ÉCOLE des « bobets » ! On l'appelle comme ça dans le quartier, parce que dans les autres écoles, ils étaient les « bobets », les cancres de Prévert qui « disent non avec la tête », qui « disent non au professeur ».

Ils sont quinze : retardés, caractériels, tous déficients, rarement anormaux.

Ils sont à l'âge « ingrat » (10 à 15 ans), l'âge de la non spontanéité dans l'art enfantin, disent les professeurs.

Dans le quartier, ils vivent dans la cour banale d'un immeuble à quelque cinquante appartements, ils jouent sur le trottoir, le trottoir de tout le monde.

Dans la famille, ils vivent dans une ambiance qui tue l'imagination, le rêve, la poésie. Ils vivent dans un décor de chromos, de tentures de mauvais goût.

Ils vivent là une vie végétative parce que l'immeuble impose ses règles : pas de bricolage, le marteau dérange le voisin; pas de peinture, la couleur ça salit; pas de recoin où se réfugier.

Ils vivent une vie de refoulement. Les parents disent tout le temps : je t'interdis, tais-toi, tiens-toi bien !

 

Et, cette vie de chaque jour, s'accompagne chaque jour d'une musique que dégurgite la radio du matin au soir, fond indispensable pour estomper ce tableau noir.

Les robots, ça fait toujours les mêmes gestes. C'est mécanique, ça ne pense pas, ça ne crée pas, ça n'imagine rien.

Quinze robots ! Non, douze, il y a trois exceptions.

La porte de l'Art enfantin est grande ouverte. Les robots, ces cancres, vont-ils la franchir ?

Pour y croire, il nous faut apprécier sans réserve le moindre geste de création, il nous faut utiliser la toute petite lumière qui apparaît pour éclairer.

Pour l'affirmer, il nous faut quelque expérience. Il y a vingt ans, André, un pauvre gosse-robot évoquait par le pinceau une scène terrible d'assassinat au couteau, scène vue dans un petit théâtre. C'est par l'évocation de cette scène d'une réalité dure et choquante qu'André a franchi la porte de l'Art enfantin. Ça fait donc vingt ans que nous assistons à la démécanisation de nos robots.

Nous n'attendons pas tout de suite d'eux des oeuvres extraordinaires. Nous ne cherchons pas à nous enorgueillir en affirmant qu'ils sont tous des artistes. Mais, nous tentons de revaloriser leur pouvoir d'imagination qui s'est étiolé durant des années.

 

Quitte les gestes mécaniques !
Abandonne tes habitudes !
Oublie le conventionnel !
Parle ! parle ! raconte !
Evoque tous les petits évènements de la vie.
Mets-y, si possible, un peu de poésie,
Un peu de mystère !

Le mystère est si profond
Qu’on ne le voit pas
Le mystère est si loin
Qu’on ne l’entend pas
Le mystère est dans l’air

Dessine, dessine...
Dessine ce petit diable :

Il est dans mon corps
Je ne peux pas l’enlever
Il est tout au fond de moi
Ce petit diable méchant
Je ne peux pas le chasser
Il est près de mon cœur.
C’est un petit diable noir
Il s’en ira une fois.

Essaie de peindre ton cœur :

Mon cœur triste
Mon cœur lourd
Mon cœur chante l’ennui
Je sens mon cœur pleurer.

La porte de l'Art enfantin est grande ouverte. Nos enfants ne sont plus des robots.

Ce sont des enfants admirés des autres enfants et des grandes personnes, et même des grandes personnes qui ne comprennent pas grand’chose aux enfants et qui disent :

Ils ont des idées originales, ils en ont de l'imagination

M. PERRENOUD
École de Perfectionnement, Lausanne-Suisse

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