Ecole Azur (Landes)

Etre, une fois, le premier...

C'EST avec Jacques que tout a commencé.

Qui pouvait penser lorsqu'il entra en classe en pleurant que ce bambin de quatre ans apportait avec lui tant de joies en puissance ? C'était un bon gros joufflu, d'une sensibilité extrême qui, pour un oui pour un non, passait du rire aux larmes. Un enfant particulièrement sensible à la couleur. Lorsqu'il était en présence de gravures « Je vois beaucoup de rouge, je vois du bleu oh ! qu'il est joli ce vert ! » disait-il, Et dans ses dessins il faisait chanter ces rouges, ces bleus, ces verts au gré de sa sensibilité, sans tenir compte la plupart du temps de mes remarques ou suggestions (ce qui impressionna fort trente instituteurs à une réunion des Coopératives scolaires où je présentais un atelier de peinture), Je pris donc pour habitude d'attendre qu'il m'appelle.

Ses camarades aussi étaient en admiration devant ses travaux. Ce fut comme si toute la classe n'attendait que lui pour s'ouvrir. De tous côtés, dans la section enfantine (la section de Jacques) tout d'abord, puis du C.P., du C.E. jaillirent des dessins, des couleurs qui faisaient dire à Catherine, une fillette de la grande classe, appuyant la main sur son coeur : « C'est beau parce que ça me fait quelque chose là ». Rares étaient les dessins que l'on sentait inachevés. Comme par la magie de ce bout d'homme, la petite classe avait découvert la beauté.

 

   

Pendant ce temps, la grande classe peignait bien sûr, mais les dessins manquaient de vie, de relief, de personnalité. Les enfants étaient à cet âge ingrat où l'on n'ose plus s'extérioriser, où l'on craint le jugement des camarades et des adultes, leur sourire que l'on croit facilement moqueur.

Nous avons l'excellente habitude, lorsqu'une classe a une joie ou une réussite, d'aller vite en faire profiter l'autre. C'est ainsi que pénétrèrent dans la classe les réussites toutes fraîches des petits. Au cours de leurs discussions, nous sentions nettement que s'ouvraient chez les grands de nouveaux horizons et leurs peintures commencèrent à refléter leur sensibilité.

C'est alors que l'électricien se décida à venir brancher notre four à céramique. Depuis longtemps nous espérions que l'objet à décorer, en offrant par son volume un nouveau support à leur imagination, favoriserait chez eux la création. Leurs premières oeuvres de céramistes furent des reproductions de dessins de petits mais rapidement ce fut une révélation. Le matériau particulièrement riche qu'est l'émail magnifiait leurs graphismes sans relief ; aussi peu à peu prirent-ils confiance en eux-mêmes, soutenus et encouragés par les compliments qu'ils recevaient d'« étrangers » en visite dans nos classes ou au cours d'expositions. A nouveau ils recherchaient la feuille blanche où ils étudiaient leurs formes ou leurs teintes... à nouveau ils peignaient... lorsqu'ils n'avaient rien à émailler. Depuis lors plus de honte ; chacun apporte son originalité, sa façon de voir. Il y a deux ans que cette belle aventure est arrivée et jamais leur puissance de création n'a tari.

J. NADEAU.

Azur (Landes).

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