BEM 27-28

 

Les techniques Freinet

A L'ECOLE MATERNELLE

 

Par M.PORQUET,
inspectrice des Ecoles Maternelles,
avec la collaboration des Commissions de l’ICEM

 

 

 

Bibliothèque de l’école moderne  1964

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Table des matières

-Techniques Freinet et école maternelle
-Le milieu éducatif à l’école maternelle
-Les facteurs du développement de l’enfant
-L’Educatrice
-L’initiation à la lecture-écriture
-L’initiation au calcul
-Langage et observation
-La part du maître
-Les Techniques d’illustration
         Linogravure
         Gravure sur bois découpé
         Limographe
         Gravure sur zinc
         Peintures sur tissu
         Monotypes

-Le modelage, la poterie
-Les tapisseries
-L’art enfantin
-L’enfant poète
-De quelques formes collectives d’art enfantin : les albums
-Les jeux dramatiques
         De l’expression libre corporelle au jeu dramatique et à la fête enfantine
-La gymnastique naturelle

-Quelques expériences
    -Ecole maternelle Roucas Blanc, Marseille
    -Classe enfantine de Nivolas-Vermelle
    -Ecole maternelle de ville classe de bébés
    -Ecole maternelle de ville classe de grands
    -Classe de garnds à Perpignan

   -Classes-promenades à Brest

 

TECHNIQUES FREINET ET ÉCOLE MATERNELLE

 

On m'a souvent posé la question suivante :

Les techniques Freinet, conçues au départ pour l'école primaire, sont-elles applicables à l'école maternelle ? Si oui, qu'apportent-elles aux enfants d'âge préscolaire et à leurs éducatrices ?

 Je répondrai tout d'abord que l'esprit de la pédagogie Freinet est celui-là même qui, rejoignant le Courant creusé par les grands pédagogues de tous les temps, doit inspirer toute démarche éducative :

-recherche permanente des buts et des moyens,

-attention profonde portée à l'enfant et aux enfants, à leurs besoins, à leurs intérêts, aux lois de leur développement, à leurs démarches investigatrices et créatrices ;

-présence vigilante, clairvoyante et lucide de l'éducateur qui doit savoir créer le climat affectif de confiance réciproque dans lequel s'engagera tout naturellement le dialogue entre le milieu et les enfants, l'éducateur et les enfants, les enfants eux-mêmes.

 Cependant la situation particulière de l'école maternelle, établissement non obligatoire d'éducation préscolaire, la simplicité des textes de base qui la régissent, l'histoire de son extension, des lendemains de la guerre 14-18 à nos jours, le fait qu'elle fut créée, dirigée, conduite par des femmes au grand cœur et à l'intelligence lucide et ouverte, qui surent s'inspirer des grands pédagogues et psychologues de leur temps (Dewey, Decroly, Claparède, Mme Montessori, Froebel, Pestalozzi, Ferrière) l'ont tout naturellement ouverte sur la vie, vers la satisfaction des besoins matériels, affectifs, physiologiques, sensori-moteurs des jeunes enfants, puis vers leurs besoins d'expression, de création, de communication, de découverte.

Où trouver meilleur terrain d'élection pour la pédagogie Freinet que ces écoles sans programme rigide, ouvertes sur la vie des petits, qui répondent d'abord à leur essentiel besoin de sécurité, dont les méthodes, qui se veulent « naturelles», sont toutes axées sur le développement des jeunes enfants de 2 à 6 ans et sur les «périodes sensibles» de ce développement ?

 Les éducatrices maternelles, parce qu'elles «vivent» une période de croissance prodigieuse de l'enfant qui passe entre 2 et 6 ans de la démarche tâtonnante du bébé à la grâce assurée et déjà consciente de ses forces de l'enfant, éprouvent plus que quiconque peut-être, l'impérieux besoin de s'informer, de se cultiver, de se tenir en contact étroit avec les forces vives du monde culturel et psycho-pédagogique.

 Leur intuition toute féminine, leur amour des enfants, provoquent chez elles une ouverture sur la vie, une recherche de la nouveauté qui les entraînent à pénétrer avec leurs petits et pour eux dans le domaine de l'art, de la poésie, de la musique. Dès lors, entrant à la suite d'Elise Freinet dans le domaine de l'art enfantin, elles accueillent avec chaleur et émerveillement les balbutiements et l'épanouissement de cet art né dans leurs classes, sous les doigts malhabiles de leurs petits.

 La pédagogie Freinet, toute basée sur la connaissance intuitive et pratique de l'enfant, sur son besoin primordial d'expression et de création, répond parfaitement à cette quête des éducatrices maternelles.

 D'autre part, parce qu'elle repose sur le principe de la coopération : coopération entre enfants, coopération entre maître et enfants, coopération entre instituteurs, coopération entre parents et maîtres, la pédagogie Freinet répond également à une autre fonction essentielle de l'école maternelle : sa fonction sociale.

Je n'évoquerai ici que pour mémoire la coopération entre les maîtres d'écoles maternelles et les mères de famille en vue d'une prise de conscience plus aiguë et plus lucide des besoins affectifs, physiologiques, mentaux des jeunes enfants. Je voudrais surtout témoigner de l'aide apportée par l'école maternelle à l'intégration de l'enfant dans un milieu social, le milieu scolaire, si différent du milieu familial jusqu'alors seul connu de lui.

 Ce passage, si lent et difficile, d’une société limitée chez le bébé de 2 ans à l’attachement à la mère et à la recherche temporaire de voisinage avec un autre enfant, vers, chez l’enfant de 5 à 6 ans, une sociabilité ouverte, prompte à  se manifester par l’échange et le dialogue, peut être en grande section maternelle largement facilitée par l’emploi de la correspondance interscolaire, base des techniques Freinet.

La correspondance interscolaire, entre deux grandes sections maternelles, qui motive les débuts de l'apprentissage de la lecture-écriture, répond en même temps au désir encore tout affectif de communication des enfants, mais aussi à leurs besoins d'expression et de découverte. Elle facilite les échanges entre l'éducatrice et ses petits par la recherche commune des éléments à apporter aux correspondants ; elle stimule l'attention prêtée à l'environnement par l'enfant soucieux de «se raconte» à son ami lointain ; enfin elle amorce entre les enfants ce dialogue qui va peu à peu, tout au long de l'enfance et de l'adolescence, épanouir leur affectivité, leur permettre de s'ouvrir au monde des hommes et des choses, mais aussi de mesurer plus justement leurs pouvoirs, de se découvrir eux-mêmes et de, peu à peu, se connaître.

 

LE MILIEU ÉDUCATIF A L'ÉCOLE MATERNELLE

 

Comme à l'école primaire, l'application des techniques Freinet à l'école maternelle repose tout d'abord sur la création d'un milieu éducatif le plus riche et le plus varié possible, susceptible de permettre à chacun des petits le maximum d'expériences dans le climat de sécurité, de confiance et de liberté qu'exigent, pour s'épanouir, les fragiles personnalités naissantes. Avec toutefois cette différence que l'enfant entrant à l'école maternelle quitte pour la première fois un milieu familial plus ou moins sécurisant, pour entrer dans un milieu inconnu, d'autant plus redoutable et insécurisant pour lui que les locaux en sont plus vastes, les enfants plus nombreux, le personnel plus accablé par la lourdeur de la tâche. 

Quelques précisions sont ici nécessaires : sur les 1 500 000 enfants d'âge préscolaire accueillis dans les écoles maternelles et les classes enfantines publiques, les 2/3 le sont dans les écoles maternelles de villes, le 1/3 seulement dans les classes enfantines rurales. Le milieu naturel, facteur d'équilibre et d'enrichisse­ment à travers les multiples expériences qu'il suscite, est de plus en plus remplacé, par suite de la désertion des campagnes, par le milieu artificiel urbain où l'enri­chissement précoce du langage masque l'indigence de l'expérience concrète. 

De plus, dans les grands centres urbains, les petites écoles maternelles à 2 ou 3 classes tendent à disparaître au profit de « grosses écoles » de 5, 7, 8 ou même 10 classes. Cette évolution très rapide et consécutive à l'accroissement constant du nombre d'enfants fréquen­tant les écoles maternelles (dans certains départements industriels, la moyenne par classe maternelle dépasse les 50 maximum prévus par la loi) oblige les institutrices maternelles à repenser leur milieu éducatif en fonction de cette situation nouvelle et des besoins constants des enfants.

En effet, de plus en plus, l'école maternelle couvre cette période de la vie des enfants qui s'étend de 2 à 6 ans entre la première prise de conscience du moi en tant que personne physique, séparée pour la première fois, lors de l'entrée à l'école maternelle, du cadre familier dans lequel il vivait en symbiose avec sa mère, ses parents, les objets usuels, et la découverte à la fois de ses égaux, du monde extérieur proche et de ses pouvoirs d'expression et de création. 

Période extrêmement riche où se font jour, dans leurs diversités, les personnalités enfantines, où se décèlent les aptitudes et les caractères, où le condition­nement, étant donné la malléabilité enfantine, est le plus facile et peut-être le plus pernicieux, mais, en contrepartie, où l'ouverture sur la vie est la plus aisée. Ici, mieux que nulle part ailleurs, il est possible d'obser­ver les démarches investigatrices de l'esprit enfantin, d'en suivre pas à pas le tâtonnement expérimental, de comprendre les relations du milieu à l'individu, de préserver et de soutenir cet élan vital qui pousse l'être humain à se dépasser, l'enfant à grandir, à s'intégrer dans une communauté, à y prendre conscience de ce dont il est capable.

Sans forçage ni dressage, par la seule vertu d'une vie communautaire aidante, où chaque enfant peut faire, à son rythme, le maximum d'expériences que la mise en partage valorise et multiplie, l'école maternelle a l'ambition de mener chacun de ses petits vers la prise de conscience de ses pouvoirs sensori-moteurs et créateurs, de ses possibilités d'expression et de com­munication et de ses premières démarches intellectuelles. Ce milieu éducatif par excellence doit tout d'abord répondre au premier besoin de l'enfant de cet âge : le besoin de sécurité. Il faut avoir assisté à une rentrée massive (septembre ou Pâques) des petits à la maternelle, avoir essuyé les larmes et apaisé les cris pour mesurer justement ce besoin et comprendre le heurt subi par le bébé brusquement séparé pour la première fois de sa mère et de sa maison. Privé tout à coup du cadre familier, du soutien maternel limité dans ses démarches spontanées par les règles de ce milieu nouveau, par le contact inévitable de tous " les autres " bébés qu'il doit apprendre à connaître sans cesser de se reconnaître, le petit enfant est perdu au milieu du bruit, du nombre, des locaux trop vastes pour lui. 

Je n'évoquerai pas ici l'attitude maternelle qui doit être innée chez toute éducatrice des petits. Mais j'insisterai sur la nécessité dans les écoles à plusieurs classes d'une organisation convenable des entrées et des sorties ainsi que des récréations : entrée directe dans les classes, récréations séparées pour les petits, passage successif des classes dans la cour et la salle de jeux afin que chaque classe puisse bénéficier au maximum du jardin ou du terrain de jeux. Eviter à tout prix ces moments si pénibles de courses et de bousculades d'une centaine d'enfants (et souvent plus), rouges et suants, tassés dans une salle de jeux sans autre but que de courir, de pousser le voisin et de crier à qui mieux mieux, me semble être le premier devoir des éducatrices soucieuses de satisfaire ce premier besoin enfantin. 

D'autre part, établir le contact, le plus fréquemment possible, entre la maman et l'institutrice, n'est-ce pas également favoriser son adaptation à ce milieu nouveau ? Or, c'est là l'une des caractéristiques de la pédagogie Freinet que de rechercher le dialogue, la coopération entre l'école et la famille.

Cette coopération permet de part et d'autre une meilleure connaissance des enfants et partant une efficacité plus grande des moyens mis en œeuvre pour les éduquer. Elle aide parents et éducatrices à mieux comprendre les états affectifs des petits, parfois même les drames qui les agitent. En voici un exemple :  

La crise de jalousie provoquée chez Nadine (3 ans l/2) par la naissance d'un petit frère a pu être résolue et dominée par l'enfant qui a trouvé à l'école aide et com­préhension. 

L'institutrice, à travers les récits de Nadine, les commentaires de ses dessins libres, a décelé les raisons de l'attitude agressive de l'enfant et des régressions de tous ordres constatées par les parents et elle-même. Elle s'en est expliquée avec les parents, puis par l'inté­rêt qu'elle a manifesté pour le petit frère, intérêt qu'elle a su faire partager à la classe, elle a suscité chez Nadine un sentiment de fierté et de tendresse envers ce petit frère si faible, qui accapare un peu trop sa maman. En dessinant, en peignant le petit frère dans son berceau, en le racontant, Nadine s'est libérée de sa jalousie. 

En permettant aux mamans d'entrer dans l'école, de connaître le nouveau milieu de vie de leurs enfants, d'assister parfois à un moment de vie, non seulement nous les aiderons à élever leurs petits, mais aussi sécurisons ces derniers.

D'autre part chaque classe, avec sa trentaine d'enfants et son éducatrice peut vite devenir, même pour les bébés, un milieu sécurisant à condition de garder son indépendance et de répondre à un second besoin aussi essentiel que le premier : le besoin d'activité. Parce qu'elle se place résolument sur le terrain de l'éducation, l'école maternelle peut, en répondant à ce besoin, aider l'enfant à prendre possession de son corps, à maîtriser ses coordinations motrices, à perfectionner et à socialiser son langage, à affirmer sa personne à travers une affectivité véhémente qui tend peu à peu vers 5 ans 1/2- 6 ans à la compréhension des autres, à l'échange, au dialogue.

Mener l'enfant de la démarche hésitante et impul­sive du bébé de 2 ans à la grâce, à l'aisance de l'enfant de 6 ans déjà capable d'inhibition, d'activité volontaire et réglée, donc de mémoire, de capacité d'analyse et de synthèse, n'est-ce pas, selon la belle expression de Mme Kergomard, « apprendre à vivre ». 

Qu'il s'agisse du bébé de 3 ans ou de l'enfant de 6 ans à la découverte de lui-même et du monde qui l'entoure, nous pensons, avec Freinet, qu'il nous faudra toujours rechercher d'abord l'expérience individuelle, l'activité personnelle, le tâtonnement expérimental par lesquels s'exercent les pouvoirs de l'enfant, se forme et s'exprime sa personnalité. La découverte des qualités des objets s'opère par la pratique, par l'action, par l'usage et l'enfant qui construit ses perceptions se construit en même temps lui-même. 

Mais comme nous désirons faire de l'enfant un être social, nous accueillons volontiers les occupations par groupes ainsi que l'activité collective. 

« Par la vie que nous organisons autour de nos petits, nous assurons en même temps que leur développement physique, mental et émotif, une adaptation sociale qui se fait dans la liberté et la joie ».

Chez nos 5 à 6 ans en particulier, ces moments de travail collectif permettent à chacun de bénéficier des découvertes des autres, ils deviennent alors motivation et coopération, ils donnent l'élan aux esprits lents, ils sont le tremplin des intelligences et des cœurs. 

Mais n'oublions pas que les formes que revêt l'activité enfantine dans nos classes sont conditionnées par le milieu éducatif que nous créons. Nous portons la responsabilité du choix de ces activités grâce auxquelles nos enfants vont se former. Pour ces enfants qui seront les hommes de demain, il nous faut savoir, comme le recommandait Gaston Berger « prendre cette attitude prospective qui consiste à essayer de voir loin, de voir large, de prendre des risques, mais surtout de penser à l’homme ». 

Non pas un homme enfermé dans un monde figé dans l'ordre culturel comme dans l'ordre technique, cherchant avant tout le rendement, mais un homme capable de mettre sa foi dans sa spontanéité et sa créativité, un homme responsable de lui-même et du monde dans lequel il vivra. 

Comme le poète H. Michaux devant la statue à laquelle il voudrait apprendre à marcher, nous nous disons : « Ce n'est pas facile, ni pour elle, ni pour moi ­grande distance nous sépare. Ce qui importe, c'est que son premier pas soit bon. Tout pour elle est dans ce premier pas, je le sais, je ne le sais que trop -de là mon angoisse ». 

Saurons-nous soutenir ce premier pas ? Saurons-nous aider l'enfant à le franchir en créant pour lui ce milieu riche et valorisant, largement ouvert sur la vie, où toutes les expériences seront possibles dans un climat d'accueil et de sécurité ?

Saurons-nous tenir compte de ce que, spontanément, nos enfants ont appris et apprennent journelle­ment dans le milieu où ils vivent ? 

Saurons-nous partir de cet apport que constituent si largement leurs conversations, leurs joies, leurs dessins ? Saurons-nous ouvrir largement le dialogue, ce subtil va-et-vient entre leur pensée et la nôtre qui est la seule forme possible d'éducation et d'enseignement ? Saurons-nous être présentes en même temps qu'eux au monde actuel, afin de préserver et d'entretenir leur curiosité et leur élan, leur besoin d'agir et de grandir, leur naturelle sympathie pour le monde des êtres et des choses, sauvegarder leur joie de vivre et ordonner la masse chaotique de leurs acquisitions spontanées ? Saurons-nous les aider à se faire, en provoquant leur désir de quête, en regardant le monde, en l'interrogeant et en le recréant par leurs propres moyens ? 

H.SOURGEN

 

« Devenir adulte, écrit Mme Bandet, inspectrice générale, commence à l'école maternelle. Cette co-présence de l’homme et de l'enfant, de la  réalité et du rêve, de l'actuel et du passé, du spontané et du voulu, c'est là toute une méthode qui admet que le petit tienne le grand en laisse, mais peut être, à son tour, guidé et soutenu par lui ».

 C'est aussi l'esprit même de la méthode Freinet qui fait de l'expression libre, des échanges entre enfants, et du dialogue entre les enfants et l'éducatrice ses essentiels moyens d'action.

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Les facteurs du développement de l'enfant

 

Or, cette action va s'exercer dans le cadre de la période de la seconde enfance étudiée de très près par de nombreux psychologues, pédagogues, psychiatres, médecins, qui tous en ont montré à la fois l'importance et l'unité. 

Par eux nous avons appris la correspondance entre la croissance physique et le développement mental de l'enfant. Nous savons maintenant que les transforma­tions du système nerveux déterminent ce développe­ment, que les pouvoirs de l'intelligence apparaissent successivement à mesure que le système nerveux devient plus complexe et que les cellules se différencient (et cette croissance est longue, la myélinisation des fibres nerveuses n'est achevée qu'à l'âge adulte). Nous savons aussi que nous ne disposons d'aucune force qui puisse, d'un seul instant, d'un seul jour, hâter la maturation du système nerveux et partant des forces spirituelles. 

Et nous sommes devenues plus patientes, plus soumises à l'acceptation des lois naturelles, plus atten­tives à reconnaître ces « périodes sensibles » où le com­portement des enfants, leurs goûts, leurs intérêts, révèlent qu'ils ont passagèrement à leur disposition des énergies disponibles pour un mode particulier d'activité : ils ont tour à tour un accès facile à l'expression d'eux-mêmes par des gestes, des mots, par le dessin, la peinture, le modelage, la danse, ils sont portés vers le langage, puis l'écriture, puis l'analyse et le calcul 

Observez la démarche d'un bébé de 2 ans : elle est encore toute tâtonnante : ses gestes sont imprécis hésitants, maladroits. Regardez marcher un bambin de la maternelle : il a des arrêts inattendus, incompréhensibles pour nous : il s'immobilise et se retourne sans que nous comprenions pourquoi : un rayon de soleil, une flaque d'eau, un caillou l'attirent.

J'observe souvent les enfants venant à l'école, qui s'ingénient parfois à marcher, avec quel sérieux, sur les bordures des trottoirs, quand leurs mamans ne le tirent pas à bout de bras. Il m'arrive de les regarder longuement jouer dans certaines cours sablées. J'en observais un l'autre jour qui s'était saisi d'une planche Il a d'abord essayé d'enfoncer la planche dans le sable pour la faire tenir debout, puis n'y ayant pas réussi, il s'est mis à gratter le sable avec la planche. Il a ainsi dégagé un espace rectangulaire ; un autre petit est passé et a suggéré : « C'est un garage ». Alors, Bernard s'est mis à creuser le garage, puis l'entrée du garage, puis le chemin avec ses méandres et ses détours. Alors la planche est devenue auto, le garage aplati par d'autres petites mains est devenu fosse à cailloux, enfin la fosse a été comblée et le sable humide, pressé entre les doigts est devenu boudin et prétexte au jeu du marchand.

Pendant ce temps, une fillette allait le long de la bordure plantée de corbeilles d'argent et en caressait les fleurs et je pensais à Rousseau : 

«  Nos mains, nos pieds, nos yeux, sont nos premiers maîtres de philosophie ». 

Je constatais une fois de plus comment les facteurs sensori-moteurs dominant dans la petite enfance ont des implications sociales et émotives qui leur confèrent une valeur intellectuelle et comment selon le mot de Wallon « l'action crée la pensée ». 

Cependant, nous savons aussi que la croissance mentale est intimement liée au développement de l' affectivité et que l'école se doit de créer pour tous ses petits ce chaleureux climat de confiance, d'amitié, de liberté qui permet l'épanouissement de l'élan vital et de la puissance créatrice. 

A l'école maternelle nous avons la charge d'une période unique de la vie enfantine, une période qui s'étend entre la crise d'opposition de 3 ans où l'enfant prend conscience de sa personnalité naissante et celle de 7 ans où il entre dans le monde de la 3e enfance, une période merveilleuse pendant laquelle l'enfant va passer insensiblement d'un mode de pensée confuse et globale à un monde de pensée élaborée et analytique d'une perception syncrétique à une perception synthétique, d'une affectivité diffuse et égocentrique à une affectivité vivante, toute colorée d'animisme, qui lui donne à la fois son accent et sa richesse. 

 L'enfant de 4 à 6 ans qui est déjà capable d’ob­servation et de réflexion n'est cependant pas pour autant dégagé de l'emprise d'une affectivité toute puissante : « Il regarde, il explore, il observe, mais son observation est toute gorgée d'émotion, d'images ; des associations se font en lui mais qui vont sautillant d'une émotion à une image, d'un mot à une émotion, d'un mot à un souvenir, à un autre mot ; son action change de cours au croisement d'une peur, d'un espoir, d'une représentation fugace.

La richesse est dans cette fusion et confusion de tous les éléments de son être, dans cette indétermination des forces animatrices de sa vie intérieure. C'est de cet élan vital qu'il nous faut partir : la spontanéité de l'enfant jeune, se développant librement fournira à l’écolier et à l’homme, la  matière de sa pensée et de son caractère ».

H.SOURGEN

 

Cette dominance affective dans la psychologie de nos petits va leur ouvrir largement les chemins de la connaissance à la fois sensible et pratique d'eux-mêmes et de leur milieu familier ; c'est elle qui va nous donner les clés d'une connaissance aussi individualisée que possible des lois du développement de nos petits, et ce faisant nous dicter notre ligne de conduite qui peut se définir ainsi :

-exploiter ce qui est présent dans chaque enfant et pour cela apprendre à le connaître individuellement, mesurer l'étendue de son développement ;

-épanouir toutes ses possibilités par la vie qu'on aura su organiser pour lui, par les expériences nombreuses aménagées dans tous les domaines, par les découvertes que nous aurons suscitées et pour cela savoir comment nous pouvons organiser le milieu scolaire pour favoriser au maximum ces expériences individuelles, mais aussi la socialisation de tous ; 

-enfin donner à tous, progressivement et sans heurts, des habitudes de travail, d'activité organisée, de précision, d'ordre qui faciliteront l'intégration à l'école primaire et pour cela régler la vie de classe, provoquer selon la belle expression de Freinet l'EDUCATION DU TRAVAIL

Afin d'éviter à chacun la fatigue et de l'inciter à aller jusqu'au bout de son effort dans chacune de ses expériences. Nous favoriserons ainsi la maturation personnelle et l’adaptation sociale tout en essayant de ne jamais tomber dans l'une ou l'autre des tentations extrêmes qu'offre trop souvent l'école maternelle, tentation de puérilité qui maintient les enfants en dessous de leurs possibilités réelles et tentation de forçage vers laquelle nous portent notre désir d'enseigner et l'exigence des parents de nos petits. Nous nous efforçons d'instaurer la véritable discipline du travail « en développant, selon le vœu de Madame Montessori, l'action du travail spontané, travail capable d'ordonner la personnalité enfantine et de lui ouvrir une voie d'expansion sans limites ». 

