B.E.M. n°39

 

L’expression libre en classe de perfectionnement

 

par la commission de l’ICEM

sous la direction de M. Gaudin

Rapporteur Madame.. Meunier-Gérard

 

Éditions de l’école moderne française – Cannes

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OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

 

 

MA MAISON

C'est une maison,

Une jolie maison bleue,

Elle est belle avec ses volets bleus.

Pour entrer dans la maison

II faut monter un escalier.

Elle a de beaux rideaux rouges.

Elle a un beau toit jaune.

Elle a une grande et jolie porte.

(1er texte d'après un dessin)

NICOLE, 9 ans, QI 63, école annexe Toulouse

novembre 59.

 

« La maison, maman, ma sœur ou mes sœurs, mon frère ou mes frères, pépère, mémère, papa, ma poupée, la petite fille, les commissions, le chat, le chien, je suis allé ou allée..., j'ai vu, j'ai fait... » : ne voilà-t-il pas les premiers thèmes des dessins des peintures, de l'expression orale ou écrite de nos enfants de classes de perfectionnement quand ils arrivent chez nous ? Ils ont pour la plupart 7 ans et demi, 8 ans ou 9 ans, et les premiers contacts avec l'école ont été souvent difficiles. Bloqués, choqués, simplement en dehors de la communauté normale des cours préparatoires, ils sont, comme le dit Prévert, « le cancre » qui lit avec le cœur et non avec les yeux.

Ils savent parfois écrire, parfois reconnaître quelques mots, quelques lettres, et parlent avec maladresse. Souvent mal acceptés dans la famille et à l'école, surestimés ou sous-estimes, les voilà donc dans une communauté de 15, 16 élèves avec un maître différent, et libres de raconter ce qu'ils veulent.

 

Vont-ils le faire ? Comment vont-ils le faire ? Que faire pour que la moisson mûrisse bien ? Et que faire enfin de toute cette moisson apportée ?

 

C'est à quoi nous avons essayé de répondre dans des cahiers dont voici la synthèse ; synthèse imparfaite, car comment rendre compte de toutes les expériences des uns et des autres et de leur savoir-faire ? On a bien les mots, mais suffisent-ils pour montrer ce qui ne se voit pas, l'essentiel (climat, disponibilité du maître et des élèves, personnalité de chacun...) qui fait que tel procédé réussit là et pas ici ?

 

Tous les camarades ont paru satisfaits du roulement de nos cahiers qui leur apportent, bien que troublant leur travail, un moyen de confrontation et de culture.

 

RÔLE DES CAHIERS DE ROULEMENT

 

- Ils permettent de faire le point pour un certain nombre de maîtres de classes de perfectionnement, en ce qui concerne l'utilisation de la pédagogie Freinet employée avec des inadaptés (Gaudin) ;

- Ils représentent une somme d'expériences très riches et très importantes en faveur de l'enfance inadaptée (Feuillade) ;

- Ils servent de documentation ;

- Ils veulent aider les jeunes ou les moins jeunes qui démarrent dans ces classes spéciales, non pas par une stricte obéissance à des leçons, mais en montrant un chemin à prendre (Gaudin, Mme. Mareau) ;

- Ils permettent un temps de pause :

 

H. Hermet : « Oui, ces cahiers sont précieux pour nous tous et pour chacun de nous. Ils nous permettent le temps de pause, de réflexion. Ils nous obligent à repenser notre travail et à mettre en évidence ce qui serait resté dans l'ombre. Sautant d'une activité à l'autre, menant de front plusieurs occupations, j'oublie trop souvent de noter une remarque, de classer un T.L., et des richesses se perden ».

 

- Ils obligent à repenser notre travail :

 

Fourvel : « J'ai été amené à réfléchir aux méthodes que j'emploie actuellement dans ma classe, et il est bon de constamment « repenser » son travail et de ne pas hésiter à tenter à nouveau des expériences qui, dans des conditions différentes peut-être, avaient une première fois échoué, car le plus grand ennemi de notre métier et de la vie, n'est-ce pas la routine ? »

 

- Ils sont un dialogue entre les camarades, une façon d'avoir des nouvelles des uns et des autres. On aime lire ce que chacun y a écrit, même si cela est peu. « Ils remplacent le manque de contact sur le plan local avec des maîtres spécialisés » (Chabrol) ;

- Ils permettent d'écrire (pour ceux qui en ont envie) et de raconter son travail;

- Il semble qu'ils sont précieux pour tout le monde, et même si parfois ils nous ont dérangés à leur arrivée (parce que nous n'étions pas disponibles), ils se sont imposés à nous.

 

Ces cahiers voudraient faire la preuve que l'expression libre chez nos débiles n'est pas un vain mot, et que nous sommes tous persuadés de l'efficacité de cette pédagogie.

 

Nous ? Oui, mais il y a de nombreux sceptiques. Et pourtant, dans nos classes, c'est l'expression libre parlée et écrite, ainsi que le dessin, qui valorise le mieux nos enfants et constitue la base de presque toutes nos activités.

 

Elle justifie notre pédagogie.

 

 

 

OFFRANDE

 

Si l'été était là

Je prendrais un bouquet de fleurs

et je l'enverrais

à ma petite camarade

que j'aime bien.

Les fleurs seraient contentes

de voir ma camarade

que j'aime bien.

Les fleurs lui diraient

des petites choses gentilles.

Ma petite camarade

serait bien surprise

de voir les fleurs

lui parler.

Elle se réjouirait.

 

CLAUDETTE

11 ans et demi, QI 74, Troyes, 1957

 

 

 

1- LE TEXTE LIBRE ORAL

 

 

Maman a roulé la poussette

avec Lulu, mon petit frère, dedans.

Il était content.

 

CHANTAL, 8 ans, QI 56, Troyes

texte oral 17-9-1960

 

COMMENT AMENER L'ENFANT DE C.D.P. A S'EXPRIMER DÈS LES PREMIÈRES FOIS

 

Freinet écrit : « Un texte libre doit être vraiment libre C'est-à-dire que l’on écrit lorsqu'on a quelque chose à dire, lorsqu'on éprouve le besoin d'exprimer par la plume et le dessin ce qui bouillonne en nous, afin que cette création puisse contenir la spontanéité, la vie, la liaison intime et permanente avec le milieu, l'expression profonde de notre « moi »

 

Peut-on parvenir à ce résultat avec nos enfants de classes de perfectionnement ? Très souvent ils nous arrivent bloqués par des expériences négatives, par un démarrage décalé par rapport à celui des autres, refusant la lecture, l'écriture, ou tout simplement trop arriérés pour savoir lire et écrire. Ils n'ont rien de fixé de façon certaine ; il faut souvent démonter des mécanismes afin d'en construire d'autres plus solides et plus justes.

 

Le démarrage de l'expression libre de nos « arrivants » s'avère très important, et dès le premier jour nous allons laisser s'exprimer qui veut. Peu à peu s'établiront les contacts entre élèves, entre élèves et maître, et entre l'enfant et la chose écrite.

 

Yvin : « Donner la parole à l'enfant », dit Freinet. Je crois que c'est très important. Tous les matins, le président du jour donne la parole à ses camarades et chacun vient raconter ce qu'il a à dire ».

 

Nous sommes tous d'accord pour dire l'importance que nous devons accorder à l'expression parlée ; mais trop souvent nos enfants parlent à peine ou parlent très mal, à cause d'un vocabulaire faible ou de difficultés d'élocution (il ne s'agit pas ici de rechercher toutes les causes). Et démarrer peut paraître parfois décevant. Il faut alors les aider. Comme nos classes sont très variées, nos débiles très différenciés et leurs possibilités diverses, cette aide dépendra beaucoup des maîtres et du climat « coopérant » que ceux-ci auront su créer dans la classe.

 

COMMENT DÉMARRER ?

 

A. Sanchou : « C'est d'abord un climat à créer. J'ai confiance dans leurs possibilités, je leur fais confiance, nous parlons beaucoup ».

 

H. Perammant : « Oui, faire feu de tout bois, créer le climat qui favorise les conversations entre enfants, entre l’enfant et le maître, entre l'enfant et la classe. Chez nous c'est la relation de faits, le commentaire de dessins libres, le chant libre, la lettre... »

 

A Andrés : « Depuis trois ans, j'ai amené mes garçons à s'exprimer, à exposer leurs problèmes dans des conversations collectives et en aparté. Cette année, ils discutent. Au début, j'en étais contente, mais maintenant je me trouve dans l'obligation de les arrêter (oh ! pas brusquement) ; j'ai peur de me laisser trop entraîner ».

 

H Hermet : « Qui reçoit des enfants sachant lire et écrire constate que les Q1 faibles sont paralysés devant feuille et stylo. Alors, pour eux, il y a au début le texte libre oral ».

 

S Jarnier : « Pour amener l'enfant à s'exprimer, nous faisons de temps à autre une séance de conversation au cours de laquelle chacun peut dire ce qu'il désire Au besoin les silencieux sont sollicités par le simple : « Qu’as-tu fait hier ? » Parfois un petit fait de peu d'importance permet de dire : « Eh bien ! toi aussi, tu vois que c'est intéressant ! » Je crois que cette expression orale facilite et entraîne l'expression écrite ».

 

Escuyer : « Les grosses difficultés pour amener les enfants à s'exprimer librement, je les ai connues surtout  la première année, avec des gosses qui n'avaient travaillé qu'avec les méthodes traditionnelles. A l’heure actuelle, les anciens ont vite fait d'entraîner les nouveaux ».

 

Chabrol : « L'éclosion des textes ne me semble pas poser de problèmes »

 

Y. Guillaume : « S'exprimer pour le plaisir de rapporter aux autres ses joies, ses peines, ses intérêts, pour le plaisir de voir les autres s'y intéresser. Dès le premier jour, les enfants racontent et dessinent des épisodes de leurs vacances ou les amusements à la fête locale ».

 

Le rapporteur : « Dès le premier jour de la classe, le texte oral jaillit. Écoutons les réflexions des uns et des autres. Ce sont les anciens ou anciennes qui parlent. Et quand les nouveaux ou nouvelles sont là, il est rare qu'une parole ne soit pas lancée par ceux-là et celles-là. Il n'est alors que de choisir, d'écrire au tableau, et de valoriser ».

 

Yvin : « Chacun vient raconter ce qu'il a à dire. Les camarades posent des questions à celui qui parle; celui-ci répond. C'est un moment privilégié dans la classe, où se révèle souvent l'intérêt dominant ».

 

Concluons (avec Madeleine Porquet) par cette vérité qui s'adresse à tous : « Nous savons que la croissance mentale est liée au développement de l'affectivité et que l'école se doit de créer pour tous ce chaleureux climat de confiance, d'amitié, de liberté, qui permet l'épanouissement de l'élan vital et de la puissance créatrice ». (Et pour nous le « déblocage » de nos élèves !)

 

Ainsi donc :

- Le texte oral peut naître de la conversation spontanée :

 

« Ce matin, nous avons changé de classe.

Patricia a mis une jolie blouse avec du bleu,

du gris, du jaune.

Elle est belle». (Troyes)

 

- de la confidence :

« Maman a fait un beau gâteau à la crème.

II était bon ». (Marie-Noëlle, 8 ans, QI 68, Troyes

 

« Je suis allée à la cave avec Maman casser du bois. »

(Annick, 8 ans, QI 72, Vannes)

 

- de la classe tout entière qui vient de vivre un événement ;

OÙ EST-IL?

« Tu n'a pas vu mon petit frère demande Nadège ?

- Non, pourquoi?

- Je le cherche partout.

Mais le petit frère était parti à la maternelle avec un grand garçon».

(Toutes, 7-10-63, Troyes

 

- du commentaire de dessin : (procédé utilisé par beaucoup)

« Vendredi soir, maman a pesé mon petit frère sur la balance. Il était lourd».

(Claudine, 8 ans, QI 78. Troyes)

 

« Le petit homme veut attraper le soleil d'or.

La petite fille se moque de lui ».

(Gilbert, Jallieu)

 

- de l'incitation du maître :

Fourvel réunit ses élèves autour de son bureau et leur demande de raconter leurs histoires.

 

- du chant libre, de l'utilisation du magnétophone : (H. Perammant, A. Andrès, Yvin, etc.)

 

- de la correspondance ; mais ce chapitre donnera lieu à une synthèse à part:

«Je suis contente de ta lettre, tu as fait de beaux dessins. Tu as mis 5 timbres, ça me fait un problème ».

(Marie-Hélène, 10 ans, QI 71, Vannes)

 

Nous voilà donc sur le chemin de l'expression libre orale. Il reste qu'avec certains enfants ça ne marchera pas du tout, parce que trop bloqués, intimidés très fortement, trop débiles peut-être, ou nantis d'un trouble que les tests n'ont pas décelé. Là nous serons patients ; nous n'anticiperons pas sur leur maturation intellectuelle ; nous ne les bousculerons pas, mais nous leur donnerons encore un peu plus qu'aux autres. Nous serons encore un peu plus disponibles pour eux, et un jour l'étincelle jaillira. A propos de quoi ? Souvent on l'ignore, mais l'oiseau sera né.

 

A QUEL MOMENT ?

 

 Y. Guillaume : « Lorsqu'un enfant fait le matin à la maîtresse une confidence qui pourrait intéresser toute la classe, il lui est suggéré de la répéter à tous. A tout moment de la journée naissent des idées. Il faut toutes les saisir au vol en notant le sujet au cahier d'essais : un ou deux mots permettront d'y revenir le soir, en travail par atelier ».

 

Yvin : « Tous les matins ». A. Andrès : « Le matin également ». Fourvel : « Et tous les matins la même chose ».

 

A. Sanchou : « Tous les matins, demi-heure où elle viennent me parler librement ».

 

Escuyer : « Les enfants racontent au moment où nous procédons au choix, en fin de journée, des textes qui servent surtout à la lecture ».

 

Je note que le plus souvent l'expression orale se pratique le matin, et autant de fois qu'on le peut dans une semaine. A ce stade, dessins libres, textes libres oraux et lecture sont tellement mêlés qu'il est difficile de faire leurs parts respectives. On parle beaucoup pour apprendre à parler et pour apprendre à bien diriger sa pensée ; ce qui pour nos débiles est, rappelons le, très difficile à ce stade.

 

PROCÉDÉ AU STADE ORAL

 

Yvin : « Expression par le dessin. Chaque matin deux enfants dessinent au tableau et commentent ensuite ce dessin. Les camarades posent des questions. Le maître intervient si nécessaire. Cette technique très intéressante est parfois révélatrice des tendances de l'enfant et de problèmes affectifs qui le touchent. Dans ma classe, la plupart des enfants répugnent à écrire, et je crois que c'est normal. Ils voudraient raconter beaucoup de choses mais ils ont des difficultés pour écrire; l'orthographe surtout les bloque. Personnellement, je crois que l'expression orale est plus naturelle que l'expression écrite ».

