Brochures d’Education Nouvelle Populaire

N° 47 juillet 1949

 

C.FREINET

 

Les Dits de Mathieu (1ère partie)

 

Editions de l’Ecole Moderne Française

CANNES (Alpes-Maritimes)

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LES DITS DE MATHIEU

 

 


L'HISTOIRE DU CHEVAL QUI N'A PAS SOIF

 

Le jeune citadin voulait se rendre utile à la ferme où on l'hébergeait :

 

- Avant de mener le cheval aux champs, se dit-il, je vais le faire boire. Ce sera du temps de gagné. On sera tranquille pour la journée.

 

Mais, par exemple ! C'est le cheval qui commanderait, maintenant ? Comment ? Il se refuse à aller du côté de l'abreuvoir et n'a d'yeux et de désirs que pour le champ de luzerne proche

 

Depuis quand les bêtes commandent-elles ?

 

- Tu viendras boire, te dis-je !...

 

Et le campagnard novice tire sur la bride, puis va par derrière, et tape à bras raccourcis. Enfin !... La bête avance... Elle est au bord de l'abreuvoir...

 

- Il a peur, peut-être... Si je le caressais ?... Tu vois comme l'eau est claire ! Tiens ! Mouille-toi les naseaux... Comment ! Tu ne bois pas ?... Tiens !

 

Et l'homme enfonce brusquement les naseaux du cheval dans l'eau de l'abreuvoir.

 

- Tu vas boire, cette fois !

 

La bête renifle et souffle, mais ne boit pas.

 

Le paysan survient, ironique.

 

- Ah ! tu crois que ça se mène ainsi, un cheval ? C'est moins bête qu'un homme, sais-tu ? Il n'a pas soif... Tu le tuerais, mais il ne boira pas. Il fera semblant, peut-être ; mais l'eau qu'il aurait avalée, il te la dégorgera... Peine perdue, mon vieux !…

 

- Comment faire, alors ?

 

- On voit bien que tu n'es pas paysan ! Tu n'as pas compris que le cheval n'a pas soif en cette heure matinale, mais qu'il a besoin de bonne luzerne fraîche. Laisse-le manger son saoûl de luzerne. Après, il aura soif, et tu le verras galoper à l'abreuvoir. Il n'attendra pas que tu lui en donnes la permission. je te conseille même de ne pas trop te mettre en travers... Et quand il boira, tu pourras tirer sur la longe !

 

C'est ainsi qu'on se trompe toujours, quand on prétend changer l'ordre des choses, et vouloir faire boire qui n'a pas soif...

 

…………………………………………………………………………………………..

 

Educateurs, vous êtes au carrefour. Ne vous obstinez pas dans l'erreur d'une « pédagogie du cheval qui n'a pas soif ». Allez hardiment et sagement vers la » pédagogie du cheval qui galope vers la luzerne et l'abreuvoir. »

 

 


 

DONNONS DU TIRAGE

 

 

 

 

Mathieu m'attendait à la gare. Son gazo était là, éteint.

 

- Ca va vite gazer !

 

Il prend un morceau de journal, l'allume avec son briquet, l'approche du trou minuscule.

 

- Ce doit-être difficile à allumer ce truc-là !

 

- Tout est question de tirage. Si celui-ci est puissant, la moindre petite flamme suffit. Et peu importe le matériau.

 

Comme dans une cheminée. Le meilleur papier, le bois gras même s'étouffent si le tirage n'amène pas sur eux le courant vivifiant.

 

Demandez à une vieille ménagère. Elle vous dira :

 

- Si votre fourneau ne tire pas, inutile d'insister. Vous vous enfumerez, vous vous essoufflerez et vous ne parviendrez pas à faire bouillir votre marmite... Ramonez la cheminée, dégagez la grille, ouvrez les tirants, et vous verrez...

 

Ainsi pour vos enfants.

 

Peu importe l'éminence des matériaux que vous placez au seuil de leur entendement, votre savante ingéniosité à disposer brindilles et charbons, votre obstination à secouer l'apathie d'une âme inerte, votre essoufflement à essayer de faire progresser cette flamme qui s'obstine à s'étouffer.

 

Donnez du tirage ! Découvrez et utilisez l'appel souverain des besoins vitaux, individuels et sociaux...

 

Alors, il vous suffira de présenter une toute petite flamme que la vie nourrira et amplifiera jusqu'à embraser l'individu tout entier. Et cette flamme dévorera tous les matériaux qui se présenteront, quels que soient leur contexture ou l'ordre de leur apparition.

 

Donnons du tirage !

 

 

 


 

PRENDRE LA TETE DU PELOTON

 

 

 

 

Vous vous demandez parfois, en traversant la forêt, pourquoi le sol est si nu entre, les troncs d'arbres et pourquoi une génération de petits pins ne pousse pas sur l'humus généreux, humide à souhait, à l'abri des vents. C'est que, pour grandir, pour vivre et durer, l'arbre a besoin d'atteindre la lumière et le soleil, même s'il doit, pour cela, s'infléchir et se faufiler entre les hautes tiges. S'il n'y parvient pas, il s'étiole et meurt.

 

Regardez les coureurs du Tour de France. Ou bien ils prennent à quelque moment la tête du peloton et arrivent en bonne place au classement, ou bien ils abandonnent. Parce que la course n'a pour eux ni sens ni avantage si elle ne leur permet pas, ne serait-ce qu'un instant, de se réchauffer au soleil de la réussite et de la gloire.

 

N'avez-vous jamais pensé à la détresse de tous ces arbustes qui, dans la forêt de votre classe, n'auront jamais l'avantage de voir le soleil et de prendre la tête du peloton et qui s'étiolent et se racornissent, et abandonnent ?...

 

A moins que, avant d'abandonner ils ne se redressent et se faufilent eux aussi pour prendre, ne serait-ce qu'une fois, la tête du peloton, même si c'est un peloton peu recommandable. Vous louangez le bon élève, intelligent et appliqué. Mais il est d'autres pelotons qui dévalent la pente et vous bousculent parfois ; l'élève qui ne réussit pas selon les normes dont vous avez fait la règle scolaire sera peut-être la plus habile à jouer aux billes, à partir à la chasse avec sa fronde à élastique, à allumer un feu sur la colline... ou plus simplement à vous tourner en ridicule pendant que vous écrivez au tableau... Et celui qui tient le record des élèves qui mettent le plus de mouches dans l'encrier a, à sa façon, gagné, un instant au moins la tête du peloton.

 

Ne découragez pas les coureurs. Il y a le grimpeur qui tiendra, la tête à la montée du col, le, rapide qui file dans les plaines ; celui qui s'envole au départ et celui qui gagne au sprint. Que chacun de vos élèves puisse, lui aussi, à quelque moment, prendre la tête du peloton et exceller dans une des multiples tâches que l'Ecole Moderne offre à ses disciples : vous aurez le maître écrivain, le poète, le dessinateur, le conteur, le comptable, le tragédien, le comique, l'imprimeur, le graveur, le menuisier, l'ajusteur, le classeur, l'amoureux de l'ordre, le musicien, le chanteur, le jardinier, le commissionnaire, l'allumeur de poêle... Il vous sera facile de trouver trente fonctions éminentes pour vos trente enfants.

 

Vous verrez alors monter les troncs et s'épaissir le feuillage.

