BENP n°21          Mai 1946

 

Brochures
d'Education Nouvelle
Populaire

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HUSSON
Directeur de l'Ecole Normale de Charleville
(Ardennes)
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Les Mouvements

d'Education nouvelle

VENCE (ALPES-MARITIMES)
L'IMPRIMERIE A L'ECOLE

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TABLEAU D’ENSEMBLE

des

mouvements d'éducation, nouvelle

en France et à l'Etranger

 

Depuis 1900, un véritable courant révolutionnaire a bouleversé toute la pédagogie en France et à l'Etranger. Une expression unique s'est imposée pour le désigner, si différentes qu'en soient les manifestations. Les réformateurs ont presque tous adoptés le mot d'Ecole Nouvelle. L'adjectif figure dans les titres des revues d'avant garde de la pédagogie, même quand, il s'agit d'écoles différentes : Pour l'Ere Nouvelle et Bulletin de la Nouvelle Education, en France; Der Neue Weg et Neue Bahnen en Allemagne et en Autriche ; New Era dans les pays anglo-saxons. Les congrès de pédagogie mondiale se sont également placés sous ce signe. 

Et pourtant était-ce bien l'expression, qui convenait ? A-t-elle quelque signification précise ? Indique-t-elle autre chose que la position d'un mouvement dans le temps historique et ne nous laisse-t-elle pas incertains dès qu'il s'agit de fixer la direction qu’il prend, le but qu'il a choisi et les moyens sélectionnés pour l'atteindre ? Au delà de la réforme pédagogique est-ce que nous ne sommes pas plutôt amené à passer immédiatement au courant général d'une époque qui commence à la fin du XVIIIe siècle - quand naît la querelle des Anciens et des Modernes - et qui se sert des mots moderne et nouveau veau comme d'un talisman pour ouvrir les portes de l'avenir et fermer celles du passé ? N'est-ce pas là le mot de passe que les générations se transmettent depuis Perrault et Fontenelle et dont l'autorité d'un Valéry n'est pas encore prête à détruire le prestige: 

« Le nouveau, qui est, cependant le périssable par essence; est pour nous une qualité si immense que son absence nous corrompt toutes les autres et que sa présence les remplace. A peine de nullité, de mépris et d'ennui, nous nous contraignons d'être toujours plus avancés dans les arts, dans les mœurs, dans la politique et dans les idées et nous sommes formés à ne plus priser que l'étonnement et l'effet instantané du choc... » (P. Valery - « Regards sur le monde actuel », p. 161.) 

Hélas ! il n'est pas douteux que des pédagogues aient été les victimes de cette nouvelle superstition. Le fait est d’autant plus regrettable que, par certains côtés, la pédagogie peut prétendre, à l'appellation de science et qu'en s'affublant du qualificatif « nouvelle », elle a osé ce que les sciences qui se renouvellent sans cesse par des progrès constants, n'ont pas tenté de faire. Parle-t-on dans les congrès scientifiques d’une physique nouvelle, d'une chimie nouvelle, d'une physiologie nouvelle ou d'une nouvelle astronomie ? Non ! On ne devrait donc pas parler de pédagogie nouvelle ou d'éducation nouvelle. Les plus grands pédagogues ont, comme nous le verrons, employé d'autres formules. Bien plus qu'eux, il faut accuser les vulgarisateurs d'avoir sacrifié au préjugé de tous. A nous cependant de dissiper l'équivoque et de montrer la réalité de la pédagogie d'aujourd'hui.

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1° Un vocable mal choisi : l'Education Nouvelle

 

S'il faut remonter au XVIIIe siècle pour comprendre le sens et les valeurs affectives qui s'attachent au mot nouveau quand on l'emploie pour caractériser un mouvement réformateur contemporain, nous devons constater cependant que ce n'est qu'à une époque récente que l'enseignement s'en est emparé et que des écoles l'ont inscrit sur leur fronton. Les historiens de la pédagogie s'accordent à reconnaître que l'initiative appartient à la New School d'Abboetholme, fondée en 1889 par le Dr Cecil REDDIE dans le canton du Derbyshire anglais. En 1889, E. DEMOLINS créait l'Ecole des Roches sur le même programme. Un an plus tôt, la même chose était arrivée en Allemagne grâce à Hermann LIETZ, pionnier des Landerziehungheime (Ecoles nouvelles à la campagne). 

Le mouvement était lancé. Il fut consacré par le 1er  Congrès de pédologie qui se tint à Bruxelles en 1911. C'est là que FERRIÈRE, un ancien collaborateur de Lietz et l'un des fondateurs de Glarisegg (1902) la première école nouvelle suisse, l'employa pour caractériser le travail des réformateurs : 

« J'appelle « Education Nouvelle » un mouvement pédagogique contemporain qui n'est nouveau que parce qu'il s'adapte aux besoins nouveaux de la société d'aujourd'hui. Il n'est point théorique mais pratique. Il s'est affirmé tant en Europe qu'en Amérique par la création de cent écoles nouvelles qui, toutes, rompent avec une routine séculaire et tendent à rendre l'instruction et l'éducation à la fois plus psychologique et plus sociale. 

Ce mouvement pédagogique est né d'un double besoin et tend à un double idéal. 

1° Adapter les moyens pédagogiques à la nature des enfants. 

2° Préparer la Jeunesse à la vie sociale, intellectuelle et morale contemporaine. » 

(Cité par Dottrens : « Le Problème de l'Education », p. 14). 

Ce texte illustre fort bien toutes les équivoques que recèlent les mots : nouveau, contemporain et moderne, ainsi que leur insuffisance dès qu'il s'agit de caractériser l'effort pédagogique qui vient d'être résumé. 

a) A le bien prendre, l'Education Nouvelle » serait l'éducation du jour, l'éducation contemporaine. Concept qui s'appliquerait alors à une réalité essentiellement mouvante, drapeau que les plus avancés essaieraient d'arracher sans cesse à ceux qui le sont moins. En effet, si nous nous replaçons comme il convient dans une perspective évolutionniste, ce qui est nouveau aujourd'hui ne le sera plus demain. A ce moment-là le nouveau sera incorporé au traditionnel et c'est un autre mouvement ou bien le premier, mais qui aura changé, qui obtiendra le droit de parler d'éducation nouvelle. Ce qui serait donc une pure illusion de croire que ce qui s'intitule Education Nouvelle aurait le dernier mot. 