 

Y. Guillaume : « Dès le premier jour, les enfants racontent et dessinent des épisodes de leurs vacances ou des amusements à la fête locale. Trois ou quatre enfants (nous n'aimons pas dépasser ce nombre) présentent leur « dessin » ou racontent leur « histoire ». La maîtresse note au fur et à mesure au tableau les titres des récits précédés d'un numéro d'ordre. Les enfants votent par bulletin secret en inscrivant sur un billet le numéro de leur choix. Les notes prises par la maîtresse sont portées au tableau avec l'aide de tous quant à l'orthographe. La discussion intervient pour donner une forme correcte au texte ainsi écrit.

 

Les I.0. de 1887 disaient: «La seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux et lui un continuel échange d'idées»,

Nous disons que l'échange doit être aussi continuel entre les enfants ».

 

Fourvel : « Je dois dire que ces premières histoires me servent pour l'apprentissage de la lecture. Je les écris par deux ou trois lignes, de la longueur d'un composteur c. 18, en respectant vocabulaire et style. Et chacun, après avoir lu son histoire, retourne à sa place l'écrire sur son cahier, puis la compose, puis la tape à la machine sur la lettre du correspondant. Une fois imprimée, on en fait un jeu de mots. Et tous les matins la même chose ».

 

H. Hermet: «Pour ceux qui ne savent pas écrire leur T.L., j'accepte de noter tout ce qu'ils veulent bien me raconter dans le courant de la journée ».

 

A. Sanchou: « J'essaie de rester le plus souvent disponible. Vite elles me font confiance et viennent me parler. Une petite vient me dire qu'elle veut écrire aussi un texte et me le « dit » ou le « dit » d une grande».

 

H. Perammant: « Classe d'initiation, j'écris sous la dictée de l'enfant. Tous les jours l'enfant dessine, raconte son histoire dessinée. Nous avons décidé que le mardi nous voterions sur des « histoires» issues de dessins, ce qui axe les T.L. vers les textes d'imagination ».

 

A. Andrès : « On parle beaucoup, et tous ces textes amènent des questions très intéressantes et des recherches fouillées. Je crois que le magnétophone y est aussi pour quelque chose. Mais je ne voudrais pas que le texte oral soit pour les garçons une solution de facilité. C'est pourquoi j’oriente tout ce que je peux vers le texte écrit, collectif le plus souvent, soit pour tous, soit pour une équipe, individuel aussi, mais quand vraiment l'enfant le désire ».

 

Escuyer : « J'utilise les textes des petits exclusivement en lecture. Les enfants les racontent au moment où nous procédons au choix des textes, en fin de journée. Néanmoins un dessin, la conversation, peuvent donner naissance à un texte que nous imprimons d'office s'il est joli ».

 

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Le rapporteur: «Je répète ce que j'ai déjà écrit au sujet de la lecture et du calcul. Il est rare que je pratique deux années de suite la même façon d'apprendre à lire et à écrire. Si l'allure générale diffère peu d'une année à l'autre, les détails sont autres, et c'est cela qui compte. II faut poser en premier lieu que, dans nos classes de perfectionnement, le texte libre ou plutôt l'expression parlée puis plus tard écrite, reste avec le dessin ce qui donne les meilleurs résultats, ce qui « glorifie » l'enfant débile, et, j'ose dire, « paie » le plus et pour l'enfant et pour nous. C'est pourquoi j'attache me grande importance à ces deux disciplines liées l'une à l'autre, qui sont à la base de notre rééducation (avec l'expression gestuelle aussi). C'est d'abord la conversation, l'échange de paroles entre la classe et la maîtresse, et entre les élèves. Une histoire est dégagée : « Oh! comme il fait beau ce matin! »

 

« Puis peu à peu les enfants dessinent sur un cahier leur histoire, chaque jour si elles le désirent. Ces dessins sont ensuite « racontés » oralement, et je constate que parfois le dessin n'a aucun rapport avec le texte oral, mais cela n'a pas d'importance. Ces histoires orales sont notées par moi au fur et à mesure que l'enfant parle (il faut aller vite!). Ensuite ces histoires sont redites par moi dans le langage enfantin, et nous choisissons celle qui va être écrite au tableau. Le texte raconté est toujours embrouillé, confus ou banal. Il faut en retenir l'essentiel, et une union entre la maîtresse et les élèves est nécessaire pour donner au propre le texte. Enrichi par les questions posées, il est transcrit au tableau. Ainsi voici l'histoire du Petit chien :

 

Une dame a donné un petit chien à maman.

Il est petit comme ça...

C'est un cocker noir et tout frisé

avec les pattes blanches.

Il est beau, beau.

On l'a mis dans un lit, près de la cuisinière,

et je lui ai donné à boire.

 

(Marie-Noëlle, 8 ans, QI 68, 1ère année de CDP, avait seulement dit : « Une dame a donné un petit chien à maman, je lui ai donné à boire ». Le reste provient des réponses aux questions des enfants et de moi, en vue du langage).

 

En résumé, nous disons que nous sommes bien obligés de tenir compte de la nature de nos classes et nous agissons à ce stade selon la variété de celles-ci. Mais l'ensemble demeure à peu près le même pour tous les camarades.

 

QUI ÉCRIT CES TEXTES ?

 

1°. Le maître ou la maîtresse, au tableau, écrit le texte en donnant à chaque ligne la longueur d'un composteur ;

2°. Le maître et les enfants, chacun des enfants écrivant ce qu'il peut, et le maître écrivant le reste, le tout se faisant au tableau ;

3°. Un enfant tout seul, les autres l'aidant ;

4°. Chacun écrit le texte à sa place sur un cahier ou sur une ardoise ; ceux qui savent épèlent aux autres ceux qui ne savent rien du tout copient après que le maître a transcrit au tableau. Travail très fructueux) de lecture et d'orthographe.

 

Qu'importe la méthode, les mots sont là pour soutenir la parole, et la relation concept parlé – concept écrit naît et s'inscrit peu à peu dans la mémoire des enfants.

 

Note du rapporteur : « Je porte l'attention des enfants sur la ponctuation et j'utilise abondamment les craies de couleur (pour la notion de phrase) ».

 

Ce matin

mes tourterelles

chantaient

deux fois.

(Françoise, 8 ans, QI 64, Vannes)

 

Quelquefois

ma tortue mange

des fleurs.

(Monique, 7 ans, QI 60, Vannes)

 

 

PREMIÈRES ÉBAUCHES DU TEXTE ÉCRIT

 

Nous voici au passage le plus délicat et le plus déroutant, mais le plus excitant aussi.

 

Yvin : « Dès que l'enfant se sent capable d'écrire, il écrit en se faisant aider par ses camarades plus « savants » ou par le maître. Il écrit au tableau. Je fais en sorte que ce passage de l'expression orale à l'expression écrite s'opère de la manière la plus naturelle, sans forçage, sans heurt. Grâce au climat de coopération, cela se passe assez bien. L'enfant écrit les mots qu'il connaît ou qu'il trouve par analogie avec d'autres mots, et appelle ses camarades au besoin ».

 

Y. Guillaume : « Puis un jour ils expriment le désir de raconter quelque chose à un moment où il n'est pas possible de les écouter. Je m'informe du sujet, et je suggère d'écrire, sous le dessin, le titre et quelques mots, afin de ne pas perdre l'histoire. Et peu à peu, au cours du second trimestre de l’année qui suit l'apprentissage, de la lecture, la plupart se lancent ainsi. Les toutes premières phrases sont, sinon bien orthographiées, du moins compréhensibles. Puis, l'attention fléchissant, le reste est difficile à déchiffrer. La transition entre le récit oral et le texte ne nous a jamais paru difficile. Pourquoi? Peut-être faut-il accepter longtemps la première forme d'expression, suggérer la seconde, mais ne jamais l'imposer, la présenter à tous comme une conquête et ne devenir exigeant que lorsque le niveau de l'enfant permet l'effort ».

 

Fourvel : « Un beau jour, plus ou moins vite suivant les possibilités, un gars se met à écrire son histoire tout seul; pas sans mal, pas sans fautes, mais tout seul; et petit à petit les autres suivent. Au début, les histoires se ressemblent un peu toutes pour un même enfant; on emploie les mêmes mots, mais on les écrit tout seul. Et l'on compte le nombre de lignes de l'histoire, et l'on cherche à écrire des histoires de plus en plus longues. L'essentiel, n'est-ce pas d'écrire beaucoup et d'avoir envie d'écrire et de trouver du plaisir à écrire ses histoires? Chaque histoire est d'abord relevée sur le cahier d'histoires, puis tapée à la machine sur la lettre du correspondant (les gosses adorent taper à la machine!). Quand une histoire s'avère meilleure que les autres, une ou deux fois par semaine, nous l'imprimons pour le journal. Moi aussi je ne travaille pas tous les ans de la même manière ».

H. Hermet: «Je leur demande d'essayer tout seuls quelques lignes et je reste à leur disposition pour donner un coup de main, pour tourner la phrase d'une façon correcte.

 

Robert, 13 ans et demi, QI 65, défauts de prononciation. Il tapait sur la table avec son poing et sur le plancher avec ses pieds et s'énervait envoyant tout au diable. Pas méchant du tout. Et chaque fois il m'appelait pour l'aider et il m'encourageait : « Oui, c'est ça, c'est comme ça que je veux dire! Voilà! c'est bien maintenant! »

Il m'appelle de moins en moins, et c'est lui qui va aider une petite fille débile, Marie-Noëlle, depuis quelque temps. C'est le côté protecteur et gentillesse qui l'a aidé. Marie-Noëlle est une fillette d'un bon milieu, bien habillée, très timide. Robert, c'est... le bulldozer, milieu fruste. L'association a bien marché. En fin d'année, je suis sûre que ses textes seront encore mieux écrits ».

 

H. Perammant : « Puis, petit à petit, l'enfant connaissant quelques mots s'essaie à les écrire lui-même ».

 

Le rapporteur : « Les premiers textes écrits se font souvent à partir du dessin que chacune fait sur son cahier chaque matin en début d'année, ou dans la journée plus tard. Dès qu'elles savent une lettre, un mot, elles écrivent ce qu'elles peuvent, quelquefois très peu, puis cela vient. Nous faisons trois ou quatre fois texte libre par semaine, ce premier groupe et moi, de préférence le matin. Un texte est choisi; les autres sont inscrits ou corrigés par moi, puis transcrits sur un beau cahier et illustrés par l'enfant. Restent aussi sous leurs yeux continuellement de grandes feuilles décorées portant leurs textes choisis, ainsi que beaucoup de mots-clés de leur langage, sous forme d'étiquettes piquées sur une grande planche.

« Au fur et à mesure qu'elles écrivent seules, les mêmes mots reviennent souvent ; cela est sans importance : l'oiseau essaie ses ailes ; puis d'autres mots surgissent, qui sont alors demandés et donnés. Peu à peu elles écrivent leur texte en laissant un trou à la place du mot ignoré. Il me reste à récrire et à le noter.

 

« Ce matin j'ai (donné un peu) de lait

à mon petit (chat)

dans une assiette.

(II a tout bu).

(II) était content.

 

(Michelle, 8 ans, 16-3-1964, Troyes,

1ère année de CDP, QI 50)

 

Les autres mots avaient été vus dans d'autres textes ».

 

DURÉE DE CETTE ÉTAPE

 

II faudrait, pour donner une réponse objective à cette question, pouvoir agir avec des éléments semblables. Or, chez nous, tout est dissemblable : la nature de nos classes, les niveaux intellectuels de nos élèves, la maturité des enfants, etc. Et là comme pour la lecture, il faut laisser chacun « suivre sa voie ».

 

Prenons un enfant de QI 50 par exemple. Suivant qu'il a 7 ans et demi ou 9 ans et demi il ne réagira pas de la même manière. L'un en est encore au stade de la maternelle, l'autre arrive au niveau CP ; l'apprentissage sera plus rapide. De même un enfant au QI 50 et un autre au QI 70 : aucun point semblable quant à la durée. De même entre un caractériel et un débile. De même entre un handicapé physique ou sensoriel et un débile, etc.

 

Chaque enfant est un cas particulier, et il semble qu'il n'y ait pas de règle générale. C'est quelquefois court (H. Hermet), quelquefois très long, avec des rechutes, des paliers et de brusques poussées. Disons avec Y. Guillaume : « Elle dépend des possibilités de l'attention et de la volonté, mais aussi du sens du rythme, lequel permet la ponctuation ».

 

J'ajouterai qu'elle dépend aussi de la motivation (voyez l'expérience avec la correspondance scolaire), du climat de la classe, du milieu social de l'enfant, du contexte scolaire, de l'imprimerie, de la disponibilité du maître qui parfois est obligé de se partager. Ainsi Michelle, 8 ans et demi, QI 48, voudrait écrire toute la journée ses textes. Je lui en construis un, puis deux, mais je ne puis toujours être avec elle. Alors elle en recopie d'autres, elle en invente avec des mots qu'elle connaît, et ceux-là n'ont aucun rapport avec sa pensée (j'en suis sûre), mais elle a écrit, écrit, écrit...

Elle dépend aussi du processus de l'expérience tâtonnée de chaque enfant;

« C'est à partir de ses expériences, de ses créations propres que l'enfant arrivera à se saisir du nouveau langage. C'est en soumettant sa production à sa propre critique, puis à la critique de ses camarades, qu'il progressera et affinera ce langage ». (Le Bohec)

 

II faut, en conclusion, laisser l'enfant arriver à la maturation nécessaire (au moins 6 ans et demi, 7 ans d'âge mental). Il est certain que les premiers textes écrits par l'enfant seul sont moins riches que son expression orale ; c'est plus difficile de « faire les mots » que de les « dire » (indépendamment de l'orthographe et de la syntaxe) et en général ces premiers textes sont courts et d'un langage très facile. Rien d'étonnant à cela: ce n'est qu'une étape, comme les premiers pas du bébé.

 

LA RÊVEUSE

 

Tous les jours, je dis à maman :

- Je voudrais une belle poupée rose.

- Non, non, non, dit maman.

- Je voudrais une poussette.

- Non, non, non.

- Je voudrais un vélo pour me promener

avec ma poupée dans les rues.

- Non, non, non, je n'ai pas de sous.

Et moi je n'ai pas de chance.

- Tu es une rêveuse, dit maman.

 

(Chantal, 12 ans, QI 53, 13-12-63, Troyes)

 

 

 

RÔLE DE LA MOTIVATION

 

Y. Guillaume : « Sans l'imprimerie qui valorise le texte ou les récits oraux, sans la correspondance qui élargit les échanges par-delà la classe, il arrive que les enfants n'aient plus d'« idées ». L'instauration de l'album de vie de la classe où sont rassemblés les textes choisis pour la mise au point en commun et les plus beaux dessins, ranime souvent un intérêt fléchissant».

 

H. Hermet: «J'ai toujours eu des correspondants; nous imprimons un journal, nous avons un recueil cartonné :Nos textes ».

 

H. Perammant: «La correspondance interscolaire agissant comme stimulant, les progrès au niveau C.E.L sont rapides».

 

Escuyer ; « Certains enfants ne trouvent pas toujours d'idées. J'interviens très modestement en faisant quelques suggestions, j'essaie de les orienter. Très souvent, dans pareil cas, je n'obtiens qu'un texte très banal, et je me demande s'il ne vaut pas mieux attendre que « l'inspiration » vienne seule ».

