Jeu dramatique

Un MATIN, alors que je regardais jouer les enfants j'entendis et je vis prendre corps, le poème de la Mine.

Ici, c'est le chevalet
Là, le lavabo ; là, les corons.
Les filles seront les femmes :
Il en faut des femmes
Pour préparer le « briquet » (1)
Allez, on va se déshabiller !
S'habiller en mineur !
Allez, on descend !
Allez, on travaille !
Allez, on mange !
Allez, hop ! on remonte !
On s'en va à la maison !
On est bien content !
On a fini !

Ecole maternelle du Vieux-Calonne, Liévin P.-de-C.
Madame Berteloot

   

Tout ce jeu se déroulait rapide, confus, embrouillé, mais je sentais là-dessous, quelque chose de vrai, d'« accroché » à la vie de ces mioches et de celle de leurs parents.

Timidement, je dis :

- Dites, les enfants, si on recommençait le jeu du mineur ? On pourrait peut-être en faire quelque chose pour vos parents ou pour les correspondants ?

Aussitôt, grand enthousiasme !

« Il faut un chevalet, des wagonnets, des outils... ».

Impérieuses, les idées jaillissent et s'enchevêtrent... Il va falloir ordonner tout ça, réunir le matériel nécessaire... Mais les exigences de l'école de ville sont là : bon gré mal gré, il faut céder la place aux autres classes dans le préau trop exigu. Le jeu reprendra-t-il demain ? Mais oui, les enfants ont de la suite dans les idées : aussitôt arrivés, le préau enlevé d'assaut, ils reprennent leur jeu : ils miment le départ du mineur, le travail, toujours de façon un peu désordonnée, mais tellement directe, vivante !

Les filles s'affairent de leur côté à l'écart, dans les corons imaginaires mais si présents à leur esprit !

   

On a frotté, frotté,
Le linge, la vaisselle.
On a lavé, lavé
Le carreau, le couloir.
On a balayé, balayé
La cour et la ruelle.
Maintenant: on attend !

On attend
not' mineur qu'est à la mine.

La dame trouve que son mineur
Ne revient pas…

C'est vrai qu'il faut attendre
Son mineur,
Longtemps, longtemps…

Quand c'est qu'il va rentrer ?
Quand il rentrera,
ll embrassera sa femme,
Il sera sale.
Il va se laver.
Il s'habillera de propre
Et puis, il ira se promener
Au bois, à la mer, à Lorette (2)

Alors, les femmes,
Qu'est-ce que vous faites ?

Il n'y a plus qu'à attendre
Et à écouter.
Elle entend
Les cailloux qui roulent roulent
Sur le terril.

La dame trouve que son mari
Ne revient pas.

Moi, ça m'agace, ces cailloux
Qui roulent
Et qui font les sauvages.
Ça empêche les enfants
De dormir.

Elle entend le train.
C'est le train des vacances,
Hein, Madame ? Elle y pense
A ce train-là !

Mais la dame attend toujours
Son mineur
Qui ne vient pas.

Il est bien longtemps, ce mineur !

Quand le mineur ne vient pas,
La dame a peur.

Elle a peur du feu.

Elle a peur du gaz.

Elle a peur que « ça tombe »,
Que « ça brûle », que « ça explose »
Dans la mine.

Elle « espère ».

Oui, mais il va rentrer,
Hein, Madame, le mineur ?

Oui : il est là.
La porte craque !
Elle dit : c'est lui !
C'est mon mari !
Alors, elle rit, elle rit...

   

Et chacun de battre des mains.

Incapable de parler, saisie par l'intensité la minute qu'ils venaient de vivre, je n'ai pu que répéter en écho avec eux : « C'est lui ! C'est mon mari ! ».

A peine rentrés en classe, on se mit en chantier pour réaliser l'album de La Femme du Mineur, aussitôt expédié à nos correspondants de St-Cado (Morbihan) qui, quelques jours après nous envoyèrent la réplique de La Femme du Marin ressemblant comme une soeur à notre femme de la mine.

Tout aurait pu en rester là : un instant de vie intense qui prend un visage émouvant et retombe dans l'oubli.

Le lendemain cependant, à l'entrée en classe, je les invitais à écouter le disque « Pacific Express ». Moment d'étonnement, et le dynamique Jean-Pierre de s'écrier :

- C'est pas la musique de la Mine, ça ?
Oui, c'est la musique de la Mine.
On peut travailler là-dessus.
Allez, les gars, « au boulot »

Et le jeu reprend plus ample, plus centré sous l'effet de la musique.

Je regarde. Je ne sais comprendre tout le contenu de ce spectacle si naturel. Je dis :

- Bon ! On arrête !
- Ben quoi ? Ça va pas ? T'es pas contente ?
- Si, di-‑je, mais je ne sais pas si on va pouvoir arriver à quelque chose !

(Ah ! cette manie de vouloir arriver à quelque chose ! à quelque chose de définitif, de beau, qu'on puisse montrer !).

   

Alors, mes enfants de miracle viennent à mon secours. Eux ils ont confiance, car ils jouent le vrai jeu et intérieurement, ils le continuent par le souci du travail premier.

- Mais si, ça marchera !
- D'abord, on n'a pas de chevalet.
Faut faire un chevalet.
- Avec du bois et des clous.
C'est mieux avec le castelet du préau.
- On fera, comm'ça, comm'ça,
Et ça tiendra !
- Moi je ferai le wagonnet,
J'apporte une caisse et des roues.
- Nous, les filles, on fait le ménage.
- Mais on n'a pas de maisons !
- Eh ! ben, faites-les vos maisons !
- C'est difficile !
-Eh ben, on vous les f'ra.
- Vous pourriez nous faire des casques.
On n'en a pas !
- Faut que tout y soit

Et voilà tout le monde en route : on cloue, on tape sur le bois, on ajuste ; on fabrique des casques en pâte à papier ; le wagonnet avec quatre roues (chacune, hélas ! de dimensions et de texture différentes) fait enfin son apparition cahotante et très remarquée. Quel entrain ! Quelle vie ! Pendant plusieurs jours on est sous le charme du poème quotidien de notre école de la Mine où l'on reste attentif à l'éclosion de la fleur rare au pied du terril sombre qui barre nos paysages si verdoyants.

Mme BERTELOOT.

École Maternelle du Vieux Calonne - Liévin

(Pas-de-Calais).

La femme du Mineur

Ecole Maternelle, Liévin - P.-de-Calais

Photo Berteloot

(1) Repas que le mineur emporte à son travail.
(2) Lorette : à quelques kilomètres de chez nous, où dorment des dizaines de milliers de soldats de la guerre 14-18.

 

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