 

L 'ÉDUCATRICE

 

Cette ligne de conduite que nous venons de définir nous incite à nous retourner vers nous-mêmes et à nous considérer comme l'objet privilégié de ce milieu éducatif que nous sommes conviées à créer.

Certes, l'amour des enfants, l'amour du métier ne nous est pas donné une fois pour toutes le jour de notre entrée à l'école maternelle ou primaire. C'est une œuvre de longue patience.

 Il faut qu'il mûrisse doucement en nous. Il suppose le désir d'éduquer l'enfant, de l'élever, mais aussi le respect de l'enfance et cette humilité, cet émerveillement devant la vie qui donnent tant de prix à l'œuvre d'un Decroly, d'une Maria Montessori, d'un Ferrière, d'un Freinet.

 Il s'appuie sur une connaissance née de notre expé­rience journalière, née du besoin de voir nos petits tels qu'ils sont, avec leurs tendances propres et le condi­tionnement de leurs personnalités par leur milieu familial et social, née du désir de gagner leur confiance de créer entre eux et nous ce climat de sécurité et de don réciproque qui leur permettra de devenir de jour en jour eux-mêmes. Ce n'est que peu à peu qu'il nous est donné d'apprendre, au contact de chacun d'eux, combien la vie est riche et diverse, et variés les chemins qui mènent à la prise de conscience de soi-même et du monde, comme il faut respecter le rythme propre à chacun de nos petits et cependant trouver l'intérêt qui les portera dans un élan de tout leur être à s'exprimer et par là même à agir, à se faire, à dominer les résistances de la matière.

Peu à peu, nous apprendrons que chacun d'eux porte en lui son rêve familier, que Jean Marc, le timide, qui regarde si tendrement les filles, souffre d'être un enfant unique et qu'il voudrait tant « avoir une petite sœur ». Que Jean-Luc le m'as-tu-vu, le fanfaron, le terrible, élevé par une mère trop faible a besoin d'une amitié virile et « rêve son copain Jojo » quand celui-ci est malade.

Nous apprendrons que Martine qui reste depuis quelques jours songeuse dans son coin, qui tourne un peu trop autour de nous, vient d'avoir un petit frère et se sent frustrée de la tendresse maternelle qu'elle acca­parait seule autrefois.

Nous verrons Bernard que la mécanique passionne, tracer avec un bâton sur le sol de la cour d'école pendant la récréation de magnifiques 3 chevaux qu'il répétera inlassablement en les perfectionnant, en y ajoutant détails ou personnages sur les feuillets de son carnet personnel. 

Nous saurons, en feuilletant le carnet de dessins libres d'André qu'il est déjà hélas ! un passionné de télévision et éprouve une admiration particulière pour Thierry la Fronde qui s'étale à chaque page avec un luxe et une précision incroyables de détails dans le costume et les attitudes. 

Nous assisterons à d'émouvantes naissances : je me souviens d'un petit Claude, longtemps emprisonné dans une coquille de pauvreté et de silence dont le jour libérateur fut un après-midi d'hiver où il m'apporta sa peinture, des arbres dépouillés inscrits dans une palette violente et triste mais cependant éclairés d'une tache de lumière sombre, comme d'une échappée vers la clarté et la joie. Cette peinture, nous l'avons tous ensem­ble regardée, admirée. Et tous ont dit : « Les arbres de Claude, ce sont les plus beaux ». Et Claude a souri. Puis, de jour en jour, il a pris plus d'assurance, un jour il a écrit tout seul à son correspondant. Un jour aussi, je l'ai surpris qui, pétrissant son argile, sifflait Mozart.

Des petits Claude, chacune de nous en connaîtra le long de sa carrière et des petites Elisabeth aussi. Celle-ci était la fille d'ouvriers agricoles polonais, toujours ivres, ne se souciant des enfants que pour leur préparer une soupe de pommes de terre, de choux et d'os... et toucher les allocations familiales. Elisabeth et ses sœurs arrivaient en classe sales, mal peignées, sachant à peine parler. Toute la journée Elisabeth se trémoussait sur sa chaise, faisait tomber sa table, perçait le papier sur lequel elle griffonnait, tachait les peintures de ses camarades. Les autres la bousculaient ou la tenaient à l'écart. Il nous a fallu beaucoup de patience, beaucoup de tendresse, beaucoup de doigté pour l'inté­grer à la vie commune. Nous avons assisté à bien des tentatives presque aussitôt avortées. Et puis la confiance est venue. Et dans cette maison où elle se sentait enfin chez elle, au milieu d'êtres qui lui donnaient la main, Elisabeth s'est mise à dessiner ses rêves : des mamans aux robes fleuries, aux chapeaux extravagants, des arbres d'un seul jet se balançant en plein ciel, des oi­seaux riches d'un fastueux déploiement d'ailes. Et ses gestes sont devenus plus souples et son langage plus clair. L'intérêt pour les acquisitions scolaires est venu lui aussi à son heure : Elisabeth s'est mise à imprimer, à écrire, à compter. Elle a cessé de se trémousser, d'être la Polonaise isolée sur un banc, dans un coin du préau. Elle est devenue une petite fille comme les autres, heureuse de créer, de jouer, de danser, de rire. Nous apprendrons aussi que si le sentiment de la réussite est indispensable à l'enfant pour progresser, l'existence d'une véritable motivation ne l'est pas moins et que cette motivation, lorsqu'elle joue lors des périodes sensibles, c'est-à-dire des moments où l'enfant devient accessible à une certaine activité (dessin, écriture, lecture, calcul), peut l'entraîner bien au-delà de nos prévisions souvent timorées. 

 

INITIATION à la lecture- écriture

 

Un instituteur allemand raconte comment il a compris que l'apprentissage de la lecture et de l'écriture pouvait être motivé par le besoin de correspondre avec un être cher et éloigné de vous : 

« Le papa de petit Pierre est parti en voyage et petit Pierre, seul avec sa maman, joue dans la salle à  manger. Et tout à coup, il se saisit d'un crayon et se met à griffonner sur un coin de la nappe. La maman accourt et gronde. Mais maman, dit petit Pierre, j'écrivais à papa. Il sera si content d'avoir des nouvelles ". 

D'autre part, l'intérêt pour la « chose écrite » vient très vite à nos petits dans un monde où ils vivent entourés de signes : affiches, réclames, journaux, enseignes, etc. Dans nos classes de 5 à 6 ans, nous exploitons ce besoin naturel de communication et cette curiosité, et nos petits s'initient pour le texte libre imprimé et la corres­pondance interscolaire à la lecture et à l'écriture. 

Le désir d'écrire précède d'ailleurs l'intérêt pour la lecture et est motivé par l'exemple familier de la correspondance et le désir de grandir. Le passage du langage parlé au langage écrit s'accomplit aisément tant qu'il ne s'agit que de copie. 

Plus longue et plus difficile est la découverte du mécanisme de la lecture-écriture, découverte qui n'est le fait, à l'école maternelle, que d'une partie de nos grandes sections, mais que l'emploi de notre méthode naturelle de lecture provoque avec le plus de bonheur.

Les enfants lisent les petits textes qu'ils ont « ra­contés »  eux-mêmes et qui relatent les événements de leur vie, leurs observations, leurs émotions. Ils les copient, les impriment et ils découvrent, d'eux-mêmes, tôt ou tard, les éléments semblables de forme et de son, lettres et syllabes, contenues dans des mots différents. 

Cette découverte d'éléments fixes réalisée, ils s'aident de cette connaissance pour déchiffrer et construire immédiatement des mots nouveaux.

Si le point de départ, le texte très court (parfois quelques mots) est toujours global, l'analyse et la syn­thèse sont toujours menées de front : analyse et synthèse globales de la phrase dont on lit et écrit les différents mots, qu'on découpe en mots et reconstitue, mais aussi et dès le premier jour, analyse et synthèse complètes de la phrase et des mots décomposés et reconstruits, pour être imprimés, en leurs éléments les plus simples, les lettres, qu'il faut prendre une à une dans la casse et ranger en bon ordre dans le composteur. 

Ici encore, il nous faut être patients et ne pas anticiper sur la maturation intellectuelle de chacun de nos petits : quelques-uns, plus doués de mémoire auditive et visuelle que les autres, découvrent très vite les ressemblances entre les mots : « Tiens, marie commence comme maman ». Accueillons ces remarques mais atten­dons pour les exploiter qu'un groupe d'enfants, d'importance variable selon les années, les aient, chacun à son heure, faites pour son propre compte. 

Alors nous aiderons et nous encouragerons ceux qui gambadent en avant du troupeau (ils seront capables de pratiquer les chasses aux mots contenant les sons découverts, d'écrire seuls à leurs correspondants quel­ques mots d'abord puis de véritables « histoires »). 

Mais nous n'imposerons pas au reste de la classe un rythme qui n'est pas le sien, des découvertes et des expériences dont il ne peut faire son profit. L'originalité et la valeur de la méthode naturelle de lecture inventée par Freinet réside justement dans le fait que partant de la vie même de l'enfant, elle permet à chacun de marcher à son pas, l'éducatrice s'efforçant de stimuler l'activité des uns et des autres en suscitant l'apport de tous pour l'élaboration des textes, en encourageant chaque découverte, en répartissant les tâches selon les possibilités individuelles.

Nous partons non pas d'une méthode de lecture mise au point par des adultes en vue de l'apprentissage des lettres et des sons suivant une progression plus ou moins rigoureuse, mais de la vie même des enfants, des conversations du matin, des réflexions spontanées, d'un commentaire de dessin, etc...

« L 'histoire » racontée est écrite au tableau par l'institutrice : passage naturel du langage parlé au langage écrit.

Elle est lue par les enfants, copiée, illustrée et composée à l'imprimerie par une équipe d'autant d'enfants qu'il y a de lignes dans le texte (chaque ligne ne contenant que quelques mots étant donnée la grosseur des carac­tères d'imprimerie corps 36 ou 24.

 

Ex. :
Hier
mon frère
a jeté
un petit poisson
à la mer :
un goéland
l’a avalé

       MICHELE

Cette composition, faite par des équipes essentielle­ment mouvantes, mais qu'il est facile de retrouver pour la décomposition du texte, peut se faire soit après l'écriture du texte sur le carnet ou le cahier, soit à un autre moment de la journée.

Elle peut donner lieu à des occasions de calcul vivant : nombre de lignes, nombre de mots pour chaque ligne, nombre de blancs, etc. Chaque ligne est vérifiée par la maîtresse puis placée par l'enfant sur la presse dans l'ordre du texte avec sa bande écrite en regard sur la table. On place les interlignes, le lino d'illustration, s'il existe gravé par un enfant, et on tire.

Le tirage se fait le plus souvent l'après-midi pendant l'heure réservée aux ateliers : un enfant encre, un autre place les feuilles sur la presse : un troisième appuie et un quatrième place les feuilles à sécher dans un recueil de papier journal.

Le lendemain on retirera les feuilles de ce livre de séchage ; chacun recevra la sienne (qu'il rangera dans son livre de vie après lecture) et on enverra les autres aux correspondants. Un troisième paquet pourra éga­lement être imprimé et utilisé pour le découpage du texte en mots et sa reconstitution par collage (le texte reconstitué peut alors être emporté à la maison : cela permet de relire et de montrer aux parents ce qu'on a fait en classe).

Les enfants pourront (gaiement avec les mots des textes reconstituer d'autres histoires : Mme Belperron nous raconte à ce sujet que ses petits appellent ces histoires recréées après coup des « histoires pas vraies », et nous donne cette savoureuse anecdote :

Dernièrement j'ai eu la surprise d’entendre une petite lire ceci : «  Fernand a cassé son petit vélo rouge »  et d'ajouter : « mais c'est pas vrai et pis d’abord il est vert ».

Le découpage et la reconstitution du texte ne sont qu'une des étapes possibles de la méthode naturelle de lecture (voir les BEM : Méthode naturelle de lecture n° 8-9 et La lecture par l'imprimerie à l’école7).

Les feuillets imprimés peuvent également être assemblés chaque mois pour former le journal de classe qui sera envoyé à quelques écoles en échange du leur.

Ce journal est un message d'amitié entre enfants d'écoles éloignées. Il peut apporter des suggestions, donner un élan à des écoles qui hésitent à se lancer, être le point de départ, la petite étincelle pour des débutantes.

Il comprendra tous les textes imprimés soigneuse­ment, illustrés par des linos ou au limographe et réunis sous couverture de couleur de préférence et illustrée elle aussi. On y trouvera la date, le numéro du journal, le nom de l'école, du village, l'indication : techniques Freinet autorisation n°...  la gérante : X.

Les journaux reçus des correspondants seront placés dans un casier à la portée des enfants qui pourront les regarder et les lire.

L'échange d'imprimés avec une école correspondante peut se faire à raison d'un ou de deux textes environ par semaine. Ces imprimés sont déchiffrés individuelle­ment puis collectivement et soit donnés aux enfants pour la maison, soit placés dans une chemise pour cons­tituer le livre de vie des correspondants.

Il est bien évident que certains textes suscitent plus de résonances que d'autres dans la classe qui les reçoit : celui, cité plus haut, envoyé par une classe de Brest à une classe de Paris a provoqué l'intérêt des petits parisiens qui ne connaissent pas les goélands ni leur façon de se nourrir. Il a donc suscité des questions qui à leur tour ont provoqué des réponses et un intérêt certain pour le milieu de vie différent des uns et des autres.

D'autre part, des lettres manuscrites individuelles sont également échangées qui alimentent l'intérêt porté à l'écriture. 

Pour les enfants encore maladroits, la maîtresse écrit sous la dictée de l'enfant qui s'efforce à recopier le modèle : « J'ai un petit frère et une poupée » ; «  Mon pépé va à la pêche », etc. Voici une excellente motivation à l’écriture ; il y a là un véritable effort affectif vers le but à atteindre :  se faire comprendre.

Certains enfants, en cours ou en fin d'année, sont capables d'écrire seuls à l'aide de mots retenus par cœur, d'autres trouvés dans les textes et enfin de mots construits avec les syllabes et lettres connues.

Je n'aurai garde d'oublier l'échange de dessins, d'albums, de lettres collectives qui répondent aux questions posées sur la vie de chacune des classes, et enfin de colis (produits de la région, friandises, photos des enfants, trésors de toutes sortes apportés de la maison, cadeaux, objets fabriqués par les enfants, découpages faits en classe, modelages, marionnettes, masques, etc...)

Qu'apporte cette correspondance en dehors de la motivation à la lecture-écriture ? Voici ce qu'en dit l'une de nos camarades, Clémentine Berteloot :

«  Elle est le souffle de vie du monde extérieur, qui rayonne en ondes concentriques, au-delà de l'enfant, au­-delà de la famille, au-delà de l'école, au-delà du quartier, au-delà de la ville... 

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Dès que les partenaires (les institutrices) sont d'accord pour commencer la correspondance, il est nécessaire qu'elles se présentent leurs classes :

présentation des élèves : chaque maîtresse envoie à l'autre une liste portant : le nom des enfants ; leur âge ;  des renseignements sur le milieu familial ; leur santé ; leurs intérêts dominants et leurs possibilités ; ceci dans le but de ne pas réaliser entre les enfants de « mariages dis­parates »   risquant d'amener des déceptions.

L'une ou l'autre propose un rythme d'envoi :

- 2 ou 3 textes imprimés par semaine ( certaines camarades préfèrent un seul texte) ;
- une lettre collective ;
- des lettres individuelles tous les 15 jours par exemple ;
- un colis par mois par exemple et le journal scolaire, voilà en général le rythme adopté et pour celles qui ont la chance de posséder un magnétophone, l'échange d'une bande magnétique d'une durée de
10 minutes environ tous les 15 jours ».

 Ce dernier échange permet un contact plus direct entre les enfants :

«  Lorsque Didier entend sortir de la « boîte » la voix du petit ami qui l'appelle : «  Bonjour Didier, je suis Daniel », quel ravissement ! mais quelle confusion le jour où de la même boîte, la voix sévère du copain s'élève : « Tu sais, si tu ne m'écris pas plus souvent, je ne t'enverrai plus rien » ou bien : « tâche d'écrire mieux, sinon je prendrai un autre correspondant ».

...Après les présentations viendront les questions, soit individuelles, soit dans une lettre collective :
- Mon père est mineur, que fais ton papa ?
- Le mien est pêcheur.
- Le mien va à l'usine...
Et voilà les ponts de vie jetés par-dessus les distances
:
- Qu'est-ce qu'un mineur ?
- Qu'est-ce qu'un pêcheur ?
- Avez-vous la côte ?
- Avez - vous la « criée » au charbon ?
- Où dorment les papas pêcheurs ?
- Avez-vous des arbres, des fleurs ?
- Qu'est-ce qu'un terril ? Qu'est-ce qu'un chalutier ?
 

En répondant, par lettres et albums, les enfants prennent conscience de leur milieu, de leur quartier, du travail de leur père, du travail des autres pères... d'un autre univers que celui du monde coutumier.

Pour les correspondants se constitue alors le livre de la mine, le livre de la mer... Les parents y participent souvent avec plaisir : l'enfant devient un lien vivant entre deux mondes de travail. Quelle fraternelle émotion a présidé à l'échange du « caillou fleuri » de la mine, remonté « au jour » dans la musette d'un papa mineur, et d'un coquillage rare ramené du large dans le chalut d'un papa pêcheur ! Et que de choses à compter, à peser pour préparer le colis, l'affranchir, l'enrichir les jours de fête d'objets pour le sapin, de chapeaux, masques, pâtisseries du pays, gaufres du Nord, crêpes bretonnes, oreillettes proven­çales... »

Parfois, cette correspondance interscolaire est cou­ronnée en fin d'année par un échange à enfants : lorsque Ies 2 classes sont proches et les milieux différents (école de ville et école de campagne) le courant affectif créé chez les enfants par la correspondance rend cet échange fructueux.

Autre exemple de correspondance entre deux grandes sections : l'une à Brest O. Rosmorduc), l'autre à Paris (F. Pouliquen).

 Les petits parisiens élevaient des tourterelles dans leur classe. Ils ont raconté aux petits brestois la ponte, la couvaison et la naissance d'un bébé tourterelle. Au cours d'un voyage à Paris de l'institutrice brestoise, les petits parisiens ont offert la petite tourterelle à leurs correspondants. Joie des petits brestois à l'arrivée de l'oiseau qui s'apprivoise rapidement et vit en fami­liarité avec la classe ! On lui donne un nom : Perlette, on la nourrit avec soin, tous les jours quelqu'un lui apporte des feuilles de salade, des graines, des pommes, etc. Christian invente pour elle des chansons et on tient les correspondants au courant de sa vie, de son évolution : « Ses plumes poussent ». « Elle se promène avec une fleur dans le bec ». « Elle vole à travers la classe ». « Elle se baigne ». « Elle picore les plantes de la classe ».

De leur côté les parisiens posent des questions, donnent des conseils pour la nourriture, le volume de la cage, etc... 

Un jour, une petite fille apporte un compagnon à Perlette : joie des parisiens de la savoir en compagnie ! Paris envoie un colis de fortifiants pour faire pondre la tourterelle (qui hélas ! ne se décide pas). 

Enfin, après les vacances, elle devient le lien entre les nouveaux-venus et ceux qui, partis à l'école primaire, reviennent la voir après la classe.

La correspondance interscolaire apporte également dans nos classes de multiples occasions de calcul vivant :

la croissance du bébé tourterelle par exemple a été suivie de très près par les petits parisiens et leurs corres­pondants brestois :

              -samedi 8 février : notre bébé tourterelle est né
            - samedi 15 février : il a déjà  des plumes
             - mardi 18 février : il est sorti du nid.

 Cette croissance rapide provoque des comparaisons avec le développement, beaucoup plus lent, des petits frères et des petites sœurs encore tout bébés : « Elle (la tourterelle) pousse plus vite que Jean-François alors ! ». Jean-François a 7 mois, ne marche pas encore, ne sait pas se sortir seul du lit. Il a besoin de l'aide constante de sa maman.

Ma petite sœur, dit Marie-Noëlle, commence à marcher quand on lui donne la main. Elle a un an ».

Et Hélène : « Didier a 15 mois, il marche tout seul ». 7 mois, 1 an, 15 mois : à chacun de ces âges correspond une étape du développement dont nos petits prennent conscience en mettant en commun leurs observations. Que nous voici loin du comptage mécanique, des litanies suite des nombres récitées par cœur pour le plus grand plaisir des parents tout fiers de leur progéniture. C'est cependant à travers cette optique de vie que nous aborderons cet autre problème éducatif : l'INI­TIATION AU CALCUL.

 

INITIATION AU CALCUL

 

 

Nos observations quotidiennes nous apprennent que d'une part la maturation biologique de l'enfant, d'autre part le milieu naturel, familial et social dans lequel il vit, ses préoccupations et ses jeux, ses obser­vations spontanées et dirigées, ses travaux et ses créa­tions l'amènent à une certaine expérience pratique des nombres.

 Il n'est pas jusqu'à son propre corps qui ne lui offre déjà la notion de pluralité, celle de parité, celle de symétrie. De même ses mouvements, les relations qu'il noue avec les objets vivants ou inertes, lui donne­ront peu à peu la notion d'espace. L'alternance du jour et de la nuit n'est-elle pas à la base de la notion de périodicité ? 

Si confuses que soient ces notions chez le petit enfant, elles n'en baignent pas moins sa vie toute entière. D'autre part, certains de ses instincts le poussent tout naturellement vers l'appariement et le recensement : instinct de la propriété, goût des collections, amour de la répétition, désir d'observer, besoin d'ordre. Il y a chez l'enfant, comme chez le primitif, un véritable besoin de compter.

Cependant, contrairement aux peuples primitifs, l'enfant moderne vit, dès son plus jeune âge, dans un monde chargé de symboles et de signes. Les signes du langage mathématique sont écrits sur les murs, le cadran des compteurs d'autos, celui des horloges et des montres, sur les calendriers, les maisons, les boutiques. L'enfant moderne participe aux courses de la mère de famille, aux promenades en voiture qui lui donnent le goût de la vitesse, aux séances de cinéma, de radio, de télévision. Même s'il s'agit d'une information de mauvaise qualité, précoce, plaquée sur sa vie et son développement mental sans leur être intégrée véritable­ment, nous devons en tenir compte. Nous ne pouvons que partir de l'enfant tel qu'il est et force nous est de constater que les noms des nombres ont été essayés par l'enfant, hors de la vie scolaire, dans de multiples occasions sans recouvrir d'ailleurs la notion exacte du nombre. 

Nous savons aussi que l'enfant de l'école mater­nelle n'est pas sensible au raisonnement déductif, logique, qu'il faut qu'il éprouve les notions mathématiques sur le plan de l'action avant de les intérioriser, de les penser.

 Ainsi dès l'âge de 2, 3 ans, l'enfant est capable d'agir sur des objets, sur des ensembles d'objets. Un peu plus tard, il devient capable de classer des objets. En manipulant du sable, de l'eau, les nombreux objets qui l'entourent, il établit peu à peu sur des bases solides et personnelles les relations d'ordre, les fonctions de correspondance : c'est la phase pré-opératoire de la découverte des quantités et des nombres.

Plus tard, il sera capable d'agir avec des objets et la notion de nombre apparaîtra avec la phase opératoire de la découverte. Mais constamment l'expérience vivante, la compréhension des actions entreprises formeront la base de l'acquisition des connaissances. Car tant en logique qu'en mathématique, les données de base sont expérimentales et les découvertes sont le résultat de l'analyse de notions acquises par l'expérience.