 

S. Jamier : « Le journal existant déjà est pour les nouveaux une bonne motivation. L'intérêt que prend le maître à la moindre expression de pensée est déjà un facteur important de la variété des sujets. L'exemple des grandes déjà entraînées... »

 

Le rapporteur: « Naturellement, la motivation est la même que pour les autres classes : correspondance, journal scolaire, cahier de vie, techniques de reproduction, planning, plans de travail, vie communautaire, promenades au dehors, climat de coopération, etc.

 

Il m'est arrivé certaines années de ne faire ni journal, ni correspondance, ni imprimerie (pour des raisons indépendantes de ma volonté) : la mine des T.L. restera toujours fructueuse, car nous baignons depuis longtemps dans ce climat, et ces arrêts momentanés ne gênaient en rien l'expression écrite. Je trouve que nos débiles parlent beaucoup, se racontent volontiers : il suffit de leur donner la parole, de les « écouter », de s'intéresser à leurs problèmes, et aucune difficulté d'élocution ne se présente. Ainsi tous les matins dix minutes au moins sont nécessaires pour « vider le sac »  des confidences immédiates. A ce niveau-là, le plaisir de raconter, de se libérer, de se valoriser dans une atmosphère de classe accueillante suffit souvent à l'expression libre. Bien sûr, leurs histoires tournent autour de la maison, de la famille, de leur estomac, de leurs sorties ou promenades le jeudi et le dimanche, de leurs jouets, des animaux familiers, de la télévision, de leurs rêves aussi, de tout le milieu immédiat que nos enfants à cet âge peuvent appréhender. Là aussi, c'est une étape qu'il faut accepter, mais par une aide « naturelle et sans heurt », en favorisant son éclatement et son élargissement ».

(H. Hermet et tout le monde)

 

LA PART DU MAÎTRE

 

Relisons l'inépuisable BEM n° 24 : « Quelle est la part du maître? Quelle est la part de l'enfant?» de E. Freinet :

 

« II est des enfants qui, avant l'école, ont lutté contre la haute digue qui a refoulé le flot de vie et qui, silencieusement, se sont adaptés à la circulation souterraine. Eh bien! essayons d'aller vers la nappe souterraine, prêtons l'oreille au moindre clapotis et, même si nous ne pouvons atteindre le courant qui se dérobe, comprenons-en au moins la réalité.

Plus spontané, moins timoré, moins limité aussi par ses pauvretés dont il n'a pas conscience, l'enfant heureusement nous montre le chemin. Dans la totalité des textes qu'il nous apporte, il ne voit que l'événement émotionnel, l'angle personnel de prise de vue, l'instant de vie profonde. Malheureusement, son émotion ne trouve souvent pas à sa disposition le mot qui l'habille, la phrase qui en déploie le rythme et qui la transpose dans le domaine des réussites définitives. C'est au maître inévitablement à aider la pensée enfantine, à « spélir», et c'est à dessein que nous employons cette expression de notre langue provençale qui veut dire : éclore avec perfection et amour comme éclôt le poussin tout beau, tout net dans son œuf ».

 

Nous sommes tous convaincus de la valeur de notre rôle à jouer, mais aussi de nos limites. Heureusement chez nous la classe tout entière vient souvent à notre secours (tous les camarades ont insisté sur la part de la classe en général). En voici quelques exemples :

 

Y. Guillaume : « En octobre 1963, Jean-Louis, QI 62, âge mental 6 ans, raconte un épisode de son séjour dans le Massif Central, chez son oncle, puis, les semaines suivantes d'autres épisodes très voisins. La classe lui reproche ce manque de variété.

Jean-Louis, à qui je n'ai rien dit moi-même, mais transcrit pour son livre de vie tous ses récits, change de sujet et relate un jeu avec son frère. Il s'agit d'amusements avec des autos-miniatures. Cinq fois il ne peut se dégager de ce sujet. La classe à nouveau le lui reproche, en lui rappelant la première série. Cependant l'un de ses récits est choisi : il s'agit d'un jeu avec un château-fort. Mais au cours de la mise au point, Jean-Louis répond affirmativement à des questions contradictoires, de sorte que personne ne sait s'il possède un ou deux châteaux-forts. Prenant conscience de ces contradictions, il reste étonné et ne peut réagir. Nous sommes en février 1963.

A quelques jours de là, un fait semblable se produit avec un autre enfant. Quelqu'un s'insurge : « II faudrait savoir!... Elle était rouge ou bleue, ta balle ? » Ce quelqu'un, c'est Jean-Louis !

Depuis ce jour, ses textes sont variés et riches. Nous entendons et nous lisons ses récits : A Blayac (aérodrome) ; A Figeac; Le petit chien; Chez le coiffeur; Les oiseaux qui chantent (notations originales) ».

 

Dans ces exemples, nous reconnaissons une des caractéristiques du débile; la difficulté de sortir d'un sujet auquel il est très attaché (d'où le rôle des exposés d'enfants et des albums) et une autre caractéristique: le manque de réalisme.

 

H. Hermet: « Claude, nouveau dans ma classe et au Centre, n'a jamais pratiqué le texte libre, n'a jamais pris la plus petite responsabilité, même pas celle d'écrire la date tous les matins. Chaque jour, même question: «Madame, où je dois mettre la date? Où faut-il tirer le trait? »

 

II écrivait des textes d'une désespérante banalité. C'était, chaque fois, son jeudi, son dimanche chez sa grand-mère, passé à jouer avec ses cousins et un petit chariot. Rien à faire pour amener une variante, et personne ne voulait de ses textes. Mais il était persévérant. Et pourtant !

 

J'essayais, et tous ses camarades aussi, de lui faire comprendre ce qu'on attendait de lui. C'est d'ailleurs chaque année le meilleur moment de notre classe: celui où les enfants, petit à petit, «sentent » ce que doit être un texte libre. Et puis un jour son texte est devenu vivant ; il y avait ce petit quelque chose qui le rendait original et personnel. Et j'ai entendu cette réflexion: « Eh bé, Madame! je crois que cette fois il a compris, c'est pas trop tôt! » Nous sommes bien revenus encore au chariot, mais il n'y avait pas «que le chariot! »

 

Là, la classe tout entière avait réagi dans un but d'amélioration et de libération.

 

 

LA TÉLÉVISION ET LES TEXTES LIBRES

 

Yvin : « Je crois qu'il faut tout accepter. La télévision, le cinéma occupent une grande place, qu'on le veuille ou non, dans la vie de l'enfant. Mais pour qui écrit-on? pour le journal? pour les correspondants? Les histoires de télévision ou de cinéma sont-elles vraiment intéressantes pour les correspondants et pour les lecteurs de notre journal ? »

 

Y. Guillaume-Chabrol : « Nous avons décidé en réunion de coopérative de les éliminer, puisque tout le monde peut voir les histoires à la télévision ».

 

Fourvel : « Je n'ai pas souvent d'histoires de cinéma ou de télévision, car peu ici ont la télévision ».

 

H. Hermet : « Raconter un film ou une émission de télévision est très difficile. Nous nous y perdons. Nous en arrivons à décider qu'on ne racontera plus ces histoires. Je n'ai pas constaté que cela les choque beaucoup. De toute façon, quand ils le désirent, ils le racontent oralement ».

 

Le rapporteur ; « Je n'avais jamais eu d'histoires de télévision jusqu'à maintenant, mais voici qu'elles sont arrivées cette année (8 enfants sur 16 l'ont à la maison). Voici ce que j'ai constaté : quand l'achat de cet appareil est récent, les histoires tournent naturellement chaque jour autour des émissions regardées, et c'est normal. Puis peu à peu les enfants en prennent la mesure et reviennent à leurs propos personnels.

 

Celles qui l’ont depuis longtemps parlent rarement par écrit de ce qu'elles ont vu, mais beaucoup en parlent entre elles à la récréation, au moment des confidences du matin, dans leurs exposés et à l'occasion.

 

Il arrive que Michelle (10 ans, QI 60) n'en sorte pas. Alors nous entendons au moment du texte libre, venant des autres : « Mais tu en as déjà parlé ; tu ne sais que raconter la télévision! » Je ne suis jamais intervenue ».

 

Quoi qu'il en soit, nous devons compter avec ce puissant moyen de culture et d'élargissement des connaissances. On ne peut négliger le pouvoir suggestif de l'image, et nos enfants y sont très sensibles.

 

Éduquer les enfants (et par contrecoup les parents) à regarder d'une manière constructive la télévision pourrait aussi être dans notre rôle. Mais il faut être prudent et sans illusions. L'avenir nous permettra peut-être de juger des relations entre le texte libre et la télévision.

 

LA TÉLÉVISION (1er jet)

 

« Jeudi, en me promenant sur le chemin de l'hôpital à vélo avec mon camarade Bernard, un grand-père nous dit : « Venez, je vais vous allumer la télévision ».

Nous entrons dans une salle où il y avait des grands-pères.

Nous nous installons dans un fauteuil chacun.

Nous avons vu comme films : Ivanhoé, Joé chez les abeilles, et en dernier lieu Les deux lampes. C'était beau.

Jeudi prochain, nous y reviendrons ».

 

(Christian, 13 ans et demi, QI 72» Decazeville,

3 ans de CDP, janvier 1964)

 

 

 

2- LA RÉDACTION DU TEXTE LIBRE

 

Il était une fois

un pauvre petit gars

qui s'en allait dans la forêt

regarder l'arbre qui pousse

sans arrêt... sans arrêt...

Il poussait... poussait...

Il disait:

«Je suis tout triste!

tout triste! »

 

(Marie-Hélène, 10 ans, QI 74, Vannes)

 

OÙ LE TEXTE LIBRE EST-IL RÉDIGÉ?

 

Yvin: «La plupart des enfants rédigent en classe le matin, quelques-uns à la maison. Ces derniers sont rares. Personnellement, j'aime autant qu'il en soit ainsi : quand l'enfant écrit à la maison, on sent trop la part des parents ».

 

Vemet : « Oui, en classe ou à la maison. A la maison c'est un risque, mais quand les enfants sont habitués au T.L. et le maître vigilant, ils éliminent les textes qui « sentent » les parents, et ceux qui s'étaient fait aider savent ensuite défendre leur liberté d'écrire sans aide. J’en ai des exemples tous les ans».

 

Y. Guillaume : « Textes dessinés ou écrits en classe à tout moment, et plus particulièrement le soir à l'heure du travail d'ateliers (4 h à 5 h).

Lorsqu'un texte arrive de la maison, je dis à l'enfant que je le range dans la chemise intitulée « A lire », mais que j'aimerais qu'il le récrive seul, ce qu'il fait toujours volontiers, comme s'il n'aimait pas trop ce texte où apparaissent tellement les formes d'expression des adultes ».

 

Fourvel: «A mes grands (c'est-à-dire ceux qui savent lire) je demande un texte libre tous les lundis, qu’ilsfont au brouillon en classe sur une feuille volante (brouillon que je corrige moi-même chez moi) ».

 

H Hermet: «En classe, rarement à la maison quand l'élève le désire, mais ceci n'est pas chose courante. Nous lisons les T.L. le lundi matin et le vendredi matin. Je leur ai dit qu'ils pouvaient l'écrire quand ils voulaient, mais ils me disent souvent : « Madame, j’ai un texte pour lundi, je le garde dans ma tête ! »

 

A Sanchou : « Le texte libre est rédigé en dehors de la classe par les grandes à leur demande: « On est plus libre! » Mais les petites l'écrivent en classe pendant les heures de travail libre ».

 

H. Perammant : « En principe, il est convenu avec les enfants que le soir chez elles, elles ont un travail de recherche à faire pour les problèmes libres, pour les textes libres. Les quelques niveaux CEI de la classe écrivent leurs textes à la maison, en classe. Les petites dessinent ou ne font rien ».

 

A. Andrès: «Au cours des conversations, chacun note ses idées de texte libre et rédige celui ou ceux qui l'inspirent le plus. Là encore, certains enfants ont 4 ou 5 textes, et d'autres aucun. Textes rédigés rarement à la maison, mais en classe n'importe quand, dès qu'il y a un moment de libre ».

 

S. Jarnier : « Le T.L. est rédigé en classe actuellement. Cependant ce n'est pas une règle rigide, et tout élève qui exprime le désir de rédiger son texte à la maison peut le faire, car il a déjà son idée ».

 

Escuyer: «Le texte est, le plus souvent, rédigé en classe, pendant les temps libres. Cependant je n'interdis pas la rédaction à la maison, à la condition qu'il ne soit pas l''œuvre de quelque parent».

 

Chabrol : « Textes rédigés en classe lundi et vendredi par les grands, mardi et samedi par les petits, le matin en rentrant. Ils écrivent parfois aussi pendant les moments de travail libre. Les petits auraient souvent des histoires à faire écrire à d'autres moments, mais je n'en trouve pas le temps matériel ».

 

Le rapporteur : «.II y a celles qui savent écrire, et en général cette étape arrive assez vite tant elles ont hâte d'écrire leurs textes et non de les « dire », pour faire comme les grandes. Le T.L. est rédigé en classe, rarement à la maison, le matin de préférence ou à un autre moment de la classe pour celles qui manipulent bien leur plan de travail; quelquefois le soir entre 5 et 6 h, heure du cours. Quand la classe connaît bien la façon d'utiliser les plans de travail hebdomadaire et journalier, il n'y a aucune difficulté pour la rédaction du T.L. Elle se fait à tout moment, et même si quelque grande ou moins grande le fait à la maison, cela n'a pas d'importance: l’essentiel est qu'elle ait voulu se « réaliser » pleinement dans son travail. Je ne rejette nullement le travail à la maison».

 

Il semble que pour nos classes, dont le contenu est tellement variable, il n'y ait pas de règle générale quant à l'élaboration du texte libre écrit. Il se fait le plus souvent le matin en classe, parce que 1’enfant est frais, reposé et plus spontané; mais il peut s’écrire aussi n'importe quand, et parfois à la maison. Le tout est - comme le soulignent de nombreux camarades - que l'enfant écrive, écrive beaucoup, comme il a parlé beaucoup, s'il a envie de le faire.

 

SUR QUOI EST-IL ÉCRIT ?

 

Yvin : « J'utilise beaucoup les tableaux pour le dessin et aussi pour le T.L. L'enfant écrit son petit texte; quand il a fini, ceux qui veulent l'aider interviennent pour corriger ses fautes. Quelquefois un camarade qui ne veut rien écrire collabore à la rédaction du texte. Parfois même un garçon oui ne semble pas s'intéresser au texte écrit intervient : «Le en de rendre, c'est le en de vent...» ou: « Appeler prend deux p ». Ce n'est pas un travail en équipe, mais c'est un travail fait dans un climat de coopération ». (En dehors du tableau, Yvin utilise un cahier spécial: Cahier d'essais).

 

Vemet : « Les T.L. sont écrits sur un cahier 1er jet, parfois repris ».

 

Y. Guillaume : « Les 1er jets sont écrits sur feuilles volantes ».

 

Fourvel : « Je fais écrire tous les textes au brouillon en sautant une ligne, de manière à permettre une correction plus facile ».

