Brochure d’Education Nouvelle Populaire

n°66-67 / Novembre-Décembre 1951

LUCIENNE MAWET

Initiation vivante au calcul

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LUCIENNE MAWET

Initiation vivante au calcul

Situons le problème de calcul à l’école primaire
Où en est la rénovation ?

La rénovation pédagogique est déjà avancée pour le dessin libre le texte libre et même son exploitation. Quant aux ressources du milieu, leur utilisation a été déformée par une application hâtive, trop systématique et encore dépourvue du sens éducatif qu'on voulait lui donner.

C'est l'initiation au calcul qui tourmente le plus les maîtres, surtout ceux des premiers degrés. Nous les entendons souvent faire des réflexions de ce genre :

« Le dessin, le français, cela donne, mais comment raccrocher le calcul ? »

Lorsque l'enfant est familiarisé avec les éléments du calcul, qu'il a le sens des opérations élémentaires, le travail est plus aisé car il y a bien, dans chaque situation, quelque opération à trancher. Mais c'est précisément l'acquisition de ces éléments qu'il semble difficile de faire acquérir naturellement sans pression extérieure. Comment pourrait-on, à partir des tendances si subjectives et si vaporeuses du petit enfant, faire jaillir l'étude du calcul par lui-même précis et objectif ?

Généralement, les novateurs répondent : « Puisez dans la vie ! Faites agir les enfants ! »

Les diverses brochures traitant de l'initiation au calcul commencent par insister sur le besoin de calculer activement et en commentent les bases psychologiques. Elles complètent ensuite leurs directives par une série de représentations graphiques des nombres plus ou moins suggestives et par une suite de jeux d'initiation.

Le jeune instituteur pressé de réaliser (il a peu expérimenté, il n'a pas eu l'occasion de constater les ravages d'un mauvais départ en calcul) croit que ces procédés satisfont réellement les besoins de l'enfant et se met, à grand renfort de carton, à préparer des jeux de calcul. En classe, à côté de représentations arbitraires sur lesquelles il accomplit ou fait accomplir maintes opérations, il apprend aux enfants à compter en les amusant, ou plutôt en les distrayant de la vie avec des jeux. Quelle trouvaille ! Apprendre en jouant : formule qui sape et ridiculise la modernisation pourtant si urgente de nos travaux d'éducation.

Est-ce la vie, est-ce l'action, un feuillet couvert de canards groupés de toutes manières ?

Est-ce la vie, une série de dominos, de fruits qui finissent par embrouiller la vue ?

Mais il avait été question de canards au cours de l’entretien ou bien les enfants avaient groupé 10 pommes. Il fallait les représenter... Ne faut-il pas fixer une représentation mentale ?

Ces points de départ dits « vivants » et qui n'ont rien de commun avec les actes d'adaptation qui caractérisent la vie, sont alors suivis d'une quantité disproportionnée d'exercices systématiques qu'ils semblent avoir suggérés. Ils constituent tout bonnement un camouflage plutôt grossier des pratiques d'un enseignement qui s'applique de l'extérieur, sans égards aux tendances de l'enfant.

La formation à même la vie ne s'effectue pas en l’espace de quelques minutes, par la répétition journalière d'une espèce de travail trilogique amusant :

1) On évoque (sans le ressentir) un aspect vivant
2) On dessine 3 canards ‑ 6 canards ‑ 10 canards, etc...
3) On écrit : 3 canards + 2 canards = 5 canards, etc...
Par exemple :
1) Marie raconte que ses canards vont à la mare ;
2) On dessine 3 canards ‑ 6 canards 10 canards, etc...
3) On écrit : 3 canards + 2 canards = 5 canards, etc...

Et l'on se croit ainsi à l'abri du verbalisme. Certain d'avoir bâti sur le travail vivant, on escompte avec confiance les résultats favorables.

Ce n'est cependant pas une initiation vivante. Pour ce genre de travaux inutile de parler de ta vie. Ils se dérouleront de la même façon et avec autant de plaisir de la part de l'enfant si l'institutrice suggère simplement « dessinons des canards ».

Et nous aurons épargné aux méthodes modernes d'éducation un camouflé dégradant.

Une éducation solide représente tout autre chose. Tout comme l'enfant construit sa langue, il construit ses nombres qui en sont un aspect. Et, cela, par l'expérience tâtonnée que nous retrouvons à la base de toute acquisition humaine. N'invoquez pas comme excuse que certains milieux la rendent impossible. Il est des ambiances optima mais, partout, l'enfant tente son expérience et y revient malgré nous. Si nous restons inattentifs et sourds à ses assauts, nous l'obligeons à bâtir sur des bases branlantes qui menacent à tous les moments de sa vie l'unité de sa personnalité (Lire Psychologie sensible de C. FREINET. Editions de l'Ecole Moderne, Cannes.).

« Mais, objectera-t-on encore, l'école n'est pas tout ; l'enfant conduit parallèlement son expérience hors de l'école. »

Fort heureusement !

Il est pourtant vrai que si les contacts avec la nature et la vie enrichissent l'enfant, ils ne constituent qu'un fond de richesses (irremplaçables, sans doute) une accumulation de possibilités qu'il faut intellectualiser et socialiser pour que l'individu accède aux lumières et aux pouvoirs de l'homme conscient.

 

Dégageons le processus vivant et naturel

Rendre conscient, c'est le grand problème. Chacun peut se rappeler de ces prises de conscience qui l'ont secoué. J'ai moi-même travaillé longtemps avec mes enfants sans me rendre compte de l'importance du changement qui s'opérait clans ma façon de faire la classe.

Un inspecteur éclairé et sensible nous a placé dans un milieu propice, il ne nous a plus demandé ni horaire, ni préparation, ni règlement. Il venait nous voir ; il se disait heureux et à l'aise parmi nous. Il faisait des réflexions qui nous allaient droit au cœur. Il s'émerveillait et nous continuions à travailler avec confiance. Jusqu'au jour où il amena des collègues pour nous voir. Alors, il fallut répondre, justifier... on nous critiqua... et nous nous sommes inquiétés. Nous avons cherché, nous avons lu. Freinet m'a dit : «  faut écrire ce que tu fais en lecture globale. » Et nous avons collaboré plus étroitement avec la C.E.L. Nous avons pris conscience et nous avons perfectionné, expérimenté. Notre travail est devenu moins tranquille, moins paisible, mais plus fructueux.

C'est également le groupe, la nécessité de compter avec lui qui rendront l'enfant conscient.

D'abord sans se sentir arrêté, sans apercevoir d'obstacle devant la considération du nombre qui se dit ordinal ou cardinal, continu ou discontinu, l'enfant envisage les choses sous l'angle de la place qu'elles occupent de leur quantité, leur grandeur suivant son point de vue momentané et il accroche ces qualités aux choses.

C'est ce qu'il traduit par des termes du langage : ici, là-bas, le premier, le dernier ; un peu, beaucoup ; grand, petit, trop petit, trop grand.

C'est le premier contact : l'enfant sent le nombre.

Il a la nécessité de rassembler, comparer,. répartir, partager ; la découverte d'une disparition, d'un excès l'orientent vers la précision. Il nous appartient de favoriser ce besoin.

La vie en commun, le travail collectif imposeront la quantité exacte qui se traduit par le nombre. Dans une ambiance continuelle de travail collectif naturel, l'enfant va construire les quantités et les nommer. Sans cesse, il sera amené à comparer, à compter, à grouper pour découvrir une quantité qui correspond à une autre quantité et, plus tard, à un mot (le nombre) afin d'organiser le travail, de réclamer sa part d'activité, de défendre ce qui lut revient, de revendiquer la valeur de ce qu'il a produit.

Là, il y a la vie agissante, pratiquement, affectivement, mentalement.

Il faudra toujours penser plus vite parce que la vie veut que l'être se surpasse, aille de l'avant.

Sans cesse, l'enfant aura compté, comparé, nommé la quantité qui s'installe en lui par expériences successives,

Puis il raccourcit, il contracte son expérience ; il groupe, il automatise peu à peu parce que joue en lui cette loi d'économie que l'être vivant applique si vite et si bien.

Mais, j'insiste sur ce point ; l'enfant aura baigné dans une ambiance de travail et de nécessité qui utilise, encourage, exerce et provoque les expériences, sans jamais imposer de l'extérieur une représentation ou un vocable creux. Les expériences se sont simplement étagées, organisées suivant l'impulsion, le rythme personnel favorisés par le milieu vivant.

Voici deux expériences :

- La première, réalisée par Antoinette Gréciet, à Angers, dans une classe enfantine (4 ans et demi à 6 ans) et condensée dans les termes du rapport présenté à Nancy.

- La seconde, réalisée dans une école belge à deux classes ; comprenant les enfants de 3 à 14 ans, plus détaillée, afin de montrer les possibilités de réaliser le milieu vivant, est accompagnée de réflexions mûries tout au long d'un travail commencé depuis 1931.

Calcul vivant avec des petits
de 4 ans 1/2 à 6 ans

Etant entendu que les Acquisitions scolaires sont :

Pour les classes traditionnelles, l'objectif n°1 et, pour les classes nouvelles, la résultante normale des nombreux tâtonnements de l'enfant, ainsi que de ses expériences découlant de la vie de la classe, je n'ai fait cette année, depuis la rentrée d'octobre, que du calcul vivant.

Voici l'ensemble de ce qui a été fait :

Pour plus de clarté, j'ai classé les différents exercices en exercices ou petits problèmes permanents ou journaliers, hebdomadaires, mensuels ou occasionnels.

1° EXERCICES OU PROBLÈMES JOURNALIERS
POSÉS PAR L'ACTIVITE NORMALE DE LA CLASSE

L'imprimerie (feuilles, lignes, caractères) et comparaison avec le texte ou les textes précédents ainsi qu'évaluation pour la composition.
Le calendrier (chaque enfant ayant son calendrier particulier à feuille journalière, c'est très important, ceci permet l'alignement chaque matin sur table, le classement dans une petite enveloppe portant le nom du mois et toutes les acquisitions qui en découlent, qui ne sont apparemment pas du calcul et qui préparent cependant le sens de l'histoire).
Le thermomètre (avec, pour permettre des comparaisons, deux ou trois thermomètres placés dans des points différents de la classe et aussi de l'école et dehors).
Les absents et les présents (les enfants en tiennent eux-mêmes le compte, ce qui leur permet encore des comparaisons).
L'installation des enfants pour le chant, pour la danse (les groupes de filles et de garçons : importance, différences ; le comptage par bancs, les couples).
Les oeufs pondus par les poules.

2° EXERCICES HEBDOMADAIRES

Les oeufs pondus dans la semaine (on totalise chaque samedi, on garde les feuilles qui présentent chacune une addition et on compare, on fait des différences).
La vente des oeufs (deux variétés de poules nous pondent des oeufs très petits et très gros : deux petits valent un gros d'où, possibilités de calcul).
La caisse de la coopérative (le compte de la semaine, comparaison, projets d'achat) et aussi transformation de la monnaie en billets. Les additions de billets.
Le calendrier météorologique (les jours de pluie et de soleil de la semaine, de la semaine précédente).
Le calendrier (l’événement de la semaine que nous notons en regard du jour intéressé sur le calendrier que nous reconstituons à mesure que nous enlevons le feuillet du calendrier collectif qui est dans la classe).
Le papier à vendre (les enfants apportent des vieux papiers pour les vendre ensuite au profit de leur coopérative ; ils les pèsent puis les groupent par kilo, ce qui est l'occasion d'amener tout naturellement une notion abstraite).
La pesée de l'animal en cours de croissance.
La pesée des rations de graines pour les poules et pour la semaine (évaluations approximatives, puis précises en poids et aussi en volume).

3° EXERCICES MENSUELS

Le calendrier météorologique (récapitulation générale des jours de pluie, de beau temps, de ciel gris et comparaison avec les mois précédents).
Le calendrier et les événements (les semaines complètes, incomplètes, etc...)

 

4° LES PROBLÈMES OCCASIONNELS

Les gâteaux d'anniversaire (nous fêtons l'anniversaire de chaque enfant, ce qui pose beaucoup de petits problèmes : la grandeur des gâteaux, les parts, le couvert, la date...)
Les plantes en croissance (les enfants de ma classe avaient, cette année, un oignon de jacinthe par groupe de quatre : achat des oignons, pousse des racines, des feuilles, des fleurs ; les enfants se passionnaient pour les comparaisons que cela permettait et nous avons eu là l'occasion d'amener une autre abstraction parce qu'elle était nécessaire : le double décimètre). La richesse de cet exercice nous a décidés à entreprendre des semis (en chambre, hélas !) en quantité et dans des bacs à semis. Il est aisé d'imaginer tout ce qui sortira de là comme possibilité d'exercices.
La pousse des feuilles et l'éclatement des bourgeons sur les arbres de la cour on du boulevard (comparaison, comptage des jours).
Les nuages . : leur course un jour de tempête (vérification avec le pendule Decroly).
Les maladies des enfants (durée correspondant à une certaine quantité de travail fait par les présents ; évaluation exacte des jours d'absence grâce au calendrier individuel et collectif).
La poule couve : nous laissons une poule couver au printemps et nous calculons les 21 jours d'incubation.
Les devinettes, jeux et compétitions de temps à autre, permettent à la maîtresse de vérifier où en sont ses enfants. Ils sont accueillis favorablement par les petits. Je ne les détaille pas :: ils s'inspirent de tout ce que l'on connaît comme méthodes actives.

5° LES PROBLEMES OCCASIONNELS AMENÉS PAR LES.ÉVÉNEMENTS INATTENDUS

Cette année :
Les cordons de tirage de tous les rideaux ont été remplacés : évaluation de hauteur, de longueur, le mètre.
Un achat important : objectif de la coopérative, un réveil que les enfants remonteront eux-mêmes (nous nous sommes informés des prix chez plusieurs horlogers, puis nous avons amassé patiemment la somme - il nous fallait 800 fr.)

Initiation au calcul chez l'enfant de 4 a 12 ans

Créer l'ambiance.

Maintenant que cette idée de calcul s'est à peu près cristallisée dans mon esprit, me voici en train de rassembler les instants de calcul épars dans l'ambiance de notre école. Cela risque de ne pas donner la note juste.

Je crois cependant qu'après avoir pressenti l’ensemble des activités de la classe, en éducateurs qui avez vécu avec des petits enfants, vous sentirez la vie cheminer dans chaque exemple traitant du calcul. Vous pourrez, en songeant aux possibilités de vos milieux particuliers, vous pénétrer de la grande simplicité, mais aussi de la sollicitude constante et attentive qu'exige cette lente ascension de l'enfant vers une vraie formation spirituelle.

Notre souci essentiel, en commençant l'année scolaire, est de mettre en branle tous les genres d'activités possibles pour lesquelles nous équipons matériellement nos classes.

Nous familiarisons l'enfant avec les techniques afin qu'il les mette au service de son expression, qu'il les utilise avec aisance, qu'il soigne et range le matériel, et qu'il se sente, en classe, dans un milieu ou tout peut, grâce à ce qu'il dit et ce qu'il fait, prendre une forme et une signification.

Faut-il retracer la liste des techniques mises au point par Freinet et la C.E.L. ?

Vous les avez retrouvées dans l'expérience qui précède, vous les reverrez dans celle-ci et, d'ailleurs, toutes celles qui seront énumérées ne sont pas indispensables pour commencer le travail de rénovation.

