La plupart des enfants vivent parfaitement libres
au milieu de cette nature qui constitue pour eux un exceptionnel décor
et le plus merveilleux des recours de joie et de bonheur. Les parents,
asservis par un travail épuisant, qui ne leur laisse aucun répit, ne
troublent en rien cette liberté naturelle qui, fatalement, est fonction
d'un monde féerique où plus ou moins inconsciemment, se façonnent les
sensibilités.
c) C'est vraiment une chance pour ces enfants
d'avoir eu à leur disposition cette forme supérieure et inespérée de
langage qu'est la peinture. Ils se sont par elle exprimés directement,
sans avoir recours à la parole ou à l'écrit, et cela pendant 2, 3, 4,
5, 6, années.
d) Mon tempérament particulièrement exigeant a
pesé sans doute sur la facture méticuleuse des oeuvres de mes élèves.
Mais aussi, je n'ai jamais séparé mon enseignement de la connaissance
de l'enfant et la peinture a été dans ma classe un moyen salutaire d'éducation,
permettant de solutionner au mieux les cas particuliers, et nous mettant
à l'abri des échecs psychologiques.
Dès le début de notre expérience, j'ai pu suivre
les démarches de cette extraordinaire éclosion. Les enfants ont commencé
à peindre des arbres toujours associés à leur vie et ils sont restés
fidèles à cette inspiration. Dès 1952, deux ou trois enfants particulièrement
sensibles donnent le départ, et nous pouvons noter de belles atmosphères
automnales qui chantent dans des nuances riches et douces.
En 1953, le tableau s'enrichit d'oiseaux, de rivières ;
mais les fonds, en général d'une seule teinte, sont rapidement exécutés.
1954 voit apparaître quelques beaux paysages avec
de beaux ciels, souvent bleus ou gris.
En 1955, le paysage domine avec de beaux cernes
blancs ; mais nous avons encore pas mal de déchet.
A partir de 1956, le ciel bleu disparaît. L'enfant
s'attarde de plus en plus à son oeuvre ; il est capable d'y travailler
un mois, ce qui représente parfois 15 ou 20
heures de travail. Les fonds deviennent aussi riches que les principaux
éléments cernés d'un noir qui donne à l'oeuvre une profondeur extraordinaire.
La couleur a pris le pas sur la forme, qui se perfectionne tout de même
inconsciemment sans perdre de son originalité à mesure que l'enfant
avance - témoins ces illustrations de cahier où l'enfant peint magnifiquement
en humectant de simples crayons de couleurs.
En 1958, l'enfant est un MAITRE. Toutes ses oeuvres
sont valables ; quelques-unes sont de purs chefs-d'oeuvre. Le paysage
très riche domine ; les quelques essais de portraits ont beaucoup
moins de valeur.
Comment les enfants sont-ils arrivés à cette réussite ?
Quelle a été ma part ?
Certes, le départ m'a demandé beaucoup de travail,
de persévérance. Nous n'étions pas riches ; l'enfant réalisait
sur de petits formats qu'il fallait agrandir. Les agrandissements n'étaient
plus de la création ; ils étaient laborieux et n'intéressaient
pas toujours les enfants. Ils nous ont cependant permis d'avoir des
réussites.
Mon travail a consisté pendant ces premières années :
à préparer une palette très PROPRE, IMPECCABLE, NUANCÉE, avec des tons
DOUX, ASSOURDIS, car j'ai toujours redouté le criard ; à me plier
aux exigences des enfants (il m'a fallu depuis trois ans renoncer aux
couleurs en poudre et n'utiliser que la gouache en gros tubes) ;
j'ai assisté en simple témoin, enthousiaste certes, mais absolument
incompétent à cette montée (je suis incapable de tenir un pinceau).
J'ai été amenée à considérer comme technique seule valable, le TATONNEMENT
qui conduit à la MAITRISE, puis à la REUSSITE à jet continu.
Forte de cette magnifique expérience de sept années
de peinture libre, je puis apporter le témoignage de la réalité de l'ART
ENFANTIN, pourvu que l'enfant soit placé dans un tel climat de liberté.
C'est cette liberté qui lui permet d'être lui-même et partant, d'exprimer
ses angoisses, ses craintes, ses espoirs, son amour du beau, sa joie
de vivre, sa confiance inébranlable dans la possibilité d'une libération
indispensable au bonheur de chaque individu.
Z. BARTHOT,
St‑ Benoît (Vienne)