 

H. Hermet: «Ils écrivent sur des feuilles volantes et sur du papier différent suivant leur acuité visuelle ».

 

A. Sanchou: «-Le T.L. est rédigé sur une feuille; s'il est trop mal écrit, je demande qu'il soit refait, mais cela se présente rarement ».

 

Pour H. Perammant, un cahier d'essais ; A. Andrès, un cahier de textes; Jamier, un cahier où les textes sont écrits une ligne sur deux; Escuyer, un cahier d'essais.

 

Chabrol : « Un cahier spécial, toutes les deux lignes pour que je fasse les corrections, et quand ils ne l'oublient pas, toutes les deux pages».

 

Le rapporteur : « Les T.L. sont écrits sur un cahier « premier jet » auquel je donne souvent une couleur pour le reconnaître vite. Les petites, après la phase « Textes oraux », continuent à dessiner leurs textes, puis les écrivent tant bien que mal. Après un an ou un an et demi, dans ma classe, sauf pour de grosses débiles, elles écrivent directement leurs textes. Quant aux grandes, elles sont sauvées ».

 

La technique du « premier jet » semble la même pour de nombreux camarades. L'enfant écrit s'il a envie d'écrire, mais il sait que ce qu'il a écrit spontanément n'est parfait ni dans sa forme ni dans son orthographe. Il accepte de le faire en vue d'une correction individuelle ou collective, et c'est cela qui importe.

 

COMMENT LE T.L. EST-IL RÉDIGÉ?

 

Collectif ou individuel?

Yvin : « Le jour du T.L. des élèves travaillent aux tableaux et d'autres à leur place. Ce n'est pas ordonné, très calme; il se forme quelquefois des groupes de 2 ou 3 élèves. De plus, il y a ceux qui interviennent de leur place. Mais c'est un travail profitable, obligeant l'enfant à un effort, à une recherche ».

 

Vernet : « Les enfants rédigent à 2 ou 3 au maximum pour des textes genre « Notre vie » ou comptes rendus ou réponses aux questions posées par les correspondants. Les grands seulement procèdent ainsi (c'est-à-dire les élèves plus évolués mentalement). Pour les T.L. : rédaction seuls ».

 

Fourvel utilise le magnétophone : « Depuis le début de cette année, je souhaiterais qu'avant le lundi chaque élève enregistre sur bande magnétique son T.L. Ensuite nous l'écouterions tous ensemble pour en faire la critique (incorrections de langage, répétitions, passages peu intéressants, histoires banales à rejeter), mais au point de vue matériel nous n'arrivons pas toujours à le faire, ou seulement pour quelques-uns. Pourtant ce procédé est intéressant, car l'enfant se livre plus facilement oralement et a une vue d'ensemble sur son histoire. Au micro, il la fait même vivre avec des intonations très justes qu'on n'obtient pas à la lectures

Certains utilisent le magnétophone d'une autre manière: ils enregistrent leur histoire, puis l’écoutent par bribes, et au fur et à mesure l'écrivent sur leur brouillon, comme le fait une secrétaire dont le patron a enregistré la correspondance sur une bande ».

 

H. Hermet : « II leur est permis de rédiger un texte à 3, 4 ou 5, quand il est question d'écrire quelque chose pour le cahier de vie de la classe. Certains enfants très handicapés visuellement sont lents pour rédiger et ils préfèrent dicter à un camarade mieux voyant. J'en ai un, aveugle, qui trouve cette méthode plus rapide que d'écrire tout son texte en Braille».

 

A. Sanchou: «Souvent une petite demande l'aide d'une grande pour l'orthographe, la rédaction d'une phrase ».

 

A. Andrès: «II arrive fréquemment qu’un enfant ayant rédigé 2 ou 3 textes en donne un à un autre qui n'a pas d'idée. Dans ce cas, comme c'est en général pour un plus petit, le grand écrit son texte sous sa dictée ».

 

Le rapporteur : « En général, l'enfant écrit seule son texte quand elle en est capable. Il arrive par fou que deux élèves rédigent un texte ensemble, soit qu'elles aient vécu le même fait, soit que l'une des deux soit fatiguée, soit qu'une grande aide une petite, surtout dans le cas de lettres à faire. Certains textes sont réalises collectivement: comtes rendus, notre vie. fait social vécu par toutes. album, poème, etc...»

 

En cette matière, la nature et l'hétérogénéité de nos classes conditionnent la façon de faire des enfants. Il y a partout un climat de coopération, d'aide mutuelle mais il semble que nos débiles, tout en recherchant l’aide des autres, aiment écrire leurs textes, raconter eux mêmes leurs propres histoires pour parler aux autres naturellement,, mais aussi avec le sentiment qu’ils prennent plus conscience d'eux-mêmes et de leurs possibilités.

 

Chez la plupart de nos camarades, les T.L. sont écrits spontanément, au tableau ou sur cahiers, dans un climat de création et de coopération, et là aussi comme pour tout notre travail, de motivation Nous invitons souvent nos enfants à penser ce qu’ils vont dire et pour qui ils vont le dire, avant d’écrire leurs TL. Nous leur faisons prendre conscience de l’importance de cet acte de « création littéraire et intellectuelle ». Nous essayons de les mettre dans un climat de liberté tel que leur spontanéité et leur naïveté soient sauvegardées, mais nous leur demandons décrire le mieux possible.

 

C'est pourquoi des camarades usent largement des dico CEL, des dictionnaires de tout genre, des cahiers de vocabulaire, des feuilles avec les mots de vocabulaire courant, etc, afin de fournir aux enfants un matériel où ils pourront puiser leurs mots et leurs corrections. L'aide des plus évolués intellectuellement et du maître est extrêmement importante et se donne largement.

 

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« Il faut d'abord et avant tout arracher l'enfant à la crainte, à l'angoisse, le déconditionner de l'échec, dit Gaudin, et cela en lui donnant les moyens de se « réaliser ».

 

Il est enfin possible que l'emploi d'un magnétophone dans une classe change totalement l'aspect de celle-ci et constitue un moyen de travail extrêmement enrichissant.

 

ÉCRITURE UTILISÉE

 

Yvin : « La plupart des enfants qui arrivent dans ma classe écrivent en cursive. Ils continuent».

 

Vernet : « Je prends les enfants comme ils m'arrivent, soit d'une classe normale, soit de la classe de perfectionnement, avec l'écriture qu'ils connaissent. La majorité écrit en lié. Quelques-uns, qui ont des difficultés motrices, écrivent en script ».

 

Hermet: « L'écriture est en général liée (question visuelle là aussi) ».

 

Perammant : « Écriture liée ».

 

Le rapporteur: « Écriture script, plus belle, plus claire, aérée, propre, plus compréhensible, en relation avec l'imprimerie ».

 

Tous les camarades n'ont pas répondu à cette question, et les deux formes d'écriture (script ou liée) sont utilisées.

 

PRÉSENTATION DU TEXTE PREMIER JET

 

Yvin : « je ne m'astreins pas trop à surveiller la présentation du texte ou la propreté».

 

Vernet : « Je demande un minimum de propreté. Les plus grands arrivent à créer leur texte au Ier jet, à aller à la ligne, à faire des paragraphes, comme nous faisons ensemble lors des corrections des T.L. »

 

Y. Guillaume : « Les enfants sont invités à relire leur 1er jet pour examiner si les idées sont séparées par des points et rédigées dans un ordre convenable, puis à relire pour vérifier l'orthographe, en particulier les pluriels. Mais il faut être très prudent. Ce qui importe, c'est que l'enfant écrive; il ne faut pas le lasser en l'astreignant à des recherches au-dessus de ses possibilités ».

 

Fourvel lit les premiers jets et souligne les incorrections qui seront corrigées par l'enfant : « II est certain que les corrections que je demande à l'élève de faire lui- même sont fonction de ses possibilités (et l'aide que j'apporte aussi) ».

 

H. Hermet : « Je demande, je réclame la propreté ! Certains y arrivent, mais pour d'autres, écrire est un tel effort que je n'ose pas toujours être exigeante comme je le devrais. Ce qui importe avant tout, c'est que l'enfant écrive, sinon, avec nos caractériels, nous pourrions attendre longtemps leurs textes si nous montrions trop d'exigences ».

 

Gaudin : « Avec nos débiles profonds, si l'on est trop exigeant pour la forme, les enfants se lassent vite d'écrire. Il faut surtout exalter les histoires que chacun raconte ».

 

A. Sanchou : « Les grandes en général présentent des textes propres, clairs. Quant à l'orthographe et à la ponctuation, il y a beaucoup à faire. Je me demande si elles sont réellement capables de faire seules un travail de mise au point ».

 

H. Perammant (qui a surtout des petites) : « J'écris très vite sur le cahier d'essais de chacune son texte, ou pour les CE1 je corrige les fautes d'orthographe ».

 

A. Andrès : « On me présente un brouillon que je corrige avec l'auteur, qui essaie d'améliorer certaines phrases et qui recopie le tout sur un cahier de textes, proprement, où il pourra lire son texte s'il le propose au vote ».

 

S. Jarnier : « Après le 1er jet, je fais faire une correction orthographique: mots d'usage et règles simples ».

 

Escuyer : « J'indique à l'enfant les fautes les plus grossières, tout en lui laissant le soin de trouver son erreur et de la corriger ».

 

Chabrol : « Je corrige surtout les fautes de grammaire. J'élague un peu, mais je ne m'acharne pas sur la forme ».

Le rapporteur : « Les textes, grâce à l'utilisation des dictionnaires, sont au départ déjà bons, sans trop de fautes, clairs, aérés, soignés et de correction facile.

Après lecture de la maîtresse avec l'élève, je souligne parfois les fautes faciles à corriger (mais pas toujours). Je fais relire, s'écouter relire au-dedans de soi. Mais il reste qu'avec les débiles de QI 50 à 60, les fautes sont nombreuses, l'élaboration touffue, la disposition laissant à désirer. Qu'importe ! il faut écrire, écrire, répéter, etc. Plus on fait de textes, plus on s'améliore, et avec nos débiles c'est plus que nécessaire. Elles font 3, 4, 5textes par semaine, et tout est corrigé, recopié, mis au net, dessiné. C'est par tâtonnement qu'elles arrivent à s’exprimer. Pendant un certain temps, il faut accepter ces textes mal présentés ».

 

Dans l'ensemble, les camarades demeurent peu exigeants quant à la forme, l'orthographe, la ponctuation, etc, des textes spontanés. Là aussi, nous jugeons selon les enfants que nous avons et les possibilités de nos classes. Trop d'exigence nuirait à la spontanéité; Mais la négligence excessive conduirait vite à la licence. Notre but est tout de même d'apprendre à écrire correctement: un minimum de correction est nécessaire, et cela s'acquiert par le travail en commun, par l’utilisation tâtonnée de tout un matériel mis à la disposition des enfants, et par ce climat de liberté que nous laissons régner dans nos classes.

 

Je suis chaque année stupéfaite - et pourtant j'ai de l'âge ! - de constater la facilité avec laquelle s’élaborent les textes libres, la richesse et la variété de ceux-ci, comment d'un fait minime elles tirent un maximum et comment elles ne se lassent jamais d'écrire. Pourquoi ?

 

QUE DEVIENNENT CES TEXTES?

 

Ils sont lus en vue d'un vote, et quelques-uns seront corrigés collectivement.

Ils seront corrigés par le maître et récrits par l'enfant sur un beau cahier.

Ils seront envoyés aux correspondants.

Ils seront laissés tels quels.

 

EXEMPLES DE CORRECTIONS sur des T.L. écrits – 1er jet

 

1°. De Patrick, 12 ans, QI 73, École Paul-Bert, St-Nazaire, 18-9-63 :

 

« ce matin la coure est plaine de feuirre et le concierge les ramase ».

 

Ce matin

la cour est jonchée

de feuilles.

Le concierge les balaie

et il emplit sa brouette.

 

2°. De Philippe, 12 ans, classe de Gaudin, 1-10-63 :

 

« J'ai était à la promenade pour ramasser des fleurs et des champignons on a courus antoine est monté sur l'arbe et après il est desendus pour attrapé de l'accacia en n'e revenus en classe ».

 

Je suis allé à la promenade pour ramasser des fleurs et des champignons. On a couru. Antoine est monté sur l'arbre, et après il est descendu pour attraper de l'acacia. On est revenu en classe.

 

3°. De Chantal, née le 21-9-50, QI 67, Troyes, entrée en CDP septembre 1960, texte écrit le mardi 5 juin 1962 :

 

UNE VRAI(E) PETITE MAMAN

Annie déclare :

- Chantal, tu es une vrai(e) petite maman parce que tu lave(s) ta blouse tou(te) seul(e).

- Oui Annie.

C'est maman qui m'a(vait) dit de lave(r) ma blouse. Quand j'ai eu terminé, je suis allé(e) la t(p)endre au soleil pour qu'elle soit (sèche) pour demain à l'école. Quand j'ai eu terminé de lavé (faire mon travail) maman me dit :

- Tend(s) la main et ferme les de(ux) yeux.

J'ai ouvert (ouvre) les yeux je vois 1 F.

Je (lui) (est) dit(s) : « Merci(e) maman ».

Après (puis) je suis allé(e) dehors avec Annie et José.

 

 

- Entre parenthèses, les corrections de l'enfant demandées par la maîtresse ;

- Entre parenthèses italique, les corrections faites par la maîtresse.

 

Ce texte fut recopié sur le Cahier de textes libres. Certaines répétitions ont été laissées à dessein.

 

3- CHOIX DU TEXTE

 

 

C'EST L'HIVER

 

C'est l'hiver, les feuilles craquent.

Les feuilles sont jolies, c'est la pauvre saison.

Le printemps reviendra,

on écoutera le coucou,

il chantera si bien.

On pourrait bien faire une belle chanson.

 

(Annie, âge réel 10 ans, QI 71, Vannes)

 

Quel moment excitant et riche que celui où l'on écoute tous les textes écrits l'instant d'avant et où le choix va se faire ! C'est comme une œuvre intense qui naîtrait sous les doigts d'un peintre aux multiples mains.

 

CORRECTION

 

Yvin : « Lundi matin, travail collectif « Notre Vie » Mardi, vendredi : mise au net du T.L. ; mercredi, correspondance ».

 

Vemet : « Théoriquement, lundi, vendredi : mise au net du T.L.; mercredi matin, correspondance. Mise au net de 4 T.L. par semaine en général ».

 

Y. Guillaume: « Quatre fois par semaine, dans la matinée, consacrées à l'un ou l'autre groupe (textes oraux ou écrits) proportionnellement au nombre d'enfants de chacun d'eux».

 

D. Laine: « Quatre textes par semaine (2 oraux et 2 écrits) ».

 

H. Hermet : « Deux fois par semaine, lundi et vendredi matin avec correction immédiate».

 

Gaudin tente cette année une façon nouvelle: «Pour remédier à la dispersion de l'intérêt sur 4 textes différents dans la semaine, j'ai tenté ceci : A partir du texte écrit et corrigé collectivement au tableau (ou du texte oral), dès que le texte définitif est terminé, je rédige avec les seuls petits sur un autre tableau une version résumée, ou bien j'en extrais quelques lignes, ce qui forme le texte des plus jeunes ».