 

 

 


 

 

UNE DIRECTION SENSIBLE

 

 

 

 

Avez-vous essayé de tourner le volant de votre auto quand elle est à l'arrêt, qu'elle démarre lentement ou qu'elle peine à prendre, à vitesse réduite, un tournant en épingle ? Malgré vos efforts, vous n'êtes pas maître de votre direction obstinément rebelle, qui ne répond qu'en grinçant à vos sollicitations.

 

Prenez d'abord de la vitesse : la direction deviendra de plus en plus obéissante et souple, nerveuse et vivante. Quand vous roulerez à bonne allure, elle sera si sensible que vous tournerez le volant d'un index léger.

 

Il s'agit là d'une de ces lois de bon sens qui, comme telles, sont communes à la mécanique, à la sociologie et à la pédagogie.

 

N'essayez pas d'orienter l'enfant si vous ne l'avez au préalable mis en marche, ou si vous avez artificiellement ralenti son élan dans les tournants difficiles de la vie. Ne croyez pas les pédagogues statiques qui vous disent comment on enseigne l'art de tourner le volant d'une auto à l'arrêt. Vous vous y userez sans profit et vous détraquerez la machine.

 

Démarrez donc ! Secouez et exaltez la vie ; accélérez à point voulu pour éviter les pertes de vitesse ; sachez même partir à plein gaz dans les lignes sans danger. Un mot, un geste à peine esquissés, auront plus de portée alors que cent discours sur le sens et la ,destinée de votre commune conquête. Des horizons nouveaux, s'ouvriront, par le seul fait de votre vivant dynamisme ; des pensées surgiront que vous auriez cherchées en vain dans les leçons et dans les livres.

 

Quand, au printemps, je menais paître mon escouade de chevreaux gambadants et indisciplinés, j'essayais de les pousser devant moi en les excitant de ma badine et en criant très fort et en gesticulant pour les empêcher de se sauver brusquement, par un chemin détourné, dans un champ de blé tendre. Je les en chassais et les voilà aux touffes savoureuses du poirier... Car les chevreaux ne savent pas marcher droit, sagement, comme il se doit.

 

Alors, je passais devant en gambadant comme eux, et si vite qu'ils n'avaient plus le temps d'écouter l'appel tentateur du blé ou du poirier en bordure, et je les menais ainsi, sans ennuis, jusqu'au bord de la rivière où poussaient les châtons d'osier.

 

Ne perdez pas la vitesse. Redoutez le verbe mort et stérile. Vous forgerez alors la vraie pédagogie du travail.

 

 

 


 

 

LA NOTION DE VITESSE

 

 

 

 

Les instituteurs sont encore, dans leurs classes XIXe siècle, comme ces paysans qui, il y a cinquante ans, voyaient passer, dans les rues Paisibles de leurs villages, les premières autos pétaradantes et empoussiéreuses :

 

- Si c'est Possible, aller si vite ... S'ils ne pourraient pas marcher comme tout le monde ! Et ce bruit !... Voyez, ils ont failli écraser mes oies !

 

L'instituteur n'aime pas la vitesse, sans doute parce qu'il n'est pas équipé pour la supporter. Il peste aussi bien contre le cancre qui est toujours en panne que contre le surnormal qui a terminé un devoir avant que les autres l'aient commencé et qui rompt, par ses exigences, le rythme paisible de la classe.

 

Nous sommes lancés sur une route où frémissent les autos, serrées de près par les vélos ; des chevaux fringants galopent suivis par la placide voiture à âne que pousse une paysanne. Et, à la queue, l'homme traîne un cochon grincheux. Le chemineau clôture la marche, point pressé d'avancer puisqu'il ne trouvera pas mieux devant lui que derrière.

 

L'Ecole voudrait mettre tout ce monde au pas, ralentir autos et vélos, secouer le chemineau et régler son rythme sur la voiture, à âne. Sinon, comment voulez-vous effectivement qu'elle suive et harmonise des sujets aussi capricieusement disparates ?

 

Comment ? En se plaçant hardiment en face de la réalité il y a des enfants rapides et pétaradant£, des cyclistes hardis, des chevaux fringants, des ânes paisibles et des chemineaux débonnaires. Pourquoi ne pas les laisser aller au rythme de leur nature, qu'ils accéléreront d'eux-mêmes.

 

Il suffira de reconsidérer le système de travail et la notion de vitesse pour stimuler et servir la vie.

 

 

 


 

 

 

ALLER EN PROFONDEUR

 

 

 

L'apprenti-jardinier s'enorgueillissait de ses melons qui poussaient, vigoureux et drus, dans des vasques aménagées en lignes régulières qu'ils alimentait richement en eau et en fumier.

 

Oui, mais que deviendront vos melons quand ils auront utilisé l'engrais généreux, ou qu'apparaîtra la sécheresse ? Vous les verrez alors végéter et s'étioler avant d'avoir donné leurs fruits, parce que, habitués à vivre paresseusement sur votre apport, ils sont incapables d'affronter par eux-mêmes les complexités de la vie.

 

Disposez donc fumier et eau dans une rigole entre les lignes, à quelque distance des plants. Pour vivre, le jeune melon sera contraint de lancer ses racines tâtonnantes à la recherche de la nourriture ; il développera ses radicelles, les enfoncera, les fortifiera, jusqu'à atteindre la zone grasse et généreuse. Et si votre aide fait défaut, ces même racines iront chercher dans les profondeurs, du sol là vie qui gonflera et mûrira les fruits.

 

Combien de parents, combien de pédagogues, pratiquent comme l'apprenti jardinier ! et accumulent là, à la portée de l'enfant, la nourriture toute prête à ingérer : manuels abondants et riches, explications et leçons concentrées en synthèses indigestes, devoirs soigneusement rationalisés pour éviter aux jeunes pousses tous efforts inutiles.

 

Et l'élève, en effet, paraît cossu et fort. Mais que l'abandonnent les formules scolastiques, que la vie pose ses vrais problèmes, que, n'avait point prévus l'Ecole, que le travail exige des connaissances que n'a point préparées un laborieux tâtonnement, le plant se dégonfle et se flétrit pour ne produire que ces fruits secs qui tombent lamentablement aux premières chaleurs.

 

Laissez l'enfant tâtonner, allonger ses tentacules, expérimenter et creuser, enquêter et comparer, fouiller livres et fiches, plonger sa curiosité dans les profondeurs capricieuses de la connaissance, à la recherche, ardue parfois, de la nourriture qui lui est substantielle.

 

Cela n'ira pas toujours sans pleurs ni grincements de dents. Quand tomberont les échafaudages, la maison sera déjà solide et puissante ; quand l'abandonnera la chaleur du foyer, le petit homme pourra affronter la vie, avec maîtrise et décision.

 

L'arbre portera ses fruits.

 

 


 

 

JARDINIERS ET ELEVEURS

 

 

 

 

Je regardais mon voisin préparer ses semis.

 

- La graine est délicate, expliquait-il complaisamment, comme s'il se parlait à lui-même. Il faut une couche chaude et menue, ni trop grasse ni trop pauvre... Et une terre meuble pour que la jeune pousse monte à son aise vers l'air et le soleil.

 

Un bon départ, c'est énorme dans la culture... Un plant rabougri a de la peine à reprendre force.., Regardez ce brin vert et ce pied vigoureux !... Cela vous résiste plus tard aux maladies, aux insectes et à la sécheresse... Et ça produit !…

 

Mais attention : ce même homme trouvera exagérées les dépenses que vous envisagez pour assurer à ses enfants ces mêmes conditions indispensables de prospérité.

 

- Ils sont maigriots comme ça étant jeunes, mais ça repart ensuite avec l'âge et ça devient tout de même un homme.

