Un disque nouveau

RECHERCHES SUR LA VOIX

Réalisation J.-L. MAUDRIN et la Commission musique de l'ICEM - Pédagogie FREINET

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Interview de J.-L. MAUDRIN et J.-P. LIGNON par MEB

   

MEB. - Dans la série des éditions de la COMMISSION MUSIQUE DE L'I.C.E.M. - PÉDAGOGIE FREINET paraît dans cette revue un disque consacré à des recherches sur la voix et uniquement la voix. Pourquoi ?

Voulez-vous marquer par là une opposition à la musique instrumentale (on pourrait peut-être le croire en lisant l'article Contre l'instrumentation systématique paru aux pages 30 et 31 de notre numéro de mars/avril 1972) ou alors une opposition à la chanson qui comporte des paroles (comme on peut en entendre dans certains des disques que nous avons édités : n°1005 - 2003 - 2004).

J.P.L. - Oui, comme nous l'avons montré, nous sommes opposés à l'instrumentation systématique. On a trop longtemps considéré la musique comme devant naître d'instruments fabriqués, bricolés ou achetés.

Nous avons voulu considérer la voix comme un instrument tout simplement parce que les gosses tâtonnent avec leur voix dans la classe...

J.L.M.- ... Et ailleurs

J.P.L. Bien sûr ! Lorsque l'enfant tapote sur une vitre, il « apprend » la musique ; quand il se sert de sa voix comme d'un instrument, il « apprend » encore la musique.

D'autre part, il est très difficile de construire une chanson pour qu'il y ait quelque chose qui passe ! Ou bien on se pose sur des paroles, ou bien on fignole particulièrement la musique (à moins que, comme dans la chanson moderne, il n'y ait que l'élément rythmique qui soit porteur d'un message).

Alors, parfois on a un beau texte et une musique insignifiante ou bien c'est le contraire.

Dans ce disque, on a voulu faire entendre une musique chantée, libérée du texte.

MEB. - Est‑ce que ces recherches sur la voix peuvent être considérées comme une étape vers la chanson ?

J.P.L. - Oui, mais aussi vers la musique, mais une musique intérieure, une musique qui fait du corps tout entier un instrument.

J.L.M.-‑ En plus, notre souci a été de montrer certaines directions, certaines possibilités d'expression nouvelle : il fallait les faire entendre plus clairement !

MEB.- Quelles sont ces « voies » originales ?

J.L.M. - Ce n'est pas original !!! Tous les gosses le font en tout lieu et en tout temps.

La musique instrumentale est une musique qui intervient au niveau de la main, du geste. Elle demande une dextérité, peut-être même une certaine virtuosité. Alors que la voix, c'est une musique qui fait intervenir seulement les organes phonateurs.

J.P.L.-‑ Et en même temps, elle fait vibrer tout le corps. Tout vibre ! On vibre d'une manière biologique mais aussi émotionnelle ; somatique et affective ! On parvient ainsi à une expression corporelle : c'est donc une expression totale, globale.

MEB. - Ce qui est original, c'est que ça se fasse dans la classe. Comme nous pouvons tous nous en rendre compte, aujourd'hui dans notre monde moderne et surtout urbain, les gosses ne peuvent plus crier, comme ils ne peuvent même plus courir car la rue le leur interdit.

L'école se doit donc d'être compensatrice et de conserver les richesses que l'être possède et qu'il doit exprimer.

J.P.L. - Oui.

Ce qui est original encore, c'est que cette recherche, cette expression puisse s'améliorer dans la classe, grâce à la classe.

Un groupe, par son écoute, par ses critiques, par son goût, son intérêt permettra un progrès, une évolution, une amélioration.

D'ailleurs, on entendra dans ce disque les réponses que se font les enfants, les affinements qui en découlent : il s'agit véritablement, dans la plupart des cas, d'un dialogue !

J.L.M. ‑ Et du fait qu'il y a un auditoire, il y a une communication.

MEB. - Dans le détail, que contient votre disque ? Pouvez-vous maintenant le présenter :

FACE I

1. - CHANT DE SYLVIE (St-Ouen-des-Champs - 27) Classe F. Emult.

Sylvie chante ainsi durant des heures.

2. - L'AUTOCAR (Cl. de perfectionnement, Fère-en-Tardenois - 02, Cl. J.‑P. Lignon).

Jacky joue de la guitare avec un verre et un pinceau. Il chante en suivant les variations de l'instrument.

3. - DISCUSSION (Cl. de perfectionnement 2e niveau, Bresles - 60, Cl. J.-L. Maudrin).