 

Donc un texte unique avec deux versions adaptées au niveau des enfants.

 

A. Sanchou : « Deux textes par semaine, 1 pour les grandes, 1 pour les moyennes ».

 

H. Perammant : « Correction journalière (classe d'initiation) ».

 

A. Andrès : « Trois groupes de travail, donc 3 textes à choisir dans la semaine».

 

Escuyer : « Nous corrigeons 3 textes par semaine ».

 

S. Jamier : « En règle générale, 2 fois par semaine ».

 

Chabrol : « Choix : lundi et vendredi, grands ; mardi et samedi, petits ».

 

Le rapporteur : « Choix, moment, corrections, etc, dépendent des groupes de travail, des années, des QI, des intérêts de l'année, et je ne procède pas toujours de la même manière.

Quand la classe est à dominante 1er degré, je fais T.L. tous les jours avec les petites et 1 fois avec les grandes. Dans un cas contraire, je ferai 2 textes avec les grandes, moins avec les autres. Mais en règle générale je travaille beaucoup, beaucoup avec les débutantes qui deviendront des « grandes ». De plus, avec le plan de travail, chacune fait 1 ou 2 textes par jour ».

 

Dans l'ensemble, il semble que l'on ne choisisse pas moins de 2 ou 3 textes par semaine, lesquels seront corrigés collectivement, exploités, imprimés et figureront au journal. Là encore, nos classes comprenant tous les degrés, il faut trouver des solutions de compromis qui ne lèsent ni les petits ni les grands et qui puissent rendre notre travail intéressant. Bien souvent, c'est en tâtonnant nous-mêmes, les maîtres, que nous arrivons à quelque solution d'équilibre que le nouveau visage de la classe obligera à réviser l'année suivante.

 

MOMENT DU CHOIX

 

De nombreux camarades font ce choix le matin:

 

Yvin : « Le matin. Une histoire choisie le soir n'a parfois plus le même intérêt le lendemain ».

 

Vemet: «Le matin. Mise au net aussitôt après».

 

Laine : « Pour les textes oraux, le matin ».

 

H. Hermet : « Le matin, et aussitôt après correction en commun ».

 

H. Perammant : « Le matin en rentrant ».

 

Chabrol : « En début de matinée ».

 

Ou bien la lecture des textes se fait le soir ou dans l'après-midi, suivie du choix par le vote, et la correction a lieu le lendemain :

 

Y. Guillaume : « En fin d'après-midi, après la rédaction des textes ».

 

A. Sanchou : « Nous les choisissons le samedi après-midi, car cette demi-journée là est consacrée aux activités libres de toutes sortes, et en plus : coopérative et élection de deux textes».

 

S. Jamier : « Vote le soir et mise au point le lendemain matin ».

 

Escuyer : « Nous votons la veille, en fin d'après-midi, et travaillons sur le texte le lendemain matin ».

 

Le rapporteur : « Cela dépend des groupes avec lesquels on fait T.L. Avec les débutantes, oralement ou par écrit, le choix se fait le matin pour que le travail de la journée soit fructueux. Avec les grandes cela a peu d'importance : quelquefois le matin, quelquefois l'après-midi ou le soir. Ce qui compte c'est la correction, qui doit se faire avec des enfants reposés : elle a donc lieu chez nous le matin, en général le mardi».

 

La nature de nos classes conditionne là aussi notre façon de faire. Quant au vote, il a lieu pour beaucoup à mains levées, ce qui, de l'avis des camarades, est plus rapide, plus franc, plus pratique aussi. Tous les enfants ne savent pas écrire. Douze camarades pour le vote à main levée ou à l'ardoise, contre 4 pour le vote secret (sur 16 qui ont répondu à cette question).

Dans nos classes coopérantes, où les facultés de juger et de raisonner font souvent défaut, le vote à main levée nous semble être une façon de « prendre ses responsabilités » devant un fait scolaire, et un moyen parmi d'autres de formation du caractère.

 

INFLUENCES MUTUELLES ET RIVALITÉS

de bandes sur le choix du texte

 

Yvin : « Lorsque le texte intéresse toute la classe, pas de problème. C'est lorsque le choix est difficile que les enfants peuvent s'influencer mutuellement. Cela arrive rarement. Le problème des rivalités de bandes ne se pose pas. Qu'il y ait des rivalités personnelles, c'est certain, mais ce n'est que passager. Les enfants, au contraire, font preuve d'un souci réel de justice. Il m'est arrivé de voir un enfant se faire critiquer sévèrement en réunion de coopérative, et avoir son texte choisi deux jours plus tard ».

 

Vemet : «Pas de rivalités, ou rarement».

 

Y. Guillaume : « Nous ne connaissons pas d'exemples de rivalités. Il semble que le vote secret fasse taire par avance d'éventuels reproches ».

 

Laine : « Jamais de rivalité ».

 

H. Hermet : « Les enfants ne s'influencent pas tellement dam leur choix. Il m'est arrivé d'avoir un «dur» qui voulait s'imposer, mais il n'était guère suivi et, réduit à l'unité, il était vite annihilé».

 

A. Sanchou : «  Je crois à une influence momentanée, car le meilleur finit toujours par triompher, quelquefois après discussion ».

 

Perammant: «Pas d'influences mutuelles: beaucoup de caractérielles et d'égocentriques encore ».

 

Escuyer : « Au début, on votait davantage pour le camarade que pour le texte, mais on s'est aperçu qu’on choisissait ainsi des textes qui ne présentaient plus aucun intérêt une fois la mise au point commencée ».

 

Le rapporteur : « Avec les petites et jusqu'à 11-12 ans, chez mes filles, il n'y a pas de rivalités, ou vraiment très peu. Il y a certes des influences, et cela est inévitable, peut-être aussi est-ce souhaitable. Par contre, de 13 à 14 ans, la crise de puberté aidant, nous avons parfois des rivalités. On ne choisit pas telle camarade parce que... même si on reconnaît que son texte est excellente Mais je crois que cela est normal et se passe surtout dans les moments de fatigue, de changements de saisons et d agressivité « physiologique ».

 

Pour cela aussi, la création du climat coopérant, la valorisation de tous les enfants d'une classe et la motivation de leur travail aident à résoudre ces influences mutuelles et ces rivalités nées de la nature même de nos enfants, lésés dans leur intelligence et dans leur corps.

 

CRITÈRE DU CHOIX

 

Pour l'ensemble des réponses, j'ai noté :

- originalité du thème ou des détails ;

- situation comique ;

- textes documentaires ;

- intérêts communs ou de saisons;

- sensibilité du texte ;

- sincérité ou beauté du texte ;

- celui qui plaît ;

- mais aussi affinité, camaraderie, plus rarement faits sociaux.

 

« Ainsi cette année, avec les grandes, voici dans ma classe à tous les cours quelques thèmes exposés :

 

De bonnes vacances {21-9-63) - Une farce (comique) (1-10-63) - Erreur (comique) (8-10-63) -Quelles camarades ! (un événement de notre classe, 15-10-63) – Les feuilles (saison, 18-10-63) - Les mineurs seront-ils sauvés ? (fait social, 5-10-63) - Un beau rêve (Noël, 19-11-63) - Les jouets (Noël, 26-11-63) - Pensée triste (poétique, 27-11-63) - Rêve de forêt (évasion, 13-12-63) – Veille de Noël (4-1-64) - Jour de bonne année (7-1-64) - Ville dans un voile (la neige, 13-1-64) - Thierry et son amie (un petit frère et une petite fille à la maternelle, 3-2-64) - Les vitrines de masques (3-2-64) - Un vent rude (le vent, 17-2-64) - Là-bas (relation de voyage, 18-2-64) - Aux foires (les foires de mars chez nous sont très importantes, 24-2-64) - Une apprentie-serveuse (expérience dans un café, 3-3-64) - Quel amusement ! (on va tirer les sonnettes, 16-3-64) - La chambre à farine (description, 17-3-64) - Dans les rayons du soleil, et Poésies (printemps, 14-4-64) - A l'exposition (fait de la ville, 27-4-64) - Les tulipes (fleurs, 8-5-64) - Avec bien du mal (attitude devant la classe, 15-5-64) - Pour Maman, et une maman gâtée (fête des Mères, 1-6-64)».

 

En résumé, les critères de choix de ces textes paraissent être les mêmes que ceux des autres classes d'enfants adaptés. Chez nous où le climat est encore plus coopératif, le choix se fait aussi pour aider une camarade, pour la valoriser. Les enfants de nos classes aiment avoir des textes de toute la communauté dans le journal et le livre de vie. Si un enfant a rarement un texte choisi à cause de ces impondérables qui nous échappent à nous les maîtres, le président de la coopérative ou un autre camarade intervient alors pour qu’on le choisisse. Et même si ce texte est touffu, difficile de correction, il sera quand même mis au point pour l'aide morale ainsi apportée. L'essentiel est que l’on donne envie d'écrire (comme de lire).

 

RESPECT DU CHOIX

 

Le maître participe au vote du texte choisi, mais n'intervient jamais dans le choix qui vient d’être fait. Ce sont les enfants qui discutent de ce choix, et c’est grâce au rôle de la coopération que peu à peu ce vote se fera en vue d'un enrichissement collectif, d’ordre intellectuel, affectif ou sentimental. Mais malgré nous notre personnalité, notre façon de faire la classe, nos habitudes, orientent obligatoirement nos enfants, qui sont par nature influençables et mouvants.

 

CÉRÉMONIAL POUR LA LECTURE DES TEXTES

 

Pour beaucoup de camarades, voici comment cela se passe : le maître ou le meneur de jeu, ou le président de la coopérative, ou le responsable du jour, ou l'enfant lui-même, écrit les titres des textes au tableau et donne la parole à tous ceux qui ont une histoire à raconter.

 

Yvin : « Pendant la lecture, silence ; on a le droit de dessiner. Les enfants qui écoutent lèvent la main pour poser des questions. Le président du jour donne la parole suivant un ordre établi d'une manière définitive au début de l'année : les petits, ceux du 1er, puis du 2e, du 3 e et du 4 e groupe».

 

A. Sanchou : « Je demande une neutralité absolue au moment de la lecture ».

 

Le rapporteur : « Peu de cérémonial. On lit entre nous, chacune venant quand elle veut, les plus timides souvent les dernières, puis un jour les premières. Après la lecture des T.L., souvent des questions fusent, demandant un complément d'information, et c'est déjà un début de mise au point. Les titres mis au tableau, numérotés ou non, il est procédé au vote à main levée ou secret. Le choix fait, parfois après discussion serrée, le texte va être corrigé. Parfois on choisit un texte ; parfois s'il y a litige, on choisit deux textes pour la même séance de textes libres ».

 

COMMENT ENCOURAGER OU VALORISER les timides et les passifs

 

Cela dépend des causes de cette timidité et de ses manifestations. Pour chaque cas, une solution particulière ;

- en les aidant à trouver des sujets de T.L. par leur dessin, par leur chant libre, par le rappel d'une histoire racontée à la maîtresse ;

- en les aidant beaucoup dans la rédaction de leur texte (aide donnée par le maître ou par des camarades plus habiles) ;

- en les aidant à lire leur texte sans se substituer à eux, car, comme le souligne Gaudin, en leur offrant de lire, on donne à chacun une occasion de se présenter devant ses camarades;

- en mettant en valeur par notre avis une idée originale dans un texte qui ne l'est pas, et autour de laquelle on brodera le nouveau texte ;

- en décidant d'inclure une œuvre de chaque enfant dans le journal ;

- en motivant tout le travail de création littéraire par le plan de travail, le planning, le journal, la correspondance (on écrit pour soi, mais aussi pour son camarade, pour la classe, pour les parents, etc.)

 

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FRANÇOISE, L'ENFANT TIMIDE (née en 1946, QI 78)

 

C'est une jolie petite fille blonde aux beaux yeux qui m'est arrivée un matin d'octobre 1954 après deux années de C.P. Elle avait 8 ans et, de l'avis des maîtresses chez qui elle était restée, sa timidité était extraordinaire. Elle ne parlait presque pas en classe et donnait peu de textes libres.

 

Elle était d'une famille normale, la cinquième de 8 enfants. Le papa, un peu sévère mais travailleur, gagnant bien sa vie ; la mère, très maman, accessible à une conversation un peu «psychologique ». L'enfant avait le palais trop creux et la glande thyroïde un peu forte. Ces petites anomalies physiques mises à part, elle n'avait apparemment pas de raisons pour être ainsi bloquée dans son langage.

 

Elle resta quelques mois presque silencieuse. Elle écrivait peu, lisait quelques mots, ne répondait pas quand je l'interrogeais, guettait anxieusement les réactions des autres, mais faisait gentiment tout ce que je lui commandais en souriant. Je savais par ailleurs qu'à la maison et aux récréations, elle parlait. Elle avait donc une « voix ».

 

Un jour, elle manifesta le désir de faire un grand dessin. Vite, voici du papier et des peintures : une jolie petite fille naît au milieu des fleurs. C'est une réussite. Il est beau, ce dessin. Nous l'admirons.

 

Le lendemain, un texte est écrit et lu par sa créatrice. Cette fois, la voix était venue :

 

DANS LES BOIS

 

Une après-midi, nous sommes parti dans des bois (ne) auto nous voilà arrivée.

Papa a pris un cageot mon frère a pris un sac.

Et tout le monde est parti dans les bois pour chercher des champignons.

 

(Les mots entre parenthèses étaient des trous qu'elle avait laissés par ignorance dans son texte).

Inutile de dire que ce texte fut choisi et imprimé.

 

Françoise resta jusqu'à 14 ans avec nous. Maintenant, c'est une belle jeune fille qui vient encore nous rendre visite, et qui gagne sa vie normalement.

 

On lira ci-dessous son dernier texte écrit en juin 1960.

 

ON VIENT DE NAITRE

 

On nous place dans un berceau,

on pleure, on ne comprend rien de

ce que les grandes personnes disent,

et plein d'autres choses encore.

Puis on grandit...

On commence à trotter comme un petit canard,

on babille comme les oiseaux,

on mange en se faisant un collier

autour de la bouche,

on joue dans la maison avec les jouets préférés.

Les années passent...

nos âges aussi.

On va à l'école,

on apprend à lire, à compter, à écrire.

On quitte la classe.

On va travailler d'une autre manière.

On se marie, on mûrit, on cesse le travail,

on entre dans la vieillesse, puis

on meurt.

C'est la vie!

 

                FRANÇOISE

 

 

 

 

 

4- CORRECTION DU TEXTE CHOISI

 

 

L'OISEAU

 

Chez nous, nous avons depuis un an

un oiseau blanc et un peu gris.

Il a des yeux noirs;

il est beau avec ses pattes marron.

Il est gros, cet oiseau.

Il mange du pain et des graines.

Il boit de Veau.

Maintenant, il a une cage plus grande.

Il se balance dedans.

Il pond des petits œufs

parce que

cet oiseau, c'est une tourterelle.

 

(Madeleine, 13 ans, QI 66, Troyes, 13-1-61,

3 ans de Cl. de perfectionnement)

 

QUI ECRIT LES TEXTES AU TABLEAU ?

