Ecole Azur (Landes)

Repartir dans la vie

Il s'appelait Augustin, mais pour nous c'était Tintin.

Il habitait une ruelle tortueuse dissimulée, joignant deux rues à angle droit déjà peu fréquentées. Elle était faite de minuscules maisons basses et serrées comme on les faisait en campagne, il y a deux siècles. Celle de Tintin était au bout, blanchie à la chaux, humble parmi les plus humbles. Elle l'abritait ainsi que sa mère et ses quatre ou cinq frères et soeurs. Quant au père, il avait tout laissé pour aller vivre en concubinage dans un autre coin du quartier.

Quartier ouvrier où ce genre de drame est fréquent. Les enfants en subissent toutes les conséquences.

Tintin était de ce fait devenu à onze-douze ans, l'élément masculin le plus âgé de la maison. Pendant que sa mère assurait par sa présence en usine un gain des plus modestes, lui s'occupait des autres.

C'est lui qui lavait les petits frères, qui faisait les courses, qu; aidait au ménage, ses grandes soeurs ayant été placées. Il le faisait avec conscience, peut-être sans bien comprendre. Son visage gardait toujours un air sérieux et grave et le sourire n'y était que passager et comme gêné. Comment pouvait-il en être autrement, pour lui qui devinait la pauvreté de sa mère, qui devait parfois encore accompagner en course son père qu'il rencontrait par hasard dans la rue ?

   

Il ne connaissait pas la sécurité du foyer si nécessaire aux petits.

Il n'était pas très doué pour J'école. Il ne s'entendait pas avec ses problèmes et l'orthographe lui était assez étrangère. C'est parce qu'il se trouvait dans une école à deux classes qu'il arriva dans la grande classe.

Mais il était si calme ! gentil ! dévoué ! trop sérieux pour son âge. L'amitié lui faisait du bien. Il était l'un des plus bricoleurs et il aimait aussi le dessin sans pour autant y réussir. Probablement qu'il rêvait en étalant ses couleurs. Il créait son soleil !

Il nous donna un jour une tête. Cette tête il s'y était projeté. Elle était triste comme sa tristesse était. Les yeux en étaient lointains, rêveurs à l'image des siens. Il s'en dégageait comme un appel à la pitié, à la compréhension. Toute la classe le sentit. Chacun sut dire à Tintin ce qu'il ressentait devant ce tableau de la misère.

Je l'envoyai à Elise parmi cinquante dessins. Elle sut le retenir et il figura à l'exposition, à je ne sais plus quel Congrès.

Ce fut tout ; mais ce fut assez, comme dit Daudet dans la charmante poésie : « Les Prunes ». Tintin fut ravi. Son dessin était exposé. Il avait donc su faire quelque chose de valable. On s'était penché sur son oeuvre. Alors, il reprit courage. Il en avait déjà tant ! Il travailla de tout son coeur pour préparer son certificat. Il améliora du double, du triple son calcul, son orthographe. Il prit sa part dans les jeux dramatiques. Il avait foi en lui. Il ne réussit pourtant pas au C.E.P., mais cela était au fond sans grande importance. Ce qui comptait c'était sa transformation intérieure, c'était l'assurance, qu'il avait reçue de tous, qu'il pouvait s'exprimer, communiquer valablement avec d'autres.

Et Tintin est reparti dans la vie d'un pas plus ferme et plus rassuré.

M. VANDEPUTTE.


Photo P.Raucher

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