCIENCES THEORIQUES

Les trois états des corps. Solides. Liquides. Gazeux. L’air. L’oxygène. L’hydrogène.. L’oxyde de carbone. L’azote. L’air et la vie. L’ammoniaque. Le soufre. L’acide sulfurique. Le chlore. L’acide chlorhydrique. L’acide azotique. Le phosphore. Les phosphates. La soude. La chaux. Le plâtre. La silice. Les verres. Les métaux. Les hauts fourneaux. Le fer. Le zinc. Le cuivre. Le plomb. Autres métaux, alliages. Matières organiques. Pétrole. Houille. Charbon de bois. Gaz d’éclairage. Benzine. Naphtaline. Térébenthine. Caoutchouc. Explosifs. Farines. Sucre. Alcool. Levures, fermentation. Bière. Pain. Alcool d’industrie. Acide acétique. Glycérine. Bougies. Savon. Huile.

 Nous avons ainsi sous les yeux, et les enfants ont sous les yeux, tout ce qu’ils devraient théoriquement connaître en fin d’année, du moins tous les sujets sur lesquels ils doivent avoir travaillé. Cela supprime ce danger qui minimise souvent le travail dans les écoles nouvelles non organisées : que l’enfant tourne sans cesse autour de quelques activités alors qu’il irait bien plus loin s’il savait qu’il y a, plus loin, tant de choses intéressantes – et que l’instituteur lui-même risque de ne pas lier suffisamment la formation de l’enfant à toutes les activités qui agitent la vaste vie.

On dira peut-être : des sujets de devoirs ! Non, c’est là qu’il faut comprendre l’esprit nouveau. L’enfant, libre de choisir, va vers ce qui l’intéresse. Il est dans le même état d’esprit que moi-même quand je regarde sur le rayon les livres intéressants à lire et les revues à parcourir. Je sens là de la richesse que j’éprouve le besoin d’approcher. Et je choisis parmi ce que j’ai…

Autre caractéristique essentielle de notre nouvelle technique : la classe est une communauté qui doit partir à la conquête du plan selon des méthodes plus rationnelles. Si, comme à l’ancienne école, on prétend faire étudier à chaque enfants chaque sujet et à fond, on s’aperçoit que la chose est matériellement impossible par manque de temps. On est alors en face du dilemme : ou laisser des vides dangereux, ou bien rédiger des abrégés que nous ferons ingurgiter aux enfants. Comme l’école redoute les vides, elle a établi et impose les abrégés. Et ce sont ces abrégés, ces concentrés qui nous ont occasionné, à tous, d’incurables indigestions.


Nous allons faire comme dans l’industrie moderne : nous allons répartir les tâches de façon qu’il n’y ait jamais deux personnes à faire le même travail dans les mêmes conditions, mais en veillant à ce que le travail méthodique de chacun serve sans cesse à la communauté.

Nous y parviendrons par notre système de comptes-rendus et de conférences.

En examinant notre plan annuel et le nombre des élèves, nous voyons à quel rythme nous devons procéder hebdomadairement pour les diverses techniques. Et les enfants qui veulent savoir, marquent sur leur plan hebdomadaire les sujets à traiter, conformément à ce plan.

Chaque soir, devant tous les enfants réunis, nous avons :

-           une première séance au cours de laquelle les enfants qui ont terminé une étude en rendent compte à leurs camarades ; ce sera Louis XIV, ou le télégraphe, ou l’histoire du vêtement. Ou bien l’enfant aura préparé un matériel de physique ou de chimie et, devant les enfants, il refera ses expériences. Ces sortes de leçons, nécessairement un peu rapides, et de ce fait même imparfaites, valent à notre avis la plupart des leçons faites ordinairement par les maîtres. Leur insuffisance technique est la plupart de temps largement compensée par cette adaptation  naturelle et mystérieuse qu’opèrent les enfants et à laquelle nous ne pouvons, nous, parvenir qu’accidentellement.