 

Et je pense à ce paysan que je surpris un matin conduisant son jeune cheval dans la cour d'une ferme proche.

 

- Qu'y a-t-il donc ? Est-il malade ?

 

- Non, mais je vais tuer mon cochon. Et à cet âge, vous comprenez, si le poulain entendait les cris de la bête, s'il reniflait l'odeur du sang, ça le marquerait peut-être pour toujours. Il ne pourrait plus entendre crier un cochon sans que le prenne, une peur maladive insurmontable et inguérissable.

 

Et pendant ce temps, dans la cuisine où se faisaient les préparatifs de la tuerie, un enfant plus jeune encore que le poulain ouvrait des yeux épouvantés. Il entendra tout à, l'heure les râles de la bête qu'on égorge ; il verra la fermière revenir, rouge de sang jusqu'au coude, et balançant son baquet éclaboussé.

 

Ce spectacle et ces cris s'inscriront à jamais, non seulement dans sa mémoire, mais surtout, hélas ! dans sa complexion et son comportement.

 

Mais l'enfant n'est pas un poulain, n'est-ce pas ?

 

Il y aurait un livre à écrire sur l'universalité des lois profondes de la vie, qu'il s'agisse des plantes, des bêtes ou des hommes. Il dirait la similitude des soucis du jardinier et de l'éleveur, et de l'éducateur. Et le bon jardinier qui réussit si bien ses plants ; l'éleveur si compréhensif pour ses bêtes seraient alors les premiers à exiger pour leur propre graine cette attention minutieuse, ce climat, cette chaude douceur, cet air et ce soleil sans lesquels ne se font pas les plants noueux qui montent dru pour fructifier selon leur nature et leur destinée.

 

 

 


 

PEDAGOGIE DU BON SENS

 

 

 

 

Vous allez chercher bien loin les éléments de base de votre pédagogie. Il y faut des considérations intellectuelles et des vocables hermétiques dont les universitaires ont seuls le secret. Et il est de tradition de se référer à Rabelais, Montaigne et J.-J. Rousseau pour ne parler que des penseurs dont la réputation est, depuis longtemps, inattaquable.

 

Mais êtes-vous sûrs que la plupart de ces idées que les intellectuels croient avoir découvertes ne courent pas le peuple depuis toujours et que ce n'est pas l'erreur scolastique qui en a minimisé et déformé l'essence pour la monopoliser et l'asservir

 

Regardez donc comment, dans le peuple, on soigne et on éduque les petits animaux : vous y trouverez I'origine des grands principes éducatifs auxquels on revient lentement, et comme à regret...

 

Pas d'apprentissage prématuré, vous dira le chasseur. Le chien trop jeune se fatigue et se décourage. Ses réactions et, son odorat risquent d'être troublés à jamais.

 

Le chien doit chasser, certes, pour se former, mais pas trop au gré de son caprice. La chasse est une chose sérieuse à laquelle le jeune sera entraîné en compagnie d'excellents chiens dont il n'aura qu'à suivre l'exemple.

 

Appétit et motivation : si vous goinfrez votre chien de mets qui ne lui sont pas spécifiques, s'il est gras et empâté, pourquoi voulez-vous qu'il chasse ?

 

Et quand le lièvre est pris, il ne suffit pas de le mettre bien vite en la carnassière. Il y a tout un art du chasseur pour satisfaire le chien en le laissant mordiller la bête morte mais en limitant sa satisfaction pour lui faire comprendre qu'il ne doit pas être seul à profiter de l'aubaine.

 

Ne battez jamais les jeunes bêtes. Laissez-les ou faites-les battre par d'autres si nécessaire, mais ce n'est jamais par la crainte que vous parviendrez à vos buts.

 

Et les apiculteurs vous diront : pas de gestes brusques qui appellent les réactions de défense des animaux dont vous vous occupez : confiance, bonté, aide et décision.

 

Moi je vous dis que si nous allions ainsi chercher dans la tradition populaire les pratiques millénaires du comportement des hommes dans l'éducation des animaux, nous serions en mesure d'écrire le plus simple et le plus sûr des traités de pédagogie.

 

 


 

LE BON JARDINIER,

OU LE CYCLE DE L'EDUCATION

 

 

 

 

 

 

 

L'éducation n'est pas une formule d'école, mais une oeuvre de vie.

 

Il est des jardiniers, soi-disant modernes et scientifiques, qui se font forts d'obtenir une belle récolte quelles que soient les conditions de sol, de climat, d'éclairage ou de fumure. Mais quelle générosité de soufre et d'arséniates, d'insecticides et de bouillies ! Si cela ne suffit pas, on cachera le raisin dans un sachet protecteur et on cueillera la poire encore verte pour la mettre à l'abri dans une couche d'ouate où elle mûrira à son aise.

 

Le fruit est sauvé et de bonne qualité marchande. Mais il est à tel point imprégné de toxique qu'il devient un poison pour qui le consomme. Et l'arbre qui l'a porté, trop tôt épuisé et meurtri, se dessèche avant même d'avoir jeté vers le ciel ses bras audacieux.

 

C'est dans sa graine déjà, ou dans le plant naissant que le jardinier avisé soigne et prépare le fruit à venir. Si ce fruit est malade, c'est que l'arbre qui l'a porté était lui-même souffrant et dégénéré. Ce n'est pas le fruit qu'il faut traiter, mais la vie qui l'a produit. Le fruit sera ce que l'auront fait le sol, la racine, l'air et la feuille. Ce sont eux qu'il faut améliorer si l'on veut enrichir et assurer la récolte.

 

Si les hommes savaient un jour raisonner pour la formation de leurs enfants comme le bon jardinier pour la richesse de son verger, ils cesseraient de suivre les scoliâtres qui produisent dans leurs antres des fruits empoisonnés dont meurent tout à la fois ceux qui les ont anormalement suscités et ceux qu'on a contraints d'y mordre. Ils rétabliraient hardiment le cycle véritable de l'éducateur, qui est : choix de la graine, souci particulier du milieu dans lequel l’individu plongera à jamais ses racines puissantes, assimilation par l'arbuste de la richesse de ce milieu.

 

La culture humaine serait alors la fleur splendide, sûre promesse du fruit généreux qui mûrira demain.

 

 


 

 

EDUQUER OU DOMESTIQUER ?

 

 

 

 

  

 

La nature est ainsi faite : nul n'aime obéir passivement.

 

Quand, tout enfant, je suivais mon âne, il m'arrivait de vouloir le faire passer là où, on ne sait pourquoi, il n'acceptait pas d'aller. Je le tirais... je le tirais... Et plus je le tirais, plus il tirait en sens inverse. Je lâchais le licol, je passais par derrière, et v'lan ! à coups de bâtons !... L'âne démarrait, faisait quelques pas pour me laisser croire qu'il s'était rendu à mes raisons, puis, brusquement, repartait au galop dans la direction qui l'attirait.

 

On dit l'âne têtu... Le plus têtu est encore bien docile !

 

Essayez de pousser un chevreau dans un sentier ou dans un parc. La bête sent un danger, comme si elle était au bord d'un précipice. Plus vous poussez, plus elle réagit pour s'opposer à vos efforts. Cela fait partie de l'instinct de conservation et de défense des êtres animés.

 

L'homme ne fait pas exception. Il y a, certes, l'individu habitué au troupeau, plié à l'obéissance, domestiqué au point d'en avoir perdu cette réaction vitale qui est sa dignité.