L'enfant développe ses structures mentales par toute son expérience de la vie et la dialectique entre structures mentales, structures du réel et structures mathématiques ne devrait jamais être interrompue. Ainsi de même qu'à l'origine des pensées calculatrices nous trouvons le problème lié aux obligations de l'existence réelle, devons-nous toujours trouver nos points de départ dans l'expérience la plus familière. Ces points de départ doivent permettre l'enchaînement des idées et le raisonnement mathématique : il s'agit de prendre conscience de situations, des éléments qui interviennent et de leurs relations ; de décrire ces situations, de les analyser, enfin d'exprimer ce que l'on fait pour résoudre le problème, ces situations vivantes étant d'autant plus intéressantes qu'elles ont été créées par les enfants eux-mêmes. Ainsi des enfants d'une grande section ayant imaginé, à la suite d'apports de boîtes de réglisse pour les correspondants, d'aménager dans une armoire de la classe une épicerie, ont classé les emballages les plus variés, apportés par eux-mêmes et l'institutrice, non pas d'après la nature des objets inventoriés, mais d'après la valeur marchande de ces objets (la manipu­lation de la monnaie présentant pour eux un intérêt majeur). Et leur exigence va jusqu'à ce point qu'ils ne classent que les objets dont ils sont capables de réaliser exactement, au moyen de pièces de monnaie réelles, la valeur marchande. 

Il y a donc une manière de saisir le réel, naturelle à tout enfant normal qui peut devenir une méthode d'apprentissage. 

C'est ce qu'exprime Freinet en disant :

« Il est faux de croire que le calcul soit pour l'enfant une spécialité scolaire dont il n'aura aucune notion si on ne le lui enseigne pas méthodiquement. Dès le plus jeune âge l'enfant calcule ; il calcule lorsqu'il compare intuitivement ou méthodiquement des objets, des poids, des grandeurs, lorsqu'il jette une pierre plus ou moins loin, lorsqu’il cueille des fruits ou remplit un seau d'eau. Seulement il faut se persuader que nul n'apprendra pour l'enfant à compter, à peser et à mesurer. C'est lui-même qui doit se rendre maître de ces acquisitions et il ne peut le faire que par l'expérience et l'exercice ».

Outre la motivation naturelle, nous trouvons ici l'idée fondamentale de toute l'éducation nouvelle :

l'enfant possède en lui-même les ressources suffisantes pour construire et assimiler ses matériaux et ses instru­ments à mesure qu'il se développe, à condition que le milieu lui permette de multiples expériences et que le maître sache provoquer et soutenir l'analyse de ces expériences sans jamais l'imposer.

Ces expériences sont bien plus nombreuses que nous ne le pensons : il suffit de savoir regarder et écouter nos petits pour nous en rendre compte. A nouveau, j'emprunterai quelques exemples à Clémentine Ber­teloot :

« Didier, 3 ans, vient d'avoir un petit frère. Ce matin il raconte : « Dominique il est petit, tout petit. Sa tête, elle est petite, toute petite, comme ça (il rapproche ses poings fermés). Il semble prendre possession de ce volume, l’introduire dans sa mesure spatiale. Puis il dessine sur une feuille, sa mère, son père, son frère, et ajoute : - Regar­de maintenant on est tout ça (il ne dit pas 4). Il continue :

- Je vais avoir un deuxième lit. La maîtresse : Pourquoi un deuxième lit ?

 Didier: Le mien c'est pour mon frère, moi je vais en avoir un autre... Ça fait deux.

Et il remarque : Dans la classe il y a 2 Didier, 2 Eric, 2 Brigitte.

Ainsi le nombre 2 a pris corps, comme prennent corps à travers les données de la vie de chaque jour les éléments de l'expérience vécue.

Hélène (3 ans) raconte : Ma grand-mère a des petits poussins. Béatrice, sa sœur plus âgée (4 ans) : on les a vus avant de venir. Hélène: Oui, yen a beaucoup !

Tout plein ! Maîtresse: Oui tant que ça ! Combien ? Béatrice: Comme ça. Elle montre ses doigts, essaie d'éva­luer, elle regarde sa main, serre ses 5 doigts et dit : Comme ça ! Maîtresse: C'est 5.

Thérèse raconte aussi : A ma maison j'ai 5 petits chats et un gros chat. Maîtresse: 5 petits chats ! Thérèse : Oui. Elle compte sur ses doigts, s'arrête, contemple sa main et dit : Tout ça, la main, et encore un gros.

Lors de la première chute de neige, grand événement. On s'extasie : il yen a beaucoup, hein, madame !

- Dans ma cour, j'en avais jusque là ( jusqu'à sa cheville).

- Moi dans le coin du jardin, jusque là ( jusqu'à mi-mollet).

La hauteur de la neige ils l'évaluent par rapport à leur cheville, à leur mollet, à leur jambe ; dans le jeu de billes, c'est le doigt, la main, qui sert de mesure. Nos mi­neurs ne disent-ils pas au travail : un bois d'un doigt, de 2 doigts, l'ouvrier qui estime une longueur : un pas, 2 pas, 3 pas.

Il me faudra attendre la visite médicale et ce passage à la toise pour qu'éclate une vraie folie de la mesure au moyen du mètre.

Toujours lors de la dernière neige, Sylvie et Dany ont rapporté dans la classe chacun leur boule de neige.

 - C'est celle de Dany là plus grosse !

Je leur demande : Quelle est la plus lourde ?

- Celle de Dany.

- Comment savoir si elle est la plus lourde ?

- On la pèse.

Sylvie et Dany déposent leur boule dans chacun des plateaux des balances. Le plateau de Dany descend, c'est le plus lourd.

 

Sylvie est moins lourde.

La notion de plus lourd, moins lourd semble acquise.

 Maîtresse: Pèse-la maintenant, Dany.

Sylvie ôte sa boule.Dany laisse la sienne et essaie d'équilibrer avec des poids, je dis bien équilibrer car il se soucie peu de traduire le poids de sa boule, ce qu'il veut c'est  : l'équilibrer, et pour ce faire, il n’hésite pas à mettre des poids du côté de la boule. Enfin l'équilibre est établi : « C'est pareil, madame ». J'ai constaté que la première réaction pour atteindre l'équilibre, ce n'est pas enlever les poids pour faire remonter un plateau, c'est toujours en remettre du côté où le plateau doit descendre... Il y aura le stade où l'équilibre se réalise en dehors de toute notion chiffrée, de poids, et dans lequel n'importe quel objet servira à équilibrer. Puis le stade où interviennent les poids, sans que pour cela l'équivalence leur en apparaisse. Longtemps ils s'attarderont au mystérieux et passionnant désir de l'équilibre sans que cela entraîne la notion égalité de poids. Un seul, Daniel, qui a 5 ans 3 mois, a découvert qu'un poids de 100 g équilibre 2 poids de 50 g.

Autre expérience de calcul citée également par Clémentine :

Michel a 23 autos et sait vous énumérer le nombre de Panhard, d'autos de course, de 2 CV, etc... Il les a apportées en classe.

-Comptons-les.

Jacky : On va compter les grandes et les petites : 6 petites et 1 gros paquet de grandes qu'il faut évaluer.

-Par 10 dit Michel. Et voilà 10, 7, ça fait 17.

-Et tout ensemble dit Maryvonne.

 

Moment de perplexité.

- Des paquets de 10, dit Michel. En tout 2 paquets de 10 et 3 (les enfants ont pris l'habitude de compter les feuilles à imprimer par paquets de 5, puis de 10). Puis, Michel énonce : il y a des voitures de course, des 4 CV, des Panhard. Allez, mettons ensemble les voitures de même marque : 5 autos de course, 2 Panhard, 14 CV,1203, 1404, 1 Berliet, etc...

 

Chaque fois ils disposent sur l'ensemble réalisé le carton portant le chiffre correspondant à la quantité. Puis nous voici entraînés par une réflexion de Jacky à les ranger par couleur : 6 bleues, 4 vertes, 4 rouges, 3 jaunes, 3 orange, 1 grise, 1 rouge, 1 grenat.

Voilà que Sylvie signale : dans les vertes et les rouges c'est pareil, il y en a autant. Dans les jaunes et les oranges c'est pareil aussi.

Ce qui m'entraîne à leur demander :

- Quelles sont les couleurs dans lesquelles il y a le même nombre d'autos ? Celles où il y a le plus, celles où il y a le moins...

Après l'exercice, chacun a représenté comme il l'en­tendait ( découpage, encre de chine, stylo à bille, craies d'art) ce qui l'avait frappé.

Les uns ont dessiné par ensemble de marques (les autos de course) les autres par couleur. Certains les petites, d'autres encore les grandes en indiquant chaque fois le chiffre correspondant au nombre représenté ».

En calcul comme dans les autres domaines, nous pouvons promouvoir une éducation fonctionnelle qui utilise les besoins et les intérêts de l'enfant comme leviers de son activité.

Si nous savons vivre avec nos petits en les regardant avec des yeux neufs, si nous sommes toujours disponibles et curieux, nous nous apercevrons très vite que tout est motif à une activité mathématique :

 

les jeux : jeux de construction, jeux chantés, jeux dansés, jeux de sable et d'eau ;

les danses : où l'on se met par 2, par 3, en ronde, en file ;

les comptines : qui contiennent tant de formules arithmétiques ;

la rythmique : où le corps se plie à des rythmes réguliers ;

toutes les activités créatrices : dessin, peinture, découpage, modelage, où nous retrouvons les rythmes d'alternance, la notion d'équilibre des formes et des couleurs, de tâtonnement expérimental qu'exige la réalisation d'un projet en travail manuel (vitrail, tapis­serie, confection d'objets tels que bateaux, poupées, marionnettes, oiseaux, etc) est lui-même une initiation à l'activité mathématique. Il faut faire tenir le vitrail, disposer sur le fond les morceaux de tissu pour réaliser la tapisserie, planter le mât du bateau, assurer l'équilibre des poupées, proportionner les ailes au corps de l'oiseau, conditionner la marionnette à la main qui la porte, etc

le travail ménager : rangement où apparaît la notion d'ordre ;

les travaux au jardin et les plantations dans la classe : plantations, semis, observation de la pousse des plantes, comparaisons entre les hauteurs des plants ;

les observations journalières des différents ensembles rencontrés : le propre corps des enfants d'abord, la comparaison entre leurs tailles respectives, leur famille et sa composition, leur appartement et ses différentes pièces, leur maison et ses étages, leur classe et ses dif­férents groupements : filles et garçons par exemple, présents et absents. La cour et ses arbres, les différentes pièces de l'école. Ainsi les enfants de Jane Rosmorduc ont été amenés un jour à dresser un plan de l'école pour les mamans toujours perdues dans les couloirs et à la recherche de la classe de leur petit.

Toutes les mesures (des couloirs, des classes) ont été faites au moyen d'une unité de mesure découverte et choisie par les enfants eux-mêmes : le pas de l'un d'eux. En comparant le nombre de pas de Michel nécessaires pour couvrir la longueur des différentes classes, les enfants constatèrent d'abord qu'elles étaient semblables. Puis qu'elles étaient disposées les 3 premières à la suite les unes des autres et les 2 autres séparées des 3 premières par un couloir. Ils les représentèrent au moyen de feuilles de papier semblables disposées sur le tableau et portant chacune sa marque : classe des grands, classe des moyens, classe des petits. Mais n'ayant plus de place pour disposer la salle de jeux à l'extrémité du plan, ils eurent l'idée de recommencer

le tout en usant de plus petites feuilles et finalement menèrent à bien leur entreprise en usant simplement du raisonnement, sans faire appel à aucune mesure extérieure à leur propre expérience.

 

De même une classe-promenade en ville les amena à observer le jet d'eau nouvellement installé sur la place et objet de l'admiration générale : ils interrogèrent l'ou­vrier municipal chargé de faire monter l'eau « jusqu'au ciel » : quelle hauteur d'eau y a-t-il dans le bassin ? Pourrait-on s'y noyer ? La hauteur exprimée en centi­mètres (50) par l'ouvrier fut « retrouvée » en classe sur le corps de chacun d'eux au moyen des mètres en ruban individuels : Jacques en a jusqu'au haut des cuisses, Michèle jusqu'à la taille et maîtresse jusqu'au genou.

 

Les envois aux correspondants, la mise en ordre du calendrier, le comptage des présents et des absents par groupes puis pour toute la classe, l'impression du texte de lecture, autant d'occasions journalières de calcul.

 

Il n'est pas jusqu'à la célébration des anniversaires qui ne puisse susciter des appariements : mettre le couvert, disposer les bougies, voire les souffler, avant même de provoquer de véritables problèmes : achat des bougies, confection du gâteau avec les pesées qu'elle occasionne.

Toutefois il importe surtout de laisser les enfants résoudre eux-mêmes, par leurs propres moyens, les problèmes qui se posent à eux afin de développer en eux le raisonnement par l'analyse de la situation et la compréhension des mécanismes opératoires employés : exemple : 3 enfants de la classe ont 6 ans aujourd'hui.

Nous ferons des gâteaux et achèterons des bougies pour fêter ces anniversaires. Combien devons-nous faire de gâteaux et acheter de bougies ?

Le 1er ensemble de 3 gâteaux a été facilement recensé par appariement avec les 3 enfants.

Le recensement des bougies s'avère plus difficile mais aussi plus riche de possibilités de compréhension des mécanismes opérationnels.

C'est par l'activité manuelle et sensorielle que les enfants vont résoudre ce problème :

Pour trouver le total des bougies, certains dessine­ront, d'autres découperont les 6 bougies du gâteau de Paul, puis les 6 bougies du gâteau de Marie, puis les 6 bougies du gâteau de Françoise. Le recensement peut alors être effectué :

- par comptage : appariement avec la suite des nombres naturels ou comptage par 2 ou par 3 ;

-par appariement avec les doigts : 6 et 6 et 6 c'est la même chose que 5 et 5 et 5 et 3 ou que 10 et 5 et 3 ;

- par formation de 3 tas de 6 et nous dégageons un nouveau mécanisme, celui de la multiplication. Chaque enfant réalisera le problème pour son propre compte et la mise en commun des recherches et des résultats amènera la découverte et la compréhension des mécanismes que les enfants seront capables d'utiliser ensuite dans d'autres situations.

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LANGAGE ET OBSERVATION

 

 

D'autres activités essentielles de l'école maternelle liées à la vie même des petits sont la conversation familière et l'observation.

Par le langage, le bébé entre dans le monde social des hommes. Entrer en possession de cet essentiel moyen d'expression et de communication constitue la marque même de l'humanité. Pendant son passage à l'école maternelle, l'enfant va perfectionner cet outil essentiel sans exercices spéciaux, par le simple fait de la vie en commun, avec l'éducatrice et les enfants de même âge, par des motivations Constantes que crée pour l'enfant le milieu riche d'expériences dans lequel nous le faisons vivre. 

Amener les enfants à s'exprimer oralement, au cours de leurs jeux et travaux de toutes sortes, mais aussi à évoquer leurs observations, leurs souvenirs, leurs émotions présentes et lointaines, à relater un moment de leur vie, à commenter leurs travaux (dessins, peinture, modelage) noter des réflexions, diriger habile­ment de dialogue pour que chaque enfant y ait son tour, ou pour en retenir ce qui peut entrer dans le domaine commun, susciter l'intérêt du groupe, provoquer des rebondissements et des départs, ne pas craindre surtout les expressions verbales qui sont le nécessaire exutoire des émotions vives et désordonnées de nos petits, encourager toujours et manifester constamment un vif intérêt pour toutes les expressions enfantines, ne jamais faire par impatience et manque de confiance, à la fois les demandes et les réponses, voilà notre règle et notre part. 

Nous obtiendrons alors de véritables conversations auxquelles tous les enfants participent si l'éducatrice a su capter dans les apports enfantins l'histoire, la remarque, l'observation susceptible de canaliser les intérêts, de faire naître la discussion, de provoquer la recherche.

Voici à titre d'exemple une conversation entendue dans une section de grands et dont l'origine fut le départ du papa d'Anne-Françoise en mer.

Le chagrin provoqué par ce départ (le papa d'Anne-­Françoise est officier de marine marchande) a suscité chez les enfants de cette classe, poussés par une sym­pathie naturelle et agissante pour les êtres et les choses de leur milieu, une prise de conscience de l'éloignement et de l'existence de moyens de communication inha­bituels : 

- Comment les lettres du papa d'Anne-Françoise lui parviendront-elles ?

- Les goélands les apporteront-ils sur leurs ailes ?

- Alors elles tomberont à l'eau et seront toutes mouillées, on ne pourra pas les lire.

- Peut-être, elles iront par-dessous l'eau ?

- Oui, mais les crabes et les poissons vont les manger !

- Moi je sais, le papa d'Anne-Françoise va venir jusqu'aux « escaliers de la mer » et il donnera sa lettre au facteur.

- Mais son bateau n'est pas au port, il est au milieu de la mer !

- Alors il faut qu'un autre bateau aille rejoindre celui du papa d'Anne-Françoise, chercher ses lettres et les ramener à Brest.

- Oui, le porte-avions Clemenceau ! En avion les lettres arriveront plus vite ! 

Et voici un véritable « thème de vie » lancé par les enfants et qui rebondira périodiquement lors de la réception des lettres et des cartes envoyées par le papa d'Anne-Françoise.

 Il nous sera très facile au cours de ces conversations de rectifier les erreurs de langage, de préciser le sens des mots mal employés, d'enrichir le vocabulaire de nos petits par l'apport de mots inconnus ou mal connus, de leur apporter des textes poétiques, des chants, des récits qui peuvent venir enrichir, étoffer, élargir nos thèmes de vie et par là même affiner et développer la sensibilité de nos petits et par contrecoup leur langage.

O. Salvat nous donne plus loin la relation de l'ex­ploitation d'un thème de vie apporté par la correspon­dance interscolaire. 

 

Les jeux dramatiques nés de cette expression orale peuvent très heureusement compléter, enrichir et préciser cet apprentissage de la langue puisqu'ils exigent une mise en ordre de l'expression spontanée, une mise en place des moments du jeu qui favorisent grandement la prise de conscience de la structuration temporelle si importante dans les apprentissages de la lecture et du calcul. 

Cette structuration temporelle traduite par le langage, cette « conscience des moments du temps, de la succession de la durée, écrit Monsieur Malrieu, varie avec les civilisations, et elle est susceptible d'un enrichis­sement insoupçonnable. Elle est une création, non une durée, elle est un résultat en même temps qu'une cause ». 

Notre vie moderne si rapide, si changeante, où les dépaysements sont journaliers, facilite certainement cette prise de conscience temporelle des enfants.

Nous pouvons l'aider, non seulement par nos exercices journaliers relatifs au calendrier et à l'obser­vation du temps mais encore par l'observation du monde familier de l'enfant et par la conscience qu'il prend ainsi de la vie qui s'écoule à côté de lui et qui change d'aspect d'un moment à l'autre. Comme toujours, nous partons de l'enfant et nous constatons d'abord qu'il prend par ses propres moyens connaissance du milieu dans lequel il vit par des voies affectives, sensi­bles, plutôt que logiques et raisonnables. Par 1a sym­pathie, par l'amitié qui s'établit entre lui et les choses, il en prend possession. 

C'est de cette observation spontanée accueillie avec sympathie que nous partirons toujours qu'elle soit limitée et immédiate : vol d'un insecte dans la classe, rayon de soleil dansant au-dessus des têtes, animaux apportés par les enfants ou l'institutrice, escargots trouvés dans les plates-bandes du jardin, fleurs dont on fait des bouquets, observation des phénomènes naturels : vent, nuages, orage, neige, etc... ou qu'elle soit différente et prolongée : observation des objets ou des ensembles qui se présentent à nous : le jardin et ses plantes, le port, la rue, les animaux familiers, les oiseaux qui vivent dehors et dans la classe, la vie des papas au travail, des mamans à la maison, les travaux et la vie des correspondants et de leur milieu (voir la relation d'O. Salvat), conversations familières et obser­vation alimentent de véritables thèmes de vie, nés de la vie des enfants et apportés par eux, chaque matin, à l'arrivée, d'où naîtront les activités de la journée dans le milieu riche et aidant que nous aurons su pré­parer. 

« Nos thèmes de vie, écrit C. Berteloot, vont au rythme de la vie... Avec mes petits de la mine, je me suis enchantée des fleurs blanches, au bord du fossé sale. J'ai respiré le printemps à travers l'âcre odeur de la pelouse. Je me suis réjouie des maigres tussilages étoilant le terril, des violettes se frayant un passage à travers les ordures. Avec eux, par eux, j'ai senti l'emprise du monde de la mine dont les montées et descentes rythment la vie des corons.

- Madame, ma mère a eu peur hier soir, mon papa était en retard, « y a fait du rabiot ».

- Mon père a été blessé par un caillou, il est à l'hôpital.

- Ca m'agace les cailloux qui descendent du terril.

-  Madame, mon père est silicosé.

- C'était la ducasse hier ! On a mangé de la tarte ».

Voilà l'enfant avec ses joies et ses peines, déjà modelé par ce milieu dont il subit fortement l'empreinte et qu'on ne peut rejeter, sans créer chez lui un déséqui­libre. C'est ainsi que nos thèmes suivront le rythme du travail, le rythme de la vie de chaque jour.

 

 L'automne est entré chez nous plusieurs fois avec trois superbes boutons de roses rouges, dont les enfants ont admiré la précieuse beauté...

Tout naturellement, ils « absorberont »  les poèmes de la Rose de Lorca, et tout entiers accrochés au texte qui exalte la beauté de la rose, ils ne demanderont le sens de certaines expressions que bien plus tard Marie-Paule racontera l'histoire de « sa rose » née le matin, morte le soir après une folle journée.

On va danser l'histoire de la rose.

On choisit les musiques, on danse librement.

Cette histoire devient celle de tout le monde, on en fait un album.

Et puis il y a l'offrande journalière des feuilles mortes... les bourrasques de novembre : 

Mois de gris, mois de boue, mois de froid,

Mois de brouillard, mois triste, triste,

Mois d'ennui. 

La Sainte-barbe, fête des mineurs, chez nous ouvre le thème de la mine (les métiers des hommes). Et puis déjà, illuminant la fin de l'année Noël et ses espérances, janvier, les étrennes, les rois, février, les crêpes, les masques et mars avec tous ses messages secrets de printemps... Alors viennent toutes les études de la nature, observation de l'éclosion de la vie chez les plantes et les animaux pour arriver enfin au feu d'artifice de l'été.

 

QU'Y-A-T-IL D'ORIGINAL DANS CETTE ENUMERATION ?

 

- Apparemment rien !

- Rien qui ne se fasse dans toutes les classes dites traditionnelles, diront d'aucuns.

- Apparemment oui ! Il n'y a là rien qu'un banal déroulement de la vie.

 

Mais, justement à l'Ecole Moderne, nous nous évertuons à la garder intacte cette vie, à l'aider à s'épa­nouir, à éclater, à en panser les blessures toujours possibles. Chez nous, le père de Louison et celui de Thomas ont été tués, un peu avant Pâques, alors que déjà perçait partout la verdeur du printemps.

Un moment tout s'est arrêté. Dans le clair regard des enfants a surgi l'ombre de l'angoisse.

Il a fallu l'en chasser, et aider les petits à s'en libérer, à en parler. Et chacun d'interroger... sur la mine, le travail du mineur, ses dangers... le printemps avait fui et le thème de vie aussi.

 

Mais la vie avec sa ténacité veillait... Louison revint... Thomas revint... et le printemps de nouveau nous enveloppa, et le thème de vie reprit.

Le thème de l'automne se déroule actuellement dans sa forme classique : feuilles mortes, travaux des champs, de notre fenêtre nous voyons les terres labourées et les charrois de betteraves passent sans arrêt : impossible de les négliger.

 

En même temps, le facteur apporte le premier colis-correspondance, on y parle du Rhône, des bateaux, de la pêche.

Voyez l'éventail de travaux ! Que faire ? Les en­fants s'intéressent à tout, et j'ai oublié aussi leur passion actuelle des chenilles, araignées, chrysalides, mille-pattes. Dans la vie pouvons-nous rester insensibles à certains événements extérieurs pour ne nous attacher qu'à un seul ! Nous aurons donc en chantier :

 

- les bateaux : questions aux correspondants dont nous attendons la réponse en réunissant des documents.

-le Rhône : j'ai commencé à leur expliquer la BT.

-la pêche : des fils de pêcheurs sont chargés de glaner des précisions auprès de leur père.

