Un certain Romantisme bien nécessaire

On lira dans ces pages la fantastique aventure du « Petit cheval bleu » et qui est aussi l’aventure émouvante de l’âme d’un enfant. Mario, le petit Sicilien, « triste de poil et triste de paroles, terne comme une chrysalide » dans la pauvreté quotidienne de son existence, se laisse un jour emporter par un rêve fou… Il enfourche l’intrépide coursier de ses rêves et désormais, il n’a besoin d’aucun Dieu pour dispenser autour de lui la féerie et en vivre : il devient Dieu lui-même pour son bonheur et pour le nôtre.

Qui disait que l’on ne pouvait aller plus loin que ses liens terrestres ? Quand le matin éclate d’allégresse, les lois d’optique sont subsidiaires pour le voyageur qui en aspire la splendeur. Quand l’enfant se porte au-devant de la vie avec ce vouloir-vivre qui le multiplie, la réalité tangible n’est plus à sa mesure : le trop-plein déborde le vase et s’exalte dans un certain romantisme bien nécessaire. On ne nous fera pas dire que ce romantisme-ci est semblable à l’autre, celui des Grands, brisant les chaînes classiques et les censures de la raison. Non, le romantisme de l’enfant est pétri d’innocence et d’aube primitive, il est la coulée de la vie, en métamorphose dans chaque semence et chaque embryon. Ce n’est qu’en s’approchant de près que l’on s’aperçoit que ce romantisme n’est point aléatoire mais bien au contraire, qu’il est sans cesse revalorisation permanente de la personnalité par des démarches spécifiques individuelles, par une passion inextinguible de création. Création futile aux yeux de l’adulte mais qui est l’aboutissement inéluctable d’une intrépidité de vivre, d’un excès de force, d’une imagination débridée, qui doivent, bon gré, mal gré trouver un exutoire. C’est si l’on veut un romantisme organique, absolu. On est obligé de s’arranger avec lui, de s’accommoder de ses exigences. On ne saurait ruser avec lui et encore moins l’ignorer, sans risques graves de manquement aux lois de la nature humaine.

Le mérite de notre Ecole Moderne et tout spécialement de Freinet, est d’avoir compris ce fait élémentaire dont la conséquence inéluctable est la libre expression de l’enfant dans le jeu premier d’une totale spontanéité. Ce mot de spontanéité dont on fait à tort un procès à l’éducateur moderne, est chez l’enfant une manière d’être. Le lui reprocher et vouloir le bannir serait imposer une scolastique assez semblable à celle du dualisme chrétien proclamant le désaccord de l’âme et de la chair, fermant ainsi l’envolée des grandes harmonies.

Les harmonies de nos enfants, il faut le dire, ne son pas du Plain-Chant pour bénédictins mais bine plutôt du jazz impatient et syncopé, parfois brutal et ivre mais qui délivre une telle ardeur poétique qu’il se pourrait bien déjà que le grand Art lui soit redevable de quelque chose.

Mais redisons-le encore, l’enfant n’a aucune prétention : il gazouille et il bégaye peut-être, mais il sait ce qu’il veut dire. Il n’a pas besoin d’avoir recours aux bibliothèques pour faire jou-jou avec la pensée des autres. Il se trouve que la sienne lui suffit sans pour autant qu’il puisse tomber « dans le piège du moi », pour s’isoler du monde. C’est une position de faveur pour tout apprendre. Qui ne voit les dangers d’une pédagogie oppressive qui d’avance prépare les carcans du savoir artificiel, étriqué qui paralyse et mutile ce don initial d’acquérir que l’enfant porte en soi comme la fleur porte sa graine !

Nous voulons, nous, laisser monter le chant de la délivrance. Il ne porte au départ ni clef ni mesure mais nous sommes sûrs, que ce chant premier – qui n’est pas forcément un chant primitif – nous portera aussi loin que notre entente avec la vie  nous le permet, nous le promet.

Art Enfantin, à ses débuts et malgré ses difficultés de vivre, se porte garant de l’excellence de notre départ de confiance et aussi de la valeur de nos moissons.

Elise Freinet

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