b) Ferrière a voulu éviter une telle interprétation et il s'est hâté de préciser : « qui n'est nouveau que parce qu'il s'adapte aux besoins nouveaux de la société d'aujourd'hui ». Nous voyons apparaître ici un critérium qui va permettre d'opposer dans le monde d'aujourd'hui les écoles traditionnelles qui ne seraient pas adaptées à la société et à la civilisation présentés et les écoles nouvelles qui réaliseraient cette adaptation. Nous demeurons encore dans une perspective évolutionniste, mais les vues se précisent. En regard des sociétés qui varient constamment, il y a en effet une éducation qui change mais à un rythme différent. L'école est plus souvent en retard sur l'évolution de la société qu'au niveau de celle-ci. Mais alors, si l'accord entre l'école et la société est considéré comme critère, dans la fraîcheur de leur création, les Universités du Moyen Age, les Collèges de Jésuites au XVIe siècle, le Lycée Napoléonien en 1804, l'Ecole laïque de 1887 auraient été des écoles nouvelles en leur temps parce qu'adaptées à leur époque. Ce n'est que plus tard qu'elles ont été dépassées faute d'avoir évolué : l'Université médiévale quand apparaît l'esprit de la Renaissance, le Collège des Jésuites quand s'instaura la Révolution, le Lycée Napoléonien dès que se terminèrent les guerres impériales, etc... Seule pourrait être appelée « nouvelle » l’ecole qui viendrait de naître et qui serait conforme à l'esprit du monde d'aujourd'hui. Le monde a tellement changé depuis 50 ans que les créations de Reddie, Demolins, Lietz et Ferrière seraient dépassées en 1946. L'Ecole Nouvelle aurait cette fois-ci pour contraires l'école traditionnelle attachée à un passé mort, et l'école révolutionnaire, préparant un futur qui n'est pas encore. N'oublions pas, en effet, que plus d'un utopiste, FOURIER par exemple, a présenté des projets d'éducation et que certains ont essayé de faire vivre des écoles très en avance sur leur temps : exemple de l'école de Cempuis. 

c) Cependant nous sentons que nous n'avons pas encore saisi le caractère original de l'Education Nouvelle et qu'il s' agit dans son explication de ne pas s'en tenir à un principe évolutionniste donc tout relatif. Ferrière donne un 2e critère pour caractériser le mouvement pédagogique qui nous occupe ici. « Il se propose d’adapter les moyens de l'éducation  à la nature de l'enfant. » Il ne s’agit donc plus cette fois d'atteindre un but essentiellement variable suivant les époques mais de trouver des règles vala­bles pour tous les temps. La pédagogie nouvelle est donc en quête d'une règle objective, d'une norme générale et universelle, Ce qui devient intéressant pour nous qui cherchons à la délimiter, ce n'est plus sa date d'apparition, mais le contenu de sa pédagogie, le ou les prin­cipes sur lesquels elle doit reposer et, ajoutons-le, l'application effective de ces principes, ce qui va au-delà de leur discussion théorique. (Ferrière précise que le mouvement « n'est point théorique mais pratique », et pour être exact nous dirons : théorique et pratique.) 

Ainsi nous pouvons corriger Ferrière par Ferrière : « A chaque époque de son histoire l'humanité qualifie de nouveau ce qui distingue la civilisation d'aujourd'hui de celle d'hier, ce qui lui parait marquer un pas en avant vers la vérité... L'Education Nouvelle mérite pourtant son nom autrement que par son opposition au passé, immédiat passé qui se survit dans le présent et par son appel au bon sens contre le traditionalisme oppresseur. Pour la première fois dans l'histoire de la pédagogie, la science proprement dite fait son apparition dans l'éducation des enfants. » (Ferrière : « Trois pionniers de 'l'Education Nouvelle. » Flammarion 1928, p.328.) 

d) En conséquence nous ne pouvons donc pas caractériser l'Education Nouvelle par sa position dans le temps mais seulement par son contenu et par les fins qu'elle se propose Toutefois la découverte de ces fins a une histoire et c'est pourquoi nous ne pouvons pas négliger entièrement le problème chronologique. Peut-être alors découvrirons-nous des rapports très réels entre les mouvements d'Education Nouvelle et l'ensemble du courant des idées modernes qui part de la Renaissance pour s'épanouir entièrement à notre époque.

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2 ° Les fins générales de l'éducation

 

A) L'éducation à but social et l'autorité traditionnelle

 

Tout le monde connaît aujourd'hui les célèbres formules par lesquelles le sociologue DURKHEIM a caractérisé l'éducation, phénomène essentiellement social. 

« Il saute aux yeux que toute éducation consiste dans un effort continu pour imposer à l'enfant des manières de voir, sentir et d'agir auxquelles il ne serait pas, spontanément arrivé. » (Durkeim : « Les règles de la méthode sociologique.» Alcan 1912, p. 11.) 

« L'éducation est l'action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale Elle a pour objet de susciter et de développer chez l'enfant un certain nombre d'états physiques, intellectuels et, moraux que réclament de lui et la société et le milieu social auquel il est particulièrement destiné. » 

« L'éducation consiste en une socialisation méthodique de la jeune génération.» (Durkheim : « Education et sociologie », Alcan 1926, p. 49). 

Pour nous ces propositions sont entièrement vraies lorsqu'elles s'appliquent à des sociétés dont la forme politique est autoritaire. Il n'est que trop exact que depuis l'antiquité jusqu'à une époque récente, le but de l'éducation a été placé par la société aussi bien que par les éducateurs en dehors de l'enfant considéré comme objet de l'éducation. L'idéal antique a été surtout la formation du citoyen. Au Moyen Age, l'Eglise du fait qu'elle n'admettait pas la liberté en matière de foi et de pensée, n'a guère été plus libérale que l'Antiquité en cherchant à façonner l'âme du fidèle de la communauté religieuse. Enfin, les sociétés modernes, bien que nées sous le climat du libéralisme, ont tout simplement remplacé l'autorité de la cité ou de l'Eglise par l'arbitraire, les désirs ou la volonté de l'éducateur. 

 « La psychologie de l'Herbartianisme, a-t on dit est celle du maître d'école et non pas celle de l'enfant. Elle exprime naturellement les idées d'un peuple pour lequel ce qui importe, c'est l'autorité et la formation du caractère individuel en vue de la soumission à l'autorité civile et militaire. Ce n'est pas la psychologie d'une nation qui croit que chaque individualité renferme en elle-même le principe d'autorité et que l'ordre social, doit reposer sur une coordination plutôt que sur une subordination. » - (J. Dewey, « L'Ecole et l'enfant », P. 81-82.) 

La famille, qui s'est maintenue à peu près identique, à travers tous les âges depuis l'antiquité, est restée fidèle au droit ancien. Le paternalisme a été familial avant l'être social. En général, les parents, sans bien s'en rendre compte, cherchent à maintenir l'enfant dans son état. d'enfance et prétendent conduire les adolescents avec les disciplines du jeune âge. Le jeune homme est souvent obligé de choisir une profession qui soit au goût de ses parents. Malgré les apparences, la liberté est peut-être ce que  les parents octroient le moins facilement à leurs enfants. C'est ainsi que naissent quantité des conflits affectifs ou de déviations de l’élan vital des enfants. Mme Montessori a eu raison de dénoncer cette lutte sourde et incessante entre l'adulte et l’enfant : 

« L'adulte est une énergie toute puissante qui domine l'enfant et l'empêche de se développer. Les obstacles que l'adulte oppose à l'enfant sont nombreux et graves, et ils deviennent d'autant plus périlleux lorsque l'adulte s'occupe, continuellement de l'enfant et s'arme presque que contre lui du droit et de la science, avec la volonté de le diriger selon ses propres convictions. Par conséquent, l'adulte le plus proche de l'enfant, c'est-à-dire la mère ou l'éducateur, est précisément celui qui présente le plus grand danger pour la formation de la personnalité enfantine. » (Montessori : Conférence faite à l'Assemblée de la Nouvelle Education, 1931.)