-           Après cette séance de comptes-rendus, vient la grande séance de conférences. Chaque enfant, à tour de rôle, vient faire devant ses camarades, une conférence sur un sujet librement choisi, qui l’intéresse et pour lequel il a pu se procurer une documentation particulière.

C’est là un travail profond et de longue haleine, parfaitement motivé, et qui a une extraordinaire puissance formative. Pour le mener à bien, l’enfant compulse des livres, lit des articles du dictionnaire, puise dans le fichier, va enquêter auprès des travailleurs, écrit à des parents, à des correspondants, à des offices de publicité, afin d’avoir des documents originaux susceptibles d’intéresser ses camarades.

Il s’applique à la rédaction, à la disposition, à l’illustration de son travail ; il tape son exposé à la machine, à trois exemplaires : un pour lui et ses parents, un autre pour l’école et un troisième pour les correspondants. Le jour de la conférence, il cherche des documents dans le fichier, il dessine une carte au tableau, prépare ses documents – qui peuvent être même des documents vivants.

Rien n’est plus passionnant dans nos classes que cette préparation de la conférence ; rien n’est plus émouvant que la ferveur avec laquelle les enfants facilitent et suivent la tâche du conférencier ; rien n’est plus édifiant, psychologiquement et pédagogiquement, que l’attention avec laquelle les enfants écoutent l’exposé de leurs camarade ;rien n’est plus vivant que la discussion qui suit.

On pourrait parfois avoir des doutes sur la qualité de l’intérêt que prêteront les élèves à la parole plus ou moins éloquente de leur camarade. Nous n’avons pas encore pu analyser totalement les complexes qui jouent en faveur de cette technique ; est-ce l’intérêt véritable, ce même intérêt qui fait, au creux d’un vallon, se regrouper une bande d’enfants qui écoute un camarade raconter quelque aventure ? Est-ce le désir de connaître, l’impatience de voir des documents ? Et la satisfaction du conférencier lui-même n’est-elle pas pour beaucoup dans l’intérêt que nous vaut cette technique, et les enfants ne se taisent-ils pas pour qu’on les écoute attentivement eux aussi lorsqu’ils feront leur conférence ?

On pourrait dire : ce n’est pas la première fois qu’on use ainsi des conférences d’enfants dans des écoles nouvelles !

Ce n’est pas la première fois non plus que des écoles pratiquaient les échanges et pourtant nous seuls  sommes parvenus à mettre vraiment debout cette technique.

C’est que la technique des conférences nécessite elle aussi un matériel adapté. Si l’enfant devait se contenter de lire avec une éloquence plus ou moins satisfaisante, il endormirait bien vite l’auditeur. Ce qui permet la conférence, ce qui lui donne la vie, ce qui lui vaut de l’attention, c’est la documentation.

Les conférences d’enfants ont été rendues possibles par notre Fichier Scolaire Coopératif et notre Bibliothèque de Travail.


Dorénavant, l’enfant a, pour l’aider et le soutenir, une abondante documentation. Et il en use. Il sent dès lors l’utilité et les avantages de cette documentation, et nous avons vu l’an dernier un engouement incroyable se développer dans notre école pour la documentation : les journaux, les revues étaient épluchés et découpés ; on écrivait partout pour recevoir des dépliants et des photos ; on partait en excursion pour se documenter. Avec des documents, il était passionnant alors, et intéressant, de bâtir une conférence. Cette conférence, ce n’est plus seulement un texte mort, couché sur le papier. C’est de la vie vibrante et presque palpable.

Le texte est largement illustré. Le jour de la conférence, le conférencier dispose sur un panneau à la portée de tous, sa documentation classée qui reste encore le lendemain à la disposition des enfants. Dès lors, on comprend que la conférence ait un plus grand poids, une portée plus efficace et qu’elle soi attendue impatiemment par tous.

Nous avons voulu noter surtout l’intérêt que suscite cette technique. Comme l’imprimerie, elle est voulue en permanence par les enfants et c’est là la plus solide référence en faveur de son institution dans nos écoles où elle est possible grâce au Fichier Scolaire, à la Bibliothèque de Travail et aux échanges.