Mais, chaque fois, sera d'abord citée la technique la plus facile à introduire dans n'importe quelle classe située à la ville ou à la campagne, celle qui, sans, demander une adaptation trop bouleversante, introduit dans les classes une ambiance de vie si bienfaisante et si subjective, c'est-à-dire :

L'expression grâce à l'imprimerie et aux échanges interscolaires.
A l'expression motivée par les échanges et le journal mensuel réalisé grâce à l'imprimerie, il faut joindre :
- L'expression par toutes les techniques d'illustration : linogravure, reproduction au limographe, au tampon, illustration à la bruine, avec silhouette en caoutchouc, découpage et collage, etc... afin d'illustrer le texte,
- L'expression par le dessin : au crayon, colorié à l’aquarelle, au pinceau sur papier grand format...
- Par le modelage : plastiline, terre plastique, plâtre coulé, modelé ou gravé...
- Les créations par les constructions de toutes espèces avec planches, blocs, carton papier...
- Par les travaux de tapisserie, de couture...
- L'expression par le théâtre : le mime, la dramatisation, les jeux, les chants, le guignol.
Le travail de culture au jardin et d'élevage avec l'aquarium et le vivarium.

***

Je parviens à mettre en activité ces diverses pratiques en exploitant le plus vite possible un thème qui me fournit l'expression spontanée de l'enfant par son dessin commenté, sa conversation, ses instants de sensibilité... Le thème se développe et s'épanouit dans la réalisation d'un album ou d'une dramatisation ou de dessins ou d'autres productions artistiques ou de plusieurs aspects à la fois.

Peu à peu le travail s'organise, la classe vit les habitudes de répartition, de travail en équipes ; les charges s'installent ; d'autres activités, comme le calendrier, s'introduisent par nos relations avec la vie extérieure et, nous organisons, nous désignons les emplacements les plus pratiques, nous nous installons en vue des thèmes et des travaux qui se succèderont.

Toujours, l'enfant fournit le sujet, l'étincelle ; le milieu accueillant, suggestif et outillé développera les travaux qui magnifient sa création.

Voici deux exemples de thème développé chez les petits de 4 à 6 ans : 

LES INDIENS

Un matin, en entrant en classe, Louis s'installe immédiatement à sa place et retire de sa poche un agenda sur lequel il se met à dessiner. Comme d'habitude, les enfants s'expriment et racontent mais le plus fort contingent entoure Louis qui continue à dessiner... des indiens. Je pensais : « voilà un sujet bien éloigne d'eux. » N'importe, tous se mettent à dessiner des indiens : le camp des indiens, des indiens àa cheval, l'indien avec sa hache et son arc, l'indien dans sa. tente et... les conversations allaient bon train.

- Le mien, il dort...
- Moi, il part à la chasse...
- Ici, c'est sa tente, l'indien dort, c'est le camp...
Et, intervenant :
- Je n'ai jamais vu un camp d'indiens..
- Oh ! moi si, au cinéma !
- Sur une image.
- On peut faire un camp ?
- Bien sùr !
- Il faut des tentes.
- Voilà des feuillets de papier, échantillons de papier à tapisser d'environ 60 sur 40 cm.

Tous se mettent à plier, à rouler, à essayer de faire tenir en équilibre une tente de leur fabrication. Ils y découpent des ouvertures, y attachent un drapeau. Sur la table à modeler, une dizaine de tentes sont disposées. Ils campent des indiens en plastiline auprès des tentes, découpent leur chapeau à plumes dans du papier de couleur. Ils installent le feu de camp, avec une marmite suspendue à 3 pieux. Ils font serpenter les sentiers d'une tente à l'autre avec de petites planchettes, et y ajoutent encore les chevaux, les haches, etc... L'animation est grande autour du camp pour maintenir en bonne place tous les occupants.

En collaboration avec eux, je participe aux explications, je procure les mots et le matériel nécessaire aux réalisations.

Et puis, avec les aînés, nous rédigeons le texte.

L'après-midi, pendant qu'une équipe imprime le texte, d'autres continuent à coudre les marionnettes commencées, lorsque Freddy déclare : « Moi, je l'habille en indien ». Vite, du tissu à carreaux, des franges découpées dans du papier et l'indien prend forme. Les filles veulent réaliser des indiennes, un échantillon de cretonne pour la jupe, de longues tresses en laine noire et voilà... Un petit cheval en peluche parmi les jouets des petits, convient très bien pour la chevauchée ; Indiens et Indiennes sont installés à califourchon sur le coursier qui galope au rythme des : ad jid ji ! ah ! ouh ! ah ! soulignés par des claquements de mains, cadencés tandis que des histoires sans fin motivent la course.

 

LA MECHANTE POULE

Ce matin-là, les conversations se déroulaient à propos des petits animaux domestiques.

- Moi, mon chat...
- Moi, mes bèbettes...
- Moi, j'ai aussi un chat...

Lorsque, tout à coup, Louis raconte avec animation, et d'un trait, l'histoire suivante : « A la maison, on a mis les deux chevrettes dans l'enclos. Mon chat va aussi dans le poulailler ; il va avoir des petits jeunes. Et la méchante poule l'a becqueté. Les bébettes étaient fâchées, elles ont couru après la méchante poule qui s'est envolée dans son nid. Mais il y avait une autre poule dans le nid ; elle pondait un oeuf et elle a fait tomber la méchante poule. Alors les bébettes ont couru, couru après la méchante poule et elles l'ont mangée. »

Tous les petits écoutent, captivés par tout ce drame que Louis évoque avec des gestes animés.
L'histoire terminée, personne ne dit mot et je conclus : c'est l'histoire d'une bien méchante poule.
Si nous jouions l'histoire du chat et de la poule ?
- Oui ! Oui !
- Qui fera le chat ?
- Moi ! Moi !
Qui fera la chevrette ? L'autre chevrette ? La poule ? etc... Tous les petits seront des poussins.
Les voilà, tous en scène, nous discutons de la place de chacun, nous nous installons et nous commençons.
L'histoire se situe. Chacun prend possession des lieux et de son rôle grâce à la conversation qui s'engage entre nous tous et aux attitudes suggestives que les enfants proposent.

- C'était un jour de printemps dans l'enclos du poulailler de Louis.
Qui se trouve dans ce poulailler ?
- Moi, moi ! les petites chèvres
- Faites comme les chevrettes !
Que font-elles ?

Le texte de toute l'histoire vous montrera que nous parlions à tour de rôle. Les enfants racontaient, je continuais ; je questionnais, ils répondaient ou bien c'étaient eux qui me demandaient et moi qui indiquais. Ils mimaient, évoluaient, imitaient le cri des bêtes.

Lorsque le chat, les poules, les chevrettes se déplaçaient, j'introduisais un chant lent ou précipité pour qu'ils se déplacent à la cadence de leur intention.

Et voici l'essentiel de notre saynète :

C'était un jour de printemps, dans l'enclos du poulailler de Louis.
Les chevrettes avaient bien bu du lait de leur maman et se reposaient.
Bêê !! Bêé ! Bêê !
Les poulets dormaient au soleil. Tchip ! Tchip ! Tchip !. La poule buvait.
Cotcotcot ! codak !
La chatte était aussi venue se promener. La voici, la chatte, c'est Poussette.
Chant (pendant que la chatte se promène)
C'est la mère Michel
Qui a perdu son chat.
Elle crie par la fenêtre
A qui le lui rendra.
La chatte se promène :
Miaou ! Miaou !
Non, elle ne se promène pas.
Elle cherche une place pour faire ses jeunes.
Miaou ! Miaou !
- Ici, Poussette, tu seras bien !
- Non, il ne fait pas chaud.
Miaou ! Miaou !
- Ici, veux-tu ?
- Non, il fait trop clair, on prendrait mes petits. Miaou ! Miaou !
- Ici, alors, dans ce petit coin sombre.
- Ah oui, la place est bonne, je vais m'y coucher.
Mais la méchante poule qui buvait à l'abreuvoir, avait vu la chatte arriver :
Cotcotcot ! codak !
(elle vole vers elle)
Chant
(pendant que la poule marche
pour rejoindre la chatte)
Quand trois poules s'en vont au champ,
La première va devant,
La deuxième suit la première,
La troisième c'est la dernière.
Quand trois poules s'en vont au champ,
La première va devant.
Cotcotcot, codak !
Que vient faire cette chatte ici dans ma maison ?
Cotcotcot, codak !
Si elle prenait mes poussins ?
Cotcotcot, codak !
Je veux qu'elle s'en aille ?
Attends un peu !
Cotcotcot, codak !  Pic ! Pic !
Minou ! Miaou ! Pic ! Pic !
Miaou ! Miaou !
Mais les chevrettes se réveillent au bruit de la bataille :
Bê ! Bê ! Bê ! Bê !
(Elles courent pour sauver le chat)

Chant
(pendant que les chevrettes courent)

Il était une bergère
Et rond et rond petit patapon,
Il était une bergère
Qui gardait ses moutons.
Bê ! Bê ! Bê ! Bê !
Oh ! Oh ! la méchante poule qui becquête le petit chat qui va faire ses jeunes. Attends un peu !
Bê ! Bê ! Bê ! Bê !
Allez-vous en, vilaine poule !
(les chevrettes poursuivent la poule)
Chant
(en poursuivant la poule)
Malbrough s'en va-t-en guerre
Mironton, mironton, mirontaine...
La méchante poule s'enfuit et veut se cacher.
Elle vole dans le nid.
Mais elle dérange l'autre poule qui est déjà là.
- Où vas-tu, si vite ?
- Je viens me cacher, les chevrettes veulent me battre.
- Moi, je fais un gros oeuf pour Louis, je dois être tranquille.
- Va-t-en, méchante poule
Tout le monde poursuit la méchante poule.
-Il faut la manger.
- Courons, courons.
La course se ralentit. Peu à peu, le cercle se resserre autour de la méchante poule qui s'affaisse.
Chant
Alentour de sa tombe,
Mironton, mironton, inirontaine,
Alentour de sa tombe,
Romarin on planta.
Tous entourent la méchante poule accroupie et lui battent l'échine en mesure
La méchante poule est morte,
Mironton, mironton, mirontaine,
La méchante poule est morte, est morte et enterrée.

Pour jouer notre histoire devant les parents, nous avons fait des masques. La poule avait sa crête et ses barbillons, le chat, ses oreilles, ses moustaches et sa queue ; les chevrettes, leur museau rose et leurs longues oreilles.

Il y a eu à découper, à assembler, à colorier et à travailler pour tous.

Les enfants ont aussi dessiné : le chat, la poule qui pond et la méchante poule qui becquète...

Un peu de texte imprimé en face de chaque dessin passé au limographe, et ceux de 6 ans ont pu lire la belle histoire.

Nous avons relié les pages pour en faire un petit livre que les enfants ont vendu lors de la réunion de parents.

***

Je ne préciserai pas les apports en activité, langage, calcul que ces travaux occasionnent, mon intention était seulement de montrer comment des techniques appropriées peuvent aider à exploiter un thème fourni par l'enfant.

Et le calcul proprement dit ?

Je n'ai jamais abordé systématiquement l'étude des nombres avec mes élèves. Chaque année, je me préoccupe de préparer le matériel d'expression, de mettre en train les travaux, me disant qu’entre temps, je réfléchirai au calcul. Chaque fois, le calcul entre en action, s'impose à notre attention sans que j'aie dû y songer spécialement. Toujours, les enfants m'émerveillent par leurs progrès, leurs questions et le calcul se bâtit... Et, dans la suite, j'en arrive à sentir le moment propice où les chiffres, les signes, les formes abstraites seront bien accueillies.

Cette année, dès le premier jour, les 8 petits de 6 ans, qu'il fallait installer aux 7 tables des grands, posèrent la question de calcul.

L'an dernier, au moment de répartir les petits travaux d'ordre, il s'agissait de partager le travail entre 2 amateurs : il y avait 9 petites tables et 18 chaises à ranger.

Une autre fois, au moment de suspendre le nom du jour au calendrier, nous ne le trouvons pas et nous comptons 6 étiquettes alors qu'en énumérant les jours de la semaine, nous trouvons 7, il manque un jour.

Je décrirai, dans la suite, une succession de moments semblables consacrés au calcul et extraits de notre vie de classe; je montrerai l'évolution qu'accomplit l'enfant dans les expériences successives et comment je m'efforce de stabiliser, d'enchaîner celles-ci par des réalisations qui amènent une initiation solide et une base certaine pour l'évolution de leur pensée calculatrice.

 

BIEN OU MAL PARTIR

Mais avant d'envisager successivement les étapes d'acquisition du calcul que j'ai observées chez l'enfant qui se développe et se réalise dans un milieu vivant, je voudrais citer des cas de mauvais départ en calcul, et les conséquences désastreuses que cela peut entraîner afin d'opposer les situations et de dégager la forme et l'importance à accorder à l'expérience enfantine.

Il m'est arrivé très souvent de continuer le travail avec des enfants de 7 à 8 ans qui avaient commencé leur initiation ailleurs, guidés par un enseignement scolastique. Je pourrais décrire de nombreux cas semblables, tous d'ailleurs offrent des aspects communs.

Voyons J.-Claude (7 ans et demi) qui a terminé sa première année dans une section préparatoire d'école moyenne dont il est sorti premier en calcul, et considéré donc comme un très bon élève. Evidemment, il connaît, suivant les exigences du programme, les additions, soustractions et multiplications sur les 20 premiers nombres s'il s’agit de compléter les colonnes de calcul qu'on lui soumet. Mais il est incapable d'indiquer la moitié d'une longueur, la plus simple soit-elle, même pratiquement, et ne comprend pas si on lui demande de prendre le tiers d'une feuille. Dans le cours du travail vivant, si des opérations du genre de 17 et 5 se posent, c'est tout un drame pour trouver le résultat et s’il s'agit de résoudre 24 plus 12 et même 30 moins 2, quelle difficulté ! Pour les petites opérations, comme 5 et 3, 8 et 2, soit qu'il lance la réponse immédiatement, soit qu'il ajoute ou retire la quantité unité par unité, il lui arrive de confondre les chiffres des dizaines avec celui des unités. Et, fait plus grave, dont je me suis aperçue après questions et observations répétées, c'est que J.-Claude ne cherche pas à résoudre l'opération ni en agençant ni en complétant des groupements mais en essayant de retrouver automatiquement la réponse. Ce n'est vraiment que lorsqu'on décompose l'opération en questions très simples qu'il s'y met. Il n'a aucune idée des quantités. Pour lui le 9 est entre le 8 et le 10, mais n’éveille pas l'idée de 5 et 4 - 4 et 4 et 1 - 10 moins 1 - 7 et 2, etc... Il ne compte aucunement sur ses possibilités de recherches ; le plus souvent il devine par hasard ou bien lance le résultat qu'il a retenu par cœur.

Il est, certes, des enfants qui, spontanément, possèdent mieux le sens du nombre ; ils sont en minorité dans les classes; je les évalue à 20 % environ. Les autres arrivent où en était J.-Claude et risquent fort de ne plus jamais s'attarder à imaginer nettement les quantités, ni à trouver des agencements originaux qui, parce qu'on les a forgés soit-même, s'utilisent avec aisance, rapidité et constituent les agents de développement de la pensée calculatrice.

Il a fallu toute une année de travail vivant pour faire sentir à J.-Claude ce que c'était que se servir du calcul. Maintenant, il solutionne plus aisément son opération en se figurant les nombres et si parfois son esprit fuit, il me dit : « Je veux compter mais ma tête ne veut pas. »

Il est certain que J.-Claude avait aligné des bâtonnets et qu'il avait porté à son ancien maître une latte d'un mètre pour les exercices. Mais ces rangements, ces représentations commandées sont autant de travaux à faux. Si le maître fait constater qu'en retirant 2 bâtonnets de 7, il en reste 5, cela ne constitue pas pour l'enfant une découverte puisqu'il ne cherche pas ce résultat afin de l'utiliser. Il exécute passivement sans véritable participation. Et c'est en cela précisément que réside le grand danger : l'enfant semble avoir réussi, trouvé quelque chose qu'il n'a ni cherché ni construit, cela lui apparaît comme un bonheur dû au hasard et pour lequel il n'a déployé aucun effort ; il lui a suffi d'obéir : « mets ceci !.. retire cela !.. vois ce qu'il reste... très bien !!! » Il y a là, non une expérience mais bien un entraînement au travail machinal, une attitude de passivité négative, une habitude de solliciter une mémoire purement verbale sans référence à une situation en suspens, sans enchaînement avec le travail qui consiste à poser, à dégager les éléments nécessaires à la réponse et à construire celle-ci par une activité personnelle.

