Bibliothèque de l’école moderne n°17

  

LA METHODE NATURELLE

DE GRAMMAIRE

 par

C.FREINET

EDITIONS DE L’ECOLE MODERNE FRANCAISE – CANNES

bem-17-0001.JPG (12457 bytes)


télécharger le texte (RTF compressé)


Au Sommaire

 

·         Un programme et un plan de travail pour notre Bibliothèque de l'École Moderne. 

·         C. FREINET. La Méthode naturelle de grammaire. 

·         ILLUSTRATIONS. 

·   Un texte libre à la classe enfantine.  Photo H. Robic

·   Lecture du Texte libre   Photo Central    CAEN

·   Le texte libre au tableau   Photo Painchaud

·   Recherche de la documentation Photo Painchaud

 

BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉCOLE MODERNE

 

Périodique d'information de la Pédagogie Freinet.

Paraît 5 fois par an

 

***

 

Nous avons, à l'intention des enfants, notre beau magazine Bibliothèque de travail qui en,est à son 540e numéro.

 

Notre revue bimensuelle l'Educateur est notre périodique de recherche pédagogique et de liaison des éducateurs qui travaillent ou désirent travailler avec les Techniques Freinet. Mais le résultat de ces recherches reste disséminé dans des numéros de revues qui ne sont pas destinés à être conservés et où l'on retrouve difficilement,, le moment venu, tous les éléments voulus.

 

Nous avions besoin, d'une publication périodique qui fasse la synthèse de ces divers travaux, anciens ou nouveaux et qui constitue en définitive comme ne Encyclopédie générale de la pédagogie Freinet.

 

A vrai dire, nous avions déjà cette encyclopédie générale avant la guerre avec notre publication Brochures d'Education Nouvelle Populaire (BENP) qui nous avait valu la publication de 80 titres qui balayaient à peu près l'éventail de notre pédagogie. Les collections restantes ont malheureusement été détruites au cours de l'incendie de décembre 1961.

 

Nous avons décidé de reconstituer cette Encyclopédie périodique avec notre nouvelle publication Bibliothèque de l'Ecole Moderne qui paraîtra cinq fois par an sous forme de brochures d'un format plus pratique, toutes axées sur l'étude d'un aspect spécial de notre pédagogie ; une partie générale situera l'étude au sein de la pédagogie générale et de notre Pédagogie Freinet, en apportant toutes informations générales utiles. Cette rubrique de BEM Actualités rendra pour les maîtres les mêmes services que rend BT Actualités pour le magazine enfantin.

 

***

 

Ce numéro sur la Méthode naturelle de grammaire fera certes une sorte de scandale, tellement reste ancrée dans l'esprit des pédagogues l'idée que rien ne peut se faire en pédagogie si on ne suit le rite des leçons, des règles et des devoirs qui est plus absolu en grammaire que pour les autres disciplines. Cette étude ne convaincra pas définitivement, mais elle jettera du moins le trouble et l'inquiétude dans l'esprit des scolastiques. Les reconsidérations nécessaires suivront.

 

Les numéros à venir traiteront :

 

- des techniques audio-visuelles (N° double).

- de la part du maître, par Élise FREINET.

- du Fichier documentaire.

- de lÉcole Maternelle.

 

Nous publierons également dans cette encyclopédie, en plusieurs livraisons : Naissance d'une pédagogie poputaire, actuellement épuisée, et, par la suite, notre, Essai de pychologie sensible appliquée à l'Education.

 

La collection de cette revue constituera en définitive l'élément de base de la Pédagogie Freinet.

 

***

 

On nous a reproché bien souvent de ne parler dans notre publication que de la pédagogie Freinet comme si elle était la seule offerte aux éducateurs, ou si elle était née spontanément d'une expérience particulière indépendante de tous les efforts en découvertes qui l'ont précédée.

 

Telle n'a jamais été notre pensée. Mais, d'une part, les éducateurs qui nous viennent de l'École Normale sont censés posséder une information de base sur les divers courants pédagogiques, sur les méthodes et les techniques qui leur sont offertes ; d'autre part les conditions toujours très difficiles dans lesquelles nous avons mené notre expérience nous ont à peine permis d'éditer le minimum de ce qui était indispensable pour le progrès de notre entreprise. Alors, effectivement, nous avons parlé dans nos écrits presque exclusivement de nos techniques et de notre psychologie.

 

Maintenant que nous sommes bien assis, que notre pédagogie a fondé ses éléments essentiels, nous pourrons tenter de la confronter avec ce qui se faisait avant nous et ce qui se fait encore hors de nous. Cette confrontation nous permettra d'ailleurs d'aborder quelques-uns des points essentiels de notre pédagogie, tels que nous nous appliquons à les dégager dans notre revue Techniques de Vie.

 

Nous pourrons étudier par exemple la pédagogie Decroly, telle qu'elle était du vivant de Decroly, et comment, par quels processus, la méthode Decroly a été bien vite scolastisée. Nous aurons alors l'occasion de rendre à Decroly l'hommage qu'il mérite et de livrer de cette étude des leçons pour notre propre action, car cette même sclérose nous guette et c'est contre elle que nous dirigeons d'avance nos efforts.

 

Nous aurons à parler aussi de Mme Montessori dont l'apport pédagogique a été si important et si décisif. Un numéro spécial pourrait d'ailleurs être consacré à l'École maternelle française, avec tout ce qu'elle porte en elle de dynamique et d'humain, mais avec aussi des erreurs qu'il nous faudra dénoncer.

 

Il serait précieux aussi pour l'évolution nécessaire de notre pédagogie de mieux connaître ce qui se fait dans la pédagogie des divers pays du monde :

 

- L'Allemagne Fédérale, si morcelée administrativement et pédagogiquement aussi, où foisonne des expériences qu'il suffirait parfois de promouvoir à un stade nouveau de réalisation.

 

- La pédagogie soviétique qui se cherche aussi, avec des initiatives de toute première valeur, dont la portée est, hélas ! compromise par une conception pédagogique et scolaire à reconsidérer.

 

- La pédagogie italienne qui, par certains côtés, essaie de se hisser à l'avant-garde mais où dominent les pratiques de la scolastique catholique.

 

- La pédagogie anglaise, que nous ignorons si totalement en France.

 

- La pédagogie des U.S.A. qui, sous le couvert du machinisme et de la mécanique reste impuissante à résoudre les vrais problèmes humains.

 

- La pédagogie de l'Amérique latine, avec ses îlots d'avant-garde à Cuba et au Mexique, mais dont la solution s'adapte aux espaces immenses de pays qui semblent parfois naître seulement à la civilisation du XXe siècle.

 

- La pédagogie de l’Afrique : Afrique du Nord, déjà sérieusement marquée par nos techniques, et pédagogie aussi de l'Afrique Noire pour laquelle nos méthodes pourraient peut-être apporter les méthodes vainement attendues de la pédagogie scolastique française.

 

Comme on le voit, nous avons du pain sur la planche.

 

Pour le domaine technique, nous avons mis aujourd'hui à la disposition des enfants et des maîtres un éventail large et riche de matériel et de techniques qui leur permet, dans la pratique, de s'engager dans une pédagogie plus efficiente.

 

Il nous faut faire le même effort culturel pour les adultes. Un éducateur d'École Moderne ne doit pas avoir des oeillères Pour une pédagogie largement ouverte sur la vie il lui faut une large information psychologique, philosophique, sociale, pédagogique, sur tous les problèmes que suppose le renouveau pédagogique que nous avons suscité : notre périodique BEM vous ouvrira lui aussi les Portes du monde.

 

***

 

C.FREINET

La méthode

Naturelle

de Grammaire

 

 

Si la grammaire était inutile !

 

Tel a été le mot d'ordre que je lançais il y a une vingtaine d'années. Et aujourd'hui encore, il suffit que je hasarde cette affirmation dans une Conférence pour que le public s'agite comme si j'avais commis un blasphème : les instituteurs se regardent, ils tournent leurs yeux ironiques ou timides vers les chefs présents, parfois auteurs de manuels de grammaire, comme pour leur dire : « Qu'en pensez-vous ? »

 

D'ailleurs les instituteurs eux-mêmes sont rarement d'accord. Que je dénonce les devoirs et les leçons, oui, mais penser qu'on puisse apprendre à écrire sans exercices de grammaire, cela dépasse l'entendement ; car enfin, ne faut-il pas connaître les règles de grammaire pour écrire correctement ?

 

Je vais encore une fois ici refaire la démonstration simple, sans grande illusion. Il en est de la grammaire comme des vieilles traditions trop enracinées dans la jeune vie des individus et qui disparaissent parfois momentanément pour reparaître plus tard en folklore.

 

Il est pourtant des vérités que nous avons le devoir de proclamer quand nous les tenons comme telles. Et les vérités, comme la liberté, cheminent immanquablement jusqu'à éclater un jour dans le comportement libérateur des hommes et des sociétés.

 

Dès octobre 1937 dans une brochure « La Grammaire française en quatre pages », j'écrivais déjà en préface :

 

« Ce n'est pas une gageure ; nous n'avons fait aucun pari de condenser en quatre pages - peut-être sera-ce même en trois - le contenu de tous les manuels de grammaire. Notre entreprise est d'une portée pédagogique autrement considérable puisqu'elle vise à simplifier vraiment notre expérience pratique de la langue grâce aux techniques nouvelles que nous avons introduites dans nos classes.

 

« Personnellement, je ne suis pas grammairien, loin de là ! L'avouerai-je même : lorsque, après la guerre (de 14-18), je repris, à demi-convalescent, une classe préparatoire, je constatai avec un peu de surprise que j'avais presque totalement oublié toutes les règles de grammaire. C'est à peine si je distinguais encore dans les temps quelques formes simples : l'indicatif présent, l'imparfait, le futur, le conditionnel. Je ne savais plus si le passé simple devait s'appeler passé défini - je me le demande encore en écrivant ces lignes - et la chaîne bijou, caillou, chou... revenait pénible ment à ma mémoire.

 

« Ne parlons pas de toute la foule de pronoms, d'adjectifs, d'adverbes, de prépositions, etc... dont je savais évidemment l'emploi sans pouvoir les distinguer avec précision. Et pourtant je venais d'écrire un petit livre qui ne manquait pas d'émotion, et je savais, d'une plume assez vive, défendre mes droits, ou écrire pour mes élèves des contes et des poésies que, à ma grande surprise, ils préféraient aux oeuvres classiques qui leur étaient alors offertes.

 

« Je ne me suis pas ému de mon ignorance. Je savais écrire d'une façon convenable. Je sentais que c'était là l'essentiel, que tout le reste, que toutes ces chinoiseries grammaticales étaient surtout inventions scolastiques et que si moi, qui avais eu jusqu'à 18 ans, le crâne bourré par maîtres et manuels, pouvais, sans grand dommage - et qui sait, peut-être avec profit - oublier les neuf dixièmes de la grammaire, c'est que celle-ci, telle du moins qu'on me l'avait enseignée, n'était ni vitale ni indispensable, et que la voie suivie jusqu'à ce jour ne répondait pas aux besoins d'élèves qui, dans la vie, n'ont que faire de terminologie.

 

« Je n'ai, depuis, tenté aucun effort pour apprendre à nouveau cette grammaire des manuels. Et je me hâte de condenser ici, avant qu'il ne soit trop tard, ce que je crois suffisant et profitable pour notre école primaire.

 

Car la déformation professionnelle nous marque dangereusement : à force de revoir tous les ans les mêmes principes, les mêmes règles avec leurs exceptions, nous les incorporons à notre fonction et à notre vie, jusqu'à ne plus comprendre que ceux dont la profession n'est pas de rabâcher ces éléments puissent avec tant de désinvolture en négliger complètement la contestable valeur.

 

« N'écoutons point ceux qui prétendent qu'on ne peut écrire tant qu'on ne connaît pas les règles de la grammaire et de la syntaxe... Les pédagogues n'ont vu que la règle, et la règle a tué la vie.

 

« Ils écrivent bien, certes, ces grammairiens pour qui écrire est une sorte de devoir de style où la forme masque l'absence de pensée et de sentiment. Mais qui lit leurs œuvres ? Et pensez-vous que ce sont elles qui passeront à la postérité ou bien plutôt les pages vibrantes d'émotion et de vie de ces jeunes écrivains qui, sans se soucier outre mesure de la grammaire, ont su exprimer ce qui vous agite ou vous remue ? Je pense à tel écrivain à succès, avec ses phrases osées et ses mots à peine francisés... On dira plus tard, comme nos professeurs en arrêt devant des tournures peu académiques de nos classiques : hardiesse de style ! Parce que la vie aura triomphé de la forme morte comme triomphera un jour prochain, à l’Ecole, la rédaction vivante et joyeuse, chemin royal qui mène vers la perfection grammaticale.

 

« Toutes ces précautions pour bien prévenir nos camarades - et aussi les spécialistes qui nous liront - que je suis loin de prétendre à l'érudition grammaticale. Je puis commettre des oublis qui méritent d'être réparés, et des erreurs que je rectifierai avec plaisir, heureux justement si ces lignes peuvent susciter encore une fois entre nos camarades une collaboration profitable. » (1)

 

(1) Un instituteur qui fut en son temps à l'avant-garde de la pédagogie française, DELAUNAY (Calvados), faisait des réflexions identiques : « Je suis une nullité grammaticale. je serais fort embarrassé pour répondre à des questions de grammaire du C.E.P. Il y a de cela de nombreuses années, j'avais découpé, dans des journaux scolaires des épreuves de dictée. Lorsque je les classai, je constatai que les spécialistes de ces revues n'étaient pas toujours d'accord. Pour moi, la grammaire est une science qui se fait, encore bien imparfaite. S'il n'y avait pas la nomenclature officielle, il nous serait difficile de nous reconnaître. »

 

Si la grammaire était inutile !

