L'ART ENFANTIN

EXPRESSION POETIQUE DE L’ENFANCE

Nous sommes encore tout éblouis par la richesse et la prodigalité des oeuvres d'art enfantin données à voir et à entendre au cours de ce XXIIIe Congrès de la pédagogie Freinet.

Et nous voilà, chacun dans notre école, bouleversés et parfois inquiets, nous interrogeant sur le sens profond de cette offrande délivrée si généreusement par nos enfants.

Offrande de joie, de tendresse, d'un accord charmé de soi au monde, d'une exubérance poétique naturelle, qui fleurit dans un monde difficile où les conquêtes de l'homme sont chaque jour plus étonnantes et plus périlleuses.

Dans un monde où nous ressentons chaque jour plus vivement à la fois le vertige des espaces, qui nous mène au-delà de la terre, et le besoin de sécurité, qui nous ramène dans la chaude intimité de la maison humaine.

Une intimité de jour en jour plus menacée par le bruit, le mouvement, la vitesse et tous ces sous-produits de consommation culturelle que nous dispensent le cinéma, la radio, la télévision, les affiches, le, journaux, les étalages, la vie moderne des cités.

Cependant, c'est dans ce monde de plus en plus mécanisé que nos enfants apprennent à vivre, à penser, à aimer, à oeuvrer, c'est de ce monde et d'eux-mêmes dam ce monde, qu'ils nous donnent cette vision chaude, colorée, fraternelle qui, comme celle de l'artiste, transcende la réalité en l'imprégnant de chaleur humaine.

Dès lors l'art enfantin, sous sa forme la plus naturelle d'expression poétique spontanée du monde et de l'homme, qu'il s'agisse d'expression gestuelle, parlée, chantée ou d'expression plastique, ne nous apparaît-il pas à la fois comme une réponse à un besoin biologique de la nature et comme un langage, profond, subtil, joyeux, qui aide à vivre et à comprendre ?

Ce langage poétique qui trouve sa source dans la vie organique et affective, dont le dynamisme traduit le mouvement même de la vie, où la joie de vivre est première, ne témoigne-t-il pas de la pérennité de l'accord secret de l'enfant au monde, de cet accord spontané qui deviendra, si nous savons sauvegarder cette naturelle exubérance créatrice, un art de vivre en réinventant l'homme et le monde.

Cette réconfortante certitude qui engage profondément notre action éducative nous la puisons non seulement dans l'éclat et la richesse de nos expositions, mais encore dans ces innombrables images neuves que nos enfants nous donne., à voir journellement, lorsqu'à travers toutes les formes d'expression dont ils disposent ils balbutient le monde et l'homme, les invoquent, les nomment, se les approprient, s'identifient à eux. De la même manière, à la fois lyrique et hardie, que les chasseurs préhistoriques invoquaient en les dessinant sur les parois des cavernes les bisons et les taureaux escaladant leurs falaises. De la même façon savoureuse et inventive que les artisans du Moyen Age sculptant sur les chapiteaux romans les bêtes monstrueuses de l'apocalypse et les scènes familières de la Bible.

Avec ce sens aigu et global du trait caractéristique dont les poteries aztèques nous donnent de si merveilleux témoignages.

Avec cette originalité, cette fantaisie, cette audace dont les sculptures de Picasso sont le plus éloquent exemple.

Avec le même désir fraternel de partage qui nous rend si chère la poésie de Paul Eluard.

En écrivant cela je ne veux nullement mettre en parallèle les oeuvres de nos enfants et celles des artistes de tous les temps. Mais seulement, à travers ces rencontres, faire éprouver à chacun de nous la force vivante de l'expression poétique, cette manière chaude, sensible, fraternelle d'appréhender l'univers et les hommes, d'inventorier et d'exalter la condition humaine, cette manière de vivre qui est naturellement celle de nos enfants dans les démarches premières desquelles naît toute Poésie authentique.

Et je veux aussi vous mettre en garde contre toute part du maître maladroite, appuyée ou intempestive, qui risque de ternir cette authenticité.

