omment sommes-nous parvenus à une telle maîtrise en sept années d'expérience dans notre humble école de village ?

Personnellement, à cette réussite exceptionnelle, je vois de nombreuses raisons.

a) D'abord et surtout, en dépit de difficultés énormes (dépenses exorbitantes, classe surchargée, matériel inadapté, malveillance, fatigue etc...) mon opiniâtreté inébranlable à maintenir dans ma classe, coûte que coûte, un climat d'expression libre aussi bien dans le texte libre que dans le dessin et la peinture permettant à l'enfant, selon le processus cher à Freinet de l'expérience tâtonnée, de vivre dans un éternel dépassement.

b) Un cadre extraordinaire de douceur et de beauté dans une nature plus que toute autre sensible aux subtilités saisonnières : prairies en fleurs, rivières limpides, fleuries de nénuphars, ou dorées de feuilles mortes, peupliers des plus variés, marronniers, hêtres, acacias, tantôt en fleurs, tantôt dorés ou cuivrés par l'automne, essences délicates des parcs, insectes, oiseaux, serpents, toutes formes de vie nuancées et délicates, qui retiennent le regard et plaisent à l'âme. Pour qui sait voir, sentir, écouter, il est impossible d'échapper à « ces vibrations de la vie », à cette féerie de couleurs jaillissant à chaque pas.

 

La plupart des enfants vivent parfaitement libres au milieu de cette nature qui constitue pour eux un exceptionnel décor et le plus merveilleux des recours de joie et de bonheur. Les parents, asservis par un travail épuisant, qui ne leur laisse aucun répit, ne troublent en rien cette liberté naturelle qui, fatalement, est fonction d'un monde féerique où plus ou moins inconsciemment, se façonnent les sensibilités.

c) C'est vraiment une chance pour ces enfants d'avoir eu à leur disposition cette forme supérieure et inespérée de langage qu'est la peinture. Ils se sont par elle exprimés directement, sans avoir recours à la parole ou à l'écrit, et cela pendant 2, 3, 4, 5, 6, années.

d) Mon tempérament particulièrement exigeant a pesé sans doute sur la facture méticuleuse des oeuvres de mes élèves. Mais aussi, je n'ai jamais séparé mon enseignement de la connaissance de l'enfant et la peinture a été dans ma classe un moyen salutaire d'éducation, permettant de solutionner au mieux les cas particuliers, et nous mettant à l'abri des échecs psychologiques.

Dès le début de notre expérience, j'ai pu suivre les démarches de cette extraordinaire éclosion. Les enfants ont commencé à peindre des arbres toujours associés à leur vie et ils sont restés fidèles à cette inspiration. Dès 1952, deux ou trois enfants particulièrement sensibles donnent le départ, et nous pouvons noter de belles atmosphères automnales qui chantent dans des nuances riches et douces.

En 1953, le tableau s'enrichit d'oiseaux, de rivières ; mais les fonds, en général d'une seule teinte, sont rapidement exécutés.

1954 voit apparaître quelques beaux paysages avec de beaux ciels, souvent bleus ou gris.

En 1955, le paysage domine avec de beaux cernes blancs ; mais nous avons encore pas mal de déchet.

A partir de 1956, le ciel bleu disparaît. L'enfant s'attarde de plus en plus à son oeuvre ; il est capable d'y travailler un mois, ce qui représente parfois 15 ou 20 heures de travail. Les fonds deviennent aussi riches que les principaux éléments cernés d'un noir qui donne à l'oeuvre une profondeur extraordinaire. La couleur a pris le pas sur la forme, qui se perfectionne tout de même inconsciemment sans perdre de son originalité à mesure que l'enfant avance - témoins ces illustrations de cahier où l'enfant peint magnifiquement en humectant de simples crayons de couleurs.

En 1958, l'enfant est un MAITRE. Toutes ses oeuvres sont valables ; quelques-unes sont de purs chefs-d'oeuvre. Le paysage très riche domine ; les quelques essais de portraits ont beaucoup moins de valeur.

Comment les enfants sont-ils arrivés à cette réussite ? Quelle a été ma part ?

Certes, le départ m'a demandé beaucoup de travail, de persévérance. Nous n'étions pas riches ; l'enfant réalisait sur de petits formats qu'il fallait agrandir. Les agrandissements n'étaient plus de la création ; ils étaient laborieux et n'intéressaient pas toujours les enfants. Ils nous ont cependant permis d'avoir des réussites.

Mon travail a consisté pendant ces premières années : à préparer une palette très PROPRE, IMPECCABLE, NUANCÉE, avec des tons DOUX, ASSOURDIS, car j'ai toujours redouté le criard ; à me plier aux exigences des enfants (il m'a fallu depuis trois ans renoncer aux couleurs en poudre et n'utiliser que la gouache en gros tubes) ; j'ai assisté en simple témoin, enthousiaste certes, mais absolument incompétent à cette montée (je suis incapable de tenir un pinceau). J'ai été amenée à considérer comme technique seule valable, le TATONNEMENT qui conduit à la MAITRISE, puis à la REUSSITE à jet continu.

Forte de cette magnifique expérience de sept années de peinture libre, je puis apporter le témoignage de la réalité de l'ART ENFANTIN, pourvu que l'enfant soit placé dans un tel climat de liberté. C'est cette liberté qui lui permet d'être lui-même et partant, d'exprimer ses angoisses, ses craintes, ses espoirs, son amour du beau, sa joie de vivre, sa confiance inébranlable dans la possibilité d'une libération indispensable au bonheur de chaque individu.

Z. BARTHOT,

St‑ Benoît (Vienne)

 

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