Nous ne nous arrêterons pas longuement aux avantages pédagogiques, sociaux et humains de cette pratique ; travail profond de l’enfant, habitude essentielle de travailler longuement à un sujet pour l’examiner sous toutes ses faces, habitude excellente de chercher les matériaux au lieu d’attendre qu’on vous les offre dans un manuel tout prêts à être resservis ; nécessité de lire beaucoup, non pas pour apprendre à lire à l’aide de quelque aride leçon, mais pour comprendre et se documenter, ce qui est en définitive la meilleure façon, et la plus efficace, d’apprendre intelligemment à lire ; habitude salutaire de parler en public pour le conférencier, de critiquer et de questionner pour les spectateurs ; acquisition solide pour tous ; liaison naturelle avec le milieu ambiant ; préparation aux formes de travail autodidactiques qui seront nécessairement celles des futurs ouvriers décidés à s’instruire… Et j’en passe.

On le comprend : la conférence, soigneusement préparée par notre matériel nouveau, doit être et peut être un des pivots techniques de notre nouvel enseignement.

 

Nous avons eu, l’an dernier, certaines conférences qui furent des modèles : sur l’Espagne, avec des panneaux émouvants, sur Tahiti, sur l’Ethiopie, sur l’Affaire Dreyfus. Sur les diverses montagnes, sur les villes connues etc…

Et il n’y a pas que les grands qui y réussissent. Dès qu’ils savent lire et écrire, nos enfants font des conférences. Ils ne parlent pas toujours longtemps ; ils lisent le texte qu’ils ont rédigé avec amour et application, ce qui est un des travaux les plus efficients à tous points de vue. Ils montrent ensuite la documentation recueillie ou puisée dans le fichier. Et cette documentation a toujours du succès, succès qu'on ne sépare point du succès de la conférence elle-même – ce qui donne assurance et fierté aux auteurs et intérêt aux spectateurs futurs auteurs.

Essayez cette technique nouvelle avec notre matériel adapté et vous en comprendrez les immenses avantages.

 *** 

Il y a enfin une autre technique qui nous permet d’envisager avec succès une école sans devoirs ni leçons : c’est celle des fichiers autocorrectifs.

Par les comptes-rendus, par les conférences, nous faisons cette besogne intelligente et profonde qui permet à l’enfant de pénétrer le vaste monde. Mais il y a à l’école certaines techniques dont l’acquisition nécessite sans aucun doute un entraînement méthodique : le calcul surtout, quelques points de grammaire, géométrie et algèbre pour les Cours Supérieur et Complémentaire. C’est ce que nous appelons la mécanique.

Pour faire rapidement les opérations, pour résoudre rapidement certains problèmes, il faut avoir, par l’exercice répété et méthodique, acquis une sorte de mécanique.

L’enfant, qui voit la nécessité de cette mécanique, se consacre avec plaisir à cette acquisition, pourvu qu’il n’y rencontre pas trop de difficultés, ni qu’il ne piétine exagérément et sans profit.

La pratique de l’exercice collectif en cette matière est toujours défectueux. Il en est de l’acquisition de la mécanique mathématique comme de l’apprentissage de la bicyclette. Il faut partir soi-même, avec une machine adaptée à sa taille, et avec plus ou moins d’audace, aller à son pas. Cela ne peut être réalisé que par des fichiers autocorrectifs soigneusement gradués.

C’est ce que nous avons tenté de réaliser dans notre école.
Pour l’apprentissage des opérations, nous avons :


-           300 demandes environ et 300 réponses d’addition et soustractions de la méthode Washburne

-           une série de problèmes élémentaires

-           une série de problèmes Cours moyen

-           une série de 200 problèmes C.E.P.E

-           une série de problèmes Cours supérieur.

L’enfant prend la demande correspondant à ses possibilités. Il fait le travail, va voir la réponse, et continue, le plus rapidement possible.