 

B) L'éducation à but individuel et personnel : 

Une grande révolution s'est accomplie en pédagogie, le jour où l'on s’est mis à considérer l'enfant non plus objet mais comme un sujet. ROUSSEAU et PESTALOZZI ont pris une grande part à cette révolution qui n'a cessé d'avoir des partisans au XIXe siècle, à tel point que la polémiste suédoise Ellen KEY (1849-1926) a pu appeler ce siècle, « le siècle de l'enfant ». Le mythe de la bonté de l'enfant dont J.J. Rousseau a été le génial inventeur, a eu une importance considérable. Son exactitude mise à part, il faut reconnaître que c'est lui qui a suscité les enthousiasmes nécessaires à la lutte pédagogique pour le triomphe de la révolution éducative. 

Bien des courants ont contribué à pousser la pédagogie vers une reconnaissance toujours plus grande de la personnalité et de la liberté de l'enfant. L'émancipation  de la jeunesse va de pair avec celle de l'ouvrier et de la femme. Y poussent un courant d'origine chrétienne qui vise à l'extension de la qualité de personne à des êtres de plus en plus nombreux, un courant socialiste qui a repris pour son compte certaines affirmations du christianisme   et enfin des courants négatifs qui contre l'autorité, réclament l'émancipation de tous les mineurs : le prolétaire, la femme, l'adolescent, l'enfant qu'il faut soustraire soit au joug de l'Etat, soit à la domination de la classe capitaliste, soit à la tyrannie des aînés ou de ceux qui ont la capacité de droit. Les tenants de ces divers courants bataillent dans le champ de la métaphysique ou dans celui de la morale. 

Dans le même temps, la psychologie, confirmant les intuitions de Rousseau, a véritablement montré que l'enfanceconstituait un âge autonome et possédait sa signification propre, donc qu'elle mé­ritait d'être traitée en elle-même et pour elle-même. La science s'est donc, à son tour, emparée des célèbres formules rousseauistes : « Considérez l'enfance dans l'enfant », « Laissez mûrir l'en­fance dans les enfants », qu'on trouve simplement transposées dans les écrits du Dr DECROLY et de la Doctoresse MONTESSORI. 

La société, enfin, en raison de son évolution tendant à une spécialisation de plus en plus grande par suite de l'individualisation du travail, au lieu de s'opposer aux courants que nous venons de citer, les a favorisés dans une assez large mesure, bien qu'au fond son idéal ne se rencontre pas toujours avec celui des réformateurs que nous venons de citer. 

Ainsi sont apparues des formules d'éducation qui constituèrent quelque-uns des mots d'ordre de l'Education Nouvelle : 

L'ÉDUCATION INDIVIDUALISÉE, réaction contre l'éducation collective qui soumet tous les individus au même enseignement, aux même« programmes et aux mêmes contraintes disciplinaires. 

L'EDUCATION LIBERALE, réaction contre l'éducation autoritaire qui force l'enfant à adopter son but et opère par dressage alors que l'éducation libérale tend finalement vers : 

L'AUTO-EDUCATION, formule méthodologique, qui,  principalement au terme du processus de culture, laisse à l'individu le choix de son orientation et exige de lui un libre effort de perfectionnement intellectuel et moral ; 

et vers L'ÉDUCATION LIBERTAIRE, formule politique et philosophique de certains milieux anarchistes et des écoles de Hambourg (1918-1928) qui n'apportent aucun correctif à la liberté de l'enfant ou de l'adolescent.

 

C) L'éducation à but personnaliste et communautaire

L'opposition entre les formules d'une éducation à but social et celles d'une éducation à but individuel ne semble pas irrémédiable. Après la seconde phase d'une durée très courte apparaissent déjà les éléments d'une 3e phase qui serait celle de la synthèse : synthèse et non pas compromis, car c'est d'un approfondissement de l'idéal d'une éducation de l'être individuel et d'une purification de l'idéal d'une éducation sociale que se dégage déjà la formule d'une éducation à la fois personnaliste et communautaire. 

Le but véritable de l'éducation ne sera donc plus l'individu mais la personne, l'épanouissement du véritable moi de l'homme, la mise à jour progressive de sa vocation, le dégagement de l'essence de l'être humain. Le but de l'éducation devient alors un but objectif ayant son fondement dans les exigences de la conscience morale. Mais comme les meilleures conditions de la réalisation de la personne se trouvent dans la communauté, nous devons en même temps éduquer l'individu de telle sorte qu'il soit capable d'être au maximum le membre actif d'une communauté harmonieuse Dans une excellente page, CLAPARÈDE fait à la fois la critique de la conception traditionnelle et l'éloge du point de vue de la nouvelle éducation :   

« Notre conception éducative est tout imprégnée encore du principe d'autorité qui fausse non seulement l'éducation morale, mais aussi l'éducation intellectuelle. Une classe d'école n'est en rien l'image d'une république en miniature ; c'est au contraire, en petit, une monarchie: absolue ; d'un côté, un maître, un régent à pouvoirs absolus, de l'autre, des sujets dont les désirs personnels ou l'initiative sont restreints au minimum. (Je sais bien que ce régime est dans la réalité, heureusement tempéré et adouci par l'affection que les maîtres portent à leurs élèves, et par l'intelligence ou le doigté, avec lesquels ils l'appliquent : il n'en est pas moins vrai qu'il est d'essence autocratique, un legs des régimes sociaux ou politiques du passé. Ce sont des adultes qui ont introduit la démocratie : ils ont bien démocratisé la société des adultes; mais ils ont oublié de démo­cratiser celle des enfants. Eh bien, comment voulons-nous former les qua­lités que nous constations tout à l'heure, être indispensables à l'avènement d'une saine démocratie, en élevant la jeune génération dans des cadres d'inspiration nettement autoritaire ? Nous ne pouvons accomplir ce miracle de préparer des enfants à être de libres citoyens, obéissant à des mobiles intérieurs en leur apprenant vingt années durant, à n'être que des sujets soumis à une autorité extérieure. 

La démocratie exige avant tout, chez le citoyen, le développement harmonique de deux qualités que l'on a cru apposées : l'individualité et le sens social. Ces deux qualités sont toutes deux indispensables à la vie et au progrès d'une société. » (Claparède : « Education fonctionnelle », p. 217.) 