-chenilles-araignées, etc : nous les avons installées dans un terrarium, les regardons, les observons, et chaque jour un petit événement nous ramène le thème de vie de l'automne. Ainsi se déroulent les thèmes des saisons, résultats d'observations journalières, de découvertes qui durent le temps de la saison elle-même, entrecoupées d'événements quotidiens, de ces petites aventures qui constituent la trame profonde de notre vie, banales entre toutes mais dont l'absence déséquilibre telle soudain silence de la pendule réveille un dormeur.

 

Y A-T-IL DANS NOS CLASSES DES TRAVAUX

COLLECTIFS LIES AU THEME ?

Très certainement, les jeux dramatiques, les albums, le journal scolaire, recherche collective, documentation pour la correspondance, etc... 

Autant de réalisations dans lesquelles chacun a sa part, donnant à l'œuvre finale une grande valeur collective. 

Et en dehors de toute cette œuvre vivifiante née de la collaboration des élèves et de la maîtresse, demeu­rent les travaux individuels, s'inscrivant sur les registres préférés de chacun, qui ne s'accommodent d'aucune intrusion de l'adulte, d'aucune intervention des cama­rades, fleurs souvent rares de la création spontanée, nées du domaine secret de l'enfant, qu'il exploite large­ment, dont il cueille les fruits dorés. 

Ne l'en frustrons point, même avec la meilleure intention du monde de ne pas s'éloigner de la ligne d'un thème de vie qu'on s'est fixé et à l'élaboration duquel il n'a pas participé.

 

LA PART DU MAITRE

 

Pour promouvoir cette éducation fonctionnelle qui seule peut répondre au besoin de grandir de l'enfant, il faut que l'aide de l'institutrice soit toujours discrète et cependant vigilante. Etre la présence qui accueille, l'arbitre qui choisit, la main qui aide à monter, l'esprit qui guide et souvent l'enfant dans cet incessant effort qui va du perçu à l'imaginé, de l'imaginé au réel, qui le mène en respectant son rythme d'acquisition à la connais­sance des choses par le va-et-vient incessant de l'analyse à la synthèse, de la synthèse à l'analyse. Etre aussi celle qui sait créer ce milieu riche et valorisant où chaque enfant pourra mesurer ses pouvoirs : et d'abord ses pouvoirs physiques : par l'installation de terrains d'ébats et de jeux, par l'organisation de moments de rythmique, de gymnastique naturelle, de rondes, de danses, de mimes, de jeux dramatiques ; ses pouvoirs de création : toute l'activité manuelle de nos petits (expression graphique, picturale, plastique, création d'objets, de tapisseries, de vitraux, etc) est un très puissant facteur de formation. 

Cette activité est tout autre chose qu'un exercice des doigts développant l'habileté du geste. Elle est exercice de pensée dans la mesure où elle permet la connaissance du monde et l'affirmation de soi. Elle donne libre cours à toutes les facultés créatrices de l'enfant, à ses possibilités d'expression, elle lui fait prendre conscience de ses pouvoirs au même titre que toutes ses autres expériences tâtonnées. Ainsi les bébés qui nous arrivent à 2 ans vont faire à peu près seuls, le premier inventaire du monde familier, la dé­couverte d'eux-mêmes et l'expérience de leurs possi­bilités si nous savons favoriser un inventaire par la création d'un milieu riche. 

Il nous faudra prévoir et installer en permanence des coins d'activités variées : en utilisant d'abord les matériaux naturels : terre, eau, sable, facteurs de dé­couverte et d'affirmation de soi, matières résistantes qui « nous donnent l'être de notre maîtrise, de notre éner­gie »  (Bachelard).

la terre : d'abord matière de résistance puis moyen de se traduire, de créer (modelage) ;

le sable : qui coule entre les doigts, mais aussi conduit vers la mesure et la comparaison dès qu'on l'assortit de récipients variés à remplir, à vider, etc ;

l'eau : qui outre les vives joies de sensations fraîches qu'elle donne, permet elle aussi les expériences de mesure et qui coloriée et transformée en peinture devient instrument de plaisir sensoriel, puis matériel d'expression. A ces matériaux bruts nous ajouterons :

 

les pièces de bois pour construction : gros éléments de préférence pour construction de maisons, garages, tours, bateaux, pièces de bois groupées sur une natte que l'enfant manipule assis, debout, à genoux. La chambre des poupées où il pourra faire et défaire les lits, ranger les vêtements, trouver des jouets maniables qui recréent un milieu proche de la maison et permettent les jeux symboliques d'imitation du père et de la mère et même de leurs travaux : râper les carottes, mettre la table pour le goûter ou les anniversaires, faire la vaisselle, laver et repasser les serviettes de table (chez les grands ce coin deviendra celui du bricolage, où, à partir d'éléments les plus divers : morceaux de bois, ficelles, clous, laines, tissus, fils de fer etc, les enfants fabriqueront ces objets étonnants : bateaux, mamans-­poupées, oiseaux, trains, avions, etc, si expressifs et témoignant d'un esprit créateur extraordinaire) ; 

les tableaux bas et les craies pour le gribouillage puis le dessin à grande échelle ; 

les craies d'art, les Crayolor, la peinture ; les premiers gribouillages et barbouillages deviendront peu à peu dessins et peintures ; 

les papiers de couleurs qu'on déchire et colle. 

Nous laissons les enfants jouer librement avec les couleurs (faire une gamme étendue et leur laisser la libre jouissance) sans rechercher dès l'abord l'élaboration des formes. Le choix des couleurs marque déjà la per­sonnalité de chacun. Il est inutile d'apprendre aux enfants à tenir les pinceaux ou les craies, ils l'appren­dront seuls par expérience.

Au hasard des taches et des traits, des formes vont s'élaborer que nous amenons à la conscience enfantine en faisant raconter à chacun son œuvre.

 

Notre rôle est alors d'observer nos petits, de prévoir, de suggérer, d'initier, d'encourager, de ramener l'ordre au besoin. Dans cette section de bébés, les enfants les plus grands ou les plus évolués entraînent les autres, c'est pourquoi les petites sections groupant les enfants de 2 à 4 ans sont en général meilleures que celles grou­pant des enfants de 2 à 3 ans.

 

 L'essentiel réside dans la pleine participation des enfants à l'activité dans laquelle ils se sont engagés et de l'institutrice à la vie de chacun de ses petits.

 Chez les moyens et les grands le matériau est consi­déré surtout comme moyen d'expression et de représen­tation, les techniques n'étant apportées aux enfants que lorsqu'ils en éprouvent le besoin : techniques du mono­type, du zinc gravé, de la tapisserie, du vitrail, etc, et encore beaucoup d'entre elles pourront être découvertes par les enfants eux-mêmes.

 *

 

 Voici, tirées de L'Educateur quelques pages de Cl. Berteloot relatant l'emploi d'un certain nombre de ces techniques d'expression : voyons tout d'abord les techniques simples qui permettent de travailler avec un grand nombre d'enfants sans nécessité impérieuse d'une grande aire de travail :

 a) les crayons de bois tendres qui permettent de riches graphismes, sur tous les papiers dont tu disposeras ;

b) les crayons de couleurs qui sont SOUvent à l'origine des sujets de linogravures, et dont les fonds travaillés préparent l'enrichissement des fonds des dessins à la peinture ;

 c) les fusains très artistiques sur papier Canson-Ingres (papiers peints, droguistes, retournés). Pour les rendre plus durables, tu les utilises dans un porte-crayon, ainsi ils ne cassent pas et ne s'effritent pas.

 Souvent les dessins au fusain servent de modèles pour le travail à la corde dont je parlerai plus loin ;

 d) les crayons color Caran d'Ache. Les pastels un peu chers, permettent aussi de jolis effets ;

e) les craies d'art sur papier Canson et Ingres, nécessitent un fixatif.

Les fixatifs en bombe sont très chers. Tu peux acheter un vaporisateur à laque pour cheveux qui se recharge et acheter du fixatif au litre, demi-litre, quart de litre, et c'est beaucoup plus économique et efficace.

Pour tous ces procédés tu disposes dans un coin, les papiers où les enfants peuvent puiser sans te déranger. Prends soin d'indiquer aux enfants comment on travaille la craie d'art et le fusain, sans passer sa manche sur le trait, et quand on dispose de place, il est préférable de travailler à la verticale ;

 f) les mèches de feutre imbibées d'encre indélébile.

 Très agréables et appréciées des enfants. Le gra­phisme reste pur sans que la couleur, attrait supplé­mentaire, vienne le noyer.

  Défauts: s'usent très vite dans les classes à effectif important. Le stylo « Flo-Master » avec mèche et bidons d'encre, coûte 35 F, il en faut un par couleur, c'est cher. Mais néanmoins, je pense qu'il vaut mieux en acheter un par an et compléter Son utilisation avec l'encre de chine, ce qui finalement demeure plus économique.

Je te signale que ces mèches utilisées sur nylon permettent la décoration de foulards, de lampes, lavables, dont la vente alimentera la caisse de ton exposition, et la réalisation d'objets « utilisables ».

g) l'encre de chine.

-           plumes « Tréraid » de différentes épaisseurs,

-           pinceaux

-           bâtons taillés en biseaux,

-           Bristol ou Canson,

-           encre de Chine dans de petites bouteilles qui ne se renversent pas facilement,

-           la plume permet le graphisme avec différentes épaisseurs de traits (les dessins servent de modèles pour la gravure sur zinc), les bâtons taillés également,

-           tu peux aussi faire utiliser la mèche pour le trait, et l'enfant colore largement son   dessin à l'encre de chine. Si tu travailles sur papier couché (glacé) tu obtiens un effet de vernis.

 

Sur papier ordinaire, qui absorbe l'encre de Chine, c'est d'un bel effet de lavis...

 Et là aussi, compte sur l'invention des enfants, qui, audacieusement, juxtaposent les techniques, pour en tirer ces étonnants effets qui nous confondent ;

 h) le collage, le découpage, papiers ou tissus ; il te faut : des ciseaux à bouts ronds mais qui coupent bien, le maniement des ciseaux est difficile et les petites mains s'en fatiguent vite s'ils ne coupent pas, 

-           des papiers de toutes sortes : affiche, papiers peints, journaux, tissus de préférence au départ genre feutrine (intermédiaire entre tissu mou et papier),

-           de la colle : tu prépares de la colle Mohican dans une grande boîte, le responsable remplit chaque jour les petits récipients (au moins 1 pour 2, 3 par ateliers de 6),

-      des pinceaux à colle, environ 0,15 F la pièce dans les librairies,

-     des morceaux de laine, de raphia, de paille : cela servira à faire les chevelures, les crinières, les moustaches, etc... Pour coller ces matières il te faudra employer la colle Limpidol (1,75 F le tube) ou Texticroche.

Tu veilles à ranger tout cela dans une grande boîte qu'il suffit de transporter chaque jour, pour que l'atelier puisse « rouler » sans toi. 

J'ai oublié de te parler des supports de tes collages ou découpages (papiers de couleur, papiers peints, papiers-affiches, cartons, pour les débuts des papiers radiographiques ratés, que tu peux te procurer dans des laboratoires radio photographiques des hôpitaux... cherche, tu trouveras). 

Pour toutes ces activités, il ne te faut pas déployer grand matériel, ni grande place. Voyons celles qui néces­sitent un peu plus de surface, un peu plus de matériel.

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LES TECHNIQUES D'ILLUSTRATION

 

Celles qui servent à l'illustration des albums ­je te rappelle l'emploi des mèches, de l'encre de Chine ­à l'illustration des journaux scolaires : 

- la linogravure,

- la gravure à l'aide de découpage dans le bois,

- la gravure sur zinc,

- les monotypes.

 

LA LINOGRAVURE

 Matériel: lino, gouges pour le tracé linéaire, pour évider certaines surfaces, bois de support. 

Pour les petits - 5 à 6 - la difficulté est de creuser le lino sans se blesser. Il faut que la main qui tient le travail soit à l'abri des « côtés » de la gouge, qui insuf­fisamment pénétrée dans le lino pour évider, peut glisser et blesser. Pour cela tu fabriques une sorte de grosse bobine en bois, fixée à la table, le lino est cloué sur la partie supérieure, l'enfant tient la gouge d'une main et la bobine de l'autre, sa main est ainsi à l'abri. Le travail est fixe, au cours préparatoire les enfants y arrivent très bien. 

Le plus simple est : le tracé linéaire à la gouge du dessin que l'enfant a auparavant tracé au crayon. Tu obtiens un tracé blanc sur fond de couleur (cf. Florilège du journal Scolaire, p. 16-18).

Si tu veux obtenir le sujet, par exemple un oiseau, en silhouette, dégagé de son fond, ne passe pas ton temps à évider la surface extérieure, découpe les contours aux ciseaux, tu peux travailler à la gouge les détails intérieurs de l'oiseau. Cette manière de faire convient à ceux qui n'ont pas de presse (système timbre-tampon). 

Cet oiseau, tu le colles sur un bois, et tu l'utilises en timbre-tampon, cela te permettra facilement plusieurs couleurs. 

Ainsi sur un arbre mauve, découpé au ciseau, que tu auras  « tamponné » d'abord seul, il sera facile de rapporter, de la même manière, des oiseaux d'autres couleurs, jaune ou rouge, par exemple. 

Si le lino est plus grand, tu le colles (Limpidol ou autre glutafix dans le commerce) sur un bois 13,5 x 21, de 2 à 3 cm d'épaisseur, fixé à la table, comme tu le peux. Je te recommande les serre-joints qui te serviront également à fixer ton limographe n'importe où et per­mettent de ne pas clouer dans les tables.

Donc, ton lino est sur ton bois maintenu à la table. Tu encres, tu poses ta feuille 13,5 x 21, bien droite, c'est facile, ta feuille épouse les dimensions du support et tu frottes avec un chiffon propre - c'est fait.

Le tirage en deux couleurs par le système des tampons rapportés est le plus simple pour les petits. Toutefois, si le sujet ne permet pas d'en extraire facilement les différentes parties, pour alléger ton dessin, il te faudra évider. 

 

LA GRAVURE PAR LE BOIS DÉCOUPÉ 

Une autre technique très artistique et qui repose sur les mêmes principes que la linogravure, c'est la gravure du dessin par le bois découpé. 

Matériel: contreplaqué, scie à découper, filicoupeur CEL, colle Limpidol ou colle à bois. 

Seulement, le dessin ne se creuse pas comme dans le lino : ses masses, ses lignes, en sont découpées ce qui exclut les dessins aux graphismes fouillés, mais exalte la pureté des belles lignes tracées d'une seule venue, renforce l'équilibre des masses harmonieusement disposées. Les petits ne peuvent utiliser cette technique, mais elle peut servir à magnifier une œuvre d'enfant, sur une couverture de journal, un programme, une invitation, que sais-je ?

LE LIMOGRAPHE

 

Il te reste pour le journal scolaire l'utilisation du limographe : tu en trouves tous les détails dans la brochure qui accompagne la livraison de l'appareil par la CEL.

 

 

LA GRAVURE SUR ZINC

 

Il te faut du zinc (chutes chez les couvreurs, les zingueurs) de l'acide muriatique (à la droguerie) du vernis noir (j'ai employé un noir à vernir les tuyaux de poêle qui convenait parfaitement), à condition de ne pas vernir les plaques trop longtemps à l'avance ( 1 à 2 jours) :

- tu nettoies parfaitement, pour le rendre lisse et brillant, ton zinc au papier de verre ;

- tu l'enduis, tranches y compris, de vernis noir ; - après un minimum de 4 heures de séchage, tu le donnes à l'enfant qui, à l'aide d'une pointe sèche y inscrit son tracé (vérifie s'il a bien creusé et repasse à la pointe s'il y a lieu) ;

- tu plonges la plaque dans le mélange d'acide et d'eau que tu as préparé dans le fond d'une assiette ;

- l'effervescence se produit. Tu laisses plus ou moins de temps suivant la concentration de l'acide (il te faut expérimenter et noter tes résultats).

- Une fois la gravure atteinte, tu sors ta plaque, la passe sous le robinet, la nettoie à l'essence ou au pétrole pour ôter le vernis.

- Tu colles ton zinc directement sur le bois, s'il en épouse exactement la forme. Si la forme n'en est pas géométrique, tu colles ton zinc auparavant sur un morceau de lino, de forme exactement semblable, et tu colles l'ensemble sur un des bois que tu possèdes (ceci pour des facilités d'ajustage dans la presse) et pour rendre plus aisé l'encrage du zinc ainsi surélevé ;

- ensuite tu encres et procèdes comme pour le lino.

LA PEINTURE SUR TISSU 

Peintures du commerce à employer avec diluant pinceau souple, sur tissus (genre cretonne, popeline où nylon), foulards, lampes, pochettes, réellement lavables et durables, surtout le nylon. 

Pour les grandes surfaces à couvrir, tentures, rideaux, la peinture CEL additionnée de super-médium couvre davantage que les peintures du commerce. L'enfant part avec son projet ( dessin ou peinture sur papier), situe, en gros, les lignes de son travail, mais ne suit jamais son dessin de très près. Il sait très vite, s'élancer à la conquête de son grand tissu et y faire épanouir d'un seul jet des créations étonnantes.

A l'aide d'une autre technique : tampon ou lino, on peut reproduire un motif donnant ainsi au travail l'allure des tissus imprimés.

LES MONOTYPES 

Cette technique plaît beaucoup à cause, sans doute, de ses effets faciles. 

Matériel : 

- Plaques de verre ;

- Encre d'imprimerie

- ou peinture à l'huile ;

- Siccatif ;

- Huile de lin ou essence ;

- Bâtons taillés de différentes manières. 

Première utilisation simple :

- l'encre qui reste sur la plaque à encrer après un tirage à l'imprimerie.

Tu passes le rouleau sur une plaque de verre. Tu peux : 

 a) y appuyer une feuille vierge, marquer la pression avec un chiffon ou un rouleau propre, tracer un dessin au crayon sur cette feuille. Tu retires, tu obtiens sur un fond encré légèrement, un tracé linéaire plus sombre de la couleur de l'ensemble (voir une étude spéciale aux pages 24 et 25 du no 13 de Art Enfantin) ;

b) Autre utilisation de la plaque de verre encrée.

Avec un bâton, l'enfant trace sur la plaque son dessin ; il doit bien appuyer afin de chasser l'encre. Tu appuies ensuite une feuille vierge sur la plaque, tu obtiens un tracé blanc ourlé d'une ligne plus foncée que l'ensemble, dont l'effet artistique n'est pas négli­geable. A partir de là, tout t'est permis et les enfants s'en chargent.

Tu peux : ajouter des taches de couleur, soit en ôtant à l'aide d'un chiffon la couleur initiale (ex. dans un ciel uniformément vert, où tu as tracé un soleil, une petite fille, tu peux nettoyer à l'intérieur des tracés, le soleil, la jupe de la petite et y introduire au pinceau une autre couleur, avant l'application de la feuille ;

soit en superposant au pinceau d'autres teintes ­cela suppose une petite installation.

Dans de petits récipients (gros coquillages, petits godets), tu disposes une noisette d'encre d'imprimerie de couleurs différentes que tu délayes dans un peu d'essence, ou une noisette de peinture à l'huile que tu délayes dans un peu d'huile de lin et de siccatif pour activer le séchage.

  Attention: ne délaye pas trop, sinon à l'impression, l'encre ou la peinture vont s'étaler et ton tracé dispa­raîtra.

 Si tu travailles sur papier couché (papier glacé), tu peux rattraper sur le papier lui-même avec le bâton, le tracé reste net.

 Sur papier canson, également, l'effet est tout autre. Sur papier courant, il faut que ta peinture ou ton encre soient à bonne consistance.

Avec cette installation, les enfants procèdent autre­ment (encre ou peinture à l'huile) ils peignent leur plaque, travaillent leur fond, dessinent leur tracé, appliquent leur feuille et tirent. 

Pourquoi encre, pourquoi peinture à l'huile (pein­ture à l'huile en tube) ? 

Le prix de revient de la peinture à l'huile est peut-être plus élevé, mais les effets m'en paraissent plus riches, plus nuancés. 

De plus on arrive presque toujours à tirer trois feuilles, la dernière à peine colorée, relevée par un trait à la mèche (coloriés ou autres) souvent jolie dans ses tons pastels, permettant ainsi une utilisation maxi­mum des produits. 

En outre, si tu dessines cette technique à l'illus­tration d'un album par exemple, elle est très rapide et te fournit en même temps trois exemplaires, un pour la classe, un pour les correspondants et l'autre que tu utiliseras à ton gré. N'oublie pas de protéger les enfants, tabliers enveloppants, chiffons, ta table de travail et de faire tremper après chaque emploi, tes pinceaux dans l'eau additionnée d'un détergent du commerce. 

 

LE MODELAGE - LA POTERIE

 Terre. Il est préférable de t'en procurer dans ta région. Les frais de port augmentant très souvent le prix de revient. 

Cependant il faut choisir, si l'on veut cuire ensuite, une terre fine et bien préparée. 

Il vaut mieux donner un gros morceau de terre à l'enfant d'où il dégagera lui-même des formes origi­nales plutôt que de lui enseigner la technique du colom­bin qui le paralyse et l'emprisonne. On peut aussi lui donner une plaque de terre sur laquelle il gravera son dessin ou posera sur la plaque des colombins plus ou moins fins pour en faire un bas-relief. Inutile d'ensei­gner ces techniques : les enfants les trouvent seuls. Il faut seulement aider à consolider, à creuser une sta­tuette à l'occasion, laisser sécher lentement, envelopper la terre restante d'un chiffon mouillé. 

Sans four, on peut donner l'illusion de la céramique avec le vernis céramique à froid qu'on peut aussi utiliser sur des poteries achetées cuites. Ce n'est             alors que de la décoration.

Si tu possèdes un four à poteries, tu pourras cuire et émailler les réalisations (la CEL met à la disposition des maîtres 3 modèles de fours à céramique. Ecrire : CEL, BP 282, Cannes (A.-M.).) 

Une technique d'émaillage simple consiste à étendre au pinceau sur la poterie cuite : soit simplement des émaux colorés (A) achetés chez Harshaw-Poulenc Coiffe, BP 203, Limoges, ou Lhospied à Golfe- Juan (A.-M.) soit a) un oxyde de cuivre (vert), de cobalt (bleu), de manganèse (noir), de fer (rouge), b) sur cet oxyde un émail blanc ou gris ou bleuté. L'émail posé, l'enfant trace sur la surface à décorer, à l'aide d'un bois taillé ou d'une allumette, un dessin linéaire qui après cuisson apparaîtra en noir, rouge, vert ou bleu sur le fond émaillé. 

*

 Dans la collection Supplément Bibliothèque de Travail (SBT) vous trouverez un guide pratique : n° 153, Céramique et modelage. Le demander à la CEL, BP 282, Canne (a-m). 

*

 

LES TAPISSERIES

 

Il y a plusieurs procédés.

 

a) Celui qui consiste à reproduire sur tissu, pour le magnifier, un dessin d'enfant agrandi ou non. Les dessins cernés s'y prêtent plus que d'autres, parce que l'assemblage des différents puzzles du dessin étant réalisé par la maîtresse, l'enfant participe à la pose des galons correspondants aux tracés noirs ou marrons ou de tout autre couleur de son dessin. Il est très capable de coudre ce galon surtout que l'emploi du fil de même couleur que le galon cache l'imperfection des points. Le coq de la Maison de l'Enfant à Caen, que l'on peut voir dans le n° 11 - 12 page 2 de l'Art Enfantin en est une illustration.

 

b) Le procédé découpage d'éléments de tissu par la maîtresse suivant un dessin, et assemblés à grands points par l'enfant, risque de le décevoir et de le fatiguer, et tu seras bien sûr, obligée de l'aider à terminer Son travail.

 

c) Le troisième procédé, c'est celui qui prend naissance dans le petit atelier découpage collage du début.

