Ecole maternelle du Vieux Calonne

Liévin P.-de-C.

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OUS vivons au coeur d'une cité minière : une cité typique du pays noir, écrasée par la masse sombre des terrils, uniformisée à la grisaille du ciel et du paysage, noyée de poussière lourde sortie de la mine à jet continu comme un volcan mal éteint. Peu ou pas d'arbres, peu d'oiseaux : terrils, corons... Mais dans les espaces libres le vert joyeux de la prairie vivante des printemps ; ses floraisons sont pour les petits, l'éternelle ducasse. Elles nous font oublier que nous sommes prisonniers du quartier des tristesses de la cité, entre l'église et le cimetière.

Les enterrements passent devant nos fenêtres basses : un, deux par semaine, trois quelquefois. Nous les comptons car ils nous sont devenus familiers, conséquence inéluctable de la silicose, compagne désolée du destin du mineur.

Et, mêlé aux nuages gris du nord, au damier noir des terrils, le drame imprègne la vie du coron. Une apparente insouciance du lendemain essaye de le reléguer à l'arrière-plan du quotidien terne et gris que l'enfant arrive tout de même à magnifier car son entente avec la vie va plus loin que le malheur.

C'est dans ce décor, dans ce milieu ouvert au seul travail, à ses dures nécessités, à ses noblesses où chaque jour est un combat pour « la croûte » qu'évoluent nos ch'tiot.

Ont-ils conscience du drame qui les domine certainement oui ! Chacun d'eux est inscrit dans le rythme des descentes et des remontées dans la mine, dans l'attente des retours, dans l'angoisse des regards jetés sur la pendule, dans les étreintes des départs qui risquent chaque jour d'être celles du dernier adieu.

Mais parce qu'il y a ce drame, notre enfant de la mine se sent le mieux aimé, parce qu'il est, plus que tout autre l'espérance en l'avenir, le destin qui se continue même quand le père n'est plus là.

Nous sommes allés, « en pèlerinage » à la mine. Un pèlerinage au temple du travail.

Accrochés à mes jupes comme des poussins à leur mère, fascinés par ce trou noir d'où allaient sortir des hommes, les oreilles déchirées par les coups de cloches et de klakson, écrasés par l'immense carcasse de fer et de vitres brisées qui les dominait, ils attendaient...

 

Cinq coups de cloche qui déchirent l'air, et la cage émerge des profondeurs de la terre... Inoubliable vision ! Des têtes, rien que des têtes, dépassant au ras de la balustrade, des têtes noires aux yeux clignotants, étranges oiseaux de nuit que la trop soudaine lumière du jour blesse et fait vaciller ; et puis un sourire, un large sourire, celui de la vie triomphante, de la vie retrouvée, dans ces petites têtes venues anormalement fleurir l'inhumain décor journalier.

Sidérés, comme pétrifiés, pas un enfant n'esquisse le moindre geste, et soudain une petite voix jaillit : « papa ! ». Et cette autre voix que l'émotion rend plus rauque : « min tiot ! », Et la tête noire qui se penche vers la tête blonde, si simplement, mais si noblement...

Et parce qu'il reçoit si noble tendresse, le ch'tiot sait à son tour prodiguer le don de soi dans les êtres et les choses et c'est le miracle qui s'accomplit chaque jour dans notre petite école.

Quelle triste école, pourtant, vue du dehors ! Les visiteurs qui nous font le plaisir de venir passer un instant avec nous, sont effrayés devant nos murs gris où les affaissements miniers provoquent de larges et nombreuses lézardes ; devant la maigre pelouse dont l'herbe rare s'évertue à cacher un sol pelé ; devant nos peupliers rabougris qu'une terre peu généreuse n'arrive pas à nourrir et devant un de nos murs de clôture dangereusement écroulé. Ce mur demeure un vestige de l'avant-dernière guerre dont le pays minier porte encore des profondes cicatrices, profondes et nobles cicatrices de la guerre et du travail qui lui confèrent sa tragique beauté.

Comment 200 élèves, peuvent-ils vivre dans un milieu si peu sûr et si désolé ?

Mais quand ces Messieurs et Dames ont poussé la porte, quel émerveillement passe sur leur visage à la vue des murs enluminés par l'inouïe fantaisie de la joie enfantine !

Ils ont oublié les crevasses du ciment, la grisaille de la façade, l'insécurité du bâtiment. Ils sont ici dans le fief de l'enfance, un fief qui n'a pas de clôture et où la vie entre de toute part: des fenêtres ouvertes, de la porte entrebâillée, des lézardes qui se jouent de la résistance des matériaux... Car la vie est d'abord un grand éclat de joie ou de rire, un éclatement d'innocence.

- Ah ! Vous ne saviez pas comme la vie était belle ? Quel beau tour, n'est-ce pas nous vous avons joué !

Les enfants se prodiguent sans compter, et moi, la grande, sans aucune modestie, sans aucune retenue, j'éclate d'aise ; je voudrais serrer dans mes bras tous mes enfants de miracle. Je me sens habitée tout entière par leur poème « ça chante dans ma tête » : tu peux être contente, tu as réussi ! De cette joie puisée aux sources mêmes de leur misère, prends ta part, c'est la véritable communion des Saints !

J'ai cru longtemps que pour évoquer le printemps, il était nécessaire de voir les arbres en fleurs, les prairies bigarrées, les vols d'oiseaux et le bleu du ciel. Mes petits enfants de la mine m'ont appris qu'il était à la portée de tous les jours. Je me suis attachée à le découvrir dans ses humbles éclosions ; j'ai ouvert mes yeux sur le printemps qui étoile de tussilages les ordures entassées au pied du terril abandonné où se déroulent tant de passionnants jeux d'équipe.

 

 

J'ai senti avec allégresse la verte odeur de la maigre et terne pelouse au printemps ; j'ai admiré le terril sombre et fumant inscrit dans l'arc-en-ciel d'un jour de pluie d'été ou auréolé de la rouge splendeur du soleil couchant ; j'ai entendu le tragique chant de cette terre sans cesse remuée, sans cesse écartelée et j'ai frémi avec elle.

Et j'ai compris la quête incessante de ces petits êtres ouverts par tous leurs sens au spectacle de la vie. Je me suis enchantée avec eux de voir fleurir « les jolies fleurs blanches au long du fossé sale », J'ai humé à pleines narines « la terre retournée, brillante comme un bijou » ; avec eux, je me suis sentie « pleine de ciel, pleine de lumière, pleine de soleil », car le grand frémissement de la nature nouvelle était en nous. Nous étions dans la lumière, dans le soleil, dans le vent et dans le chant de l'alouette, le seul oiseau de nos prairies, gris comme nos corons gris, mais qui s'élève par bonds joyeux jusqu'à disparaître aux yeux qui le suivent, tête renversée, âme ravie.

« C'est un chant qui bat comme un coeur, et là-haut, les étoiles l'attendent ». Dans notre ferveur, nous avons je crois, senti l'instant fabuleux, où l'aile de l'alouette touche à la voie lactée...

« Ça y est ! Elle est arrivée... ! ».

C. BERTELOOT.

Directrice

 

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