EDUCATION DEMOCRATIQUE donc, au plein sens du mot, voilà encore un aspect de l'Education Nouvelle. D'autres parleront d'EDUCATION COMMUNAUTAIRE, d'autres encore d'EDUCATION SOLIDARISTE. Ces formules donnent l'aspect complémentaire de celles, que nous avons précédemment citées : éducation individualisée et éducation de la personne. Une des meilleures expressions qui en ait été donnée se trouve dans l'appel adressé en 1921 par PAULSEN « aux maîtres, aux parents, aux élèves et aux amis de nos écoles ». 

« Essence de l'école : L'école n'est pas une chose étrangère à la société humaine, un élément détaché, mais un organe heureux et vivant dans l'ensemble des institutions nécessaires à la vie. Elle n'est pas un simple établissement d'instruction ou d'éducation, mais plutôt l'endroit où la jeunesse vit en conformité avec les lois profondes de sa nature. » (Cité par Ferrière : l'École active, p.188-190.) 

 FREINET, dira excellemment lui aussi :  « L’enfant développera au maximum, sa personnalité au sein d'une communauté rationnelle qu'il sert et qui le sert. » (Freinet : « L'Ecole moderne française », P. 13.)

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3° La connaissance du sujet en éducation

 

Jusqu'ici nous nous sommes tenus sur le plan philosophique et moral et ainsi nous sommes parvenus, grossièrement il est vrai à fixer le juste but de l'éducation. Il ne suffit pas cependant d'indiquer le but, il faut encore tracer la voie. A quoi servirait de prôner une éducation mise au service de la personne, donc des, vocations humaines, si nous ne savions pas ce qu'est l'être humain, ce que sont ses tendances instinctives et ses aspirations ? 

Et encore, précisons-le bien, ce n'est pas l'homme en général qu'il faut connaître, ou bien l'homme adulte, mais l'homme à chacun des âges de sa vie et spécialement aux époques de l'enfance et de l'adolescence. Tel est le grand problème posé à la psychologie par l'éducation et qui ne pouvait être résolu avant la constitution de la psychologie en tant que science. Les pressentiments extraordinaires de ROUSSEAU ont attendu plus d'un siècle avant de trouver leur confirmation scientifique. Les détails chronologiques reprennent ici leur importance. 1881 est la date d'apparition de l'ouvrage qu'Angela MEDICI appelle le premier classique de la psychologie du jeune âge : « L'âme de l'enfant » de PREYER. A cette monographie enfantine, travail d'une observation patiente et affectueuse succèdent aussitôt (1893) les recherches expérimentales de Stanley HALL qui, à côté d'essais de psychologie expérimentale sur l'enfant, se livre aux premiers travaux de pédagogie expérimentale. En 1887 il donne un opuscule, sur l'enseignement de la lecture : « How to teach reading ». L'activité de cet homme infatigable l'a conduit, en dehors de la publication de l'un des classiques de la psychologie de l'adolescent à fonder une revue de pédagogie nouvelle « The pedagogical Seminary », un centre d'études de psychologie enfantine à l'Université de Worcester, une association nationale (1893) pour la connaissance scientifique de l'enfant qui seront les prototypes des institutions similaires qui, plus tard, se créeront dans tous les grands pays civilisés. 

Le mouvement d'éducation nouvelle depuis cette époque, joint donc tous ses efforts à ceux qui s'occupent de la Psychologie scientifique de l'enfant, de la Psychologie expérimentale scolaire et de la Pédagogie expérimentale dont chez nous, Alfred BINET a été le plus grand représentant. 

La psychologie scientifique, science pure ou théorique, inspire donc depuis cinquante ans tous les travaux d'un secteur de la pédagogie qui peut alors être considérée comme une science appliquée. Mme MONTESSORRI a précisément donné à son plus grand ouvrage pratique le titre de Pédagogie scientifique, dont le sens mérite toutefois d'être précisé, car il correspond à une tendance différente des précédentes. A la fois physiologue, psychologue et praticienne, Mme MONTESSORI a insisté sur l'idée que la connaissance de l'enfant ne pouvait se tirer essentiellement du laboratoire et qu'elle n'était vraiment possible qu'à l'école nouvelle qui laisse l'enfant s'exprimer librement dans une ambiance naturelle. Idée hardie et neuve qui pose à l'éducateur de grandes exigences mais vraiment humaine : éveilleur d'âmes, il lui faut une connaissance directe des âmes, une psychologie toute concrète, appliquée non plus à l'enfant mais à tel ou tel élève dont il faut saisir les intérêts, les tendances les plus secrètes et qu'il faut délivrer lentement. Mme Montessori s'accorde en cela avec d'autres grands novateurs : Decroly Dewey, Claparède et Freinet qui ont cherché à faire des écoles nouvelles des laboratoires de pédagogie pratique dans lesquels devrait se constituer petit à petit la véritable psychologie de l'enfant sur laquelle s'appuiera ensuite l'Education psychologique. 

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4° Les révélations de la psychologie enfantine

 

Voilà plus d'un demi-siècle maintenant que psychologues, psychiatres, psychanalystes, médecins et physiologues, éducateurs enfin, défrichent le vaste champ de la psychologie enfantine. Leurs trouvailles ont ouvert des horizons tellement nouveaux et précisé de telle manière les voies que la pédagogie avait à suivre, que l'Education Nouvelle s'en est emparée pour mettre l'accent sur tel on tel de ses efforts, telle ou telle de ses directives et préconiser certaines méthode plutôt que d'autres.

 A la conception traditionnelle de l'enfant passif elle a commencé par opposer l'image d'un être essentiellement dynamique trouvant en lui-même les motifs de son développement, de sa marche en avant, de sa réalisation.

 « Ce n'est pas parce qu'il manque, d'expérience, qu'un enfant est un enfant, c'est pace qu'il a un besoin naturel d'acquérir, cette expérience. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas grand que l'enfant est un jeune mais c'est parce qu'un instinct secret le pousse à faire tout ce qu'il faut pour devenir grand… » (Claparède : « Psychologie de l'enfant » Kundig, p.482). 

Un autre psychologue dira, dans la même sens : « L'idée nouvelle c'est, paraît il, cette constatation qui nous paraît toute simple que l'enfant n'est pas uniquement un réceptif, qu'il est aussi et spontanément actif et que son éducation consiste non à meubler son esprit des connaissances et des habitudes les plus utiles mais à donner à son activité la direction et la puissance désirables. » (P. Bovet : « La tâche nouvelle de l'école », Intermédiaire des éducateurs, 1919.) 

Cette manière de voir est d'une telle importance que, dans bien des cas et de préférence au vocable d’Education Nouvelle, les réformateurs ont adopté celui d’Ecole active. Quelques synonymes de cette expression apparaissent de temps en temps pour la nuancer : Ecole vivante diront les uns et parmi eux DECROLY qui adopte la maxime : « L'école pour la vie, par la vie » ; Ecole du travail (Arbeitsschule), prônera le pédagogue allemand KERSCHENSTEINER qui lie à l'idée de l'école active celle de l'éducation sociale orientée sur la future profession des élèves choisie par vocation. 

