Ecole de Saint-Benoît (Vienne)
Madame Barthot

Que rien ne soit perdu !

J’ai sous les yeux, laconique mais irrévocable, ce petit papier qui nous demande de ne plus rien adresser à Elise Freinet en ce qui concerne « Art Enfantin .,

Mais « Art Enfantin » pourra-t-il vivre sans elle, qui a consacré toute sa vie à susciter de par le monde les innombrables créations enfantines, à les encourager, à les approfondir, à s'en émerveiller, à les faire siennes ?

Ma carrière, alourdie d'années plus consciencieuses qu'enthousiastes, risquait de glisser banalement vers son terme si cette flamme d'Art enfantin, fruit lentement et précieusement mûri de l'expression libre, n'était venue illuminer, et ma classe, et ma vie.

Aussi, cette décision sonne en moi, comme un glas.

Comment ma petite école, tout à fait quelconque au départ, a-t-elle pu en huit ou dix étapes correspondant aux dix derniers Congrès, parvenir à un tel degré de perfection, si ce n'est grâce à ce jugement sûr de notre guide qui découvrait dans chaque envoi nouveau, une profondeur et une puissance nouvelles ?

Comment ai-je pu, moi qui ignorais tout de l'Art, ne pas briser cette chaîne ininterrompue de conquêtes gagnées heure par heure, jour par jour, par des centaines de visages heureux d'enfants ?

Les souvenirs de mes « réussites » scolastiques se seraient vite estompées et je n'aurais pu garder de tous mes élèves l'image de ces efforts émouvants, éclosion personnelle d'états d'âme combien bouleversants et naïfs, véritable part de l'enfant et dons à la maîtresse qui ne savait comment remercier.

   

Tous ont été heureux à un moment donné dans ma classe, heureux de leur réussite propre, heureux du bonheur qu'ils offraient à leurs camarades, fiers d'un regard ami et compréhensif de moi. Et nous ne formions plus alors qu'une grande âme collective vivifiée par la réussite commune.

Mais comme me l'écrit Elise : « Il est d'excellents jeunes qui savent le prix de la pensée profonde. Ils sauront assurer la relève ! ».

Je le crois et le souhaite ardemment.

Pour moi, rompre cette chaîne de dix années exaltantes, abandonner nos enfants à l'indigence probable qui les attend en ce domaine, c'est le drame de ma vie d'éducatrice, c'est mon seul regret ! Que rien de tout cela ne soit tout à fait perdu, j'en suis persuadée.

Merci Elise.

Mme BARTHOT St-Benoît (Vienne)

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