 

Mais l'enfant est neuf encore. Il réagit comme le chevreau. S'il sent seulement que vous voulez l'orienter dans une certaine voie, son mouvement naturel est de foncer dans le sens opposé.

 

Si vos efforts, sont visibles, obstinés, si vous le tirez ou le poussez, il s'opposera jusqu'à la violence.

 

Si vous parvenez à le contraindre, par la force ou par la ruse.. il fera comme l'âne, il tournera bride à la première occasion.

 

Vôtre premier mouvement, quand quelqu'un vous pousse, n'est-il pas de résister à la pression et d'essayer de la vaincre ?

 

Le vieux pédagogue, le philosophe obstiné savent peut-être tout cela. Mais ils objectent : dans la vie on ne fait jamais ce qu'on veut... qu'ils apprennent d'abord à obéir !

 

Et ils ne se rendent pas compte que, ce faisant, ils sont aussi illogiques que le menuisier qui s’ obstinerait à travailler son bois à contre-fil, parce que c'est le bois, n'est-ce pas, qui doit se plier à la volonté de l'artisan, ou que le pâtre qui serait fier d'avoir habitué ses chevreaux à pénétrer passivement dans le parc sombre où le boucher viendra les choisir.

 

 

 


 

 

Sur la vie et le travail... ALIGNEMENT !

 

 

 

 

 

« L'enseignement des arriérés, dit Dottrens, l'excellent pédagogue suisse, a, permis de perfectionner certaines méthodes pédagogiques et parfois de transformer complètement celles-ci. »

 

Ne rappelle-t-on pas, dans tout traité d'Education Nouvelle, que Itard et Seguin fondèrent leurs observations sur les retardés ; que Mme Montessori et le docteur Decroly s'occupèrent, à l'origine, de l'éducation des anormaux et que leurs découvertes et leur matériel, qui ont incontestablement marqué la pédagogie internationale, étaient destinés d'abord à ce degré spécial d'enseignement.

 

Devons-nous nous louer sans réserve de cette origine et de cette tendance d'une importante partie de l'éducation nouvelle contemporaine ?

 

Nous y avons gagné, certes, l'enseignement sur mesure, la nécessité de l'intérêt fonctionnel sans lequel ne vibre aucune fibre de l'être amorphe, l'individualisation de l'enseignement qui permet à chaque élève de mieux marcher à son pas, la matérialisation et l'expérimentation qui corrigent peu à peu l'intellectualisation à outrance dont nous mourions - toutes conquêtes dont nous ne saurions exagérer, la portée dans le processus de modernisation pédagogique.

 

Mais n'y aurait-il pas aussi de graves dangers à nous aligner ainsi sans réserves sur l'éducation des anormaux, et ne serait-il pas temps de réagir pour la réalisation d'une pédagogie plus naturelle et plus humaine ?

 

Je noterai seulement aujourd'hui - et nous aurons l'occasion d'en reparler - trois de ces dangers essentiels :

 

1° La pédagogie des anormaux nous enseigne à monter prudemment, marche à marche, dans la voie de la compréhension, de l'acquisition et de l'action. Elle, oublie qu'il est des individus qui sont aptes à monter l'escalier quatre à quatre ou qui, même, d'un bond, parviennent au sommet, et pour qui il est suprêmement énervant et quelque peu débilitant de piétiner sur place.

 

2° La pédagogie des anormaux a mis en valeur l'enseignement concret et l'expérimentation, mais aussi le matériel didactique et les jeux. Nous assistons dans ce domaine à une véritable régression qui, sous le couvert du progrès, limite les envolées et les audaces,

 

3° Le docteur Decroly a mis en valeur la nécessité de l'observation minutieuse, pièce à pièce, brin à brin. Elle réussit fort bien aux anormaux. Mais elle néglige totalement cette autre observation qui agit selon d'autres processus synthétiques, par des sens et avec des possibilités parfois encore mystérieux, cette observation qui se fait dans un éclair, qui voit, en un clin d’œil, ce que des heures d'observation dirigée ne sauraient faire découvrir.

 

On a trop dit : « Sur les arriérés... alignement !... » Si nous disions : «  Sur la vie et le travail... alignement !... »

 

 


 

 

L'OBSERVATION PAR ILLUMINATION

 

 

 

 

Nicole a trois ans.

 

Je dis à Denise :

 

- Va dire à ta maman qu'elle l'habille un peu mieux...

 

- Ze vais à l'Auberze !...

 

Elle a compris dans un éclair la pensée profonde...

 

- Et maintenant, lui dis-je, il faut te laver.

 

- Ze ne veux pas aller cousser...

 

Par delà la parole, elle a deviné l'idée directrice.

 

Mémé délasse ses souliers qui la gênent. Nicole écrit... on la croirait exclusivement absorbée par son exercice passionnant. Sans rien dire, elle se précipite et ramène les pantoufles.

 

Le pédagogue est dérouté devant ces cas de vue subite et de compréhension par illumination. Il aurait tendance à dire à Nicole : « Pourquoi crois-tu que, parce qu'on dit de t'habiller, c'est que tu dois aller à l'Auberge ? Par quel raisonnement as-tu lié l'acte de te laver à la crainte de te coucher ? Qui t'a fait comprendre que Mémé désirait ses pantoufles ? »

 

Thomas se présentait à l'examen du C.E.P. Thomas, c'était, dans son école et à la maison ou dans les champs, l'as du calcul. Pendant que le maître dictait un problème, Thomas trouvait instantanément, on ne sait comment, la solution.

 

Le jour de l'examen, Thomas a résolu ainsi, dans un éclair, le problème qui lui était posé. Mais l'examinateur pédagogue scrupuleux, s'est penché sur sa copie. Il a vu le point de départ et l'arrivée, sans aucun raisonnement intermédiaire. L'idée ne lui est même pas venue qu'on pouvait ainsi résoudre des problèmes par illumination, sans détailler le processus qui mène sûrement au résultat.

 

L'examinateur compatissant a fait signe à Thomas qu'il devait revoir ses calculs. Thomas a recommencé en essayant de s'arrêter aux échelons... Et il s'est trompé. Il a échoué au C.E.P.

 

Il se peut que l'habitude scolastique de l'observation méthodique soit le reliquat d'une époque - il y a cinquante ans - où le voyageur à pied, le paysan allant aux champs sur son âne, le berger attentif aux rares variations de la vie autour de lui pouvaient s'arrêter longuement sur l'événement unique qui s'offrait à eux. C'était l'ère des machines simples, qui tournaient à un seul mouvement.

 

Aujourd'hui, le chauffeur sent tourner son moteur, voit à droite et à gauche, et en arrière, réagit au klaxon voisin, et parle encore au voyageur à côté de lui.

 

L'enfant qui joue sur la chaussée voit passer les files d'autos et de camions, entend sauter une mine, siffler une sirène, vrombir l'avion. Il doit apprendre à réagir au complexe et au multiple et les dominer. Nous en sommes au temps des mécanismes compliqués qui produisent des actes à l'image déjà de la vie.

 

 


SERRE CHAUDE OU PLEIN VENT!

 

 

 

L'Ecole sera-t-elle une serre où l'on « force » les individus pour les faire produire avant l'âge et la saison et se glorifier des performances hors nature obtenues ? Ou bien cultiverons-nous l'enfant en plein champ au gré du temps et des saisons, en aidant seulement la jeune plante à triompher des éléments pour atteindre à sa plénitude de vie ?

 

J'apporte au dilemme mes quelques arguments de bon sens, si souvent oubliés et négligés justement parce qu'ils ne sont que de bon sens.