C'est, formé par ce genre d'exercice à blanc, que Lucien, âgé de 10 ans, me repartit encore avec certitude, après cependant une année de travail sur les réalités : « à l'école de B... je faisais toujours comme ça et j'avais toujours juste. » Nous cherchions la récolte de pommes de terre à l'are, réalisée par des voisins, pour la comparer à celle que nous avions faite à l'école. Malgré les croquis, les chiffres réels, les évaluations de bon sens, Lucien était retombé dans sa malheureuse habitude d'agence des nombres sans y accrocher leur valeur, leur correspondance concrète. Il avait divisé n'importe quoi et se justifiait en revendiquant le travail machinal accompli précédemment. Et cela semble déjà un progrès sur la réaction de certains élèves qui, après avoir eu l'air de participer au problème, posent la question désespérante : « Faudra-t-il multiplier ou diviser ? »

Jacques, qui a maintenant 11 ans, et qui fréquente depuis 2 ans notre école, reste, semble-t-il, insensible vis-à-vis de l'expérience. Si nous nous attardons à construire une notion, il devance toujours le moment où nous dégageons le résultat de nos constatations. Non pas qu'il pratique une activité synthétique plus vive ni plus perspicace, mais il nous déclare tout bonnement : »'ai appris ça »,ou « on papa m'a dit ça » Nous pourrions peu-tre nous réjouir de cette offensive et nous dire que c'est là du travail terminé. Hélas, jamais un problème n'est résolu sans que chaque opération ne soit fautive et, si quelque difficulté de raisonnement s'impose Jacques trouve qu'il a besoin d'explications. Quand il n'en arrive pas à substituer la recherche du périmètre à celle de la surface ! Une confusion complète règne dans son esprit et malgré l'ambiance de travail et les suggestions d'expériences que nous lui offrons, il continue à rejoindre un automatisme mal installé en lui. Car non seulement le calcul, mais l'installation de toutes les autres disciplines a concouru à l'orienter vers cette activité de mémoire, action automatique et gratuite. Il ne raisonne pas sa grammaire et la lecture constitue pour lui une pure évasion. Est-ce un mauvais élève, un insuffisant ? S'il faut accorder quelque crédit aux résultats scolaires, il avait, avant d'entrer à notre école, terminé sa 3e année primaire avec 90 % des points.

Je pense que, commettant l'erreur courante de l'école traditionnelle, on a installé en lui des automatismes à l'aide de répétitions et de tout le système disciplinaire en vigueur, au lieu de laisser l'enfant évoluer par étapes et expériences successives en faisant lui-même l'économie du concret et l'agencement des automatismes qui l'auraient servi, tandis qu'il se sent actuellement dominé par des tendances machinales qui tuent toute marche progressive vers une systématisation rationnelle.

Si tous les enfants ne subissent pas de la même façon cet enjambement de l'expérience ‑ j'ai cité un très faible pourcentage qui, malgré tout, parvient à comprendre d'une certaine manière ‑ la plupart en restent marqués par une attitude d'asservissement à l'automatisme si regrettable dans tous les domaines.

C'est ainsi qu'à l'âge de 14 ans, il fallait réapprendre pour la troisième ou la quatrième fois la table de multiplication à Roland qui n'est ni un arriéré ni un anormal.

Toujours, ces enfants mal partis ont besoin de revenir en arrière et de solliciter, dans une attitude d'incapacité et d'inertie, des explications qui résolvent à peu de chose près la question. Au contraire, si l'automatisme a été abordé par la voie naturelle, le déclic peut, à certain moment, s'enrayer ; aussitôt, toute la puissance de raisonnements enchaînés reprend ses droits et retrouve la piste et le résultat.

De même, si le problème doit éclairer une situation faisant suite aux expériences réalisées par l’enfant celui-ci le posera et le solutionnera en se basant sur tout ce qu'il a expérimenté ; toute explication est superflue et lui apparaît comme une entrave à sa réussite.

S'il faut faire le plan du problème et expliquer l'enchaînement des diverses opérations qui conduisent à la réponse, le travail n'apporte rien au développement de l'enfant, à moins qu'une gymnastique faussée par l'esprit qui désoriente complètement l'essentielle activité des facultés spéculatrices.

Dès que l'enfant a atteint à l'abstraction pour un genre de travail, retourner aux collections familières qui ont suscité les premières comparaisons est un empêchement à l'évolution de sa pensée mathématique. D'ailleurs, s'il est arrivé à ce stade par expériences successives il s'impatiente lorsqu'il entend évoquer les exemples, il sait, il peut continuer dans l'abstrait, pour ce genre du moins.

Il vaut mieux, au début, aider l'enfant à réaliser son expérience en accordant au stade d'initiation tout le temps nécessaire et ainsi l'engager avec certitude sur la voie de l'abstraction en même temps que vers la maîtrise d'une pensée mathématique au lieu de lui présenter des résultats évidemment exacts et définitifs, mais qui ne constituent qu'une pâture à assimiler en même temps qu'une orientation certaine, pour la plupart des enfants, vers la confusion et l'absence de toute organisation mathématique.

Première initiation
Vers la pensée calculatrice
par l'expérimentation

LE CALCUL S'INTÈGRE A LA VIE DES ENFANTS DE QUATRE A SIX ANS

Je dois dire tout de suite que je n'utilise pas de matériel spécialement préparé pour le calcul. Tout peut m'être sujet et objet de calcul, puisque celui-ci est un aspect des choses que nous contactons.

De plus, l'enfant ne porte-t-il pas sur lui des quantités familières qui le préoccupent d'abord ; ses deux oreilles, ses deux yeux, ses quatre membres, ses cinq, dix et vingt doigts et surtout son personnage, son unité. Des expressions familières les lui rappellent : je te flanque mes cinq doigts sur la figure - je n'ai que mes dix doigts ‑-je te mettrai la tète entre tes deux oreilles, etc... Pourquoi chercher, en dehors de lui une représentation qu'il porte sur lui comme une référence certaine, stable et toujours disponible ? Lorsque mes petits commencent à aider les grands pour compter les feuillets que nous imprimons, je leur conseille de se servir de leurs doigts, un feuillet en face de chaque doigt, cela fait cinq pour une main et 10 pour les deux. Nous commençons, en effet, à calculer sérieusement à partir de 10 et de 5, quantités pour lesquelles nos mains servent d'étalons. Les petits s'y prêtent vers 5 ans. A cet âge, ceux qui savent concrétiser, c'est-à-dire établir la correspondance entre leurs 5 doigts et 5 feuillets et les disposer comme ceci :

sans commettre d'erreur sont plutôt rares. Avant de réussir, ils aiment s'y essayer et alignent les feuilles en hésitant, soit qu'ils s'en réfèrent à leur coup d’œil global soit qu'ils recourent au comptage. Et pour cette dernière opération, beaucoup se montrent encore maladroits ; ils ne déplacent pas la main au rythme des chiffres qu'ils prononcent ou bien se trompent dans la suite des nombres ; jusqu'à 10, cette dernière erreur est plutôt rare, mais elle se produit vers 20.

J’ai ainsi signalé deux points de départ importants : l’appariement et le comptage, les deux premiers aspects du calcul concret qu'il faut exploiter et stabiliser chaque fois que les situations, les nécessités de la vie en amènent l'usage. Or, ces occasions sont fréquentes dans le travail journalier. Il faut surtout ne pas les laisser passer.

La réalisation du texte libre par l'imprimerie ou le limographe, la préparation d'albums, la distribution du papier pour les découpages, la répartition des dessins à colorier, amènent à tout instant la question : combien en faut-il ? On dénombre les enfants et, en leur accordant à chacun une feuille, un dessin, un morceau de papier, on compare, on constate, on établit une correspondance : 9 enfants, donc 9 feuilles sont nécessaires, etc... Il faut s'y attarder chaque fois et mettre à l’œuvre tour à tour ceux qui en ont besoin.

Les enfants s'habituent à préparer soigneusement les quantités de matériel nécessaires, et à les vérifier, car si un feuillet manque, si un dessin n'est pas passé au limographe si une silhouette n'est pas découpée, l'un d'entre eux en est privé et l'album ou le travail est incomplet, c'est parfois tout un drame.

La quantité, le nombre acquièrent ainsi peu à peu leur place dans notre activité. Et voici les enfants à l’œuvre.

UNE FRISE

Les grands sont allés au bois cueillir des fleurs pour en envoyer la liste à leur correspondant qui « demandent les fleurs de notre région ».

Les petits ont aussi des bouquets et, rentrés en classe, ils ont dessiné des fleurs si jolies que nous décidons de les découper en papier de couleurs pour en faire un grand bois fleuri.

A chacun ses variétés, que nous reproduirons sur le papier choisi et que chacun s'applique à piquer ou à déchiqueter. Et l'on colle sur une longue bande de papier gris : 4 fleurs roses et encore 2 rouges, j'aurai besoin de 6 tiges vertes et aussi de petits cœurs jaunes, 2 pour les fleurs rouges et 4 pour les fleurs roses. Chacun compte, rassemble, répartit et contemple, non seulement la beauté de ses fleurs parmi l'herbe reproduite à larges coups de pinceaux~et sous le ciel également peint, mais aussi le nombre qu'il est parvenu à réussir. Et bien des jours après, on montre encore sur la frise : « Tu vois, ici, ce sont mes fleurs, j'en ai collé 10, 5 mauves et 5 roses ».

 

UNE PAGE D'ALBUM DE VIE

Une fois, une farandole endiablée accapare le temps de la récréation et, rentré en classe, on continue à la commenter et les crayons réalisent des bandes d'enfants dansant. Parmi ceux-ci chacun désigne : « je suis là » ‑ « ici, c'est moi. Il faut coller ces beaux portraits dans l'album de vie. Nous les découperons dans du papier de couleur. Chaque enfant désire la ribambelle au grand complet, chacun s'applique à préparer 11 fois son portrait en piquant la silhouette sur plusieurs épaisseurs de papier. Quel travail : 11 robes, 11 têtes. 11 chevelures, 22 pieds... Chaque enfant possède une enveloppe dans laquelle il glisse au fur et à mesure ce qui est terminé. Lorsqu'il déclare : « j'ai fini, j'ai tout », nous vérifions en comptant et en disposant, par exemple, les 11 jupes ainsi : (comme les mains toujours)

Alors nous collons chez tous ce portrait terminé. C'est évidemment le propriétaire qui fait la distribution. Peu à peu, personnage par personnage, la farandole se met à vivre dans les albums.

C'est aussi de la lecture, car chacun veut mettre son nom sous les portraits ; c'est également une reconnaissance des formes et des couleurs pour reconstituer chaque personnage et surtout, un épisode de notre joie. Lorsqu'on feuillette l'album, cette page suscite toujours une séance de chants et de gestes.

Un travail analogue s'est réalisé à propos d'un cortège carnavalesque qui est également devenu une grande frise sur les murs du vestiaire.

LA RECOLTE DES GRAINES

Si nous récoltons les graines dans les petits jardinets, que de calcul encore !

Quelles fleurs nous ont plu ? Quelles graines voulons-nous Conserver ? Les tagètes, les tournesols, les fleurs roses dont on ne sait plus le nom, les mufliers, les zinnias...

D'abord, préparons des enveloppes étiquetées (nous conservons les enveloppes de notre courrier dans une caisse, elles sont utilisées pour toutes espèces de travaux). Travail de calcul : chacun prépare 5 enveloppes en bon état, l'une est mal en point, « tu n'en a plus que 4, il en faut une cinquième - tu en apportes trop ce n'est pas assez ». Toujours nous comparons à la main.

Travail d'écriture : chacun écrit son nom et le nom de la fleur sur l'enveloppe.

Et puis, au jardin, la récolte commence. La question de quantité se pose encore.

-Regarde, j'en ai beaucoup, une pleine enveloppe et toi la moitié seulement.
- Moi, j'ai trois plantes de tagètes, je n'ai pas de mufliers, tu m'en donneras un peu.

Les grains de tournesols se comptaient aisément....

Nous avons alors rangé les enveloppes dans une grande boîte que nous plaçons en haut de l'armoire jusqu'au printemps, non sans vérifier si le nombre de chaque espèce est exact. N'y a-t-il pas toujours « des têtes » qui oublient ?

Et je citerais ainsi des centaines de travaux qui concourent à intégrer le calcul dans notre vie journalière en classe. Seulement, il faut s'y attarder comme à tout autre aspect de l'expression enfantine et aider l'enfant non seulement à multiplier les expériences mais à les réussir, à les enchaîner, à les composer.

L'ENFANT COMMENCE A ABSTRAIRE

Vers l'âge de 5 ans (plutôt après), recenser les êtres et les choses devient un souci spontané de l'enfant. Très souvent, les petits s'occupent à compter, ils discutent même de l'exactitude de ce qu'ils obtiennent.

Ce qui les amène petit à petit à comparer et à grouper les quantités. Les comparaisons et les groupements sont deux nouveaux aspects de l'initiation au calcul qu'il faut encourager et utiliser. Il faut aider l'enfant à faire l'économie du comptage par une représentation personnelle de la quantité. Pour cela encore, leurs mains suffisent. Habitué à voir les choses sous l'angle de la quantité, l'enfant répète d'innombrables fois, au cours des travaux, 4 feuilles, 4 pinceaux, 4 couleurs, 4 petits enfants, ou bien 6 fleurs, 6 tiges, 6 cœurs, 6 couleurs... Il doit arriver, après avoir ainsi constaté les mêmes quantités pour des objets de natures différentes, à dégager la quantité pour elle-même. Et nous l'y amenons en l'attardant sur des comparaisons avec ses doigts ou sur des représentations graphiques.

José prépare 8 grandes feuilles pour le groupe des grands.
- Tu sais prendre 8 feuilles ? Montre 8 avec tes doigts, sans compter, très vite.
- Je sais, voilà, c'est 5 et 3.
Nous vérifions les étiquettes portant les noms des jours de la semaine.
- Combien doit-il y en avoir ?
- Montrez 7 avec les doigts, sans compter.

A un certain moment donc, nous commençons cette comparaison avec les doigts, d'abord peu à peu, sans insister, puis d'une façon plus suivie, mais cette dernière... pas avant 6 ans. La plupart des enfants, vers 6, 6 1/2 ans, peuvent arriver à montrer toutes les quantités jusque 10 avec les doigts, globalement, sans compter. Certains vont au-delà, mais nous préférons nous en référer à la moyenne. Il reste, bien entendu, qu'il faut toujours que l’enfant sente la liaison avec la vie, soit qu'il doive en référer aux doigts pour éviter une erreur, soit qu'il doive épouser certaine disposition pour vérifier une quantité de choses qu'il doit utiliser.

Il nous arrive aussi - et cela plus ou moins fréquemment suivant le niveau de la classe ou les exigences extérieures de prolonger ces comparaisons d'une façon un peu plus systématique pour entraîner certaines natures lentes. Dans ce cas, après le travail nécessaire, nous proposons :

- Voyons celui qui sait compter : « montre 6 - montre 10 - montre 7 - montre 9 ».

Ce genre d'exercice dure quelques minutes. Toujours avec les doigts qui se détendent d'une façon un peu explosive sans laisser le temps de les compter. A moins que l'enfant n'ait pas encore fait la liaison définitive entre la vision de ses groupes de doigts et son idée de la quantité ; alors il éprouve encore le besoin de vérifier par le comptage, nous le laissons faire et, petit à petit, il abandonne ce dernier.

