MARIE-CHRISTINE 9 ans
Ecole des Marais (Oise)

LIMITER LES DEGATS

'EXPÉRIENCE de peinture libre des petits campagnards brayons m'est toujours apparue comme bien décevante quant à ses résultats « exposables » chaque fois que j'ai tenté de comparer leurs productions avec celles des écoles qui nous ont habitués à tant de belles choses.

Mais si les chefs-d'oeuvre sont rarissimes - et nous allons en trouver l'explication - il est un résultat indéniable, c'est que l'on continue sans souci des échecs à s'adonner sans remords à la technique « picturale ».

Autrement dit, la conclusion prévaut qui s'énonce ainsi pour nous (notre classe, nos élèves) : l'essentiel est de dessiner et de peindre et d'y trouver « sa » joie, avec celle des autres, même si les oeuvres ne montent pas aux cimaises du succès.

De nombreuses années, nos échecs ont été d'ordre purement matériel ou technologique : mauvais matériaux, mauvais papier, mauvaise peinture, pinceaux sales... (la pauvreté des écoles, la pauvreté des connaissances en étaient causes). De nombreuses années ces échecs ont été d'ordre pédagogique et c'est le hasard de discussions - sans compter les conseils d'Elise FREINET naturellement - avec des guides qualifiées (Hortense Robic, Edith Lallemand et Madeleine Porquet par ordre alphabétique) qui a ouvert les yeux au maître dont la part - qu'il croyait efficace - était nettement nocive pour ne pas dire toxique...

   

Evidemment, peintre amateur des grandes vacances, sinon du dimanche, petit paysagiste par plaisir sinon par vocation, le maître d'école, croyant bien faire, se conduisait en maître d'atelier et prétendait insuffler des concepts savants, ou des tours de main plus ou moins personnels à ses élèves : le tout avec une telle candeur qu'il ne se croyait pas le moins du monde systématique.

Le mal n'aurait pas été grand avec des jeunes, car ceux-ci auraient été imperméables aux conseils ; ils n'auraient tenu aucun compte du bagage transmis par la voix de l'artiste (?). Mais que dire des « grands » de onze à quatorze ans qui sont ma clientèle par destination. Déjà que leur souci est trop souvent de singer les adultes, que leur déformation est déjà entreprise par l'envahissante pâture picturale douteuse que l'extérieur leur apporte... c'en était trop de recevoir encore les « conseils éclairés » d'un ancien « bon élève en dessin » de l'École normale...

Aussi, en essayant de faire peau neuve, en tentant de ne plus intervenir en « peintre », en laissant voir « aux miens » ce que faisaient les autres, et surtout en cherchant à me « refaire une âme d'enfant », ma participation a changé de train, en changeant aussi de « bagages ».

Il ne s'agissait plus de dire à Gérard d'atténuer un lointain par une adjonction de bleu, de demander à Pierre de cerner un premier plan pour lui donner du relief... mais de faire garder à l'un comme à l'autre sa vision jeune sans qu'elle soit abâtardie par un goût adulte ou une acquisition passe-partout « pompiériste ».

Car c'est avec les grands et avec la fatale évolution de leur corps, de leur esprit, de leurs connaissances que nous avons le plus de mal à sauvegarder l'expression fraîche, apanage du petit.

Trop vite, les fillettes comme les garçons ont des sujets à leur répertoire qui rappellent le « Petit Echo de la Mode » ou les bandes dessinées d'Opéra Mundi... Et c'est aussi dans la manière de faire qu'ils sont influencés car ils veulent « faire vrai » mais ne font pas, mais ne font plus « sincère ».

Limiter les dégâts est le plus important pour le maître et c'est d'autant plus pénible qu'il se trouve de l'autre côté de la barricade.

Mais sa satisfaction est grande quand un grand dadais de treize ans, préoccupé ordinairement de westerns ou de mobylette, vient demander comme une demi-heure de libre joie, et sans aucun souci de purisme, grammatical :

- M'sieur, j'peux-t-y peindre un paysage ?

R. DUFOUR

École des Marais (Oise)

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