Improvisation à la suite de l'écoute accidentelle d'une bandé magnétique enregistrée à diverses vitesses sur 4 Pistes, lu sur un magnétophone à 2 pistes.

4. - YAMANACA (Cl. de perfectionnement Royallieu 60, CI. J.‑L. Maudrin).

Chant et percussions sur des barils de lessive.

5. - CONVERSATION (Cl. de perfectionnement 2e niveau, Bresles ‑ 60, CI. de J.-L. Maudrin).

Une élève a apporté un papier, elle parle très vite, Hervé, José et Daniel l'imitent, se répondent et parlent tous en même temps.

FACE II

1. - MIEN TOUC (Cl. de perfectionnement 2e niveau, Bresles – 60, Cl. J.-L. Maudrin).

Improvisation sur deux syllabes.

2. - LA SIRENE A L'OPERA (Cl. de perfectionnement 2e niveau, Bresles, Cl. J.-L. Maudrin).

Exploitation d'une nouvelle piste apparue au cours d'une improvisation et remarquée lors de l'écoute critique de la bande. Le titre a été donné après.

3. - LES COSMOBOULES (Cl. de perfectionnement Bourgoin-Jallieu, 38 ‑ Cl. A.Andrès).

Musique de scène d'un jeu dramatique. Montage produit par les enfants à l'aide de différentes séquences enregistrées séparément. Les Cosmoboules arrivent sur une planète, ils sont attaqués.

J.L.M. ‑ Le texte de présentation comporte également une discographie sommaire que voici :

Rechants, 0. MESSIAEN.

Nuits, XENAKIS

Stabat Mater, K. PENDERECKI. - ERATO STU 70 457.

Le marteau sans maître, PIERRE BOULEZ ‑ ADES 15 006

At his very best, DUKE ELLINGTON (chant Adélaïde Hall, Kay Davis) -  R.C.A VICTOR 730 365.

The best of Ella Fitzgerald ‑ Vol. 1 MCA LA COMPAGNIE MAP/S 2875 - Vol. II : MCA LA COMPAGNIE MAP 3402.

Musique de l'Inde ‑ Chants et danses populaires du Bengale B A M LD 5076.

Musique du Mali BAM LD 5772.

Rythmes et chants du Sahara central – ICEM DOCUMENTS SONORES DE LA B.T. N°3.

If I could only remember my name,. DAVID CROSBY - ATLANTIC STEREO 840 003 M

J.P.L. ‑ Ce disque nouveau c'est une communication établie dans nos classes mais c'en est une aussi grâce au disque !

Les enfants vont pouvoir se rendre compte qu'il y a d'autres enfants qui cherchent comme eux dans les mêmes directions. Cela aura valorisé une partie un peu méconnue de l'expression enfantine.

J.L.M. ‑ C'est certain que ces recherches sur la voix viennent en complément de tout ce que nous publions et éditons dans le domaine de l'art enfantin, et non pas en opposition.

C'est une nouvelle fois la prise de conscience que la musique est partout.

Trop souvent on considère encore la musique de concert comme une musique de conserve !...

J.P.L. ‑ ... Oh ! pas toujours ! Il y a des musiques d'improvisation ! et le jazz ! le pop !

J.L.M.Oui, d'accord !

Ce qu'il faut considérer c'est que chacun de nous, comme chaque enfant - et surtout l'enfant - plonge dans un bain musical constant (comme il existe également un bain scientifique, un bain de langage, un bain mathématique).

Nous autres, ici, nous éclairons la réalité sous l'angle de la musique.

J.P.L. ‑ Et c'est l'aspect culturel de notre action

Ce disque va être le témoignage d'une réalité sonore qui porte son message en elle‑même.

On a trop l'habitude de considérer que l'enfant chante gratuitement. Or, il y a un message.

MEB. – Lequel ?

Y.P.L. ‑ C'est le message de la vie ! Dans chaque chant, il y a ce que porte une plante qui fleurit dans le soleil.

C'est exactement comme une chose qui vit et qui suscite alors des réactions. On ne peut pas rester passif !

Le texte n'est pas seul à faire réfléchir et à ouvrir l'esprit, à créer alors des réactions.

La musique, même vocale, même avec des « bali-boulou », suscite des réactions et quelle que soit la nature de ces réactions, qu'elles soient positives ou négatives, le but est atteint.

Y.L.M.Il y a là un mode d'expression universel. Il est hors du lieu et hors du temps, mais en même temps il est dans le lieu et dans le temps.