 

Entendons-nous bien d'abord sur la portée de notre pétition.

 

Nous ne prétendons point que l'étude de la grammaire soit absolument inutile à tous les degrés de l'enseignement. Nous parlons naturellement en instituteurs qui se préoccupent d'améliorer les conditions et le rendement de leur métier. Nous ne préjugeons pas de ce que peut être ou doit être, l'enseignement du français à d'autres degrés où la grammaire reprend peut-être, et sans doute, quelques-uns de ses droits.

 

NOTRE EXPÉRIENCE, AUJOURD'HUI LONGUE ET DÉCISIVE, MONTRE SEULEMENT QU'ON PEUT APPRENDRE A ÉCRIRE LE FRANÇAIS A LA PERFECTION SANS CONNAITRE LES RÈGLES DE GRAMMAIRE. SI CELA EST VRAI - ET C'EST LA DÉMONSTRATION QUE NOUS ALLONS FAIRE ICI - L'ECOLE S’EST TROMPÉE DE CHEMIN EN PLAÇANT LES RÈGLES DE GRAMMAIRE A LA BASE DE L'ÉTUDE SCOLAIRE DU FRANÇAIS. IL NOUS FAUT CHERCHER ENSEMBLE, TROUVER ET VULGARISER LES NORMES DU NOUVEL ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS, PAR LA MÉTHODE NATURELLE D'INTELLIGENCE ET D'EFFICACITÉ.

 

Comme on le voit l'affaire est d'importance. Elle intéresse et conditionne tous les processus présents et à venir de l'éducation.

 

La grammaire est-elle utile pour l'apprentissage de l'orthographe ?

 

Pour la régularité de notre démonstration, il nous faut, dès l'abord, distinguer grammaire et orthographe qui sont, dans l'esprit des lecteurs, trop arbitrairement confondus.

 

Réglons d'abord son fait à l'apprentissage de l'orthographe qu'on considère aujourd'hui, plus encore que par le passé, comme une nécessité dramatique, non pas tant pour la culture, dont on se préoccupe d'ailleurs fort peu, que pour les classements scolaires et les examens qui n'en sont que les ersatz.

 

GRAMMAIRE et ORTHOGRAPHE sont deux choses radicalement différentes. La grammaire française nous enseigne les règles d'une expression écrite en français, correct, conforme à l'expression des idées, des sentiments et des faits d'information aux exigences de l'usage, des codes plus ou moins capricieux, des Instructions Ministérielles et des examens. C'est de cette grammaire, et seulement de celle-là dont nous dénonçons l'inutilité, dans l'enseignement du premier degré.

 

L'apprentissage de l'orthographe, dont on fait aujourd'hui tant de cas, n'est que secondaire et accessoire et n'a rien à voir ni avec la perfection de la langue, ni avec la culture. On peut - et c'est le cas de nombreux écrivains - manier le français avec une maîtrise exemplaire et présenter cependant des insuffisances orthographiques qui scandaliseraient les pédagogues et les simples correcteurs d'imprimerie.

 

Nous ne posons même pas la question - l'étude de l'orthographe est-elle util ? Elle est utile dans la mesure où la mode, les instructions ministérielles et les examens l'exigent. Mais que changent demain comme nous le souhaitons ces exigences formelles ; qu'aboutissent les travaux de la commission officielle de la Réforme de l'orthographe, et le problème scolaire de l'orthographe perdra de son acuité, jusqu'à ne plus contrarier l'apprentissage naturel et normal de la langue. Quiconque a réfléchi à ce problème ne peut qu’être d'accord pour proclamer cette importance toute relative de l'orthographe.

 

C'est Anatole France qui disait : « Les grands classiques de Corneille à Voltaire, et le roi Louis XIV lui-même ne mettaient pas l'orthographe... La recherche de l'orthographe constitue pour l'enfant une perte de temps considérable et contribue à restreindre le développement de la connaissance humaine. »

 

« Il fut un temps, écrivait aussi E. Tribouillois dans son livre : APPRENONS L'ORTHOGRAPHE (Editions Delagrave - Paris), où l'orthographe des mots de notre langue, tout nouvellement fixée par l'Académie que venait de fonder Richelieu, et pour beaucoup encore incertaine, permettait à notre grande épistolière, Madame de Sévigné, et aux Précieuses, ses contemporaines, d'émailler leurs lettres de fautes qui nous paraissent aujourd'hui invraisemblables. Au siècle suivant encore, le vainqueur de Fontenoy, Maréchal de France, pouvait écrire sans en être diminué : « ILS VEULE ME FAIRE DE LA CADEMIE ; CELA MIRET COMME UNE BAGUE A UN CHAS ».

 

Marcel Cohen constate lui aussi – « Quelqu'un, je ne Sais qui, a dit il y a déjà un bout de temps : « LA GRAMMAIRE (FRANÇAISE) EST L'ART D'APPLIQUER L'ORTHOGRAPHE DE L'ACADÉMIE ». Or, comme cette orthographe est mauvaise et que, si on est obligé de la subir, il ne faut à aucun prix la justifier, la grammaire ainsi comprise est simplement à supprimer. »

 

Dans son « HISTOIRE D'UNE LANGUE : LE FRANÇAIS », Marcel Cohen écrit encore :

 

« L'orthographe académique a résisté à tous les essais de réforme. En matière de langue, c'est le donjon du conservatisme social.

 

« La question demeure, petite mais importante question sociale. Les enfants du peuple, disposant d'un temps moins long pour l'instruction, ayant moins de temps pour lire, et moins de livres à leur disposition que les enfants riches, sont proportionnellement plus encombrés par l'apprentissage de l'orthographe; leur instruction générale en est réduite d'autant ; l'orthographe est vraiment le cauchemar des instituteurs. C'est aussi une plaie pour tous ceux qui doivent obtenir par un examen un emploi, même modeste, public ou privé et qui doivent gagner leur vie comme dactylographe par exemple. »

 

Décortiquons donc quelque peu ce problème de l'orthographe. L'apprentissage traditionnel est basé sur cette croyance que les règles - et elles seules - enseignent l'orthographe. Or, l'écriture française n'est pas logique du tout ; les règles n'y sont employées qu'au hasard, et encore avec tellement d'exceptions qu'elles perdent leur caractère élémentaire de règles.

 

Dans le livre déjà cité : « APPRENONS L'ORTHOGRAPHE », E. Tribouillois donne cette appréciation sur l'orthographe d'usage :

 

« Moi, professeur, moi, professeur de français, moi, écrivain, moi, académicien, qu'est-ce qui me gêne ?... Les doubles lettres et les mots tirés du grec. Les doubles lettres toujours ou presque toujours : je sais écrire ACCABLEMENT, oui. mais j'hésite encore sur APERCEVOIR et sur AGRESSIF.

Si moi je suis dans cet embarras, je dois conclure que les « primaires » y seront toujours. »

 

Ainsi s'exprimait Emile Faguet, et l'on ne peut nier qu'il eût raison. Les « primaires »... et les autres ont fort à faire avec notre orthographe où se rencontrent toutes sortes de complications introduites comme à plaisir, des marques d'érudition sans valeur, des erreurs maintes fois constatées, des chinoiseries.

 

Et tout cela sous prétexte d'étymologie, de laisser aux mots leur marque d'origine.

 

Passe encore si c'était logique, et si c'était vrai. Mais ce n'est pas logique - on écrit d'un côté préfet et effet, et, de l'autre parfait et satisfait, alors que ces quatre mots ont la même étymologie.

 

Et ce n’est pas vrai : ce ne sont pas des savants usant du privilège que leur donnait leur autorité, ce sont des clercs à demi-ignorants qui, voulant faire étalage de leur prétendue science, furent cause qu’au XVe et au XVIe siècle vinrent de toutes parts, s'abattre sur notre orthographe des groupes de consonnes que le Moyen-Age avait sagement ignorées.

 

« L'orthographe a chez nous le caractère et la force d'une religion » constatait également F. Brunot.

 

Il faudrait que nous soyions bien d'accord sur ce point : la langue française n'est pas construite logiquement, sur la base de règles et de principes, mais selon les caprices de l'usage des anciens « écrivains » et des clercs.

 

S'IL EN EST AINSI, CE NE SAURAIT ÊTRE PAR L'ÉTUDE DES RÈGLES ET PRINCIPES QUE SE FERA L'APPRENTISSAGE DE L'ORTHOGRAPHE.

 

 

 

LE TATONNEMENT

EXPÉRIMENTAL

 

Mais il y a une autre raison qui s'inscrit contre l'apprentissage traditionnel de l'orthographe : la langue écrite, tout comme la langue parlée ne se fait que par tâtonnement expérimental. Personne ne fait appel à la règle dans l'apprentissage de l'orthographe. Et si, par suite du conditionnement scolaire quelques enfants y ont recours, ils emploient la plupart du temps la règle à contresens. Il est patent que l'enfant écrivant une dictée par exemple, ne fait jamais appel à la règle qu'on lui a apprise : il écrit sur son brouillon les formes diverses possibles, et, au jugé, selon son expérience, il écrit le mot demandé. C'est le plus pur tâtonnement expérimental qui agit par ajustements complexes, visuels, graphiques, et comme physiologiques.

 

Ce n'est peut-être pas scientifique mais c'est le procédé le plus sûr universellement employé.

 

Il serait facile de mener des enquêtes susceptibles de vérifier la valeur de ce processus orthographique général. Nous pourrions notamment nous demander si les élèves qui ont la meilleure orthographe sont ceux qui connaissent le mieux les règles ou si, comme nous le croyons il n'y a aucune relation entre ces deux faits. Nos lecteurs jugeront déjà par leur propre expérience.

 

Tout au long de cette étude nous aurons à faire la démonstration qu'une pédagogie soi-disant scientifique se condamne elle-même en partant toujours de données erronées et de processus qui n'existent que dans l'esprit des scoliastes - ce qui la rend si totalement désarmée devant le problème de la dyslexie, considéré aujourd'hui comme une maladie incurable, au même titre que la leucémie et le cancer.

 

La réalité c'est que étude des règles et orthographe sont deux choses absolument distinctes. Les exemples abondent d'enfants qui connaissent par coeur toute leur grammaire, qui sont capables de répondre à la perfection aux questions de la dictée du C.E.P. et qui n'en ont pas moins une orthographe déplorable.

 

Il y a donc erreur de diagnostic. A nous de chercher les vraies solutions.

 

N'en déplaise à tous les spécialistes, théoriciens et praticiens, l'écriture, comme le langage n'est pas une mécanique qu'on monte systématiquement. Elle est une portion de vie. Les mots y prennent d'abord leur figure non d'après l'étymologie ou les règles forgées arbitrairement par les pédagogues, mais d'après leur emploi dans la phrase, leur sens pour ainsi dire dialectique, leurs résonances réciproques, les liaisons qui s'établissent entre les éléments de pensée et d'action. C'est parce que, dans l'apprentissage du langage les mots sont toujours chargés de pensée et de vie et que les mécanismes ne fonctionnent jamais à vide que la réussite y est si totale, sans aucun des drames qui accompagnent à l'Ecole la langue écrite.

 

Or, l'orthographe, c'est comme l'habit des mots. La contexture, les particularités de ces mots s'inscrivent dans notre esprit et dans notre comportement non point par logique et mémoire, mais par des voies exclusivement sensibles, par les photographies successives dont la netteté indélébile est seulement fonction de la sensibilité des organes qui les enregistrent, de l'éclairage particulier que nous projetons sur les éléments à inscrire sur la plaque sensible.

 

On s'obstine à enseigner aux enfants les caractéristiques des mots comme on leur apprendrait à reconnaître les personnes familières par le simple détail des habits dont on les affuble : veste noire, pantalon gris et cravate à pois. Or, ce n'est jamais par ces seuls détails que l'enfant reconnaît un individu, ou bien il risquerait de graves méprises, confondant culottes et vestes, ou cravate et chapeau et les plaçant indifféremment sur les individus à distinguer.

 

Non, le mécanisme de la reconnaissance ne fonctionne jamais ainsi, de cette façon simpliste. Il est beaucoup plus complexe, beaucoup plus sensible, mais aussi d'une toute autre sûreté. L enfant voit venir une ombre, et, sans seulement s’attarder à identifier pantalon ou cravate, il dit avec certitude : « Voilà mon papa ! ». Il n'a ni analysé ni répété ; il n'a même pas prêté attention au sens où l'entend l'Ecole : un coup d'oeil rapide a suffi. Il est sûr et définitif.

 

C'est une telle erreur dans la conception des mécanismes de fonctionnement dans l'écriture et la lecture qui suscite cette mystérieuse dyslexie, mal scolaire du siècle. Les mots que vous apprenez à vos enfants sont neutres ; ils ne sont acceptés que par la mémoire ou l'intelligence et, de ce fait, ne touchent pas les individus dans leurs fonctions vitales. Alors on les habille au hasard, confondant culottes et cravates. Cela a si peu d'importance ! Mais l'habitude sera prise. Vous ne rétablirez plus les circuits normaux.