Nous joignons, à ces comparaisons avec les doigts, une représentation graphique qui conserve la même disposition que ceux-ci.

LES OEUFS DE NOTRE POULE

Depuis plusieurs jours, la poule caquette l'après-midi et nous ne trouvons pas ses oeufs. Aujourd'hui, nos recherches plus heureuses, nous font découvrir un beau nid, contenant beaucoup d’œufs.

Combien ? Nous les avions mis en poche et, sur la table de la classe, nous les alignons ; après le premier groupe de 5, nous laissons un grand espace.

- 5 et 4 c'est 9.
- Comment vois-tu qu'il y en a 5 ?
- Parce que c'est 3 et 2.
- C'est 4 et 1.
- Je vois 2 et 2 et 1.

Agnès en achète 5 et Francette 3, il en reste 1 pour Michelle.

Nous dessinons les oeufs trouvés, les oeufs achetés par chacun et certains se plaisent à figurer d'autres quantités. Ensemble, nous regardons les pages d’œufs et c'est à qui trouvera le nombre d’œufs dessinés sans compter.

NOUS SEMONS LES TAGETES

A la fin du mois de février, les grands préparent leur semis de fleurs en caisse, ce qui hâte les repiquages dans les plates-bandes. Les petits aiment aussi semer des fleurs. Ils apportent un petit pot et nous y semons des tagètes.

Chaque matin, au moment de l'arrosage, nous cherchons si les jeunes pousses apparaissent. A ce moment, les enfants s'expriment, font des réflexions : ce qui constitue un petit album, que chacun illustre.

Entre temps, les graines germent, les enfants aiment à comparer leur semis ; je propose de dessiner, chaque jour, leur pot avec la quantité de plantes. Voici les croquis d'Annie.

Chaque croquis est accompagné de commentaires ; que de comptages, de groupements et de comparaisons !

Après les cotylédons, les 2 petites feuilles découpées sont apparues. C'est le moment d'effectuer le premier repiquage en lignes au jardin. Nous avons préparé l'espace réservé au repiquage et tracé les lignes ‑ 2 lignes pour Michelle - 2 lignes ½ pour Louis - 3 lignes et un morceau pour Freddy d'après la quantité de tagètes, nous en plantons 10 par ligne.

Puis nous procédons au repiquage ; le maniement des plantes donne encore lieu à des constatations sur les quantités.

- Déjà une ligne terminée, il m'en reste 15.

- Si tu en avais encore 5, tu aurais 3 lignes.

Par les soins d'arrosage, de sarclage, de binage, les petits ont continué à porter intérêt à leurs tagètes.

Au début de mal, nous en repiquons des pots à offrir aux mamans, nous en plantons dans les jardinets ; le reste est vendu par la coopérative. Les plus curieux calculent la quantité restante après chaque prélèvement et s'intéressent aux travaux des aînés.

ACCROCHER LE SYMBOLE A LA QUANTITÉ

LES CHIFFRES

Jusqu’ici, j’ai décrit quelques exemples puisés parmi les nombreux travaux qui familiarisent les enfants avec le maniement des quantités concrètes, leurs groupements, leurs comparaisons, desquels l'enfant dégage le nombre abstrait. Mais il n'a pas encore été question des chiffres qui symbolisent ces quantités. Avant que l'enfant n'ait atteint sa 6e année, je ne les utilise guère, à moins qu'ils ne s'y intéressent particulièrement. le les lis, les énumère, les écris, s'ils me les demandent, mais je ne m'y attarde pas davantage.

Dès que l'enfant arrive à abstraire les nombres, c'est-à-dire à considérer une quantité sans se servir du comptage et à la détacher aisément des choses, j'accompagne les diverses représentations et groupements du chiffre correspondant, sans jamais le séparer de la quantité au début, et encore moins l’utiliser dans des opérations. Il s'agit simplement d'accrocher le symbole au nombre sans, pour cela, déjà travailler sur ces symboles.

LES POTEES DE JACINTHE

Les grands ont calculé la longueur de la tranchée à creuser pour enfouir les potées de bulbes. Ils ont classé les pots d'après la grandeur du diamètre. Les petits les ont portés à la tranchée et les ont comptés, il faut toujours vérifier. Tout est là ? Pas de pots oubliés ? Comptons, vérifions.

PAGES D'ALBUMS
TABLE DES MATIERES

On peut se rendre compte de l'apport éducatif que constitue l'élaboration d'albums avec les enfants. Des bribes d'expression spontanée, enrichies collectivement au cours d'entretiens et de séances d’illustrations, deviennent des pages émouvantes qui exaltent les enfants tant par le texte que par le dessin. Ceux-ci collaborent au travail avec fièvre et entrain. Et lorsque le livre est terminé, ils le feuillètent et le relisent sans jamais se lasser.

Lorsque nous réalisons ces albums, page par page, nous conservons celles-ci dans une chemise. Chaque enfant possède la sienne et, après chaque séance de travail, il reçoit la nouvelle page réalisée pour la joindre aux autres. Nous relisons ce qui est terminé et nous préparons du nouveau travail.

Ces feuillets volants assemblés sous une couverture exigent comptabilité et ordre de la part de chaque propriétaire. Avant la lecture, il faut contrôler si l'on a le nombre voulu et si chaque feuillet est bien à sa place. Voici le premier, le deuxième,... le troisième n'est pas à sa place... « tu as oublié. le cinquième sur l'étagère quand tu as séché le dessin ».... Puis vient le moment de préparer la table des matières, car il faut que le nom de l'auteur de chaque illustration y soit indiqué. Nous numérotons les pages, Quelle impatience pour écrire les numéros aux coins des pages et repérer ainsi celle où se trouve le dessin que l'on a fait !

- Moi, c'est à la page 5.
- Et moi, 7.
- Et moi, j'ai deux dessins...

Il leur arrive aussi de comparer le nombre de pages des différents albums. « Celui-ci, c'est le plus gros : 17 pages. Le précédent en avait 12 et l'autre 10 seulement.

Et c'est toujours un calcul attachant, qu'il est important de connaître pour discuter avec les autres, pour être écouté, pour s'intégrer dans le groupe.

COTISATIONS COOPERATIVES

Chaque lundi, le trésorier rassemble les cotisations apportées pour la caisse de la classe et aussi pour la caisse de voyages.

Chaque enfant possède une feuille partagée en petits rectangles de 3 sur 2 dans lesquels sont indiquées les dates de chaque semaine de classe. (Les grands élèves ont ligné et daté les feuilles des petits.)

Lorsque le coopérateur paye sa cotisation au trésorier, il reçoit un timbre portant le chiffre correspondant à l'argent versé et il le colle dans le petit rectangle portant la date de la semaine. Le trésorier laisse désigner, par chaque petit, le timbre auquel il a droit.

- Tu apportes,2 frs, prends un timbre de 2 frs.
- Aujourd'hui, c'est 5 frs que tu apportes, choisis ton timbre portant un 5.

L'enfant est constamment en présence d'utilisations du calcul qui, ainsi, constitue pour lui une réalité qu'il manie et apprécie. Peu à peu, chaque quantité se lie à son symbole. Les chiffres ne resteront pas pour l'enfant de simples numéros d'ordre ; chacun évoque, non seulement mi nombre, mais une parcelle de vie dont il connaît la valeur parce qu'il l'a maintes fois utilisée dans des comparaisons, des groupements motivés par son activité. Chaque fois, il y a participation totale et surtout affective.

LES OPERATIONS LES EXERCICES ?

En somme. les enfants sont constamment occupés à pratiquer des exercices d'addition et de soustraction lorsqu'ils groupent les quantités, quand ils cherchent le nombre de feuillets qu'il faut en core imprimer, s'ils vérifient le nombre de plantes qu'il reste, etc,.. Mais tout ce travail qui se fait oralement, dans une ambiance d'activité, à même la vie, passe inaperçu parce qu'il ne revêt pas l'aspect du travail scolaire habituel.

Pourquoi ne pas traduire plus tôt ces quantités en chiffres et transcrire, au tableau, les opérations de calcul avec les signes, puisque l'enfant les a réalisées concrètement au préalable ?

L'expérience nous a montré le danger de traduire trop tôt par des signes ce que l'enfant exécute avec tant de profit sur le plan concret.

Nous avons aussi cru, au début, qu'il suffisait d'avoir montré à l'enfant : tu avais 15 tagètes, tu en as enlevé 5 pour ton jardinet, il t'en reste 10 et bien
                        15 T. ‑ 5 T. = 10 T.
pour que ces signes conservent dans son esprit leur signification pratique.

Evidemment, quelques-uns s'en tiraient, mais les autres devaient s'aider du camescasse ou de leurs doigts pour trouver la réponse.

Nous avons pratiqué autrement et nous en sommes arrivés à penser que, s'il faut, lorsque les opérations avec signes sont commencées, recourir au camescasse ou tout autre matériel, c'est que le travail été imposé trop tôt, avant la connaissance parfaite des quantités. De plus, en ayant amené les signes hâtivement, avec la hantise de réussir la colonne de calcul, l'enfant ne fait plus qu'un effort de mémorisation, sans liaison avec la vie. Il a besoin d'effectuer un très grand nombre d'opérations concrètes, qui lui sont 'nécessaires ou du moins qui lui importent avant de concevoir l'idée d'assembler ou de soustraire des quantités. Le fait d'additionner des nombres ou d'établir une différence, doit d'abord devenir une technique aisée et habituelle de sa vie courante, avant qu'il puisse le transposer sur le plan abstrait. C'est tout simplement là, une loi établie du comportement humain ; la transgresser, c'est orienter faussement l'individu vers un asservissement extérieur.

Ou bien, l'enfant travaille, réalise et effectue ainsi des opérations utiles, auxquelles nous l'attardons pour aider à la prisé de conscience afin d'arriver à dégager des constatations, à fixer des formes de pensées. Ou bien, nous l'obligeons à enjamber toute cette initiation et à adopter des signes plus ou moins creux, le mettant ainsi dans l'impossibilité de lier le calcul aux travaux de bon sens ou de raisonnement sain comme nous l'avons décrit au début.. L'automatisme accepté, sans être le couronnement d'expériences successives, fonctionne d'une façon prématurée, il faudra en revenir sans cesse aux explications, aux démonstrations, peut-être même aux punitions.

Afin d'établir définitivement des bases solides, nous préférons vivre intensément et, pendant les premiers trimestres, nous contenter de dessiner les constatations qui nous ont frappés.

Nous ne commençons pas les opérations abstraites écrites avant que l'enfant soit prêt.

Lorsque le moment opportun est arrivé, nous ne songeons plus trop à transcrire ce qui se fait dans la réalité. Cette réalité a amené les enfants à une certaine abstraction en les initiant au travai1 sur les quantités ; celles-ci constituent désormais, pour eux, des ensembles, des groupements, qu'ils peuvent agencer et aborder de n'importe quelle manière, sans surprises, sans accrocs. Par exemple, le 8 qu'ils entendent prononcer, éveille en eux 2 fois 4, ou bien 6 et 2, ou bien 5. et 3, ou bien 10 moins 2, ou bien 4 couples, etc... Dès lors, si on enlève une de ces parties, l'autre reste ; si l'on groupe deux de ces compléments, le total surgit. Jamais plus aucun jeton ou aucun maniement ne sera nécessaire, des schémas mentaux se seront établis peu à peu mais solidement et les liaisons se feront mentalement entre les différentes représentations qui se sont constituées par les expériences successives.

Quand l'enfant est-il prêt ?

Nous le laissons d'abord se familiariser avec les quantités et les chiffres correspondants jusqu'à 20. J'ai montré comment le calcul s'installe en lui comme une nécessité vitale grâce à une participation constante au travail et à une lente organisation mentale. Je constate aisément s'il possède sans hésiter la représentation des quantités et s'il a terminé ses recours au comptage et au tâtonnement concret.

Voilà, par exemple, des réflexions qui me montrent que les enfants sont sur la bonne voie.

30 feuilles à imprimer sont nécessaires. Alberte (6 ans), campée devant une certaine quantité de ces feuilles terminées et alignées, contate : « déjà une dizaine 1/4 (13) », et un peu après : « il n'en faut plus beaucoup déjà, 2 dizaines et demie. »

Encore, lors de l'impression de 30 feuillets. Annie (6 ans 4 mois) regarde celui qui les aligne : « 30, c'est facile, c’est 2 fois une dizaine ½ « 

Il faut 15 feuillets pour les albums, Francine (6 ans) répartit : « 15, c'est 3 cinq. »

Nous vérifions les bulletins hebdomadaires rapportés le lundi. Il doit y en avoir 14. Michelle (6 ans 3 mois) les aligne sur la table : « 8 seulement ». Après quelques secondes, elle continue : « il en manque 6, 2 pour achever la dizaine et encore 4. »

***

Lorsque les enfants manient ainsi avec aisance les 20 premiers nombres, nous leur présentons un petit fichier d'addition et de soustraction sur les 10 premiers nombres (Fichier addition et soustraction des 100 premiers nombres. Edition Education Populaire (Paudure) ou Fichier autocorrectif C.E.L. Addition Soustraction.). Celui-ci est gradué et agencé pour les révisions.

Nous continuons à résoudre les calculs vivants que pose la vie en classe et en même temps l'enfant systématise ses notions par le fichier.

A quel moment de l'année peut commencer ce travail au fichier ? Certes, pas au cours du premier trimestre de la première année primaire (6 à 7 ans). Mais à la fin du deuxième ou dans le courant du troisième trimestre. L'an dernier, j'y ai mis les petits en mai et l'année précédente au début de juin. il faut voir à quelle cadence les fiches se succèdent, sans faute ni hésitation !

Voyons, voulez-vous, à quel niveau en sont les petits de 6 à 7 ans pendant le deuxième trimestre.

Si je considère les plus avancés, ils connaissent leurs chiffres jusqu'à 100, savent compter par dizaines et par 5 jusqu'à 100. Ils représentent sans hésitation toutes ces quantités et savent additionner et soustraire jusqu'à 10 et même 20, mais ils ont encore besoin de considérer leurs doigts ou d'aligner quelques objets. Avec eux, je pourrais commencer le travail sur fiches.

Mais, il y a les moins avancés qui s'en tirent bien jusqu'à 10, qui connaissent les chiffres et les quantités jusqu'à 20 en recourant encore au comptage. Pour ceux-là, il faut continuer à vivre en comptant. Et, il est préférable de ne pas aborder du tout le fichier, même avec les autres, pour qu'ils achèvent leur initiation en toute tranquillité. Quant aux premiers, ils affermiront ce qui s'amorce pour les 100 premiers nombres et il y a du travail au niveau de chacun.

Si je compare cela au travail d'une petite qui fréquente l'école traditionnelle, voici ce que je vois : Andrée en est, à se démêler avec les opérations sur les 10 premiers nombres :
                        IIIII + II = 7
Chaque fois, il faut recourir au tracé des barres pour trouver la p1us petite réponse. Elle commence à retenir les plus faciles par cœur. Quand elle les possédera ainsi, automatiquement, on aura l'illusion que son initiation est terminée et qu'elle suffit pour continuer l'apprentissage du calcul. Je pense qu'il n'y aura là aucune initiation à la pensée calculatrice, aucune préparation valable pour la culture mathématique, mais simplement une mémorisation asservissante.

 

Sans précipitation, sans systématisation, nous laissons apparaître le calcul lié à la vie afin que l'enfant s'initie insensiblement à cet aspect des choses et a son expression par des formes de langage adéquates afin qu'il puisse les utiliser dans ses réactions, dans son adaptation.

Lorsque nous avons commencé le travail au fichier auto-correctif des additions et soustractions sur les 100 premiers nombres, nous continuons à exécuter tous les calculs que nécessite l'organisation de la classe et à exploiter toutes les occasions qui se présentent de les prolonger dans quelques exercices, en même temps que l'enfant exécute individuellement le travail sur fiches, celles-ci ne portant que des opérations simples de calcul mental.