 

Il existe bien chez nous les deux modes de culture. On produit sous serre des oeillets et des roses à Noël, des tomates en mars et des melons en avril. Il est indéniable que ces fleurs et ces fruits ont une valeur exceptionnelle qui leur vient non pas de leur qualité, mais de leur production hors saison.

 

Vous produirez de même dans vos serres scolaires des petits prodiges dont la seule originalité sera de faire et de dire à huit ans ce qu'ils ne sauraient normalement donner qu'à dix ou douze.

 

Mais ces produits de serre n'ont jamais la valeur profonde des choses naturelles. La tomate de serre vous paraît bonne parce que vous n'en avez pas mangé depuis longtemps, mais si vous pouviez la comparer intégralement au bon fruit bien nourri de sève et de soleil du mois de juin, quelle déception ! Le melon précoce vous enchante, d'autant plus que vous l'avez payé plus cher. Mais s'il vous était donné d'en comparer le parfum à celui du melon mûri lentement à l'air libre dont il semble avoir distillé la finesse, vous seriez édifié.

 

L'Ecole aussi ne construira solidement et profondément, avec toute la saveur désirable, que si elle sait faire pousser en pleine terre et en plein vent les êtres fragiles, certes, mais qui sont faits aussi pour affronter une vie qui est avant tout lutte et conquêtes.

 

Et surtout, les producteurs de plantes « poussées » vous diront la fragilité organique des fleurs, et des fruits qu'ils obtiennent et qui se flétrissent ou se corrompent dès qu'ils quittent leur serre pour affronter l'air libre, la lumière et le soleil. Il en faut des précautions pour transporter les roses et les oeillets, ou les premières tomates. On leur offre même l'avion parce qu'il faut faire vite avant que ne s'en aille cette vie artificielle dont on les a gonflés.

 

Méfiez-vous de la serre scolaire et craignez que les acquisitions prématurées dont vous vous enorgueillissez s'évanouissent et se corrompent de même au souffle trop vif et trop dru de la vie.

 

Quand le paysan voit ses arbres bourgeonner et fleurir trop tôt, il ne fait pas comme vous qui vous réjouirez dans vos classes de cette précocité. Lui est inquiet et souhaite et bénit le léger retour de froid qui va ralentir la floraison.

 

Cultivez des fruits de saison, à même l'air, le froid, l'eau et le vent. Vous aurez abondance, saveur et fécondité.

 

 

 


 

L'ÉCOLE SERA-T-ELLE CHANTIER ?

 

 

 

 

 

Vous trouvez, je sais, que le mot de chantier, comme celui de travail dont je vante la noblesse, est trop chargé de peines, de souffrances et d'injustes sacrifices.

 

Et pourtant, regardez si vos enfants, quand ils ne sont pas sous votre dépendance, n'organisent pas des chantiers de travail : pour dévier le cours d'un ruisseau et remplir une mare ou attraper des poissons ; pour aménager un tas de sable en place forte ; pour construire un village d'Indiens... Et quel enthousiasme, là, quel acharnement ! et quelle activité ! Ah ! ils ne ménagent pas leur peine ni leur sueur ! Ils vont jusqu'à la limite de leurs forces, toujours. Parce qu'il est dans la nature humaine de se surpasser... Ils en oublient même de manger !...

 

Leur effort ne s'accomplit pas forcément dans une ambiance de rires et de chants, - qui ne sont qu'une des manifestations, et pas la plus courante, du vrai travail. - Il y a de la souffrance et des grincements de dents... Il y a la vie !

 

Et l'enfant rêve la nuit de son chantier et attend avec impatience le jour nouveau pour recommencer.

 

Ne croyez-vous pas que si l'Ecole devenait un chantier aussi enthousiasmant autant que la montagne de sable ou la cabane d'Indiens ; si vos élèves en rêvaient la nuit ; s'ils se donnaient ainsi à 100 % muscles tendus et dents serrées, à leur travail, - il y aurait quelque chose de changé dans l'atmosphère de vos classes et dans le rendement de vos efforts ?

 

Impossible ! disaient les vieux pédagogues… Parlez-leur de jouer, oui, mais ils n'aiment pas le travail.

 

Ils n'aiment pas le travail, ni le chantier, et les adultes réagissent de même, - tant que l'effort qu'ils nécessitent n'est pas lié, à leur vie profonde, à tout leur, comportement, non. seulement économique et social, mais psychique aussi.

 

Mais organisez la Coopérative scolaire, cette société d'enfants qui naît spontanément lorsqu'il s'agit de construire la cabane d'Indiens ; donnez à vos élèves des outils de travail, une imprimerie, du linoléum à graver, des couleurs pour dessiner, des fiches illustrées à consulter et à classer, des livres à lire, un jardin et un clapier, sans oublier le théâtre et le guignol, - l'Ecole sera ce chantier où le mot travail prend toute sa splendeur à la fois manuelle, intellectuelle et sociale, au sein duquel l'enfant ne se lasse jamais de chercher, de réaliser, d'expérimenter, de connaître et démonter, concentré, sérieux, réfléchi, humain !

 

Et c'est l'éducateur. alors qui se fera à son image.

 

 

 


 

 

L'ÉCOLE

SERA-T-ELLE TEMPLE OU CHANTIER ?

 

 

 

 

 

 

Ainsi pourrait se résumer la grande querelle pédagogique des Anciens et des Modernes.

 

jusqu'à ce jour, l'Ecole a été Temple, et elle le reste là où l'enfant, après avoir accompli quelques gestes rituels, entre en classe sur la pointe des pieds, pour y vivre une vie totalement différente de sa vie véritable, avec le respect religieux de la parole du maître et la soumission aux « Ecritures ».

 

Cette Ecole-Temple ne se préoccupe point de préparer l'enfant à la vie. Elle croirait déchoir. Son royaume n'est point de ce monde ! « Ne vous inquiétez point pour votre vie, a dit le Christ, de ce que vous devez manger, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ?... Considérez les oiseaux du ciel... Regardez les lys des champs... Ils ne sèment ni ne moissonnent... »

 

Certes, l'Ecole laïque ne va point chercher dans les Evangiles la justification de ses méthodes pédagogiques ni sa conception de son rôle social. Mais elle porte encore, au plus profond d'elle-même, les stigmates de ses origines, sinon religieuses, du moins scolastiques et doctorales. Elle reste persuadée que la connaissance abstraite, la culture intellectuelle, le culte des idées et des mots, sont le but véritable et définitif de toute éducation. Le temps n'est pas si loin où toute activité individuelle était jugée indigne de la majesté de l'Ecole et, malgré certaines nécessités économiques et sociales qui tendent à promouvoir les conquêtes du travail, la « culture » moderne reste encore mineure devant la suprématie du temple. Les familles elles-mêmes n'acceptent jamais que comme pis-aller l'orientation technique d'enfants pour lesquels elles avaient rêvé du prestige des Humanités.

 

Nous ne disons pas que tout soit mauvais dans l'Ecole-TempIe qui a marqué des générations d'intellectuels et de savants. Certaines natures spéculatives s'accommodent même fort bien d'une atmosphère austère et imposante qui exalte justement leur dangereuse tendance à s'abstraire de la vie en hypertrophiant l'intellectualisme et le rêve. Cette hypertrophie pouvait servir une culture de classe fondée sur le divorce entre la culture et le travail. Elle ne saurait animer ni préparer l'éducation moderne du peuple.