Y.P.L. - Oui, c'est le fait de toute la musique

J.L.M.- Exactement : c'est la nature de la musique, c'est comme la poésie...

MEB. - C'est comme la permanence de l'homme qui est dans chaque instant et qui est aussi éternelle, hors de l'anecdote...

J.L.M. ‑ Et aussi dans l'anecdote.

Le poème est en même temps émanation du temps et du lieu mais c'est l'expression de l'homme qui vit et se survit.

Y.P.L. ‑ Pour en revenir à la musique, déjà PYTHAGORE se demandait comment atteindre un mode d'expression qui ait cette permanence dont vous parlez, qui soit de tout lieu et de tout temps et toujours compris.

J.L.M. - C'est l'internationale du cri !

J.P.L. - Et c'est la musique !

Alors les musiciens se sont attachés à établir des équilibres, des lois fondamentales qui visent à cette universalité.

C'est le problème de la gamme... maintes fois posé et qu'on remet en question dans les modes d'expression moderne. C'est le problème de la pièce musicale qui doit contenir cette permanence pour être comprise et pour traverser le temps.

C'est le problème de la similitude que certains trouvent inquiétante entre la courbe de la vie, la courbe d'un son et la courbe d'une expression musicale construite quelle qu'elle soit ; peut-être tout se résume-t-il dans le fait d'une facture d'audition commune et permanente chez tous les hommes de tous les temps dont le musicien n'aurait pas le droit d'enfreindre les lois.

C'est en ce sens qu'on peut dire que la musique a pouvoir sur les êtres et sur les choses.

MEB. - ORPHÉE déplaçait les rochers et faisait taire les lions avec sa lyre !

J.P.L. - Oui : le fait de taper sur un tambour permet de faire vibrer l'air et notre tympan, il déplace quelque chose dans la nature.

C'est en ça que le musicien a un pouvoir sur les autres. La musique est conditionnante et structurante.

C'est la raison pour laquelle dans mon article « LA MUSIQUE LIBRE » dans le n°62 de mai/juin 1972 d'ART ENFANTIN, j'ai fait référence à l'article de N.H. PRONKO paru dans le n°20 de la revue « PSYCHOLOGIE ».

La musique n'est pas plus ou moins culturelle, plus ou moins discordante ou accordante ; elle est « pouvoir » ou plutôt recherche d'un pouvoir. C'est la raison pour laquelle, encore une fois, elle est conditionnante au même titre que le langage mais l'avantage de la musique réside dans sa permanence et dans son universalité.

J.L.M. ‑ Comme toute réalisation de l'enfant, elle est un tremplin de découverte de tout ce que font les autres : les enfants et les adultes aussi ! et c'est le moment de revoir notre discographie sommaire qui accompagne la présentation du disque.

J.P.L. ‑ Finalement, c'est ça la culture : c'est ce va-et-vient constant entre la création de soi et la création des autres.

MEB. ‑ Donc, la voix, ce n'est pas mieux ou pire que les instruments ou que les paroles d'un texte chanté, mais ce qui compte, c'est qu'elle est viscérale ‑ et sensible, non ?

J.L.M. ‑ Certains de nos morceaux communiquent des sensations intenses, certains font même trembler. C'est pour cela que nous ne les avons pas inclus dans ce disque.

C'est de l'art brut ! pas de ciselures baroques ! il n'y a pas d'effet de style...

J.P.L.... Si, il y en a y en a parfois ! Il y a la recherche d'un équilibre, il y a un rythme intérieur, il y a un souci de construction : ce n'est pas n'importe quoi ! il y a des réponses, il y a de quoi toucher l'auditeur autrement que par des arguments pédagogiques, intellectuels ou même sensibles. C'est véritablement un art !

Il y a maîtrise de la matière dans le sens d'une communication construite, ce n'est pas seulement un défoulement...

J.L.M  ‑ Non, ce n'est pas un défoulement, c'est une sublimation du défoulement, comme tout ce qui est musique.

J.P.L. ‑ C'est l'utilisation des moyens d'expression découverts au cours de défoulement.

MEB. - Voilà donc un disque que vous désireriez voir prendre date et peser de tout son poids dans le témoignage que nous voulons porter sur tout ce qui se fait dans le domaine de l'art et de la création des enfants.

J.P.L. - Evidernment ! c'est bien autre chose que la petite chanson de colonie de vacances apprise par coeur !

L'enfant y découvre là plus qu'une construction de sons une réalisation de soi à travers un univers sonore qu'il maîtrise.

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