Notre travail se déroule donc dorénavant comme ceci :

1° Solution des opérations qu'impose la vie en classe en dégageant et en posant nettement les situations et les problèmes chaque fois que c'est possible.

2° Solution de questions de calcul devenues fonctionnelles par l'intérêt que l'enfant y porte momentanément.

3° Travail d'après fiches posant des situations semblables à celles que nous avons vécues ou des exercices qui aident à les solutionner.

4° Travail progressif au fichier d'opérations et, plus tard, de problèmes comme systématisation et complément.

Ensuite, il faudra aborder les opérations plus difficiles par écrit ainsi que la table de multiplication.

Initiation au calcul écrit

Additions avec reports
Soustractions avec emprunts

C'est la tenue de la comptabilité coopérative qui motive le plus régulièrement et avec beaucoup de facilité (pour la compréhension et la réalisation) l'initiation aux opérations écrites.

La caisse de la classe est constituée par les cotisations, grâce aussi à la vente de quelques objets classiques (par le petit magasin de la classe) et surtout par les recettes que font lès enfants lors des fêtes scolaires en vendant leurs travaux et parfois leurs récoltes.

TENUE DE LA CAISSE COOPÉRATIVE ET CALCULS QU'ELLE MOTIVE

Le magasin coopératif est tenu par un magasinier responsable qui travaille avec le trésorier.

C'est surtout en 3e et 4e années (8 à 10 ans) que ce magasin apporte au calcul toute la réalité nécessaire à une initiation fructueuse.

Dans une classe unique, c'est parmi les élèves de ces années que se recrute le magasinier. Le trésorier est alors un aîné de 6e ou 7e année (10 à 12 ans).

Voyons les élèves de 3e et 4e années aux prises avec les petits problèmes et les opérations que motive la tenue du magasin et de la caisse.

Lors de l'aménagement de la petite boutique, l'idée du prix d'achat, du prix de vente, du bénéfice apparaît. Nous achetons du papier gris au mètre, nous le débitons en morceaux appropriés, nous évaluons leur prix, d'abord empiriquement suivant nos finances personnelles puis nous vérifions s'il nous dédommage.

En fin de semaine, le trésorier établit sa balance. Dans une classe du degré moyen, le maître aide le trésorier effectif dans le travail qu'il fait avec les autres élèves de la classe lors de l'inventaire de la caisse et du magasin. Dans une classe unique, le trésorier (élève plus âgé) réalise seul son travail et l'instituteur refait, comme vérification, le même travail avec les cadets de 3e et 4e. Parfois, si le grand élève trésorier est adroit, il peut faire sa balance en même temps que les plus jeunes et guider ceux-ci dans leur vérification. L'instituteur peut alors s'occuper d'un autre groupe et se contenter d'un coup d’œil.

INVENTAIRE HEBDOMADAIRE

Les petits calculateurs munis de papier quadrillé- peut-être leur cahier de calcul - s'asseyent autour de la table où se trouvent la caisse, les marchandises et les fiches d'entrée et de sortie de celles-ci. Nous établissons d'abord le total des recettes et des dépenses. Voyons, d'après les fiches, ce qui a été vendu. Chacun inscrit, sous la dictée du trésorier, les sommes reçues : 1 fr. 25 - 4 fr. - 12 fr.... (Il faudra, au début, préciser la place des chiffres, prendre des dispositions pour la clarté des comptes, mais après quelques séances, il suffit d'annoncer le travail et les titres s'inscrivent, les colonnes se préparent). Nous ajoutons à cela les cotisations perçues, l'encaisse de la semaine précédente. Tout cet argent mis ensemble dans la caisse doit se totaliser et nous commençons l'addition des centimes, des décimes, des francs, des dizaines.

Mais nous avons dépensé : 75 fr. pour une poule et un coq anglais, 3 fr. 50 pour affranchir la correspondance, 10 fr. pour du papier gris... Totalisons l'argent enlevé de la caisse.

Quelle somme avons-nous mise dans la caisse, quelle somme avons-nous enlevée ? Que doit-il y rester ? (calcul mental ou écrit). Si des difficultés de technique se présentent, telles que report, emprunt, virgule, nous montrons, nous aidons rapidement en nous promettant de revenir sur ces difficultés afin d'être plus habiles la prochaine fois. Dans le courant de la semaine, les fichiers, fournissant les exercices demandés et motivés, procureront du travail, il reste à voir si la caisse contient la somme correspondant exactement à nos calculs. L'animation des vérificateurs en action est toujours grande et il faut souvent demander le calme. Nous nous partageons la monnaie, Jean compte les pièces de 5 cent., Marc les pièces de 10 cent., Léon les pièces de 25 cent. etc. Chacun compte et l'attention concentrée ramène le calme. Nous reprenons collectivement le calcul. de chaque espèce de pièces, voyons les 5 cent. Jean les a dénombrées, il y en a 19, comptons par deux... C'est exact, 19 pièces de 5 centimes, cela fait ? Le travail qui suit se devine aisément. Nous comparons la somme des pièces dénombrées et évaluées avec la somme obtenue en soustrayant les dépenses des recettes, il y a trop ou trop peu ou c'est exact ; bravo alors pour le trésorier.

L'inventaire du magasin complète la vérification : nous avions 20 cahiers, 0 ont été vendus, il doit en rester 17, comptons-les. Si tous les articles sont au complet, le magasinier a bien accompli sa charge.

C'est une séance de calcul vivant et réel qui met à l'étude, additions, soustractions, multiplications, divisions diverses et de plus l'utilisation de ces opérations dans des problèmes tellement vivants et adéquats qu'ils se solutionnent sans réfléchir à l'opération qu'il faudra effectuer !!

Nous pouvons dès lors systématiser les techniques par des fichiers autocorrectifs sans craindre l'automatisme car chaque semaine, à cette occasion et à bien d'autres qui se présentent d'ailleurs à tout moments, la vie de la classe motive et harmonise.

Les petits problèmes imposés
ou suscites par la vie de la classe
donnent au calcul
sa vraie signification

Calcul fonctionnel que l'enfant est amené a résoudre pour s’adapter à une situation

Pour aller chez nos correspondants de La Panne, nous avons quitté Paudure à 9h45 et nous sommes arrivés à 14 h. L'auto consomme 15 litres d'essence à 6 frs pour parcourir 100 km.
En revenant, nous avons dépensé 40 frs pour les entrées au château de Gand et 20 frs pour les entrées au beffroi.
Combien dois-je payer pour mon voyage ?

***

Chacun des 6 grands veut planter 4 bulbes de jacinthes à 4 frs. Combien la coopérative doit-elle prêter à un élève, combien doit-elle débourser en tout ?

***

Un grand élève plante 4 bulbes de jacinthes à 4 frs pièce. S'il réussit bien sa culture, il vendra 3 plantes à 15 frs et en recevra une gratuitement.
Quelle somme d'argent son travail aura-t-il rapporté à la coopérative ?

***

Nous confectionnons 6 petits tabliers noirs pour les imprimeurs. Pour un tablier, il faut 1 m. 80 de cordon. Une pièce de cordon mesure 5 m., Combien de pièces devons-nous acheter ?

***

Je cherche la dépense d'une journée de casse.
J'ai cassé
- un verre à confiture à 5 frs ;
- une bouteille à bière de 5 frs ;
- le fond de mon aquarium qui mesure 40 cm. sur 26 et dont la vitre se paye 34,50 frs le m².

***

Pour empoter nos bulbes, nous disposons, pour le mélange, d'une marmite emplie jusqu'à 10 cm. du bord de fumier et de 5 seaux de terre argileuse ? Les proportions du mélange seront-elles conformes aux recommandations du jardinier. La marmite mesure.... et le seau mesure...

CALCUL INTÉRESSANT

D'autres problèmes sont suscités par les recherches, les enquêtes. Si leur solution ne constitue pas un élément tout à fait nécessaire à l'enfant pour continuer son travail, elle représente une satisfaction intellectuelle, aspect de son besoin de curiosité et peut, à ce titre, réaliser une ambiance de travail fonctionnel.

A PROPOS D'UNE ENQUETE
LORS DE LA RÉPARATION
DE LA ROUTE

La route mesure 6,80 m. de large. A combien revient le revêtement asphaltique d'un kilomètre s'il coûte 228 fr. le mètre carré.
Sur le territoire de Braine-l'Alleud, il y a 1 km. 300 de route réparée. A combien revient le travail exécuté dans notre commune ? La route mesure 6 m. 80 de large et le travail coûte 228 fr. le mètre carré.

***

Une carrière produit 73 m. cubes de gravier par jour. Il faut 14 wagonnets pour remplir un camion de 4 m cubes. En une journée, combien aura-t-on rempli de camions et de wagonnets ?
Le rouleau aplatisseur qui étend le revêtement asphaltique se compose d'un gros rouleau et de deux grandes roues en fer massif. Les ouvriers nous ont dit qu'il pesait environ 1.500 kg. Nous en calculons le poids d'après les dimensions.
Le rouleau mesure : 1 m.10 de long et 58 cm. de rayon à la base.
Une roue mesure : 50 cm. d'épaisseur et 73 cm. de rayon.
Le poids spécifique du fer est de 7 kg.

A propos d'une recherche sur l'or

Le, monde entier produit 620 tonnes d'or par an. Quatre pays importants le fournissent. Que produit en moyenne chaque pays ?

***

Le Transvaal fournit 322 tonnes d'or par ait. Sachant qu'un gr. d'or coûte 100 frs, que vaut cette production ?

***

Une bague d'or pèse 4 gr. Sachant que le Rhin a une largeur de 500 m. et une profondeur de 100m., que son eau contient 0 mgr. 01 d'or par tonne. Calculez sur quelle longueur il faudrait vider leau pour faire cette bague.

***

Dans une tonne d'eau de mer, il y a 0 mg 01 d'or. Sachant que les mers contiennent ensemble 1.350 millions de km3 d'eau. Quelle quantité d'or y a-t-il dans les mers ?

LA TABLE DE MULTIPLICATION NE S'APPREND PAS

Elle se vit et s'inscrit définitivement dans les formes de pensée de l'enfant si on lui a laissé faire son expérience tâtonnée sans précipitation et si une ambiance de vie socialisée lui donne l'occasion de prises de conscience successives.

Une longue initiation à même la vie est nécessaire.

Le Plan d’Etudes belge de 1936 ne place plus l'apprentissage des tables de multiplication en 2e année mais bien en 3e année (8 à 9 ans).

Ce n'est pas la première fois qu'il faut le faire remarquer à des institutrices du degré inférieur.

On se plaint si souvent des programmes. Pourquoi s'obstiner à les devancer ? Il faut résister à cette domination des choses que nous redoutons. Si le Plan a retardé la multiplication et la division, écrites du moins, c'est que les données psychologiques sûres sur lesquelles il se base lui ont inspiré cette excellente réforme. Profitons-en pour laisser l'enfant se former le plus longtemps possible au contact des réalités.

La systématisation de la table de multiplication est l'aboutissement normal d'un enseignement fonctionnel. A ceux qui crient si fort que la table de multiplication reste la bête noire du degré inférieur, je répondrai simplement : c'est que votre enseignement n'est pas fonctionnel.

Trop tôt, ils mettent l'enfant devant un langage (mots ou signes) incompréhensible pour lui, parce qu'il ne l'a ni expérimenté, ni construit en vivant et conformément à une opération mentale qui évolue parce que vécue, réussie et répétée avant que l'enfant ne se rende compte du système qu'il utilise.

Traduisons cela en pratique.

Pm de signe d'opération quelconque durant les premiers mois de classe. Comme nous venons de l'exposer, les instituteurs qui ont les deux premières années peuvent même les laisser ignorer totalement a, la première année, ce sera tout au bénéfice de la formation des enfants. A moins que les parents, les autorités ou quelque circonstance ne les amènent à les introduire plus tôt.

Ce qui ne vent pas dire que les enfants ne seront pas sans cesse occupés à additionner, soustraire, multiplier, diviser. On ne peut vivre sans réaliser ces opérations fondamentales à tout instant.

Je ne m’attarderai qu'aux exemples de multiplications et plus spécialement du niveau de la 2e année, quoique ce soit là un travail difficile. Le calcul et, de plus, ce cas de la multiplication à isoler, ne représente qu'une petite partie d'un travail relié à un ensemble de conduites que suscite le cycle de vie de la classe. En extraire un aspect, c'est toujours lui donner un air saugrenu, étrange et, en tout cas, nuisible a sa compréhension profonde. Mais, nous avons dit : table de multiplication et voici des exemples.

Les grands ont demandé à pouvoir forcer des bulbes de jacinthe en pot. Les petits aussi en ont empoté. La coopérative paye les bulbes :

9 oignons de jacinthes à fr. 6,-
2 oignons de tulipes à f r. 3,50
5 oignons de crocus à f r, 2,-

Chaque samedi, c'est aux élèves de 2e ou 3e année que le responsable de la coopérative confie sa caisse pour dénombrer les pièces qui remplissent les petits casiers car il faut compter à plusieurs reprises et confronter les résultats.

23 pièces de fr.             0,25
6          »            » 0,50
43                     » 1,-
36                     » 0,10
8                      » 0,05
15                     » 5,-
3 billets de fr.             » 10,-
4  »       »             » 5,-
6  »       »            » 20,-

Chaque jour, il faut vérifier le nombre de feuillets imprimés que l'on étale sur la grande table pour les faire sécher. Les enfants les rangent par dizaines avec un espace après le cinquième feuillet afin de pouvoir juger d'un coup d’œil. Car, plusieurs fois, en comptant par unité, il leur est arrivé de se tromper et puis il faut faire vite, l'autre travail attend. Souvent, au fur et a mesure du pressage, on questionne combien déjà ? Trois rangs complets : 30. Il arrive que l'espace manque, on les range par 5 : six rangs de 5... 30 !

Au jardin, deux rangs de neuf plans pour un petit élève, combien de plans faut-il lui donner - quatre rangs pour un grand, Combien doit-il prendre de plans ?

Les travaux collectifs qui doivent se répartir entre les enfants amènent à tout instant partages et multiplications. Il faut trois feuilles pour Jean, trois pour P.... trois pour... donc quatre fois trois feuilles.

Il faut répartir entre quatre élèves trente-cinq feuillets à colorier pour la revue mensuelle. Combien pour chacun : Alberte répond tout de suite 8 ou 9, Francette répond :7, Michel : trois en auront 9 et un 8.

Vérifions : si chacun en reçoit 7, cela fera 4 fois 7 = 28, c'est trop peu. Si chacun en reçoit 8 cela fera 4 fois 8 = 32, encore trop peu. Si chacun en reçoit 9, cela fera 4 fois 9 = 36, trop cette fois.

Voyons la proposition de Michel : 3 fois 9 = 27 et 8 = 35. Bravo Michel !

Après le choix d'un texte spontané qui relate une après-midi passée en barquette à Renipont-Plage, l'entretien se continue et les enfants ayant été à d'autres plages s'informent du prix de location des barquettes.

Nous nous sommes débattus dans une série de prix qu'il fallait confronter pour se rendre compte de la plage la plus avantageuse, tout en étant la plus gaie.

15 fr. à l'heure pour un nombre quelconque d'occupants (limité à 8) qui doivent partager la somme à payer.

5 fr. par personne, nombre limité à six, etc...

UN PROCÉDÉ SUPERFICIEL
OPPOSÉ A UNE IMPRÉGNATION
PROFONDE

Mais direz-vous, tout le monde pratique ainsi. Pensez donc, depuis le temps qu'on nous parle d'intuition et de concret, nous introduisons toujours les opérations par de petits problèmes pratiques. Il arrive même qu'on joigne l'acte à la parole. « Va chercher trois marrons, encore une fois et encore une fois, etc... Combien de fois a-t-elle été chercher des marrons, etc... » Et de conclure : quatre fois trois, douze.