 

Les spécialistes en mal de solution essaient d'expliquer cette maladie dyslexique par la gaucherie contrariée, par une déficience de la conception spatiale, voire par la méthode globale « cette galeuse ». Ils n'oublient que l'essentiel : c'est le mode d'acquisition de l'écriture des mots qui est à changer, ce sont les principes d'acquisition qui sont à reconsidérer. C'est la méthode scolastique qu'il faut remplacer par la méthode naturelle qui donne vie aux mots et aux phrases et les incorpore aux processus organiques du comportement indélébile des individus.

 

Dans le domaine scolaire comme dans le domaine de la santé, il ne suffit pas de soigner les impotents et les malades. Il faut prévenir les erreurs de base qui produisent les déséquilibres et retrouver les lois sûres de la vie.

 

***

 

Le procès des conditions traditionnelles d'apprentissage de l'orthographe, n'est certes pas terminé par ce premier aperçu. Nous avons considéré surtout ici les mots dans ce qu'on appelle l'orthographe d'usage. Nous examinerons les aléas de l'orthographe d'accord au cours du procès que nous allons commencer de la vraie grammaire qui détermine la forme même des mots variables au sein de la phrase.

 

Il nous resterait à condamner les exercices systématiques de mémoire et de par coeur qui prétendent assurer une pratique normale de l'orthographe par la seule vertu de la répétition, du conditionnement, dit-on aujourd'hui pour parler scientifiquement avec un air trompeur de modernisme. La scolastique à l’Ecole primaire en est farcie à tel point qu'on se demande comment on tuerait le temps dans les classes si on supprimait tous ces « exercices », qui remplissent tant de pages de nos manuels de grammaire. Le livre de E. TRIBOUILLOIS dont nous avons déjà parlé (Apprenons l'orthographe) en est un exemple. Il y a là des pages à retenir, non seulement avec les règles, mais, ce qui trouble encore plus les enfants, avec les exceptions qui contredisent les règles.

 

Alors on compte sur la mécanique. Elle est peut-être valable pour une minorité d'enfants à la mémoire fidèle. Et encore, ceux-là n'ont pas même besoin de répétitions puisqu'ils saisissent du premier coup. Et les autres, ceux qui doivent répéter, le font avec tant de peine qu'ils en sont bien vite excédés - ce qui détruit d'avance toutes les vertus de la répétition. Il n'y a qu'à voir le mal qu’a la masse des enfants pour l'étude par coeur de la table de multiplication.

 

Nous sommes là dans le domaine de la mnémonique et non dans celui de la grammaire. Qu'on y ait recours quand on ne dispose pas d'autre solution valable, passe encore. Mais qu'on le fasse alors sans illusion ni pour le rendement ni pour la formation. Il s'agit seulement d'un travail de robot qui ne sera jamais qu'un pis-aller.

 

***

 

Et pourtant nous dit-on, puisque la rectitude orthographique est aujourd'hui exigée à l'Ecole et dans les examens, il nous faut bien nous y soumettre.

 

Mais il faut que nous redisions à l'intention des éducateurs et des responsables la vanité de semblables procédés et l'illogisme donc d'une pédagogie qui a comme suprême ressource d'y avoir recours.

 

Sauf, en effet, pour quelques exceptions d'enfants particulièrement doués et qui ne nous posent ordinairement aucun problème, tout exercice scolastique, c'est-à-dire qui n'est pas profondément motivé, et que l'enfant exécute comme un devoir sans but, est toujours inutile et donc dangereux. Il n'y a qu'à voir nos enfants faire les exercices des manuels. On leur a donné une longue liste de mots mis au pluriel. Ils commencent à les écrire correctement, puis l'automatisme reprend ses droits et la fin de l'exercice est criblé de fautes. Ou bien ils conjuguent un verbe en opérant en série, de haut en bas - je, tu, il... etc..., et en mettant les terminaisons à la fin, également en série.

 

Croit-on vraiment qu'un tel travail puisse avoir une portée véritable d'exercice. ? Et si même l'enfant, grâce à votre surveillance, conjugue son verbe sans faute, est-on bien sûr que cet exercice lui soit de quelque utilité, qu'il soit au moins inscrit dans son automatisme et lui soit, de ce fait, profitable ?

 

Nous citons souvent le cas, hélas ! pas unique, de ce candidat au C.E.P. qui ne pouvait pas se corriger de la faute assez courante dans certaines régions de France

 

« J'ai parti », au lieu de « Je suis parti ».

 

Désespéré, le maître lui donna un soir à conjuguer cent fois le verbe partir, au passé composé, et s'en alla à sa partie de pêche. Quand il retourna, un peu tard, il est vrai, la classe était vide. Mais l'élève avait écrit spontanément au tableau : « Monsieur, comme j'avais fini ma punition et que vous n'étiez pas rentré, J'AI PARTI ! »

 

Il ne s'agit pas là, hélas ! d'une boutade mais de l'exemple typique de la portée des exercices qui ne sont qu'exercices.

 

Non, bien que nous considérions que la grammaire orthographique est inutile, nous n'oublions pas que, en attendant mieux, nous devons satisfaire aux exigences de l'administration et des parents. Mais nous le ferons avec le moins de dommages possibles, avec un maximum d'intelligence et d'efficacité. Et nous verrons comment nous pourrons y réussir par notre formule de l'Ecole de travail, où il y aura pour tous les individus - en parodiant une formule sociale éloquente - du pain et des roses.

 

***

 

Si la grammaire était inutile pour l'apprentissage du français  

 

L'aspect orthographique de l'enseignement de la langue, n'est donc, nous l'avons vu, qu'une considération mineure, quelle que soit l'importance sans cesse exagérée qu'on tend à lui accorder.

 

Autrement déterminante est la question de la Grammaire, élément jugé indispensable de la connaissance et de la pratique de la langue.

 

Il ne suffit plus de savoir si on sera capable d'écrire sans faute - ce qui n'a, répétons-le, qu'une valeur toute contingente plus spécifiquement scolaire. Mais savoir s'exprimer, non seulement correctement, mais avec élégance et sentiment, être en mesure de manier la langue avec adresse et habileté, savoir démontrer, convaincre, émouvoir, c'est une toute autre affaire, qui conditionne largement à notre époque notre comportement et notre vie.

 

C'est donc très important pour nous de déterminer avec sûreté la méthode pour y parvenir. La méthode traditionnelle a ostensiblement fait faillite. Nous sommes à la recherche d'une méthode plus efficiente.

 

Comme pour la grammaire orthographique, c'est le point de départ de l'enseignement grammatical qui est erroné. Seulement cette erreur, les psychologues et les pédagogues contemporains ne veulent pas la reconnaître parce que cette reconnaissance signifierait l'écroulement de tout le château de cartes scolastique de l'apprentissage.

 

Dans un récent « Billet » de la revue l'EDUCATION NATIONALE, M. Pierre-Bernard MARQUET résume ainsi les « Bases » de la Scolastique :

 

« Peut-on écrire bien en méprisant la grammaire, la ponctuation et l'élémentaire rhétorique ?...

« Peut-on être un grand peintre sans savoir dessiner ?

« Peut-on composer de la vraie et bonne musique sans connaître la gamme ni l'harmonie ?... »

 

La façon même dont ces questions sont posées sous-entend que la réponse ne fait pas de doute. Nous seuls doutons. Mieux : nous sommes, expérimentalement, persuadés du contraire.

 

C'est L'ECOLE, à tous les degrés, qui a inventé, pour s'attribuer originalité et importance, un processus d'acquisition et de vie qui n'a cours qu'à l’Ecole et jamais dans la vie.

 

L'Ecole s'imagine volontiers que la pensée, et l'expression de cette pensée peuvent se monter et se construire comme se monte une machine par adjonction et agencement des pièces, préparées d'avance, qui la composent. Si cela était, le premier stade des acquisitions linguistiques serait évidemment la connaissance parfaite des règles et principes sans lesquels la mécanique ne saurait pas fonctionner. C'est évidemment logique.

 

Et les scoliastes s'en sont persuadés et en ont persuadé leurs élèves. Enfermés dans leur système en dehors de la vie, ils ont négligé, pour si paradoxal que cela soit, de considérer la pratique même de leur vie et de celle de leur famille où ne sont jamais appliqués les principes scolaires. Le professeur, mère de famille monte chez ses étudiants la mécanique scolastique, mais elle emploie exclusivement la méthode naturelle avec son enfant qui apprend à parler et à marcher. Et le professeur, possesseur d'une auto, a appris à conduire comme tout le monde, et conduit exclusivement aussi par tâtonnement expérimental, selon la méthode naturelle souveraine.

 

Cela vient sans doute du fait que les méfaits de la méthode scolastique sont plus ou moins compensés par la méthode naturelle ambiante dont bénéficie l'Ecole, à l'insu des professeurs.

 

Ils prétendent - et ils vous en feraient l'éloquente démonstration - enseigner aux enfants à rouler à bicyclette selon ces mêmes principes pseudo-scientifiques. Le processus en est bien réglé, comme le sont tous les travaux scolaires, et la progression indispensable détaillée dans les manuels. Il faut commencer par le commencement, décrire d'abord les pièces de la machine, expliquer avec schéma, le sens du mécanisme et l'action des pédales, puis la physiologie de l'équilibre et de la direction. (N'oublions pas que les scientifiques ont nié la possibilité de tenir en équilibre sur deux roues tant que les bicyclettes, malgré eux, ne se sont pas mises à rouler).

 

A ce moment-là, si le professeur, à demi-conscient de l'insuffisance, dans la pratique de son enseignement théorique, veut quelque peu moderniser son enseignement, il introduira à l'Ecole - si les règlements l'y autorisent - un vélo véritable. Evidemment pas pour rouler dans les couloirs, bien sûr. Ce vélo on le mettra prudemment sur cale et les élèves à tour de rôle viendront y faire leurs exercices pratiques, réglés méthodiquement, en suivant jalousement une indispensable progression.

 

Et quand le cours sera fini, les enfants seront censés savoir rouler à bicyclette. On les lâchera alors dans la vie.

 

Et, ô miracle ! les enfants roulent à la perfection sur leur vélo, bien mieux certes que leur professeur. Pour celui-ci donc succès complet. Méthode efficace à 100%.

 

Or, tout le monde sait bien que si on avait lâché des élèves munis de leur seul viatique scolastique, ils auraient bien vite roulé dans le fossé ou tamponné le premier véhicule venu. Que s'est-il donc passé ?

 

L'enfant qui avait subi les explications du professeur voyait, à la sortie, un vélo inutilisé au bord d'un trottoir. Et là, oubliant totalement les inutiles enseignements du maître, il commençait son apprentissage exclusivement par tâtonnement expérimental : il enfourchait le vélo, non sans avoir repéré un fossé herbu où il irait s'échouer, car c'est ainsi que commence sous tous les cieux et avec tous les enfants du monde, le premier apprentissage de la marche à vélo.

 

L'enfant se relève, se gratte un peu si nécessaire, inspecte son vélo, puis retourne au sommet de la montée pour reprendre son exercice et aller s'échouer plusieurs mètres plus loin. Quelques exercices semblables encore et il saura marcher à vélo, sans connaître ni la mécanique, ni l'action des pédales, ni les principes majeurs de l'équilibre. Heureusement pour lui car s'il avait troublé son tâtonnement expérimental par des considérations théoriques, il aurait échoué immanquablement. Tout le monde sait en effet qu'on ne tient son équilibre au début qu'à condition de ne pas y penser et qu'on perd sûrement la direction si on fixe les pédales ou le guidon.

 

Mais comme le professeur n'est pas témoin de cet exercice clandestin, il s'attribue volontiers le bénéfice de la maîtrise que son enseignement a valu à ses élèves et qui constitue effectivement une réussite à 100%

 

Il en est de même pour le français, pour les sciences, pour le calcul et pour l’Art.

 

 

LA MARQUE

DE LA SCOLASTIQUE

 

Nous ne disons pas que la spontanéité peut tout, et qu'il suffit qu'on donne un pinceau à un enfant pour qu'il produise un chef-d'oeuvre Cette spontanéité, elle est à replacer dans le cadre du processus général et universel du tâtonnement expérimental, à même le milieu et la vie. Toujours est-il que, par la méthode naturelle l'enfant se réalise avec une richesse, une subtilité et un allant créateur sans lesquels il ne saurait y avoir oeuvre d'art.

 

Au lieu de considérer, comme le fait la scolastique, que l'enfant ne sait rien - ce qui est évidemment faux - et qu'il appartient à l'éducateur de tout lui apprendre - ce qui est prétentieux et irréalisable - nous partons, pour notre enseignement des tendances naturelles, chez tout individu sain, à l'action, à la création, à l'amour du beau, au besoin de s'exprimer et de s'extérioriser..

 

Nous aidons l'individu à se réaliser et à affiner, par l'action, son sens artistique latent. Tout comme, par les mêmes procédés naturels - ceux qu'emploie la maman - nous préservons en lui et cultivons son sens littéraire, poétique, scientifique, mathématique ; et par ce biais, nous allons toujours plus haut et plus loin que ne le fait la scolastique.

 

Mais que l'Ecole se saisisse de cet enfant de sept ans qui s'exprime en peinture et en dessin avec la même impétuosité qui le fait triompher du vélo ; qu'elle arrête autoritairement le torrent que nous avions mis en branle pour le couler arbitrairement dans le processus traditionnel de la leçon et de la copie et instantanément, en tous cas dans l'espace de quelques jours, la flamine que nous avions allumée vacille et s'éteint ; la fleur prête à s'épanouir se fane et se dessèche.

