LES élèves de notre école de cinq classes travaillent dans des conditions peu favorables (méthodes exclusivement traditionnelles dans trois classes sur cinq) et qui doivent se rencontrer hélas ! couramment. Cependant, une nature prodigue, aux portes mêmes de l'école, compense ce que l'organisation adulte a de décevant et cinéma ou télévision n'ont pas encore acquis un pouvoir de sollicitation capable de se substituer à l'intérêt toujours renouvelé de notre nature comtadine si riche en lumière et en parfums.

Au C.P., 1re classe qu'affrontent les petits ruraux de Visan (Vaucluse), on dessine, on peint. On barbouille beaucoup. On se libère et on est heureux. On atteint à la majesté des oeuvres définitives. Puis c'est la coupure brutale jusqu'à la classe terminale où certains écoliers ne pourront retrouver que très difficilement leur palette originelle quand ils n'auront pas contracté une inappétence complète pour la création artistique ou une propension enracinée au « pompier ».

De ce fait, les dessins les plus originaux et les plus audacieux, les réalisations les plus spécifiquement artistiques se rencontrent surtout à ce premier stade, ce qui ne saurait nous étonner, quand on songe que les petites classes sont les mieux placées pour enregistrer les réactions immédiates de l'enfant au monde qu'il découvre et pour saisir, sur le vif, le miracle de l'enfance. Nous savons que ce miracle ne dure pas, que la sève créatrice peut manquer et que la fraîcheur de la spontanéité est brimée peu à peu par la sécheresse de l'acquisition des connaissances, surtout si l'organisation pédagogique est telle que la « petite fleur » de la petite classe ne soit pas cultivée et s'étiole face à une pseudoscience démoralisante.

Ces considérations faites, et empruntant pour notre compte les voies du tâtonnement expérimental, nous avons pu établir quelques grands principes - qui ne sont pas nouveaux et qu'Elise a maintes fois signalés - auxquels nous nous sommes toujours conformés.

1°). Le climat de la classe. – Il est essentiel. Une atmosphère faite de compréhension et de confiance est absolument nécessaire si l'on veut que puisse éclore librement le génie créateur de l'enfant. L'expression artistique ne compose pas avec l'autoritarisme. L'enfant se recroqueville sous la férule et ses oeuvres restent squelettiques, avortées, comme ces trop fameuses maisons géométriquement dessinées ou ces vases de fleurs sans espoir, qui hélas, encombrent encore trop souvent les pages de nos écoliers. Mais, que le milieu s'humanise, que le soleil et l'azur entrent en classe et notre petit monde se transforme et s'épanouit. Alors, de la pointe du crayon jaillit une réalité nouvelle, alors le pinceau donne la touche originale.

2°). L'organisation matérielle. - Elle conditionne le déroulement de toute séance de dessin et elle est à la base même de toute création artistique. Le matériel C.E.L. convient particulièrement bien aux enfants et est d'un emploi facile.

3°). Liberté d'exécution. ‑ Nous laissons une liberté absolue dans le choix du sujet, du format, des formes et des couleurs ainsi que dans le rythme de l'exécution.

4°). Le besoin de réussite. ‑ L'enfant ayant un besoin vital de l'approbation générale, occasionnellement, la part du maître consiste à donner un coup de pouce dans le sens voulu par l'enfant afin d'éviter un ratage catastrophique dans le cheminement enfantin vers la conquête de la maîtrise.

Nous pensons ainsi, selon Freinet, qu'il faut organiser « le tâtonnement dans un milieu riche, aidant, accueillant » pour permettre à l'enfant de transformer ses expériences en techniques de vie.

Alors, peut-être, pourrons-nous plus souvent marcher sur les traces de Cézanne et dire avec lui : « Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude ».

Pierre CONSTANT

Photo Gillet

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