 

Mais, pour servir la vie, direz-vous, l'Ecole-Chantier ne trahira-t-elle pas la splendeur de la montée humaine vers les vrais sommets de la pensée et de l'esprit ?

 

Nous en discuterons une autre fois.

 

 


 

 

 

L’INTERROGATION

 

 

 

 

 

Si vous voulez que l'Ecole soit à l'image de la vie, vous en bannirez l'interrogation comme méthode de travail, parce que, dans la vie, on n'interroge que lorsqu'on veut connaître.

 

Nul n'aime être interrogé, les adultes, pas plus que les enfants. Parce que l'interrogé est placé immédiatement dans une situation d'infériorité en face de l'interrogeant, et que l'être humain ne peut supporter le sentiment d'infériorité. Il est toujours préférable, humainement et pédagogiquement, de faire la part belle à l'individu et de se placer en face de lui en infériorité, en lui donnant tout de suite l'avantage de la supériorité et de la puissance.

 

Je pense à ma petite Nicole, de trois ans, dont le front se rembrunit et qui se met à bouder dès qu'elle ne réussit pas ce qu'elle entreprend ou ce qu'elle désire et qui m'accompagne avec cet air de victoire et d'assurance en me disant :

 

- Je vais avec toi au bassin parce que tu as peur de le loup !…

 

L'interrogation, c'est un reliquat de la philosophie religieuse qui voyait l'enfant marqué à sa naissance par le péché originel et croyait à la nécessité de le mortifier et de l'abaisser sans cesse, pour l'habituer au dédain de soi et à l'humilité. C'est une méthode qui peut réussir avec les âmes nobles et bien trempées, mais qui n'aboutit pour la masse du peuple qu'à la crainte des grands et au respect de l'autorité établie.

 

Supprimez l'interrogation et remplacez-la par la réussite d'un beau travail. L'apprenti bouvier sera humilié et impuissant si vous lui posez sur la charrue ou l'utilité des labours une de ces questions auxquelles vous savez d'avance qu'il ne saura pas répondre - sinon vous ne l'auriez pas posée ! Et quand il prendra le mancheron de la charrue, il sera hésitant et tout entier dominé par la crainte de l'échec. Handicap redoutable pour qui entreprend une tâche difficile.

 

Au contraire, donnez les conseils utiles, mettez la charrue dans le sillon, et dites :

 

- Maintenant, ça va tout seul. Marche et siffle.

 

Et le bouvier triomphant, parvenu au bout de la ligne, admire le beau travail réalisé.

 

Aidons l'enfant, gardons-lui le désir et le besoin du travail, laissons-le interroger lui-même et demander conseil et arrangeons-nous pour qu'il réussisse sa ligne et qu'il puisse triomphant admirer le résultat de son effort.

 

Avec un brin de réussite, une grande confiance et un milieu favorable au travail, l'enfant s'en irait jusqu'au bout du monde.

 

 


 

GARE AU CHANT HASCHICH

 

 

 

 

 

 

 

Chaque siècle a sa spécialité de haschich, selon les besoins des profiteurs qui ont intérêt à endormir le peuple.

 

Dans mon jeune âge on avait recours à la prière.

 

Oh ! les longues heures passées dans l'église, à regarder vaciller les chandelles, pendant que curé, bedeau et prieuresses psalmodiaient des litanies incompréhensibles ! Et ces soirs interminables de chemin de la croix où il fallait attendre que se débite, devant chaque station, le lot régulier de marmonnements !

 

Puis j'ai été soldat. Là, plus l'étape est dure, plus les godillots sont lourds sur le sac, plus le danger est grand, plus les chefs recommandent aux troupiers en marche de chanter. Ainsi, nul ne pense à son destin. La rengaine domine les soupirs des découragés ou les réflexions amères des philosophes. Et plus la chanson est bête, mieux elle remplit sa fonction.

 

Bientôt, si nous n'y prenons garde, on appliquera le même régime du chant haschich aux écoles, aux maisons d'enfants, aux colonies de vacances et aux mouvements de jeunesse. On ne se fatiguera plus à sonder la psychologie des enfants ni à mettre au point une saine pédagogie qui leur permettra de satisfaire leurs besoins majeurs d'expression et de travail. Inutile désormais de réfléchir, au risque de discuter les ordres reçus, d'essayer de comprendre pour choisir et agir d'une façon autonome et originale. On chantera. Et plus la route est dure, plus le présent et l'avenir sont incertains, plus on chante. Et plus le chant est vulgaire, mieux est atteint le but de ce nouveau haschich : abêtir.

 

Ma mise en garde n'est point la critique ; elle est la défense de la vraie prière, - celle qui est humble communion spirituelle préconisée par les Evangiles, - de la musique et du chant qui sont la communion supérieure par laquelle écrivains, poètes, musiciens et artistes, nous offrent des ailes splendides pour monter vers les sommets.

 

 

 


 

 

LES EFFECTIFS - SCOLAIRES

 

 

 

 

 

Vous vous plaignez, non sans, raison, je le sais : classes trop chargées, impossibilité d'y travailler nécessité de réduire les effectifs !

 

Et vous êtes là, à mesurer à une unité près, le chiffre nornal à ne pas dépasser. Vingt-cinq ou trente élèves : cela devient en Suisse, m'a-t-on dit, un vrai problème national.

 

Vous raisonnez ici comme le citadin qui aurait, la charge de conduire en pâturage dix, ou quinze bêtes et qui ne. saurait point s'en rendre maître parce qu'il voudrait les diriger là où elles ne veulent point aller, leur faire manger l'herbe pour laquelle elles n'ont point  d'appétit, et les tenir immobiles dans un espace réduit, d'où elles voient, à côté, la luzerne appétissante ou les branches tendres du poirier, d'où elles perçoivent les senteurs du large, qui les attirent et les grisent.

 

Alors, le pâtre improvisé maudit ses ouailles et ne rêve que barrières bien hautes pour les retenir, entraves pour limiter leur fuite, corde pour les attacher et les tenir.

 

- Qu'est-ce que ce serait, se dit-il, si j'en avais une trentaine.

 

Le berger du village en mène cinq cents - et sans se fatiguer. Seulement, il lui faut le large, l'herbe drue loin des dommages, le grand air et la liberté des montagnes. Le problème n'est plus pour lui : « Comment les retenir dans ce court espace », mais : « Comment les conduire vers les gras pâturages autorisés ».

 

Il est même des vallées des Alpes où le troupeau du village s'en va tout l'été, seul, sans surveillance. Et il s'y conduit fort bien, le vous l'assure. On dit même que les brebis, si bêtes à l'ordinaire, y prennent intelligence et initiative.

 

Il en est de même dans nos écoles. Il est des classes exiguës sombres et nues, geôles de jeunesse captive, où il est trop scandaleux déjà d'enfermer quinze enfants, où le fait d'y entasser trente élèves devrait révolter les usagers.

 

Mais que nous réalisions notre Ecole Moderne, aux larges espaces, avec salle commune et ateliers, annexes, avec surtout des « possibilités de travail » si enthousiasmantes que notre rôle soit seulement d'aider et de conseiller. Nous serons alors comme le pâtre du village et nous dirons : le plafond des effectifs dépend de la qualité des pâturages, c'est-à-dire de l'organisation matérielle et technique et des possibilités de travai1 dont peuvent bénéficier nos élèves.