 

Il arrive, dans notre pays de Provence qu'un certain nuage venu de la mer et chargé de miasmes et de sel passe, un matin, sur les pommes de terre en fleurs ou sur les boutures d'anémones ou d'oeillets En quelques heures la verdure est grillée comme par un incendie définitif.

 

Tel est le sort des enfants qu'a prématurément marqués la scolastique. Ils ne savent plus ni dessiner ni peindre ; ils n'ont plus d'idée et attendent passivement que le maître ou le livre leur apportent la becquée. L'élan est éteint.

 

Il est certes quelques individus privilégiés qui s'accommodent plus ou moins de cette limitation et réussissent malgré la scolastique, ce qui induit en erreur ceux qui la pratiquent. Mais la grande masse des écoliers d'aujourd'hui en sont irrémédiablement marqués, à moins que par un sursaut de défense de leur être, ils s'organisent contre, ou sans l'Ecole, jusqu'à en avoir une irréductible allergie.

 

Certaines formes d'opposition scolaire, le refus d'étudier, la crainte et la peur de l'Ecole, et tous les multiples aspects de la dyslexie ont comme cause essentielle cette erreur de méthode qui contrarie et anéantit la vie.

 

Je sais bien que, lisant cela, les éducateurs penseront que je dramatise sans raison puisque les choses ne se passent que rarement ainsi dans leurs classes. S'ils ne mesurent pas les dommages profonds que les méthodes traditionnelles causent à la vie active des enfants, c'est que le milieu corrige leurs erreurs. Il les corrigeait d'une façon presque radicale à l’Ecole de village de naguère où l'enfant participait au travail des champs, dans une atmosphère essentiellement bénéfique. Ce correctif n'existe plus qu'exceptionnellement: dans les villes tentaculaires, dans les zones déshéritées des H.L.M. et des grands ensembles. Et c'est sans doute une des raisons qui rendent plus sensibles et plus impérieux les problèmes complexes qui s'imposent de nos jours aux pouvoirs publics et aux parents d'élèves.

 

Il serait souhaitable que, pour notre commun enseignement, puisse être menée l'expérience intégrale qui livrerait quelques enfants, de leur naissance à la puberté, à des éducateurs qui les traiteraient exclusivement selon leurs méthodes soi-disant scientifiques.

 

Nous ne nous avançons pas en prédisant que les enfants qui seraient soumis à cette expérience monstrueuse seraient incapables de réagir aux impératifs de la vie.

 

Telle serait la faillite de l'Ecole.

 

J'exagère ?

 

Cette expérience a été pourtant menée pendant de nombreuses années dans les pays colonisés soumis à l'alphabétisation.

 

Là, les enfants ne connaissent rien de notre langue. L'éducateur les prend à l'état pur, pourrions-nous dire. Voyons ce que donne la méthode :

 

Pour ne pas être suspecté de parti-pris, nous donnerons ici le témoignage, à notre avis irrécusable, de M. THABAULT, Directeur, à l'époque, de l'Enseignement au Maroc.

 

« Dans une école marocaine, créée par l'Alliance Israélite universelle, les instituteurs appliquent les programmes et les horaires français, se servent des manuels publiés à Paris pour les petits Français, et enseignent naturellement la grammaire traditionnelle.

 

« A la fin de la première année scolaire, gros succès 50 élèves sur 60 savent lire couramment. Mais hélas ! ils ne comprennent pas ce qu'ils disent.

 

« Le résultat, le voici : Au C.E.P.E., un élève de 15 ans écrivait le texte suivant :

 

Ma première cigarette !

 

« FUMER UNE CIGARETTE ; JE ME                         DÉSIRE DANS MES LÈVRES ; ASPIRER, EXHALER, CELA ME FAIT GRANDIR, MES YEUX ET LES LÈVRES DE MES CAMARADES.

 

UN JOUR, EN SORTANT DE MA MAISON, UN DE MES COUSINS M'OFFRIT UNE CIGARETTE, ALLUMER, TIRER APRÈS, UN INSTANT SURPRIS, M'ACRETÉ LA BOUCHE, MES YEUX PAPILLOTENT, MA TÊTE CHAVIRÉE, DES COUPS DE SUEUR SE COULENT SUR MON FRONT ET JE FAIS DES EFFORTS POUR VERNIR. MON PÈRE M'A FAIT CONNAÎTRE CE LUI EST ARRIVÉ, CAR LE TABAC CONTIENT DU POISON ET LE POISON EST INUTILE A LA SANTÉ. »

 

Cet exemple, ajoute M. RIETHMULER, Inspecteur Primaire, qui le cite, n'a pas été choisi pour les besoins de la cause et l'auteur dispose en effet, de beaucoup de documents semblables.

 

D'autre part, voici, toujours de la même origine, le texte d'un ancien élève de l’Ecole, pourvu du C.E.P.E.

 

« J'AI REÇU VOTRE HONORÉE DU 7 OCTOBRE 1940 DONT J'AI ÉTÉ EN CONFIRMATION DE MA BONNE NOTE.

 

D'APRÈS VOTRE RÉPONSE, M. LINSPECTEUR, JE L'AI TRANSMISE A L'ISRAÉLITE QUE JE VOUS AI PARLÉ M'A DIT DE VOUS ÉCRIRE DE NOUVEAU ET VOUS PRIE, MONSIEUR L'INSPECTEUR, DE M'ÉCRIRE EN PAPIER SOUS MON NOM A REMETTRE AU CHEF DE CETTE DITE VILLE QU’IL LES GOUVERNE, AFIN QU'IL LEUR AUTORISE DE COMMENCER L'OUVERTURE DUNE ÉCOLE PAR EUX-MÊMES JUSQU'A L'ALLIANCE SERA PRÊTE, CELA SE RENOUVELLERA AUSSITÔT. »

 

Et M. RIETHMULER ajoute : « Dans les deux documents on constate : un vocabulaire très étendu, un peu trop littéraire, une orthographe impeccable, mais une invraisemblable lacune en ce qui concerne l'intelligence grammaticale de la phrase française. »

 

Avec M. THABAULT concluons : « D'un côté, on enseigne le français sans enseigner la grammaire, et on obtient d'excellents résultats parce qu'on fait parler les enfants, parce qu'on a méthodiquement monté en eux des mécanismes de la langue parlée avant de les faire écrire et de les amener à réfléchir à leur savoir.

 

« D'un autre on obtient, malgré un effort dont nous n'avons pas idée, des résultats très décevants parce que, si on enseigne l'orthographe, le vocabulaire, la grammaire, on ne fait pas parler les enfants ; on est censé les faire réfléchir sur des mécanismes grammaticaux dont ils n'ont pas l'usage.

 

« Rien ne saurait nous démontrer avec plus d'évidence le caractère défectueux de l'enseignement grammatical: il n'est pas indispensable pour assurer la possession du mécanisme du langage :: il est insuffisant pour en donner l'essentiel. »

 

Voilà ce que donne en réalité le montage des mécanismes en rédaction sur la base des règles de grammaire. La méthode est définitivement condamnée.

 

 

 

LA

GRAMMAIRE

CONDAMNÉE

 

Cette condamnation, si les scoliastes la contestent, tous les grands éducateurs l'ont formulée, d'une façon plus ou moins définitive :

 

« Je tiens pour un malheur public, écrivait Anatole France, qui s'y connaissait (A. FRANCE. Pierre Nozière.) qu'il y ait des grammaires françaises. Apprendre dans un livre, aux écoliers français, leur langue natale, est quelque chose de monstrueux quand on y pense.

 

Etudier comme une langue morte la langue vivante, quel, contresens !

 

Notre langue, c'est notre mère et notre nourrice ; il faut boire à même ; les grammaires sont des biberons. Et Virgile a dit que les enfants nourris au biberon sont indignes de la table des dieux et du lit des déesses. »

Nous donnons, ci-dessous, une liste de citations que chacun d'entre vous pourra d'ailleurs compléter. Il serait intéressant notamment d'interroger les écrivains en renom, et ceux qui le sont moins, les journalistes et les secrétaires, de demander à quelques-uns d'entre eux de répondre aux questions courantes du C.E.P.E. On se rendrait compte alors plus ostensiblement encore de l'inutilité de la grammaire pour l'apprentissage de la langue écrite, (ne parlons pas de la langue parlée où nul ne se réfère à la Grammaire).

 

« Il faut avouer loyalement que la connaissance minutieuse des règles actuelles ou périmées de la grammaire ne confère pas nécessairement l'art de bien parler ou de bien écrire en français.

 

Déclarons donc sans réticence, ni timidité, que la meilleure méthode d'enseignement, c'est la pratique de la langue courante dans un milieu cultivé, l'habitude d'un vocabulaire, d'une syntaxe, d'un langage, simples, clairs, corrects, faciles et spontanés. Quiconque aura reçu cette éducation que rien ne remplacera complètement, ignorera peut-être ce que c'est que le passé antérieur ou l'imparfait du subjonctif, mais se servira de ces formes dangereuses avec l'heureuse sécurité de l'inconscience. » FONTAINE (Pour qu'on sache le Français, p.I).

 

*

 

« Je crois être en droit de dire qu'on fait de la grammaire une plus grande affaire qu'il est besoin. » - LOCKE (de « L'Education des Enfants », 1695).

 

*

 

« Substituer à l'habileté dans l'art de coller des étiquettes, une étude sérieuse du langage modelé sur la pensée, dût la nomenclature en souffrir, voilà évidemment le but à atteindre. » - FONTAINE (Le problème grammatical).

 

*

 

« Il faut avouer et reconnaître loyalement que la connaissance minutieuse des règles n'est pas aussi indispensable qu'on pourrait le croire à qui veut parler ou écrire correctement. On peut soutenir qu'il y a un enseignement intuitif et en quelque sorte empirique de la langue française et que la forme didactique n'est pas indispensable. Ce qui importe, c'est la pratique des règles et non leur connaissance théorique. » - DELFOLIE, I.P.

 

*

 

« On ne construit pas une langue à partir de la grammaire.

 

a) Une langue n'est pas faite par les grammairiens; elle est l'oeuvre d'un peuple, une oeuvre collective; elle se forme lentement au cours des siècles, et ce n'est qu'à la longue qu'elle arrive à fixer sa forme à peu près définitive. C'est alors, mais alors seulement, que les savants l'étudient, dégagent les règles souvent incertaines d'après lesquelles elle paraît s'être développée. (Albert Dauzat).

 

b) D'un ensemble vivant et concret, elle tire des abstractions, et ce n'est pas en assemblant celles-ci qu'on peut reconstituer cet ensemble et surtout lui redonner de la vie.

 

Etant donné le but que nous nous proposons en Alsace, l'enseignement de la grammaire n'est pas indispensable.

 

Des expériences le prouvent.

 

Dans des hameaux de la Dordogne patoisante et dans des écoles de la brousse africaine, M. Davesne, directeur de l'Enseignement en A.E.F., a tenté d'enseigner le français sans recourir à la grammaire. Les résultats ont été surprenants, en particulier pour l'orthographe de règles qui, en apparence, dépend si étroitement de la grammaire. »

 

RIETHMULER, I.P. (Haut-Rhin).

 

*

 

« Ce qui intéresse l'enfant, ce qu'il peut et doit savoir, c'est le français et non la grammaire française. » - (BRUNO, professeur d'histoire de la langue française à   la Sorbonne, et BONY, inspecteur de l'Enseignement primaire, dans la préface à leur livre du Maître de la méthode de la langue française, 2e livre.)

 

*

 

« La circulaire ministérielle du 28 septembre 1910 qui « enjoint » de rompre avec cette idée fausse que la grammaire est toujours conforme à la logique. »

 

« La grammaire est l'objet d'une répulsion universelle. Les enfants n'en font que par contrainte et par dégoût. Ils n'y trouvent aucune espèce d'intérêt.

 

Le cerveau de l'enfant est à peu près incapable des abstractions dont la grammaire est pleine... Plus l'enfant est intelligent, moins il est capable de grammaire, parce que la grammaire est quelque chose d'absurde.

 

L'enseignement grammatical demeure, avec la théologie, dans notre âge moderne, le seul reste vivant du Moyen âge, la seule forme actuelle de la scolastique. »

 

*

 

« Etudier la grammaire, c'est se pencher sur un formalisme dont les mécanismes n'ont aucun rapport avec ceux de la pensée.

 

Nous ne retiendrons que le fait incontestable : la grammaire reste à faire. C'est plus que nous ne demandions. Nous nous inquiétons de savoir si la grammaire a sa place à l'école primaire. Ce souci ne répond à rien puisque à la question que nous nous étions posée : Qu'est-ce que la grammaire ? Il faut répondre que la science grammaticale n'existe pas et que la grammaire que nous enseignons est un pur fatras. » - CABUS, I.P., Lyon.

 

*

 

« Nous savons le français sans nous donner la peine de l'apprendre. Il suffit d'écouter ceux qui parlent bien et de lire des auteurs qui ont bien écrit. Il semble que ce bienfait de la nature nous ait déplu parce qu'il était gratuit. Nous avons cherché le moyen de faire payer chèrement aux écoliers ce qu'ils pouvaient avoir pour rien, et nous l'avons trouvé. On a traité la langue maternelle comme une langue morte ; on l'a hérissée de grammaire, d'orthographe et d'analyse ; on a élevé autour d'elle un rempart de règles et d'abstractions comme pour dégoûter sans retard les enfants de l'étude ; on les a jetés à peine sortis des bras de la nourrice dans les halliers du participe et dans les broussailles de l'imparfait du subjonctif.