 

Tu mets à la disposition de l'enfant des tissus de toutes sortes, des ciseaux, et tu le laisses se débattre avec les matériaux - et ici Hortense Robic pourrait vous raconter de bien émouvantes choses. Qui a vu au Congrès de St-Etienne la grande tapisserie de Didier, n'a pu l'oublier. Souvenez-vous : une rude toile de jute de 2 m au moins sur 1 m Au centre, un bonhomme au visage violet et gris, vêtu d'un pauvre tissu de sa­tinette imprimée (le même que celui qui vêt l'enfant d'ordinaire), semblait porter le poids de la misère du monde, et tout autour, symbole du miracle de l'enfance, un oiseau et des fleurs... une multitude de petites fleurs patiemment découpées, perles d'un printemps merveil­leux que l'enfant s'était recréé.

J'ai compris à ce moment, que là, la véritable technique d'expression était qu'il fallait faire confiance à l'enfant.

 

Cette constatation s'est renforcée quand Thérèse dans ma classe, a réalisé sa belle tapisserie bleue de la lune.

« Je veux faire une tapisserie, disait-elle, une grande comme la table à tréteaux (2 m sur 1) ».

 

Toute une matinée elle m'a poursuivie. De guerre lasse je lui préparai son matériel, ses tissus pour l'après­ midi. Avec angoisse je la vis choisir son fond, poser ses popelines. Je frissonnais en la voyant accoler certains bleus, certains verts jaunes.

 

Peut-être n'aurais-je pas eu le courage de la laisser faire son expérience, si des ouvriers réparant le chauffage de l'école ne m'avaient appelée.

 

Quand je revins, une demi-heure plus tard, c'était fait, la tapisserie était créée, il n'y avait plus qu'à coller. Je me souviens, d'un certain morceau de tissu gris qui me chiffonnait. Trois fois, subrepticement je le dépla­çais, trois fois Thérèse le remit et pour bien signifier son vouloir, le colla définitivement en place.

Si j'ai insisté à travers l'exposé froid des différentes techniques, sur ces moments de vie de la naissance d'une tapisserie, c'est un peu pour te mettre en garde. Toutes ces recettes ne t'apporteront pas ce que tu en attends, si tu les appliques dans ta classe au même titre que l'enfi­lage des perles ou le jeu des encastrements.

 

Elles doivent représenter pour chaque enfant, une véritable porte de sortie de son individualité vers l'extérieur, te permettre d'ouvrir les vannes, de libérer ce flot de vie trop longtemps contenu.

 

« GARDONS-NOUS DE CE CRIME CONTRE LA VIE, dit Freinet, ET RÉVOLUTIONNONS NOTRE PROPRE COMPORTE­MENT DE MONTREURS DE MARIONNETTES, DEVENONS JARDI­NIERS DES INTRÉPIDES PETITS D'HOMMES. »

(Essai de psychologie sensible)

Une autre forme possible de tapisserie, très rapide­ment réalisée, est celle qui consiste à donner à l'enfant un tissu de fond coupé aux dimensions voulues pour l'usage auquel on le destine (rideaux pour cacher les casiers par exemple) et soit des cordelières de laine, raphia, etc, soit de la corde, soit des galons avec lesquels il « dessinera » un motif sur le tissu.

 

Il n'est pas nécessaire de faire faire à l'enfant un tracé préalable sur le tissu : il pose sa cordelière au gré de son inspiration pour « créer » le dessin, l'attache avec des épingles, puis la colle ou mieux la coud.

 

Création d'objets : Avec des bouts de bois, des ficelles, des chiffons, de la laine, du papier crépon, du raphia, des punaises, des clous et bien entendu des marteaux et des pointes, nos grands de 5 à 6 ans ont fabriqué librement et avec quelle ingéniosité et quel sens esthétique des bateaux, des oiseaux, des poupées. Ceux de Cl. Berteloot « avec des boutons, fils, laines, engrenages réveil, chaînes de bicyclette, billes, coquillages, lièges, branchettes, fruits secs, feuilles mortes, de la colle forte et un support de bois ont construit des tableaux en relief dont l'audace confondrait certains peintres contem­porains et dont l'originalité, même si elle nous reste obscure ne peut nous laisser indifférent ».

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L'ART ENFANTIN

 

Dans tous ces « ateliers », l'expression et la repré­sentation, soutenues et motivées par l'approfondissement du thème de vie qui fortifie l'imagination de l'enfant, jailliront spontanément de ses émotions, de la sympa­thie qu'il éprouve naturellement pour tout ce qui vit et de cet étonnant pouvoir d'animer toutes choses à l'image de sa propre vie.

 

Elaborant ses représentations l'enfant se découvre, structure l'espace, découvre le monde, se l'explique et se le donne. C'est pourquoi nous attribuons une telle importance à toutes les créations enfantines, à cet art enfantin salué par quelques-uns de nos meilleurs artistes comme un art authentique.

 

Picasso lui-même, avec sa célèbre boutade : « A 5 ans on a du génie, ensuite on se prolonge » ne justifie-t-il pas notre tendresse émerveillée devant les œuvres de nos petits, ou apporte-t-il de l'eau au moulin sarcas­tique de nos détracteurs ? Ne pouvons-nous cependant admettre que l'artiste cherchera toute sa vie, par un effort volontaire et tenace « grâce à un enrichissement intérieur de toutes les formes dont il se rend maître et qu'il ordonnera quelque jour selon un rythme nouveau » à maintenir en lui ce pouvoir d'expression et de création qui jaillit si naturellement de la spontanéité enfantine ?

 

Ne devons-nous point reconnaître qu'au fond de chaque humain et antérieurement à l'artiste, il existe un homme esthétique plongé dans le monde, l'espace, le temps, se mesurant à eux et prenant conscience à travers ses œuvres de son destin, un homme esthétique que nous révèlent déjà les premières représentations si balbutiantes soient-elles de nos petits.

 

            « La création, nous dit Matisse, commence à la             vision. Voir, c'est déjà une opération créatrice et qui exige un effort de l'artiste qui doit voir toutes choses comme s'il les voyait pour la première fois, sans la déformation qu'engendrent les habitudes acquises, en se dégageant du flot d'images toutes faites que nous imposent quotidienne­ment publicité et magazine. »

 

Et Matisse, reconnaissant la supériorité enfantine dans cette appréhension première du réel ajoute : « Il faut voir toute la vie comme lorsqu'on était enfant, et la perte de cette possibilité nous enlève celle de nous exprimer d'une façon originale, c'est-à-dire personnelle ».

 

Par le moyen du geste, du verbe, du crayon, du pinceau, de la couleur, l'enfant projette cette vision tout à la fois intérieure et nourrie de réalité vivante qu'il prend quotidiennement du monde. Un monde qu'il ne regarde pas avec les seuls yeux du corps, mais tout à la fois avec ceux du corps, du cœur, de l'esprit. Tout entiers engagés dans leur contemplation, nos petits ne séparent point leur propre vie de celle des êtres et des choses qui les entourent.

 

Cette présence au monde essentiellement dynamique rebrasse toute réalité et l'imprègne de vie, de chaleur, de mouvement, de tendresse. Et par là l'activité créatrice de nos petits est proche de celle de l'artiste. « Car créer, nous dit encore Matisse, c'est exprimer ce que l'on a en soi. Tout effort authentique de création est intérieur. Encore faut-il nourrir son sentiment, ce qui se fait à l'aide des éléments que l'on tire du monde extérieur. Pour que l'œuvre d'art apparaisse féconde et douée de ce même frémissement intérieur, de cette même beauté resplendissante des œuvres de la nature, il faut un grand amour, capable d'inspirer et de soutenir cet effort continu vers la vérité, cette générosité tout ensemble et ce dépouille­ment profond qu'implique la naissance de toute œuvre d'art ».

 

Ce grand amour, cet élan vital qui porte l'être au-delà de lui-même, chacun de nos petits en possède encore la source fraîche, joyeuse, intarissable, exubérante, insouciante des rives et des obstacles qui plus tard la canaliseront, l'obstrueront, l'amenuiseront.

 

EXPÉRIENCES ARTISTIQUES DE L'ENFANT

ET CONQUÊTE DU RÉEL

 

 

Tout à leur joie de vivre et de créer, nos enfants découvrent peu à peu leurs pouvoirs d'expression et de création. Ils s'en enchantent et s'en saisissent, sans effort apparent par le libre jeu d'une spontanéité créa­trice qui semble porter en elle-même sa propre fin.

 

Ce bébé de 3 ans, tout au plaisir de la couleur, a rempli sa page de taches et de traits. Tout vient d'abord semble-t-il, au bonheur du geste qui éprouve la page comme au hasard, sans tracé préalable, sans calcul. Le rythme naturel du corps commande la forme que l'esprit invente avant même d'avoir pris conscience de sa propre exigence. Cependant à l'institutrice attentive qui lui demande ce qu'il a peint, l'enfant après quelques secondes de réflexion répond « Ma maman. Regarde ses yeux, son nez... tiens, je fais sa bouche ».

De jour en jour, de tâtonnements en réussites et d'expériences en commentaires, le portrait de la maman se dégage du chaos primitif en même temps que s'af­firme une prise de conscience qui diffuse, à travers la forme devenue capable de la porter, une affectivité ouverte et enrichie de se communiquer.

 

Dialectiquement, le regard que nos 5 à 6 ans posent sur le monde, leurs observations spontanées nourries d'émotions premières, suscitent bien souvent d'heureuses trouvailles poétiques, des créations gestuelles, plastiques ou verbales qui sont la projection de sensibilités vibrantes, guidées par une pensée organisatrice déjà capable de représentation.

«  Maîtresse, ce matin le brouillard était tout en voiles, il allait se marier . »

 

« Regarde maîtresse, les feuilles font les oiseaux dans le vent »".

 

De ce constant dialogue de l'enfant engagé dans la découverte avec la réalité dans laquelle il s'insère naît une continuelle invention de formes qui lui permet de prospecter ses pouvoirs et de les essayer en toute sécurité.

 

Cette démarche constructive de l'enfant qui s'ex­prime par le dessin, par le chant, par le geste, par le verbe est créatrice de cette joie profonde, de cet « évident bonheur de respirer » dans lequel Bachelard reconnaît « la forme simple, naturelle, primitive, loin de toute ambi­tion esthétique et de toute métaphysique de la poésie. » 

*

 

L'ENFANT POÈTE

 

L'activité poétique de nos petits, pour spontanée et naïvement balbutiante qu'elle soit n'en présente pas moins les mêmes caractères et le même pouvoir que la poésie adulte. Même pouvoir d'éveiller :

« Ce feu fertile des grains, des mains et des paroles, un feu de joie s'allume et chaque cœur a chaud ».

 

Même racine profonde se confondant avec « la structure primitive de la vie affective ».

 

Même manière chaude, vivante, sensible, fraternelle, d'appréhender l'univers et les êtres, d'inventorier et d'exalter la condition humaine.

 

«  Avec mes mains dorées comme une feuille j'irai

et je dis bonjour à quelqu'un

le matin avec mes mains

A midi elles se reposent

et jouent au soleil

avec leur ombre noire qui danse sur la terre

et le soir, je les perds mes mains

pour les retrouver demain ».

 

 

DOMINIQUE, 6 ans

Même dynamisme verbal, même jaillissement des mots et des images, même besoin d'inventer des mots de faire des expériences avec les mots, de créer des images neuves, de s'enchanter de sonorités nouvelles, de se plonger dans le merveilleux.

 

«  J'ai remis ma petite rainette

dans son ruisseau

et j'entends une grenouille

chanter dans la mer

 Oh ! dans la mer ».

 

ERIC, 5 ans 7 mois

« Le petit cheval galope

dans la nuit du printemps

galope tout content

Tout vert avec un œil blanc ».

 

CLAUDE, 5 ans 3 mois

Commentaire individuel de dessin

 

 

Même expression de fraîcheur, d'humour, de fantaisie, dans le jaillissement spontané des mots et des images qui ne sont parfois suggérés à l'enfant que par de simples faits divers :

 

« Maria a un coq sauvage

parti dans le champ de Jeanne.

Maria le cherche

par le grand chemin,

par le petit chemin.

Pieds nus sur la lande

il se promenait dans le champ.

Il courait, il courait

Cot, Cot, Cot.

Le voilà revenu dans son poulailler.

Il caresse ses plumes.

Il attend le dimanche.»

 

JOEL, 5 ans

Classe de H. Robic, St-Cado

 

Comme celle du poète, la réalité poétique enfantine s'insère cependant dans une réalité plus large, celle du monde des vivants, celle même de la vie quotidienne.

 

« C'est le petit train du Cambrésis

qui emmène les ouvriers

à la mine, à l'usine,

Tchouc... Tchouc... pressons... pressons,

 allez, roulez.

A la maison y a plus d'argent.

Pointage, semaine, quinzaine,

 automne, printemps, hiver, été,

allez, roulez.

A la maison y a plus d'argent.

Tous les jours, tous les jours, tous les jours

 y en a qui s'en vont à midi,

 y en a qui s'en vont dans la nuit

tous les jours

même quand il pleut

même quand il neige

même quand il grêle

tous les jours, même le  jeudi

tous les jours et quelquefois le dimanche aussi

sifflez les sirènes,

tournez les volants,

roulez les berlines,

craquez les grues,

sonne la ferraille,

toi, la fumée, tourbillonne,

traîne sur les toits noirs

et vous les poussières,

chatouillez les yeux fatigués,

sifflez les sirènes,

 allez, roulez. A la maison y a plus d'argent ».

 

Ecole Maternelle d'Escaudain

Classe de J. Martinoli, 4 à 6 ans

 

Le poète éclaire cette réalité d'un jour particulier qui est celui même de sa vie intérieure. Son œuvre qui se veut langage, message, signe, jalon, véhicule de notre culture est l'expression la plus sincère d'une intelligence et d'une sensibilité à chaque seconde im­pressionnées, recréées par la vie, par l'action autant que par la méditation ou le rêve, par l'inconscient autant que par la conscience.

 

Chez l'enfant au contraire nulle recherche. La forme même de sa sensibilité le place d'emblée au cœur de la réalité poétique :

 

«  Ma mère m'a dit oui,

je ferai un marin.

C'est mieux un marin,

ça pêche du poisson. J'irai tout seul

en mer

sur un bateau qui ne coule pas

la Danseuse de l'Océan

peut-être.

Je veux être un marin.

Je sais la route des bateaux.

 J'aurai une bouée,

un chapeau de mer,

des longues bottes,

un ciré jaune,

une moto.

Je ferai un marin

 c'est mieux un marin.

Qui t'a dit ?

Je sais tout seul ».

BERNARD, 5 ans

Classe de H. Robic, Ecole Maternelle

 St-Cado ( Morbihan )

 

L'animisme enfantin, ce pouvoir de recréer le monde à son image, au rythme de sa joie de vivre, colorie toutes choses des nuances même de sa vie affective. Parce qu'il abolit les frontières entre l'imaginaire et le réel, il décuple ses possibilités créatrices, multiplie ses pouvoirs, accroît son impression de puissance. Ouvrant le monde à l'enfant, il le révèle à lui-même et nous le révèle à nous-mêmes.

 

« Ma biche,

 Mon ange,

Ma montagne,

Mon sapin de Noël,

Mon soleil,

Ma fée,

Mon arbre,

Mon petit oiseau,

Ma tulipe,

Mon pigeon,

Ma feuille dorée,

Mon hirondelle,

Mon sourire tout blanc,

Mon collier d'or, Ma jonquille,

Mon alouette,

Mes yeux brillants,

Mon œillet,

Maman, je t'aime ».

Poème collectif

Classe d'enfants de 4 à 6 ans, Walincourt (Nord)

 

Le point de départ du poème fut un simple mot affectueux d'un petit garçon qui embrassant l'insti­tutrice, lui dit un matin :  « Bonjour mon ange ».

 

Aussi accepterons-nous de croire avec F.G. Lorca que « l'enfant comprend beaucoup plus que nous ne le pensons. Il est dans un monde poétique inaccessible où la rhétorique, l'imagination entremetteuse n'ont point d'entrée. Très loin de nous, l'enfant possède entière la foi créatrice et n'a pas encore la semence de la raison destructrice. Il est innocent et pour autant il est sage.

Il connaît mieux que nous la substance ineffable de la substance poétique ».

 

Nous acceptant dès lors comme compagnes de l'enfance, nous oublions notre pauvre logique d'adultes pour entrer de plain-pied dans le jeu de la création enfantine, pour soutenir et encourager ce don d'émer­veillement sans lequel il n'est point de climat poétique. Saisissant la vie dans ce qu'elle a de plus spontané, l'enfant dans ses rapports les plus directs avec l'univers, nous nous efforçons à notre tour de regarder le monde avec des yeux neufs.

 

Confiantes dans le message de liberté que nous délivre la poésie, nous essayons de répondre à la quête de nos petits par une faculté illimitée d'accueil. Nous nous efforçons d'encourager cette naturelle exubérance qui délivre les rythmes poétiques, de révéler à nos enfants par une mise en partage des découvertes, des expériences, des émotions, leur propre certitude d'êtres existants et pensants et donc créant.

 

Nous comprenons que pour l'enfant, comme pour le poète ou l'artiste, les œuvres poétiques ne sont pas, selon le mot de Rilke «  des sentiments, ce sont des expé­riences. »

 

Expériences, aventures de la main qui se mesure avec la matière qu'elle métamorphose, avec la forme qu'elle transfigure, expériences avec le corps qui s'in­fléchit à la recherche des rythmes de vie, expériences avec le verbe et la magie des mots qui sont en même temps expériences et aventures mentales et prises de possession magique et magnifique du pouvoir ordonnateur de l'esprit. Car cette activité poétique n'est point simple jeu gratuit et désinvolte, mais bien œuvre véritable dans laquelle toutes les facultés enfantines se trouvent engagées et non seulement ses pouvoirs sensoriels, moteurs, imaginatifs, mais encore ses possi­bilités mentales et sensibles, son esprit et son cœur.

Pour s'en convaincre, il suffit de contempler la délicatesse et la fermeté des gestes de l'enfant qui dessine, peint, danse, modèle, l'éclairement du visage, la qualité d'attention et de concentration dont il fait preuve jusqu'à l'achèvement de l'œuvre, la subtilité avec laquelle il organise son espace, ripostant à ses maladresses par l'ajout de savoureux détails, alliant l'invention à l'humour, projetant sur le papier dans l'espace et la glaise la tonalité même de sa vie affective.

 

Que cet engagement dans une œuvre qu'on a délibérément choisie et voulue soit le merveilleux témoignage d'une prise en charge d'un jeune être par lui-même qui pourrait en douter ?

 

Non seulement il maîtrise alors ses émotions en les exprimant et chemin faisant se conquiert lui-même dans le sentiment de plénitude joyeuse que font naître ses nécessités, non seulement devient-il homme et responsable d'œuvres à sa mesure, non seulement des­cend-il au plus profond de ses perceptions, de son émerveillement, de sa tendresse, de ses peines, de ses rêves, de ses découvertes, mais encore devient-il capable les mains pleines et l'esprit libre de se retourner vers les autres, d'entrer dans leur univers, de s'en enri­chir par la communication et l'échange.

 

Ainsi l'enfant se constitue à travers ses œuvres. Y inventant, il s'invente, y choisissant, il se choisit. Par le dialogue, il dépasse sa propre expérience pour tendre vers un équilibre, une harmonie, une communication humaine, une transposition du monde qui sont déjà de l'art (1).

 

 

(1)    Se référer au livre - album d'Elise Freinet.. « L'ENFANT ARTISTE » aux Editions de l'Ecole Moderne à Cannes et à la revue de l'ICEM  « L'Art Enfantin ».

 

De quelques formes collectives d'Art Enfantin

 

Nous étudierons rapidement maintenant quelques unes des formes collectives que peut prendre cet art enfantin : les albums, les jeux dramatiques, la danse libre.

 

LES ALBUMS

 

 

M. Belperron nous en raconte la naissance dans sa classe d'enfants de 5 à 6 ans :

 

« Faire des albums avec les enfants c'est vivre intensément avec eux. Je suis ainsi faite qu'il faut que je participe à l'action pour prendre plaisir à ce que je fais et j'ai plus de plaisir à faire un album que d'assister à un spectacle, un match ou un film. Il faut avoir, sinon ce tempérament, du moins cet état d'esprit au moment de la création d'albums pour savoir saisir les occasions et partager le plaisir des enfants. Il faut aussi savoir noter très vite.

 

Dans une classe entraînée aux techniques d'ex­pression libre, les occasions d'albums ne manquent pas et s'il vous arrivait de les laisser passer par inat­tention ou par paresse les enfants sauraient bien vous y faire penser.

Et l'on arrive à faire de nombreux albums, des albums qui reflètent la vie de la classe, la vie des enfants, vie collective ou individuelle. L'an dernier nous avons fait des quantités d'albums dont voici les titres prin­cipaux : Ma petite sœur ; Le vent ; Les feuilles mortes ; Les poissons de Bébert ; Les poissons rouges de Michel ; La danse ; Le voyage de Jean-Pierre aux Baléares ; Bonne année, bonne santé ; Le petit âne de Philippe ; La neige ; Promenade au parc ; Histoire du chat de Jocelyne.

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Certains albums sont longs ou de longue haleine, comme par exemple, Ma petite sœur, où l'on note les transformations de ce bébé tout rouge sans bras ni jambe, pas bien joli, qui devient une jolie petite fille. D'autre comme Bonne Année, Bonne Santé, sont ter­minés la même journée.

 

Je parlerai donc de deux albums faits l'an dernier :

-           le premier collectif : Bonne Année ;

-           l'autre individuel : Histoire du chat de Jocelyne.

 

*

 

BONNE ANNÉE

 

A la rentrée du Nouvel An, tous les enfants arri­vaient en me disant : Bonne Année, bonne santé maîtresse !

- Bonne Année, Bonne Année ! Qu'est-ce que ça veut dire ça, qu'est-ce que c’est que l'année, dis-je en riant ?

 

Personne ne sait au juste.

- On dit ça parce que o'est la bonne Année et qu'on a eu des étrennes !

- Cherchez un peu, qu'est-ce que c'est que l'année ?

 

Alors les doigts se sont levés et j'ai noté au fur et à mesure tout ce que les enfants ont dit. Quand per­sonne n'a eu plus rien à dire, j'ai relu et j'ai entendu plusieurs voix.

- Oh ! ça va faire un bel album.

- Vous voulez ?

- Oh ! oui.

 

J'ai distribué les « Coloric » et les feuilles de papier blanc. Les enfants savent qu'il faut me laisser une place pour écrire l'histoire, ils ont une petite feuille de papier qu'ils mettent dans le sens qu'ils veulent sur le papier blanc. Et l'album a été très vite décoré.

 

Je ne dis pas « Toi tu feras le dessin de ceci, toi de cela ».

Ils font la page de l'album qui leur plaît. Comme j'avais une quarantaine d'enfants j'ai eu 4 albums (certaines feuilles ne se rapportant pas à l'histoire, d'autres étant trop touffues servant de première ou de dernière page).

 

Nous agrafons, et voilà un nouvel album dans notre collection que nous avons du plaisir à feuilleter et à entendre relire.

 

HISTOIRE DU CHAT DE JOCELYNE

 

Voici comment celui-ci est né. Le matin, lorsque les enfants racontent leur histoire pour le texte de lec­ture, Jocelyne nous a dit : « Cette nuit mon chat a mangé mon petit oiseau en cage ». Tout le monde veut des explications et Jocelyne se met à nous parler de ce chat Titi qui a bel et bien mangé un oiseau en cage. D'un commun accord nous décidons d'en faire un album. Près de Jocelyne je note tous les détails et si possible la tournure des phrases. A midi j'écris tout cela au net et l'après-midi je lis l'histoire en classe. Je distribue papier et « Coloric ». J'ai des albums peints, d'autres illustrés de plusieurs façons.

M. Belperron.

 

 

Mme Andrès (Grenoble) nous conte, elle aussi, la naissance d'un album dans sa classe des 5 à 6 ans.

LE CHAT DE DOMINIQUE (collectif)

 

« Nous étions partis un samedi après-midi en classe-promenade à travers Mon Logis : cité Progil composée de maisonnettes avec jardinets. J'avais une idée en tête : les jardins à l'automne avec leurs dernières fleurs, leurs arbustes jaunissants, etc...