Puis on disposera 4 fois 6 marrons et 4 fois 7 marrons. Il se peut même que l'on ait écrit au tableau 3 marrons fois 4 etc.., avant de passer à la table par quatre à connaître pour le lendemain.

Je connais le procédé pour y avoir cru et l'avoir employé.

Ce problème, cette action, que le maître suggère surprend la pensée de l'enfant en pleine élaboration, étrangère à ce qui va se passer puisqu'on ne lui a pas donné la parole.

Croyez-vous que l'enfant ait l'esprit vide à attende nos suggestions ? Sa tête au contraire, comme enivrée par une conception magique du monde et par les multiples sollicitations du milieu déborde, craque même sous leur poussée puisqu'à tout instant il faut réprimer des fantaisies.

Quelle place occupera la proposition du maître dans ce fouillis attachant que représente l'imagination enfantine ? Il est vrai qu'il a recours à des artifices plus ou moins adroitement présentés : surprises, devinettes, points, récompenses, punition. Rien en tout cas n'atteindra les fibres profondes de cette vie enfantine qui est une unité fonctionnelle dont les pensées, les actes sont motivés par un irrésistible épanouissement d'instincts et par les nécessités d'une adaptation constante au milieu. A ce moment précis de la leçon, puisque l'essentiel, pour être apprécié et rester en harmonie avec le milieu est de connaître la colonne des dix multiplications, l'enfant la répète et la retient automatiquement sans relation avec sa vie, sans participation de sa pensée, sans prise de conscience.

 

Et, tout est à refaire, peut-être pas pour l'instant, mais certainement dans la suite.

Ce qui est plus grave, c'est que toutes les disciplines du degré inférieur s'installent de cette manière et que l'on commence à former des enfants en les traitant comme des inconscients à qui l'on fait automatiser sans s'être servi de leur intelligence. Celle-ci, surprise par une formule, appliquée d'emblée n'a pas le temps de s'intégrer le sens du procédé et de le mûrir. C'est un premier et marquant handicap au développement intellectuel qui suit la loi de toutes les autres fonctions que tout le inonde cependant connaît si bien : « l'exercice d'une fonction est la condition de son développement. »

Il y a une énorme différence entre cette trilogie inséparable : la chose, sa représentation, puis l'abstraction se succédant à un rythme accéléré et ce que nous proposions par les exemples précédents.

Au cours de cette vie scolaire si exaltante mais aussi si bien organisée par des pratiques de travail collectif et la répartition des responsabilités, l'enfant sent la réussite de son travail et l'équilibre de son comportement social sous l'étroite dépendance d'opérations mentales qui, petit à petit, s'organisent plus rapidement sous la pression des nécessités. Il découvre de mieux en mieux les similitudes de situations et s'habitue à retrouver sous mille aspects vivants les mêmes relations. Ce n'est que lentement mais en concordance avec une maturité d'esprit bien personnelle que la loi d'économie établira le mécanisme sans cesse confirmé par de nouvelles expériences, car chaque. journée de classe, chaque instant considère la vie avec ses exigences. De plus, la compréhension est solide et totale parce que liée à des situations affectives si déterminantes chez le jeune enfant : il veut participer à un travail qui réalise son moi, il désire que la répartition des tâches soit équitable, il faut, sous peine de réprobations désagréables que le compte de la coopérative soit exact, il s'attache à chercher pour confronter son résultat avec la réalité. Point de situations hâtives ou suggérées mais l'ardeur et la curiosité journalière utilisées pour vivre et travailler ensemble à des réalisations utiles et appréciées.

Il faut résoudre avec l'enfant tous les petits problèmes que pose sa vie à l'école, à la maison, à la rue et ainsi l'en rendre de plus en plus conscient. Ce seront des problèmes de tout ordre : sentimental, qualitatif, quantitatif... en somme tout ce dont il ressentira le besoin pour se réaliser, réagir, s'adapter.

Ainsi, en participant tout près de lui aux multiples situations qu'il occupe ou imagine, en ressentant avec lui les chocs continuels qui lui opposent les réalités, nous l'amènerons à s'exprimer, à dire ses émotions, à poser les petits problèmes qu'abandonné à lui-même il aurait enjambé inconsciemment. C'est là l'aspect de l'enseignement fonctionnel qui utilise les besoins de l’enfant comme levier de son activité. Sans lui, aucun problème ne se pose, aucune opération ne se motive. C'est lorsqu'on s'éloigne de la vie qu'il faut suggérer des problèmes.

L'enfant suit l'évolution normale de tout esprit. Après s'être contenté d'impressions, d'approximations, il veut toujours plus de précision, il n'y a qu'à le satisfaire et à le conduire de réussite en réussite. Pourvu que nous restions dans son domaine, ce sera une marche triomphale à la conquête des difficultés considérées, bien entendu, non comme un mécanisme parfaitement enregistré mais comme des formes de pensée qui se serviront des mécanismes et des connaissances.

La généralisation, l'abstraction, la synthèse sont des opérations spontanées de l'esprit.

Pendant toute la 2e année et déjà en 1re année, des multiplications se sont succédées et compliquées et si les cahiers ne portent pas trace des colonnes de tables de multiplications, nous y trouverons des pages illustrées intitulées :

J'ai compté l'argent de la caisse.
Nous avons empoté les bulbes.
Mes dépenses à Hal.
Nous avons fait des confitures, etc...

A un certain moment, le signe s'introduira comme une écriture plus adéquate. C'est d'ailleurs oralement et pratiquement que se sera accompli l'essentiel de l'initiation.

En 3e année, à l'occasion de travaux semblables, nous pourrons pousser plus loin l'investigation sur le plan abstrait. Parfois, nous aurons saisi sur les lèvres qui calculent : 4 fois 6... 2 fois 6, 12... ça fait 24.

Et nous demanderons :
Comment fais-tu ?
L'enfant hésite, ne répond pas.
Je t'ai entendu, tu disais 2 fois 6 et puis tu auras doublé ta réponse.

A la prise de conscience dans l'action que maintes fois les obstacles de la vie scolaire auront provoquée va succéder une prise de conscience plus importante, l'enfant dégage son procédé.

A celui qui ne peut répondre mais qui trouve très vite le résultat, nous laisserons le temps d'en arriver tranquillement à dégager son système. A ceux qui hésitent, comptent longtemps les yeux vers le plafond, nous parlerons de procédés pour aller plus vite et avec l'aide de camarades, nous ferons la chasse au procédé.

 

D'abord, nous envisagerons le système du doublage :
2 fois, c'est le double.
4 f ois, c'est doubler ce double.
8 fois, c'est doubler ce second double.
3 fois, c'est le double, plus 1 fois.
6 fois, c'est le double de 3 fois.
5 fois, c'est la moitié de 10 fois.
9 fois, c'est 10 fois, moins 1 fois.
Et, aussi :
4 fois, c'est 3 fois plus 1 fois.
6 fois, 5 fois plus 1 fois.
7 fois, 5 fois plus 2 fois.
8 fois, 5 fois plus 3 fois ou 10 fois moins 2 fois.

C'est le moment aussi d'insister sur la place du multiplicateur 3x4 ; 6X4 ; 8x4...

Et la table de multiplication ne vous causera plus aucun souci. Le fichier d'automatisation que nous mettons à la disposition des élèves se chargera d'ancrer le mécanisme (Fichier auto-correctif Multiplication-Division édité par l'E.P. en Belgique et par la C.E.L. en France.).

Ce ne sont ni les procédés gradués du « concret à l'abstrait », ni les suggestions variées et moins encore les répétitions chantantes qui amènent l'enfant à assimiler une forme de calcul abstrait. C'est la loi de son évolution qui, peu à peu, lui permet de se déprendre de l'action et de concevoir par la pensée pour s'adapter plus rapidement et assurer sa puissance, sa victoire sur les choses. Mais il faut qu'il le veuille et cela sous-entend des leviers puissants. Faut-il, rappeler l'autonomie fonctionnelle qui assure le développement de chacun pour autant que l'éducation soit une vie propre à l'enfant. C'est-à-dire qu'il soit plongé dans l'action par des techniques de travail appropriées, que l'influence du milieu, l'ambiance sociale l'aident dans son accession naturelle aux fonctions élevées de l'esprit.

C'est à nous de ne pas entraver cette évolution en présentant et en imposant prématurément à l'enfant des opérations résolues qui ne s'adressent qu'à la mémoire automatique.

Et l'on pourrait ici parler de synthèse rubrique si connue et si employée en fin de chapitre. C'est incontestablement, un sommet de la pensée, Mais ce n'est pas la synthèse présentée par le maître, ni celle qu'il construit à grand peine, collectivement, qui nous occupe. Ce qui importe, c'est l'accession à cette opération par l'enfant chez qui la considération des besoins impérieux a suscité un travail profond. Celui-ci marque indélébilement l'esprit, constitue une chaîne solide d'où tout émerge et où tout se rattache, il entretient une ambiance de création qui exalte l’esprit et suscite des synthèses personnelles et originales.

Les synthèses qu'il faut trop amorcer risquent d'être prématurées ou inadaptées et de refouler une opération que l'esprit effectue spontanément si une automatisation hâtive ou une désintégration du comportement amenée par la scolastique ne l'ont pas condamné à une impuissance irrémédiable.

Aussi, point de jeux éducatifs qui viendraient séparer l'action effective de son aboutissement. Beaucoup d'entre eux ne peuvent que déconcentrer l'enfant et faire dévier les grands buts de l'éducation.

Du vrai travail fonctionnel dans lequel l’enfant se forme à toutes les disciplines, Puis la mécanisation par des fiches individuelles de calcul abstrait parallèlement à la vie qui ne cesse de présenter les situations et de faire le point.

Quand on a perdu la joie de réfléchir :

Si l'on rencontre des enfants de 13 ans, incapables de résoudre un problème sans le secours des tables de multiplication inscrites au dos de leur cahier ; s'il est des enfants de 9 - 10 ou même 11 ans à qui il faut encore apprendre à réciter les tables de multiplication et si même des adolescents de 15 ans sucent leur porte-plume en répétant 6 fois 9... 6 fois 9... 6 fois 9... C'est presque toujours parce que prenant les devants, la mécanisation a supplanté cette imprégnation que je vous ai fait entrevoir.

Ces enfants ont pris de mauvaises habitudes mentales, peut-être ne savent-ils plus penser.

Chez eux, l'opération mentale se ramène à une routine qui. parfois, s'évanouit au moment où ils veulent s'en servir et ils la poursuivent désespérément parce qu'elle a supprimé l'initiative qui permettait de reconstruire le résultat.

Il n'est pas possible qu'un enfant de 10 - 11 ans à qui échappe le produit de 6 fois 9 ne puisse rapidement le retrouver s'il est conscient. A moins d'avoir perdu la joie de réfléchir et, en esclave de l'automatisme, de ne pas pouvoir se servir de son intelligence. En éducation, des erreurs d'apparence insignifiantes peuvent avoir des répercussions graves.

Il faut plus souvent suivre et aider l'enfant que l'enseigner. L'autonomie fonctionnelle peut le conduire aux acquisitions les plus arides et les plus étonnantes pourvu que les leviers de commande ne soient ni déviés ni brisés à l'aube de son pacte social.

 

La mesure

Pas plus que nous n’avons abordé l'étude des nombres d'une façon systématique, nous ne commençons la présentation des unités de mesures arbitrairement. La vie, le travail nous les imposent.

Que nous nous en référions à des mesures, dites naturelles pour les distinguer de celles que nous impose la société - ou aux mesures conventionnelles, l'enfant s'aperçoit surtout de la différence d'une grandeur lorsqu'il est lésé ou lorsque une quantité insuffisante l'empêche de faire ce qu'il veut.

La maladresse qu'il commet couramment c'est de ne pas savoir utiliser sa mesure en ce sens qu'il ne commence ni à la première extrémité et qu'il ne finit pas exactement a l'autre s'il s'agit de mesure de longueur par exemple.

S'il déroule un brin de laine pour son tissage et le compare à la largeur de celui-ci pour voir s'il est suffisamment long, il lui arrive souvent de placer la laine à partir du tiers ou d'un autre endroit du travail. Il ne sait pas comparer. Ce n'est qu'après plusieurs essais, « ton bout est trop court tu n'a pas bien mesuré » qu'il comprend la signification de mesure.

C'est donc à partir du travail manuel que nous parlerons de mesure. De même, en songeant au poids et à la taille de l'enfant et lors de manipulations qui nécessitent évaluations ou dosages.

COUVRE-LITS DE POUPEE
FILETS A FRUITS
PETITS PANIERS

Nous matérialisons le plus possible l'expression de l'enfant et nous aimons lui donner le goût des choses réussies avec une note, un apport tout personnel. Aussi, à côté de ses tâtonnements pour habiller les poupées et lui-même, nous l'aidons à réaliser des napperons, des coussins, des couvre-lits de poupée, etc.... qu'il décore de ses dessins. Soit qu'ils suivent les contours avec des points de couture, soit qu'ils remplissent les robes, les prairies, le ciel également avec des points, ou des chaînettes ou de la queue de rat faite au tricotin ou à la bobine.

Il s'agit de border la jupe de la dame de queue de rat bleue. Faut-il un grand bout ? Et l'on mesure avec un fil que l'on coupe au bon endroit. Le tricotin se met à l’œuvre, déjà ça.... puis la moitié... encore un peu... Mais ce bout de fil qui sert de mesure, que de fois il s'est perdu ! Alors un aîné a proposé : « Reporte-le sur le double décimètre et ainsi tu retiendras bien la grandeur. Viens que je te montre ; voilà, tu as besoin de 10 centimètres de queue de rat ».

Et la mesure en centimètres se répète pour chaque sujet.

Il faut de même mesurer les doublures, les volants, les dentelles. Ce sont les fillettes et les garçons à partir de 8 à 9 ans qui montent les paniers et les coussins des plus petits. De petits paniers en toile de jute, de formes diverses, destinés à contenir le repas de midi sont également décorés par l'enfant, qui rehausse toujours son dessin de laines et de cotons aux couleurs choisies par lui.

Il peut aussi, avec des chaînettes réalisées avec les doigts ou le crochet, nouer un petit filet pour emporter ses balles ou ses fruits. Il faut pour cela réaliser de 20 à 30 chaînettes d'un mètre de long, que l'on plie en deux pour obtenir des bouts à nouer de 50 centimètres. (Voir croquis).

Lors de la confection de ces petits accessoires, il y a de quoi familiariser l'enfant avec le mètre et les centimètres à condition évidemment qu'on le laisse découper, mesurer et même se tromper.

Si on l'astreint encore à coudre une ligne de points devant sur un carré de triplure blanche découpé d'avance et suivant un fil tiré, nous en revenons toujours à la simili-activité bornée et sans problème.

AU JARDIN

Le petit coin de terre que nous cultivons devant l'école est une source inestimable de possibilités pour l'initiation à la mesure.

A côté d'une partie inculte, nous nous efforçons de maintenir en bon ordre des plates-bandes, un petit potager et des jardinets individuels. Et déjà les petits, lorsqu'il faut partager la bande de terrain qui leur est réservée, se servent du mètre et de la chaîne d'arpenteur.

Pour les aînés à partir de 9 ans, les plantations, les semis, les plans à l'échelle envoyés aux correspondants pour les faire participer à notre travail sont un point de départ précieux pour les travaux de mesures. (Voir croquis).

POIDS ET TAILLE

Connaître son poids et sa taille intéresse beaucoup l'enfant parce que les parents s'y intéressent aussi et parce que tout élément qui concourt à le marquer en tant qu'individu le captive.

Nous pesons et mesurons les enfants chaque mois. Nous n'avons pour cela ni toise, ni balance automatique mais une ligne graduée sur le chambranle de la porte et une petite bascule de ferme.