 

Je voudrais qu'on épargne aux élèves la torture de la grammaire; l'orthographe d'usage leur viendra d'ellemême. Quant aux règles, on les leur enseignera en peu d'heures, lorsqu'ils seront en état de les comprendre. Je ne parle pas des analyses logiques et grammaticales qui semblent n'avoir été inventées que pour tuer le temps de la manière la plus ennuyeuse et la plus triste » - Raoul FRARY (La question du Latin).

 

« A six ans, sans art, sans grammaire, sans fouet, sans larmes, j'avais appris du latin aussi pur que mon maître le parlait ». - MONTAIGNE.

 

*

 

« Je n'ai pas besoin d'insister sur le vice de ces définitions qui  est de n'avoir aucune valeur pédagogique puisqu'elles

sont à peu près incompréhensibles pour l'enfant. Tous ces grands mots ne correspondent à aucune idée. » - BRUNOT.

 

***

 

Et voici maintenant, puisées parmi tant d'autres un certain nombre d'usagers qui ne se sont pas contentés d'emboîter le pas, mais qui ont essayé de comprendre et de juger :

 

« J'ai toujours été « bon » en orthographe, et à dix ans je faisais avec zéro ou une faute les dictées des candidats au C.E.P. (vers 1917). Pourtant, il me souvient de mes terreurs renouvelées les jours de leçons de grammaire. A tel point que, dans mon enfantine superstition, tout en faisant semblant de relire ma leçon, je joignais les doigts et récitais quelque prière en vue de ne pas être interrogé ». D.

 

*

 

« J'ai appris la langue écrite empiriquement et j'ai appris la grammaire après, vers ma quatorzième année. Les règles délicates (accord des verbes pronominaux, par exemple) n'ont été connues de moi qu'à l'âge adulte, alors que j'exerçais déjà ». – C.

 

« L'analyse, qu'elle soit « grammaticale » ou « logique » est une énormité à l'école primaire. Je ne suis pas compétent pour savoir si elle est utile plus tard. Quand un enfant sait trouver le verbe, le sujet et le complément d'objet direct (accords du verbe et du sujet, accord des participes), on ne devrait pas lui inculquer autre chose en analyse.

 

« Certains de mes élèves « forts en analyse » sont plus inaptes que d'autres de leurs camarades dans un texte libre ou un devoir de français ». - R.

 

*

 

« Je ne serais pas capable de répondre à toutes les questions de grammaire du C.E.P. je m'en suis aperçu à plusieurs reprises; exerçant dans un C.E., mes connaissances grammaticales sont  restées très élémentaires et je ne m'en porte pas plus mal ». - G.

 

« Quant à la grammaire, Cousinet disait, il y a vingt-cinq ans, que son enseignement devrait commencer après 12 ans... et non d'une manière formelle.

 

« M. Lafitte-Houssat, auteur de « La réforme de l'orthographe », en bannit déjà toutes les questions de formes pour s'attacher au sens et aux fonctions. »

 

« La grammaire est en somme « la philosophie du langage ». Elle constitue la théorie de la langue. A ce titre, elle reste discutable et discutée. Et personnellement, je me permets de répondre, quitte à passer pour un prétentieux, que la grammaire ne devrait être enseignée qu'à 16 ans dans ses rapports avec la vie, et sans aucune espèce de préoccupation des détails de forme sur lesquels les grammairiens peuvent discuter à perte de vue. - R. LALLEMAND.

 

*

 

« Le meilleur élève en rédaction de la classe est-il fatalement celui qui sait analyser ? Essayez un peu de lui faire expliquer telle ou telle forme de phrases employées et surtout de les analyser...

 

N'est-il jamais arrivé d'avoir un candidat au C.E.P., bon ou moyen en orthographe et incapable d'analyser ?

 

Un élève qui sait analyser est-il fatalement un élève extraordinaire en français ?

 

Pourquoi recommande-t-on alors aux élèves de lire pour apprendre la langue ? C'est parce que le profit à en tirer est nettement supérieur à une analyse, fut-elle bien conduite !...

 

Brunot ne disait-il pas qu'il n'y a rien de plus illogique que l'analyse logique ? »

 

*

 

« Malade, cloué sur un lit d'hôpital, de 8 ans 1/2 à 12 ans 1/2, j'ai quitté l'école au sortir du C.E. 2. je n'ai connu, pendant cette période, que deux heures de classe par semaine (orthographe et calcul). Cependant, j'ai eu le loisir de dévorer à longueur de journée livres, journaux, revues, tout ce qui me tombait sous la main car j'étais passionné de lecture.

 

A 13 ans, après quelques mois de « bourrage » (de Pâques à l’examen), j'ai obtenu le C.E.P. et suis entré au C.C.

Là, je me suis rendu compte de mes lacunes, particulièrement en orthographe où j'étais nul.

 

Pourtant, j'ai manifesté une grosse supériorité sur mes camarades en français. J'étais en avance sur eux de plusieurs années. Il n'était pas question d'une aptitude particulière car, par la suite, mes camarades m'ont rattrapé et même dépassé. J'ai d'ailleurs toujours préféré sciences et maths.

 

Je devais donc cette maîtrise exceptionnelle de la langue, à 13 ans, uniquement à mes lectures. Depuis, je ne pense pas, malgré mes études, avoir amélioré mon style. Je précise que j'ignorais alors à peu près tout de toute grammaire et que je l'ai apprise (ainsi que l'orthographe) depuis que je l'enseigne. - M. G.

 

« J'ai eu le cas dans ma classe - une petite fille, Francine, qui à 9 ans ne se trompait jamais dans ses accords de participes passés - ceci grâce aux fichiers Lallemand. Et qui, du jour où elle a eu connaissance de la règle, s'est mise à faire des fautes régulièrement et ce, pendant très longtemps. La règle l'avait troublée. Depuis, cette gosse exceptionnellement forte en style et en orthographe se refuse complètement à l'étude des règles. » - S. (Nord).

 

*

 

« VOUS CHANTEREZ APRÈS... »

 

Si la grammaire est inutile,             son étude arbitraire est nuisible          

 

Si le processus traditionnel d'acquisition est erroné, son usage à l'Ecole ne peut qu'en être dommageable.

 

Ce n'est pas tant le fait d'étudier les règles par cœur - ce qui n'est pas grave - que la dissociation que les processus scolastiques produisent dans la vie et le comportement des enfants.

 

Dès cinq et six ans ils s'expriment avec un langage imagé, parfois poétique, qui fait l'enchantement des parents. A dix, onze ans, ils connaissent et parlent de tout. Ils ont en eux déjà une richesse sur laquelle nous n'aurions plus qu'à bâtir.

 

L'Ecole les fait asseoir sagement, croiser les bras et se taire, en attendant de savoir écrire selon les normes, Tout se passe comme si l'Educateur parâtre disait hargneusement à ses élèves :

 

« - Ah ! vous croyez savoir écrire et rédiger ! Mais c'est une autre affaire que de raconter vos histoires dans la cour de la récréation et en famille. Rédiger en bon français c'est difficile : il vous faut d'abord connaître les règles et ensuite faire les exercices que nous vous indiquerons, sinon vous resterez des ignorants. »

 

Comme si on allait dire à un adolescent à la voix d'or : vous n'allez pas chanter ainsi, au hasard, pour gaspiller vos efforts. Il vous faut d'abord connaître les règles du chant. Vous chanterez après.

 

Et tout le monde s'incline. On étudie les règles ; on écrit comme l'indiquent les manuels. Et lorsque, ayant assez étudié, on serait en droit d'écrire, le charme est rompu. On ne sait plus que dire. L'élève naguère curieux et bavard n'a plus d'idée. Il faut que le maître les lui suggère ou les lui prépare. Le tout aboutit aux honnêtes rédactions du C.E.P.E., où les phrases sont correctes, mais vides de pensées et de sentiment,, banales à en pleurer.

 

C'est ainsi que l'Ecole, malgré tout ses efforts, prépare une masse d'enfants analphabètes parce que, bien que sachant lire et écrire, ils sont incapables d'exprimer par la plume les difficultés de leur vie, leurs joies et leurs et leurs rêves. Ils ont besoin que des étrangers à leur milieu traduisent, en les trahissant plus ou moins leurs propres sentiments.

 

Il en résulte que si le peuple possède ses orateurs, un domaine où on n'a pas encore imposé de règles il ne possède pas ses écrivains et, de ce fait, n'est pas encore majeur.

 

Nous ajouterons que la peur de la règle, de la loi et de ses défenseurs paralyse les individus, les rend hésitatits et timides en face de tous les problèmes de culture, alors même qu'ils peuvent être d'une audace invincible dans les domaines du théâtre, du mime, de la musique, de l'expérience scientifique et de la construction matérielle.

 

Mais on n'en finirait pas d'exprimer nos griefs.

 

Si tant d'enfants sont aujourd'hui désaxés et désadaptés en face de la vie, les méthodes erronées en portent une large responsabilité.

 

La preuve en est que lorsqu'on rétablit les circuits normaux, qu'on entraîne les enfants à s'exprimer naturellement, à construire et à créer, ils lèvent la tête, reprennent le regard vif des audacieux, savent intégrer leurs connaissances dans leurs techniques de vie, et acquérir une culture qui n'est pas un assemblage mort de ce qu'ont produit d'autres hommes, mais un potentiel actif et dynamique de création et d'action.

 

Ces enfants ne se contenteront plus d'écouter; ils n'auront plus besoin d'intermédiaires dans les luttes qu'ils sauront mener pour améliorer le milieu et maîtriser les éléments.

 

Ils ne seront plus des écoliers plus ou moins ratés ; ils seront des hommes.

 

L'Ecole alors pourra se vanter d'avoir rempli sa tâche.

 

 

Une Méthode

Naturelle de Grammaire

 

Je sais que ma démonstration, si éloquente soit-elle, ne vous convaincra pas d'emblée. Les nombreuses citations dont nous avons fait état vous paraîtront elles-mêmes suspectes.

 

Vous voudriez - et vous avez raison - être sûrs que par la méthode naturelle, vos élèves sauront lire, écrire et rédiger au moins aussi bien que par les méthodes traditionnelles, que leur orthographe n'en sera pas catastrophique - puisse-t-elle être excellente ! - et que leurs succès aux examens n'en seront pas compromis.

 

Dans l'emploi que nous faisons de nos techniques, nous avons l'habitude de conseiller : « Ne vous lâchez pas des mains avant de toucher des pieds ». Si nous vous recommandons notre méthode naturelle, c'est que nous pouvons vous donner l'assurance que pour l'orthographe, la rédaction, la syntaxe et la grammaire, elle vous vaudra des résultats égaux, sinon supérieurs, à ceux que vous obtenez aujourd'hui avec l'enseignement classique que vous hésitez à abandonner.

 

***

 

Plus de leçons !

 

La technique de travail traditionnelle est tout entière basée sur la leçon faite par le maître, étudiée dans le manuel, avec, la plupart du temps des résumés à apprendre par coeur et des devoirs d'application.

 

C'est une méthode de travail. Elle a aujourd'hui fait ses preuves. On connaît les quelques avantages qu'elle présente : avec un minimum d'initiative et de don de soi, mécaniquement, en suivant les manuels, n'importe quel instituteur peut « voir » le programme, même sans avoir fait le long apprentissage de l’Ecole Normale.

 

Mais on a toujours hésité à en divulguer les inconvénients et les dangers, parce que critiquer ce que l'on ne peut ou ne sait remplacer c'est dénigrer, et que dénigrer est toujours une position difficile et délicate.

 

Nous qui, par suite d'une longue expérience, savons aujourd'hui où nous allons, pouvons nous payer l'audace de dire que la technique traditionnelle des devoirs et des leçons présente, en grammaire comme d'ailleurs pour toutes les disciplines, et parmi d'autres tares, celle de n'avoir qu'une efficience extrêmement réduite.

 

L'instituteur fait sa leçon de grammaire et de français, la plupart du temps sans conviction ni chaleur, car il n'y a rien qui use plus, et déforme comme de pontifier sans cesse devant un auditoire qui ne participe pas en profondeur, d'une façon vivante, au thème traité. Il est prouvé en effet que, à de rares exceptions près, et sur quelques sujets seulement de ces leçons, l'enfant n'écoute pas avec tout son être. Et comme cependant la passivité n'est pas son fait il se donne à l'éducateur tout juste assez pour éviter la punition ou l'échec à l'examen pendant que le meilleur de lui-même continue à suivre, comme clandestinement, la ligne vitale de ses intérêts et de ses besoins.

 

Avant même que la psychologie ait dévoilé ce dédoublement mortel pour l'Ecole, les pédagogues avaient senti l'insuffisance des leçons doctorales puisqu'ils avaient vu la nécessité de les doubler et de les prolonger par l'étude sur le manuel de ces mêmes leçons. Rabâchage plus fastidieux encore et qui ne donnait quelque rendement que si on en contrôlait scrupuleusement l'exécution par les résumés à apprendre par coeur et les devoirs à faire.

 

Or, on peut tricher quand le maître parle ou quand on lit la leçon. Mais un résumé est su ou n'est pas su, un devoir est juste ou faux... Terrible obligation qui empoisonne la vie des écoliers, de ceux surtout - et ils sont l'immense masse - à qui coûte exagérément un un effort de mémoire et de compréhension qui leur est anormalement et inhumainement imposé.