 

Derrière la grille du jardin de Dominique son petit chat miaulait - un drôle de chat un peu rayé comme les tigres mais surtout machuré de noir, de gris, de fauve.

 

Le lundi matin on raconte aux camarades absents cette promenade. Je pensais à un album compte rendu.

 

On n'a parlé que du chat de Dominique. J'ai noté et recopié uniquement les détails descriptifs du chat.

Marie-Claire : Le chat de Dominique a une tête comme un petit singe.

 Vincent: Il était noir comme le charbon.

A ce moment j'entrevois la forme de chaque page de l'album.

 

 Brigitte: Il avait de l'orangé.

La maîtresse : Comme quoi ?

Un enfant : Comme une orange...

Un autre : Comme le soleil.

- Il avait aussi du gris.

- Comme quoi ?

- Comme mon manteau.

- Non pas si noir.

- Comme le ciel aujourd'hui.

- Pourquoi le ciel est-il gris aujourd'hui ?

- Parce qu'il y a de la pluie.

- Et ses yeux ?

- Verts comme l’herbe.

- Comme les crayons verts.

- Comme l'eau verte.

- Où as-tu vu l'eau verte ?

- A la mer.

- Ils avaient du bleu.

- Moi, par côté je les voyais bleus.

 

 J'ajoute : Ils avaient donc des reflets ?

- Oui, des reflets bleus comme le ciel (je vois là un cliché)... Je crois que ce n'était pas le bleu du ciel.

- Bleus comme la fleur bleue.

-Quelle fleur bleue ? On nomme la violette, la pervenche, la véronique (après avoir tourné les pages de l'album de l'an dernier sur le printemps en marche).

- Vous l'avez trouvé joli mon petit chat dit Do­minique ?

- Oh, oui, mignon comme tout.

A Dominique nous avions demandé le nom de son chat : Minet.

Nous l'avons appelé par son nom puis nous l'avons caressé doucement. »

 

Mme Andrès.

 

*

 

Et H. Robic donne quelques directives simples et dynamiques, mises en pratique dans une classe enfantine groupant 15 enfants de 2 à 5 ans (St-Cado).

« Le plus simple, pour les albums, c'est de suivre la respiration de la classe. C'est vrai, on en fait comme on respire, simplement, sans prétention quant au contenu, l’idée, la forme. Du travail ensemble, c'est notre première forme d'album . . .

 

ALBUMS COLLECTIONS :

 

On parle des arbres. Chacun fait son arbre : au crayon, à l'encre de Chine, à la peinture. Chacun ra­conte : 1 dessin, 1 commentaire en regard, 10 dessins, 10 commentaires.

 

C'est toute une longue idée d'arbres. On pense à la forêt... On parle de bêtes, des bateaux, des pépés, des poissons, de tout ce qu'on sait...

 

A la suite d'un événement, la Toussaint par exemple. Le texte premier jet est repris par le graphisme sur le tableau noir, ce qui suscite de nouveaux commentaires. L'idée enrichie est illustrée ensuite par quelques enfants :

 

Au cimetière

des chrysanthèmes des pots de fleurs

debout pas penchés

des petites fleurs des grandes fleurs

des noms de pépés

des noms de mémés

de parrains de petites sœurs

Au cimetière

la terre est bleue

la lune blanche

à côté d'eux

le soir.

Tous

 

ALBUMS INDIVIDUELS

 

Une pensée d'enfant, un rêve, obtenus par le commentaire de son dessin.

« Je veux être marin », Bernard. Idée qu'il illustre seul sous plusieurs jours à l'atelier qu'il se choisit.

« Blanchette », Marie- José. L 'histoire de son chat malade amené par le pépé en plate dans une île... Une autre l'aide pour l'illustration.

 

Les histoires de chacun, développées, illustrées par un ou plusieurs enfants.

Et puis il y a eu la vogue des Petits albums individuels.

Mise en page enfantine.

- travail de collage ;

- mise en page ;

- en regard le commentaire, simples graphismes, semblables aux affiches ;

- ils agrafent ;

- achèvent par la couverture.

H. Robic

 

Quelquefois, une histoire d'enfants, privilégiée et porteuse de véritables qualités dramatiques telles que :

- comporter un drame, donc une action qui va se nouer et se dénouer

- susciter l'émotion ;

- présenter des personnages que les enfants puissent imaginer a le don d'émouvoir et de retenir d'autres petits que ceux de la classe créatrice.

Nous en avons fait l'expérience à Brest avec un album né en décembre 58 dans la classe de J. Rosmorduc : « Le Petit Prince » était né d'un commentaire collectif de peintures des enfants de la classe. L'époque, la Noël, était privilégiée.

 

Les enfants en avaient été si fiers et heureux que j'avais suggéré à leur institutrice de monter le conte aux marionnettes (ils ajoutèrent alors un chat et des chevaux). Les enfants créateurs de l'album et des marionnettes jouèrent donc leur conte à une journée maternelle organisée en avril 59 pour les institutrices du Finistère. Les enfants d'une autre école maternelle, incités, furent vivement touchés par l'histoire enfantine dont voici le texte primitif :

« Il était une fois un château dans un bois avec de l'herbe autour et des murs gris tout de travers. Tout est de travers dans ce château, les murs, les portes, les fenêtres, les toits pointus et les cheminées. Ah ! on n'est pas bien dans un vieux château, on risque de tomber. Tout est de travers.

Il faut monter les escaliers éclairés (c'est la lumière du couloir). La porte est ouverte dans la grosse tour. Entrons sans clef.

Il y a une grande chambre et tout au fond le petit Prince. Il est mignon, il ne parle pas, ses yeux sont tristes. Il n'a pas de reine, sa maman, il n'a pas de roi, son papa.

Il voudrait bien qu'on vienne le voir.

Il a un beau costume avec des fleurs dessus et des grandes dentelles qui cachent ses mains. Il a peur de les déchirer. Il a mis sa couronne à l'envers pour rire et il a mis des plumes dessus. Et quand même il ne rit pas.

Un jour un clown est venu en vélo dans le bois. Il a cherché le château avec ses jumelles, il a tourné autour des arbres.

Il y a des arbres qui sont penchés, des arbres où les feuilles font de la dentelle tout autour, des arbres bleus, et des arbres noirs avec des feuilles jaunes et des feuilles roses ; un arbre a l'air d'un monsieur avec beaucoup de bras et des boutons sur son costume.

Le clown est entré par la porte ouverte de la grosse tour. Avec sa petite voix, le Petit Prince a dit : « Tu peux entrer », et le clown lui a dit un grand bonjour en enlevant son chapeau pointu.

Alors ils ont joué à courir après la petite souris (c'est le clown qui avait pris une glace dans sa poche).

 Et puis ils sont partis dans la rue de Siam voir les étoiles et les sapins, le blanc brillant, la lumière rouge et les branches qui font comme les ailes des oiseaux.

Là, le Petit Prince a rencontré le Père Noël qui lui a dit :

«Relève ta manche et touche un peu ma barbe ».

Et le Petit Prince a ri parce qu'elle était douce. Le Père Noël lui a demandé ce qu'il voulait. « Un train qui fume quand on tourne la clé ». Et le Petit Prince a demandé au Père Noël : « Je peux partir avec toi dans le ciel ? » Alors, le Père Noël l'a emmené avec lui et maintenant il est content. Il a emporté une petite lumière brillante de la rue de Siam et avec elle il a fait une étoile ».

 

L'année suivante nous avons, de cette histoire, tourné un film en choisissant comme acteurs des enfants qui n'étaient pas les créateurs de l'histoire (ceux-ci étant à l'école primaire). Or, le même plaisir fut pris par ces enfants à la lecture de l'album puis au jeu avec les marionnettes.

 

En 61, pour terminer la sonorisation du film, nous faisons appel à une nouvelle équipe d'acteurs : même constatation.

 

Au cours de ces 2 années, l'histoire a subi des transformations qui vont toutes dans le sens d'un renforcement de l'action (suppression des passages descriptifs tels : les arbres du bois, la rue de Siam) et rajout d'épisodes animés (les chevaux, le chat). Nous touchons là au problème de la communication entre enfants très jeunes, inconnus les uns des autres, dont la sensibilité vibre de même à l'évocation de sentiments simples et forts.

 

La CEL met à la disposition des institutrices un grand nombre d'albums d'enfants créés dans des classes de l'école moderne, illustrés par les enfants de ces classes et qui constituent une bibliothèque enfantine originale, répondant dans nos classes maternelles à l'éveil de l'intérêt pour la chose écrite et surtout à la forme de l'imagination enfantine.

 

Nos petits s'enchantent de la plupart de ces albums qu'ils feuillètent, regardent, commentent et parfois lisent seuls. Citons-en quelques-uns particulièrement goûtés : « Gri-Gri et Simonet » ; « Le petit cheval sor­cier » ; « La colère de la lune » ; «  A la recherche du Père Noël » ; « Le Petit Prince »" ; «  Le petit nègre qui voulait voir la mer » ; « Le petit âne qui ne voulait pas de barrière. » ( I )

 

(1) Collection Albums d'Enfants - liste sur demande à CEL BP 282 CANNES (A-M).

 

LES JEUX DRAMATIQUES

DE L'EXPRESSION LIBRE CORPORELLE

AU JEU DRAMATIQUE ET A LA FÊTE ENFANTINE

De même que la première forme d'expression des primitifs fut le rythme et la danse, la première expression enfantine, celle par laquelle le bébé, qui ne sait pas encore parler, communique avec son entourage est l'expression gestuelle. 

Gestes des mains tendues vers l'objet désiré, gestes du corps qui se meut maladroitement dans l'espace, gestes de la tête qui se penche ou se lève vers l'être ou le bruit, gestes éloquents dans leur simplicité et déjà porteurs de langage, de désirs de communication. 

Les rites et les danses à caractère magique des peuples primitifs ne témoignaient-ils pas du même désir de s'approprier le monde, de communiquer avec les êtres vivants et morts par le moyen d'un rythme envoûtant auquel corps et esprits étaient soumis jusqu'à s'y perdre ? 

Cependant chacun de nos petits possède son rythme de vie propre, son rythme naturel, sa respiration parti­culière avec laquelle il va vers le monde. 

Ce rythme nous le retrouvons dans chacun de ses gestes, dans chacune de ses œuvres, dans sa façon de parler comme dans ses jeux. 

C'est à travers lui que l'enfant va prendre conscience de ses pouvoirs de création et d'imitation, qu'il va traduire ses émotions, éprouver la vie des êtres et des choses qui l'entourent.

 Ainsi des jeux spontanés naissent-ils, sans que nous y prenions garde, chaque fois que des enfants sont laissés à eux-mêmes, sans une direction contraignante d'adultes : on joue, seul, par gestes et bruitage approprié, à l'auto, à l'avion, au cheval, au chien, etc... 

A plusieurs : au train, à la course, à la bagarre, au papa et à la maman, au coiffeur, au docteur, etc...  

En classe, si l'éducatrice est accueillante, si elle sait valoriser les apports enfantins, les jeux spontanés s'amplifient et se diversifient. 

Chacun mime en les racontant des histoires :

« Ce matin le vent me poussait et je reculais et je tournais comme les feuilles mortes ».

« Mon cochon s'est sauvé dans la lande. Il a poussé la porte de la crèche avec son museau ». 

Par le geste, la mimique, l'enfant s'identifie au personnage invoqué tout en projetant sur l'objet sa propre personnalité. Ce curieux phénomène de dédou­blement, si naturel à l'enfant, est une véritable expé rience tâtonnée, tout à la fois physique et mentale, d'autant plus enrichissante qu'elle aide l'enfant à la fois à sortir de lui-même et à se trouver en tant que créateur de situations nouvelles. 

Dans le climat communautaire d'une classe d'école moderne, la première mimique assez fruste s'enrichit des trouvailles des camarades et de leurs critiques. Lorsque l’ « histoire » ou 1'« événement » jaillissent d'in­térêts collectifs puissants, lorsqu'ils sont l'expression de moments de vie profondément éprouvés par la classe entière, de véritables jeux dramatiques peuvent naître, s'organiser, s'épanouir jusqu'à l'aboutissement spectaculaire de la fête enfantine.

 

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Nous réservons à un prochain numéro de la BIBLIO­THÈQUE DE L'ECOLE MODERNE de nombreuses relations de jeux dramatiques et fêtes enfantines à base d'expression libre. Ce numéro est en préparation.

 

On pourra lire également dans ce numéro tout ce qui concerne la méthode naturelle d'éducation musicale et aussi de nombreuses relations d'expériences.

 

*

 

 

GYMNASTIQUE NATURELLE

 

Nos écoles de ville sont le seul endroit où les petits citadins ont le droit de s'ébattre librement et nous nous ingénions à leur donner le plus largement la pos­sibilité de prendre des ébats qui leur sont comme un indispensable souffle. Il y a bien l'escalier à grimper et à descendre dans les grands immeubles, il y a le trottoir où les petites jambes veulent courir. Mais la rue est dangereuse, l'appartement doit être silencieux. L'école maternelle est là, heureusement, où les corps peuvent « vivre », où les expériences doivent être permises : en dehors de la seule course possible sur le sol goudronné, le petit enfant a besoin de sauter, de grimper, de se suspendre, de se glisser...

 

L'aménagement du terrain de jeux. doit le lui permettre. Alors que le petit campagnard trouve à sa porte un milieu riche en obstacles de toutes sortes qu'il a la joie de vaincre, nous devons essayer de recréer pour le petit citadin et le plus près possible de la nature, ces conditions où son être physique peut s'exercer et se développer.

 

Le matériel le moins coûteux et accessible pour toutes nous l'avons trouvé avec les pneus usagés que les papas veulent bien apporter à l'école : ils sont lourds mais tous les enfants veulent les soulever, les transporter chacun selon ses forces : les bébés les poussent à plat sur le sol, les moyens les roulent, quant aux grands, leur ingéniosité est inépuisable : le pneu est un bateau dans lequel bien assis, on rame avec énergie, c'est une porte qu'un camarade tient à la verticale ; s'il y en a plusieurs, cela fait un tunnel, on saute de l'un à l'autre, les pieds joints, sur un pied, on passe de l'un à l'autre à grandes enjambées ou sur le caoutchouc on rebondit, jambes écartées...

 

Quelques simples installations construites de bois brut équipent le terrain sans gros frais.

La balançoire la plus simple est faite d'une longue planche fixée par un bracelet de fer sur une portion de tronc d'arbre.

La pyramide à grimper est faite de branches écorcées simplement assemblées : en forme de pyramide à base carrée (1 m2 de base, 2 m de hauteur) elle comporte sur chaque face 5 échelons régulièrement espacés.

 

Les pas de géant sont faits de billots de bois solide­ment plantés en terre : un tronc d'arbre débité en morceaux de hauteurs inégales sur lesquels s'exerce l'équilibre.

La poutre abandonnée dans l'herbe offre le même intérêt : on la parcourt d'un bout à l'autre, d'abord avec précaution puis très vite, hardiment.

La poutre surélevée à 5 cm de hauteur, soutenue par 2 ou 3 chevrons de grosses branches offre une nouvelle difficulté : les moins intrépides la parcourent à califourchon tout comme

Le cheval d'arçon conçu pareillement mais plus court et plus haut. 6o cm de haut pour une longueur de 1.20 m Lui aussi est fait d'une portion de tronc écorcé.

Le toboggan est le plus important avec sa large planche posée sur 2 échelles doubles (faites aussi de branches) on y grimpe d'un côté par l'échelle, on par­court le pont à 1,3 m de hauteur d'un pas assuré et la récompense est de l'autre côté où un plan incliné permet la passionnante glissade.

Et si un vieux bateau peut prendre retraite sur le terrain alors que de possibilités offertes aux enfants d'y grimper, de prendre le départ en tenant le gouvernail !

 

 

RYTHMIQUE NATURELLE

 

Suivant l'exemple de Fauvette Goldenbaum, nous donnons un meilleur départ à l'éducation rythmique, un départ très naturel qui permet aux enfants de dé­couvrir très simplement les rythmes élémentaires que nous leur demandons de reconnaître et de suivre.

 

Les enfants rassemblés, la maîtresse invite l'un d'eux à parcourir la salle sous le regard de tous et elle prend au tambourin son rythme de marche ou de course ; les camarades commentent : « Il marche vite, il est pressé, il est en retard ». C'est vrai, allons avec lui, comme lui, et soutenus par le tambourin qui a suivi le premier enfant, tous marchent et prennent le rythme. Un second propose autre chose : le voilà déjà parti en sautant et le tambourin le suit. On commente encore : « Il saute légèrement, d'un pied sur l'autre... » Et le départ est donné.

 

Ainsi, les simples rythmes de marche, de course, de saut sont découverts par les enfants sans apport artificiel de la maîtresse. Le jeu est si rapidement adopté que dès le second jour, Christian propose : « Je vais marcher comme un grand-père » et le tambourin martèle la lourde et pénible démarche. Suit Olivier qui va « comme le chat ». Le tambourin s'adoucit pour suivre la marche féline. Les jeux d'imitation se succèdent, s'en­richissent chaque jour de nouvelles découvertes et ainsi se multiplient les possibilités de chacun.

 

Les thèmes de vie les inspirent : on marche comme maman qui revient du marché lourdement chargée, le jeu entraîne le mouvement, on saute les flaques d'eau à pieds joints, on marche en flexion pour chercher des coquillages, on vole comme l'oiseau ailes ouvertes et battantes. La source est inépuisable depuis le lapin qui saute jusqu'au cheval qui galope, c'est tout un monde en mouvement qui nous fait déjà danser et oblige les corps à se discipliner.

 

Le moment est alors venu pour la maîtresse de donner d'autres rythmes : à partir des simples chansons populaires dont les enfants suivent la mélodie en for­mations variées : rondes, farandoles, lignes...

 

Quelques exercices de ce genre et le disque peut faire son entrée choisi pour sa mélodie bien rythmée : il est écouté dans le plus grand silence et quand arrive Noël, Mozart et Vivaldi sont déjà offerts aux enfants décontractés, assouplis par un entraînement quotidien.

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QUELQUES EXPÉRIENCES

 

Il me reste maintenant à donner la parole à un certain nombre d'institutrices maternelles qui vont faire ici la relation de journées ou de moments de vie de leur classe. 

Classes enfantines et écoles maternelles de ville avec leurs sections de bébés ou de grands, autant de visages divers offerts avec la plus totale sincérité.

 

 

ECOLE MATERNELLE ET ECOLE MODERNE

par Hélène Bernard

 

Comme je disais un jour, à l'issue d'une journée de classe qui s'était déroulée devant des collègues, que « j'avais emprunté et empruntais toujours, largement au mouvement pédagogique de l'Ecole  Moderne de Freinet », il me fut répondu que « l'Ecole Maternelle pratiquait depuis longtemps des méthodes modernes, depuis beaucoup plus longtemps que les écoles primaires et bien plus généra­lement qu'elles".

 

 

Cette réponse me semble traduire une opinion très largement répandue chez nos collègues de classes maternelles.

 

Sur quoi repose cette opinion ? A mon avis sur une confusion qui vient sans doute des sens différents qu'on donne aux termes « méthodes modernes » et c'est pourquoi je crois nécessaire de préciser ce que nous entendons par là et plus particulièrement à l'Ecole Moderne.

 

Ce qu'il ne faut surtout pas, c'est se laisser leurrer par un aspect extérieur ou superficiel de modernisation.

 

Ce n'est pas parce que telle école maternelle bénéficie de locaux modernes avec installations modernes, salles d'eau, de repos, d'accueil, belles salles de classe, jardin... le tout bien équipé de mobilier et matériel modernes que nous dirons que cette école est une « Ecole moderne » au sens où nous l'entendons ici.

 

Ce n'est pas parce que telle maîtresse fait faire à ses élèves de la peinture sur chevalet avec peintures en poudres et bons pinceaux, que telle autre réalise des objets de vannerie ou même de très belles céramiques, que telle autre enfin pratique l'imprimerie, que nous affirmerons, sans avoir pénétré l'atmosphère de leur classe, que ces collègues pratiquent des méthodes modernes.

 

Car il faut bien préciser que, ce qui risque de faire illusion et de prêter à fausse interprétation à l'école maternelle, c'est l'usage qui y est largement répandu de matériel sensoriel et éducatif et la pratique fréquente, c'est vrai, de certaines techniques modernes.

 

Mais nous affirmons que le matériel sensoriel et éducatif d'une part, si moderne et si riche soit-il, la pratique de certaines techniques modernes d'autre part, si spectaculaires en soient les résultats, ne suffisent pas à « moderniser » une classe dans le sens où nous l'en­tendons ici et que nous allons préciser.

 

 Tout réside dans l'esprit des méthodes employées et dans l'atmosphère qui en résulte dans la classe.

 

Celle-ci sera « Ecole Moderne »

 

- si elle a su laisser pénétrer avec les enfants la vie entre ses murs, en laissant portes et fenêtres grandes ouvertes sur elle,

- si elle a su éviter que se creuse chaque jour un peu plus le fossé qui sépare l'école de la maison,

- si elle a supprimé dans toute la mesure du possible l'artificiel, la contrainte,

- si elle a su créer un climat de confiance mutuelle qui permette à l'enfant de s'épanouir, de s'initier à la vie en société, de partir à la découverte, d'aller chaque jour vers une prise de conscience plus nette de ses possibilités et de ses responsabilités.

 

*

 

Passons maintenant des idées générales aux exemples concrets :

Imaginons un lundi matin d'octobre.

 

La maîtresse est allée se promener la veille à la campagne. Elle a décidé, étant donné la saison de choisir comme centre d'intérêt : Les feuillages d'automne. Elle en a fait ample moisson et la présente aux enfants. Dans la journée, dans la semaine, on observera, on fera des exercices de langage sur les feuilles, les feuillages, l'automne...

 

On dessinera, on peindra des feuilles, on s'essaiera à de grandes touches de couleur sur des feuilles grand format ; un élève qui sera allé lui aussi à la campagne réussira sans doute une belle peinture ; d'autres exécu­teront et décoreront de beaux objets avec des feuilles d'automne. Bref, on aura très probablement des réussites et l'intérêt sera éveillé pour quelques enfants.

 

Mais peut-on dire que l'esprit de cette pédagogie soit vraiment moderne, malgré une modernisation apparente de techniques ? Je ne le pense pas, parce qu'il y a au départ un centre d'intérêt, un complexe d'intérêts, un thème de vie choisi et imposé par l'adulte et non par les enfants. Cela permet certes une préparation suivie de la part de la maîtresse qui ne risquera pas les imprévus, mais l'intérêt des enfants n'est pas spon­tané. Il a été imposé, dirigé, et il faut à la maîtresse beaucoup de virtuosité pour le maintenir parce que le fait d'être imposé a creusé le fossé entre la vie à l'école et à l'extérieur et que l'enfant se sent immédia­tement tenté de revenir à ses intérêts propres.

 

Par contre, si, dès le début de l'année scolaire, on s'est appliqué à écouter les enfants raconter ce qu’ils ont vu, ou fait, ou ressenti, soit à la maîtresse, soit à un groupe de camarades, soit à toute la classe, si on s'est intéressé à leurs apports de l'extérieur ( même insi­gnifiants) à l'école, on pourra bien vite travailler ensemble à un complexe d'intérêts qui ne sera plus celui de la maîtresse mais celui de toute la classe, choisi, adopté par l'ensemble des élèves.

 

Cet automne, une enfant est allée à la Sainte-Baume. On a depuis un mois bientôt l'habitude d'apporter à l'école toutes ses petites trouvailles qui sont accueillies avec enthousiasme par la maîtresse d'abord et par tous maintenant. Mireille F. a donc rapporté du beau feuilla­ge d'automne. On l'a accueilli avec joie parce que c'était beau, coloré ; parce que Mireille a raconté où et comment elle l'avait cueilli, ses yeux brillent encore de plaisir et sa voix est animée - et ce récit en a. évoqué d'autres chez d'autres enfants qui s'animèrent à leur tour : langage, élocution, vocabulaire ; et l'on a voulu tous voir de près la cueillette, toucher les feuilles, les sentir, les mesurer : exercice d'observation ; on a voulu communiquer sa joie aux correspondants : texte, imprime­rie, lecture, illustration ; on a compté les feuilles, on les a réparties, on a préparé les épreuves d'imprimerie et de dessins au limographe : calcul ; enfin on a dessiné et peint les uns le feuillage, les autres une feuille seulement, et plus tard tel ou tel motif d'un de ces dessins réappa­raîtra dans la décoration de tel ou tel objet destiné à la fête des mamans, par exemple...