2° L'idée d'école active reste cependant très générale même quand on en précise le but, comme l’a fait Kerschensteiner. L'esprit de l'enfant est un assemblage de fonctions très diverses qui ont chacune leur structure particulière. 

ROUSSEAU l'avait déjà pressenti. Renchérissant sur lui, mais substituant à de géniales intuitions les constatations de la psychologie de l'enfant, le psychologue genevois CLAPARÈDE a demandé que l'éducation prenne attentivement en considération les intérêts de l'écolier, ses activités spéciales, ses fonctions subordonnées et hiérarchisées les unes par rapport aux autres. L'un de ses livres porte un titre suggestif : « L'Education fonctionnelle » qui nous parait offrir ainsi l'une des formules les plus heureuses à que puissent accepter les pédagogues d'aujourd'hui. 

Nous pourrions d'ailleurs mettre en parallèle la conception du Dr Decroly qui est complémentaire de la précédente : c'est celle d'Education globale. En effet, Decroly recommande aussi d'exercer différentes fonctions qu'il appelle fonction d'observation, fonction d'association et fonction d'expression, mais, en outre, il veut que l'activité totale de l'esprit enfantin soit toujours mise en oeuvre afin d'éviter des démarches trop analytiques : 

« La vie mentale de l'enfant, dit l'un de ses disciples, forme un tout, elle est une. Il passe rapidement et sans effort d'un sujet à un autre, mais il n'a pas conscience d'une transition et d'un hiatus Les objets qui l’occupent sont liés par l'unité des intérêts personnels et sociaux que sa vie suscite. Tout ce qui captive son esprit constitue pour l'instant l'univers entier. » - (G. Boon : « Essai d'application de fa méthode Decroly, p.11). 

DECROLY ne s'est pas contenté d'attirer l'attention des pédagogues sur la nature de cette activité totale d'un esprit qui utilise toute les facultés de l'être pour résoudre les problèmes tels que les pose la vie. Avec DEWEY il insiste sans relâche sur l'énergie qui la soutient et spécialement sur les tendances fondamentales qui la déclenchent. Tous deux s'arrêtent longuement sur l'intérêt, qui, en relation avec les besoins fondamentaux des enfants est le moteur central de l'effort, l'appétit intellectuel qui pousse le jeune être à rechercher la connaissance des objets et des individus. Ces intérêts qui sont en petit nombre font surgir la question, le problème autour desquels s'organise une recherche passionnée et l'exploration du milieu. Il en arrive ainsi à recommander la Méthode des centres d'intérêt qui, sur le plan de la didactique, correspond à la formule psychologique de l'Education globale. Grâce à elle il construit de nouveaux programmes et préconise des emplois du temps libérés des servitudes traditionnelles qui résultent d'une conception analytique de l'exercice de l'intelligence et d'une répartition toujours poussée plus loin du savoir en branches intellectuelles. La pédagogie allemande a retenu l'idée decrolyenne dans cet qu'elle a appelé le gesamtunterricht et les Américains, à la suite de Dewey, appliquent maintenant la méthode des Projets. Les Projets laissent beaucoup plus de liberté à, l'enfant que les Centres d’intérêt decrolyens basés sur les intérêts de l'enfant. en général, tandis que les premiers, sans souci d'une logique formelle ou d'une progression arbitraire, mobilisent au maximum l'intérêt du moment et aux propositions de là vie. 

3° Comme on a dû le remarquer, les partisans de l'Ecole Nouvelle emploient rarement le mot d'instruction. Ils lui préfèrent celui d'éducation. C'est qu'il convient seul pour désigner l'effort entrepris en faveur de la formation complète de l'individualité enfantine. Il met l'accent autant sur les disciplines intellectuelles que sur la culture morale et sur la culture physique. Cette culture morale prend une importance capitale pour un mouvement qui est parti des prémisses morales, que l'on connaît maintenant. Parce qu'elle voit dans l'enfant un être, qui a les possibilités et le devoir d'être libre et responsable, l’Education Nouvelle répudie absolument le dressage tel qu'on le pratique trop souvent à l'école traditionnelle. Les novateurs ont cherché à moraliser la discipline. 

« La pierre de touche de la pédagogie scientifique, écrit Mme MONTESSORI dans « la Maison des Enfants », doit être la liberté des élèves, absolument nécessaire pour permettre le développement des manifestations individuelles. Selon notre idée, la discipline fondée sur la liberté doit nécessairement être active. On ne peut pas dire qu'un individu soit discipliné parce qu'on l'a rendu artificiellement immobile comme un paralytique et silencieux comme un mort. Celui-là est un être annihilé mais non pas discipliné. Nous appelons discipliné celui qui peut disposer de sa personne et qui, dès lors, est maître de lui, même quand il s'agit de suivre une règle de vie. » 

Cette liberté des élèves si instamment recommandée par Mme Montessori, a été tantôt bien comprise, tantôt mal. Les uns ont sagement réglé l'autonomie des écoliers et le self-gouvernement et d'autres ont appliqué la formule d'une éducation libertaire dans de libres communautés scolaires ou républiques d'enfants. L'indépendance totale des adolescents a été impérieusement réclamée par des pédagogues tels que WYNEKEN, (un disciple de Lietz). Celui-ci a cherché à lier le mouvement des « Wandervogel » (oiseaux migrateurs) à celui des « Freieschulgemeinde » (libres communautés scolaires) en donnant au Jugendbewegund une impulsion originale (qu'il a perdue avec l'hitlérisme). Il lui a présenté l'idéal d'une culture juvénile (Jugendkultur) en rupture avec la culture officielle et l’humanisme classique des écoles, secondaires. 

Plus présents et plus, réalistes les pédagogues français ont recherché des formes de pratique de vie collective et de solidarité qui acheminent progressivement les enfants vers le compréhension des exigences de la vie sociale et l'encadrement des individus dans la communauté : Travail en équipes selon COUSINET, pratique de la Coopération scolaire selon PROFIT. Il ne faudrait pas croire cependant que ces formules soient restées le monopole de la pédagogie française. Habitués depuis longtemps au scoutisme et à sa méthode de travail en patrouilles les pays anglo-saxons ont aussi fait. une large place au travail en équipes tandis que, conduits, du même côté par leur idéologie, les Russes ont cherché à substituer le travail collectif au travail individuel sous la forme de tâches menées à bout par les brigades d'élèves. Ces méthodes qui, de 1918 à 1933, avaient reçu l'approbation des dirigeants culturels de la République de Weimar, trouvèrent leur consécration dans le plan Becker qui ne faisait que reprendre la grande idée de Kerschensteiner sur les communautés de travail, communautés formées de camarades se gouvernant eux-mêmes, constituées en véritables ateliers dans lesquels l'activité personnelle s'exerce en coopération, à des travaux créateurs ou productifs. 