En effet, cette expression poétique qui saisit la vie dans ce qu'elle a de plus spontané, l'homme dans ses rapports les pins directs avec l'univers, « qui vient de la tête, du coeur, du ventre, des mains, des pieds, est bien la poésie la plus difficile et à la fois la plus facile, la plus difficile parce qu'il s'agit de poser le grain de sel sur la queue d'un oiseau bien farouche, la plus facile parce que c'est avec elle qu'on peut faire illusion.

Quel beau poème on peut écrire en ne se servant que de certains mots : nuit - étoile - sang - mer tout le vocabulaire actuel. Ne vous y trompez pas, ce ne peut être qu'un poème médiocre. Ces mots ne peuvent s'employer que s'ils viennent vraiment à vous et que si part ne peut les remplacer par d'autres. Le rythme les entraîne. Ils se mettent en chanson, ils se mettent en hymne. »

Avec cette définition du poète André Breton, nous abordons le domaine de la poésie-activité de l'esprit qu'il faut nous faut bien connaître si nous voulons à la fois comprendre et aider nos enfants dans leurs démarches de créateurs.

Car cette activité a ses lois et ses exigences :  loi du rythme et des sons, lois des mots et des images, lois des formes et des couleurs que nos enfants ne découvriront peut-être jamais, mais dont ils s'approcheront inconsciemment par une culture de leur imagination et de leur sensibilité dont ils sont au cours d’expériences tâtonnées, les propres artisans. Encore faut-il que nous soyons nous-mêmes sensibles à la véritable Poésie.

Encore faut-il que nous sachions reconnaître l'authenticité de ces images neuves nées dans la chaude intimité de la matière, images qui se mêlent, s'associent, s'emboîtent, provoquant le dépaysement. et le ravissement et accomplissant ainsi la fonction originelle de l'expression poétique : plonger l'homme dans le merveilleux : « Au pôle Nord un paon déploiera lentement le soleil, à l'autre pôle on aura la nuit des couleurs que mangent les serpents. »

Encore faut-il que nom sachions pénétrer avec nos enfants dans ce sortilège Par lequel l'émotion dit poète se communique mi lecteur, instrument d'échanges affectifs qui donne à voir et à rêver à la fois, qui nous introduit dans un monde subjectif, un monde riche de valeurs et de significations, un monde en attente de drame, ou l'écho des parfums des couleurs, des sans et des mouvements se répercute longuement dates le coeur de l'homme.

Encore faut-il que nous sachions partager avec nos enfants cette réalité poétique, cet univers particulier qui cependant s'insère dans une réalité plus large, celle du monde des vivants, celle même de la vie quotidiennes mais en composant autour de cette réalité une certaine atmosphère en l'éclairant d'un jour particulier qui est celui même de la vie intérieure du poète, car toute oeuvre authentique exige d'avoir été vécue.

Nous comprenons alors quel engagement doit-être le nôtre, dans cet échange constant des sensibilités qui est dans ce domaine l'action éducative par excellence. Comme nous devons veiller à n'offrir à nos enfants que des oeuvres authentiques et exaltantes, leur faire éprouver et aimer les richesses naturelles et équilibrantes, les amener à pénétrer les éléments, à s'enraciner dam leur milieu naturel et social par une re‑création lyrique de ce milieu. Expériences gestuelles, expériences verbales, plastiques, musicales, toutes seront à la fois culture de la sensibilité et de l'imagination, et activité de l'esprit.

Ainsi l'expression poétique enfantine deviendra-t-elle message.

Message d'une enfance qui se cherche, se trouve et se construit dans la joie parce que l'expression libre a multiplié ses pouvoirs, qu'elle lui a ouvert les chemins du rêve et ceux de la réalité intimement mêlés, parce qu'elle lui a permis d'assumer généreusement sa part créatrice et qu'ainsi sa tâche essentielle : faire de l'humain dans le monde, a été enfin retrouvée :faire de l'humain avec son coeur, avec son esprit, avec ses mains.

Ce message de liberté et de joie, les oiseaux du printemps vous l'apportent dans ces pages, à tire d'aile.

MADELEINE PORQUET

Inspectrice des Ecoles Maternelles

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