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OUS
vivons au coeur d'une cité minière : une cité typique du pays noir,
écrasée par la masse sombre des terrils, uniformisée à la grisaille du
ciel et du paysage, noyée de poussière lourde sortie de la mine à jet
continu comme un volcan mal éteint. Peu ou pas d'arbres, peu d'oiseaux :
terrils, corons... Mais dans les espaces libres le vert joyeux de la prairie
vivante des printemps ; ses floraisons sont pour les petits, l'éternelle
ducasse. Elles nous font oublier que nous sommes prisonniers du quartier
des tristesses de la cité, entre l'église et le cimetière.
Les enterrements passent devant nos fenêtres basses :
un, deux par semaine, trois quelquefois. Nous les comptons car ils nous
sont devenus familiers, conséquence inéluctable de la silicose, compagne
désolée du destin du mineur.
Et, mêlé aux nuages gris du nord, au damier noir
des terrils, le drame imprègne la vie du coron. Une apparente insouciance
du lendemain essaye de le reléguer à l'arrière-plan du quotidien terne
et gris que l'enfant arrive tout de même à magnifier car son entente avec
la vie va plus loin que le malheur.
C'est dans ce décor, dans ce milieu ouvert au
seul travail, à ses dures nécessités, à ses noblesses où chaque jour est
un combat pour « la croûte » qu'évoluent nos ch'tiot.
Ont-ils conscience du drame qui les domine certainement
oui ! Chacun d'eux est inscrit dans le rythme des descentes et des
remontées dans la mine, dans l'attente des retours, dans l'angoisse des
regards jetés sur la pendule, dans les étreintes des départs qui risquent
chaque jour d'être celles du dernier adieu.
Mais parce qu'il y a ce drame, notre enfant
de la mine se sent le mieux aimé, parce qu'il est, plus
que tout autre l'espérance en l'avenir, le destin qui se continue même
quand le père n'est plus là.
Nous sommes allés, « en pèlerinage »
à la mine. Un pèlerinage au temple du travail.
Accrochés à mes jupes comme des poussins à leur
mère, fascinés par ce trou noir d'où allaient sortir des hommes, les oreilles
déchirées par les coups de cloches et de klakson, écrasés par l'immense carcasse de fer et de vitres
brisées qui les dominait, ils attendaient...
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Cinq coups de cloche qui déchirent l'air, et la
cage émerge des profondeurs de la terre... Inoubliable
vision ! Des têtes, rien que des têtes, dépassant au ras de la balustrade,
des têtes noires aux yeux clignotants, étranges oiseaux de nuit que la
trop soudaine lumière du jour blesse et fait vaciller ; et puis un sourire,
un large sourire, celui de la vie triomphante, de la vie retrouvée, dans
ces petites têtes venues anormalement fleurir l'inhumain décor journalier.
Sidérés, comme pétrifiés, pas un enfant n'esquisse
le moindre geste, et soudain une petite voix jaillit : « papa ! ».
Et cette autre voix que l'émotion rend plus rauque : « min tiot ! », Et la tête noire qui se penche vers la
tête blonde, si simplement, mais si noblement...
Et parce qu'il reçoit si noble tendresse, le ch'tiot
sait à son tour prodiguer le don de soi dans les êtres et les choses et
c'est le miracle qui s'accomplit chaque jour dans notre petite école.
Quelle triste école, pourtant, vue du dehors !
Les visiteurs qui nous font le plaisir de venir passer un instant avec
nous, sont effrayés devant nos murs gris où les affaissements miniers
provoquent de larges et nombreuses lézardes ; devant la maigre pelouse
dont l'herbe rare s'évertue à cacher un sol pelé ; devant nos peupliers
rabougris qu'une terre peu généreuse n'arrive pas à nourrir et devant
un de nos murs de clôture dangereusement écroulé. Ce mur demeure un vestige
de l'avant-dernière guerre dont le pays minier porte encore des profondes
cicatrices, profondes et nobles cicatrices de la guerre et du travail
qui lui confèrent sa tragique beauté.
Comment 200 élèves, peuvent-ils vivre dans un
milieu si peu sûr et si désolé ?
Mais quand ces Messieurs et Dames ont poussé la
porte, quel émerveillement passe sur leur visage à la vue des murs enluminés
par l'inouïe fantaisie de la joie enfantine !
Ils ont oublié les crevasses du ciment, la grisaille
de la façade, l'insécurité du bâtiment. Ils sont ici dans le fief de l'enfance,
un fief qui n'a pas de clôture et où la vie entre de toute part: des fenêtres
ouvertes, de la porte entrebâillée, des lézardes qui se jouent de la résistance
des matériaux... Car la vie est d'abord un grand éclat de joie ou de rire,
un éclatement d'innocence.
- Ah ! Vous ne saviez pas comme la vie était
belle ? Quel beau tour, n'est-ce pas nous vous avons joué !
Les enfants se prodiguent sans compter, et moi,
la grande, sans aucune modestie, sans aucune retenue, j'éclate d'aise ;
je voudrais serrer dans mes bras tous mes enfants de miracle. Je me sens
habitée tout entière par leur poème « ça chante dans ma tête » :
tu peux être contente, tu as réussi ! De cette joie puisée aux sources
mêmes de leur misère, prends ta part, c'est la véritable communion des
Saints !
J'ai cru longtemps que pour évoquer le printemps,
il était nécessaire de voir les arbres en fleurs, les prairies bigarrées,
les vols d'oiseaux et le bleu du ciel. Mes petits enfants de la mine m'ont
appris qu'il était à la portée de tous les jours. Je me suis attachée
à le découvrir dans ses humbles éclosions ; j'ai ouvert mes yeux
sur le printemps qui étoile de tussilages les ordures entassées au pied
du terril abandonné où se déroulent tant de passionnants jeux d'équipe.
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J'ai senti avec allégresse la verte odeur de la
maigre et terne pelouse au printemps ; j'ai admiré le terril sombre
et fumant inscrit dans l'arc-en-ciel d'un jour de pluie d'été ou auréolé
de la rouge splendeur du soleil couchant ; j'ai entendu le tragique
chant de cette terre sans cesse remuée, sans cesse écartelée et j'ai frémi
avec elle.
Et j'ai compris la quête incessante de ces petits
êtres ouverts par tous leurs sens au spectacle de la vie. Je me suis enchantée
avec eux de voir fleurir « les jolies fleurs blanches au long du
fossé sale », J'ai humé à pleines narines « la terre retournée,
brillante comme un bijou » ; avec eux, je me suis sentie « pleine
de ciel, pleine de lumière, pleine de soleil », car le grand frémissement
de la nature nouvelle était en nous. Nous étions dans la lumière, dans
le soleil, dans le vent et dans le chant de l'alouette, le seul oiseau
de nos prairies, gris comme nos corons gris, mais qui s'élève par bonds
joyeux jusqu'à disparaître aux yeux qui le suivent, tête renversée, âme
ravie.
« C'est un chant qui bat comme un coeur,
et là-haut, les étoiles l'attendent ». Dans notre ferveur, nous avons
je crois, senti l'instant fabuleux, où l'aile de l'alouette touche à la
voie lactée...
« Ça y est ! Elle est arrivée... ! ».
C. BERTELOOT.
Directrice
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