 

C'est ce travail inutile et excédant qui use les générations d'écoliers, les dégoûte du travail et parfois hélas ! leur fait haïr l’Ecole.

 

Devoirs et leçons sont ainsi à la base de tout le système de coercition imaginé par les règlements et les pédagogues. Il est impossible de travailler avec les enfants dans l'atmosphère de confiance et de collaboration indispensable à toute oeuvre d'éducation, quand tout au long du jour le maître, livre en mains - car il n'a pas besoin, lui, de savoir par coeur, et ce n'est pas là la moins criante des injustices - contrôle leçons et devoirs. Les punitions sont le complément nécessaire d'une telle méthode de travail.

 

Ah ! si nous pouvions supprimer dans nos classes toutes les leçons faites ex-cathedra par les éducateurs si nous pouvions éliminer tous les résumés à apprendre, tous les devoirs à faire ! Comme l'Ecole paraîtrait alors aux enfants et aux adultes, lumineuse et claire ; comme on y travaillerait avec joie et sans hypocrisie ; comme la collaboration y serait agréable et combien changerait aussi, du même coup, le rôle de l'éducateur qui vivrait enfin au sein de la vraie vie.

 

C'est cette possibilité que nous avons réalisée pour toutes les disciplines scolaires, par la mise au point de nos méthodes naturelles de lecture - d'écriture – d’histoire - de géographie - de sciences - de calcul - de dessin et de peinture.

 

***

 

C'est en forgeant qu on devient forgeron !

 

Pour toutes les disciplines donc, nous inversons les processus d'apprentissage en plaçant à l'origine non la règle et les leçons mais la pratique et l'action.

 

Dans notre méthode naturelle d'apprentissage de la langue, nous partons non du texte d'adulte, mais de la vie de l'enfant, de son expression orale et écrite, de son TEXTE LIBRE qui est devenu aujourd'hui une pratique officielle de l'Ecole française - et c'est là un des premiers résultats positifs de nos techniques.

 

Pour la compréhension et la justification de cette technique du TEXTE LIBRE, nous renvoyons nos lecteurs au n° 3 de notre BIBLIOTHÈQUE DE L'ECOLE MODERNE consacré au TEXTE LIBRE.

 

Nous rappellerons seulement que le succès et la généralisation de nos méthodes naturelles sont basées, sur une conception nouvelle des processus d'acquisition et d'apprentissage : le Tâtonnement expérimental. Quiconque faute de le connaître, n'admet pas ce processus, ne pourra jamais comprendre que notre point de départ soit juste et donc recommandable.

 

Les éducateurs, tous formés et déformés par l'Ecole, sont persuadés que rien ne peut s'acquérir sans un apprentissage méthodique dont la Faculté prétend enseigner les lois. C'est ainsi que, devant une belle peinture d'enfant, avant de s'émouvoir d'un beau texte ou d'un poème pur et sensible, le scoliaste se pose et nous pose la question préalable :

 

- Mais vous ne viendrez pas nous faire croire que l'enfant sait dessiner si vous ne lui apprenez pas comme il se doit les lois et les règles du dessin et de la tenue du pinceau; qu'il peut écrire un poème valable si vous ne le lui avez pas appris ?

 

Par le TATONNEMENT EXPÉRIMENTAL, processus naturel et universel, nous expliquons cela à ceux pour qui les preuves que nous en donnons ne suffiraient pas.

 

Nos méthodes naturelles sont fondées exactement sur les mêmes principes que les pratiques ancestrales qui assurent, avec un total succès, l'acquisition par l'enfant du langage et de la marche, techniques pour lesquelles nul n'a encore essayé la pratique, qui apparaîtrait monstrueuse, des règles, des devoirs et des leçons.

 

C'est vraiment en forgeant qu'on devient forgeron c'est en parlant qu'on apprend à parler ; c'est en écrivant qu'on apprend à écrire. Il n'y a pas d'autre règle souveraine et qui ne s'y conforme pas commet une erreur aux conséquences incalculables.

 

***

 

Telle est la loi du TATONNEMENT EXPÉRIMENTAL. Mais encore faut-il qu'elle fonctionne normalement.

 

L'enfant apprend à parler en un temps record parce qu'il ne s'arrête pas de parler, et que sa maman n'arrête pas non plus de l'écouter et de lui parler.

 

L'enfant apprendrait de même à écrire à la perfection sans aucun exercice systématique et sans règle spéciale si les mêmes conditions indispensables étaient remplies ; c'est-à-dire si l'enfant écrivait et lisait non seulement quelques minutes par jour mais pour ainsi dire en permanence.

 

On comprend donc que, de ce point de vue, le seul TEXTE LIBRE ne saurait y suffire, avec la rédaction par l'enfant de un, deux ou trois textes par semaine et la mise au point journalière d'un de ces textes. C'est un peu comme si l'enfant n'était autorisé à écrire et à être écouté par la maman qu'une heure par jour seulement. Dans ce cas-là, évidemment, on serait obligé, pour pallier cette insuffisance, de faire appel à des processus artificiels correctifs ou complémentaires dont nous ne garantissons pas l'efficience.

 

Dans nos classes, nous pouvons réduire presque à zéro cette part d'ersatz pour que nos enfants :

 

- écrivent fréquemment des Textes libres ;

- que ces textes libres soient naturellement lus à la classe pour le choix du texte à imprimer ;

- qu'ils lisent les textes et les lettres reçus de leurs correspondants ;

- qu'ils écrivent à leurs correspondants ;

- qu'ils rédigent tout au long de la semaine, conformément à leur plan de travail, des textes pour comptes rendus et conférences ;

- que leurs pensées et l'expression de ces pensées soient vraiment au centre de leur vie.

 

Si cette activité d'expression créatrice motivée pouvait être représentée dans la vie extra-scolaire, le mécanisme d'apprentissage naturel fonctionnerait à 100%.

 

Il ne fonctionne qu'à 50% si on fait seulement Texte libre, comptes rendus et conférences.

 

Il ne fonctionnera qu'à 20% si on fait seulement un texte libre sans résonances scolaires et extra-scolaires.

 

Il ne donnera qu'à 5% si on fait le texte libre sans imprimerie, sans correspondance et sans journal.

 

Ce qui veut dire que la part d'exercices formels sera en proportions inverses de l'activité créatrice.

 

 

 

LES EXERCICES DE GRAMMAIRE

 

Parmi les exercices dont nous avons vu la nécessité, en compensation de certaines insuffisances du tâtonnernent expérimental dans la pratique actuelle de la méthode naturelle, nous distinguerons :

 

1° L'EXERCICE VIVANT QUI SE FAIT NOTAMMENT AU COURS DE LA MISE AU POINT COLLECTIVE DU TEXTE.

 

On ne parvient jamais du premier coup, même si on est adulte et entraîné, à écrire un texte parfait. Il faut même habituer les enfants à considérer que la nécessité où ils sont de revoir de polir, de perfectionner leur texte, est non une démarche scolaire mais un processus qui est dans l'ordre des choses et auquel les adultes eux-mêmes doivent s'habituer.

 

a) L'ordonnance du texte d'abord

 

Le texte de premier jet est très souvent mal balancé l'entrée en matière en est couramment trop longue. L'enfant ne sait pas toujours concentrer sa pensée et son écrit sur le fait essentiel, ce qui rend les préliminaires longs et fastidieux.

 

C'est là d'ailleurs un travers qui n'est pas spécifiquement enfantin : on connaît dans la vie ces parleurs acharnés qui s'attardent à l'accessoire et à qui on voudrait bien dire : Venez donc au fait !

 

Il ne faut jamais expliquer ces choses-là par des régles plus ou moins officielles, mais par la simple expérience de la vie. Le temps nous est limité, et la place dans l'imprime ; alors, pour employer un mot à la mode, nous jetons des flashes. Comme au cinéma qui nous fait entrer d'emblée dans la vie des personnages.

 

Il n’est pas du tout indispensable de donner une conclusion comme dans les rédactions bien faites où il faut tirer un enseignement. Très souvent au contraire on termine sur des mots qui laissent grandes ouvertes les portes de l'avenir, vers lesquelles l'imagination pourra naviguer à son aise. Il vous sera même facile de trouver des exemples.

 

b) La compréhension du texte

 

Il arrive souvent que dans ses textes, comme dans ses   récits l'enfant fasse trop de place à l'accessoire et néglige l'essentiel, ou que les explications qu'il donne, toutes subjectives, soient mal compréhensibles. Certains éléments manquent ou apparaissent inexacts ou insuffisants.

 

Avec la participation des élèves, nous allons compléter et aménager le texte pour qu'il dise vraiment, explicitement, ce que nous en attendons.

 

c) La syntaxe ensuite : c'est-à-dire la rédaction des phrases.

 

Quels sont là les buts recherchés ?

 

Il faut que la phrase soit parfaitement compréhensible. Attention alors aux phrases trop longues et embrouillées, avec des articles, des pronoms ou des verbes mal employés, qui risquent les erreurs et les malentendus. Et cela nous amènera à examiner attentivement le rôle des adjectifs et des pronoms.

 

Le balancement et l'harmonie des phrases et du texte. Les enfants y sont naturellement sensibles. Ils comprennent que, pour cette harmonie on doit parfois compléter des phrases qui tombent trop brutalement, changer ou modifier certains mots vulgaires, pompiers, ou n'ayant pas une résonance en accord avec le texte.

 

Ce travail correspond à celui de l'enfant qui équilibre son dessin ou sa peinture pour lui donner richesse et harmonie, ajoutant un élément dans un coin vide, rehaussant d'une touche une zone monotone.

 

Nous donnerons plus loin quelques exemples de cette mise au point syntaxique.

 

Évidemment, il appartient au maître d'orienter et de diriger cette mise au point en fonction des nécessités syntaxiques réglementaires. Il n'aura pas à apporter de règles dans un travail qui est tout de subtilité, et, de ce fait, difficile à définir. C'est vraiment d'une sorte de polissage du texte qu'il s'agit, et qui se fait par le seul tâtonnement expérimental.

 

- Les méthodes traditionnelles ont un exercice dont elles font d'ordinaire un grand usage : L'enrichissement des phrases.

 

Nous faisons plus que de l'enrichissement mécanique nous donnons à nos textes l'expression subtile, l'âme, le sentiment de la beauté qui leur sont essentiels. Ce travail de mise au point exactement comparable à celui de l'adulte, écrivain ou poète, est particulièrement sensible dans la mise au point collective de nos poèmes d'enfants. Il ne comporte aucune norme précise : on barre, on recommence, on revient parfois à l'expression spontanée que le travail ultérieur risquait de pervertir. C'est la création littéraire dans toute sa complexité, mais aussi avec toutes ses vertus enthousiasmantes et fécondes.

 

Dans ce travail de mise au point d'ailleurs, l'exemple des réussites d'adultes et d'enfants reste déterminant cela fait partie du processus de tâtonnement expérimental.

 

D'où la nécessité d'avoir sous la main dans notre fichier documentaire ou dans notre Bibliothèque de travail, de beaux textes d'écrivains ou de poètes, qu'on lit à point nommé pour montrer comment d'autres personnes, en pareilles circonstances, ont usé des mots et des phrases pour exprimer avec brio leurs pensées et leurs réactions en face des éléments de la vie.

 

L'erreur des méthodes traditionnelles est de partir des textes d'écrivains pour prétendre enseigner la langue.

 

A l'origine, il faut toujours l'expression et la création personnelles. C'est quand un auteur écrit un texte ou un poème qui a eu les honneurs du choix de la classe, et qui a été magnifié par l'imprimerie ; quand il s'est mesuré aux mêmes difficultés que les écrivains et les poètes ; lorsqu'il a pris conscience de ses insuffisances et de ses succès, qu'il apprécie vraiment l'oeuvre des autres. On les aborde alors tout à la fois avec une plus grande sensibilité, et en même temps avec un sens critique actif, juste et sûr, avec l'esprit du connaisseur.

 

Il y a là un élément d'éducation qu'on néglige trop souvent. Vous pourrez faire des leçons sur la construction d'une maison, l'utilisation des divers matériaux et la technique de leur emploi ; vous n'aurez enseigné que des mots, sans influence sur le comportement et la vie des individus, qui donc ne creusent pas leur trace indélébile sur le destin des hommes.

 

Mais si vous avez travaillé effectivement à la construction d'une maison ; si vous avez affronté, pas toujours avec succès, les aléas d'un mortier, la fragilité des briques, la rigidité de l'aplomb ; si vous avez procédé vous-mêmes à ce tâtonnement expérimental de base, alors vous serez vraiment sensibles à l'expérience d'autrui et vous progresserez avec une rapidité et une sûreté qui vous étonneront. C'est cela la vraie voie de la méthode naturelle de tâtonnement expérimental qui n'a que faire d'un enseignement didactique et de règles à apprendre.

 

On vous dira parfois que c'est une méthode trop lente, qui ne vous fait pas assez bénéficier de l'expérience de ceux qui nous ont procédés.

 

Il ne s'agit pas de savoir si la méthode est plus lente. Elle est la seule valable, comme la méthode naturelle de tâtonnement expérimental est la seule qui permette aux enfants d'acquérir à la perfection la maîtrise de la marche.

 

Pour cet enseignement donc, nous ne donnerons aucune règle puisqu'il n'y en a aucune de valable, mais seulement des exemples pour que vous puissiez vous entraîner vous-même à cette nouvelle technique, en attendant qu'on l'enseigne dans les Ecoles Normales et dans les livres et revues, pour parvenir à une réussite généralisée.