 

Yvin : « Deux cas à considérer : 1) l'enfant a déjà fait son 1er jet au tableau et, dans ce cas, il n'y a pas  grand chose à ajouter, sinon quelques précisions ; 2) l'enfant a écrit son texte sur un cahier: nous faisons alors une mise au net orale ».

 

Y. Guillaume : « Je porte le texte au tableau, en éliminant les fautes d'orthographe d'usage ».

 

D. Laine : « J'écris moi-même le texte brut au tableau, en laissant des blancs là où se trouvent des fautes d'orthographe : « Tou   les matins, les moi     mangent les m ttes de pain dev     ma porte ».

 

H. Hermet (déficients visuels) : «La majorité des enfants ne voient pas ce qui est écrit au tableau. Donc : correction

orale ».

 

Gaudin : « La majorité de ma classe est fortement débile et les textes sont souvent informes et bourrés de mots aux sons mal identifiés. Je pratique ainsi :

1°. Je lis la première phrase que je peux isoler. Les enfants proposent ou ne proposent pas de modification. On améliore oralement cette phrase. Puis un enfant va l'écrire au tableau;

2°. J'écris le texte de l'enfant au tableau en rétablissant l'orthographe d'usage, et je laisse seulement à dessein 2 ou 3 fautes d'accord et 1 ou 2 formes à modifier ».

 

A. Sanchou : « L'enfant écrit elle-même son texte au tableau ».

 

A. Andrès : « Pour les grandes, l'auteur passe au tableau ».

 

Escuyer : « Je copie au tableau le texte choisi en évitant les fautes ».

 

Chabrol : « Texte choisi, écrit tout de suite au tableau par le maître bien souvent, depuis quelques semaines par un élève, les meilleurs calligraphes surtout ».

 

Le rapporteur : « Avec les petites, le travail se fait oralement. Je note sur un cahier personnel toutes les phrases, les modifications, les améliorations du texte choisi, puis nous l'écrivons ensemble au tableau, composteur par composteur.

Avec les grandes à partir de 10 ou 11 ans, le texte choisi est relu par moi devant tout le monde, et les fautes d'orthographe sont corrigées oralement et collectivement. Ensuite le texte est écrit au tableau par son auteur, ou par une autre, et même une fou par une ancienne élève venue nous rendre visite ».

 

Les fautes d'orthographe éliminées, les textes sont portés au tableau, bien écrits pour qu'ils soient lisibles, par la maîtresse, par le meilleur écrivain ou par l'auteur lui-même (ce qui, à mon avis est mieux : il faut voir avec quel soin on écrit alors !)

 

CORRECTION DES FAUTES D'ORTHOGRAPHE

 

Elle se fait pour tous les camarades, à un ou deux près, avant que le texte soit écrit au tableau, oralement, collectivement, quelquefois par le procédé Lamartinière, mais toujours en coopération et en relation avec les acquisitions des semaines précédentes (le an de maman, le s de les fleurs ; c'est un verbe au pluriel, donc...  ent, etc).

 

CORRECTION DE LA FORME

 

C'est au magnétophone qu'il faudrait enregistrer le déroulement de cette correction, et je crois que l'on procède de la même manière que dans les autres classes. Il s'établit un dialogue entre les enfants et celui qui a écrit et qui défend son texte, entre le maître et les enfants, entre les mots et les enfants, et il est difficile de définir par écrit le rôle de chacun et de rendre l'intensité de vie d'un tel moment.

 

Mais qu'est-ce que corriger un texte? C'est seulement le mettre dans une forme correcte. Notre but est donc d'amener l'enfant à exprimer en français une pensée qui est souvent confuse, sans logique et maladroite, sans pour cela déformer la naïveté, l'expression personnelle et parfois l'originalité d'un texte.

 

Yvin : « Nous respectons la pensée de l'auteur : il faut que l'enfant sente que son texte est à lui ».

 

Y. Guillaume : « L'essentiel du travail porte sur la construction logique, le rythme des phrases, les passages à approfondir; il convient d'éliminer tout travail, même rapide, de conjugaison et grammaire. Il n'y a pas à proprement parler enrichissement du texte; il y a prise de conscience de ce qu'à voulu exprimer l'auteur, et recherche afin que les lecteurs puissent éprouver, d'une manière aussi proche que possible, les impressions de l'auteur ».

 

H. Hermet : « Je tiens avant tout à ce que le T.L. ne se transforme pas à tout bout de champ en exercice de conjugaison ou grammaire. C'est d'abord un texte que nous devons bien écrire en respectant le plus possible la pensée de l'enfant ».

 

A. Sanchou : « Les grandes s'intéressent beaucoup à la forme, aux mots justes ; c'est une sorte de jeu, de compétition entre elles. Je respecte leur texte au maximum, et d'ailleurs elles savent le faire respecter ».

 

A. Andrès : « Je dirai que nous précisons... »

 

Le rapporteur : « Mise au point collective ; tout d'abord correction de ce qui saute aux yeux dans l'ensemble du texte (chacune a le droit de parler) : « Moi je dirais... moi j'écrirais... elle a oublié ne (ne pas, ne que)... là il y a une répétition, là ce n'est pas correct, etc. Ce sont les corrections « sur le tas » ; puis viennent les questions pour préciser une idée, un détail; puis le plan, la continuité dans les idées, etc ».

 

Mais :

 

H. Perammant : « Eh oui! nous défigurons souvent. Je me méfie des corrections collectives ».

 

A. Andrès : « Pendant la mise au net, les remarques d'orthographe, de grammaire et de style se font automatiquement ».

 

(Cela est très juste : le français est un tout).

 

Mais quel est notre but?

 

Escuyer : « Nos débiles sauraient écrire dans un style simple mais correct et sans fautes d'orthographe importantes en quittant la classe, que nous pourrions être assurés de ne pas avoir perdu notre temps ni le leur ».

 

Il faut ajouter à cela que la mise au net ne se fera pas de la même manière avec des petits, des moyens ou des grands. Il est certain qu'à des élèves de 12, 13 et 14 ans d'âge réel, on peut demander un travail de vocabulaire et de syntaxe plus approfondi, même si la débilité est assez grande, et ne pas perdre de vue que demain ils auront quitté l'école.

 

On pourrait distinguer plusieurs sortes de mise au net:

 

1°. Le texte est très bon dans son idée et dans sa forme ; il n'y a pas lieu d'y toucher. C'est souvent le cas d'enfants de QI 78, 80, 82, 83 après quelques années dans nos classes. Par exemple :

 

POUR MAMAN

(Texte intégral, sauf quelques fautes d'orthographe).

 

Le grand jour est arrivé ; midi sonne, nous nous mettons à table, nous mangeons avec bon appétit et quand le dessert se pose sur la table, c'est le moment.

Les enfants partent dans leur chambre et reviennent les bras chargés de paquets.

«C'est pour toi. Maman!»

Les baisers accompagnent le bruit du papier froissé; le bon vin se boit avec des rires et des : « Oh! que c'est beau! »

Les napperons brodés, les fleurs passent dans les mains tendues et finissent sur le buffet où ils restent exposés.

Le lendemain matin, tout se place : le plus grand napperon sur la table de la salle à manger, le petit sur une tablette garnie d'un pot de fleurs, le jardin japonais sur le poêle, le pot de pivoines sur la table et la plante grasse sur le poste. Nous avons gâté notre Maman : dimanche, c'était la fête des Mères ».

 

(Dany, 13 ans, Troyes, 1er juin 1964, QI 73, vue défectueuse ; 5 ans de cl. de perfectionnement).

 

2°. Le texte est pauvre ou banal dans son esprit, mais correct de forme. Là aussi, il n'y a pas lieu de le transformer ; il a été choisi ainsi :

 

LES CYGNES

 

Je suis allé au lac de Genève.

J'ai vu des cygnes.

Maman leur a donné des miettes de pain.

Leurs plumes sont blanches.

Mes sœurs et moi, nous sommes allés derrière le cygne

et Maman nous a photographiés.

 

(Christian, 13 ans, QI 60, 8-1-63, classe de Gaudin)

 

A part une phrase peut-être mal placée, il n'y a rien à changer.

 

3°. Le texte présente de grosses corrections de style à faire :

LES MARRONS

 

Quand j'étais chez ma cousine ma cousine m'a dit : «  Est-ce que tu veux aller chercher des marrons au champ de foire et j'ai dit oui et suis allée ramasser des marrons et j'ai ramené deux paquets de marrons et j'ai passé en ville et tout le monde me regardait. « Un jeudi matin, ma cousine et moi nous sommes allés chercher des marrons au champ de foire de Savenay. Il y en avait beaucoup et nous en avons rempli chacun deux paquets. Quand nous sommes revenus, les gens nous regardaient par les fenêtres ».

 

(Yannick, 11 ans 3 mois, QI 75, Ecole P.-Bert, St-Nazaire).

 

Nos classes fourmillent de textes semblables à celui-ci.

 

4°. Le texte choisi et désigné par la majorité est très incorrect, touffu, « charabia », mais présente une originalité qui ne se dégage pas à première vue parce que maladroitement exprimée (soit pour son comique, soit pour son dialogue, soit par la répétition voulue de certains mots, soit par sa sensibilité, etc).

 

Il nous semble alors qu'il faut s'appuyer sur cette originalité dans sa mise au net, et même si la forme définitive risque de dépasser quelque peu la pensée enfantine, ce ne sera que pour un enrichissement collectif (il ne faut pas oublier que nous travaillons avec une collectivité dont il faut toujours chercher à élever le niveau) :

 

Je la vide tous les jours

Je la vide parce que maman me le commande.

Je la vide celle-ci,

on y met ses petits papiers,

on l'aime celle-là.

Maman qui est à la maison, quand elle fait le manger, elle lui pose ses épluchures de pommes de terre.

Ça nous sert beaucoup cette belle poubelle blanche  et un peu noire.

Tous les matins les messieurs les ramassent pour les poser dans un camion et maman s'en sert tous les jours.

« C'est bien utile,

on y met ses petits papiers,

on y jette ses poussières,

on y lâche ses mies de pain,

on y pose ses épluchures,

on y lance ses boîtes vides.

Quand Maman fait la cuisine,

elle s'en sert beaucoup

de la nouvelle poubelle à pédale,

blanche tachée de noir

qu'elle vient d'acheter samedi.

Chaque matin je vide son seau

pour que les « boueux » ramassent

les ordures.

On l'aime bien,

elle est utile ».

 

(Yannick, 10 ans, QI 73, Troyes, 13-11-63, 3e année de CDP) et toute la classe

 

La pensée de l'enfant n'est pas trahie ; chacun a apporté sa pierre à un édifice commun, enrichi pour le bénéfice de tous, y compris l'auteur et les lecteurs du journal.

 

Ce n'est pas une chose à faire systématiquement, mais il ne faut pas hésiter à agir ainsi en présence d'un texte qui le permet et qui n'en sera que plus valorisé.

 

Tous les camarades sont d'accord pour dire qu'il ne faut pas faire de la recherche littéraire pour elle-même ; mais quelquefois, quand cela s'y prête, on peut se le permettre.

 

DURÉE MOYENNE D'ATTENTION

 

Cela dépend des élèves, des QI, des groupes de travail et des textes. Pour certains textes où l'intérêt est vif, la mise au net risque d'être longue (demi-heure ou trois-quarts d'heure) ; pour d'autres ce sera court.

 

Avec les grands élèves (13-14 ans), ce peut être de 45 à 50 minutes tout compris ; au-delà, c'est trop. De l'avis général, cela dure approximativement de 10 à 45 minutes. La mise au point doit être rapide. « II ne faut pas que cela traîne » (Yvin). « II faut obtenir rapidement un texte simple» (Gaudin). Mais parfois ce sera plus long, et quelquefois : « Lorsque cela traîne, lorsque la mise au net se prolonge, je prends la craie et je termine » (Yvin). « L'attention des débiles doit être souvent soutenue, stimulée, mais il y a toujours possibilité de faire participer activement un esprit qui s'échappe » (H. Hermet, Guillaume).

 

PEUT-ON FAIRE UNE CORRECTION PREALABLE

par un groupe d'élèves avec l'auteur du texte?

 

De nombreux camarades n'ont pas répondu à cette question. Il est certain que l'aide mutuelle apportée dans l'élaboration de premier jet constitue déjà en elle-même une correction de l'auteur, les questions posées à la lecture aussi.

 

Vemet, Gaudin et le rapporteur, et sûrement d'autres camarades, invitent parfois un groupe de 2, 3 ou 4 élèves à mettre au net un texte écrit au tableau pendant qu'ils sont occupés ailleurs. Cela est tout à fait faisable avec nos élèves ; mais dans ce cas c'est presque toujours les plus « doués » en français qui prennent la tête, et souvent ils sont plus sévères que le maître.

 

Vemet : « Pendant que je travaille avec la majorité de la classe, trois grands travaillent en commun, avec dictionnaire CEL, à corriger, à mettre au point un texte de grands sur feuille de cahier. La mise au point en commun, au tableau, ne portera que sur des détails de forme, syntaxe et orthographe. Je trouve que ceux qui travaillent ainsi font de réels efforts pour cette mue au point ».

 

Il faut donc un groupe réduit pour cette façon de procéder.

 

QUE FAIRE DES TEXTES NON CHOISIS ?

 

Yvin : « Je les corrige avec l'enfant. Ils sont ensuite recopiés et illustrés sur le cahier de textes personnels ».

Y. Guillaume, H. Hermet, H. Perammant, A. Andrès, S. Jarnier, Escuyer, Chabrol, le rapporteur, à quelques variantes près, pratiquent de la même façon. Vernet et Gaudin le font lorsque cette correction est demandée par l'enfant pour être jointe à la lettre.

 

En résumé, ces textes peuvent être recopiés proprement et servir ainsi de cahier de lecture, de répertoire de mots, d'illustrations, d'écriture tout simplement. Ils peuvent être envoyés aux correspondants ; ils peuvent servir à faire un album (j'ai souvenance d'un album de Noël fait uniquement de textes fortuits écrits sur Noël, et non dans le but de l'album).

 

Là aussi, c'est une question de climat, de classe, d'habitudes et d'opportunité ; mais il semble que nous devons tenir compte de ces textes.

 

Le rapporteur : « Personnellement, je possède an cahier sur lequel je fais recopier ou je recopie moi-même des textes non choisis qui pour une raison quelconque (sensibilité, humour, poésie, drôlerie, psychologie, etc) me paraissent avoir un grand intérêt quant à l'âme enfantine. Naturellement, ce cahier ne constitue nullement une motivation ».

 

PART DU MAÎTRE

 

Elle est extrêmement importante par sa délicatesse et son efficacité, plus encore chez nous, avec nos enfants influençables, difficiles, caractériels et, disons-le, limités dans certaines possibilités. Relisons la BEM n° 24 :

« Ouvrir sans cesse son âme à la compréhension intime de l'enfant. Dans notre collaboration avec l'enfant, ce dernier aura un rôle majeur. Le fond des textes aura les caractéristiques essentielles de la pensée enfantine et la forme gardera les tournures, les images, les expressions de son langage habituel. C'est dire assez que le maître se spécialisera progressivement dans son rôle de metteur en scène, et que c'est de la coulisse qu'il interviendra en sourdine pour parachever le chef-d'œuvre ».