C’est un travail passionnant pour les enfants. Et à l’intérêt qu’ils mettent dans cette besogne par fiches, il faut voir deux raisons : une raison pédagogique d’abord sur laquelle nous croyons devoir insister.

L’acquisition, pour ainsi dire mécanique de ces techniques, nécessite un exercice permanent, régulier et méthodique. Or, seule la fiche individuelle permet à chacun de travailler à son rythme, selon ses capacités. Calculez, par exemple, le temps perdu à corriger un problème au tableau noir : une minorité d’enfants peuvent « suivre » le travail ; les autres ne profitent nullement de la leçon. Pour les uns, les exercices sont trop faciles, pour les autres ils sont trop difficiles ; si on accélère, c’est la tête qui profite et la queue qui traîne ; si on veut que tout le monde suive, les bien doués gaspillent leurs énergies.

Les avantages de la fiche autocorrective sont incontestables. On a dit parfois : mais l’enfant va copier ! Et cela se produit, en effet, au début. Puis l’enfant comprend lui-même l’inutilité d’un tel travail et devient sévère pour lui-même. Le contrôle est d’ailleurs assez facile.

On redoute davantage que nous mécanisions trop, par nos fiches, notre enseignement et que nous lui enlevions en partie son caractère éducatif. Des camarades ont protesté par exemple contre le fichier Multiplication – division et contre les fichiers de problèmes parce qu’ils voudraient un enseignement toujours intelligent et autant que possible sensible de cette discipline.

Nous précisons justement que nous limitons l’usage des fiches autocorrectives aux disciplines pour lesquelles un entraînement méthodique et répété est indispensable (calcul, grammaire et verbes surtout, géométrie, algèbre). Nous sommes contre les fiches d’instruction préconisées par notre ami Dottrens et qui ne sont qu’une réédition sur fiches des exercices scolaires que nous réprouvons.

Nous disons de plus que l’enfant éprouve à l’exercice de calcul non motivé une satisfaction qui n’est pas à dédaigner. L’opération, le problème ont déjà une sorte de fin en soi puisqu’ils apportent à l’esprit quelque chose de définitif. C’est comme un jeu dont il faut trouver la solution.

En rédaction, en dessin, rien n’est jamais parfait ; l’auteur n’est jamais pleinement satisfait de son œuvre. En histoire, géographie, sciences, l’effort est toujours un peu décevant parce qu’il n’aboutit jamais pleinement.

L’arithmétique est une science mineure et délimitée. Quand on a fait les opérations portées sur une fiche et qu’on va contrôler sur la fiche réponse, on peut s’écrier de joie : juste !

C’est juste et définitivement juste et nul, si savant soit-il, ne peut faire mieux. C’est une très grande joie pour l’enfant d’arriver ainsi, en cette matière, à la perfection.

Mêmes considérations pour certains exercices de grammaire : accords, verbes. On doit faire juste, totalement juste, pour essayer ses possibilités dans cette direction : comme l’enfant est capable de tirer, par jeu, des centaines de pierres sur un but et qu’il est comme soulagé quand il a atteint ce but.

Nous exploitons ce désir, ce besoin de l’enfant pour   le perfectionnement technique en calcul et en grammaire, sans autre prétention éducative. Et nous pouvons dire que nous réussissons pleinement. Le travail sur fiches est un de ceux qui sont les plus aimés des enfants dans notre école. L’an dernier, un garçon de 14 ans est venu, dégoûté de l’effort scolaire. On nous l’avait confié parce qu’on savait que nous saurions réveiller ses aptitudes endormies et on nous signalait tout particulièrement son goût pour la décoration. Or, dès son arrivée, cet enfant que l’effort scolaire rebutait si totalement, s’est mis à faire des fiches, et il en a fait tellement qu’il a pu se présenter quelques mois après au Certificat d’Etudes et être reçu.

