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enfants, des petits, des grands : une famille. Les petits, un peu
fous, étourdis, tapageurs, mais spontanés, curieux, poètes. Les grands,
déjà sérieux et calmes ; demain, des hommes. Où ont-ils pris cette
attitude naturellement éducative vis à vis des plus jeunes ? L'habitude
du berger, soucieux du troupeau dans lequel chaque bête s'ordonne les
a certainement enseignés. C'est comme une science spontanée qui se donne
avec tout son bon vouloir, en acte de sainteté. Ils sont faits déjà aux
oeuvres de longue patience, qu'ils s'adonnent aux multiples travaux qui
conditionnent le métier de paysan montagnard, qu'ils taillent par fantaisie
une branche d'épicéa ou de mélèze, un bois de sonnaille ou qu'ils chamarrent
la feuille blanche de teintes vives encloses, comme un bouquet dans la
rigueur d'un dessin net et pur comme leur âme.
Déjà une sorte de sagesse les habite, doublée de responsabilité, de conscience,
et très souvent de noblesse. C'est comme une vertu quotidienne, à égale
distance de l'austérité et du rire et qui penche vers l'une ou vers l'autre
selon l'à propos des choses.
D'en bas, les petits les regardent agir avec admiration et gratitude. Ils se
sentent les agnelets du troupeau et il est dans la nature des choses qu'ils
aiment leur berger, comme le berger les aime.
L'école est faite de ce don réciproque qui cimente une amitié d'entente. Ici
l'on ignore les paroles inutiles. On va aux actes vrais, et lorsqu'on
sait le prix de la chose réussie, on se reconnaît le droit d'enseigner
les autres. On le fait sans forfanterie avec patience et recueillement
et c'est cela la véritable éducation.
Cependant, tout s'arrange pour que la bonne humeur soit toujours de la partie :
l'hiver prodigue en loisirs, décuple la vigueur de ces adolescents, bondissant
sur les pistes à la moindre occasion, skis hâtivement passés, chemise
ouverte sur le cou nu : « nous ne sommes pas des poules mouillées... »
Pendant les interclasses et les récréations et le soir jusqu'à la lune
- à moins que l'onglée ne vienne avant - grands et petits skient tous
ensemble derrière l'école. Chaque poussin a sa mère-poule
qui le guide prudemment et l'initie aux secrets du dérapage, du chasse-neige,
du virage aval...
Les premiers tussilages éclos dans un petit coin de terre cerné encore des neiges
hautes, les châtons frissonnant sur les vernes
réveillées, les jeunes saules échevelés d'osiers jaunes, sonnent pour
nous le réveil du printemps.
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Personne ne saura dire la passion des petits montagnards pour tant de fleurs
progressivement offertes par une nature impatiente de vivre ! Les
petits citadins ne sauront jamais la splendeur des prairies de ta montagne
en fleurs ! Au spectacle de tant de dons, une sorte d'instinct de
la poésie habite grands et petits, suscite en eux des images d'une fraîcheur
étonnante qui gardent en elles l'odeur de la terre, le parfum des prés,
la grâce de la montagne en fleurs.
La vie de chaque jour est un poème qui se lit dans les regards, les mains actives
et sur tant d'oeuvres vives qui font de notre Maison le chantier de la
joie et l'autel de la beauté.
Je puis parler de cette réalité surprenante sans l'ombre de prétention ou de
vantardise car je n'entre dans le jeu que dans la mesure où les enfants
m'acceptent pour m'élever à leur niveau de bonheur. C'est pour moi un
grand privilège et ma tâche éducative en est embellie et magnifiée :
je le sais, c'est eux « qui ont choisi, la meilleure part ».
Mme MOUNIER.
École
de Pralognan La Croix, Savoie
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