Le petit cheval bleu de la nuit

MARIO le petit Sicilien nous est arrivé par un matin sans couleur. Lui aussi est terne comme une chrysalide, tout maigrichon, tout blafard : blue-jeans avachis, veste trop longue héritée d'un grand-frère peu soigneux, il a l'air poudré du ciment que son père, le maçon, récemment embauché au chantier voisin manie à longueur de journées et d'heures supplémentaires...

Et triste de poil et triste de paroles, Son vocabulaire approximatif renferme plus d'incongruités que de termes académiques. Une petite flamme parfois dans ses yeux noirs, mais pas d'Agrigente ni de Syracuse ! Plutôt l'éclat modéré d'un linge qui sèche au fond d'une cour, dans un quartier populeux.

Petit à petit, le chevrier sicilien s'apprivoise : air moins fripé, une coquetterie dans le coup de peigne, un sourire parfois moins anxieux quand il répond, l'éclair de ses yeux noirs moins farouche... Un matin, alors que chacun raconte son rêve de la nuit, le regard sombre s'illumine soudain d'un joyau rayonnant de bonheur retrouvé. Mario a rêvé qu'un petit cheval bleu l'avait ramené dans son pays natal. Oh ! l'étrange rêve ! graine du beau conte que nous allons inventer pour que demeure aux yeux du jeune exilé la petite flamme de bonheur du beau conte qui va grandir comme un arbre magique entre nos murs, bêtement peints en ocre, nos vitres où se plaquent le ciel gris et les feuilles tristes des platanes.

Rêvons le petit cheval bleu de la nuit qui nous emportera tous avec Mario au pays où les vagues de la mer dansent comme de petites flammes violettes, où les pigeons dorment sur les terrasses des maisons et où le vent aussi doux que du miel, berce les bateaux blancs du port et les longues feuilles des palmiers...

Il est le filleul de la Lune, le beau petit cheval au pelage bleu tout tacheté de blanc. Sa crinière est aussi longue que les cheveux des filles, ses oreilles sont aussi fines et aussi mobiles que des ailes d'hirondelles. Ses quatre petits sabots d'argent galopent sur les chemins du ciel. Sa queue grande, grande, flotte comme les herbes d'automne sous la tempête. Elle balaie la poussière des étoiles.

Mais le petit cheval bleu n'a pas un grand collier de cuir, pas de gros mors en fer. Il n'a pas d'oeillères sur ses yeux d'olives noires, pas de selle sur son dos cambré, pas d'étriers non plus. C'est un petit cheval sauvage et libre.

Il porte sur sa tête fine un plumet blanc : mouette sur l'eau grise ; un plumet léger : papillon sur les marguerites ; un plumet qui court entre les nuages : une souris blanche ; un plumet magique, cadeau de la Lune, sa marraine.

Le petit cheval bleu galope sur le toit d’ardoise de la nuit, plus haut que les oiseaux, dans les prairies du ciel. Mais une nuit de printemps, il s’est ennuyé si haut. Il a voulu se promener sur la terre. Il a vu les chouettes, les hiboux, il a vu les petits hérissons qui reniflent dans les feuilles, il a vu sur leurs mobylettes les ouvriers qui font les postes, il a vu les voleurs…

Fatigué de trotter sur les cailloux, il s’est reposé dans le bois de Champforgeuil. Alors il a entendu le rossignol qui chantait joli, joli comme les gouttes de pluie du piano. Mais sournoisement le soleil se prépare à se montrer. Le petit cheval affolé prend son élan et bondit dans le ciel en perdant son plumet.

Sur le chemin du Paradis, Mario a trouvé le plumet, tout emperlé de rosée. Toute la journée il l'a contemplé. La nuit venue il l'a caché sous son oreiller, puis s'est endormi. Soudain le petit cheval bleu est entré par la fenêtre, l'a remercié de lui avoir gardé son plumet magique. Pour le récompenser il l'a pris sur son dos et hop ! il l’a emmené par les chemins du ciel chez la Lune sa marraine. Dans son palais de cristal, la Lune est assise, bien belle dans sa robe de perles bleues avec son croissant de neige sur ses grands cheveux noirs. Elle mange un gâteau de glace rose. Elle invite Mario à l'accompagner dans son char de nuages à Palermo où il est né.

Mario a revue la fontaine où il se baignait quand il était petit. Il a entendu la chanson câline de l’eau qui coule sur la pierre. Il serait bien resté à Palermo mais il fallait rentrer…

Mario a grimpé sur le dos du petit cheval bleu de la nuit et longtemps, longtemps, longtemps, ils ont galopé sur les routes du Ciel...

R. LAGOUTTE.

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