Ce travail est très efficient. Il conduit chaque année nos enfants au Certificat d’Etudes ; il permet à chacun de mesurer son effort et de spéculer sur l’effort à venir ; il libère l’enfant qui travaille à son rythme, lorsqu’il lui plaît. Et il libère l’instituteur qui n’a plus de longues leçons ni de fastidieuses corrections à faire.


Les fiches autocorrectives sont appelées dans nos classes à un très grand avenir. Essayez cette technique, vous n’en serez jamais désillusionnés.

 ***

 Voilà maintenant les outils essentiels de travail :

-           l’imprimerie à l’école et les échanges dont nous avons déjà parlé dans notre brochure n° 1 ;

-           Nos plans de travail annuels ;

-           Notre Fichier scolaire coopératif et notre Bibliothèque de Travail ;

-           Nos comptes-rendus et conférences ;

-           Nos fichiers autocorrectifs .

Voyons maintenant comment, pratiquement, au jour le jour, nous allons tirer parti de ce matériel.

Les enfants ont besoin de direction sinon ils restent comme ce voyageur au carrefour de routes sans signalisation. Cette direction, nous pourrions la donner au jour le jour, heure par heure, minute par minute même comme cela se pratique dans les écoles traditionnelles régies par les manuels. Mais l’enfant a l’impression alors – et ce n’est pas, hélas, qu’une impression ! – d’être conduit par la main. Et il fait comme l’âne que tire la longe, il fait effort pour s’en dégager et se sauver à droite et à gauche si possible, ou bien alors il va d’un pas traînant et désespérant.

Lancez la bride sur le cou. Notre animal a le sentiment de liberté et il reprend son pas normal.

Si on faisait contribuer les enfants à l’établissement de leur propre chemin !

Plan de travail encore !

Nous avons polycopié sur feuille 21 X 32 un Plan de Travail dont nous donnons ci-dessous le modèle réduit.

Tous les lundis matins, chaque enfant établit son plan de travail pour la semaine.

Il indique, par leurs numéros, les fiches de grammaire qu’il compte faire, les fiches de calcul, de géométrie et d’algèbre s’il y a lieu.

Puis il va consulter les plans de travail annuels pour voir quels sujets il faut travailler en histoire, géographie, histoire naturelle, sciences. Sur le plan, les sujets précédemment traités ont été hachurés en rouge ; ceux qui ont été traités imparfaitement sont hachurés en clair. On peut reprendre ces sujets, mais seulement si on compte les approfondir en utilisant les travaux mêmes des camarades qui s’y sont essayés. Dans la pratique, on choisit la plupart du temps parmi les points non encore traités. Et on ne choisit pas par hasard. Au cours de la semaine, des idées nous sont venues, que nous avons notées sur un agenda ; des documents reçus donnent l’idée de s’occuper de telle ou telle question ou bien, au cours d’un travail précédent, on a vu la nécessité d’élargie l’étude dans telle ou telle direction.

L’instituteur lui-même ne reste pas passif. Plus que jamais il doit être le conseiller et le guide. Au cours de la semaine, il aura posé et fait poser des jalons précieux pour la route à choisir. Il connaît les richesses de sa documentation : sur tel sujet, j’ai de beaux livres ; tu écriras à ta tante qui habite à tel point. Tu iras faire une enquête afin de mener à bien telle étude.

Et voilà du travail pour la semaine, et pour tout le monde. Indiquons le sujet de la conférence qu’on se propose de faire et dont la préparation peut s’étendre sur deux semaines, les sujets précédents ne donnent lieu qu’à comptes-rendus.

Marquons encore les travaux manuels qu’on se propose de réaliser. Complétons même les divers, ne serait-ce qu’en mettant un engagement à l’exemple de cet enfant qui écrivait : ne pas faire l’idiot, comme d’habitude.

Il est certain que si la préparation de ce plan nécessitait l’intervention autoritaire permanente de l’instituteur ; si les enfants sentaient que ce n’est là qu’une forme nouvelle des devoirs, l’amélioration serait peu sensible. Mais ceux qui redoutent ce danger ont compté sans le désir de travail, sans le désir de connaître des enfants. Nous sommes toujours ainsi faits que nous voyons toujours large quand nous dressons nos plans. C’est seulement à la réalisation qu’il faut faire violence aux forces innombrables qui freinent ce désir de progrès.

