Ecole de garçons - Palente-Cité - Besançon
M.S.Daviault

Art et Poésie

A VANCLANS, petit village du Jura, sis au pied des Crêts, où éclosent les boules d'or des trolles et les corolles satinées des jeannettes, l'Art, « cette fleur de l'enfance joyeuse, fleurissait naturellement et généreusement sur les pages des enfants : petits et grands, nourris de la rude sève de nos forêts, sur un sol rude et pourtant généreux, creusé de tous leurs pas, affirmaient dans leurs oeuvres, avec une égale ferveur et un même bonheur, leur prise de possession d'un monde si pleinement et harmonieusement intégré à leur vie.

Ici, à Besançon, ville de plus de 90000 habitants et où règne une agitation perpétuelle tout au long du jour et une partie de la nuit, où le père et parfois la mère courent à leur travail et s'épuisent à essayer de rattraper le temps qui fuit, ici à Palente, dans ces grands blocs sonores que sont leurs demeures, où chaque bruit s'amplifie dans les cages de résonance que sont les escaliers où les salles de séjour, seules pièces chauffées des appartements, s'emplissent des cris d'enfants grognons et nerveux, où chaque parole prononcée monte par les tuyaux collectifs et vient troubler l'intimité des foyers voisins, la vie de chacun tend à ne plus être qu'agitation, bruit, dispersion.

Trop de gens et d'enfants vivent ici, les uns sur les autres, et si de coquettes villas ou des castors fleuris desserrent fort heureusement l'étreinte des grands blocs, le ton de vie de l'ensemble s'impose en partie à tous nos enfants, mêlés dans la rue et concentrés dans des écoles à trop gros effectifs.

   

Face aux forces de dispersion qui menacent son intégrité, que devient l'enfant ? Que deviennent ses possibilités artistiques ? Happé par la vie moderne qui lui offre à profusion, images, émotions, bruits, vitesses, lui épargnant souvent la peine de penser, l'enfant n'est-il pas perdu à tout jamais pour l'art ?

Les difficultés s'accroissent au sein de nos écoles à dix classes, en particulier dans un cours moyen de trente-deux élèves, tous âgés de dix à douze ans, nullement formés aux méthodes de l'École Moderne et dont le comportement, l'attitude mentale, la vie tout entière ont déjà subi le choc de toutes les forces de dispersion de la vie moderne ou de l'école traditionnelle.

Premiers textes et plus encore premiers dessins libres révèlent bien des pauvretés apparentes - sinon réelles - bien des hésitations aussi, les hésitations de personnalités non encore centrées et que soulignent les lignes brisées aux multiples et courts tronçons cernant les formes, bien des désarrois ou déséquilibres intérieurs aussi dans ces objets épars sans liens et sans unité ; mais tout de même quelques réussites fort encourageantes nous donnent de l'espoir.

Ainsi, lentement, mais sûrement, l'expression libre par le texte, le dessin et la danse libres, nous acheminent vers la lumière et la joie ; lentement, mais sûrement l'enfant recrée son intégrité sur des bases solides, découvre la poésie des petites réalités quotidiennes, explore le monde et se l'approprie, prend conscience de ses richesses intérieures. Lentement, oui, mais avec ardeur par le travail, l'expérience personnelle et dans le bonheur

Sans doute, nos enfants des villes, plus instables, plus nerveux, se fatiguent-ils plus vite de l'effort que leurs frères de la campagne ; sans doute à chaque nouvelle fournée automnale, avons-nous plus de mal à recréer ce climat de paix, de recueillement indispensable à la concentration intérieure ! Qu'importe ! Il faut partir : c'est si essentiel de faire trouver ses propres voies à l'enfant, de l'aider à monter et à construire sa propre culture ; et c'est si merveilleux pour chacun de nous, adultes, formés à la traditionnelle, de laisser les enfants abattre nos propres barrières et de refaire avec eux notre propre culture personnelle ! Enfin, c'est si beau et si bon de vivre pleinement avec eux, de retourner aux sources vives que nous avions perdues, de retrouver la Vie, la Beauté, l'Art et de nous sentir par cela même solidaires de tous ceux qui ont chanté la Vie.

S. DAVIAULT.
Directrice d'Ecole, Palente Cité,
Besançon (Doubs).

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