Un foyer AUGMONTEL, terre de transition et de contrastes, écartelée aux quatre horizons entre le Causse nu où éclatent les bombes, la forêt domaniale plantée de ses pins noirs, dans le vallon secret où vécurent jadis les abbés cisterciens et le moutonnement des collines herbeuses s'étendant vers le Nord, le Castrais, l'Albigeois. Vers le Sud, la barrière de la Montagne Noire ne laisse passer, par-dessus ses épaules bleues, des rivages méditerranéens qu'elle nous cache, que le « vent marin », le terrible « Vent d'Autan » qui marque ici chaque domaine, comme chaque tempérament. Augmontel et sa colline, dans son vocable et sur sa terre, qui fut un oppidum gaulois avant de témoigner du passage des armées romaines qui, bien plus tard, connut l'intolérance et vit tantôt le triomphe des Huguenots et tantôt celui des Papistes et dont les habitants, maintenant descendus à ses pieds, vivent toujours âprement dans leurs maisons blanches, bâties grossièrement de la pierre d'ici, jointoyée à la chaux produite nuit et jour par leurs fours séculaires. Les « Cousinié » portant en Occitan le nom du « Caoussiniè », cuiseur de pierre à chaux, et les « Rouanet » fileurs et tisserands des toisons des brebis pâturant chichement dans les immenses triches, ont fait souche ici depuis les temps immémoriaux. Mais, alors que les rustiques fours à chaux étirent toujours leurs maigres panaches dans l'air acide de l'hiver, le bistan-cla-que et le bistan-flai-ro des métiers à tisser familiaux, qui, de l'aube au soir tombé, rythmaient la vie de chacun, il y a moins d'un demi-siècle, s'est tu définitivement. Seulement, le « Rouanet » n'en a pas, pour autant, fini avec ses « rouanneries », il ne lui reste plus qu'à aller les filer ou les tisser à l'usine la plus proche et ce n'est qu'à cette condition que le petit village continue de subsister en dépit de la sécheresse, du vent d'Autan, et du maigre rapport de ses terres.
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Toutes ces conditions ont créé une race besogneuse, âpre au gain par nécessité, un peu secrète et tardivement détendue, routinière par précaution, offrant lentement son amitié, mais saine dans ses réactions et vaillante et solide et loyale, faisant des enfants à son image, enfants qu'il fut passionnant de voir grandir et dont il est passionnant encore de voir refluer et affluer les nouvelles vagues. Une maison encore plus blanche parmi les maisons blanches : c'est l'école, l'école où maman nous amène dès notre premier anniversaire pour Noël ou pour St-Jean, fête de jour et fête de nuit, pour voir évoluer sur un plateau aux murs bariolés, nos grands frères et soeurs Qui semblent beaucoup s'amuser malgré leurs tenues bizarres ! L'école, où, dès que l'on sait marcher on nous entraîne le dimanche, à la « Maison des Jeunes », au sport, dans les deux cours, et le jeudi aussi, pour « faire le service », mais surtout pour écrire aux tableaux avec toutes les craies, finir une peinture, passer derrière le Castelet où les « margougnettes » dorment, vidées de leur substance ; ou encore nourrir la Tourterelle, ou bien le Corbeau, les Perruches ou les Têtards, les Chenilles ou le Poisson ; où l'on peut acheter « au libre-service-de-la-confiserie-de-la-Coopé », et écouter les disques et voir danser les jeunes gens, tant que l'on ne fait pas trop de bruit et qu'ils ne nous chassent à grands cris par la porte de la cour, sans penser que nous allons rentrer par celle du couloir pour nous glisser « au Foyer ». Qui a donné ce nom de Foyer, à ce capharnaüm respectable où voisinent : un orchestre complet bien rangé dans sa caisse, les livres déposés par le Bibliobus, l'appareil de ciné ainsi que le magnétophone et le projecteur pour les diapositives en couleurs et les appareils photos, la machine à écrire et celle à tricoter, tous mécanismes que l'on sait actionner si l'on est raisonnable et maître de ses doigts ? Comment ne pas désirer alors y être admis aussi à cette école, les autres jours, quand les grands y viennent pour lire et pour écrire et pour « apprendre » et imprimer sur le journal ? Alors, pourvu que l'on n'habite pas trop loin, on s'y fait inscrire vers les trois ans, et l'on y vient, quand on est prêt, entre le sommeil du matin et la sieste de l'après-midi ... et l'on y reviendra toujours... On entre alors chez « les petits », grande pièce lumineuse, surélevée sur le jardin et toute projetée par sa cloison de verre sur la forêt, le Causse, la Montagne... Au printemps, tous les verts nous sautent à la figure et en hiver, si la neige tombe, la ronde des flocons devient si sensible que nous les entendons valser... |
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