Et nous, instituteurs, ne faisons-nous pas de grands projets à la rentrée des classes ; ne voyons-nous pas  toujours trop large malgré tant d’expériences plus ou moins décourageantes. Tel projet, nous le traînons depuis deux ans ; mais cette année, je vais m’y mettre… Et le voilà encore sur notre plan !

La même illusion de puissance théorique pousse les enfants à établir des plans plutôt ambitieux. Nous avons à intervenir moins pour les charger que pour les harmoniser, parfois même pour les réduire.


L’enfant a alors pris librement des engagements. Il faut l’aider à les lui faire tenir. Car l’enfant est comme nous. Jusqu’à la Noël, nous ne croyons pas devoir nous émouvoir si les points importants de notre programme ne sont pas réalisés… On s’y mettra le 2ème trimestre, trimestre de travail. Et puis voilà Pâques : il faut se hâter, et ce sera même trop tard.

L’enfant a lui aussi tendance à traîner jusqu’au jeudi, puis, comme le lièvre de la fable, il essaye de partir à fond de train, mais en vain.

Il faudra rappeler souvent à l’enfant la nécessité de suivre et d’accomplir son plan et c’est là la plus forte discipline au travail que nous puissions imaginer.

A mesure qu’il accomplit une portion de ce plan, il va barrer au crayon rouge de façon que, d’un simple coup d’œil sur les plans fixés au mur, on voie la marche normale du travail dans la classe.

Et quelle ardeur pour finir son plan ! Des enfants se lèvent parfois à cinq heures pour venir y travailler. Et quelle joie quand ce plan est terminé !

S’il n’est pas terminé, il faut le terminer le dimanche, sans excessive sévérité. L’essentiel est de ne pas couper l’élan au travail.

Nous pratiquons cette technique depuis plus d’un an et nous pouvons assurer que l’intérêt des enfants pour leur plan ne s’est jamais ralenti. Ils le montrent fièrement aux visiteurs.

C’est là encore une forme de travail excessivement souple, donc très facilement adaptable aux possibilités enfantines, et qui laisse aux élèves la possibilité de disposer librement de leur temps ou plutôt d’organiser librement leur activité.

Notre communauté a trouvé de si grands avantages à ce système de plans que, en plus de nos plans hebdomadaires, nous faisons chaque matin le plan de notre travail pour la journée et pour les occupations non spécifiquement scolaires : travaux aux champs, ateliers, découpage, peinture, bricolage, couture etc… Nous n’imposons pas l’activité. Nous laissons les enfants choisir. Nous veillons ensuite au cours du jour – et les enfants y veillent avec nous – à ce que les engagements pris soient tenus.

***

 Quel est alors le rôle de l’instituteur dans la nouvelle école ?

Les enfants travaillent : il organise, il aide, il facilite ce travail.

Il collabore au maintien de la bonne harmonie et du silence relatif qui permet ce travail ; il aide à la recherche des documents ; il guide l’enfant qui prépare sa conférence et est débordé par les matériaux ; il explique parfois ; il aide et dirige également pour les fiches ; il guide les enfants qui, autour du matériel scientifique, regardent au microscope les membres d’une mante religieuse, ou préparent une expérience chimique.

Là est véritablement le travail noble de l’instituteur, la direction effective, l’appui paternel de celui qui sait et qui peut.

Et alors, plus de leçons !

Les mots n’ont une portée efficace que lorsqu’ils répondent à un besoin, à des questions, formulées ou non. Mais il faut, le plus possible, laisser parler les faits ; il faut laisser l’expérience personnelle poursuivre son action éminemment éducatrice ; il faut initier l’enfant aux méthodes nouvelles du travail non seulement scolaire, mais social ; il faut laisser faire la vie, par tâtonnements peut-être, mais aussi sans dogmatisme et sans froide autorité.