La vie secrète de l'enfant 

On n'a pas tout découvert quand on a constaté que les enfants étaient éminemment aptes à la vie sociale et qu'ils pouvaient s'acheminer progressivement vers un apprentissage des formes supérieures de la vie en groupe. L'enfant conserve malgré cela l'intimité d'une vie, personnelle. Comme l'homme dont l'enfance ne représente qu'une période dans un développement, l'enfant reste mystérieux, impénétrable, incohérent parfois, ou bien prodigieux. De nouvelles méthodes d'investigation ont bouleversé les connaissances que la psychologie d'esprit scientifique attachée à l'exploration du conscient avait mises au premier plan. 

Après avoir lu les psychanalystes, on a vraiment le sentiment que l'enfance est une terre encore inconnue. Leurs premières affirmations ont commencé pour aller tout à fait à l'encontre du postulat de Rousseau qui a tant influencé les opinions des philosophes et des psychologues de l'Education Nouvelle. On peut parler ici d’une dissolution du mythe. Mais c'est tout au profit d'un gain de vérité, d’un équilibre dans la compréhension de l'enfant. L'enfant est essentiellement bon, proclamait l'auteur de « l'Emile ». A plus d'un siècle et quart de distance FREUD découvre dans l'enfant un petit monstre déjà tout asservi aux exigences impérieuses de l'instinct sexuel. Depuis, ADLER et JUNG ont notablement corrigé cette théorie. Ils n'en ont pas moins établi les conflits puissants qui divisent l’âme enfantine tiraillée entre le besoin de puissance et celui d'altruisme. Et malgré cela, le sentiment d’amour à l’égard de l'enfance n’a pas varié. Il suffit, pour s'en rendre compte de rapprocher les titres de livres aussi suggestifs que « L'enfance inconnue » d'ALLENDY et « L'enfant sans défauts » de G. ROBIN. La psychanalyse d'aujourd'hui se penche avec sympathie vers l'enfant, l'excuse et cherche sa guérison comme s'il s'agissait d'un malade irresponsable. De cet élan généreux sont nées de nombreuses cliniques médico-pédagogiques, les dispensaires d'hygiène mentale qui, à coté de l'école, cherchent à rendre à l'enfant une vie équilibrée et normale. 

Les études des psychanalystes ont même une contrepartie. Mme Montessori, qui n'a rien renié de leurs principales affirmations a mis l'accent sur le génie, de l'enfant. A côté d'un aspect sombre, il y a dans l’âme enfantine un aspect lumineux, les tentations animales y voisinent avec les aspirations les plus hautes vers l'esprit. La grande psychologue a rempli ses livres d'observations sur le pouvoir de concentration et de méditation chez l'enfant, sur les extases de ses découvertes, véritables illuminations de l'âme, sur ses progrès explosifs, sur le génie patient de son application, sur sa sagesse et sa maîtrise précoces, sur son aptitude à pénétrer le sens de la douleur et de la souffrance, indices de sa profondeur métaphysique. Une méthode éprouvée réussit à cultiver toutes ces dispositions « humaines » fondamentales. L'école devient ainsi un monde à part dans le grand univers troublé et déchiré d'aujourd'hui et s'il y a un lieu de paix quelque part, il faut aller à sa rencontré en visitant l'Ecole Sereine d'Agno une école primaire publique du Tessin entièrement transformée par Mme BOSCHETTI-ALBERTI. Sa doctrine tient en peu de mots :

« Aimer avec passion ce qui est beau et bien ; avoir une foi entière dans l'enfance dans sa volonté profonde du beau et du bien ; écarter les obstacles à cette poussée de la vie spirituelle et nourrir celle-ci de ce que l'on a en soi de meilleur. » (Ferrière : « La pratique de l'école active », p.135.) 

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L école nouvelle face à la civilisation moderne

 

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La revue qui vient d'être faite des tendances de l'Education Nouvelle, si sommaire qu'elle soit pour se plier aux exigences d'un déroulement panoramique, nous permet d'arriver à quelques conclusions importantes. 

Constatation préliminaire :

A certains moments nous avons suffisamment insisté sur les variantes et même sur le, écarts entre les mots d'ordre de la pédagogie d'aujourd'hui pour qu'il apparaisse clairement qu'au sein du mouvement, il y a pluralité des buts et des méthodes Il serait donc plus exact de se servir du pluriel et de parler de Pédagogies nouvelles.

 1° Face à la tradition

 Si neuves que soient les revendications de ces pédagogies, on ne peut s'empêcher de remarquer que les philosophes    ou les pédagogues les plus hardis du passé les ont formulées. Mais elles en sont restées au stade utopique dans les oeuvres d'un Rabelais, d'un Montaigne, d'un Comenius et d'un J.J. Rousseau. « L'Emile » est le type achevé de l'utopie pédagogique, ceci soit dit sans aucun sens péjoratif, bien au contraire. Les possibles d'une oeuvre comme celle-ci    n'attendaient que leur mise en application par les pédagogues du type réaliste et pratique. Ceux-ci ont commencé à apparaître avec REDDIE. Ils ont ouvert des écoles en dehors des cadres officiels : Abbotsholme et Bedales en Angleterre, Haubinda, Biberstein et Hilsenbourg, l'Odenwald en Allemagne, Les Roches et Vence en France, l'Institut Bakulé à Prague, Uccle en Belgique, Winnetka aux E. U, pour ne citer que les plus marquantes. Ce sont là des creusets pédagogiques et voilà la caractéristique essentielle de notre époque : aux pédagogies nouvelles correspondent, des écoles nouvelles. Elles sont des centaines alors que dans le passé nous ne pouvons guère relever que quelques noms comme ceux d'Yverdon et de Stanz (Pestalozzi). 

L'Education Nouvelle ne manque donc pas de passé et quand on l'oppose à l'éducation traditionnelle c'est à une tradition figée, privée d'élan vital. Comme les institutions publiques ont plus tendance que les créations individuelles à se scléroser, l’antithèse : école traditionnelle et école nouvelle, s'est nuancée d'une opposition école officielle et école nouvelle. Il est exact que dans les premiers temps les novateurs ont rencontré l'incompréhension. Que d'obstacles ont été jetés sous leurs, pas quand ils appartenaient à l'enseignement public. N'est-ce pas BAKULÉ, n'est-ce pas FREINET ? Cette époque est aujourd'hui révolue, mais en raison même des triomphes arrachés de haute lutte par les maîtres, en bien des pays l'éducation nouvelle inspire les instructions et les programmes officiels, ou bien elle va jusqu'à dicter ses directives, (Turquie, Russie, Belgique). 

Face à la civilisation : 

L'analyse précédente a suffisamment montré que l'Education Nouvelle répondait aux besoins de la société d'aujourd'hui ainsi que le recommandait Ferrière. Cependant nous pouvons encore aller au delà et dire que l'Education Nouvelle baigne en plein dans la civilisation moderne, portée par ses élans, préoccupée de ses inquiétudes, à la recherche de formes neuves mais encore difficiles à expliciter. Le thème mériterait de longs développements. Ils ont leur place dans l'étude de détail des Ecoles Nouvelles et de leurs promoteurs. Quelques indications sur les grandes lignes suffiront ici. 