 

E. FREINET

 

Les arbres tombent

sous le coup des haches.

Il pleut,

il fait froid.

C'est l'orage.

C'est l'hiver.

 

(Annie, 11 ans, QI 56,

Ecole Sévigné, Vannes)

 

Trois petites filles

jouent à la balle

dans la cour.

Trois petites balles,

une jaune, une rouge, une verte,

montent et descendent

dans le soleil.

Les petites filles rient.

Les petites balles rient,

elles aussi.

 

(Chantal, 9 ans, QI 58, 2e année

de CDP, 19-1-61, texte oral)

 

REMARQUE A PROPOS DU CONTENU DES TEXTES LIBRES ET DE LEUR ÉLABORATION

 

Voici deux textes libres de la même enfant (Troyes) :

 

LES JOUETS

Ce matin, quand je suis allée aux « Coopérateurs »,

près de la vitrine, j'ai vu deux petits garçons qui se disaient

ce qu'ils voulaient pour leur Noël.

Le premier disait :

«  Moi, je veux une voiture de course et un ours ».

Le deuxième dit à son tour :

« Je veux une grue avec des autres petites autos ».

Voilà que Fabrice se mêle et dit :

« Moi, c'est une voiture de pompiers et une autre auto ».

Le premier croyait qu'il n'y avait pas de carreau, il voulait essayer de toucher son petit ours et sa voiture.

Alors, Fabrice et l'autre se sont mû à rire car il y avait une vitre.

Tout à coup, ils sont partis rejoindre leur maison.

Cela est amusant de voir parler des petits de 3 ans.

 

(26-11-63)

 

C'EST MALHEUREUX

 

Depuis la semaine dernière, nous entendons au poste qu'en Allemagne une mine a été inondée, car à 60 mètres de la terre s'est trouvée une bouche d'eau.

Et dans cette mine se trouvaient là 11 mineurs qui étaient en train de creuser le charbon.

Beaucoup d'hommes des autres pays sont venus pour aider à les sauver. Tous les sauveteurs ont mis sur la terre un micro pour entendre si les mineurs étaient morts ou encore vivants.

Et là ils ont entendu un petit bruit car les mineurs tapaient sur les murs.

Les sauveteurs ont construit comme un genre de cheminée pour essayer de sauver les mineurs enfermés dans la terre, et pour qu'ils respirent de l'air ils ont mis dans la terre un tuyau pour leur donner de l'air. Ce matin, la maîtresse nous a parlé des mineurs. Les grandes et les moyennes étaient attentives et quelques grandes avaient les larmes aux yeux. Cela est malheureux pour les enfants et les dames dont leur papa est mineur. Et cela fait mal au cœur à tout le monde, soit qu'il le voit à la télévision ou qu'il l'entende au poste. (5-11-63)

 

(Nadine, 13 ans et demi, QI 77, 4e année de CDP)

 

Le premier texte relate un épisode de la vie sensible de Nadine, une scène de la rue dont elle a été témoin avec son petit frère Fabrice. Il manque à ce texte une ou deux précisions, mais tel qu'il est, il est vivant, assez correct, et dans la ligne de son langage. La venue en est bonne.

 

Le second relate un événement que le monde extérieur lui a imposé par les moyens de diffusion actuels : radio, télévision, journaux. Cet événement social l'a sensibilisée (puisqu'elle en parle, et la fin du texte l'indique bien), mais n'appartient pas à sa propre vie et ne la concerne pas. Elle n'en fut pas le témoin (même si les images de la télévision l'ont fait participer à l'action), pas le témoin direct. Elle n'a pas « agi », et son texte de premier jet rencontre beaucoup de difficultés dans le plan, dans la correction, dans l'exactitude des mots utilisés. Elle raconte, là aussi, avec les mots de son vocabulaire, avec ses possibilités de syntaxe, mais elle est dépassée et ne sait choisir de raconter un fait ou de se laisser aller à sa sensibilité.

 

J'ai souvent (et tous mes camarades aussi) rencontré de tels faits. Nos enfants élaborent beaucoup plus facilement ce qu'ils ont vécu, ce dont ils ont été témoins, ce qui appartient à leur vie propre, à leur richesse intérieure. Mais quand il s'agit de décrire, de raconter (même un film, même quelque spectacle vu à la télévision), les formes incorrectes jaillissent et s'imposent.

 

Quelques enfants n'arrivent jamais à cette forme plus littéraire. Les plus débiles en restent toujours à « leur » maison, « leur » famille, « leur » moi, et n'en sortent pas. Est-ce débilité mentale? égocentrisme? est-ce à cause du climat qui les entoure? J'opte pour la première hypothèse. Il reste, et je suis d'accord pour le dire avec Vernet, « que le social accroche quand on le vit ». Nous l'avons vu lors de la grève des mineurs de Decazeville. Et la solidarité n'est pas un vain mot, même chez nos débiles. Nous avions reçu pour nos mineurs plus de 750 F des coopératives scolaires ; aussi l'appel de l'OCCE en faveur des gosses de Skoplje, d'Italie et de Martinique a été entendu. Le conseil de Coopé a voté 50 F plus une participation personnelle de chaque enfant, à prendre sur ses achats de bonbons. Ce n'est pas toujours bien exprimé sous forme de texte, mais c'est bien ressenti tout de même... Et peut-être ces remarques s'adressent-elles aussi aux enfants des classes normales?

 

5- exploitation du texte libre

 

LA VIPÈRE ET LE HÉRISSON

 

Un jour, en Algérie, j'allais me promener.

Tout à coup, je vois une vipère qui rentre dans un trou.

Elle sort en vitesse.

On dirait qu'elle danse la danse de mort

Voici qu'un hérisson sort de son trou.

La vipère fait deux tours sur elle-même et saute sur le hérisson.

Il se met en boule.

La vipère donne un coup de queue, elle reste plantée dans les piquants.

Le hérisson rentre dans son trou, tranquille.

 

(Marcel, 13 ans , âge mental 8 ans, 1er jet sans cor. octobre 1963, Ec. Chateaudun, Clermont-Ferrand)

Voici donc le texte mis au point, recréé dans une forme correcte. Quelquefois même une dernière touche lui est ajoutée. Les enfants aiment alors le lire et le relire. Ensuite il sera imprimé ou limographié.

 

Passons à l'exploitation.

 

EXPLOITATION ORALE LORS DE LA CORRECTION COLLECTIVE

 

II n'y a rien de systématique, mais qu'on le veuille ou non, nous en faisons toujours un peu (comment écrire « maisonnée » qui vient de « maison »? ; quel mot mettre à la place de celui-là?; par quoi remplacer ce nom? ; ne pourrait-on lier ces deux phrases par un pronom relatif?; comment rendre cette impression plus sensible?; cherchons sur le dictionnaire, etc).

 

Au cours de cette mise au net, de nombreux camarades notent sur un coin du tableau ou sur un cahier ces mots qui ont retenu l'attention et qui seront revus plus tard, le lendemain, ou le jour même. Là aussi, rien de systématique ; mais il est impossible de compartimenter strictement syntaxe, grammaire, conjugaison, vocabulaire, quand nous nous trouvons en présence d'une mise au net. Tous les camarades ont nettement exprimé cela.

 

EXPLOITATION PLUS POUSSÉE faite, le texte étant mis au net, sous forme d'exercices oraux ou écrits :

 

Yvin : « Dans ma classe, nous ne pratiquons pas d'exploitation. Quand le texte est mis au net, l'équipe d'imprimerie se met au travail. Un autre groupe prépare l'illustration du texte, soit un lino, soit un dessin au limographe. Un autre groupe copie une partie du texte. Quelquefois, pour que la copie soit plus active, je fais par exemple souligner les noms ou les verbes, etc. Je ne croîs pas en général à la portée véritable des exercices de vocabulaire t de conjugaison ni à leur utilité, à plus forte raison dans  nos classes de perfectionnement. Je ne suis même pas sûr de l'efficacité des fiches, («  Moi non plus », ajoute Gandin). Je me méfie beaucoup des mécanismes.

J'ai deux enfants qui m'arrivent du CE2 (pourquoi?) bourrés de mécanismes; mais les deux premières lignes qu'ils ont pu écrire librement étaient pleines de fautes. Alors j'insiste peu au début, je laisse l'enfant s'exprimer petit à petit. Il faut d'abord le désintoxiquer pour qu'il s'épanouisse. A la voie du mécanisme nous substituons la voie du raisonnement, de la découverte ».

(«  Surtout la voie de la prise de conscience de sa propre personnalité et de sa valeur, si minime soit-elle », ajoute le rapporteur).

 

Vernet : « Pas de copie, sauf le paragraphe que chacun va composer ; mais sur les textes imprimés, certains exercices de grammaire sont rapidement faits. On peut corriger en commun; pas de sanction sous forme de note ou d'appréciation ».

 

Y. Guillaume : « Au cours de la correction collective, il s'agit surtout d'un travail de construction et de vocabulaire. Des phrases et des recherches de vocabulaire sont notées sur un cahier collectif où des pages se couvrent peu à peu de formes semblables (phrases rapides ; emploi de «mais, pourtant » ; synonymes de « dire, faire, mettre »).

Après la mise au point, aucun autre exercice de construction ou de vocabulaire. Il faut être dans une situation donnée pour que surgisse la solution adaptée et le vocabulaire au départ. Notre cahier collectif nous sert, car nous y retrouvons rapidement comment, dans tel texte, nous avons donné telle impression grâce à une expression réussie. Par contre, le texte trouve son prolongement dans un très court exercice de grammaire ou de conjugaison de 3 à 5 lignes très aérées, étudiant une difficulté très précise, etc. ».

 

H. Hermet : « Le texte mû au net, les enfants aiment bien le relire. Quand nous disposons d'un quart d'heure ou de 20 minutes avant la récréation et s'ils le désirent, nous le copions (tout entier ou un paragraphe). J'exploite ensuite le texte en grammaire, orthographe, conjugaison. Je ne le presse pas comme un citron s'il n'y a pas de jus. À ce moment-là, je donne à chaque enfant le texte imprimé ou polycopié sur lequel il souligne noms, verbes ou adjectifs. Ce travail se fait le mardi; le mercredi, vocabulaire. Je recherche des textes d'auteurs et nous comparons. En conjugaison, je procède de même ».

 

A. Sanchou : « Des T.L. je tire des leçons d'orthographe, conjugaison, et surtout vocabulaire. La faute répétée et non corrigée par les enfants avant mon intervention est expliquée. Le lendemain, suit un exercice d'application, fichier CEL ou exercice imaginé par mes soins. Ces exercices sont proposés par moi».

H. Perammant : « Cette année pour la première fois elles ont demandé à faire le texte en dictée. Donc : cahier journalier avec dictée (tout ou partie du texte). Pour les CE1, j'ajoute exercices de grammaire et conjugaison simples (pour qu'elles ne se sentent pas perdues, car dans les autres classes il y en a). Chez moi, surtout exploitation en lecture ».

 

A. Andrès : « Pour les petits, exploitation en lecture, puis une partie du texte est faite en dictée. On refabrique des phrases avec les mots du texte. Pour les grands, l'exploitation en orthographe, grammaire, conjugaison, style, est toujours facile à tirer. Cette année, les enfants veulent savoir si les auteurs n'ont pas déjà parlé de ce qu'ils racontent. D'où recherche de textes d'auteurs et parfois découverte d'une poésie ou d'un chant à apprendre ».

 

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Chabrol : « Pour les petits, je m'en sers pour composer des exercices à « trous» et quelques dictées. Pour les grands, un peu de conjugaison et de grammaire (assez décevant), des dictées assez systématiques soit de mots et de phrases du texte, soit composées avec des éléments de différents textes ».

 

Le rapporteur : « Ce travail d'exploitation se fait uniquement avec le groupe CE2-CM1, c'est-à-dire les grandes. Nous faisons tellement de textes par semaine (3 ou 4 par enfant} que l'un de ceux-ci peut bien servir à l'exploitation du français. Exploitation orale : elle se fait presque automatiquement; nous nous servons des dictionnaires (déjà expliqué). Le texte mis au point: lecture, reproduction du texte (imprimé et par écrit pour celles qui le veulent), illustration (sur cahier de devoirs journaliers). Très, très rarement : dictée d'un paragraphe.

Recherche de verbes, sujets, noms, adjectifs, pronoms, etc, parfois décomposition d'une phrase, conjugaison d'un verbe peu utilisé, travail autour d'une difficulté grammaticale (tout le, tous les, on et ont, a et à, etc), mais tout cela oralement ou collectivement, sans sanction ni jugement du maître : seule, l'enfant sait ce qu'elle a fait. Recherche de textes d'auteurs sur le même sujet ».

 

 

LE TEXTE LIBRE SERT-IL DE DICTEE?

LIAISON AVEC L'ORTHOGRAPHE

 

De nombreux camarades utilisent le TL soit en partie, soit en totalité, comme dictée. Mais là aussi nous devons considérer la nature hétérogène de nos classes. Avec les petits, c'est de la lecture. Avec les grands, c'est une dictée, et chacun fait selon ses possibilités. « Deux lignes du texte servent de dictée courte, mais journalière », dit Y. Guillaume.

 

H. Hermet : « Pas de liaison systématique de l'orthographe d'usage avec les mots trouvés dans le texte libre. Il y a en effet beaucoup de fautes. Je leur donne des étiquettes de mots d'usage, et une fois tous les quinze jours nous sortons les étiquettes et nous faisons orthographe sur ces mots. Chaque fois qu'ils ont un moment libre, ils se dictent 5, 6 mots de leur pochette ».

 

A. Sanchou, A. Andrès, H. Perammant, Escuyer ; voir plus haut.

 

S. Jarnier : « J'utilise assez souvent le TL en exercice d'orthographe : soit style dictée ordinaire avec graduations selon les groupes, soit entraînement visuel : un groupe de mots est écrit au tableau par la maîtresse, lu par un élève, observé, puis effacé et récrit de mémoire. Je pratique ainsi lorsque la mise au point s'est faite uniquement oralement ».

 

Le rapporteur : « Avec les petites, c'est comme je l'ai déjà dit de la lecture, contrôle des acquisitions de lecture. Chaque texte est écrit sur une feuille de dessin (25/32) aux stylos feutre de couleurs différentes, et illustré (une couleur par phrase). Ces feuilles restent dans le coin des petites toujours sous leurs yeux (elles constituent peu à peu un bel album). C'est en partant de ces feuilles que nous faisons des exercices d'orthographe.

Avec les grandes, quelques exercices d'orthographe en partant du texte collectif « Notre Vie ». La correspondance, l'autocorrection quasi journalière de leurs textes libres et l'entraînement aux fichiers CEL ou fichiers fabriqués par moi suffisent à l'orthographe ».

 

Il n'y a pas (ou il y a peu) de liaison systématique entre les textes et les acquisitions d'orthographe faites de manière collective. Les TL contiennent trop de fautes pour tout le monde. Revoir toujours la même chose est lassant.