Au début, les aînés se chargent de peser les petits et de tenir à jour leurs courbes individuelles ; de plus, ils écrivent chaque mois un petit billet destiné aux parents pour les renseigner sur les progrès des petits en poids et en taille.

A partir de 7 à 8 ans, la plupart savent manier la bascule et les poids, Quant à l'utilisation de notre toise improvisée, à partir de 6 ans 1/2 ils lisent leur taille sur la ligne graduée et la comparent à celle des autres. Nous la leur faisons représenter par une bande de papier que nous allongeons au fur et à mesure.

Après chaque séance de ce genre, nous donnons aux enfants à partir de 8 ans quelques fiches d'exercices.

Poids et taille de Freddy
Freddy pèse 20 kg 250.
Il pesait en Janvier 19 kg 800.
Il a grossi de 450 grammes.
Freddy mesure 1 m. 09.
Il mesurait 1 m. 09.
Il n'a pas grandi.

Le 15 Février 1950.

J'ai décrit quelques travaux, les plus réguliers et, parmi ceux-ci, j'oubliais de citer les pesées de colis que nous envoyons aux correspondants, l'affranchissement des lettres, l'achat de timbres qui deviennent aussi des occasions courantes d'évaluer.

Mais il y a également les préparations à la cuisine, les petites expériences que nous réalisons occasionnellement : préparation de confiture avec des fruits ramassés au bois ou de mets avec ce que nous récoltons au jardin, bricolage, recette pour réussir les coulages de plâtre, les bas-reliefs collés, etc...

Je ne puis cependant abandonner cette idée de la mesure sans envisager les notions de volumes et de surfaces qui, ordinairement, nécessitent tant de répétitions et d’affichages de formules.

Nous ne pensons pas que le nombre de dimensions complique tellement les choses. Lorsque les problèmes se sont posés simplement dans la vie avec une motivation véritable nous n'avons jamais rencontré de difficultés pour faire évaluer surfaces et volumes.

Nous ne nous préoccupons pas d'amener l'une ou l'autre catégorie d'abord, nous abordons celle qui se présente et nous allons de l'une à l'autre si les occasions sont telles. En partant de la signification vivante du problème, aucune complication n'existe réellement.

Les petits habitués au contact des choses et à l'expression ont comparé, évalué maints objets et les mots : grand, gros, large, étroit ont pour eux une signification adéquate et distincte.

Je n'en veux pour preuve que ce texte de petits de 5 ans qui, sentant la différence entre une longueur et un volume :

Oh ! les grosses carottes !!
Elles sont grosses comme ça
(en joignant les deux mains)
Elles sont longues comme un mètre.
(en écartant les bras)

Mais toujours, on présente à l'enfant, l'étude des notions par le mauvais bout. On se figure qu'à l'école primaire il sera capable un jour de se dire : « C'est pour résoudre tel problème que j'ai besoin de telle notion ». Et dans cet espoir, on se dépêche de lui faire répéter des exercices de système métrique pour qu’il puisse les appliquer au moment voulu.

Comme pour l'étude des nombres, on croit que prendre un mètre en main pour faire constater qu'il porte dix divisions en décimètres et cent en centimètres c'est construire sur une base vivante. Des dizaines de fois, on y revient en se disant : mais pourquoi oublient-ils pourquoi confondent-ils, il suffit de songer au mètre ?

Une manipulation gratuite, sur commande, des engins de mesures vaut évidemment mieux que l'enseignement purement livresque mais c'est l'intégration, à la vie de l'enfant, de toutes les nécessités d'en faire usage qui importe. C'est dans la mesure où l'enfant voit son entourage et, lui-même amenés à des opérations de mesurages et d'évaluations de plus en plus précises qu'il s'intéresse et s'initie, avec toute son attention en éveil, au maniement et à la connaissance.

L'observation des enfants a montré l'impossibilité de les attarder à des relations abstraites et sèches. Leur besoin irrésistible de propulsion vers des acquis toujours renouvelés les rend inaptes à la réflexion et à la réversibilité de leur pensée. Malgré cela, ou à cause de cela, on veut amadouer l'enfant par des trucs et simplifier, classer les choses pour les rendre moins digestes. Quelle illusion ? Ce petit jeu empoisonne toute l'ambiance scolaire et produit des enfants indifférents, inconséquents, sans assurance ni conscience de leurs possibilités parce qu'on leur a enlevé toute joie de découvertes et de synthèses en séparant leur travail scolaire de la vie.

J'ai essayé de montrer comment, par le travail, les réalisations constantes, les enfants sont amenés à mesurer dès qu'ils s'y montrent prêts. Nous expérimentons d'abord en appelant les choses par leur nom certes, mais sans aucun souci de systématisation. Pourquoi parler de décimètres et de centimètres et faire faire des exercices du genre de ceux-ci : 5 dm +... = 1 ni à des enfants de 7 ans ? Qu'ils manient les décimètres et les mètres au point de s'en rendre maîtres et un beau jour, lorsqu'ils persisteront à commettre une erreur d'évaluation ou d'inscription le besoin d'une mise au point apparaîtra nécessaire.

Par exemple, au moment de noter la taille des petits, les enfants de 9 ans s'appliquent de leur mieux à écrire le billet qui sera remis aux parents car ils signent leur travail. Je n'avais jamais enseigné quoi que ce soit au sujet de la virgule ni des nombres décimaux. Depuis toujours, les enfants écrivaient les comptes de la coopérative avec les francs et les centimes, ainsi que les poids et les tailles avec les dixièmes et les centièmes. De l'un à l'autre ils se communiquent que 5. centimes s'écrit 0,05 fr. et que 9 centimètres s'écrit 0,09 m.

Mais voilà, Lucien a noté : Claudy (de 5 ans) mesure 1 m. 8. C'est un peu grand pour son âge.

J'attire l'attention sur la difficulté et, en quelques minutes, ensemble nous revoyons la numération des nombres entiers et des nombres décimaux en rappelant le nom des différentes unités de mesures avec les multiples et sous-multiple, après cela, quelques fiches d'application. Peut-être y reviendrons nous encore à l'occasion d'une autre erreur, mais, cela ne constitue pas chez nous un souci permanent d'exercices.

L'utilisation constante des mesures est la meilleure façon de s'en souvenir.

De même, l'étude des surfaces et des volumes, s'aborde par un problème vivant qui se pose.

Par exemple :
La coopérative doit payer une plaque de carton isolant qui servira pour nos bas-reliefs en plâtre collé, elle mesure 3 m. sur 1 m. 26 et coûte... frs le mètre carré.
Il faut connaître le prix d'un morceau, Il y en a de dimensions diverses et il a fallu payer le sciage 10 francs.
La coopérative doit payer une plaque de triplex qui a servi au travail manuel.,
Nous voulons comparer la récolte de seigle faite à l'école à celle des parents des élèves. Il faut ramener à l'are. Idem pour les pommes de terre.
On veut comparer la grandeur des jardinets mais les longueurs et les largeurs sont différentes. Il faut une unité commune, le m².

Les enquêtes à la ferme amènent toujours des questions d'ares et d'hectares.

Il faut vider le bassin des canards avec des seaux. Chaque élève doit-il en enlever ?
Que signifie : la cuve du château d'eau contient 800 m3 ?
Les enfants apportent un encrier à remplir. Ils doivent payer à la coopérative. Capacité de l'encrier ?
Au bois, les stères attirent notre attention.
Une enquête sur le bois voisin signale leur rapport en m3 de bois, etc...
Le problème se pose, les enfants ne savent pas chercher la surface. Peut-être ont-ils déjà parlé ou entendu parler de m².

Prenons les premiers exemples. Puisque le marchand donne le prix par m² nous devons savoir exactement quelle grandeur cela représente. Chacun découpe 1 m². Nous les plaçons sur la plaque tracée à même le carrelage. (Voir croquis 1).

Mais il y a des morceaux non recouverts. Prenons une plus petite unité, le dm² ; on en découpe. On constate combien on peut en placer sur le m². Puis on commence à en couvrir la plaque, évidemment il faudra continuer en imagination. (Voir croquis 2).

Encore un petit liseret non recouvert. Il faut des cm² et nous refaisons le même travail. (Voir croquis 3).

Nous avons renouvelé pareil tâtonnement pour les parcelles de seigle et de pommes de terre sans pour cela conclure que la surface se cherche en multipliant la longueur par la largeur. Tous pratiquent la formule mais pourquoi se presser de substituer à toute une opération mentale quelques mots qui peuvent se déformer si facilement. Attendons d'avoir vraiment besoin d'aller plus vite.

La recherche de la surface de la chaussée voisine s'est présentée à l'occasion du goudronnage. Les enfants ont refait les croquis et la même recherche raisonnée.

Robert a fait une conférence sur les fermes. En nous montrant les différentes catégories de fermes de notre région, il a comparé la grandeur de leurs terrains. Il a parlé d'hectares. Et à la suite d'une enquête chez le fermier, qui hésitait quant à la superficie de ses terres, nous avons été amenés à consulter le plan du cadastre. Du même coup,,se sont présentés à nous des terrains de toutes formes, Nous avons dessiné toutes celles qui peuvent se rencontrer en les nommant, en précisant leur tracé et les différents termes qui s'y rapportent,

Nous avons alors cherché la surface de chacune d'elles en les ramenant à la forme du rectangle. C'est à ce moment, que s'est imposée la formule : pour rechercher la surface du rectangle, il faut multiplier la longueur par la largeur. Pour les autres figures, il s'agissait de retrouver à quelles lignes correspondent la longueur et la largeur du rectangle constitué par la figure découpée.

Les enfants ont eux-mêmes cherché la façon de constituer le rectangle avec chaque figure et dégagé chaque fois la manière de chercher sa surface.

Pour chaque figure, ils traçaient plusieurs croquis semblables, ils les découpaient et tâtonnaient ; lorsqu'ils avaient trouvé, ils collaient dans leur cahier : 1 figure, 1 figure découpée, 1 rectangle constitué avec le nom des lignes. Et ils dégageaient la façon de trouver la surface.

Voici les pages du cahier d'un élève de 10 ans ½ qui a participé à cette initiation.

Hier, toute la classe a tracé un are dans la cour de l'école. Il y a 10 m. de chaque côté.
Armand traçait un côté de l'are le long du dam. Mi, j'indiquais les mètres.
Alberte se mettait à un coin, moi à un autre, Robert à un troisième coin et Armand au quatrième. Ainsi, on voyait bien le carré d'un are.
Nous tracerons tous les m² qu'il y a dans l'are.
Nous avons demandé combien il y a de m² dans la cour.
Nous avons cherché la surface de la cour.

Dans le pré de Camille, nous avons tracé un hectare.

A chaque coin de l'hectare, nous plantions un bâton avec un papier,

Marie-Louise et moi, nous avons mesuré depuis le bois jusque dans les fougères de Léopoldine. Quand nous étions sorties des fougères, Robert vient nous dire que nous devions retourner pour mettre un plus grand papier. Marie-Louise dit « flut Robert ». Armand et Robert ont mesuré 10 dam. le long du bois. Micheline et Alberte ont mesuré 10 dam. le long du chemin.

Nous avons compté qu'on peut y mettre 100 a. ou 10.000 ca. ou 10.000 m². Nous nous sommes assis dans la prairie et nous avons regardé l'hectare que nous avions tracé. Dans l'hectare, on sait mettre une ferme comme celle de Scheirlinkx. Madame disait qu'on pouvait en mettre deux. Nous avons vérifié.

On pourrait y mettre 5 fois la maison de madame avec son jardin, car elle possède 20 a. Le terrain de l'école s'y placerait 10 fois puisqu'elle a 10 a. de surface.

 

 

Les problèmes

A l'école traditionnelle, on apprenait ,d'abord à calculer automatiquement et, lorsque l’enfant, pouvait résoudre les opérations, on représentait des problèmes à solutionner en application.

Contrairement à ce système, dans la vie, c'est toujours sous formes de problèmes que le calcul se présente aux enfants.

Ils les résolvent, au début, pratiquement en maniant les choses et oralement par des moyens plutôt empiriques, par des évaluations approximatives lorsqu'ils ne connaissent pas encore la technique des opérations à effectuer.

Il leur arrive, aussi d'être pressés et d’évaluer hâtivement lorsque le manque de précision n'occasionne pas de dégâts. Comme nous faisons dans la vie courante, lorsqu'il faut se procurer du tissu, de la laine pour confectionner quelque vêtement.

C'est la méthode du tâtonnement, par laquelle l'enfant expérimente et assujettit les techniques à son adaptation.

Voici quelques exemples de procédés découverts par l'enfant.

LA TARE

Nous avions terminé la récolte de pommes de terre. Depuis quelques jours, elles séchaient sur le terrain, il fallait les rentrer. Nous voulions également les peser.

Nous avions prêté notre bascule à un voisin et nous fûmes forcés d'utiliser la petite balance de la classe. Jean-Claude (8 ans 1/2) se chargea du travail avec une équipe de petits pendant que je m'occupais avec les grands. Les petits ramassaient les pommes de terre dans des caisses ou d'autres récipients et les apportaient à Jean-Claude qui avait installé sa balance sur la table à modeler. Les grands et moi nous assistâmes à la mise en train.

Jean-Claude ne put mettre suffisamment de pommes de terre sur le plateau et décida d'utiliser le 1/2 dal. qui tenait bien en équilibre sur la balance.

Il voulait peser un kilo de pommes de terre. Il plaça le poids de 1 kg d'un côte et de l'autre son 1/2 décalitre dans lequel il commença à mettre des pommes de terre. Après la troisième, la balance se mit à hésiter et retomber nettement du côté des pommes de terre.

- Assez, assez !!
- Assez et je n'en ai que trois ?
- Tu oublies quelque chose.
Jean-Claude observait sa balance, lisait les indications inscrites sur le poids, enlevait et remettait son récipient et ne semblait pas comprendre.
- Pourtant il n'y a pas un kilo !
- Tu vas nous compter le 1/2 décalitre pour des pommes de terre ?
Il comprit, mais se demanda comment faire.
- Pèse le 1/2 décalitre
- 750 gr.
Et je mets encore le poids d'un kilo en plus ?
- Mais bien sûr

Et durant tout l'après-midi les aînés lui rappelèrent ses trois pommes de terre pour 1 kg et son oubli de décompter la tare. Il écrivit dans son cahier :

« Je voulais peser 1 kg de pommes de terre dans un récipient qui pesait 750 gr. J'avais oublié d'équilibrer ma balance lorsque le récipient y était. Cela s'appelle évaluer la tare. Il faut calculer les poids à placer sur la balance :

750 gr. + 1 kg = 1 kg. 750
C'est-à-dire le poids de 1 kg.
de 500 gr.
de 100 gr.
de 100 gr.
de 50 gr.

CALCUL DE METRAGE
NOMBRE DE PLANTS

Lorsqu'il faut rechercher un métrage, de tissu ou un nombre de plants, je laisse tâtonner l'enfant, d'abord sur les grandeurs réelles si c'est possible, puis sur des croquis à l'échelle.

Peu à peu il parvient à se passer de ces aides concrètes, et se représente les dimensions.

LA PARCELLE DE POMMES DE TERRE

Problème : A 1’école nous devons planter des pommes de terre. Notre terrain est triangulaire, la base mesure 10 m. 70 et la hauteur 10 m. 50.

Nous devons décompter la surface de la couche et des sentiers (voir croquis).

La couche mesure 2 m. 90 X 1 m. 10 et les sentiers 0 m. 60 de large.

On plante 10 kg. de pommes de terre à l'are. Combien devons-nous acheter de pommes de terre ?