 

Je veux bien admettre que les enfants ne sont pas des brebis et qu'il y a' intérêt à ce que l'instituteur les connaisse et les suive individuellement. Je ne prône pas les gros effectifs. Je dis seulement que je préfère travailler avec trente élèves dans une école moderne de village ou de bourg, qu'avec quinze élèves dans une de ces classes-prisons d'une école-caserne comme il y en a tant encore, et qu'il faudrait bien que les officiels se persuadent enfin de ce double aspect du problème crucial des effectifs.

 

 

 

 


 

 

LE STYLO SCOLAIRE

 

 

 

 

 

- Si c'est possible ! Labourer. avec, une charrue à âne au siècle du tracteur et de l’avion !

 

- Et vous écrire encore avec cette même plume souple de mon arrière-grand-père, qui se tord et grince, qui. bave ou ne donne plus d'encre, cette encre si vite. décomposée qui déborde les encriers ,ou sèche lamentablement sur un fond de mouches noyées !

 

Vous regardez mon âne au poil sec qui se traîne avec peine jusqu'au bout du sillon. Ah ! certes, c'est la décadence de la charrue à âne comme de votre plume souple ! Le temps n'est plus où le paysan excellait à atteler sa monture avec des harnais enjolivés et cirés, et la chaîne à grelots de cuivre brillant qui chantaient au trot de la bête. Le temps n'est plus où l'écrivain traçait avec une dextérité artistique les signes majestueux de son écriture. Votre porte-plume à cinq francs ne vaut pas mieux aujourd'hui que mon âne au poil sec.

 

L'enfant accourt :

 

Dis, papa, pourquoi m'apprendre à conduire un âne, puisque, quand je serai grand, j'aurai un vélo, une pétrolette, ou peut-être une auto ?...

 

Dis donc, pourquoi m'enseigner à écrire avec cette plume de mes grands-pères, puisque quand j'aurai quitté l'école, j'aurai un stylo, ou peut-être une machine à écrire Donne-moi un stylo de suite : tu n'aurais plus à me punir pour l'encre versée, la plume tordue et le bois mâchonné !

 

Non, je ne suis pas fier de mon âne à. poil sec et je le changerais bien, demain, pour un petit tracteur docile et rapide. Ne tirez pas gloire, vous autres, de vos outils centenaires, et demandez donc aux inventeurs et aux techniciens de s'arrêter un instant de tirer des plans sur la bombe atomique et de construire, pour tous les enfants de France, le stylo scolaire de l'an 1948.

 

 

 


 

 

 

TECHNIQUES

 

 

 

 

 

 

 

Chaque époque a ses manies, et toute manie ses dangers.

 

Il y a vingt ans, nos instituteurs nous vantaient la splendeur des mots et la magie des idées qu'on cultivait « rationnellement » dans des livres trop savants.

 

La mode est aujourd'hui à la puissance matérielle. Marcel Cerdan défile en triomphateur dans Paris, et vos enfants, dès qu'ils savent parler, vous diront le nom de tous les coureurs cyclistes.

 

Cette « désintellectualisation » gagne naturellement l'Ecole. Vous n'y partez plus de « méthodes » de penser mais de « techniques » de travail. Non pas que j'estime fausse la part nouvelle que vous donnez en éducation au travail créateur ni inutiles ou dangereuses en elle-même les techniques que vous préconisez. Encore une fois, c'est l'incompréhension et l'exagération qui m'effraient, Vous avez remué une source qui bouillonne et dont la fraîcheur peut reverdir la vallée. Mais attention qu'elle ne déferle en torrent sur la pente dangereuse par où elle, aurait tôt fait d'envahir la plaine de son limon stérile.

 

Le mot m'effraie. Et pas seulement le mot, hélas !... Je pense malgré moi à la perfection technique de l'organisation hitlérienne, dans les écoles allemandes comme dans les camps de la mort à l'horreur inégalée. Et la technique américaine ne me dit rien qui vaille avec sa civilisation mécanicienne dont la bombe atomique est le diabolique bouquet.

 

S'il y a une griserie de la culture de l'esprit, il y a aussi une griserie - et qui ne vaut pas mieux - de la roue qui tourne, de l'engrenage qui mort sur un autre engrenage, de la puissance qui se décuple et se libère. L'enfant pousse son cerceau devant lui, sans autre but que de pousser son cerceau ; l'adolescent fait tourner le moteur à vide, pour le plaisir de l'entendre ronfler et pétarader. Ou bien il manœuvre les commandes de l'auto à l'arrêt, éclaire les phares, épuisé le klaxon, sans se rendre compte qu'il vide les batteries et tue le moteur.

 

Vous accompagnez souvent le mot « technique » de cet autre mot « activités ». Attention au torrent aveugle ! N'oubliez ni la vie, ni la beauté, ni l'humanité, ni surtout l'intelligence profonde qui s'empare des réalités. Orientez et dirigez la source. Craignez de ressembler à cet âne qui, attelé à une noria, tourne tout un jour, les yeux bandés, symbole de la servitude, ou à cet enfant qui tient en laisse un gros chien-loup plus fort que lui et qui ne peut plus que suivre la bête qu'il prétend dominer et asservir.

 

 

 


 

 

NOTRE TRAVAIL NOUS UNIRA

 

 

 

 

 

 

Ce que je pense de cette division qui, à nouveau, va effriter nos forces en aiguisant les malentendus et en décourageant les velléités d'action des faibles et des indécis ?

 

Quand les ruisseaux s'en vont, serpentant péniblement à travers la plaine, ils tardent à se rejoindre parce que le moindre bras de terre est pour eux un obstacle infranchissable.

 

Mais lorsqu'ils dévalent, impétueux, de la montagne, entraînant dans leurs remous écumeux des troncs d'arbres ou des pierres qui font d'invincibles béliers, alors rien ne les arrête dans leur course vers d'autres ruisseaux. Leur jonction ajoute à leur force. Si l'on essaie de dévier leurs cours, ils refluent un instant, puis reviennent à la charge et emportent le ridicule barrage.

 

Il y faut seulement la pente et l'élan sans lesquels le torrent ne serait qu'inutile mare croupissante.

 

Notre courant commun, c'est le TRAVAIL.

 

Les éducateurs gardent l'avantage insigne de pouvoir s'appliquer encore à une tâche que la technique inhumaine n'a pas encore dépouillée de ses attributs naturels. Le torrent est encore là, qui gronde et s'agite. C'est parce que nous l'endiguons trop tôt qu'il s'immobilise dans la plaine. Il ne tient qu'à nous de le voir à nouveau dévaler les pentes, de les dévaler avec lui, faisant bélier contre les obstacles à renverser, nous accrochant parfois aux racines de la berge pour tempérer certaines impétuosités, nous habituant au grondement et au rythme des eaux qui s'en vont, invincibles, vers la fertilité et la vie.

 

Si nous savons nous replacer dans ce torrent, nous n'aurons même pas le temps de voir sur les rives les éternels pessimistes lever les bras au ciel et prodiguer des mises en garde désespérées au spectacle de notre commun et harmonieux effort.

 

Ne vous retirez pas sur la berge où vous recouvriraient lentement la mousse et le limon. Suivez audacieusement le torrent de la vie.

 

 

 


 

 

NE VOUS LACHEZ JAMAIS DES MAINS...

... AVANT DE TOUCHER DES PIEDS !