Je constate (Vemet aussi, et bien d'autres sûrement) qu'une faute que l'on croyait corrigée, redressée, ne l'est pas effectivement, et qu'il faut continuellement rebattre le fer. Mais n'en est-il pas ainsi avec tous les enfants?

 

 

L'EXPLOITATION DES TEXTES LIBRES SUFFIT-ELLE POUR TOUT L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS?

 

Il semble qu'orthographe, grammaire, conjugaison, vocabulaire, lecture, se fassent pour beaucoup de camarades en partant du texte libre. Mais :

 

S. Jarnier écrit : « Je ne pense pas que l'exploitation du TL puisse suffire à l'étude de tout le français. Certaines tournures, quoique simples, ne se rencontrent guère, certains sujets de vocabulaire ne sont pas abordés qui permettraient d'élargir le champ des connaissances. Mais on aura des sujets complémentaires avec les textes des correspondants ».

 

A. Sanchou : « J'ai essayé de tout centrer sur le TL choisi : lectures, poésies, élocution, etc, mais cela a été un demi-échec, car les enfants étaient lassés par un tel procédé. Pour les grandes, j'ajoute des leçons de grammaire, quelques exercices de rédaction aussi variés que possible ».

 

Le rapporteur : « Ce que je fais collectivement en grammaire, orthographe, conjugaison, vocabulaire en partant du TL suffit largement à ma classe. Nous n'avons pas des ambitions très grandes et ne pouvons nous assimiler à des classes normales. Apprendre à bien parler et bien écrire est sûrement plus utile que de savoir analyser, il me semble. En dehors des TL j'utilise des fichiers, CEL et autres, de conjugaison (cela plaît beaucoup), dont l'utilisation constitue un entraînement comme celui des opérations (fichiers ou cahiers, et maintenant bandes programmées) ».

 

Yvin : « En résumé, ce qui compte pour moi, c'est que le TL soit l'expression de la vie de l'enfant. Et j'ai senti parfois que lorsque je voulais trop apprendre (en grammaire, conjugaison, etc), l'intérêt de l'enfant était vite en baisse; je parlais devant des élèves à nouveau éteints. Alors surgissaient de nouveau tous les faux problèmes. J'ai senti qu'il valait mieux s'arrêter».

 

CONCLUSION

 

Gaudin : « II me semble déceler chez nos camarades de perfectionnement deux conceptions du TL et de son utilisation :

1°. Ceux pour qui compte surtout la nécessité de créer un mouvement puissant d'expression libre, et pour qui, étant donné la difficulté de l'expression écrite chez les débiles, il importe surtout d'insister sur la très grande fréquence des histoires à raconter. Chez eux, le TL est quotidien. On l'exploite scolairement fort peu sous forme d'exercices écrits, réservant plutôt cela aux heures de travail personnel, en fiches de mécanismes;

2°. D'autres qui préfèrent ne choisir que deux textes par semaine et qui ont ainsi plus de loisirs pour les exploiter (l'un sur 3 jours, l'autre sur 3) ».

 

Chacun fait selon son tempérament et ses possibilités. Nos enfants ont besoin de beaucoup manipuler les mots, les concepts, les choses, pour que le chemin de la connaissance se creuse peu à peu. Ils apprennent lentement, par tâtonnement expérimental, retombent facilement dans leurs erreurs. Il faut les aider beaucoup, et de temps en temps les « court-circuiter ». Ce qui vaut pour le dessin, la peinture, vaut aussi pour l'expression orale et écrite, et pour le calcul.

 

EXPLOITATION PLUS PROFONDE EN D'AUTRES MATIÈRES

 

De l'ensemble des cahiers se dégage l'idée que, quand il est possible de le faire, se pratique une certaine exploitation; mais là encore rien de systématique et d'absolu. C'est la nature de la classe qui conditionne notre pédagogie.

 

LE CALCUL

 

Très rare (Chabrol) ; occasionnel (Hermet) ; parfois (le rapporteur).

 

- Nous avons pesé Pascal. Il pesait 6,370 kg. Comment apprécier ce poids?

- Maman a acheté des bottes noires à ma sœur. Elle a payé 39,50 F ;

- Dans la chambre à farine se placent des sacs de 100 kg que les meuniers viennent livrer;

- Mon parrain disposait sur un grand plateau des verres remplis de vin, de bière, d'apéritif, ou des tasses de café.

 

Ces exemples ne vont pas loin et rejoignent le calcul vivant.

 

SCIENCES, HISTOIRE ET GEOGRAPHIE

 

Y. Guillaume, H. Hermet, A. Sanchou, Vemet, le rapporteur utilisent le TL pour point de départ chaque fois que cela est possible :

 

Nous avons un petit chien ; Le feu dans la cheminée ; Les inondations; Les mineurs; Je suis allée à la mer; En colonie, à la montagne; Je suis allée à la pêche; La vie des bêtes; Certaines expériences...

 

Cette exploitation peut être faite collectivement sous forme de recherche, ou individuellement sous forme de conférence ou de causerie, ou par le maître sous forme de « leçons » en vue de l'enrichissement de toute la classe. Elle peut provenir du TL choisi, ou des autres, ou de la correspondance, mais comme toujours, rien de systématique, ni de « tiré par les cheveux ».

 

Yvin nous livre un exemple d'exploitation ; «L'histoire choisie est celle de Bernard, faite d'après un dessin au tableau » :

 

Ah! les belles vacances,

les promenades en montagne

dans les bois,

les baignades dans le ruisseau,

les jeux dans les prés.

Ah! les belles vacances!

 

Après la mise au net, je demande : « Qui a encore des questions à poser à Bernard? » Alors les questions fusent. Je pense en ce moment à ceux qui affirment que le débile est incapable de spontanéité, de curiosité. Voire! Le sujet est loin d'être exploré. Je propose donc à Bernard : « Tu pourrais un jour nous parler plus longuement de la colonie, de ce que tu as vu ? »

Pendant toute la semaine, Bernard a fait d'autres dessins; il a apporté deux cartes postales (un barrage et la traite des vaches). De mon côté, j'ai préparé des documents.

Le lundi suivant, Bernard, aidé par son camarade Patrick, prépare sa « causerie » avec une petite exposition sur le Cantal. Il nous parle de la traite des vaches, des paysans qui ne veulent pas que les enfants aillent dans les prés. Pourquoi? « Tiens! parce qu'ils coupent le foin! » J'interviens et je dis que là-bas l'herbe est la nourriture des vaches, la seule richesse. Il nous parle aussi des barrages. Quand il a terminé sa causerie, Alain nous apprend que lui aussi est allé en colonie. Où? Près de Lourdes. Le président lui demande : « Tu nous parleras de ta colonie ? »

Le 13 octobre, l'histoire choisie est celle du «chat ». Jacky nous parle alors de son chat. Maurice, Yannick, Michel, Joël viennent le vendredi suivant nous entretenir de leurs chats. Tout ceci est vivant, spontané, profitable. Mais les TL ne suffisant pas à l'étude de l'histoire, de la géographie, des sciences, les multiples apports des enfants motivent aussi nos recherches ».

 

VOYAGE A PARIS

 

Un jeudi après-midi, maman et moi, nous sommes allés à Paris.

Nous avons pris le métro à la station du Pont de Sèvres.

Nous sommes descendus au Louvre pour aller faire des achats à la Samaritaine.

Maman m'a acheté un « circuit 24».

Elle me l'offrira à mon anniversaire.

 

(Jean-Yves, QI 81, 8 ans, classe de Gaudin)

 

Ce texte final et celui du début de ce chapitre pourraient donner lieu à une exploitation en sciences, en géographie, et pourquoi pas en histoire? Mais naturellement, rien de systématique ni d'obligatoire, ni de rigoureux, seulement si la classe en manifeste le désir.

 

AUTRE FORME D'EXPLOITATION

 

N'y a-t-il pas pour nous adultes, pour nous pédagogues (et par obligation quelque peu psychologues) une autre façon d'exploiter les textes libres que nous livrent nos enfants?

 

Un matin. Elise (8 ans, QI 60) m'arriva débordante, ruisselante de mots et de gestes. Dans la nuit, la maison face à la sienne avait pris feu, et un spectacle extra- ordinaire lui avait été offert : les pompiers, la motopompe, le rouge des flammes et des pompiers, etc.

 

Déjà instable et nerveuse par nature, riant et pleurant sans raison, ce matin-là elle était choquée. Elle courait après moi, me suivait partout, parlant, riant, pleurant, racontant « son » aventure. Encore maladroite dans la pratique des techniques Freinet (c'était en 1950), je me trouvais absorbée par le reste de la classe et ne prêtais pas une attention soutenue à son histoire. Je devais manquer de disponibilité.

 

Je lui donnai pourtant des feuilles de cahier de dessin (nous étions alors très pauvres en matériel) et des peintures en palette (bien pâles). Elle me fit deux dessins-peintures : l'un entièrement rouge(le feu) ; sur l'autre, les personnages, les pompiers, la maison en flammes.

 

Elle me demanda d'écrire son histoire, ce que je fis. Le soir de cette journée, toute son « intensité sensorielle » avait disparu. Elle ne parla jamais plus du feu qui lui avait fait tant de peur. Bien sûr, le fait de dessiner et de peindre avait déchargé son potentiel d'émotion ; mais le texte avait joué aussi son rôle de libération.

 

« Cette nuit-là, j'ai eu peur : y a eu le feu à côté de chez nous ».

 

Un soir, Dany (13 ans, QI 83) était sombre, triste, l'air d'une enfant torturée. A ma demande : «Es-tu souffrante ?», réponse négative. Je n'insistai pas. Du coin de l'œil je la vis prendre son cahier et écrire. Je la laissai, et la classe se termina.

 

Le lendemain, elle avait repris son visage souriant et nous ne parlâmes plus de ce fait. Ce n'est que par hasard que je lus ce qu'elle avait écrit par un jour de colère, le 21 octobre 1963. Voici son texte:

 

ELLES SONT MECHANTES

 

Tout le monde me déteste,

elles sont toutes contre moi,

je ne sais pas ce que je leur ai fait

mais elles ne me parlent plus,

Elles me font des grimaces,

elles me font des gros yeux.

Quand je fais quelque chose, c'est mal.

Alors je ne fais plus rien.

On me dispute tout le temps.

J'essaie de bien travailler, mais

on me dispute quand même.

Elles ne m'aiment plus.

J'essaie d'être gentille avec elles,

mais elles ne me parlent plus.

 

Elle s'était déchargée de son impuissance devant l'injustice des autres. Lesquels?

 

Autre exemple : Marie-Hélène, 10 ans, QI 74, Vannes (enfant de parents déchus, a changé trois fois de nourrice en deux années scolaires).

 

CHANTS LIBRES

 

II était une fois

une petite bergère

qui se promenait

sans s'apercevoir où elle allait.

Elle ne savait plus où elle était.

Elle disait : « Au secours!

Au secours! je ne suis plus chez moi! »

II était une fois

un pauvre petit gars

qui s'en allait dans la forêt

regarder l'arbre qui pousse

sans arrêt... sans arrêt.

Il poussait... poussait,

il disait : « Je suis tout triste, tout triste! »

Quatre, cinq beaux garçons.

La mère les regardait mais le

cinquième n'était pas à elle parce

qu'il était en nourrice...

Ils étaient en retard...

ils s'amusaient en route.

Un chien les suivait.

« Allez on va les attaquer! »

 

Quelles que soient les circonstances où furent chantées ces phrases dénonciatrices, elles existent et par là même prouvent les tourments intérieurs de l'enfant.

 

Nous sommes persuadés à l'Ecole Moderne, et plus encore nous les maîtres des classes de perfectionnement, de la valeur thérapeutique de l'expression libre chez les enfants. Il faudrait relire les belles pages écrites par Elise voici quelques années dans L'Educateur, au sujet de cet enfant qu'elle amena à la connaissance des disciplines par des histoires de cailloux et de fossiles.

 

Nous sommes tous d'accord pour dire qu'un texte, parce qu'il s'inscrit dans un climat d'aide, de coopération, de liberté (pour autant qu'elle existe), est une libération, une décharge de l'affectivité ; et au-delà des mots, on peut voir parfois l'image des conflits, de la sensibilité de l'enfant et des questions qu'il se pose. Le fait d'écrire en sachant que personne ne rira, ne critiquera, ne jugera, le fait d'écrire tout ce qu'on veut parce que cela est permis, est déjà en soi une thérapeutique. Nous tous, les maîtres, en sommes persuadés.

 

Mais ces textes n'amènent-ils pas aussi à une meilleure connaissance de la psychologie enfantine et de son processus, des possibilités intellectuelles de nos débiles et inadaptés, et de la façon dont ils utilisent leurs « outils intérieurs » : mémoire, attention, sensibilité, etc?

 

Nous restons très prudents, mais là une porte est ouverte. C'est grâce à l'observation de tous nos camarades que pourraient se dégager des connaissances nouvelles de nos débiles. Je crois, en disant cela, me faire le porte-parole de tous.

 

 

TABLE DES MATIÈRES

 

OBSERVATIONS PRELIMINAIRES

1 - LE TEXTE LIBRE ORAL

2 - REDACTION DU TEXTE LIBRE ECRIT

3 - CHOIX DU TEXTE

4 - CORRECTION DU TEXTE CHOISI

5 - EXPLOITATION DU TEXTE

 

 

LISTE des camarades qui ont participé au roulement de ces cahiers soit par la lecture, soit pour y consigner leurs expériences et leurs conclusions.

 

M. GAUDIN G., 21, rue Maurice-Allégot, Meudon (S.-et-O.) (cl. à tous les cours garçons)

M. YVIN P., Bâtiment E, HLM d'Aix, St-Nasaire (L.-A.)

Mme MEUNIER-GERARD G., Ec. des Jacobins, Troyes (Aube)

M. et Mme Vernet P., 33 rue Miramont, Decazeville (Aveyron)

M. et Mme GUILLAUME Y., 31 rue de Tunis, Toulouse

M. FEUILLADE, stagiaire CAEI, C.N.P.S. Beaumont-sur-Oise

M. LAINE, 8 rue des Champs, Orbec (Calvados)

Mme ALIBERT L., École Jean-Jaurès, Aix-en-Provence

M. FOURVEL, rue du Levant, Issoire (Puy-de-Dôme)

Mme HERMET H., 24 rue Antoine-Puget, Toulouse

M. MEYER, 10, impasse Kiemen, Sarreguemines (Mos.)

M. LEBOURG, Ec. Anatole-France, Montluçon (Allier)

Mme SANCHOU, Ec. annexe, CDP, 37 rue Bénézet, Toulouse

Mme PERAMMANT H., 40 rue du Séné, Vannes (Morbihan)

M. COLLET J., 13 rue des Jeûneurs, Paris IIe

Mme MAREAU M., 1 bis rue Guy-Fabre, Marseille

Mme ANDRES A., Ecole du centre garçons, Jallieu (Isère)

Mme JARNIER S., Ecole du centre, rue des Jardins, L'Hay-les-Roses (Seine)

M. ESCUYER M., 46 avenue Blanche-de-Castille, Poissy (Seine-et-Oise)

M. CHABROL, 8 cours Sablon, Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

 

 

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