 

Et alors que l'intérêt, tout neuf encore pour l'actrice principale, commençait à faiblir pour les autres, voilà que de nouveaux apports sollicitaient à nouveau toute notre attention, tout notre enthousiasme : branche d'olivier avec des olives vertes et noires, colis de noix de l'école correspondante, puis de châtaignes et de nèfles, escargots ramassés par la maîtresse...

 

Car la maîtresse au même titre que les enfants peut aussi apporter ses trésors, mais sans avoir pour cela priorité (au contraire dirais-je, elle doit savoir s'effacer souvent).

 

C'est un véritable esprit d'équipe, un esprit de coopé­ration entre élèves et maîtresse qui doit être à la base des activités de la classe.

 

Je crois que c'est là vraiment l'esprit de la pédagogie de l'Ecole Moderne, la modernisation du matériel et des techniques n'étant qu'un moyen, jamais une fin.

 

L'Ecole Maternelle a donc beaucoup plus à apprendre du mouvement pédagogique de l'Ecole Moderne, que certains ne le pensent.

 

Hélène Bernard

 Maternelle Roucas Blanc, Marseille

*

 

CLASSE ENFANTINE DE NIVOLAS-VERMELLE (Isère)

 

 

C'est mon expérience de débutante que je vais essayer de te raconter ici, camarade qui comme moi as peur de faire ce premier pas qui semble si difficile. Je ne te parlerai pas des diverses techniques que t'expli­queront bien mieux les plus « chevronnés » et dont tu as pu te faire une idée au Congrès ou à travers les rubriques de L'Educateur (lis et relis-les ainsi que les numéros de la REM, tu en retireras un grand profit). Ce que je désire plutôt te dire c'est que moi aussi j'ai eu peur - très peur - et que bien souvent je demeure hésitante tant est encore imprimée en moi la marque d'une éducation autoritaire.

 

Lorsque je suis arrivée dans ce village où je vis depuis un an et demi, j'étais absolument affolée à l'idée de prendre en main une classe enfantine (3 à 6 ans), moi qui n'avais fait aucun stage avec des « petits ». Bien avant la rentrée j'avais « potassé » des cahiers pédagogiques de toutes sortes et j'avais essayé de trouver dans la classe qui allait devenir « ma » classe, comment, avant moi, pouvaient bien vivre ces gosses qui allaient m'être confiés.

 

Comme moi tu as peut-être découvert dans un placard une pile de livrets de lecture qui servaient, année après année, à « l'initiation à la lecture et à l'écri­ture » des petits. Comme moi tu t'es peut-être sentie toute timide devant cette méthode qui, semblait-il, était sûrement efficace. Alors tu n'as pas osé laisser ces livrets dans leur coin et tu as appris à tes enfants comment ch et a faisant cha, etc... on arrivait à former chaperon puis rouge.

 

Et voilà, la peur de ne pas trouver ailleurs un appui solide m'a obligée à continuer ainsi, jour après jour, presque jusqu'à la fin du 1er livret.

 

Je m'ennuyais, les petits ne s'ennuyaient pas... pendant les dix premières minutes ! Alors j'ai décidé de faire le grand pas. Et j'ai tout laissé tomber : les livrets, les b.a ba, les tampons à colorier et comme C. Berteloot me le conseillait tout au long de ses rubriques dans L'Educateur j'ai regardé, je me suis efforcée de regarder vivre et d'écouter les enfants. Alors sont arrivées à flot leurs petites « histoires » que nous choi­sissions ensemble pour écrire et dont nous faisions un album à la fin de chaque mois. C'était écrit à la main, par le plus habile à copier et je me sentais déjà plus à l'aise.

 

Je suis devenue adhérente de mon groupe E.M. régional et j'ai glané çà et là tous les conseils dont j'avais tant besoin et surtout le courage. J'ai parlé à une collègue de mes rêves et projets, et peu à peu c'est ensemble que nous en avons fait puis réalisé. J'ai obtenu une imprimerie, j'ai créé avec ma collègue une coopérative pour nos deux classes, ainsi qu'un Journal dont le 4e numéro va paraître dans quelques jours. Et si tu savais combien je suis heureuse maintenant !

 

Chaque matin, mes petits m'apportent leur VIE. Nous écrivons, composons, illustrons. Il faut compter les feuilles pour l'imprimerie, savoir quel jour nous sommes, compter les absents et présents pour distribuer le matériel, etc... Et l'après-midi la classe est partagée en ateliers : découpage-collage pour les tapisseries, craie d'art, stylo-feutre, crayon, peinture, marionnettes, imprimerie. Et lorsque j'ai vu Daniel refuser de sortir en récréation pour finir à tout prix sa grande peinture, et Caroline tenir contre sa joue sa marionnette et lui parler tout bas, j'ai su qu'eux aussi étaient heureux.

 

Tu le vois je suis une débutante : tout ce que l'on fait dans les maternelles de si beau, je ne l'ai pas encore réussi. Mais il y a l'espoir. Au Congrès j'ai trouvé des correspondants pour mes petits. Vite à mon retour nous leur avons écrit et crois-moi l'attente du premier courrier est fébrile ! ...

 

Dans quelques jours j'aurai des plaques de verre et je pourrai ainsi proposer à mes petits une nouvelle activité : le monotype. Et puis je vais acheter du tissu pour les faire broder. Et puis encore... Oh ! j'ai des foules d'idées. Malheureusement notre coopérative est très pauvre encore.

 

Quand aurons-nous le magnétophone dont je rêve, et devant lequel jailliront peut-être des chants aussi beaux que ceux que nous écoutons sur les disques de la CEL ? Il y a tant, tant de choses qui manquent et qui amélioreraient énormément la vie de ma classe !

 

Mais, crois-moi, si tu aimes tes petits et si tu veux bien les accepter comme ils sont, leur donner des droits. des responsabilités, ta confiance en un mot, alors c'est que tu es sur le bon chemin car les enfants t'emmèneront eux-mêmes là où est la VIE.

 

Courage donc, tu as des petits enfants c'est notre grand privilège. Ils sont neufs et pas encore abîmés par la scolastique. Accueille ce trésor qu'est leur spon­tanéité et donne-lui tous les moyens de s'épanouir. Si tu es dégoûtée des méthodes autoritaires n'aie pas peur de te lancer. C'est le premier pas qui coûte le plus. Lis Freinet et tu y trouveras l'esprit qu'il faut acquérir avant tout souci de techniques à connaître. Laisse tes enfants s'exprimer et vivre et alors « le soleil brillera ».

 

Mme Suzanne Charbonnier

 

 

 

 

 

 

CLASSE ENFANTINE

Saint-Martin d'Estreaux (Loire)

 

 

St-Martin est un gros bourg dont la population est partagée en deux groupes  : l'un qui fut le plus important mais qui diminue progressivement, se compose de paysans assez aisés dans l'ensemble ; l'autre qui est en plein essor se compose d'ouvriers modestes.

 

Il y a en effet dans le village même plusieurs usines de bonneterie et de confection, ces usines occupent surtout des jeunes filles et des femmes.

 

Ainsi la population qui était rurale à l'origine évolue vers une vocation ouvrière urbaine.

 

C'est ce qui explique l'augmentation des effectifs de la classe enfantine, qui autrefois (il y a une dizaine d'années) comportait une cinquantaine d'élèves y com­pris ceux du CP, et qui maintenant sans le CP en compte presque autant.

 

En effet les mamans gardaient volontiers leurs petits enfants à la maison et ne nous les confiaient qu'à cinq ans ; maintenant, pour améliorer le salaire, elles vont à l'usine ou prennent du travail à la maison, elles nous les amènent à 3 ans (2 ans 9 mois pour les plus jeunes).

 

Les locaux scolaires sont anciens quoique bien entretenus et la classe enfantine est la plus mal exposée (au nord), la moins accessible (au fond du couloir qui dessert les autres classes), mais elle donne sur les jardins et nous pouvons facilement sortir l'été dans une courette indépendante.

 

Il n'y a aucune dépendance : pas de préau séparé, pas de salle de repos, pas de WC indépendants. Les lavabos communs sont dans le couloir qui doit rester silencieux puisque « les grandes travaillent » dans les classes voisines.

 

Le mobilier n'est pas particulièrement moderne : tables avec bancs attenant en chêne, donc lourdes et encombrantes. Récemment nous avons acheté deux tables ovales avec des chaises. Une armoire et des étagères très étroites complètent le mobilier. Au mur, les classiques tableaux et des lattes permettant d'accro­cher nos œuvres.

 

Mais ce qui me gêne le plus, ce sont les porte­manteaux plantés dans le mur tout autour de la classe. Il n'y en a pas assez pour tous les enfants mais ils sont là, immuables. Je ne puis les faire enlever, où les enfants mettraient-ils leurs vêtements puisqu'il n'y a pas pos­sibilité d'installer un vestiaire à l'école ? Je m'en accom­mode donc. J'avoue avoir eu beaucoup de mal à ins­taller ma classe, et je ne cesse de tâtonner.

 

Voici où j'en suis actuellement (5e année d'expé­rience). Sur mon bureau (au fond de la classe et sans estrade) j'ai disposé la casse, près de mon bureau, trois tables : sur l'une se trouve la presse, sur l'autre le limographe, sur la troisième les plaques pour les monotypes, dans les tiroirs de ces tables : tubes d'encre chiffons, essence, séchoirs.

 

 Une table ovale, près d'un panneau bas trans­formé en tableau, constitue le coin des petits ; ils ont en outre à leur disposition des nattes pour le repos, « une boîte à trésors » et savent où trouver dans les étagères le matériel dont ils ont besoin (stylos de couleurs, crayons à pointe feutre, ciseaux, colle, papiers...)

 

Six tables groupées face à face constituent le coin des moyens où nous installons l'après-midi les ateliers d'encre de Chine et de craie d'art.

 

Enfin « le coin des grands » ressemble un peu à une classe, tables alignées face au tableau. Mais les enfants en font vite trois ou quatre ateliers en disposant des plaques de lino et en employant 2 bancs, pour une seule table ( « Gérard va s'asseoir à l'envers pour m'aider à agrafer mon lion », dit Jean-Luc).

 

Il reste, au centre de la classe, une table ovale. Elle est réservée à la peinture et toujours à la disposi­tion des enfants.

 

L'estrade que j'ai supprimée sert en fait de table à modeler (argile) et reste placée devant le tableau pour permettre aux enfants d'y aller dessiner quand ils le désirent.

 

En résumé ma classe est conforme à toute classe rurale non conçue pour des tout petits, assez vétuste, mais point désagréable, pour peu qu'on essaie chaque année de l'améliorer. Les journées ne s'y déroulent pas suivant un rythme immuable, il en est de plus marquantes à cause d'une belle peinture, d'un peu de poésie ; de plus ternes aussi, mais jamais nous ne nous ennuyons ensemble : mes petits et moi formons une famille et chaque matin je recueille une moisson de dessins ou d'histoires.

 

Journée du 10 mars :

 

Aujourd'hui l'attention est captée par un beau dessin exécuté au tableau par Betty (501). « C'est la jolie jeune fille du printemps », dit-elle.

 

Nous parlons beaucoup du printemps ces jours-ci. Chaque jour les petits venus des fermes nous annoncent la naissance des chevreaux, l'éclosion des poussins, ceux du bourg apportent des primevères, des violettes. Nos petits amis de Trégastel nous ont envoyé une lettre de printemps, véritable herbier, où nous avons reconnu les chatons, la jonquille, la ficaire. Même les plus petits s'approchent pour voir « la jolie jeune fille. »

 

« Elle a rencontré le soleil », dit Domi et Betty ajoute : « Son petit cœur chante », car Betty aime à en­tendre « chanter » son petit cœur (elle vient près de moi et pose sa main sur son cœur et sent le tic-tac). Gérard met sa main sur son cœur, on l'imite (ce n'est pas la première fois que cette expérience a lieu) « Tiens, ça fait tic-tac ». Et voilà notre texte :

 

« La jolie jeune fille

du printemps

a rencontré le soleil.

Son petit cœur chante tic-tac, tic-tac ».

 

Presque tous les enfants demandent à lire cette histoire (même Martine, 4 ans), mais certains restent en dehors.

 

Georges dessine sa maman et son papa et sa maison Monique aussi, Nicolas fait le portrait de son chien Jupiter et Corinne préfère envoyer à son correspondant son histoire à elle.

 

Tandis que Betty, Frédéric, Gérard et Michèle composent le texte à l'imprimerie et que des groupes se forment pour dessiner la jeune fille du printemps (encre de Chine, stylos, crayon à pointe feutre, peinture) les grandes filles copient le texte sur une belle feuille. A la fin de la journée tous les enfants (les petits exceptés) l'ont copié, certains seuls, d'autres à l'aide d'un modèle (qu'ils viennent solliciter, certains précisent qu'ils veulent écrire « en accroché » c'est-à-dire en anglaise).

 

En fin de matinée, Gérard s'aperçoit que nous avons oublié le calendrier, il est fier de nous annoncer que nous sommes « mardi 10 mars ». Comptons-nous. grande section : 9 filles, 4 garçons, cela fait 13 ; chez les moyens, il y a : 5 filles et 3 garçons, cela fait 8 ; et chez les petits : 4 filles et 1 garçon, cela fait 5 et 26 en tout dit Dominique. Ce soir nousS ajouterons encore les moyens et les petits qui viennent l'après-midi. Frédéric a une histoire de calcul à nous raconter, il l'a dessinée ce matin : « Pour manger mon gâteau d'anniversaire il y avait nous six ( papa, maman, ma sœur, mon grand frère, le bébé et moi), mes deux pépés et mes deux mémés, mes deux tontons, mes trois tatas et ma marraine ».

 

Que de façons de compter cela ! Depuis la simple énumération (dessinée par Jean-Luc) jusqu'à la véritable élaboration mathématique réalisée par Andrée (6 ronds et 4 ronds constituent la dizaine à laquelle elle ajoute 2 ronds et 3 ronds et encore un rond, ce qui fait 16) Comme un rayon de soleil chassait l'ondée, nous sommes vite sortis dans l'herbe encore humide, nous avons cueilli les primevères pour ne pas les écraser en dansant.

 

Et puis les enfants se sont groupés par ateliers.

 

Frédéric, Gérard et Hélène se sont installés pou terminer leurs marionnettes. A la table de peinture il y a Jean-Luc, Andrée, Pascale, les deux petites Martine qui peignent des oiseaux et des soleils. Betty peint ; la verticale (au tableau) une demoiselle du printemps. Corinne a disposé l'atelier d'encre de Chine, où elle travaille en compagnie de Christian, Serge et Alain-Noël. L'atelier de stylos et de crayons-feutres réunit Anne-Marie, Catherine, Pascale, Serge et Annick.

 Catherine, Ariane, Dominique et Jean-Claude impriment. Monique, Christiane, Nicolas découpent. Georges et Christian écrivent et dessinent pour leur correspondant.

 

Je vais d'atelier en atelier, aidant les enfants qui me le demandent (mais ils préfèrent en général l'aide d'un camarade).

 

Les imprimeurs sont fatigués, Ariane va dessiner au tableau, Pascale prend sa place. Alain-Noël, qui a terminé son encre de Chine découpe des chèvres et les groupe dans un pré. Gérard fait danser sa marion­nette pour un groupe d'admirateurs.

 

Mais cela se fait sans désordre. Il y a du bruit bien sûr, surtout en cette fin de trimestre, mais « c'est un bruit de ruche » quelquefois dérangé par les éclats de rire aigus de notre Michèle malentendante (en trai­tement d'ailleurs, car les parents sont enfin convaincus de sa surdité, non sans mal d'ailleurs).

 

Voici l'heure de la récréation, nous n'avons pas vu le temps passer puisqu'il est quatre heures moins le quart. D'ailleurs quelques enfants restent pour ter­miner leur travail (en particulier Hetty, Ariane, Corinne). En rentrant je lis (ou plutôt raconte en montrant les gravures) l'album « L'Enfant-Soleil »  édité par la CEL et c'est l'heure du départ.

 

Yvette Bermon

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ECOLE MATERNELLE DE VILLE

Classe des bébés (2 à 4 ans 112) - Brest (Finistère)

 

Dans cette école neuve, aux locaux vastes, clairs, avec une cour magnifique, des pelouses, les bébés sont vite à l'aise et prennent rapidement des habitudes d'ordre et même pour les aînés quelques responsabilités (ran­gements divers).

 

De nombreux dessins : graphismes, peintures, dé­coupages, collages sont réalisés : poupées, bateaux, avions, fusées, hélicoptères (nous sommes près de l' aéro­drome), animaux, soleils, etc...

 

Pour chaque enfant, je constitue un dossier où sont rangés et datés graphismes commentés, dessins, pein­tures, découpages, collages.

 

Les enfants de 4 ans écrivent sous leurs dessins leur prénom et un mot commentaire et chacun reconnaît maintenant son prénom.

 

Nous imprimons ces quelques mots et les aînés ont plaisir à feuilleter leur petit « Livre de Vie ». Nous souhaitons les anniversaires et la vedette du jour reçoit un bouquet et un gâteau avec trois ou quatre bougies qu'il faut allumer et éteindre. Nous fêtons le carnaval, les rois, Noël.

 

Nous avons aussi des « petits amis » loin, loin, dans le Jura à Dole. Je n'avais plus l'intention d'avoir des correspondants, je trouvais ces petits trop jeunes, mais une camarade amie voulait recevoir des cartes, des objets de la mer, entendre parler de la mer... N'ayant pas trouvé de correspondante ayant des enfants plus âgés, c'est à moi qu'elle a envoyé son premier colis avec des « papillotes » de Noël, des dessins, deux cigognes en pâte à papier sur un nid, un canard. L'envoi venait de toute l'école (des petits aux grands). Les miens ont donc été très gâtés : deux grosses « papillotes » à chacun, une mangée à l'école et l'autre apportée à maman. Ils ont l'air d'avoir « compris » et le lendemain on faisait des dessins et des « lettres » pour les « petits amis », même Christian, 2 ans 1/2 ne faisait plus de dessins pour maman ou la maîtresse, mais pour « zamis » (il commence seulement à parler). Et Marcel (4 ans) qui a offert spontanément son bateau (en récréation, dans la salle au lino très glissant, c'est la mode actuellement de fabriquer avec des chutes de bois des bateaux à voiles). Il a peint son bateau, puis avec de la pâte à modeler qu'il avait dans sa poche, il a fait un petit marin et son bébé et Alain y a ajouté un drapeau (papier collé au bout du mât). Depuis, pour Pâques, les enfants ont envoyé aux petits des médaillons (coquilles de pétoncles percées et peintes).

 

Nous avons réalisé un album avec les graphismes d'Alain : « Le crocodile », puis avec ceux d'Yves : « A Alger, à Bordeaux » (hélicoptères, bateaux, auto, train). Cathy dessine aussi de belles fleurs, des maisons, on en fera aussi un album et surtout, depuis Pâques, j'ai une enfant extraordinaire, Marie-Françoise, qui aura seulement ses 4 ans fin juin ; je l'ai tout de suite re­marquée : elle dessine des chevaux surtout et diverses sortes d'animaux avec des attitudes ! (mouvement de course des jambes : 2 devant, 2 derrière, tête retournée pour regarder le ciel ou son copain derrière, selle, étriers...) et des commentaires intéressants. Marie Françoise a commencé son album, il sera beau. Elle aussi chante, improvise surtout après avoir entendu la BT Sonore : Joies. C'est joli (j'ai noté les paroles) ce qu'elle chante et aussi ce qu'elle joue sur l'Ariel (elle l'a tout de suite remarqué dans un coin de la classe). Ce serait bien utile et agréable de posséder un magné­tophone !

 

Sur deux couvertures (de petits lits de repos) en toile de jute, une rouge, une bleue, Yves et Marcel (4 ans) ont cousu des galons suivant des dessins : le sapin de Noël de Philippe, la coccinelle d'Alain, le bateau de Daniel et Yves y a ajouté un gros soleil. Sur la 3e couverture, jaune, Cathy a dessiné de grosses fleurs, Yves et Marcel des oiseaux, Martine une petite fille ; elle sera bientôt finie.

 

Pour le rangement du matériel collectif, des « res­ponsables » se débrouillent bien : Yves, Marcel, Cathy, André trient, rangent et taillent les crayons de couleur (nous avons une bonne machine à tailler les crayons). Ils trient par couleurs (12 dans chaque pochette et ils savent trouver s'il en manque, je leur ai appris qu'il faut IIII IIII IIII pour avoir le compte : initiation au calcul). On ne perd jamais un crayon.

 

Le bac à sable dans la classe : pas de dégâts ; Josiane, Martine, Marcel ramènent le sable avec le balai et remettent le mieux possible le sable dans le bac. A la sortie, c’est presque propre.

 

Le matériel en bois. J'ai eu d'abord des chutes de bois de menuisier de toutes formes et dimensions, bien appréciées, puis du Centre d'apprentissage des parallélépipèdes de mêmes tailles, des triangles équila­téraux, isocèles (que de jolies choses on construit ! des étoiles, des bordures...) Enfin, à Pâques, au Congrès, tout un lot de bois bien taillés, pouvant s'encastrer, s'attacher, des petites roues... Depuis, tout le monde se passionne aux jeux de constructions : on fabrique bateaux, avions, voitures, fusées, dames, enfants...

 

Nous avons aussi des restes de vieux jeux de cons­tructions, de cubes (cadeaux d'enfants plus grands), des plaquettes-échantillons de formica, des bobines vides de pellicules de photographes... tout cela est trié et rangé dans des cageots à huîtres peints par les enfants. Rien ne traîne quand les jeux sont finis.

 

Les poupées. Je n'en avais pas, mes anciennes élèves d'école primaire m'ont fait cadeau de vieilles poupées ; j'en ai de toutes sortes, je les ai arrangées, habillées (les enfants peuvent les déshabiller), je leur ai confectionné des lits (boîtes de chaussures recouvertes de tissu avec volants) matelas, oreillers, draps, couver­tures... et l'on est bien occupé dans ce coin.

 

Plantes. Nous avons eu une jacinthe, des boutons de jonquilles que nous avons vu s'ouvrir, des tulipes plantées en novembre dans un pneu, elles poussent en ce moment, nous en avons deux belles rouges. Nous cueillons les pâquerettes, les pissenlits des pelouses, que de beaux bouquets pour la classe ou pour maman !

 

Animaux. Trois grenouilles dans un aquarium, elles se cachent parfois dans l'eau, mais elles viennent souvent à la surface, sur le gros caillou. Nous les avons attrapées sur la pelouse.

 

Les serins : un papa titi, une maman fifi, elle vient de pondre un œuf. On les soigne, on lave les mangeoires qu'on remplit de graines (travail d'André, de Gilbert 3 ans 1/2), on apporte de la maison sucre, biscottes et même on sait à présent trouver dans les parterres et au bord de la route le mouron si apprécié des serins ; tous les jours, quelqu'un en apporte.

 

Dehors depuis Pâques, lorsque le temps le permet, on s'amuse bien car les papas (presque tous gendarmes, car nous habitons près de la caserne) pendant leurs loisirs sont venus nous faire des installations superbes : balançoires, toboggan, pyramides, cheval d'arçon... que l'on est heureux !

 

On a pris de bonnes habitudes partout ; on com­mence à bien se débrouiller pour l'habillage, le déshabil­lage.

 

Depuis Pâques, j'ai 39 inscrits, 30 à 35 présents (2 ans à 4 ans, la plus âgée est Cathy à présent 4 ans depuis décembre, quelques-uns nés en octobre et novembre sont allés dans la grande classe) tout va bien malgré l'arrivée de quelques nouveaux. Quelques pleurs, vite passés ; dans la classe où ils voient les autres occupés dans divers coins, les nouveaux s'adaptent vite, ne sont pas dépaysés et trouvent eux aussi une occupation. Seule, une petite de 3 ans 1/2, Catherine, a mis près de 2 semaines à s'habituer, elle ne dérangeait pas, mais ne voulait pas s'asseoir, enfin elle vient de se décider et la voilà heureuse, elle aussi.