 

***

 

 

DEPUIS

L'ÉCOLE MATERNELLE...

 

Voici un plan récapitulatif de l'évolution aux divers cours du processus naturel de tâtonnement expérimental pour la maîtrise de la langue.

 

PREMIER STADE

 

A I'Ecole maternelle et enfantine

 

Les premiers textes que, dès l’Ecole maternelle, on transcrit des récits enfantins sont naturellement excessivement simples : un sujet, un verbe, parfois un complément. Les mots isolés, en apostrophes, les interpellations, les exclamations y tiennent, ou devraient y tenir une grande place. Nous disons « devraient » car les institutrices se croient souvent obligées de traduire en style académique les phrases d'un ou deux mots, accompagnés, il est vrai, de gestes adéquats.

 

La maîtresse écrira :

 

Lucien avait fait une balançoire.

la corde a cassé.

Marcelle a culbuté.

 

C'est juste, fidèle, mais sec et froid comme un procès-verbal de gendarme. Nous le préférerions plus près de l'expression enfantine:

 

Oh ! la belle balançoire de Lucien !

Mais crac !

la corde casse.

Marcelle... patapouf !

 

N'oublions pas que le français n'est pas une construction arbitraire et logique mais une langue essentiellement vivante, et qu'on ne parle pas, qu'on ne doit pas écrire en 1963 comme on le faisait en 1900.

 

 

DEUXIÈME STADE

 

Premières complications

 

Mais, bien vite, les textes se compliquent, avec des adjectifs, des pronoms, des conjonctions et des négations qui sont très tôt du langage de l'enfant, même si on ne sait ni les identifier ni les définir.

 

J'ai une chatte noire.

L'autre jour, elle a fait des petits chats.

Il y en a un noir et un gris.

Ils n'ouvrent pas encore les yeux.

 

A ce stade, dans nos classes, l'enfant s'ingénie à écrire lui-même ses lettres et ses textes, et c'est alors que commence le vrai travail de composition et de création, dont nous avons montré le processus dans notre ouvrage : Méthode Naturelle de Lecture (Coll. BEM n° 8-9 (CEL - Cannes))

 

Nous insistons bien sur ce point : si maladroits soient-ils, ces textes ainsi rédigés sont les premiers exercices indispensables ; ils sont les premiers essais pour monter à bicyclette. Ne vous alarmez pas plus des erreurs et des fautes qu'ils contiennent que des premières chutes de vélo. L'essentiel est que l'enfant éprouve et conserve le besoin d'écrire qui lui fera surmonter toutes les difficultés.

 

A ce stade, nous ne faisons encore aucune observation systématique de grammaire et de syntaxe. L'exercice vivant nous suffit.

 

TROISIÈME STADE

 

La construction du texte

 

A ce stade qui correspond au C.P., nous n'apporterons encore aucune observation technique sur la structure, la composition de la phrase, le nom et la fonction des mots. Il faut d'abord que l'enfant sache monter à bicyclette.

 

Seulement, il sera nécessaire que, sous les yeux des élèves, avec leur collaboration active d'ailleurs, nous ajustions le plus possible le texte original à la vraie pensée enfantine qu'il doit traduire, non par une rigide fidélité dans les mots, mais dans la rédaction exaltante, dans l'épanouissement d'une pensée encore à la genèse.

 

Mimine avait écrit :

 

Le soir, j'entends la chouette : tiou ! tiou !

je suis dans mon lit; je l'écoute.

Chante tous les soirs, petite chouette.

 

Ce texte simple, mais qui traduit seulement le fait nu, l'aube d'observation et de pensée, sans cortège affectif, la classe l'a enrichi, et cet enrichissement s'est fait, tout naturellement, par la complication de la phrase à une ou plusieurs propositions, avec adjonction d'adjectifs, et de formes nouvelles.

 

Le texte est ainsi devenu :

 

Le soir, dans son petit nid, la chouette fait tiou ! tiou ! tiou !

Oh ! belle chouette, toi qui nous fais le coeur joyeux, moi, dans mon lit, je t'écoute.

Chante tous les soirs, petite chouette

 

MIMINE.

 

A ce stade, cette mise au point se fait encore sans aucun souci d'explication grammaticale. Ensemble, nous polissons notre texte pour lui faire rendre au maximum notre pensée profonde, ce qui est le vrai et le seul but de l'expression écrite.

 

L'enfant se rend compte lui-même intuitivement, des mots précieux et des tournures qui donnent à cette expression profondeur et majesté. Selon le principe de tâtonnement expérimental, il essaiera à l'avenir de s'orienter vers cette perfection.

 

Au cours de ces trois premiers stades, c'est donc exclusivement par l'expression libre, pour ainsi dire permanente des élèves et par le polissage en commun des textes que se fait l'initiation grammaticale.

 

A la fin de ce stade (C.P. et début de C.E.), nous obtenons dans nos classes, après polissage en commun, des textes comme celui-ci qui est si bien à l'image de l'expression parlée de l'enfant, dont on croit entendre l'intonation et voir la mimique.

 

A LA MONTAGNE

 

Joseph s'en est allé tout seul à la montagne, tout seul, tout le long du chemin de Rochebarron.

 

Il allait chercher son oncle qui charriait du bois.

 

Ah ! malheureux ! si l'aigle l'avait pris ! ce grand aigle qui tournait au-dessus de sa tête ! Heureusement, l'oncle a crié. L'aigle a pris la fuite à tire d'ailes.

 

Joseph PEROSINO, 9 ans.

 

QUATRIÈME STADE

 

Les observations grammaticales et syntaxiques

 

Jusqu'à présent, nous nous sommes contentés de mettre au point nos textes, de les polir et de les compléter. Nous n'avons donné aucune explication grammaticale. Nous avons simplement rédigé, et nos élèves ont suivi notre exemple et amélioré sans cesse leur technique d'expression écrite.

 

Nous sommes montés à vélo de notre mieux, nous avons fait quelques exercices déjà compliqués, mais sanis aucune explication d'aucune sorte.

 

Nous allons maintenant appuyer et doubler cet exercice de quelques explications élémentaires, en donnant un nom aux pièces du vélo, en justifiant certains gestes et certaines pratiques :

 

Tu appuies sur la pédale de la pointe du pied parce que cela donne de la souplesse à ton mouvement. Tu lances ton premier coup de frein sur la roue arrière... A ce moment-là... etc...

 

Nous ferons de même pour nos textes. Notre travail de polissage s'accompagnera désormais d'explications techniques qui le justifient et le rendent plus conscient.

 

Un enfant a apporté le texte suivant

 

LE BAL

 

Mon papa m'a raconté qu'étant jeune on dansait dans ma grange.

On dansait tous les dimanches.

Le joueur montait sur un tonneau et jouait, et les autres dansaient.

Cela faisait beaucoup de bruit, car on avait de gros sabots, et le joueur frappait encore de ses sabots.

Puis on s'arrêtait un moment et l'on buvait un verre de vin et on recommençait.

 

C'est un texte qu'il nous faut polir, tout à la fois, au point de vue syntaxique et au point de vue grammatical.

 

Un écrit doit toujours exprimer exactement ce qu'on veut dire et le lecteur, même non initié doit comprendre parfaitement et en totalité ce qu'on a voulu exprimer.

 

Nous poserons fréquemment la question : est-ce que nos correspondants comprendront bien ?

 

« On dansait dans la grange ». D'un mot, ou d'un qualificatif ne pourrions-nous pas préciser ce qu'est cette grange ? Essayons de trouver ce qualificatif : grange sombre, grange décorée, ou ma grange étroite, ou, branlante...

 

Nous préciserons et l'enfant comprendra ainsi, sans aucune définition, ce qui est la fonction que remplit le qualificatif.

 

Nos correspondants voudraient sans doute savoir de quel instrument jouait le musicien. Il faudrait le préciser d'une expression ou d'un adjectif. Nous dirons : Le joueur de vielle.

 

Il nous faudrait aussi préciser de façon vivante et peut-être humoristique l'action du musicien qui frappait avec ses gros sabots. Et pour faire encore plus de bruit, le joueur faisait entrer en danse ses lourds sabots.

 

On buvait un verre de vin. De quel vin buvait-on ? le buvait-on ? A une table ou à une bouteille ? »

 

Nous mettrons : On buvait un verre de vin du pays.

 

Nous récrirons alors le texte en l'améliorant encore, au point de vue grammatical : emploi inexact de étant jeune. Répétition de on dansait. Répétition de et.

 

Nous aurons alors le texte suivant

 

Quand mon papa était jeune, on dansait tous les dimanches dans ma vaste grange.

Le joueur de vielle, monté sur un tonneau, jouait pendant que jeunes gens et jeunes filles dansaient. Cela faisait beaucoup de bruit car les danseurs avaient de gros sabots et, pour faire encore plus de bruit, le joueur faisait entrer en danse ses lourds sabots.

On s'arrêtait de temps en temps pour boire un verre de vin du pays, puis on recommençait.

 

Le texte est maintenant au net. Certaines notions ont été comprises, d'autres suggérées. Ce travail de construction vivante, d'ajustement de la forme écrite à la pensée et à son expression sont la contribution éminente et essentielle que nous apportons par nos techniques au problème de la langue. Rien, dans ce sens, n'était fait avant nous. Par le texte libre ainsi conçu, et par sa mise au point collective sous la direction du maitre, nous donnons à nos élèves la maîtrise de l'outil.

 

C'est à cette technique de base, plus qu'à tous les exercices plus ou moins systématiques que nous pourrions y greffer que nous devons les progrès extraordinaires réalisés dans nos classes et l'intérêt permanent des enfants pour la construction créatrice.

 

Nous construisons la grammaire et la langue. Quand on a construit une route, on la connaît et on est à pied d'oeuvre pour en user avec profit.

 

***

 

CINQUIÈME STADE :

 

EXPLOITATION GRAMMATICALE

ET SYNTAXIQUE DU TEXTE LIBRE

 

Lorsque la phase constructive précédente aura attiré l'attention active des enfants sur certains mots et expressions, sur les formes particulières d'emploi, nous pourrons alors, avec profit, aux Cours élémentaires et moyens, approfondir les connaissances et les dominer.

 

L'acquisition formelle des connaissances grammaticales

 

Nous l'avons dit, elles seraient totalement inutiles si le processus de tâtonnement expérimental fonctionnait normalement. Comme ce n'est pas souvent le cas, il nous faut prévoir une certaine série d'exercices de grammaire qui sont, d'ailleurs, indispensables pour satisfaire aux programmes et aux examens. Ils ne sont ni dangereux ni obsédants s'ils ne sont que, ce qu'ils doivent être, des accessoires qui laissent toujours au premier rang, l'acquisition de la langue.

 

Voici comment nous opérons :

 

1° Dès, que le texte est mis au point au tableau, nous procédons tous les jours à un rapide exercice de reconnaissance des mots. La chose est beaucoup plus simple qu'on ne croit si on a acquis au préalable la maîtrise orale de la langue.

 

- les noms sont faciles à reconnaître, noms communs et noms propres.

- il en est de même des adjectifs qualificatifs et des verbes. Pour quiconque est entraîné à vivre la langue, toute définition est superflue.

- le pronom est un peu plus délicat à déterminer. Nous y reviendrons plus souvent.

- Nous reconnaîtrons très vite à l'usage les articles et les adverbes.

 

Si on fait très rapidement sur chaque texte cet exercice intelligent, sans règle spéciale ni par coeur, nos enfants seront en mesure de répondre aux questions qu'on leur pose ordinairement au CM et en FE.

 

2° Ce travail de reconnaissance nous amène à détecter les trous pour lesquels nous mènerons quelques exercices spéciaux.

 

- sur les pluriels divers et les féminins.

- l'usage des adjectifs et des pronoms démonstratifs (qui montrent - on peut faire le geste) et les possessifs (lorsqu'on peut mettre SOI et NOUS).

- et surtout sur les verbes que nous observerons, sans cesse, dans la vie de la phrase et pour lesquels nous pourrons faire de nombreux exercices de conjugaison.

 

3° Vous pourrez aussi faire quelques exercices plus ou moins classiques de grammaire, sans vous illusionner sur leur portée, toujours fonction de l'esprit dans lequel vous les faites.

 

Il en est de même de nos Fichiers auto-correctifs de grammaire et de conjugaison.

 

Ils ont déjà, par eux-mêmes, cette supériorité sur les exercices traditionnels qu'ils sont auto-correctifs, c'est-à-dire que l'enfant peut donc mieux marcher à son pas et qu'il se corrige lui-même, ce qui le soustrait partiellement du moins à l'autorité du maître.

 

Mais on a tendance aussi à les employer mécaniquement, en partant de A jusqu'à Z, en réduisant au maximum la part de compréhension et de bon sens, ce qui devient un danger. Il y a un emploi de ces fichiers que nous recommandons parce que plus intelligent - selon les trous constatés, on indique aux enfants les exercices à faire, qui jouent aussi pleinement leur fonction.

 

L'analyse logique : Elle est insoluble pour les enfants si elle est présentée comme un rébus aux noms barbares

 

A même nos textes, nous expliquons qu'il y a dans les phrases complexes une proposition qui est principale parce qu'elle est nécessaire à la compréhension du texte. Si on l'enlève, la phrase n'a plus de sens.

 

S'il y a deux propositions semblables qu'on ne peut enlever, ce sont deux propositions principales coordonnées. Les autres propositions, dont on peut éventuellement se passer sont subordonnées.

