L'enfant qui peint est un enfant comblé

 

our voir fleurir dans sa classe le libre dessin d'enfant, il faut non seulement l'aimer, mais en avoir besoin. Et pour en ressentir le besoin, il suffit peut-être tout simplement de le laisser entrer.

Je ne sais comment se comportent ailleurs les autres petits enfants, mais, quand je vois les miens qui rentrent en classe, sortir à peine assis leur carnet de dessin libre, et pour beaucoup, d'un premier jet du bout de leur stylo habile, se raconter leurs rêves, et leurs désirs, je me demande comment peuvent vivre ceux qui ne dessinent pas ?

Il est impossible qu'ils en soient privés, à la fois dans leur intelligence et dans leur sensibilité, car ils sont, j'en ai la certitude, des enfants comme les miens.

Tout à l'heure quand je reviendrai vers eux, ils me raconteront : l'histoire du « petit garçon qui était avec son grand-père, et qui avait réussi à attacher le Soleil à la queue de son cheval ».

La chance de cette petite femme « qui faisait la lessive et qui serait vite tranquille puisqu'il y avait trois soleils dans le ciel : « alors ça sèchera bien plus vite... ».

Il y aura bien aussi le papa qui bêche prosaïquement son jardin, mais, il a une si jolie casquette à carreaux... et est-ce par hasard que ce fripon de petit oiseau est sur le point de se poser dessus ?

Ce qui est vrai pour les crayonnages du matin est vrai aussi pour les séances de peinture.


COLETTE, 8 ans
École d'Estourmel (Nord)
   

Annie, 6 ans
Ecole de Saint-Cado (Morbihan)

« Ecoutez, vos dessins (me disait un collègue lors d'une locale et non C.E.L. exposition) vos dessins, je ne sais qu'en dire, je ne sais qu'en penser, Mais je n'arrive pas à m'expliquer ce qui m'est arrivé. Je n'ai vu qu'eux. J'avais beau m'en écarter pour aller examiner les autres (il était membre du Jury) je me retrouvais toujours devant eux ».

C'est que, mon cher collègue, ces dessins-là étaient des messages d'enfants qui disaient ce qu'ils avaient à coeur de dire.

Ils le disaient librement, ni mieux, ni plus mai que n'importe quels autres enfants, de n'importe où, qui auraient eu le droit et la possibilité de s'exprimer librement.

Le trouble qui vous inquiétait était tout à votre honneur.

Une séance de peinture libre ne se termine pas forcément par une collection de créations dignes des expositions. Mais tout dessin d'enfant est valable, et non seulement il est valable, mais il est vrai.

L'éducateur qui souhaite prendre contact avec l'art enfantin se doit d'admettre les doigts en fleurs, les maisons transparentes, les fleurs plus hautes que les arbres, les hirondelles roses, même si, au début il est un peu dépaysé. La récompense viendra vite. Il suffit d'un peu d'entraînement de part et d'autre, enfants et maître, pour que la communion s'établisse.

Et quelle récompense pour les uns comme pour les autres !

   

L'enfant qui peint est un enfant comblé : il est là devant moi, penché sur sa grande feuille.

- Madame, moi c'est beau !

Je fais « oui » de la tête, et je m'approche pour mieux voir, pour communiquer.

Mais à quel reflet de lui-même sourit-il d'un air véritablement inspiré ?

Comment ne pas être conquis ?

Comment ne pas comprendre que là, par une séance de peinture libre, nous touchons à un but important de notre oeuvre d'éducateurs ?

Car, si l'heure de la peinture est l'heure bénie de la joie, c'est aussi pour tout enfant qui peint souvent et régulièrement, l'heure du dépassement, des exigences et de la communion.

Ces jeunes enfants sentent bien que la liberté ne consiste pas à faire n'importe quoi, et n'importe comment. Ceux qui ont tout de suite fini sont sévèrement critiqués par les camarades. S'il y a un moment de la vie scolaire où l'enfant donne son maximum, c'est bien pendant une séance de dessin.

Même celui qui a si vite fini qu'il scandalise les autres, celui-là même a couvert sa feuille avec application, traduisant avec le plus grand soin sa préoccupation du moment.


LOULOU, 5 ans
École de Vénérieu (Isère)
 

La séance de peinture est sacrée. On y pense d'avance. On l'organise soigneusement. C'est à la fois un travail d'expression libre quant au choix des thèmes, et d'organisation méthodique quant à l'installation matérielle.

Mon attitude en classe revient à faire sentir aux enfants que dans leur absolue liberté, ils sont priés de donner leur maximum. Ce maximum étant fonction naturellement, et de l'enfant lui‑même, et des conditions qui régissent sa vie affective du moment.

Grâce à son dessin, je le connais mieux que personne ; mieux que sa mère même.

Le climat, dans la séance de peinture est extrêmement important, et important aussi pour les enfants les uns par rapport aux autres.

Tel qui peut-être bâclerait son dessin à la maison, ne songe qu'à magnifier celui qu'il crée à côté de ses camarades.

Si attentif qu'il soit à lui-même, à sa propre création, il est rare qu'un enfant ne s'intéresse pas aux oeuvres de ses voisins.

- Oh ! Madame, aujourd'hui, Martine, elle est pas énervée, c'est beau son dessin !

Le compliment ou la critique porte juste. Mais, s'il vous plaît, que le voisin ne se mêle pas d'être un conseiller trop indiscret... il risque de se faire rabrouer, et vertement :

- Dis donc. C'est pas le tien !

Entre tant de personnalités différentes qui s'affrontent, et qu'on respecte, le jeu est cependant possible.

- Dans les yeux, dit Bernadette, on voit, tout des petits points de couleur.

Alain remet les choses en place

- Dans les yeux, on se voit. On voit son portrait. C'est comme une glace !

Bernadette rit, très amusée :

- Tiens, tiens, c'est bien possible...

Mais elle s'en moque éperdument. Elle continuera à dessiner des femmes aux yeux immenses, tout parsemés de paillettes multicolores, tandis qu'à la même table, Alain compare ses gendarmes sanglés et moustachus.

Ils sont voisins, et c'est dans les mêmes baquets qu'ils puisent, mais pendant l'heure de la peinture, si leurs pinceaux se cognent quelquefois, leurs chemins ne se croisent jamais.

Ils vivent leur monde à eux.

Ils ont chacun leur vérité.

Ils sont eux-mêmes. Je les regarde, et je trouve que c'est merveilleux.

Au cours de ma déjà longue carrière en ce village, le dessin d'enfant a été une clé miraculeuse qui m'a aidée à ouvrir bien des portes secrètes, à solutionner plus d'un problème psychologique. Il a été un inappréciable moyen de pénétrer l'enfant, et de l'aider souvent.

Je lui suis reconnaissante aussi de m'avoir, en me procurant tant de joies, donné la curiosité de l'Art tout court.

Simone SENCE

École d'Estourmel (Nord)

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