 

Mme Menez

Pontanézen Brest

 

CLASSE DE GRANDS

ÉCOLE MATERNELLE DE VILLE

Liévin (P-de-C)

 

 

Nous occupons, à la périphérie d'un centre minier, l'école d'un quartier déshérité, dont les habitations à l'origine « provisoires », avec tout ce que comporte de précaire et de pauvre cette appellation, durent, certaines depuis trente ans, les plus récentes étant les baraques ayant servi aux prisonniers allemands en 1944. Entre ces deux zones, les longs corons, aux rues étroites, souvent sans soleil, à l'horizon barré par le terril tout proche.

 

Notre école bâtie il y a dix ans aussi, « d'urgence et provisoire », s'affaisse et se lézarde de partout...

 

C'est là que vivent 230 élèves et leurs 5 maîtresses : 2 cours préparatoires et 3 classes maternelles. J'ai la classe des 5 à 6.

 

Les petits viennent en classe dès leur 2ème année :

« C'est tôt ! » hé oui ! mais il n'y a guère de place à la maison pour s'étaler librement, il n'y a guère de fa­milles de moins de 4 enfants, il n'y a guère de repos et de détente pour la mère dont le premier souci est de pouvoir boucler « la quinzaine », et le père rompu par sa journée de travail à la mine (quand il ne travaille pas de nuit) n'a guère le ressort nécessaire pour s'occuper de ses enfants. Si bien que nos petits trouvent à l'école en dépit d'un handicap social certain, une atmosphère particulièrement favorable, un climat aidant au maxi­mum l'éclosion de leur personnalité. Ils traduisent tout ce qu'ils ressentent avec intensité, marquant le travail de chaque jour du cachet de leurs émotions extériorisées à tous moments et sans contrainte. Aussi est-il difficile de réglementer, d'inscrire dans le cadre rigide d'un emploi du temps, toute l'exubérance de ces jeunes vies.

 

La vie, avec sa banalité quotidienne est le support essentiel de la ligne émotionnelle et pédagogique de chaque journée. Un rayon de soleil, rare, précoce, mais si lumineux est venu troubler la grisaille de février, et réchauffer l'atmosphère de notre classe, chacun l'enfourche et c'est avec le soleil que se passe la journée.

 

C'est avec le soleil que chacun danse ce matin (à l'heure de gymnastique dit l'emploi du temps). L'école de ville à 5 classes a ses exigences et il nous faut occuper le préau à tour de rôle, c'est avec le  « Soleil Jean-Marie » que « Martine la fleur » danse le printemps. C'est encore le soleil qui éclate dans le sourire de Patricia, notre danseuse étoile, qui scintille sur le sabre de René « soldat du Soleil », dans les yeux de nos « filles-fleurs ».

 

Il nous accompagne « dans la classe ». Le voilà inclus dans toutes nos activités. On surprend son éclat partout. Il nous attend aux ateliers et les soleils naissent sous des mains extraordinairement dynamiques, sous la plume, dans les monotypes, dans les crayonnages à la peinture, aux stylos-feutres, à la terre...

 

-           Moi je voudrais écrire, dit Thérèse, sur le soleil.

-           Que veux-tu écrire ?

-           Le soleil brille, les enfants dansent, les enfants rient.

 

J'écris le texte au tableau. Thérèse n'est pas seule à copier. Peu à peu, chacun s'installe à l'atelier d'écri­ture... Pourtant Chantal veut écrire une histoire à elle qu'elle va illustrer, que je vais d'abord lui écrire au stylo feutre sur un dépliant qu'une fois terminé, elle exposera et lira à tous ses camarades, au tableau.

Nicole: Moi je compose l'histoire de Thérèse pour les correspondants.

Trois autres l'accompagnent à la casse.

Joëlle : Moi j'imprime, même des feuilles glacées qui coûtent cher, en attendant on termine le tirage de la veille.

 

Au coin d'eau, René, indifférent à l'activité des autres, mesure de l'eau, dans la bassine, dans le litre, dans une bouteille, de temps en temps il vient me dire :

- Il y a 4 petites bouteilles dans le litre. La petite boîte c'est pareil que la petite bouteille.

 

Au coffre à habits, Martine vêtue d'un long jupon, d'un vieux chapeau, armée d'un grand panier, se prépare à faire ses emplettes à l'épicerie, elle établit sa liste de commissions...

 

Antoine, à la menuiserie, fabrique un camion. Midi arrive très vite. L'après-midi nous ramène aux ateliers, et l'atelier d'écriture fonctionne activement.

 

Il faut dater nos œuvres. Un court instant d'arrêt, Muriel indique la date au calendrier, et le travail repart de plus belle jusqu'à 15h30, l'heure de la récréation.

 

Vite on range, on remet tout en ordre, et l'on se groupe autour de moi, apaisés, détendus.

 

C'est l'heure où l'on récapitule le travail du jour, où l'on expose ses expériences d'eau, ses emplettes, où l'on apporte et examine des documents, élargissant un texte libre, complétant nos connaissances sur tel animal, telle plante, tel phénomène. C'est l'heure où l'on parle des correspondants.

 

Quelle bonne journée ! il faut leur raconter. Et nous revoilà à cheval sur le soleil, et l’on raconte avec fougue, avec passion. Je laisse jaillir l’explosion et alors, seulement alors, patiemment je rectifie les incorrections, je fais préciser certains termes de vocabulaire, non pas d’un vocabulaire recherché, mais seulement la précision de l’humble langage familier, autre pauvreté de notre milieu…

 

 

Martine, toujours en mouvement (chez elle, ils sont 6 dans une seule pièce) se dirige vers le couloir.

 

- Oh ! Madame, viens voir le soleil est encore là.

 

Comme une flèche, une « barre de poudre d'or » traverse l'obscurité du couloir et vient faire flamboyer Martine qui s'essaye à marcher dessus...

 

- Regarde Madame comme elle est belle, « on voit sauter des points de lumière dans ses yeux »...

Brusquement « la barre d'or » s'éteint. Nous courons à la porte, le soleil s'est enfoncé dans le terril...

 

Nous revenons un peu éblouis, dans la classe assombrie, heureux, détendus, et Patricia chante. Quelle belle journée ! Il va falloir raconter aux correspondants ! Demain !

Déjà la journée de demain se dessine, peut-être sans soleil (il est si rare chez nous à cette période de l'année) mais gardant le reflet de l'illumination de la précédente.

On va raconter, on va illustrer, on va écrire, on va composer, on va faire un album pour les corres­pondants.

Et de nouveau l'aventure de vie recommence. Et les journées se succèdent exubérantes ou calmes, mais toujours intensément remplies par chacun, et par moi-même, attentive à suivre le plus près possible, la ligne mouvante de ses intérêts premiers.

 

Mme C. Berteloot

Ecole maternelle Vieux-Calonne

Liévin (P.-de-C.)

 

CLASSE DE GRANDS (5 à 6 ans)

Perpignan (P-O)

 

 

Il y a comme cela des journées et des semaines toutes simples. Des journées si imprévues et si riches parfois qu'on a l'impression le soir que l'on vient de vivre un moment unique avec nos tout petits.

Des journées toutes simples il y en a, et il peut y en avoir pour toutes les maîtresses d'école maternelle. Grâce à la correspondance interscolaire dont l'in­térêt réside dans l'élan de sympathie et de curiosité qu'elle fait naître, j'ai pu, cette année, vivre des journées merveilleuses.

 

Cette joie de faire plaisir, liée à l'admiration du travail d'autrui, nous a permis, en faisant.à ces échanges une très grande place dans la vie de la classe, de tra­vailler comme de vrais grands.

 

Ce travail n'a pas été dès le début un travail suivi, il l'est devenu, et par la suite, Son intérêt a grandi, voici comment :

 

5 Novembre :

Un colis arrive de Boucau (Basses-Pyrénées). Je branche le magnétophone afin de fixer pour moi et pour les petits de Boucau toutes les composantes d'une émotion et d'une joie collectives.

Une lettre collective. « Dis-nous ce qu’il y a, toi qui sais lire » demande Claire.

- On nous raconte la vie du bateau-pilote du port de Boucau.

Des dessins de bateaux.

Une carte du port de Boucau avec le bateau pilote.

Des diapositives du port de Boucau

Un texte pour chaque enfant.

La joie de mes petits est grande.

- C'est comme chez nous à Port-Vendres ? Nous aussi on a un port, mais y a-t-il un bateau pilote ?

Michel va demander à son papa.

Texte reçu de Boucau :

Le Patrick

 c'est le bateau

de mon papa.

Jean-Luc

Le texte est déchiffré presque intégralement.

Il y a un Patrick dans la classe et il est tout heureux qu'un bateau s'appelle comme lui.

Mot inconnu : Bateau.

Le texte est très vite illustré, aux stylos feutre, et des bateaux aux mille couleurs se mettent à danser sur les feuilles blanches.

Une équipe écrit, une autre découpe des bateaux en papier, une autre recherche des BT sur les bateaux, une autre ouvre une discussion sur le paquebot France.

J'écoute :

- Les bateaux c'est comme les gens.

- Il y en a des grands

- Il y en a des petits

- Le bateau pilote c'est petit.

- Mais le paquebot France c'est grand.

- Grand comment ?

- Comme l'école.

- Tu crois ?

Deux jours se passent...

 

C'est la foire à Perpignan, les petits ont dû y aller hier, jeudi. La discussion du matin s'oriente sur les manèges et :

A la foire

Il y a le manège

Des bateaux

De Boucau.

Guy

-           Les bateaux de la foire ressemblent aux bateaux de Boucau, dit Michel, et çà s'écrit pareil : bateau, Boucau.

-           Tiens, dit Marc, c'est drôle, moi, au je l'écris pas comme çà (Il vient au tableau et écrit : o).

- Dans bateau, j'entends "" eau » comme l'eau à boire, pas celle de la mer où nagent les bateaux... dit Michel.

Marc: je crois que je sais écrire auto : oto

 Sylvie: moi je l'écris comme ça : eauto

 Henri: et moi : eautau

Jean : moi : otau

 

 

Pierre: moi : oteau

 Luc: moi : auteau

Enfin on cherche et dans une Gerbe on trouve auto. Quelques enfants commencent une petite phrase avec le mot auto.

Le soir, Roger arrive, heureux, le visage épanoui :

- Voilà, dit-il, je vous apporte le France, le plus grand bateau du monde et c'est vrai, mon papa l'a dit : il l'a vu sur le grand journal en couleurs.

 

On admire une double page en couleurs de Match.

- Celui-là, il est un peu grand (Didier).

- Combien de mètres ? Tu sais toi, maîtresse ? (Philippe).

 

Elle ne sait pas la maîtresse, alors comment faire ? On va demander à nos papas pour demain et on cher­chera d'autres images de bateaux.

 

Le lendemain : lundi.

Marc est heureux : il a tellement parlé des bateaux à la maison qu'on l'a conduit à Port-Vendres.

On le charge de nous faire une petite conférence sur les bateaux.

Il a vu des bateaux :

- les petits

- les grands

- avec des moteurs

- avec des bâtons et du tissu

- ceux des pêcheurs

- ceux qui portent des gens.

- Le bateau du papa de Jean-Luc, c'est une vedette (Claire).

- On parle de hors-bords (Didier).

- Des paquebots (Guy).

- Des sous-marins (Marc).

- Des croiseurs (Jean-Pierre). Autant de mots nouveaux s'ajoutent à la liste des noms de bateaux.

Mais les petits sont intrigués par la longueur du France.

- Le commandant, il le sait lui, il pourrait nous le dire (Henri).

- C'est vrai, au fond, pourquoi pas ?

Une lettre collective va être adressée au comman­dant du France, à la Compagnie maritime du Havre. Quelle belle lettre !

- riche d'écriture !

- riche de graphismes !

- riche de bateaux !

Notre album bateau s'enrichit.

Ce matin, il se pare d'une jonque chinoise et d'une pirogue indigène.

Quelle joie, ce matin ! une grande enveloppe avec le tampon du Havre et un bateau dessus. La Compagnie maritime nous répond.

 Vite ! Une collection de gravures splendides, des paquebots qui assurent la liaison Le Havre-New York. Puis réponse à nos questions.

Le France mesure plus de 30O mètres.

- Il est drôlement grand, dit Marc.

 J'écris 300 mètres au tableau.

- C'est plus grand que la cour tout çà, avec un 3 et deux zéros (Edith).

-           Il peut pas tenir dans l'école, il nous la casserait (M.Th)

-           Dans la rue, alors ? (Philippe).

- Oui, mais jusqu'où ? (Olga).

- Ma maison, ou celle de Jacquie ?

On va mesurer, Monsieur Bonet (Ecole de garçons) nous prêtera bien la chaîne d'arpenteur.

 

On mesure, on évalue, on discute.

- Il est peut-être plus large que la rue.

- Peut-être que la cheminée du France dépasserait l'antenne de télé de Marc.

- La mer irait peut-être en plein dans le jardin de Véronique.

- Une mer dans les fleurs ce serait beau.

- Mon papa a dit que tous les gens ont une petite maison sur le bateau.

- Ça fait beaucoup de maisons : peut-être toutes celles de la cité.

 

Et quand les petits veulent parler du France, ils disent :

- Le paquebot France, il est long comme de l'école à la maison de Marc.

 

Bien souvent nous feuilletons l'album des bateaux, et nous sommes heureux.

 

 

Mme O. Salvat

Ecole maternelle, Cité des Salariés

Perpignan (P.-O.)

 

LES CLASSES-PROMENADES

chez les 5 à 6 à Brest ( Finistère )

 

Nous sommes une classe de ville et c'est peut-être la raison pour laquelle mes élèves et moi aimons beaucoup les classes promenades. Quel plaisir d'aller à la découverte tous ensemble même s'il s'agit de lieux très proches de l'école ! Les mamans qui viennent conduire les enfants ou les reprendre, sont toujours pressées, si bien que les petits connaissent assez mal les abords d'une école qui leur est si familière.

 

Aujourd'hui, nous n'irons pas loin, seulement dans notre rue, la rue de notre école et nous avons un but très précis : chercher pour Ingrid le numéro de sa maison qu'elle ne sait pas nous dire, parce qu'elle ne l'a pas trouvé marqué sur la porte. Un jour, le facteur a remis à l'école une lettre qui portait bien le nom de ses parents et le nom de la rue mais pas de numéro. A cette occasion, chacun a dit son adresse, très fier de savoir le nom de la rue, le numéro de sa maison. Ceux qui l'ignoraient se sont empressés de le noter à midi sur un papier et au retour, ils l'ont écrit au tableau pour le lire tout haut ou le faire lire par les autres si c'était difficile : 17, 39, 48, 62...

 

Seule, Ingrid n'a pas pu écrire le sien.

 

Nous voilà sur le trottoir du côté de l'école sur laquelle nous lisons 22 et en descendant la rue nous déchiffrons successivement 20, 18, 16, 14. Et Olivier remarque : « Il en manque ! » C'est vrai, tous sont d'accord. Arrivés au 2, nous traversons la rue ; nous voici du côté de chez Ingrid et le jeu recommence : 1, 3, 5 (c'est la maison d'Elisabeth), 7, puis la maison d'Ingrid effectivement, privée de son numéro, puis 11, 13, 15 (la maison de David). « Il en manque encore », dit Olivier.

 

Arrêtés devant chez Ingrid, Claude propose :

 

- C'est 8 après le 7.

- Non, le 8 nous l'avons vu de l'autre côté, dit Michèle.

- Alors c'est 10 avant le 11.

 

Mais le 10 est en face. Voilà les enfants bien em­barrassés ! Nous rentrons en classe et la discussion se poursuit, j'y mets un peu d'ordre en proposant :

- Si nous refaisions la rue.

 

Quelques enfants prennent les chiffres mobiles de grande taille pour représenter d'abord le côté de l'école et nous retrouvons les 2, 4, 6, 8, 10, 12, etc...

 

D'autres se placent en face et prennent les chiffres qu'ils ont retenus de part et d'autre d'Ingrid, qui figure sa maison sans numéro. Et chacun à son tour, énumère en passant dans cette rue les numéros d'un côté, puis de l'autre. C'est bien comme cela, il en manque toujours.

 

-           Mais non, remarque Hélène, les manquants sont en face.

 

- Ah ! oui c'est vrai ! rayonne Olivier qui l'avait entrevu dans la rue. Hélène a raison.

 

Maintenant Gérard peut lire sans manquants : 1, 2, 3, 4, 5... en traversant la rue après chaque nombre. Et il découvre le numéro d'Ingrid : c'est le 9 !

 

Cette première découverte est très vite suivie d'une seconde : lorsque Jean-Luc dit :

 

- Ce côté-là ce sont tous les nombres pairs (ces nombres sont connus depuis que nous avons compté les gants et les bottes de l'hiver 2 par 2). Et de l'autre côté ce sont les nombres impairs.

 

Quelle joie ; le jeu se poursuivra pendant plusieurs jours. J'habite du côté des numéros pairs : 30. Ma maison a un numéro impair : 19... Quant à Ingrid, elle est très heureuse et écrit un grand 9 sur un papier pour le coller sur sa porte !

 

*

 

Une autre sortie intéressante est celle qui nous a menés au port de commerce. Notre but : approcher les goélands dont Michèle nous avait parlé : ils sont gour­mands ! Son frère parti à la pêche s'était amusé à rejeter à la mer les poissons trop petits qu'un goéland avalait aussitôt.

 

- Oui ! moi, je les ai vus les goélands, ils plongent dans la mer (Marie-Noëlle).

- Bien sûr, c'est pour manger les poissons (Gérard)

- Ils les pêchent avec leur bec (Olivier).

- Moi, je les ai vus en rang au bord de la mer.

 

 

Ils avaient l'air endormis, mais quand j'ai voulu les attraper, ils se sont envolés en criant (Hélène).

 

Rires de tous à qui la même déconvenue est arrivée.

Quand vient l'heure de la gymnastique, on veut bien sûr « voler comme les goélands » et même plonger pour prendre les poissons. Les discussions sont serrées, les critiques jaillissent : « Michèle vole comme la tourte­relle, les goélands ont de plus grandes ailes et ils ne les remuent pas si vite ».

 

Nous voilà sur la route du port de commerce, elle est longue mais nous trouvons amusant de passer près de la gare, de lire l'heure à la grosse horloge, de longer un jardin public où volètent des moineaux. Parfois un goéland passe mais trop loin de nous. Voici enfin la mer bien visible mais pas toute proche ; les gros camions qui remontent du port compliquent notre arrivée. Mais nous voici au bassin que fréquentent les pêcheurs et, justement à l'heure où nous arrivons eux aussi dans leurs bateaux verts, dans leurs bateaux bleus, rentrent au port escortés de goélands qui crient. Et les remarques jaillissent :

-           Ils remuent un peu leurs ailes « comme ça » et puis ils s'arrêtent et ils glissent - comme ça-  mime Gérard.

-           Ils ne tombent pas, même s'ils s'arrêtent parce que leurs ailes sont grandes (Hélène).

-           Et puis, ils ont de l'air en dessous pour les tenir (Elisabeth)

-           C'est le vent qui les fait tenir (Gérard).

-   Pour se poser, ils tiennent les ailes toutes droites, bien levées et ils les ferment après (David).

 

- Regarde maîtresse, il y en a là-bas qui marchent sur l'eau. Non ils courent, ils se tiennent avec leurs ailes ouvertes. Ils font des grands ronds dans le ciel, ils tournent, penchés comme les avions.

 

Et le retour est lent parce que les jambes sont un peu fatiguées et que tous les yeux sont pleins d'images d'ailes battantes ou largement déployées.

 

Trop fatigués pour danser, nous dessinons les goélands le corps court, la queue petite, mais les ailes très grandes et largement recourbées. Dans le coin du bricolage, Marie-Noëlle a entrepris, bientôt suivie par Loulou et quelques autres de se faire un goéland de papier pour le faire voler dans la cour. Elle a bourré de papier journal froissé un tuyau de papier crépon gris qu'elle ficelle au bec, au cou, à la queue et deux grandes ailes blanches fixées par des épingles au corps « Voilà mon goéland ! ».

 

Le lendemain à l'heure de la danse la réussite est totale : les bras s'ouvrent très grands et battent joliment puis s'arrêtent dans un glissement très doux. Reste à trouver une musique qui se prêtera au jeu : c'est l'Adagio du quatuor K 285 de Mozart. Soutenus par la musique, les uns après les autres, les « goélands » s'envolent, virent, se posent les uns après les autres. Marie-Noëlle termine le jeu en faisant voler son oiseau de papier. Jean-Luc qui n'en a pas fabriqué noue son mouchoir plié en travers et obtient des effets d'ailes remarquables par ce simple jeu. Pendant plusieurs jours, le jeu se poursuit. Nous avons tous des ailes !

 

Nouvelle sortie, printanière celle-ci. Joëlle nous a apporté à plusieurs reprises des camélias en gros bouquets et nous lui avons demandé où elle les prenait :

 

- Dans mon jardin, il y en a beaucoup, beaucoup !

 

Renseignements pris près de sa maman, celle-ci veut bien nous accueillir tous dans son jardin où le printemps se montre généreusement. En chemin, nous jouons à regarder les numéros sur les maisons, à dé­chiffrer les enseignes des magasins, les slogans des affiches.

- C'est en majuscules, c'est plus difficile !

 

Et dans une rue voisine nous cherchons le numéro 6 qui est celui de la maison de Joëlle. Mais avant d'entrer nous tombons en arrêt devant les cerisiers fleurs plantés en bordure du trottoir : « Les belles fleurs toutes en bouquets ! toutes frisées ! les branches font des ponts ! Elles montent puis elles descendent ». Et le geste du bras suit largement, harmonieusement le mouvement des branches souples qu'alourdissent les fleurs.

 

Un moment après, c'est la joie dans le jardin de Joëlle et nous découvrons d'abord le camélia, énorme :

 

« C'est un parasol tout en fleurs et en feuilles ». Nous voilà tous dessous bien à l'abri («  comme sous une tente, une maison en arbre »)... les pieds dans un épais tapis de pétales roses que tous ramassent, empilent dans le creux des paumes, caressent avec délices. Les poiriers en fleurs plaqués contre les hauts murs du jardin émer­veillent moins les enfants qui ont suivi la floraison d'un cerisier dans la cour de l'école : « Les poiriers ont les même fleurs que notre cerisier ». Nous explorons librement :

 

Elisabeth découvre des primevères roses et rouges, Ingrid, ravie a découvert un coin sombre où fleurissent les coucous (jacinthes bleues). Mais toujours, nous revenons à ce camélia qui fait pour toute la classe un si bel abri de fleurs. Et quelle joie dans tous les yeux lorsque nous repartons, une ou deux fleurs à la main, que nous rapporterons à maman, ravie de les recevoir et offertes avec un sourire aussi triomphant. Depuis cette promenade au « jardin du printemps » comme l'appelle Elisabeth les dessins d'arbres et de fleurs sont renouvelés ; finies les branches toujours inspirées des sapins de Noël : elles sont maintenant en parasol avec des variantes : courbes montantes ou descendantes, lignes souples alourdies de fleurs et de feuilles nombreu­ses, les couleurs aussi se renouvellent, on veut du vert, beaucoup de vert et clair ! et du bleu et du rose et du jaune... Nous pouvons en rapprochant tous les dessins regarder notre jardin à nous, notre jardin du printemps : c'est un débordement. de lignes, d'herbes, de fleurs, pas un espace vide qui aussitôt ne se trouve comblé par une tache, un pétale tombé, un escargot : la vie renouvelée s'y multiplie généreusement et je regarde surprise le mouvement de ces pinceaux, de ces crayons tout à coup pénétrés de la fièvre printanière. Ce lyrisme débordant veut être partagé et nous écrivons à nos correspondants :

Nous vous envoyons

un colis de printemps

des camélias et du muguet.

Jane Rosmorduc

Ecole Maternelle, rue de la République, Brest

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