N jour, un élève apporte en classe un lé d'isorel qui, par ses dimensions cadrait avec le tableau d'affichage du journal mural que nous projetions de décorer. Deux élèves clouent le panneau à l'envers. Un coup de pinceau la-dessus et tout sera pour le mieux.

Mais, la peinture adhère difficilement sur la surface entoilée. Soucieuse d'éviter des dégâts, une grande élève essaie d'enlever la couleur avec une éponge imbibée de lessive de cendres donnée par une voisine.

Le lendemain, on ne sait trop comment, une fillette surcharge le panneau du plus beau vert épinard. La prairie a tôt fait de s'émailler de fleurettes et de papillons multicolores. Après séchage l'effet est surprenant : laissant apparaître la trame de la toile, l'isorel est devenu lumineuse tapisserie.

Que nous voilà loin du panneau scolaire !

Par le même procédé de décapage à la lessive nous préparons un deuxième isorel qui sollicite les initiatives. Les grands qui d'habitude boudaient la peinture, se laissent tenter, épaulés par les plus jeunes toujours débordants d'invention.

 

 

 

Alors ce fut le plus beau des départs. Le panneau prit en peu de jours une allure à la fois désordonnée et merveilleuse. Je fus stupéfait de constater sa ressemblance - à s'y méprendre - avec les grandes tapisseries modernes. C'était leur velouté, leur éclat, leur prodigieuse fantaisie décorative.

Je me mis en quête de quelques revues susceptibles de nous documenter sur le travail de la tapisserie. Ma glane fut maigre, mais Lurçat nous apparut dans toute sa gloire dans deux de ses oeuvres

Alors commença l'aventure : une sorte de méditation décorative s'éveilla dans l'âme des enfants : ils travaillaient avec un élan de fièvre créatrice, jetant sur la toile les formes inattendues et exubérantes d'une flore, d'une faune, d'éléments qui les grisaient... C'est ainsi sans doute que fut créé le paradis... Je fus pris moi-même au jeu, alors que jusqu'ici la peinture était loin d'être mon violon d'Ingres. Si grande devint notre puissance inventive que les figures de nos revues furent bien vite oubliées : nous volions de nos propres ailes...

Très tôt, les enfants apprirent à se spécialiser qui dans les oiseaux, qui dans les arborescences, dans les poissons, les étoiles, les chemins d'astres, car nous étions sur la route du ciel : il s'ouvrait immense devant nous, sans aucune frontière à notre génie débordant...

La richesse de l'expérience sur le plan artistique, psychologique et humain m'apparaît si vaste qu'elle ferait un livre : un livre qui serait le renversement de toute une psychologie morte n'ayant point encore ouvert les yeux sur la joie de créer. Car créer, surtout pour les grands, à cette croisée des chemins de l'adolescence, c'est déjà s'orienter vers son destin d'homme.

Une ombre seulement à notre aventure : le dimanche, parents et visiteurs viennent tracasser la cantinière pour visiter la classe... Cela ne va pas toujours tout seul...

P. CASANOVA.

 

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