Il y a deux ans, à cette époque, nous lancions notre premier numéro d'Art Enfantin. Il nous paraissait à tous, élégant et riche, habitués que nous étions jusqu'ici aux éditions de pauvres. C'était la première fois que nos mains caressaient de si beau papier, que nos yeux découvraient l'harmonie d'une mise en page, la netteté typographique d'un texte, le moelleux d'une image, la splendeur des pages en couleurs, toutes choses qui désormais semblaient nôtres... L'enthousiasme va toujours beaucoup plus vite que la conscience des réalités. C'est ainsi que nous nous sommes trouvés devant des fins de mois de plus en plus cruciales avec lesquelles, bon gré, mal gré, il fallait compter.

Etre pauvre c'est surtout savoir renoncer. Ce numéro en noir et blanc vous donne la mesure de nos limitations. Chaque image qu'il vous apporte est en réalité une féerie d'arc-en-ciel désormais incommunicable et nous ne pouvons que le regretter. Chaque planche en couleurs était en effet une suggestion, une démonstration, un enseignement. Elle aidait maîtres et enfants à mieux s'y prendre pour apprivoiser une palette ; elle donnait de l'initiative et de la subtilité à celui qui déjà en comprenait le message.

Tant pis ! Il faut s'arranger avec ce qu'il nous reste. Et ce qu'il nous reste est quand même beaucoup car il est fait de toute l'expérience vive de nos milliers d'Ecoles Modernes. Chacun de nous se sentira plus que jamais engagé à apporter le maximum de son savoir-faire et de son savoir-penser que nous verrons fleurir en belles images, en poèmes, en musique, en geste spontané comme le sont la danse et le jeu dramatique.

C'est ainsi que perdant le plus cher de nos biens, nous en découvrirons d'autres, mis à la portée de tous, sous l'effet de la grande amitié qui nous lie. Et partant, chacun de nous arrivera à être plus encore « plein des choses des autres », comme disait un petit garçon qui se sentait enrichi de nouvelles aspirations à la sortie de l'une de nos expositions d'Art Enfantin.

Toute chose qui se termine prépare un commencement. Ce sera pour nous, une façon plus étroite de nous tenir au coude à coude et de faire masse, pour aboutir au cours de cette année aux quatre mille abonnés qui nous permettront de retrouver nos belles pages enluminées qui doivent donner à notre revue son vrai visage: celui d'une oeuvre de plein vent et d'innocence qui, à l'aube des temps, va, sans piperies ni calculs, vers une expression de vie qui n'a de comptes à rendre à personne.

Elise FREINET.

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