 

Tout le reste n'est que détail et formalisme dont vous trouverez les éléments dans vos livres de grammaire.

 

5° Dans quelle mesure la copie des textes facilite-t-elle la grammaire et l'orthographe ?

 

Nous ne lui accordons pas grand crédit et ne faisons copier dans nos classes que les textes mis au point au tableau. Et encore pas d'une façon uniforme. Nous préférons de beaucoup à cette copie vite passive, le travail constructif qui se fait avec les textes libres, les albums, les lettres, les comptes rendus et les conférences. La composition à l'imprimerie est, par contre, un travail que nous employons de façon régulière avec les enfants qui, pour diverses raisons, font beaucoup trop de fautes.

 

Là l'enfant ne peut pas écrire n'importe quoi. Les mots se forment lettre à lettre et la ligne doit être impeccable. C'est un impératif technique dont l'enfant a conscience, non pour un exercice sans but mais pour un travail puissamment motivé.

 

Tout cela nous vaut une reconsidération tout à la fois manuelle et psychique des processus d'apprentissage.

 

Et la dictée ?

 

On a dit beaucoup de mal de la dictée, et on a raison si on a l'illusion qu'elle peut se suffire pour l'apprentissage de l'orthographe. Elle est nocive pour l'enfant si elle n'est qu'exercice scolaire dont les fautes sont impitoyablement sanctionnées par les notes et le classement.

 

Mais si on se dégage de cette servitude scolaire, nous nous rendons compte que l'usage de la dictée peut être bénéfique.

 

Nos enfants aiment les dictées qui sont pour eux une occasion régulière de se mesurer à eux-mêmes et aux autres. Mais les dictées standardisées en vue des examens ont l'inconvénient de contenir, à dessein, une accumulation de formules et de mots difficiles qui préparent l'échec, à moins qu'on ait subi au préalable un solide bachotage.

 

Nous recommandons une autre forme de dictée, mieux conforme à notre pédagogie de tâtonnement expérimental. Dans les dictées standardisées, on accumule en quelques phrases les difficultés grammaticales et orthographiques. Comme si on plaçait devant le cheval qu'on entraine à sauter, une succession d'obstacles qui ne lui donnent pas le temps de souffler et auxquels il butte finalement - ce qui est dans un apprentissage une faute qu'on ne pourra peut-être plus rattraper.

 

Dans la pratique, nos enfants ont rarement à faire face à une telle accumulation de difficultés. Ou bien, ils abandonnent la partie. Nous leur dictons des textes du langage courant, et quand ils se heurtent à des difficultés qui pourraient leur donner le sentiment de l'échec, nous les aidons tout simplement. Nos élèves sont alors en mesure de copier un texte d'une page sans faute. Ils sont sauvés.

 

Le maitre n'a aucune correction à faire. La victoire nous est commune à tous.

 

C'est à dessein que nous n'entrons pas dans le détail de la technique de grammaire et de vocabulaire.

 

Si par le texte libre et son exploitation à même la vie, vous avez appris à vos enfants à rédiger; si chemin faisant vous leur avez, par une méthode naturelle de bon sens, donné l'intuition des divers mécanismes, le problème de l'acquisition de ces mécanismes se pose alors pour le Français comme pour les Sciences ou le Calcul. L'essentiel est d'abord de donner ou d'entretenir et de développer le sens qui est comme une compréhension profonde, tout à la fois intuitive, scientifique et sensible des problèmes complexes se rapportant à ces disciplines. Quand vous possédez ce sens, l'acquisition des mécanismes en est éclairée et simplifiée. Vous pouvez l'aborder alors par n'importe quel biais, sans tellement vous préoccuper et de règles et de progressions. Vous prendrez tout simplement une grammaire classique si vous n'avez pas mieux et vous travaillerez avec vos enfants à pénétrer les notions indispensables. Et si, pour suivre le programme ou pour affronter les examens, il vous faut quelque peu bachoter, expliquez à vos enfants et allez-y sans crainte. Ils sauront s'y plier sans dommage pour leur formation et leur équilibre.

 

Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que les enfants formés selon notre pédagogie, sont toujours parmi les premiers en rédaction au Certificat d'Etudes, parce qu'ils ont la maîtrise de la langue écrite ; qu'ils font moins de fautes aux dictées que leurs concurrents traditionnels, et qu'ils savent répondre aux questions avec une logique et un bon sens qui sont toujours très appréciés.

 

Vocabulaire et chasse aux mots

 

Le vocabulaire tient, lui aussi, une grande place dans les préoccupations des éducateurs chargés de la culture de la langue.

 

Cela se comprenait au début du siècle, lorsque les enfants, vivant dans un milieu pauvre, n'avaient qu'un vocabulaire rudimentaire.

 

A ce moment-là, il fallait bien d'une façon ou de l'autre, de gré ou de force, leur apprendre des mots pour les aider à enrichir leur langage et les aider à comprendre les livres qu'ils auraient l'occasion d'approcher. Seuls alors, les fils de bourgeois et d'instituteurs avaient un vocabulaire fourni qui leur permettait d'affronter la culture.

 

Les choses ont totalement changé aujourd'hui. Par suite de l'intensification des échanges par les journaux, la presse, la radio et la télévision, les enfants - tous les enfants - ont de très bonne heure un vocabulaire considérablement riche. Ils connaissent et savent tout. Ils connaissent mal peut-être, mais ils n'en sont pas moins riches de mots, même si ces mots ne représentent encore aucune expression précise.

 

Il est inutile dès lors, de prétendre enseigner des mots nouveaux à ces enfants. Il suffit de partir de ce qui est en nous appliquant seulement à ordonner, préciser, vivifier et humaniser ce vocabulaire.

 

C'est en considération de cette réalité nouvelle que nous appelons nos exercices, non plus vocabulaire, mais chasse aux mots. Sur les thèmes divers nés de nos textes libres et selon les difficultés, nous reconsidérons, nous classons, nous explicitons les mots qui sont déjà du langage enfantin, mais qu'il nous faut ajuster à la vie.

 

La chasse aux mots, telle que nous l'entendons est toujours rattachée à notre texte libre dont elle est l'exploitation.

 

I° VOCABULAIRE SIMPLE : Recherche de mots se rapportant à un centre d'intérêts issu d'un texte.

 

Par exemple, un texte sur les bateaux nous donnera la chasse aux mots suivante :

 

LES BATEAUX

 

Le gouvernail, les rames les voiles, la cale, l'ancre, babord, tribord, les canots de sauvetage, les cordages, les roulis, le tangage, le mal de mer, charger, décharger, les grues, les dockers, l'aspirateur, le pont, le hamac, le capitaine, les cuisiniers, la chaufferie.

 

S'il s'agit de la chasse, les mots foisonneront aussi. S'il gèle, de même. Il suffit, chemin faisant, d'examiner dans leur structure et leur fonction les mots nouveaux que nous avons avantage à accueillir toujours dans leur complexe vital.

 

La liste de ces chasses aux mots est à peu près inépuisable. Il sera bon cependant de prévoir un tableau général des centres d'intérêts possibles afin d'éviter les répétitions de thèmes.

 

Ce genre de chasse aux mots ne vise qu'à une meilleure connaissance des mots.

 

2° VOCABULAIRE CONSIDÉRÉ DANS SON ASPECT GRAMMATICAL :

 

En partant de certains mots des textes, nous pourrons passer en revue les diverses difficultés orthographiques et refaire, d'une façon plus vivante, donc plus intéressante et plus utile, l'infinité des exercices présentés dans les manuels.

 

Aux CP ET CE

 

mots contenant : ai, oi, ur, on, un, etc...

                        br, bl, pr, etc...

                        ar, vi, our, etc...

 

Aux CM ET FE.

 

Revoir les principales difficultés auxquelles achoppent les enfants : mb, mp, pluriel de certains noms, s, ss, c et ç, noms complexes, etc...

 

3° COMMENT SE FORMENT LES MOTS

 

Le français n'est pas une langue logique comme l'est l'esperanto, et les règles y ont presque toujours leurs exceptions.

 

Avec l'espéranto, il serait facile de montrer par quel processus, en partant du mot simple (radical) on crée des mots nouveaux par adjonction de préfixes et de suffixes.

 

Prenez un livre de grammaire et il vous sera facile de prévoir la liste de ces exercices.

 

4° FAMILLES DE MOTS, SYNONYMES ET HOMONYMES

 

Par ce travail régulier, toujours réalisé sur des mots communs des enfants et proposés par eux, vous préciserez d'une façon sûre et définitive, la connaissance intime d'une foule de mots que l'enfant apprendra ainsi à décortiquer, tant dans leur compréhension que dans leur orthographe.

 

Pour terminer nous rappellerons encore cette condition essentielle qui est à la base de notre pédagogie. La nécessité où nous nous trouvons de procéder à un certain nombre d'exercices variés ne doit pas nous faire croire que c'est cela la méthode naturelle d'apprentissage de la langue.

 

Si nous gonflions, sans leur indispensable résonance vitale la pratique de ces exercices, nous retomberions bien vite dans l'atmosphère scolastique, selon les habitudes scolastiques, dont nous connaissons les effets.

 

C'est à dessein que je n'entre pas davantage dans le détail de ces techniques. J'aurais pu vous donner une liste complète des exercices à prévoir, ce qui nous aurait laissé croire qu'il y a une progression à respecter, un programme à parcourir et que vous devez et pouvez vous y employer aux dépens de, l'activité vivante qui reste primordiale. Ce sont le texte libre, sa mise au point, l'imprimerie et le journal, l'exploitation du texte choisi, qui sont les éléments actifs de la connaissance de la langue.

 

Nous tolérons quelques exercices, à cause du fonctionnement insuffisant du processus de tâtonnement expérimental, mais il ne faudrait pas que, par son exagération, la mécanique tue la vie.

 

J'avais, il y a deux ans, une élève de 12 ans, F., qui avait acquis, de son passage à l'Ecole traditionnelle, une véritable allergie qui semblait boucher tout son comportement intellectuel. C'est d'ailleurs dans l'espoir que nous parviendrions à vaincre ce dégoût de l'effort culturel. qu'on nous l'avait confiée et elle avait fait très vite de sérieux progrès.

 

Chaque année, à l'approche des examens, nous faisons un peu de bachotage pour habituer nos enfants à répondre au CEPE selon les normes exigées par l'EcoIe.

 

Les enfants sérieusement formés à nos techniques, supportent d'ordinaire sans risques ce bachotage accidentel qui n'affecte nullement leur formation profonde et que les enfants acceptent très bien lorsqu'ils ne réclament pas.

 

Pour F, les stigmates de l’Ecole traditionnelle n'étaient,pas encore suffisamment effacés. Au bout de quelques jours d'un bachotage pourtant modéré, nous avons vu F, changer totalement dans son comportement scolaire et dans la communauté. Elle redevenait l'écolière distraite, volontiers arrogante, chez qui l'intelligence et le bon sens allaient se pervertissant au profit d'une mécanique non acceptée. Nous avons arrêté le bachotage et le mal a disparu.

 

C'est ce mal scolastique qui vous guette, vous tous qui, par nécessité ou par habitude, vous croyez habilités à tempérer nos techniques que vous croyez trop absolues. La compromission peut vous être funeste.

 

Réagissez alors qu'il est encore temps.

 

Les méthodes du passé, valables peut-être, il y a quarante ans, ne sont pas forcément bonnes pour l’Ecole de 1963.

 

Méfions-nous surtout des manuels - en l'occurence de lecture, de grammaire ou de vocabulaire - qui compliquent et aggravent les exigences des programmes et nous poussent à un enseignement de verbalisme et de par coeur.

 

Je hais les manuels scolaires parce que j'en ai trop souffert, et je vois que mes réactions n'étaient pas exceptionnelles.

 

Pour me familiariser avec les notions dont j'avais perdu jusqu'à la trace, je feuilletais, l'autre soir, un manuel moderne de grammaire, moderne en ce sens qu'on y avait ajouté de la couleur et souligné les notions importantes, sans rien changer au fond à la conception même de l'ouvrage.

 

X... un grand garçon de 14 ans en a été effrayé. Le soir même, il écrivait le texte suivant :

 

Quelle peur dès que je vois un livre de  grammaire et que l'on m'en présente les pages. Il me semble effarant tant il y a de règles idiotes et strictes qui m'effondrent sous leur poids, qui plaquent l'homme pour l'empêcher qu'il s'élève rapidement.

Ces terminaisons en er, en, ent ; ces mots qui sont tantôt articles ou pronoms ne sont qu'un tourbillon et un flot de règles qui sautent sur mes mots dès que j'écris et je ne sais lequel choisir.

Sous leur menace, je m'enfonce et je me noie. Mais arriverai-je à surnager un jour ?

 

Si la grande masse des enfants que l'Ecole a rejetés pouvaient parler, ils nous diraient à quel point les manuels scolaires de vocabulaire et de grammaire les ont paralysés et comment le seul souvenir de leurs tortures intellectuelles et morales suscite en eux un trouble physiologique, comme une nausée, qui peut aller jusqu'à la névrose et qui explique assez d'ailleurs l'échec presque total dé cet enseignement.

 

Dépassant les mécaniques inutiles et les manuels qui les systématisent, nous vous offrons un nouvel élan, une confiance et une décision qui, au service de la vie briseront tous les obstacles.

 

La méthode naturelle de grammaire et d'orthographe rénovera la pédagogie du français.

Retour au sommaire des BEM