 

 

 

 

 

 

 

C'est une grande loi psychologique de l'expérience tâtonnée. Elle est permanente et universelle comme le besoin supérieur de conserver et de défendre la vie. Il ne viendra à l'idée de personne de se jeter du haut d'un mur, histoire de voir comment on s'aplatira en bas sur la terre dure. Et les audacieux eux-mêmes n'apparaissent parfois téméraires que parce qu'ils ne mesurent pas à sa valeur la profondeur du précipice. Ils espèrent se cramponner des mains assez longtemps pour rebondir sur leurs jambes en tombant. S'ils se trompent, c'est la catastrophe.

 

La même loi est valable en pédagogie. Vous n'abandonnerez une méthode de travail que lorsque vous aurez trouvé mieux pour vous raccrocher. Vous ferez comme l'excursionniste qui veut avancer et monter, certes, puisque la destinée de l'homme est de toujours partir à la conquête d'un morceau de ciel bleu tentant au-dessus de la ligne des montagnes. Vous suivrez les sentiers battus le plus longtemps possible, tant qu'ils mènent dans la direction désirée ; vous vous arrêterez pour dormir et vous ravitailler dans les refuges accueillants, installés il y a cent ans par les audacieux comme vous qui ouvrirent la voie. Vous partirez ensuite de là, bien équipés, avec un guide, pour affronter la montagne invaincue.

 

Mais vous irez alors lentement et méthodiquement, ne hasardant un pas que lorsque la place pour poser le pied est déjà taillée dans le roc ; ne vous lançant au-dessus d'un névé que s’il reste sur la rive sûre les autres membres de la cordée, prêts à vous retenir et à vous rattraper s'il y a imprudence et faux-pas.

 

Les audacieux qui ne sont qu'audacieux sont toujours vaincus par la montagne. Pour la vaincre, il faut savoir l'affronter selon les lois de la conquête et de la vie.

 

Vous ferez de même en pédagogie. Vous avancerez prudemment en utilisant le plus loin possible les vieux chemins sûrs, en vous ressaisissant aux haltes qui jalonnent, tels des calvaires, le rude chemin qui mène vers les cimes. Et vous attaquerez les difficultés sans vous lâcher des mains, solidement liés à la cordée qui vous ramènera, s'il le faut, non sans quelque brutalité, sur le terre-plein d'où vous pourrez à nouveau repartir pour l'inéluctable conquête.

 

 

 


 

 

GEOLES de JEUNESSE CAPTIVE

 

 

 

Le cabri bêle en passant désespérément sa fine tête luisante entre les barreaux du parc. Le poulain se sauve comme un fou dès que vous entr'ouvrez la porte. Et les enfants devraient, si l'on vous écoutait, rester sages et passifs dans le carcan de vos bancs-pupitres, calmes et silencieux dans ces cours nues qui ressemblent tellement à l'enclos grillagé où les poules s'usent à gratter et à tourner en regardant avec envie l'herbe qui pousse dans le secteur libre !

 

Vous ne voudriez pas qu'ils parlent de prison ; la boutade de Montaigne, « geôles de jeunesse captive », vous irrite. Hélas ! si les enfants pouvaient parler !

 

Ils parlent. Parce que nous leur avons donné la parole, parce que nous leur avons appris la dignité de leurs pensées et l'éminente portée de toute sensibilité qui éclate et déborde.

 

Ce poème, « Le pensionnat », que nous envoie Annie Long (14 ans), de l'école de Peynier (B.-du-R.), je l'aurais peut-être écrit il y a quarante ans. Mais personne alors n'aurait enregistré ma plainte ; on aurait ri de mon audace et raillé mon désespoir.

 

On nous dit qu'Annie avait échoué au C.E.P. à cause de sa faiblesse en français et que c'est un peu pour la punir qu'on l'a exilée au pensionnat de Marseille.

 

Les bardes du moyen âge auraient, eux aussi, échoué au certificat. Mais ils savaient émouvoir et chanter.

 

PENSIONNAT

 


Grande masse

fixant sur le monde qui passe

son regard pénétrant,

serpent attendant avec impatience

la proie

qu'il vient de fasciner,

sphinx dont le regard caverneux

ne laisse rien voir

de tout ce qui se passe en lui !

De larges fenêtres s'ouvrent

sur la petite vie qu'on mène

et se referment le soir,

pleines de mystère et de honte,

sur des pièces immenses, froides,

haineuses.

Une cour séquestrée

où l'on ne peut jouer

fait penser à une tombe

fraîchement ouverte.

Le soleil fait un effort pour y entrer ;

deux arbres soupirants

laissent échapper leurs larmes,

 

feuilles d'automne dansant

leur dernière ronde,

puis mourant dans un coin,

seules, délaissées.

Oh ! pourquoi laisse-t-on dans ce tombeau

des âmes faibles

vivant comme des bêtes traquées,

se mettant à table avec la faim,

se levant de même ?

Pensionnat !

Trou obscur et noir

où toute âme qui vit

ne voit pas l'avenir.

Notes de tristesse

parsemées, lugubres et monotones ;

regrets

incrustés

dans la pensée

du Temps qui passe

et ne reviendra pas

enfants

qui se ferment

attendent leur délivrance.



 

 

 

OYEZ HUMAINS

 

 

 

 

 

Vous agissez un peu tous vous autres éducateurs, comme ces pères de famille qui sont d'autant plus férocement sévères avec leurs enfants qu'ils ont été eux-mêmes enfants terribles. Ou comme l'adulte qui marche à une allure à peine hâtée et ne se rend pas compte que l'enfant qu'il accompagne doit faire trois pas pendant qu'il en fait un.

 

Vous réagissez avec vos natures d'hommes, vos possibilités et vos acquisitions adultes, comme si les enfants qui vous sont confiés étaient eux-mêmes des adultes, avec des possibilités similaires.

 

Mettez-vous à la place de cet enfant que vous venez d'humilier par une mauvaise note ou un rang inférieur dans le classement. Rappelez-vous votre propre orgueil quand vous étiez parmi les premiers et tous les mauvais sentiments qui vous secouaient quand d'autres vous avaient devancés... Alors vous comprendrez et vous supprimerez le classement.

 

Un enfant a volé des cerises en venant à l'école, ou cassé un encrier en classe, ou menti pour essayer de sauver une situation délicate. N'avez-vous jamais volé des cerises quand vous étiez jeunes ? N'étiez-vous pas le premier peiné quand vous cassiez un encrier ? Ne vous rappelez-vous pas quel drame se jouait en vous quand vous aviez menti, par nécessité, parce que, dans les seules voies qui s'offraient pour sortir d'une situation délicate, le mensonge, timide, inhabile, à l'origine, vous a paru être la seule planche salut.

 

« Si vous ne redevenez comme des enfants... » vous n'entrerez pas dans le royaume enchanté de la pédagogie... Loin d'essayer d’oublier votre enfance, entraînez-vous à la revivre ; revivez-la avec vos élèves ; comprenez les différences possibles nées des diversités de milieux et du tragique des événements qui affectent si cruellement l’enfance contemporaine. Comprenez que ces enfants sont, en gros, ce que vous étiez il y a une génération, que vous n'étiez pas meilleurs qu'eux, qu'ils ne sont pas pires que vous, et que si donc le milieu scolaire et social leur était plus favorable, ils pourraient faire mieux que vous, ce qui serait un succès pédagogique et un gage de progrès.

 

Nulle technique ne vous y préparera mieux que celle qui incite les enfants à s'exprimer, par la parole, l'écrit, le dessin et la gravure. Le journal scolaire contribuera à l'harmonisation du milieu qui reste un facteur si décisif de l'éducation. Le travail voulu, auquel on se donne à cent pour cent et qui procure les plus exaltantes des joies, fera le reste.

 

Le soleil brillera...

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