« Passez, les portes sont ouvertes »

APRES cette radieuse plongée au monde prodigieux des nativités, il nous apparaît clair comme le jour, que le don d'innocence soit le plus apte à exprimer la vie, à la gouverner, à en délivrer le sens d'éternité. Vie des sensations, des rêves, des désirs, c'est comme un fleuve qui coule sans contours ni frontières : tout y est d'une seule coulée !

« Passez, Pompons, les macarons, les portes sont ouvertes... ».

Chaque année nos Congrès de l'Ecole Moderne renouvellent le miracle: un jaillissement de libre venue qui ne se pose pas de problèmes. Il suffit à nos enfants d'être heureux, dans un monde où tout les enchante - c'est tant pis pour nous si ce monde nous déçoit ! - ils vont leur petit bonhomme de chemin sans se soucier, indifférents en apparence à l'aboutissement de leurs actes. Et cependant, quand ils se penchent sur la feuille blanche et qu'ils libèrent le dieu de l'invention, ils deviennent attentifs et passionnés, suspendus à leur oeuvre, capables de courage et d'héroïsme pour la mener à bien. - Un sentiment de responsabilité méticuleuse et exigeante les tiendra, si nécessaire, plusieurs heures d'affilée parachevant le dessin ou la peinture qui est en train de naître.

Du point de vue pédagogique et éducatif, c'est bien là le meilleur côté de l'expérience : faire que l'enfant se maîtrise et se discipline et qu'il acquière le goût de la chose bien faite.

Cependant, au-delà de cette tension bénéfique, l'en fant-créateur semble gagner une charge de sensibilité nouvelle, une sorte de voyance qui le porte vers une harmonie que ni lui, ni nous-mêmes n'aurions soupçonnée. C'est un peu comme un artiste qui réalise son numéro. Progressivement, il le perfectionne en variations, en brio, acquérant avec de plus en plus de subtilité cette notion de valeur sans laquelle il n'est pas de culture. Et tout se passe comme si nos enfants artistes étaient cultivés - sans avoir rien appris - sans désir d'apprendre. Simplement par ce flair, par ce besoin de dépassement, par la préhension de leur regard qui va plus loin que la chose qu'ils voient.

Heureusement, tout est ici sans prétention ni calcul. Il ne viendrait à l'idée d'aucun enfant de se sacrer artiste et d'exiger des égards. Pas davantage il cèderait à la manie de collectionner ses propres oeuvres. Il est heureux au contraire de les offrir, de les intégrer dans des ensembles dans lesquels il deviendra simple participant anonyme. L'essentiel est qu'il se sente riche de promesses, de miracles renouvelés. Et dans cette confiance en son propre destin, l'enfant nous engage nous-mêmes, éducateurs.

Nous pouvons avoir l'âme tranquille. Cette confiance-là, les maîtres de l'Ecole Moderne ne l'auront pas trahie. Nous serons allés, même, au‑delà des choses possibles pour la préserver.

Ces belles manifestations d'Art que nos congrès nous permettent de réussir sont l'expression la plus haute de notre école du peuple. Elles portent témoignage des aptitudes créatrices de l'enfant certes, mais aussi de la présence du maître et plus encore de ce noble entêtement que l'un et l'autre mettent à triompher des obstacles inhumains qu'une réalité scolaire décevante dresse à chaque pas devant nos initiatives et nos élans.

Et pourtant la réussite est évidente.

Le chant d'allégresse qui éclate entre les pages de cet étonnant livre d'heures est notre récompense. Mais au-delà de nos joies et de notre émotion à nous découvrir plus beaux que nous sommes, c'est une sorte de serment qui nous engage à servir par tous les moyens, de toutes nos forces, cette richesse de vie qui dans l'enfant déjà préfigure l'homme.

Elise FREINET.

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