Solution (tâtonnement)
Nombre de lignes qu'il y a dans 10 m. 70 :
10 m. 70 : 0 m. 55 = 19 fois 1 ligne.
Nombre de pommes de terre dans la ligne
10 m. 50 : 0 m. 45 = 30 fois 1 pomme de terre.
Nombre de pommes de terre dans le champ :
30 pommes de terre X 19 = 570 pommes de terre.
Pommes de terre qu'il faudra pour notre champ : 570 pommes de terre : 2 = 285 pommes de terre.
Nombre de lignes en long dans la couche 1 M. 90 : 0 m. 55 = 3 fois 1 ligne.
Nombre de pommes de terre dans la largeur :
1 m. 70 : 0 m. 35 = 4 fois 1 pomme de terre.
Nombre de pommes de terre qu'il y a dans la couche :
4 pommes de terre x3 = 12 pommes de terre.
Pommes de terre qu'il faudra moins la couche :
285 pommes de terre ‑ 12 pommes de terre x 273 pommes de terre.

Solution (plus courte)
Surface du champ + la demi-couche
                  10,50
10 m² 70 x ______ = 56 m² 1750.
                    2
Surface de la demi-couche+les sentiers :
1 m. 90 X 1,70 = 3 m² 23.
Surface du champ à cultiver :
56 ms 1750 - 3 m² 23 = 52 m² 9450.
Quantité de pommes de terre à planter :
10 kg. X 0,529450 = 5 kg. 29450.

                                    ***

PROBLÈME

Nous devons confectionner 20 bavoirs pour les petits. Un bavoir mesure 28 cm. de long et 22 cm. de large. Le plastic a 90 cm. De large et coûte 27 frs le m. Je dois chercher le métrage de plastie qu’il faut acheter et la somme que le trésorier doit me donner.

Solution :
Nombre de bavoirs sur la largeur :
90 cm. : 22 cm. = 4 fois, donc 4 bavoirs.
Combien de mètres courants faut-il ?
Je peux faire 4 bavoirs avec 28 cm. Il me faut 5 fois 4 bavoirs donc 0, 28 m. x 5 = 1 m. 40.
Prix du plastic : 27 frs x 1,4 = 37 frs 80
(Page extraite du cahier d'Agnès, 11 ans.)

Mais l'enfant doit arriver à calculer d'une façon précise et aussi à se dégager du maniement des choses. Il doit pouvoir, par le travail de sa pensée calculatrice et en accédant à une certaine abstraction traduire les données et poser la solution des problèmes de vie en utilisant des chiffres et des procédés mathématiques.

Comme il est arrivé à symboliser les quantités par des chiffres, à construire les produits de sa table de multiplication et à concevoir les différents procédés de mesure, il fera l'économie des procédés concrets et des longs raisonnements en dégageant les formules chiffrées. Il n'est point besoin pour cela de le faire travailler en imitant des solutions types, ce procédé est à condamner comme étant le pendant de la mémorisation des tables de multiplication et des automatismes dangereux et aveugles.

Il n'est qu'un seul processus rationnel, ,c'est le passage par la période de tâtonnements à même la vie et l'ascension aux procédés abstraits par une construction progressive des formules de travail.

Attention nous n'abandonnons jamais l'enfant à lui-même. Il ne s'agit pas, faute d'une aide perspicace, de le laisser tourner en rond et de s'éterniser dans les tâtonnements et les approximations qui sont du domaine de la facilité. Notre collaboration constante avec l'enfant doit lui assurer une évolution, à un rythme accéléré, vers un épanouissement maximum. Au moment favorable, répondant à, l'intérêt, aux nécessités du moment, nous sommes là pour montrer la voie, nous présenter les techniques utiles.

Et nous n'attendons pas ce moment, passivement, comme une occasion ; nous ,oeuvrons à l'organisation d'un environnement qui, constituant un milieu à la mesure de l'enfant, le met devant des problèmes réels de toute nature. Ce milieu lié à la vie par nos échanges entre ,écoles et aussi entre l'enfant et les artisans, place également l'enfant devant les problèmes humains qui conditionnent notre vie économique et sociale.

Mais toute la difficulté réside dans l'attitude d'observation patiente de l'éducateur. Il faut savoir attendre que l'enfant mûrisse, Si nous exigeons trop tôt qu'ils résolvent des problèmes dans son cahier, il aura besoin de modèles et d'explications. « Trop tôt », selon moi, c'est avant 11 ans.

Si nous savons attendre que l'enfant relie lui-même son raisonnement concret à une formule de langage (vers 12 ans), nous l'aurons amené jusqu'à la découverte, travail mental essentiel pour sa formation. L'enfant aborde alors les problèmes avec assurance et confiance sans envisager d'avance le recours aux explications. S'il faut expliquer un problème, c'est que le travail de formation a été mal conduit ou que, de toute façon, il n'est pas à sa place.

Peut-être, peut-on accélérer le travail des solutions écrites de problèmes en utilisant, comme pour les opérations, des fichiers auto-correctifs de problèmes (Les fichiers auto‑correctifs C.E.L. Problèmes C.E. ‑ Problèmes C.M. ‑ Problèmes C.F.E.). Ceux qu'édite la C.E.L. proposent des problèmes qui se sont posés dans des classes en train de se rénover. Après que l'enfant a vécu une situation et qu'il en traduit l'issue par des chiffres, on peut lui présenter des situations analogues sur fiches auxquelles, évidemment, il se verra amené à répondre par écrit.

C'est là surtout un travail qui tranquillise les hésitants et qui satisfait aux programmes.

Pour mûrir plus vite, il faut surtout vivre intensément, être incorporé dans un groupe actif.

Nous vivons, il est vrai, une période de transition au cours de laquelle une pédagogie d'un autre esprit se construit peu à peu ; en attendant, il faut parer à toutes les difficultés à la fois.

Pourtant, il faut savoir que faire résoudre par écrit, donc sur le plan abstrait, un problème fût-il simple, par un enfant de 9 ou 10 ans, c'est lui demander un travail, non seulement au-dessus de ses possibilités, mais surtout nuisible à sa formation. Lui demander de redire par écrit ce qu'il a réalisé pratiquement offre déjà bien des difficultés.

Dans le concret, l'enfant sait trancher la question et, devant la situation, effectuer les opérations, trouver la réponse mais, transplanté devant son cahier, il ne sait plus retourner en arrière, repenser la succession des opérations ni synthétiser dans une phrase ce qu'il a pense. Les psychologues parlent d'un décalage que les praticiens sentent suffisamment lorsqu'il s'agit de problèmes.

Certains diront qu'il faut entraîner l'enfant à ce genre de travail. Il s'y prête naturellement si on lui laisse le temps de mûrir ce qu'il a d'abord réalisé. Mais oserait-on dire franchement ce qu'on lui a permis de réaliser dans ce sens ? Quels matériaux peut-il dès lors accumuler et sur quoi peut-il se baser pour abstraire ?

Les explications après coup sont laborieuses et le plus souvent inutiles ; c'est avant de dégager les procédés qu'il faut procurer de quoi les étayer. A un certain moment, l'enfant se dégagera des choses, surtout si nous l'y aidons. Alors il saura trouver sans manier, sans toucher, sans voir ; aisément, il écrira les solutions résultant d'un travail mental avec tout le profit éducatif qu'apporte ce genre de travail constructif et conscient.

Exiger que l'enfant produise avant la maturité indispensable, c'est toujours le maintenir dans une infériorité qui l'oblige à recourir aux automatismes extérieurs.

Voici deux exemples illustrant le genre de travail qui peut constituer la part du maître telle que je viens de l'évoquer :

Le premier : « La page des bons imprimeurs », montrant l'organisation du travail qui motive un calcul précis, et le second : « Les problèmes d'intérêt » exposant la façon de présenter globalement des éclaircissements sur une situation nouvelle.

LA PAGE DES BONS IMPRIMEURS

L'on s'imagine souvent que le travail à l'imprimerie, qui débute toujours par un engouement des enfants, va continuer à les captiver au point d'en faire de petits imprimeurs consciencieux et dociles. Mais lorsque l'enfant a acquis une certaine maîtrise à ce travail, il s'y applique moins et, suivant les moments, il fait des fautes ou y passe trop de temps. Il faut toujours en revenir à une organisation du travail car, en définitive, c'est le milieu social qui conditionne en grande partie le comportement. Voici comment nous l'avons réalisée.

Le samedi, jour de la réunion coopérative, lorsqu'il fallait tracer le graphique personnel et ensuite le considérer à la réunion, nous nous en référions, pour ce qui concerne la rubrique « imprimerie » à la première épreuve de chaque texte sur laquelle la participation de chacun tait indiquée avec les fautes commises. C'était une référence mais nous sentions bien que l'appréciation était arbitraire, à cause du nombre différent de composteurs réalisés. Nous y avons, par la suite, ajouté le temps consacré, c'était déjà mieux. Mais il était difficile de comparer le travail dès participants, de voir les progrès ; nous avons alors trouvé une autre formule qui, tout en permettant d'apprécier exactement le travail, donna l'occasion d'effectuer des calculs précis dans plusieurs genres (fractions, moyennes, nombres complexes, etc...)

Nous avons affiché, auprès de l'imprimerie, le tableau des « »Bons Imprimeurs » conçu comme ci-dessous

(Voir page 3 de couverture.)

Il est suffisamment parlant pour que vous vous figuriez le travail qu'il exige.

C'est maintenant une habitude établie de noter sur ce tableau l'heure à laquelle on commence et à laquelle on finit.

En fin de semaine, chaque élève relève le tableau, qu'il inscrit dans son cahier de calcul. Il recherche le temps consacre par chacun au travail de composition, constate le nombre de composteurs, le nombre de fautes effectue les moyennes, puis nous comparons afin de vérifier.

Nous avons ainsi obtenu, en même temps qu'un document exact nous permettant d'évaluer le travail de chacun pour la réunion, une concentration sur le travail qui amène plus de conscience et plus de stabilité.

LES PROBLEMES D'INTERETS

Les problèmes d'intérêts constituent toujours un morceau indigeste pour les enfants, et l'on s'éternise en catégories : recherche de l'intérêt, recherche du temps, recherche du capital, en considérant des années, des mois, des jours, etc.

Nos enfants ont été amenés à la connaissance de la règle de trois surtout par les problèmes de voyages que nous faisons le plus souvent possible en auto : calcul de la vitesse, de la consommation, du prix. Pour trouver le prix des récoltes et des plantes que nous vendons, ils ont également utilisé ce procédé.

Ils ont pris contact avec le pourcentage par des remises consenties sur leurs achats et par des proportions à évaluer.

Bref, il reste à appliquer ces notions aux problèmes d'intérêt qui, il faut bien le dire, sont peu du domaine de l'enfant.

Nous avons néanmoins eu diverses occasions de les introduire :
1) Placement de l'argent de la coopérative à la caisse d'épargne pendant les deux mois de vacances.
2) Demande d'explications d'un élève au sujet de son livret d'épargne.
3) Les parents d'un élève achètent un terrain et, pour cela, empruntent de l’argent.

Nous appliquons les différents termes temps, taux, capitaux, intérêt aux exemples qui motivent notre entretien. Puis nous suggérons les diverses façons de poser les problèmes.

Pour l'argent de la caisse coopérative placé, les enfants étaient anxieux de connaître l'intérêt reçu.

Pour la question du livret d'épargne, c'était le temps écoulé depuis le placement qui intéressait.

Pour le troisième exemple, les parents désiraient payer un certain intérêt par mois. Ils connaissaient le taux de l'emprunt, nous cherchâmes quelle somme ils pouvaient demander.

En considérant le même exemple, nous montrons aussi aux enfants sous quels aspects différents le problème peut se présenter.

Nous faisons ensuite constater, sur les multiples exemples de règles de trois effectuées, que toujours la donnée que l'on cherche se place à la fin de la phrase et que l'on commence par dire ce que l'on sait déjà de cette donnée, en réservant la dernière ligne pour trouver ce que l'on cherche, disposition qui est logique en vue de l'opération finale.

Exemple, je cherche la vitesse horaire :
Je connais : en 2 heures et 1/2 l'auto a parcouru 124 km.
            ou en 150 minutes.
            en 1 minute.
Je cherche : en 60 minutes...

Nous leur demandons alors d'appliquer cela aux recherches d'intérêt, de temps, de taux, de capital. Nous les avertissons des conversions en mois et en jours.

Les enfants habitués à chercher trouvent les solutions. Il leur arrive de venir avec étonnement nous montrer les passages où le même intérêt est rapporté par un capital 2 fois plus petit,.. mais le temps est doublé.

Amenons la confiance, alertons le raisonnement, comparons à ce que les enfants connaissent, et ils pourront découvrir de nouveaux procédés.

Et s'ils les découvrent par eux-mêmes, tant mieux ! rien n'est plus à craindre pour la marche vers plus d'abstractions.

Conclusion

J'ai voulu dans cette brochure, mettre l'accent sur l'importance du départ en calcul, sur la grande valeur d'une initiation réalisée dans une ambiance d'éducation fonctionnelle.

J'insiste également sur la simplicité des moyens employés lorsque tout émane de la vie et se rattache aux aspirations de l'enfant ; point de matériel encombrant ni de système qui bride et oppresse mais l'expression continuelle de l'être curieux, en marche vers une compréhension plus large, plus profonde de l'humain.

Jusqu'à 8 ans ni les chiffres ni les opérations ne peuvent s'imposer à l'enfant de l'extérieur comme un domaine inconnu qu'il faut pénétrer. Les aspects numériques des choses et des situations intégrés à sa vie doivent être considérés au fur et à mesure qu'il apparaissent afin d'y accrocher l'activité et les mots qui assureront leur connaissance sans cesse approfondie et l'orientation vers des automatismes forgés par l'individu suivant les lois naturelles de son développement.

Si j'ai considéré quelques notions de calcul qui concernent le travail des classes supérieures, c'est pour montrer l'importance d'une base assise, sur les aspects de vie, qui influe fortement sur la destinée de l'individu et la similitude de processus que nécessite toute nouvelle acquisition solide.

L'essentiel restera toujours d'intensifier la vie par un environnement qui suscite l'expression et la création.

Nous avons, jusqu'ici, greffé sur le travail vivant des exercices, et les meilleurs ont été fournis par les fichiers auto-correctifs d'opérations et de problèmes que l'enfant utilise individuellement et à son rythme.

Dans l'état actuel des choses, ils sont nécessaires pour regrouper les notions et intercaler celles qu'exigent les programmes, mais que la vie utilise rarement.

Nous pensons que le rôle des fichiers doit diminuer au prorata de la montée de la vie et probablement devenir superflu dans une organisation scolaire qui appliquerait au contrôle du travail des normes en rapport avec ce, qui constitue la valeur réelle de l'individu.

Ainsi le maître ne gaspillerait plus sa précieuse énergie à agencer des trucs ni a corser des exemples ni à exiger ou coter arbitrairement des exercices.

Il pourrait, dans un apaisement tranquille et satisfait, suivre le développement des petits oeuvrant dans un milieu que ses mains de technicien ajustent constamment alors que, toute sensibilité et perspicacité tendue, il vibre avec eux et les amène à dominer les choses et eux-mêmes dans les instants propices où ils procèdent par illuminations spontanées a la prospection du monde.

Avant de terminer, faut-il redire que si ce qui précède a été conçu et réalisé dans des conditions particulières de travail tantôt favorables ou défavorables : milieu rural peu attentif au travail scolaire, école mixte à deux classes comprenant des enfants de 4 à 14 ans…, il est peut-être possible, pour chacun, de réaliser  un autre milieu adéquat aux exigences qui le conditionnent.

L’enfant vit à son rythme et participe à l’activité des son entourage ; dès lors, l’aspect quantitatif des choses lui importe dans la mesure de son développement et de son intérêt. Chaque milieu offre des possibilités. Il incombe à chacun de s’adapter aux ressources de son ambiance et de l’enrichir par tous les moyens, afin que la vie profonde de l’enfant, ses besoins, ses curiosités et aussi le travail du groupe social soient à l’origine et constituent toujours le soutien des acquisitions abstraites en mathématiques.

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