A) Ce qui est tout à fait d'aujourd'hui : 

A une civilisation de caractère politique correspond la recherche nettement avouée de la formation de l'homme poli tique, à l'extension de la démocratie le besoin de lui donner des bases spirituelles et l'élite susceptible d'apprendre à diriger, organiser, prendre des initiatives, la sauvegarde du bien commun. Dans tous les pays, démocratiques et surtout chez les Anglo-Saxons qui sont le plus évolué politiquement, les nouvelles méthodes d'éducation et spécialement celles du Self Gouvernement peuvent être considérées comme le moyen d'assurer une vie politique saine en même temps qu'une véritable efficience sociale (cf. le livre ancien niais toujours d'actualité de Demolins : « A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons ».) 

Une autre tendance se révèle dans les pédagogies ouvrières, telles que la pédagogie jociste et la pédagogie soviétique qui, toutes deux, répondent à un besoin de libération de l'homme, à une luttte, contre l'aliénation de la nature humaine. Ces pédagogies en réaction contre l'acquis de la culture jugée bourgeoise, aspirent à retrouver les sources de la pleine vie, elles se tournent vers l'avenir et les problèmes de création plutôt que vers le passé et les problèmes d'assimilation. Tel était bien aussi l'idéal des « Wandervogel » au moment de leur création. 

Enfin, une civilisation qui met au premier plan les techniques, trouve son reflet dans le vocabulaire d'un assez grand nombre de pédagogues, qui, au lieu de « méthodes », ont préconisé l'application de plans ou de techniques. Le Plan Dalton imaginé par Miss Pankhurst, offre à chaque enfant le moyen d'établir le bilan des connaissances à acquérir et des connaissances qui restent à assimiler et de contrôler ainsi ses propres efforts. Le Plan de Winnetka résume l'effort de milliers de pédagogues qui, sous la direction de WASHBURNE ont cherché à rationaliser l'enseignement, en l'adaptant si minutieusement à chaque élève que celui-ci puisse étudier seul par les procédés de l'enseignement individualisé et se livrer à un travail auto-correctif. 

La technique de l'Imprimerie à l'Ecole telle que l'a lancée FREINET est, dans sa pédagogie, un moyen associé à d'autres, d'abord pour adapter l'école au siècle de la vitesse et de la machine et, en outre, pour résoudre le problème matérialiste de l'organisation scolaire, problème d'une telle importance que, s'il n'est pas résolu, tout l'avenir de l'école en est compromis. 

B) Ce qui est proprement de demain 

Cette civilisation dont nous parlons est en cours d'évolution et elle manque d'unité L'homme se demande, inquiet, s'il doit poursuivre ou revenir en arrière. Il étouffe parfois dans le monde de la technique industrielle et au milieu des foules immenses qui travaillent dans les métropolis modernes. Il aspire tout à coup à la fraîcheur des sources et des ombrages, au calme des champs, aux beautés sereines ou altières de la montagne et de la mer. Il rêve d'évasion et d'équilibre. Les fondateurs des Ecoles Nouvelles ont tous compris ces impérieux besoins et ils ont agi autant en médecins qu'en pédagogues pour préserver l'enfance des maux des villes et des dangers de la civilisation. Presque toutes les Ecoles Nouvelles ont été des Ecoles Nouvelles à la campagne, des Ecoles de plein air, des Ecoles de soleil, des Ecoles à la montagne ou des Ecoles sous bois, où l'on pratique une vie saine et naturelle. 

Le Scoutisme, lui aussi, ramène les enfants des villes à la campagne. Et il ne faut pas omettre ici de citer le grand nom d'HÉBERT, trop souvent oublié, dans les ouvrages consacrés à l'Education Nouvelle et si peu suivi par ceux qui se prétendent ses disciples. HÉBERT rejoint Mme MONTESSORI. Il se fait l'apôtre d'un retour à la nature, cadre d'une éducation intégrale si l'on sait conserver à l'enfant, par la Méthode naturelle, sa liberté d'action et sa joie au travail. 

Pourtant il y a une part de l'évolution qu'on n'élude pas et cet avenir pose de nouvelles exigences aux écoles modernes. Notre civilisation industrielle et technique s'oriente de plus en plus vers une forme socialiste très différente de la structure capitaliste d'hier. Et encore, quand nous écrivons « socialiste » nous n'en marquons pas l'essence que rendrait beaucoup mieux le mot de « travailliste ». Si jamais, comme le pense DE MAN, l'idée socialiste arrive à fonder une culture ayant pour base le travail humain créateur, alors auront été vraiment des écoles nouvelles celles qui, dans leurs programmes, dans leur esprit, auront fait une large place aux activités manuelles, à l'étude des métiers et à l'humanisme ouvrier, celles qui, répondant au vœeu de PROUDHON, seront devenues « écoles polytechniques », « ateliers », « laboratoires », menant de l’œuvre des mains aux idées, d'un petit monde de coopération et de division du travail à l'humanité agissante et pensante. Quelles que soient les idéologie politiques, avouées au non, quelles que soient aussi les valeurs qui sous-tendent l'humanisme des différentes écoles, aucune pédagogie nouvelle ne manque soit d'élargir considérablement le rôle du travail manuel (Winnetka), soit d'en faire le point de départ des études intellectuelles et spirituelles (cf. le programme de Segaon de Gandhi, le programme de Tolstoï), soit de lui demander l'indépendance économique de la société d'enfants (école soviétique, école de Gandhi, école de Bakulé), soit encore une élevation vers l'art (Bakulé), ou une humble philosophie du travail et de la condition ouvrière (Decroly et Freinet). Ce dernier point de vue est certainement le plus vrai de tous. Comme l'écrit FREINET :

« L'école de demain sera l'école du travail. Cela ne signifie pas ni qu'on utilisera le travail manuel comme illustration du travail intellectuel scolaire, ni qu'on s'orientera vers un travail productif prématuré ou que le préapprentissage détrônera à l'école l'effort intellectuel et artistique. Le travail, sera le grand principe, le moteur et la philosophie de la pédagogie populaire, l'activité d'où découleront toutes les acquisitions. » (« L'Ecole moderne française », p.14.)

Toutes ces doctrines indiquent un renouvellement de l'humanisme. L'Ecole populaire (et même l'école secondaire) renonce de plus en plus à servir l'idéal étroit de l'humanisme intellectualiste et rationaliste hérité du XVIIIe siècle. Une conception beaucoup plus large, un réalisme aigu qui comprend bien mieux les rapports de l'âme et du corps, du cerveau et de la main, le besoin nettement senti de retrouver le contact avec la nature et de s'évader d'un univers par trop technisé, l'aspiration vers une vie spirituelle plus vraie et plus profonde, tout cela fait que l'éducation est à la recherche d'une culture renouvelée et d'un humanisme nouveau. Pour l'heure la synthèse n'est pas encore faite ; on en trouve les éléments dans les mouvements que nous avons passés en revue.