Ce qui ne veut pas dire que nous interdisions à l’instituteur de parler à un groupe d’enfants. Lorsqu’un sujet, lorsqu’une technique, que les enfants voudraient connaître, est ignorée par tous ou presque tous, on donne l’explication en commun. Au cours des travaux journaliers, des trous fréquents se creusent devant notre connaissance. Et les enfants voudraient savoir. Alors, à une heure prévue d’avance, le soir, avant les comptes-rendus et les conférences, l’instituteur répond à tous.

Vous direz peut-être : mais qu’est cela, sinon une leçon ?

Il y a cette différence essentielle que les enfants eux-mêmes ont senti la nécessité de connaître, qu’ils attendent notre réponse et qu’à ce moment là s’établit naturellement la communication mystérieuse entre auditeurs et guide et que la parole acquiert alors toute sa puissance dynamique.


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Atmosphère nouvelle

Notre école devient alors comme un atelier de travail et le plus passionnant qui soit. Vous pourriez rentrer chez nous à certaines heures, hors même de notre présence : un groupe compose ou imprime ; dans la salle de documentation, deux enfants penchés sur le dictionnaire, étudient le mécanisme de l’horloge. Un autre cherche dans le fichier les documents pour la conférence du soir. Assis par terre, dans le couloir, des enfants lisent. Dans la grande salle, des élèves font des fiches et l’un d’eux barre en rouge sur son plan le travail effectué ; dans la salle des grands, on travaille au microscope.
Il y a, certes, des allées et venues. Parfois, un enfant, heureux d’avoir trouvé ce qu’il cherchait, manifeste un peu bruyamment son contentement.

Au début, il faut se faire à cette activité si différente du silence passif des classes traditionnelles. Nous savons que cela ne va pas sans fatigue pour l’instituteur, mais nous supprimons aussi des leçons si épuisantes et qui usent si dangereusement les poumons de nos camarades ; nous supprimons les résumés récités et les devoirs à contrôler, incessantes occasions de punitions et d’hostilité entre maîtres et élèves.

Et surtout, nous ramenons l’intérêt et la vie là où il n’y avait que la déprimante passivité de la scolastique. Nous ramenons – nous amenons, car elle n’a jamais eu droit de cité dans nos classes – la joie à l’école. Et rien n’est si mortel que la passivité et le silence, rien n’est plus réconfortant ni plus dynamique que l’intérêt du travail et la joie créatrice.

Nous n’avons pas négligé l’efficience de l’école ni l’organisation méthodique de l’effort. Et nous pouvons affirmer que la technique que nous venons d’exposer donne un rendement culturel bien supérieur aux techniques traditionnelles et un succès accru aux examens.

Il faut, dès aujourd’hui, comprendre la nécessité de faire ainsi évoluer votre enseignement ; mais pour cela, commencer par le commencement, c’est à dire l’achat ou la préparation du matériel indispensable à cette nouvelle vie scolaire : imprimerie à l’école, limographe, fichier scolaire coopératif,  fichiers autocorrectifs, bibliothèque de travail, plans de travail. Et alors, naturellement, sans accrocs ni dangers, vous supprimerez les leçons et vous marcherez triomphalement vers nos techniques nouvelles qui régénéreront notre école publique et assureront le succès des diverses expériences heureusement en cours dans divers départements.

Parodiant la parole du Christ, nous pourrons vous dire : « Nous ne vous apportons pas, comme vous le promettent depuis un demi siècle nos éditeurs, la facilité scolaire, le silence et la paix. Nous vous apportons la possibilité de continuer la lutte et l’effort pour que notre enseignement serve, comme nous ne désirons tous,  la libération et la paix ».

Tous ceux qui sentent encore en eux s’agiter la flamme du dévouement à l’enfance et du sacrifice au progrès social, se joindront à nous pour forger coopérativement les outils efficients de l’école populaire de demain.

C. Freinet.

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