 

CONCLUSION 

Nous voilà parvenus au terme d'une explication qui nous a permis de mettre un contenu positif sous le vocable d'Ecole Nouvelle. Il nous a fallu pour cela écouter la revendication morale la plus impérieuse de notre temps prononcée au nom des droits de l'enfant, puis examiner comment l'attention se concentrant sur lui, la pédagogie se rattachait à la science et prenait un tour de plus en plus expérimental. Puis, par un retour à la philosophie, nous avons montré comment les Ecoles Nouvelles, séduites par les recherches techniques, de notre civilisation, emportées par le gigantesque effort humain qui se magnifie dans le travail, se trouvaient ainsi devenir des postes avancés, d'où se découvrent de nouvelles conceptions du monde, où s'engendre un humanisme rénové. Ainsi se lève toute une pléiade d'apôtres qui sont à l'extrême pointe d'un mouvement puissant qui vise à la régénération de notre vieille humanité. C'est cette conviction que Romain Rolland exprimait en écrivant pour le 50e numéro de l’« Ere Nouvelle », ce court manifeste :

« La question de l'Education Nouvelle est la plus grande du temps présent. Elle ne doit, être rien moins qu'une réforme de la vie profonde, analogue à celle du XVIe siècle, une puissante hérésie qui renouvelle les forces vitales d'Europe et d'Amérique, étouffant sous la gaine d'idées pétrifiées, de progrès mortels L'esprit est astreint dès l'enfance à un automatisme absurde aux mains de gardiens d'abus. Il y a un besoin urgent d'air riche et de soleil, de confiance en soi, de raison virile et sereine qui use harmonieusement de sa saine liberté. Il ne pourra la conquérir sans luttes. Trop d'abus anciens et nouveaux ont intérêt à enrayer le réveil de l'âme et lui barrent la route avec de pseudo vérités mortes et meurtrières. Mais c'est à tous les hommes, à toutes les femmes de raison et de cœur, sains, honnêtes et robustes, d'oser faire leur choix entre ses libérateurs et ses oppresseurs masqués. » 

APPENDICE 

MEDICI (ANGÉLA) : L'Education Nouvelle. 

Deux méthodes s'offrent à l'éducateur pour étudier l'éducation nouvelle : se familiariser avec chacune des doctrines d'Education Nouvelle en ayant recours aux oeuvres originales des plus grands pédagogues de notre temps ou bien prendre d'abord une vue d'ensemble du mouvement qui mettra en évidence les principes généraux puis illustrera leur application par référence à un Decroly, un Bakulé, un Lietz, etc... La première voie serait préférable si nous avions la possibilité de passer de la théorie à la pratique expérimentale. Condamnés à une étude livresque, il vaut mieux aller de l’ensemble au particulier. La thèse d'Angéla Médici, soutenue il y a cinq ans en Sorbonne, constitue alors le meilleur ouvrage qui puisse nous servir par un premier contact avec la pédagogie nouvelle. L'architecture du livre, oeuvre de psychologue, et non de pédagogue est très simple : dans une sobre introduction, une vue d'ensemble de tous les mouvements d'Education, Nouvelle, puis l'étude d'une lignée : la lignée latine de l'Education Nouvelle : un initiateur philosophe, Condillac (XVIIIe siècle) ; deux médecins français, éducateurs d'anormaux, Itard et Seguin (XIXe siècle), et enfin, deux grands pédagogues étrangers, instruits par les Français : la doctoresse Montessori et le docteur O.Decroly (XXe siècle). Le livre d'Angéla Médici donne, d'après des ouvrages aujourd'hui introuvables, d'excellents aperçus sur ce qu'ont fait Itard et Seguin (de ce dernier on peut tout de même avoir une idée par les extraits de son Education physiologique publiés chez Flammarion). Après les deux chapitres qui sont consacrés aux fondateurs on peut suivre de très près le « système » Montessorien et l'« éducation » Decroly. Laissant au lecteur le soin d'analyser plus avant le livre, nous proposerons plusieurs points à sa méditation. 

- Il convient d'abord de se demander si la philosophie de Condillac, qui a pu être celle d'Itard, est encore l'inspiratrice de Séguin. En tout cas, elle n'est certainement plus celle de Decroly par ailleurs résolument opposé par sa psychologie (globaliste) à l'associationisme de Condillac. 

- Il ne faut pas méconnaître non plus qu'on pourrait suivre, aussi une toute autre lignée latine. La philosophie à placer dans le sens de celle-ci serait celle de Maine de Biran. On y verrait figurer comme pédagogues Pestalozzi, le P.Gérard et au terme Freinet. 

- Il s'agit aussi pour le lecteur d'arriver à une appréciation plus équitable du système montessorien qui n'a guère d'applications au-delà de la petite enfance et se trouve en concurrence avec la pédagogie plus simple de nos écoles maternelles (influence de Mme Kergomard). 

- Enfin, on pourra s'arrêter longuement sur la tension qui, en Education Nouvelle, oppose le point de vue individualiste au point de vue sociologique et apprécier ainsi la synthèse provisoirement réalisée à Uccle par Decroly. 

Le livre d'A.Médici est un acte de foi dans la vitalité de la pensée française. Espérons justement qu'il permettra à plus d'un instituteur de revenir à une pédagogie vivante. 

 

Histoire des mouvements d'Education Nouvelle

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 OBSERVATIONS. - Nous ne citons ici que les ouvrages importants. De courtes notes indiquent la valeur et la portée de ceux-ci. Nous nous limitons volontairement aux œuvres écrites en langue française.

 1 EHM (ALBERT) : L'Education Nouvelle, ses principes, son évolution historique, son expansion mondiale. Paris, Alsatia, 1938, in-8.

 Exposé le plus complet qu'on puisse trouver sur l'ensemble de la question. Contient un nombre considérable de citations étendues empruntées aux ouvrages d'Education Nouvelle. En revanche, thèse peu personnelle.

 2. MÉDICI (ANGÉLA) : L'Education Nouvelle. Paris, Presses Universitaires, 1940, in-8. 

Oeuvre beaucoup plus philosophique, et plus proche de l'expérience pédagogique que la précédente. Elle est consacrée uniquement à suivre une lignée : Condillac, Itard, Seguin, Montessori, Decroly. On souhaiterait beaucoup d'ouvrages semblables sur les différents mouvements qui constituent l'Education Nouvelle. 

3. MÉDICI (ANGÉLA) : Les progrès de l'Education Nouvelle. Paris, Presses Universitaires, 1940, in-12. 

Un petit volume de la Collection « Que sais-je ». Sous une forme mince, il constitue un excellent précis d'Education Nouvelle.

 4. BOUCHET (HENRI) : L’individualisation de l'Enseignement. Paris, Alcan, 1933, in-8. 

Thèse remarquable sur la philosophie de l'Education Nouvelle. Elle appartient plutôt à la section des méthodes, néanmoins elle donne de nombreux et utiles renseignements historiques.

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